§ 3. — Du fait des biens
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§ 3. — Act of a thing
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Art. 1465. Le gardien d’un bien est tenu de réparer le préjudice causé par le
fait autonome de celui-ci, à moins qu’il prouve n’avoir commis aucune faute.
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Art. 1465.
The custodian of a thing is bound to make reparation for injury resulting
from the autonomous act of the thing, unless he proves that he is not at
fault.
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C.C.B.-C. 1054. (1) Elle est responsable non seulement du dommage qu’elle cause par sa propre faute,
mais encore de celui causé par la faute de ceux dont elle a le contrôle, et par
les choses qu’elle a sous sa garde.
O.R.C.C. (L. V, DES OBLIGATIONS)
100. Celui qui a
la garde d’une chose répond du dommage résultant du fait autonome de la chose,
à moins qu’il ne prouve le cas fortuit.
[Page 1503]
C.c.B.-C. : art. 1054.
C.c.Q. : art. 899, 1457, 1467, 1474 et 1475.
1. Présomption
de faute
A. Généralités et
historique
3602. Cet article établit une
présomption simple de faute pour le préjudice causé par le fait autonome d’une
chose dont une personne a la garde.
3603. Sous le Code civil du Bas-Canada, le
gardien d’un bien était présumé responsable à moins de démontrer qu’il avait
pris tous les moyens raisonnables pour empêcher le fait dommageable.
Ce fardeau de preuve n’a pas été repris à l’article 1465
C.c.Q., qui pose comme règle que la simple preuve de l’absence
de faute suffit à renverser cette présomption.
3604. Il nous semble que la formulation de la règle de l’article 1465 C.c.Q. n’ait pas pour effet de modifier la
portée du fardeau de preuve du gardien du bien pour s’exonérer de toute
responsabilité pour le préjudice causé par le fait autonome du bien. Le gardien
peut toujours repousser la présomption de faute légale en prouvant qu’il était
dans l’impossibilité d’empêcher la survenance du dommage.
Cette preuve
[Page 1504]
doit être établie selon
le critère du gardien normalement prudent et diligent. Si le résultat de l’application
de ce critère démontre qu’il était impossible d’empêcher la survenance du
dommage par des moyens raisonnables, eu égard aux circonstances, la présomption
de la faute doit être écartée. Le gardien du bien n’est
donc pas tenu à une obligation de résultat, mais plutôt une obligation de moyen.
3605. Le gardien devra toutefois démontrer par une preuve prépondérante que
le fait autonome du bien était imprévisible et qu’il était dans l’impossibilité
d’empêcher sa survenance. À titre d’illustration, la chute de la neige
accumulée sur le toit d’une habitation ne peut être considérée comme un
événement imprévisible permettant au propriétaire de l’immeuble de repousser la
présomption de faute établie à l’article 1465 C.c.Q..
B. Distinctions
3606. Il importe de distinguer le régime de la responsabilité du fait
autonome du bien établi à cet article du régime de la responsabilité du fait
personnel du propriétaire ou du gardien du bien, qui demeure toujours
applicable conformément aux dispositions de l’article 1457
C.c.Q. La victime qui fonde son recours sur l’article 1465 C.c.Q. bénéficie d’une présomption de
faute du gardien. Elle dispose donc d’un régime de preuve plus favorable
puisque la faute du gardien est présumée dès qu’il est prouvé que le préjudice
subi est causé par le fait autonome du bien. Par contre, si la victime ne
réussit pas à faire la preuve du fait autonome du bien, la responsabilité du
gardien peut être retenue si la faute de ce dernier est alléguée et prouvée
selon le régime général de la responsabilité civile prévu à l’article 1457 C.c.Q. Dans ce dernier cas, un lourd
fardeau de preuve incombe à la victime, qui doit non seulement prouver la faute
du gardien du bien, mais aussi que cette faute est la cause directe du dommage
subi. Ce dernier régime est donc moins favorable à la
[Page 1505]
victime mais ne peut
être exclu et ainsi l’obliger à opter lors pour l’un ou l’autre de ces régimes de responsabilité de l’institution des procédures.
3607. Il
importe également de faire la
distinction entre la responsabilité du propriétaire pour le
fait du bien de celle qui résulte d’une
faute commise en lien avec le bien et qui tombe sous l’application de la règle générale de l’article 1457 C.c.Q. Cette dernière responsabilité peut être retenue lorsque le propriétaire
d’un immeuble manque à son obligation d’entretien du bien commettant ainsi une faute.
Rappelons que ce dernier se doit d’offrir un environnement sécuritaire en assurant un entretien régulier des lieux comme une personne
raisonnable, prudente et diligente dans les circonstances. Cette obligation en
est cependant une de moyen et non pas de résultat, de sorte que la responsabilité du propriétaire du bien
ne sera pas retenue du simple fait qu’une personne est victime d’un incident
survenu avec le bien à moins de
faire la preuve d’une faute commise ou du fait du bien.
Ainsi, les personnes qui se promènent l’hiver, même si elles
peuvent s’attendre à un niveau de sécurité plus élevé que celui présent à d’autres
moments de l’année, doivent se
rappeler qu’elles ont elles aussi une obligation de prudence et doivent se prémunir des changements de température survenus.
3608. Il
importe de noter à cet effet, que
le défaut d’entretien du bien par
le propriétaire ne peut faire
entrer en jeu la présomption de l’article
1465 C.c.Q., car le bien en question n’est pas en mouvement à l’occasion du dommage.
En d’autres termes, lorsque les dommages sont dus à la faute commise par le propriétaire, et non pas au fait autonome du bien, la présomption de l’article 1465 C.c.Q. ne rencontre pas son application et la responsabilité de son gardien devrait être déterminée selon la règle
générale de la responsabilité civile prévue à l’article
1457 C.c.Q.
[Page 1506]
2. Conditions
de la responsabilité
3609. Les exigences relatives aux conditions d’application de la présomption
de faute pour le fait autonome du bien sont la preuve du fait autonome,
du préjudice subi et de la garde. Il appartient au demandeur de faire la preuve
de ces trois conditions. Rappelons cependant qu’il n’a pas à démontrer la faute
du gardien. Celle-ci est présumée
une fois que la preuve de ces trois conditions est faite.
Ainsi, pour renverser le fardeau de preuve et bénéficier de la présomption de
la faute, le demandeur doit démontrer par prépondérance de preuve (art. 2804
C.c.Q.) que la cause probable du préjudice subi ait un lien avec le fait
autonome du bien. La preuve doit toutefois être prépondérante au point d’inférer
une telle conclusion qui doit dépasser l’hypothèse même vraisemblable.
3610. La présomption découlant du fait autonome d’un bien est une présomption
de faute et non de responsabilité. Cela dit, le fardeau de preuve est renversé
lorsque le demandeur arrive à prouver qu’il a subi un préjudice résultant du
fait autonome du bien qui était sous la garde du défendeur. Dès lors, la
responsabilité de ce dernier sera retenue à moins de faire la preuve qu’il n’a
commis aucune faute. À cet effet, il
importe de souligner que la présomption prévue à cet article est simple et peut
être repoussée par une preuve contraire démontrant l’absence d’une faute par le
gardien ce qui se fait souvent par la démonstration de la cause qui est à l’origine
de l’événement, laquelle ne se présume pas. La jurisprudence enseigne que le
fardeau de preuve peut être satisfait lorsque les faits établis en preuve
permettent de conclure à une solution plausible et raisonnable. Cette solution
doit être fondée sur une constatation qu’il n’existe aucun autre facteur connu
permettant d’expliquer
[Page 1507]
l’état de fait observé
ou d’inférer une autre conclusion relative à une hypothèse vraisemblable.
A. Conditions
relatives au bien
1) Notion du bien
3611. L’article 899 C.c.Q.
prévoit que les biens peuvent être corporels ou incorporels, immeubles ou
meubles. Peuvent aussi être considérés comme des biens incorporels le courant
électrique, le gaz et les émanations ou vapeurs d’éléments.
La jurisprudence a considéré les ascenseurs, les réservoirs, les égouts,
les canalisations et les aqueducs, les racines d’arbres,
etc. comme des biens immeubles dont le fait peut donner ouverture à l’application
des articles 1465 C.c.Q. et même 1467 C.c.Q. si les autres conditions qui y sont
prévues sont réunies.
2) Fait autonome du bien : absence d’intervention humaine
3612. L’expression « absence
d’intervention humaine » signifie
que le fait dommageable n’est pas dû à l’intervention humaine d’une personne
mais du fait autonome du bien. Ainsi, pour bénéficier de la présomption prévue
à l’article 1465 C.c.Q., la victime doit démontrer que la cause de l’accident
est le fait du bien lui-même et ne résulte pas de sa manipulation ou de son
contrôle de ce bien. Ainsi, la victime ne peut bénéficier de la présomption
prévue à cet article lorsque le préjudice subi par elle est dû à son
intervention directe dans le contexte factuel
[Page 1508]
ayant entouré le fait du bien. C’est l’absence d’une
intervention par la victime ou toute autre intervention humaine qui permet de
conclure que l’événement dommageable est dû au fait
autonome du bien. Il y a donc lieu de faire une distinction entre le fait
personnel qui implique un contrôle physique ou une intervention dans le
mouvement du bien et le fait du bien qui crée le préjudice par son propre
dynamisme. À titre illustratif, il y a intervention humaine lorsqu’une personne
se coupe la main en fracassant une vitre.
3613. L’absence d’intervention humaine dans le mouvement du bien ayant causé
un préjudice n’est pas une condition absolue. En effet, l’existence d’un
préjudice peut impliquer indirectement une intervention humaine, qu’elle soit
proche ou lointaine, qui peut se traduire par une omission ou par un acte d’une
personne. Cela dit, l’absence d’intervention humaine doit être comprise et
interprétée de façon relative selon les circonstances afin de ne pas
restreindre injustement la possibilité d’établir la présomption accordée à cet
article. Par exemple, on ne peut présumer une absence d’intervention humaine
dans le cas où l’arbre d’un propriétaire présentant un risque de danger cause
un préjudice matériel à une voiture voisine, puisque le propriétaire a un
devoir de prévision et de prévention, ce qui le rend responsable d’une faute
commise de par son omission de prendre des précautions particulières à cet
égard. Cela dit, le critère
du gardien normalement prudent et diligent doit être analysé en fonction de la
prévisibilité de l’accident survenu. Ainsi, pour
prouver l’absence de faute de sa part, le gardien du bien doit démontrer qu’une
personne raisonnable placée dans les mêmes circonstances n’aurait pu prévenir
le préjudice matériel. Cette démonstration doit être évaluée en fonction des
mesures devant être prises normalement pour entretenir et surveiller
adéquatement le bien.
3614. L’article 1465 C.c.Q.
exige donc que le préjudice résulte d’un fait attribuable au dynamisme propre
du bien, sans intervention
humaine. Ainsi, il suffit que
la victime démontre que le préjudice subi
[Page 1509]
résulte du fait
autonome d’une chose sous la garde du défendeur pour que la responsabilité de
celui-ci soit engagée. Il appartient alors à ce dernier de faire la preuve que
l’événement dommageable est dû à une intervention humaine, notamment le
demandeur lui-même. Il doit aussi établir, par prépondérance de preuve, que
cette intervention est vraisemblablement la cause directe de cet événement.
Ainsi, l’intervention humaine dans la chaîne de causalité fait obstacle à l’application
de la présomption de faute. La victime, quant à
elle, doit faire la preuve que le dommage a été causé par le fait du bien. Elle
ne peut bénéficier de la présomption établie à l’article 1465 C.c.Q. si elle ne réussit pas à faire la
preuve que le fait du bien est à l’origine du dommage.
Ainsi, pour bénéficier de la présomption de faute du gardien, la victime du
préjudice doit seulement établir le dommage subi et prouver que celui-ci
résulte du fait autonome du bien. Elle n’a pas à démontrer la faute du gardien,
ni la cause exacte de l’accident.
3615. Le bien
doit être en mouvement au moment où le dommage est causé et il ne doit pas être
purement passif. Le dynamisme doit s’apprécier
par rapport au comportement de l’objet au moment où le dommage a été causé,
même si l’objet est normalement de nature inerte.
Ainsi, de la neige qui se détache soudainement d’un toit sera considérée comme
étant un fait autonome du bien.
[Page 1510]
3616. Il ne faut
pas cependant confondre le fait autonome du bien causant un dommage avec un
bien étant l’occasion du dommage. Ainsi, lorsqu’un enfant fait une chute dans
la grange du défendeur, celle-ci sera considérée comme l’occasion du dommage et
non comme sa cause. Il en est de même
lorsqu’une personne s’inflige des blessures en se tenant aux rebords d’une
piscine. Dans de telles
circonstances, les personnes victimes d’accident ne peuvent donc bénéficier de
la présomption établie à l’article 1465 C.c.Q..
3617. La
responsabilité du gardien doit être exclue dans le cas où le préjudice résulte
de la faute de la victime ou de l’intervention humaine, même si le bien était l’occasion
du dommage, lorsque ce bien n’était pas en mouvement au moment de la survenance
du dommage. Cependant, le gardien du bien peut être tenu responsable,
totalement ou partiellement, du dommage causé en cas de défaut d’entretien ou d’une
mauvaise installation du bien. La
preuve doit aussi révéler que la faute de la victime ou l’intervention humaine
n’aurait pas à elle seule causé le dommage subi, mais que le défaut d’entretien
ou la mauvaise installation du bien a contribué à sa survenance. Dans ce cas,
la responsabilité du gardien doit être déterminée selon la règle générale de la
responsabilité civile prévue à l’article 1457 C.c.Q.
3618. Il importe de
souligner que le gardien qui cherche à faire la preuve de l’intervention
humaine comme cause du dommage subi par la victime risque d’engager sa
responsabilité par l’application des règles d’autres régimes de responsabilité
civile. Ainsi, si l’intervention humaine est imputable à une personne qui ne
peut être considérée comme un tiers par rapport au gardien, la responsabilité
de ce dernier pourra être retenue soit en tant que commettant si la personne
qui intervient dans la survenance du dommage est son employé, soit selon la
règle de l’article 1457 C.c.Q. lorsque l’intervenant est la personne chargée de
l’installation ou de l’entretien du bien. Rappelons que le gardien du bien est
responsable de la faute commise lors de l’installation ou de l’entretien du
bien par son contractant.
3619. Il est
généralement difficile d’établir avec certitude que le dommage résulte de l’intervention
humaine et non pas du fait autonome du bien, surtout lorsque celui-ci était en
mouvement au moment où le dommage a été causé. L’intervention humaine doit être
la cause directe
[Page 1511]
du préjudice causé à la
victime par le bien. Si la preuve ne démontre pas de façon prépondérante que le
fait du bien est la conséquence directe de l’intervention humaine, la
présomption de l’article 1465 C.c.Q.
doit s’appliquer. Cette preuve appartient cependant au gardien qui risque, dans
certains cas, d’établir lui-même les éléments constitutifs de sa responsabilité
en vertu d’un autre régime de responsabilité civile. S’il est possible que le
dommage causé par le bien soit relié à l’action ou l’inaction humaine, ce
dommage ne doit pas être imputé à l’activité d’un individu dont le gardien est
responsable en tant que commettant ou contactant de ce dernier.
B. Conditions
relatives à la garde
1) La notion de garde
3620. La jurisprudence enseigne que le gardien d’une chose est la personne
qui exerce un pouvoir de surveillance, de contrôle ou de direction sur le bien.
Afin de déterminer si une personne a véritablement la garde du bien, le
tribunal doit prendre en considération toutes les circonstances qui sont
propres au cas d’espèce. Ainsi, la notion de garde est une notion subjective
qui dépend des faits particuliers à chaque cas. Soulignons toutefois que
lorsque le propriétaire est lié à la personne dont on tente de déterminer le
statut par un contrat, le tribunal devra faire l’évaluation des stipulations
qui s’y retrouvent afin d’établir s’il a véritablement eu transfert de garde.
3621. Il est d’une pratique courante d’inclure dans le contrat d’assurance
une clause permettant à l’assureur d’exclure de son obligation d’indemnisation
l’événement dommageable survenu alors que l’assuré assumait la garde, la
direction ou la gestion d’un bien. Cependant, la clause d’exclusion ne s’applique
pas de façon systématique mais il
[Page 1512]
appartient à l’assureur
de faire la preuve que l’assuré avait la garde sur le bien en question et un
réel pouvoir de préservation, de conservation, de direction et de contrôle
physique sur celui-ci. À cet effet, la notion de garde sur un bien, telle qu’établie
par la jurisprudence et la doctrine, apporte des nuances, soit notamment en cas
de transfert de garde du bien.
3622. En effet, le
Tribunal prend en considération les circonstances factuelles entourant la garde
du bien. Il procède à une analyse pour vérifier si on est en présence d’une
garde ou bien s’il s’agit simplement d’une détention physique du bien, puisque
celui qui détient physiquement le bien n’aura pas nécessairement la garde de
celui-ci surtout lorsqu’il exerce un pouvoir limité et non général sur ce bien.
En présence de liens contractuels, l’analyse des obligations de l’assuré
prévues dans le contrat avec le propriétaire du bien constitue un processus
essentiel pour déterminer s’il y a transfert de garde ou non.
3623. Dans une
décision récente, la Cour suprême du Canada a conclu que la remise des clés du
véhicule du client à l’hôtelier ne permet pas de soutenir qu’il y a eu
automatiquement transfert de garde de ce véhicule. Selon les faits établis en
preuve, la remise des clés était nécessaire pour permettre le déneigement du
stationnement, de sorte que le pouvoir de l’hôtelier de déplacer la voiture se
limitait seulement au moment de déneiger le stationnement. Cet exemple
représente un pouvoir circonscrit et limité accordé à l’assuré, soit l’hôtelier,
puisque l’autorisation de déplacer le véhicule se limitait à ce qui était
nécessaire pour accomplir le déneigement du stationnement, ce qui est
insuffisant pour affirmer qu’il y a eu transfert de la garde de la voiture.
Ainsi, la décision de la Cour suprême impose à l’assureur d’exécuter son
obligation d’indemniser l’événement dommageable puisque l’assuré n’assumait pas
la garde du véhicule.
3624. Or, la
responsabilité pour le fait autonome d’un bien résulte de la garde du bien
et non du droit de propriété. Ainsi, le fait que
[Page 1513]
la personne ne détienne
aucun droit sur le bien ne peut être un facteur déterminant à lui seul. Lors de
l’évaluation, on doit tenir compte de toutes les circonstances qui entourent la
relation de la personne avec le bien afin de déterminer si elle doit être
considérée ou non son gardien. Il suffit que cette dernière ait un pouvoir
réel, concret et factuel sur le bien. Notons
toutefois que le propriétaire est présumé être le gardien du bien à moins qu’il
repousse cette présomption par une preuve contraire.
3625. Le propriétaire peut cependant conserver la garde juridique du bien qui
se trouve sous la surveillance ou le contrôle d’une autre personne. La garde du
bien s’exerce alors simultanément par les deux personnes qui peuvent, en cas de
dommage causé par ce bien, être tenues conjointement responsables envers la
victime. C’est le cas du commettant et du locateur qui conservent la garde
juridique, voire même la responsabilité de surveillance du bien malgré le fait
que ce bien se trouve en même temps sous la direction et le contrôle du
préposé, de l’usufruitier, de l’emprunteur
ou du locataire. À titre d’illustration,
une compagnie locatrice de véhicules de livraison en conserve la garde. Sa
responsabilité peut ainsi être engagée en raison du préjudice causé par l’un de
ses véhicules, même lorsque celui-ci se trouve en la possession du locataire
qui s’en sert dans son propre intérêt.
3626. Il faut donner à la notion de garde, une interprétation large afin de
couvrir certaines situations qui sont de plus en plus fréquentes. En effet, les
copropriétés indivises de condominiums se répandent à l’échelle nationale, ce qui engendre des problèmes
relatifs à la responsabilité du préjudice causé non seulement par la propriété
exclusive de l’unité résidentielle mais aussi par la partie qui est la
propriété commune. Ainsi, le copropriétaire d’une unité privative peut être
tenu responsable du dommage causé par le fait autonome de cette unité aux
autres unités privatives ou à la partie commune de la copropriété.
[Page 1514]
Le syndicat des
copropriétaires, qui gère l’administration et la gestion de la copropriété,
peut réclamer une indemnité au copropriétaire d’une unité privative pour le
dommage causé par le fait autonome de cette unité à la partie commune de l’immeuble.
De même, le copropriétaire d’une unité privative peut réclamer au syndicat des
copropriétaires une indemnité pour le dommage causé à son unité par le fait
autonome de la partie commune.
C. Le préjudice et
le lien de causalité
3627. La victime
doit établir le préjudice qu’elle a subi. Cette preuve doit se faire selon les
mêmes critères applicables en général en matière de responsabilité
extracontractuelle. Elle doit également démontrer le lien entre le préjudice
subi et le fait autonome du bien. En d’autres termes, la victime doit démontrer
que le préjudice résulte du fait autonome d’un bien identifié comme étant sous
la garde du défendeur. Il appartient dès lors à ce dernier de faire la preuve
de l’absence de faute de sa part dans la survenance du dommage ou de la cause
exacte de l’accident qui n’est pas imputable à son fait personnel.
3. Causes d’exonération de la
responsabilité
A. Force majeure
3628. La force
majeure peut être invoquée par le gardien afin de se dégager de la
responsabilité pour le préjudice causé par le bien. Il lui incombe cependant de
faire la preuve que l’événement remplit toutes les conditions requises par l’article
1470 C.c.Q. notamment qu’il était imprévisible et irrésistible. Notons à cet
effet qu’un événement peut être qualifié d’événement imprévisible mais, en
raison des circonstances, ne peut être considéré comme une cause d’exonération
de responsabilité, puisque le débiteur avait à sa disposition des moyens lui
permettant d’éviter les dommages entiers ou en partie. Ainsi en cas d’échec du
gardien de faire la preuve du caractère irrésistible et imprévisible de l’événement
invoqué, il ne sera pas exonéré de sa responsabilité. Soulignons que le
Tribunal pourrait difficilement retenir l’événement comme cause
[Page 1515]
d’exonération de responsabilité lorsque
les faits démontrent que le gardien n’a pas procédé à un entretien régulier du
bien.
3629. Bien que la preuve d’une force majeure libère le gardien de toute
responsabilité, il ne faut cependant
pas faire de cette preuve une condition pour repousser la présomption de la
faute puisqu’elle devient un fardeau lourd pour le gardien.
Toutefois, le critère du gardien prudent et diligent doit être analysé en
fonction du critère de prévisibilité du fait autonome du bien. En effet, le
gardien, pour réussir dans sa preuve, doit démontrer que ce fait autonome était
imprévisible pour un gardien raisonnable et qu’aucune mesure n’était disponible
pour l’empêcher.
B. Absence de
faute du défendeur
3630. Le gardien
peut également s’exonérer de toute responsabilité en renversant la présomption prévue
à l’article 1465 C.c.Q. par la simple preuve de l’absence d’une faute de sa
part et par la démonstration qu’il a mis en place tous les moyens raisonnables
afin de prévenir l’accident eu égard aux circonstances.
Ainsi, il n’a pas à prouver que le préjudice était totalement impossible à
éviter, mais il doit toutefois démontrer qu’il lui était impossible d’empêcher
le préjudice par des moyens raisonnables selon les circonstances. De cette
façon, il fait la preuve qu’il n’a commis aucune faute étant donné qu’il est
tenu à une obligation de moyen et non de résultat.
3631. Afin de déterminer s’il y a absence de faute de la part du gardien du
bien, le tribunal peut comparer sa conduite à celle d’une personne raisonnable,
prudente et diligente qui aurait été adoptée dans les circonstances propres au
cas d’espèce. Ainsi, au moindre
[Page 1516]
comportement fautif,
les tribunaux ont tendance à conclure
au rejet du moyen de défense et à la responsabilité du gardien du bien.
3632. Il
convient de souligner que le recours du gardien du bien à des experts pour l’installation, l’entretien du bien ou l’exécution des travaux requis par l’état du
bien ne lui permet pas de se dégager de sa responsabilité envers
la victime puisqu’il demeure responsable de la faute commise
par la personne à qui il a confié ces tâches.
1) Respect des règles de l’art
3633. Le gardien
peut ainsi faire la preuve que le bien a été placé ou installé conformément aux
règles de l’art, que son entretien a été fait régulièrement et que ce qui s’est
produit n’est dû à aucune négligence ni omission.
Il satisfera aux exigences de l’article 1465 C.c.Q. pour renverser la
présomption de la faute légale et se dégager de toute responsabilité.
3634. À titre d’illustration,
une municipalité pourrait ainsi échapper à la responsabilité découlant des
dégâts causés par ses installations, notamment son système d’évacuation, si
elle fait la preuve d’une diligence raisonnable dans leur gestion par un entretien régulier.
En l’absence d’une telle preuve, sa responsabilité risque d’être retenue.
[Page 1517]
En d’autres termes et
sauf circonstances exceptionnelles, la ville n’est pas tenue de mettre en œuvre
les meilleurs moyens qui existent sur le marché afin de prévenir un éventuel préjudice.
Il faut donc tenir compte des circonstances et des capacités financières de
celle-ci, afin d’évaluer si tous les moyens raisonnables ont été pris pour
prévenir le préjudice. La ville satisfait alors à ce critère lorsqu’elle adapte
ses moyens de prévention en fonction du budget municipal qui lui est alloué,
ainsi qu’au personnel et à l’équipement dont elle dispose.
Toutefois, la ville doit procéder à un entretien régulier de ses installations
et ne pas simplement effectuer les réparations que lorsqu’elles sont requises.
C. Faute de la
victime ou d’un tiers
3635. Hormis les cas de force majeure, le gardien du bien ayant causé des
dommages peut invoquer d’autres causes d’exonération de responsabilité, telles
que la faute de la victime, la clause d’exclusion ou de limitation de
responsabilité, l’avis écrit de danger permettant, compte tenu des
circonstances, de conclure à l’acceptation des risques par la victime.
3636. La faute de
la victime peut être une cause d’exonération pour le gardien du bien, soit
partiellement soit totalement,
lorsqu’elle constitue un novus actus pour l’événement dommageable.
Ainsi, en présence d’une faute commise par la victime et qui est un facteur
important dans la survenance de l’événement, la responsabilité doit être proportionnelle
à la gravité de cette faute contributive. Le Tribunal peut alors conclure à un
partage de responsabilité de sorte que la victime qui subit un préjudice à la
suite de l’événement assume sa part dans l’indemnité accordée. À titre d’exemple,
le propriétaire engage sa responsabilité lorsqu’il accepte d’effectuer des
travaux sur le toit de son immeuble par un entrepreneur qui n’a pas pris les
mesures de sécurité nécessaires. Il doit s’assurer que celui qui effectue des
travaux dangereux dispose de
[Page 1518]
l’équipement nécessaire
pour éviter des risques prévisibles et son défaut de le faire engage sa
responsabilité et entraîne un partage de responsabilité avec ce dernier pour le
préjudice subi.
3637. Il importe
toutefois de souligner qu’il appartient au gardien de la chose de faire la
preuve de la faute de la victime. À titre d’illustration,
certaines municipalités imposent dans leurs règlements, l’installation des
soupapes de sécurité afin d’empêcher le refoulement d’égouts. Le non-respect de
ce règlement municipal peut avoir pour effet d’exonérer la municipalité, sauf s’il
est prouvé qu’une telle installation n’aurait pas empêché le refoulement.
Il revient néanmoins à la municipalité de faire la preuve de l’efficacité des
soupapes de sécurité et du fait que leur présence aurait pu effectivement
empêcher la survenance du dommage.
3638. Le gardien
peut également faire la preuve de la cause exacte de l’accident et démontrer
que la survenance du dommage résulte de cette cause et non du fait autonome du
bien. Il lui incombe alors d’établir en preuve non seulement que la cause de l’accident
lui est étrangère, mais aussi le lien de causalité entre cette cause et le
dommage subi par la victime.
3639. Enfin le
gardien peut aussi invoquer la faute d’un tiers afin de s’exonérer de sa
responsabilité. Il doit cependant mettre en preuve les éléments constitutifs de
cette faute et qui démontrent aussi qu’il n’est pas responsable du préjudice
subi par la victime, mais que la faute commise par le tiers est la seule cause
qui est à l’origine de ce préjudice. Autrement dit, la preuve doit démontrer qu’en
aucun cas le gardien n’a contribué de quelque manière que ce soit à ce
préjudice notamment par l’absence de comportements négligents de sa part.
[Page 1519]
D. Clauses d’exclusion ou de limitation de responsabilité
3640. La clause d’exclusion
ou de limitation de responsabilité, autorisée par l’art. 1474 C.c.Q., ne peut
exonérer le gardien que pour les dommages matériels causés à son cocontractant
par le fait autonome du bien. Il convient de rappeler qu’une telle clause est
inopposable à un tiers. Elle ne permet pas non plus d’exclure ou de limiter la
responsabilité du gardien pour le préjudice corporel ou moral causé à son
cocontractant. De plus, une faute lourde ou intentionnelle de la part du
gardien lors de l’exécution de son obligation d’entretien du bien aura pour
effet de rendre la clause d’exclusion ou de limitation de responsabilité
inopérante et sans effets, même pour le préjudice matériel causé à son créancier.
3641. Quant à l’acceptation
du risque dénoncé par un avis de danger, elle peut être opposée à la victime selon les prescriptions de l’article
1475 C.c.Q., à condition que celle-ci ait effectivement pris connaissance du
risque ou du danger dénoncé dans l’avis. Le gardien du bien, qui cherche à
aviser la victime du danger, doit donc faire la preuve, d’une part, de la
connaissance du risque ou danger par cette dernière et, d’autre part, que le
dommage causé est la conséquence de la réalisation du risque ou danger dont la
victime avait été prévenue et non pas d’un risque imprévu ou d’une aggravation
de ce dernier. De plus, l’avis dénonçant le risque ou le danger doit être
précis à un point tel que l’acceptation par la victime du risque ou du danger
soit sans équivoque. Ainsi, l’avis du
risque contenu dans un billet de spectacle ou dans un reçu donné par le
propriétaire ou par le gardien du bien n’est pas opposable à la victime lorsque
cet avis est illisible ou incompréhensible. Un tel avis constitue, dans bien
des cas, un document d’adhésion ou un complément rattaché à un contrat de
consommation donnant lieu à l’application des articles 1435 à 1437 C.c.Q..
[Page 1520]
4. Lien contractuel entre la personne
qui a la garde du bien et la victime
3642. Il arrive qu’un
préjudice soit causé à une personne par le fait autonome d’un bien qui est sous
la garde d’une autre personne liée par un contrat à la victime sans pour autant
que ce préjudice ait un rapport quelconque
avec l’exécution des obligations prévues dans ce contrat. Une telle situation
ne doit pas empêcher la victime de se prévaloir de la disposition prévue à l’article
1465 C.c.Q. et ainsi bénéficier de la présomption établie. D’ailleurs, rien
dans cette disposition ne laisse entendre qu’elle a été adoptée par le
législateur pour restreindre son application à des situations où il y aurait
absence de tout lien contractuel entre la victime et le gardien du bien. Le
texte de cet article ne laisse croire à aucune restriction quant à l’application
de la règle. Il ne faut donc pas obliger la victime à faire la preuve de la
faute du gardien du bien lorsque le dommage résulte du fait autonome de ce bien
parce qu’il existe une relation contractuelle entre elles.
3643. La relation
contractuelle peut cependant empêcher la victime d’opter pour le régime de la
responsabilité établi à l’article 1465 C.c.Q. lorsque le dommage subi résulte d’une
faute commise par le gardien ou par son préposé. Cependant, la preuve doit
démontrer, d’une part, qu’il s’agit d’une faute résultant de l’exécution du
contrat et, d’autre part, que cette faute est à l’origine de l’action ou du
fait du bien. Dans ce cas, même si le dommage est également dû au fait du bien,
la victime doit fonder sa demande en dommages-intérêts sur les règles de la
responsabilité contractuelle.
A. Demande en
irrecevabilité
3644. Il convient
de noter qu’une demande en dommages-intérêts fondée sur la disposition de l’article
1465 C.c.Q. ne doit pas être rejetée à la suite de la présentation d’une
demande en irrecevabilité (art. 168 C.p.c.) évoquant le lien contractuel entre
le demandeur et le défendeur. L’existence de liens contractuels entre les
parties ne peut constituer une fin de non-recevoir à une action fondée sur les règles
de responsabilité extracontractuelle. Il appartient au juge du fond de
déterminer le bien fondé de la demande en justice à la lumière de l’ensemble de
la preuve soumise. La victime doit avoir le droit de faire sa preuve et de
démontrer que le dommage subi résulte du fait autonome du bien. Ce n’est qu’après
avoir échoué à se décharger de ce fardeau de preuve que le tribunal peut
décider de l’application de la disposition prévue à l’article 1465 C.c.Q. et
ainsi lui refuser le droit de se
prévaloir de la présomption de faute qui y est établie.
[Page 1521]
3645. Le tribunal ne peut se prononcer sur le fondement d’un recours exercé
selon le régime de responsabilité pour le fait du bien avant d’avoir entendu
toute la preuve disponible. Il serait prématuré d’obliger la victime à faire un
choix quant au régime de responsabilité à utiliser dans sa réclamation avant
que tous les faits et circonstances relatifs à l’événement dommageable ne
soient établis en preuve. A fortiori, le défendeur ne doit pas avoir la
possibilité de faire rejeter la demande en justice basée sur l’article 1465 C.c.Q. lors de la présentation d’une
demande en irrecevabilité en invoquant un lien contractuel avec le demandeur.
Même lors de l’audition au mérite, il serait incompréhensible et injuste de
permettre au défendeur de transférer le fardeau de la preuve au demandeur, en l’obligeant
à faire la preuve de la faute contractuelle pour engager sa responsabilité au
lieu qu’il soit, en tant que défendeur, contraint à faire lui-même la preuve de
l’absence de sa faute en raison de la présomption établie à l’article 1465
C.c.Q.
3646. Il est
cependant tout à fait légitime que le défendeur fasse la contre-preuve, lors du
procès, démontrant que la cause du dommage est aussi une faute contractuelle.
Il a ainsi intérêt à faire appliquer les règles de la responsabilité
contractuelle, notamment quant aux critères applicables à la détermination du
quantum des dommages.
B. Incendie dans
un local loué
3647. On note une certaine réticence de la part des tribunaux à assimiler l’incendie
à la notion du fait autonome du bien. Pour
bénéficier de la présomption de l’article 1465 C.c.Q., la jurisprudence exige
du demandeur la preuve que le fait autonome du bien est la cause de l’incendie.
La présomption ne peut donc s’appliquer en cas d’incendie à moins de démontrer
clairement son origine et qu’il résulte directement du fait autonome du bien.
Ainsi, l’incendie ne peut être traité comme un bien assujetti à l’application
de la disposition de cet article que lorsque la preuve révèle clairement son
origine et que l’on démontre qu’il résulte du fait autonome du bien.
[Page 1522]
3648. Signalons qu’en matière d’incendie, l’article 1862
C.c.Q. prévoit que le locataire d’un immeuble est
responsable de l’incendie attribuable à sa faute. Selon un courant
jurisprudentiel et doctrinal, cet article ne fait pas obstacle à l’application
de la présomption de l’article 1465 C.c.Q. lorsqu’il apparaît que l’incendie a
été causé par le fait autonome d’un bien sous la garde du locataire.
3649. Il semble qu’une certaine confusion règne quant à la nature et le
fondement juridique de la responsabilité du locataire pour le dommage causé au
local loué par l’incendie. Certains jugements
refusent d’appliquer la présomption établie à l’article 1465 C.c.Q. en raison
de la règle prévue à l’article 1458 C.c.Q., qui interdit d’opter pour la
responsabilité extracontractuelle. Selon ce courant jurisprudentiel, la
relation contractuelle entre le locataire et son locateur empêche ce dernier d’invoquer
la présomption de faute contre le locataire gardien d’un bien ayant causé par
son fait autonome l’incendie. Aux yeux de ce courant, le locateur doit s’appuyer
sur l’article 1862 al. 2 C.c.Q. pour tenir son locataire responsable
des dommages résultant d’un incendie à condition de faire la preuve de sa faute
comme cause de l’incendie.
3650. Cette question doit être traitée avec certaines nuances. D’abord, il
faut faire la distinction entre l’incendie causé par l’activité directe du
locataire soit par sa faute et celui causé par le fait autonome d’un bien qui
est sous son contrôle et sa garde. Dans le premier cas, la responsabilité du
locataire doit être recherchée sur la base de la responsabilité contractuelle
et l’article 1862 al. 2 C.c.Q., à l’instar de l’article 1458 C.c.Q., prévoit la
responsabilité du locataire pour les dommages subis par le locateur, à
condition que celui-ci établisse en preuve que la cause de l’incendie est
attribuable à la faute du locataire et ce, indépendamment du fait que cette
faute ait été commise ou non lors de la manipulation d’un bien. L’intervention du locataire ou son activité lors de la
survenance de l’incendie a pour effet de rendre difficile l’application de la
présomption prévue à l’article 1465 C.c.Q.
3651. Par contre, dans le deuxième cas, l’incendie qui résulte du fait
autonome du bien doit donner lieu à l’application de la présomption établie à l’article
1465 C.c.Q. D’ailleurs, la règle établie à l’alinéa 2 de l’article 1458 C.c.Q.,
qui interdit l’option entre les deux régimes de
[Page 1523]
responsabilité civile,
ne vise pas à empêcher une personne ayant subi un préjudice du fait autonome d’un
bien de poursuivre son gardien en dommages-intérêts selon le régime établi à l’article
1465 C.c.Q., du simple fait qu’il existe une relation contractuelle entre les
deux. L’interdiction d’opter entre l’un ou l’autre des régimes de
responsabilité civile doit être appliquée seulement lorsque la cause à l’origine
du dommage constitue à la fois une faute contractuelle et une faute
extracontractuelle. Or, lorsqu’un incendie est causé par le fait autonome d’un
bien qui se trouve sous la garde et sous le contrôle d’une personne, cela ne
constitue pas nécessairement une faute contractuelle. Il ne faut donc pas
confondre lors de la détermination de la base juridique de la responsabilité,
la qualité du contractant avec la qualité d’un gardien du bien même si ces deux
qualités peuvent se réunir à un moment donné en la même personne.
3652. Le régime
particulier établit à l’article 1862 al. 2 C.c.Q. ne constitue pas une
exception à la règle prévue à l’article 1465 C.c.Q. Ce régime a été prévu en
réalité comme une exception à la règle générale prévue à l’article 1862 al. 1
C.c.Q. et qui établit un régime de responsabilité en faveur du locateur lui
permettant de tenir le locataire responsable envers lui pour le dommage causé
au bien loué sans avoir à faire la preuve de la faute de ce dernier. Rappelons
qu’il appartient à ce dernier, pour repousser la présomption de responsabilité,
de faire la preuve de l’absence de sa faute. C’est afin de ne pas mettre le
locataire dans une situation où il lui serait difficile de démontrer la cause
de l’incendie qui est à l’origine du dommage que le législateur a rétabli, à l’alinéa
2 de cet article, le régime général de responsabilité en obligeant le locateur
à faire la preuve de la faute du locataire comme cause de l’incendie.
5. Régime complémentaire
3653. Le régime de
responsabilité du fait autonome du bien sous la garde d’une personne, tel qu’énoncé
par cet article, demeure d’ordre général et complémentaire vis-à-vis des
régimes particuliers existant, entre autres en matière d’accident de travail ou
d’accident d’automobile.
3654. De plus, il s’agit
d’un régime distinct de celui de la responsabilité personnelle et générale
prévu à l’article 1457 C.c.Q. Le caractère distinct de ces deux régimes réside,
entre autres, dans la présomption de faute à l’endroit du gardien alors que la
responsabilité pour le fait personnel ne peut être retenue que dans le cas d’une
preuve prépondérante de la faute personnelle commise par le défendeur.
3655. Enfin, il est
toujours possible pour la victime de fonder à la fois son recours contre le
défendeur sur le fait autonome du bien dont
[Page 1524]
il a la garde afin de
bénéficier de la présomption de faute établie à l’article 1465 C.c.Q. et sur
son fait personnel pour chercher sa responsabilité selon le régime général
établi à l’article 1457 C.c.Q. Le tribunal, après avoir entendu la preuve, peut
retenir la responsabilité du défendeur en sa qualité de gardien du bien si la
preuve requise est établie ou pour sa faute personnelle si celle-ci est
démontrée. Rien n’empêche que cette responsabilité soit aussi retenue selon les
deux régimes de responsabilité lorsque la preuve établie par la victime répond
aux conditions requises.
A. Loi sur l’assurance
automobile : un régime particulier
3656. Il est
important de rappeler que les accidents d’automobile sont régis par un régime
particulier de responsabilité prévu à l’intérieur de la Loi sur l’assurance
automobile. Il s’agit d’un régime de responsabilité sans égard à la faute
qui doit être interprété de manière large et libérale afin d’être conforme à l’esprit
de la loi. Ainsi, lorsqu’un accident implique un véhicule utilisé à titre de
moyen de transport, qu’il soit immobilisé ou non, c’est le régime particulier
qui doit s’appliquer et non les dispositions du Code civil du Québec relativement
à la responsabilité du fait du bien ou à la responsabilité extracontractuelle
prévue à 1457 C.c.Q. À titre d’illustration, la chute d’un arbre sur un
véhicule qui cause la mort de son conducteur ne permet pas à la famille de ce
dernier de poursuivre la ville en tant que propriétaire de l’arbre, même s’il y
avait un défaut d’entretien de celui-ci. En d’autres termes, la famille de la
victime ne peut se prévaloir du régime général de faute prévu au Code civil
du Québec et devra plutôt faire une réclamation auprès de la Société de l’assurance
automobile du Québec.