CHAPITRE CINQUIÈME - DE L’EXERCICE
DES DROITS HYPOTHÉCAIRES
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CHAPTER V - EXERCISE OF HYPOTHECARY
RIGHTS
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Art. 2748. Outre leur action personnelle et les
mesures provisionnelles prévues au Code de procedure civile, les créanciers
ne peuvent, pour faire valoir et réaliser leur sûreté, exercer que les droits
hypothécaires prévus au présent chapitre.
Ils peuvent ainsi, lorsque leur débiteur
est en défaut et que leur créance est liquide et exigible, exercer les droits
hypothécaires suivants : ils peuvent prendre possession du bien grevé
pour l’administrer, le prendre en paiement de leur créance, le faire vendre
sous contrôle de justice ou le vendre eux-mêmes
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Art. 2748. In addition to their personal right of
action and the provisional measures provided in the Code of Civil Procedure
(CQLR, chapter C-25), creditors may exercise only the hypothecary rights
provided in this chapter for the enforcement and realization of their
security.
Thus, where their debtor is in default and
their claim is liquid and due, they may exercise the following hypothecary
rights : they may take possession of the charged property to administer
it, take it in payment of their claim, cause it to be sold by judicial
authority or sell it themselves.
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C.c.B.-C.
2057. Pour
assurer ses droits le créancier a deux recours, savoir : l’action hypothécaire et l’action en interruption
de prescription. Il est traité de cette dernière au titre : De la prescription.
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2058. L’action
hypothécaire est accordée au créancier qui a une créance liquide et exigible, contre tout possesseur à titre de
propriétaire de la totalité ou de partie de l’immeuble hypothéqué à cette
créance.
C.c.Q. : art. 1695, 1723, 2667, 2757 et suiv., 2761, 2762 et
suiv., 2773 et suiv., 2778 et suiv., 2784 et suiv., 2791 et suiv., 2925, 2945, 3017, 3061.
C.p.c. : art. 168, 210, 516 et
suiv., 524 et suiv., 509 et suiv.
1. Introduction
2867. Cet article précise les divers recours dont disposent les créanciers
hypothécaires pour réaliser leur sûreté et faire valoir leurs droits à l’encontre
de l’immeuble grevé de son hypothèque. Il s’agit d’une liste limitative des
recours offerts aux créanciers hypothécaires qui ne peuvent exercer d’autres
recours réels pour réaliser leur créance garantie par l’hypothèque.
Toutefois, l’exercice d’un recours hypothécaire n’exclut pas la possibilité
pour l’intervenant de poursuivre personnellement son débiteur en recouvrement
de sa créance. Ainsi, les intervenants en construction disposent, d’une part,
des recours hypothécaires qui visent le paiement de la créance par la vente ou
la prise de possession de l’immeuble construit ou rénové et, d’autre part, d’une
action personnelle qui vise une condamnation personnelle du débiteur à payer la
somme due. Cette dernière action permet au créancier d’obtenir un jugement
pouvant être exécuté sur tous les biens saisissables du débiteur.
2. Conditions
permettant l’exercice d’un droit hypothécaire
2868. Le créancier
hypothécaire doit exercer son recours en toute conformité aux exigences prévues
par la loi. Ainsi, il ne peut tenter d’user de stratagème afin de contourner
les exigences qui sont liées à l’exercice du recours hypothécaire qu’il a
choisi. L’alinéa 2 de l’article 2748 C.c.Q. impose des conditions préalables à
l’exercice d’un droit hypothécaire. En effet, afin de pouvoir exercer son droit
hypothécaire, le créancier doit remplir certaines conditions avant d’intenter
son recours hypothécaire. D’abord, sa créance doit être exigible et un
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préavis d’exercice d’un
droit hypothécaire doit avoir été signifié et publié conformément aux
prescriptions de l’article 2757 C.c.Q.
2869. Il importe
toutefois de noter que l’expression « créance liquide et exigible »
ne signifie pas une créance non contestable, puisque dans la majorité des cas d’hypothèque
légale de construction, le montant de la créance est contesté. Il suffit pour
remplir les conditions requises par l’alinéa 2 de l’article 2748 C.c.Q. que le
débiteur soit en défaut de paiement alors qu’il a déjà reçu un préavis d’exercice
d’un droit hypothécaire dûment rempli et publié et que le délai de 60 jours
depuis sa signification soit déjà
écoulé. Le fait qu’on exige une créance liquide et exigible ne signifie pas que
le montant de la créance ne soit pas contesté par le débiteur ou par le
propriétaire de l’immeuble. En matière de construction,
le montant réclamé par l’entrepreneur ou le sous-traitant
fait souvent l’objet du litige devant être réglé par la Cour, qui décide à la
fois dans son jugement du montant de la créance et du bien-fondé de l’action
hypothécaires. Par contre, la créance doit être exigible malgré la contestation du montant réclamé. Elle peut être
non exigible lorsque l’intervenant en construction a déjà donné un délai de
paiement au débiteur et que ce délai n’est pas encore écoulé. De même, lorsque
l’ouvrage n’est pas encore achevé et que le contrat ne contient pas de
stipulations prévoyant le droit de l’entrepreneur de réclamer des paiements
partiels pour les travaux déjà exécutés (art. 2122 C.c.Q.), la créance peut
être alors non exigible puisque l’article 2111 C.c.Q. stipule que le client ou
le maître de l’ouvrage ne peut être tenu au paiement du prix avant la réception
de l’ouvrage.
2870. À titre d’illustration,
l’intervenant en construction qui inscrit une hypothèque légale pour le montant
prévu dans son contrat de manière précaire ne peut exercer l’un ou l’autre des
recours hypothécaires prévus à l’article 2748 C.c.Q. avant d’avoir terminé l’exécution
de ses travaux et réclamé à son débiteur le paiement. Que le débiteur tenu au
paiement du prix des travaux soit l’entrepreneur général ou le propriétaire, l’exercice
d’un recours hypothécaire doit être précédé d’un préavis d’exercice d’un droit
hypothécaire qui remplit les conditions requises par les articles 2757 et 2758
C.c.Q. Il faut cependant envisager que dans certains cas exceptionnels, le
recours hypothécaire peut être exercé même si l’ouvrage n’a pas été terminé ni
reçu par le client. Il en est ainsi en cas d’abandon du projet par l’entrepreneur
ou par le client lui-même. C’est le cas aussi, lorsque l’entrepreneur ou le
sous-traitant suspend l’exécution des travaux pour une raison valable. Dans ces
derniers cas, la créance devient exigible pour le montant qui correspond à la
valeur des travaux exécutés et le créancier peut alors exercer le recours
hypothécaire qu’il a indiqué dans son préavis donné en conformité avec
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l’article 2757
C.c.Q. Même en l’absence dans le contrat de stipulations
prévoyant des modalités de paiement par des versements partiels, en cas d’abandon
ou de suspension des travaux, l’intervenant en construction pourra avoir droit
à une créance qui correspond à la valeur de ses travaux exécutés ou des
matériaux qu’il a fournis.
3. L’action
personnelle
A. La coexistence du droit personnel
et du droit hypothécaire
2871. Le créancier hypothécaire demeure premièrement et avant tout le
créancier de celui qui a été à l’origine des travaux. Bien qu’il bénéficie des
droits supplémentaires qui découlent de l’hypothèque légale, l’intervenant
détient parallèlement tous les droits d’un créancier chirographaire. En effet,
le patrimoine du débiteur sert de gage commun à tous ses créanciers qu’ils
soient chirographaires, prioritaires ou hypothécaires (art. 2644 C.c.Q.).
Le fait que l’intervenant dispose d’une garantie supplémentaire quant au
paiement de sa créance ne saurait lui faire perdre son droit personnel à l’encontre
de son débiteur puisque l’hypothèque n’a
pas pour effet de restreindre les droits de son détenteur, mais bien de les
étendre.
2872. À ce titre, l’article 2748 C.c.Q. précise d’abord que le créancier hypothécaire peut dans la même
action exercer une action hypothécaire qui vise l’immeuble et une action
personnelle visant à faire condamner son débiteur au paiement du montant de la
créance. Cette action mixte
permet donc au créancier de faire condamner le débiteur au paiement de la
créance de construction et de conclure au délaissement de l’immeuble grevé par
l’hypothèque pour être vendu sous contrôle de justice. Advenant le cas où le
créancier n’obtient pas satisfaction suite à la vente de l’immeuble sous
contrôle de justice, le jugement obtenu sera ensuite exécutable pour le solde
de la créance sur l’ensemble des biens du débiteur. Quant à lui, le recours
hypothécaire ne vise que l’immeuble grevé de l’hypothèque qui garantit la
créance. Dans bien des cas, l’action
mixte, c’est-à-dire l’action personnelle et l’action hypothécaire, peut ne pas
avoir la même identité de parties ni la même identité d’objet,
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mais seulement l’identité
de cause. C’est le cas, lorsque l’action mixte (personnelle et hypothécaire)
est intentée par un sous-traitant qui cherche en premier temps à faire
condamner l’entrepreneur général au paiement de sa créance, mais en deuxième
temps à obtenir à l’encontre du propriétaire de l’immeuble grevé par son
hypothèque légale de construction, une ordonnance l’enjoignant de laisser l’immeuble
pour être vendu sous contrôle de justice. Bien que cette action mixte ait la
même identité de cause, l’identité des parties et d’objet varie selon les
conclusions recherchées et l’objet visé par chacune des conclusions. Ainsi, l’identité
des parties quant à la condamnation au paiement se trouve entre le
demandeur-créancier et l’entrepreneur général-débiteur pour le coût des
travaux, alors que pour la conclusion visant le délaissement de l’immeuble, l’identité
des parties se trouve entre le demandeur-créancier et le propriétaire de l’immeuble.
2873. L’action
mixte peut toutefois avoir la même identité de parties et la même identité de cause, mais avoir deux objets distincts.
C’est le cas d’une action intentée par l’entrepreneur général à l’encontre de
son client qui est à la fois débiteur pour le coût des travaux exécutés et
propriétaire de l’immeuble grevé de l’hypothèque légale de construction. Dans ce cas, les conclusions
recherchées peuvent avoir deux objets distincts, soit la condamnation du
défendeur au paiement du montant de la créance et l’ordonnance enjoignant ce
dernier à délaisser l’immeuble dans un délai fixe, mais l’identité des parties
et l’identité de la cause sont les mêmes.
2874. L’intervenant
n’est pas obligé d’intenter une action hypothécaire visant l’immeuble construit
ou rénové avant de pouvoir intenter une action personnelle contre le débiteur.
En effet, au lieu d’intenter un recours hypothécaire, le créancier peut décider
d’intenter une action personnelle, afin que le tribunal condamne le débiteur au
paiement de sa créance. Le jugement obtenu est exécutable sur tous les biens du
débiteur. L’intervenant peut
alors saisir et vendre les biens de ce dernier, sans être obligé de saisir l’immeuble
grevé de son hypothèque. Rappelons qu’en cas de saisie et de vente sous
contrôle de la justice des biens, autres que l’immeuble construit ou rénové, l’intervenant
n’est qu’un créancier chirographaire devant partager le produit de leur vente
avec les autres créanciers sans bénéficier d’un droit de préférence.
Il entre donc en concurrence avec les autres créanciers chirographaires.
Cependant, le
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créancier hypothécaire
ne perd pas son droit de préférence sur l’immeuble grevé de son hypothèque du
seul fait qu’il a intenté une action personnelle.
Il peut toujours saisir l’immeuble construit ou rénové et, ainsi, bénéficier d’un
droit de préférence sur le produit de sa vente
tout en participant au partage du produit de vente des autres biens
saisis et vendus en tant que créancier chirographaire.
2875. Le jugement
obtenu par l’intervenant à la suite de son action personnelle ne lui confère
pas de droit de suite sur les biens de son débiteur à l’exception de l’immeuble
grevé de l’hypothèque légale. Par conséquent, en cas de vente de ces biens, l’intervenant
perd tous ses droits sur ces biens. À moins d’avoir inscrit une hypothèque en
vertu de ce jugement, il lui est impossible d’opposer ses droits au tiers ayant
acquis ces biens de bonne foi.
2876. L’action
personnelle comporte plusieurs avantages. Elle dispense le créancier de l’accomplissement
des mesures préalables à l’exercice du droit hypothécaire (art. 2757 C.c.Q.).
De plus, elle permet à l’intervenant de soulever la déchéance du bénéfice du
terme, tant légale que conventionnelle, et de demander la satisfaction de la
totalité de sa créance, ce qui n’est pas automatiquement possible en vertu d’un
recours hypothécaire. De plus, l’article 2761 C.c.Q. permet au débiteur ou à
tout autre intéressé de faire échec au recours hypothécaire en remédiant au
défaut reproché dans le préavis d’exercice d’un droit hypothécaire. L’intervenant
qui veut recevoir satisfaction intégrale et immédiate de sa créance peut avoir
intérêt à opter pour l’action personnelle. Celle-ci a également l’avantage de
lui permettre de poursuivre la caution du débiteur afin d’augmenter les chances
que sa créance soit intégralement réalisée. Un recours
hypothécaire n’offre pas toujours cette possibilité.
2877. L’action
personnelle présente toutefois certains désavantages pouvant forcer le
détenteur d’une hypothèque légale à opter pour l’exercice d’un recours
hypothécaire. En effet, l’exercice de certaines mesures n’est pas toujours
possible dans le cadre d’une action personnelle. À titre d’exemple, l’intervenant
qui intente une action personnelle ne peut qu’exceptionnellement exercer une
saisie avant jugement, même s’il invoque son droit hypothécaire, car cette mesure
ne peut être accordée qu’en cas de fraude ou en présence de circonstances
exceptionnelles
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(art. 518 C.p.c.). Par contre, dans le cadre
d’un recours hypothécaire,
une saisie avant jugement peut être pratiquée en vertu de l’article 734 du Code de procédure civile,
sans avoir besoin d’alléguer la fraude ou le péril.
2878. L’action personnelle est insuffisante pour faire échec à l’exercice d’un
recours hypothécaire par un autre créancier. L’article 2750
C.c.Q. prévoit en effet la possibilité pour un créancier d’invoquer
l’antériorité de ses droits pour l’exercice de ses droits hypothécaires. Il en
résulte que l’intervenant doit lui-même exercer un recours hypothécaire pour
faire échec au recours intenté par un autre créancier de rang inférieur. Le
régime des recours hypothécaires est distinct du régime de l’action
personnelle. Par conséquent, certaines dispositions applicables aux recours
hypothécaires ne sont pas applicables à l’action personnelle. À titre d’illustration,
un créancier hypothécaire, même de rang antérieur, ne saurait invoquer l’antériorité
de son rang pour faire échec au recours personnel intenté par un autre
créancier hypothécaire. De plus, les délais de 60 jours ou de 10 jours
requis pour la validité du préavis d’exercice du droit hypothécaire (art. 2758
al. 2 C.c.Q.) ne s’appliquent pas en matière d’action personnelle. Le défaut de
respecter le délai ne pourrait pas
fonder une demande en irrecevabilité d’une action personnelle.
2879. Le créancier peut toujours opter pour une action personnelle au lieu d’exercer
le recours hypothécaire mentionné dans le
préavis d’exercice de droit hypothécaire. Il peut également intenter une action
personnelle contre son débiteur, après un délaissement volontaire.
Cette option n’est cependant pas possible lorsque le recours choisi dans le
préavis est la prise en paiement, car le délaissement volontaire a pour effet
de transférer au créancier la propriété de l’immeuble
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(art. 2781 al. 2
C.c.Q.). Dans ce cas, la prise en paiement a pour effet d’éteindre la créance et
l’hypothèque, étant son accessoire, s’éteint également (art. 2797 C.c.Q.). Conséquemment, l’intervenant en
construction ne dispose plus d’un droit hypothécaire et ne peut plus exercer
aucun recours en rapport avec sa créance. De plus, l’article 2748 C.c.Q. ne permet pas de joindre au recours
hypothécaire une action personnelle intentée contre un tiers qui n’est pas
partie au contrat de construction, tel que le vendeur de l’immeuble qui met en
œuvre sa clause résolutoire. La réunion d’une telle action de nature
extracontractuelle avec une action de nature hypothécaire ne saurait être
avantageuse et il conviendra plutôt de choisir entre ces deux recours.
2880. Par ailleurs, l’irrégularité dans l’accomplissement des formalités de
conservation de l’hypothèque légale n’affecte pas l’exercice de l’action
personnelle. Ainsi, même si le droit à l’hypothèque légale est éteint ou
lorsque celle-ci est radiée, l’intervenant conserve son droit personnel à l’encontre de son débiteur. De la
même manière, le droit hypothécaire ne s’éteint pas automatiquement par la
prescription du droit à l’action personnelle, même si normalement, l’extinction
du droit principal entraîne celui
de l’hypothèque (art. 2761 C.c.Q.).
En effet, lorsque le recours hypothécaire est en cours, l’extinction du droit à
l’action personnelle ne peut avoir pour effet d’éteindre le droit hypothécaire
ou l’action hypothécaire déjà instituée.
2881. De plus, il est possible pour un intervenant en construction d’intenter
un recours hypothécaire après avoir intenté une action personnelle à l’encontre
de son débiteur. De même, il peut
intenter une action personnelle à la suite de l’exercice d’un droit
hypothécaire lorsque sa créance n’a pas été totalement satisfaite.
Par contre, lorsque le
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recours hypothécaire
choisi est la prise en paiement, il est impossible pour l’intervenant d’intenter
une action personnelle contre son débiteur, même s’il n’a pas reçu la pleine
satisfaction de sa créance. En effet, la prise en paiement a pour effet d’éteindre
la créance, ainsi que le droit à l’action personnelle contre le débiteur (art.
2782 al. 1 C.c.Q.). La prise en paiement est donc le seul recours qui a pour
effet d’éteindre le droit à l’action personnelle.
Toutefois, la signification d’une requête pour prise en paiement n’empêche pas
le créancier d’intenter parallèlement une action personnelle à l’encontre de
son débiteur personnel. En effet, aucune certitude n’existe quant à l’issue du
recours en prise en paiement, car les autres créanciers hypothécaires disposent
de divers moyens pour y faire échec. Il serait
déraisonnable d’empêcher le créancier d’intenter une action personnelle
parallèle pour le seul motif qu’il court le risque de devoir se désister de
cette action.
B. L’utilité de l’action personnelle
2882. L’action
personnelle est surtout utile dans le cas où il serait impossible d’inclure une
conclusion visant la condamnation personnelle de son débiteur dans le recours
hypothécaire exercé contre l’immeuble. Il en est ainsi lorsque le débiteur de l’intervenant
en construction n’est pas le propriétaire de l’immeuble construit ou rénové. Ce
débiteur personnel peut être l’entrepreneur,
l’ancien propriétaire de l’immeuble ou le locataire.
1) Le poursuivant est un entrepreneur
général
2883. L’action
personnelle n’est pas utile lorsque le poursuivant est un entrepreneur ayant
contracté personnellement avec le propriétaire de l’immeuble. Dans ce cas, la
requête introductive d’instance peut être, à la fois, une action personnelle
dirigée contre le propriétaire de l’immeuble en sa qualité de débiteur
personnel et une action réelle (c’est-à-dire un recours hypothécaire) dirigée
contre l’immeuble. Que l’entrepreneur cherche à prendre l’immeuble en paiement
ou qu’il cherche sa vente sous contrôle de la justice, sa requête doit contenir
une conclusion en rapport avec l’immeuble. S’il s’agit d’un recours de prise en
paiement, l’entrepreneur cherche à être déclaré propriétaire de l’immeuble et
qu’il
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soit ordonné au
propriétaire de délaisser l’immeuble advenant le cas où il n’acquitte pas le
montant auquel il est condamné dans le délai imparti. De même, si le recours
vise la vente de l’immeuble, l’entrepreneur cherche, dans sa conclusion, à
obtenir une ordonnance contre le propriétaire, de délaisser l’immeuble s’il n’acquitte
pas le montant auquel il est condamné dans le délai imparti dans le jugement. L’action
comporte ainsi nécessairement une conclusion en condamnation personnelle du
propriétaire de l’immeuble et une ordonnance relative à l’immeuble. Une action
personnelle, séparée, n’aurait aucune raison d’être dans ce cas.
2884. Cependant, l’intervenant
en construction peut se voir contraindre d’intenter une action en
reconnaissance de l’existence d’une hypothèque légale conformément à l’article
2735 C.c.Q. En effet, tel que nous l’avons mentionné dans nos commentaires sous
l’article 2727 C.c.Q., cette action est nécessaire pour la conservation de l’hypothèque
légale lorsque la créance garantie par cette hypothèque n’est pas exigible dans
les six mois qui suivent la fin des travaux, en raison du délai de paiement
accordé au client. Dans ce cas, il est impossible d’intenter un recours
hypothécaire en vertu de l’article 2748 C.c.Q. Or, l’article 2727 C.c.Q. exige
la publication d’une action intentée à l’encontre du propriétaire de l’immeuble
ou l’inscription d’un préavis d’exercice d’un recours hypothécaire dans les six
mois de la fin des travaux afin que l’hypothèque soit conservée. L’entrepreneur
a donc intérêt à intenter une action personnelle pour faire reconnaître son
droit hypothécaire sur l’immeuble construit ou rénové. Cette action doit être
publiée dans les six mois de la fin des travaux afin d’éviter la radiation de
son hypothèque légale (art. 3061 C.c.Q.).
2) Le poursuivant est un sous-traitant
2885. Lorsque le
détenteur de l’hypothèque légale est un sous-traitant ayant contracté avec l’entrepreneur
général, la situation peut forcer ce sous-traitant à instituer deux actions
distinctes et parallèles : une première action, personnelle, devant être
dirigée contre l’entrepreneur, son débiteur personnel, ainsi qu’une deuxième
action, réelle, devant être dirigée contre l’immeuble construit ou rénové. Dans
l’action réelle, le propriétaire doit être mis en cause pour que le jugement
ordonnant le délaissement de l’immeuble lui soit opposable. Dans un tel cas, le
recours hypothécaire ne peut pas inclure une conclusion visant l’obtention d’une
condamnation personnelle du propriétaire de l’immeuble puisque celui-ci n’est
pas tenu personnellement à la dette. Cependant, la conclusion ainsi que le
jugement à être rendu doivent permettre à ce dernier de payer le montant de la
dette de l’entrepreneur et ainsi éviter le délaissement de l’immeuble.
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3) L’immeuble a été vendu par le propriétaire
ayant commandé les travaux
2886. Lorsque l’immeuble
faisant l’objet des travaux a été vendu à un tiers qui n’a pas contracté, ni
avec l’entrepreneur général ni avec les sous-traitants, les recours à exercer
varient selon la situation de l’acheteur. Dans ce cas, on peut envisager deux
situations. Premièrement, l’acheteur étant informé avant ou lors de l’achat de
l’immeuble de la possibilité d’une inscription éventuelle d’une hypothèque
légale peut soit assumer le montant de l’hypothèque légale tel que le prévoit l’article
1723 alinéa 2 C.c.Q., soit retenir un montant suffisant sur le prix de vente de
l’immeuble afin d’acquitter la créance de l’hypothèque légale. Notons que dans
cette situation, l’acheteur n’a aucun recours contre le vendeur à moins d’une
stipulation contraire dans le contrat de vente. Ainsi, le nouveau propriétaire
est tenu personnellement à la dette due par l’ancien propriétaire à l’entrepreneur
ou aux sous-traitants, tout comme s’il avait contracté directement avec ces
derniers. L’action personnelle est inutile dans ce cas, car l’entrepreneur ou
les sous-traitants peuvent inclure dans leur recours hypothécaire une
conclusion visant à obtenir la condamnation personnelle du débiteur et de l’acheteur.
2887. Par contre,
si l’acheteur de l’immeuble n’avait pas assumé la dette due par l’ancien
propriétaire, il n’est pas tenu personnellement à la dette. L’intervenant ne
peut le poursuivre personnellement en paiement de la dette. Dans ce cas, l’action
personnelle est nécessaire pour poursuivre son débiteur, soit l’ancien
propriétaire, et ainsi obtenir, contre lui, une condamnation personnelle à
payer la dette. Le recours hypothécaire dirigé contre l’immeuble devenu la
propriété d’un tiers ne peut comporter des conclusions visant la condamnation
personnelle de l’ancien propriétaire, surtout lorsque le créancier poursuivant
est un sous-traitant n’ayant pas contracté avec ce dernier, mais avec l’entrepreneur.
Dans ce cas, ni l’ancien propriétaire ni le nouveau propriétaire de l’immeuble
n’est responsable personnellement de la créance du sous-traitant.
2888. Dans un
deuxième temps, l’acheteur peut ne pas avoir été informé d’une éventuelle
inscription d’hypothèque légale sur l’immeuble alors qu’il a acquitté le plein
montant du prix de vente. Dans ce cas, il ne peut être tenu personnellement du
montant de l’hypothèque légale. Toutefois, l’acheteur qui dispose d’une
garantie du droit de propriété contre son vendeur peut exercer un recours en
résolution du contrat de vente ou en réduction du prix, comme nous l’avons
mentionné dans nos commentaires sous l’article 2727 C.c.Q.
2889. Il ressort de
ces exemples que l’action personnelle n’est utile que lorsque le poursuivant
est un sous-traitant qui n’a pas contracté avec
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le propriétaire de l’immeuble ou lorsque l’immeuble
a été vendu à
un tiers qui n’est pas intervenu
au contrat d’entreprise et qui n’a pas assumé, non plus, le paiement des dettes
de la construction ou de la rénovation. Dans ce cas, seule l’action personnelle
permet au sous-traitant, d’une part, d’obtenir une condamnation personnelle de
son véritable débiteur au paiement de la créance et, d’autre part, de pouvoir
exécuter le jugement sur l’ensemble des biens de ce dernier.
2890. Rappelons que l’action personnelle (art. 2735 C.c.Q.) peut être utile pour l’entrepreneur afin de conserver son
hypothèque dans le cas où il ne peut pas exercer un recours hypothécaire
puisque sa créance n’est pas liquide ou exigible (art. 2748 C.c.Q.).
C. L’exercice simultané d’une action
personnelle et d’un recours hypothécaire
2891. L’article
2748 C.c.Q. envisage deux situations différentes. Le premier alinéa concerne le
cas d’une créance qui n’est pas encore liquidée, tandis que le deuxième alinéa
concerne le cas où la créance est déjà liquidée. Dans le premier cas, le
créancier doit nécessairement obtenir une condamnation personnelle de son
débiteur, laquelle ne peut être obtenue que dans le cadre d’une action
personnelle. Par contre, lorsque le montant de la créance est déterminé dans le
contrat ou lorsqu’il ne fait l’objet d’aucune contestation par le débiteur, l’action
personnelle n’est pas nécessaire et le créancier peut exercer directement l’un
des recours hypothécaires prévus à l’alinéa 2 de l’article 2748 C.c.Q.
2892. Doit-on
comprendre que l’article 2748 C.c.Q., par ses deux alinéas, oblige, dans le cas
où la créance est litigieuse, à intenter deux actions distinctes, soit une
action personnelle qui vise l’obtention d’une condamnation personnelle et un
recours hypothécaire visant soit la vente sous contrôle de la justice ou de gré
à gré de l’immeuble, soit sa prise de possession pour fins d’administration ? Rien ne laisse croire à une telle affirmation. Si
le législateur a voulu consacrer deux dispositions dans le même article pour traiter des différents recours offerts aux
créanciers hypothécaires, c’est dans le dessein d’établir, dans un premier temps, que l’action personnelle n’est
pas nécessaire lorsque le montant ou l’existence de la créance n’est pas en
litige et, dans un deuxième temps, d’établir une liste exhaustive des recours
hypothécaires pouvant être exercés par le créancier. Il ne faut pas prêter au
législateur une
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intention qu’il n’a pas
exprimée clairement, à savoir que les deux recours personnel et hypothécaire
doivent être exercés séparément.
1) La nécessité d’inclure une condamnation
personnelle dans le recours hypothécaire
2893. Bien que les
recours personnel et hypothécaire visent l’obtention de condamnations
distinctes, ces deux recours sont tellement liés que l’un peut être la
conséquence ou la suite logique de l’autre. En effet, si la créance est
litigieuse, il faut qu’elle soit liquidée par le tribunal
dans le cadre d’un recours personnel comme condition sine
qua non du recours hypothécaire. Le tribunal ne peut se prononcer sur un
recours hypothécaire si la créance garantie par l’hypothèque est toujours
litigieuse entre les parties. En effet, l’hypothèque est un droit accessoire au
droit principal, soit la créance qui est garantie par cette hypothèque (art.
2667 C.c.Q.). Comment peut-on régler le recours hypothécaire alors que le sort
de la créance quant à son existence ou à son montant n’est pas encore décidé
par le tribunal ? Il nous semble que la question relative à la créance
doive être réglée avant qu’un jugement ne soit prononcé sur le recours
hypothécaire. C’est à ce titre que, même lorsque la créance n’est contestée ni
quant à son existence ni quant à son montant, le tribunal doit, pour que son
jugement sur le recours hypothécaire soit fondé, constater l’existence de cette
créance ainsi que le montant dû à l’intervenant par le débiteur comme condition
préalable à l’ordonnance de délaissement de l’immeuble. Ainsi, il convient d’inclure
une conclusion visant une condamnation personnelle dans le cadre d’un recours
hypothécaire lorsque le débiteur est le propriétaire de l’immeuble grevé de l’hypothèque
légale. Une ordonnance de
délaissement de l’immeuble est, en effet, toujours une conséquence et une
sanction au défaut de payer une créance valable, liquide et exigible.
2894. Une question
se pose : savoir si le créancier qui exerce seulement un recours
hypothécaire, puisque sa créance n’est pas contestée, peut, à la suite de la
vente de l’immeuble, se servir du même jugement pour satisfaire sa créance,
dans le cas où le produit de la vente de l’immeuble serait insuffisant ou, par
contre, s’il doit retourner devant les tribunaux pour obtenir, par le biais d’une
action personnelle, une condamnation de son débiteur au paiement du solde de sa
créance. Comme nous l’avons mentionné, le tribunal doit, dans son jugement sur
[Page 1103]
recours hypothécaire,
constater l’existence et le montant de la créance, malgré le défaut de
contestation par le débiteur. Ce jugement équivaut à un jugement ex parte rendu
dans le cadre d’une action personnelle à laquelle le défendeur n’a fait aucune
défense. Conséquemment, ce jugement peut légalement servir à toute autre mesure
d’exécution sur les autres biens du débiteur, lorsque le prix de la vente de l’immeuble
visée par le recours hypothécaire est insuffisant pour satisfaire le montant de
la créance constaté par le tribunal, dans son jugement.
2895. Dans le même
ordre d’idées, lorsque la créance ou son montant est contesté par le débiteur,
le créancier peut demander au tribunal dans un seul recours, d’une part, de
liquider le montant de la créance et de condamner le débiteur à son paiement
et, d’autre part, de condamner ce dernier au délaissement de l’immeuble s’il n’acquitte
pas le montant de la créance ainsi liquidée dans le délai imparti dans le
jugement. Rappelons encore une fois que rien dans la disposition de l’article
2748 C.c.Q. n’interdit un tel recours mixte.
2) La possibilité d’intenter un recours
mixte
2896. Il semble que
le recours pouvant être exercé par un créancier détenant une hypothèque légale
soulève une certaine controverse, voire une certaine confusion.
Cette question apparaît complexe, surtout lorsque le poursuivant n’est pas le
cocontractant du propriétaire de l’immeuble grevé d’une hypothèque légale. C’est
pourquoi il y a lieu de faire une distinction entre deux situations :
celle où le débiteur est le propriétaire de l’immeuble grevé de l’hypothèque
légale et la situation où le débiteur est une personne autre que le
propriétaire de l’immeuble au moment de l’institution des procédures. Tel est
le cas lorsque le détenteur de l’hypothèque légale est un sous-traitant ayant
contracté avec l’entrepreneur général ou un intervenant en construction ayant
contracté avec l’ancien propriétaire de l’immeuble alors que le nouveau
propriétaire de l’immeuble n’a pas assumé les dettes de la construction ou de
la rénovation dont l’ancien propriétaire est toujours le débiteur.
a) Le débiteur du détenteur de l’hypothèque
légale est le propriétaire de l’immeuble
2897. L’entrepreneur
qui a contracté avec le propriétaire de l’immeuble peut intenter dans un seul
recours une action personnelle et une
[Page 1104]
action hypothécaire.
L’action personnelle vise l’obtention d’une condamnation personnelle du
propriétaire de l’immeuble en sa qualité de débiteur de l’entrepreneur, tandis
que la deuxième action vise le délaissement de l’immeuble pour que celui-ci
soit vendu en justice ou pris en paiement. Il nous semble qu’intenter les deux
actions séparément est inutile pour plusieurs raisons. Premièrement, les deux
actions puisent leur fondement de la même source, soit du contrat d’entreprise.
Deuxièmement, dans le cas où le montant de la créance est contesté, il serait
impensable que le tribunal saisi de l’action hypothécaire soit en mesure de rendre
son jugement avant qu’un autre jugement ne soit rendu dans l’action portant sur
l’existence et le montant de la créance.
2898. Troisièmement,
même si une telle hypothèse est plausible, lorsqu’il y a d’autres créanciers
ayant des droits sur l’immeuble, ceux-ci ont intérêt à connaître le montant
exact de la créance pour évaluer l’opportunité pour eux de désintéresser le
créancier qui intente un recours hypothécaire. Quatrièmement, le tribunal saisi
du recours hypothécaire ne peut émettre une ordonnance en délaissement et
autoriser la vente de l’immeuble en justice, sans constater l’existence de la
créance, le défaut du débiteur et l’absence d’une cause valable d’opposition
(art. 2765 C.c.Q.). Le défaut de
le faire constitue une erreur de droit et un motif valable d’appel. D’ailleurs,
il sera difficile de procéder à la distribution du produit de la vente si la
question de la créance quant à son existence et à son montant n’est pas encore
réglée dans l’action personnelle. Cinquièmement, n’est-il pas dans l’intérêt de
la justice et des parties elles-mêmes de ne pas multiplier les procédures
inutiles et ainsi d’engager des frais et honoraires non indispensables ? Il importe de rappeler, à cet effet, que l’article
18 C.p.c. réitère le principe
reconnu depuis longtemps à l’effet que la procédure doit être la servante de la
justice. Le juge a le devoir de voir à ce que les parties ne gaspillent ni
temps ni argent en multipliant des procédures inutiles. Il appartient au juge
de contrôler les procédures, et non aux procureurs des parties. Ces derniers,
bien sûr, ont aussi le devoir de conduire avec autant de célérité et d’économie
que possible les procédures qui opposent leurs clients. Dans ce sens, lorsque
les points litigieux en cause découlent de la même source et opposent les mêmes
parties, ils doivent réunir les
[Page 1105]
différentes procédures
dans l’intérêt de leurs clients ainsi que dans celui de la justice.
2899. Sixièmement, même si l’on peut se servir de l’article 210 C.p.c. pour suspendre les procédures dans le
recours hypothécaire afin de permettre à l’action personnelle d’être jugée en
premier, nous sommes d’avis que cette façon de procéder est beaucoup moins
avantageuse pour les parties et ne sert pas l’intérêt de la justice. Il suffit
de rappeler que l’institution de deux recours séparés augmente la chance de
rendre des jugements contradictoires. En cas de deux recours séparés, il serait
préférable d’ordonner la réunion des deux recours en vertu de l’article 210
C.p.c. Rien ne s’oppose à ce que le tribunal rende un jugement dans le cadre d’un
recours mixte contenant une condamnation personnelle et une ordonnance de
délaissement. Ce jugement pourra aussi être exécuté sur l’ensemble des biens du
débiteur, advenant le cas où la créance n’est pas totalement réalisée par la
vente de l’immeuble sous contrôle de la justice. Conséquemment, l’action
personnelle perd sa raison d’être lorsqu’elle est dirigée contre le même
défendeur visé par le recours hypothécaire.
2900. Or, rien n’empêche de saisir le tribunal d’un recours mixte, soit une
action personnelle qui vise l’obtention d’une condamnation du défendeur à payer
le montant de la créance et un recours hypothécaire par lequel le créancier
cherche l’obtention d’une ordonnance en délaissement contre le même défendeur,
propriétaire de l’immeuble. Il nous semble qu’un seul recours comportant une
conclusion principale en condamnation personnelle et une conclusion subsidiaire
visant l’obtention d’une ordonnance contre le défendeur pour délaisser l’immeuble
serait conforme à l’esprit des dispositions du Code civil du Québec en
matière d’hypothèque ainsi qu’aux principes d’équité et de justice naturelle.
En effet, la conclusion subsidiaire qui concerne le délaissement de l’immeuble
doit être conditionnelle au défaut du défendeur d’acquitter la somme à laquelle
il a été condamné selon la conclusion principale de l’action, et ce, dans le
délai imparti dans le jugement. Un propriétaire
[Page 1106]
peut, de bonne foi,
contester le montant de la créance réclamé par l’intervenant en construction
qui détient une hypothèque légale. Permettre à ce dernier d’intenter séparément
une action personnelle et une action hypothécaire revient à lui offrir la
possibilité de punir le propriétaire de l’immeuble pour avoir contesté le
montant de sa créance ou d’exercer des pressions injustifiées et illégales pour
l’obliger à accepter le montant réclamé.
2901. Enfin, il
nous semble qu’il y a une confusion entre deux notions complètement distinctes,
c’est-à-dire celle de la litispendance et celle de deux actions qui soulèvent
les mêmes questions de fait et de droit abordées à l’article 210 C.p.c.. Une action
personnelle contre le propriétaire de l’immeuble en raison de sa qualité de
débiteur personnel pour la créance de l’entrepreneur et un recours hypothécaire
qui vise l’immeuble grevé d’une hypothèque légale en faveur de ce dernier
peuvent ne pas présenter les conditions requises par l’article 168 C.p.c. en matière de litispendance. En
effet, chacun de ces recours a un objet distinct, bien que les deux autres
conditions puissent être réunies, c’est-à-dire la cause de l’action et l’identité
des parties. Cependant, les deux
actions puisent leur fondement de la même source (le contrat d’entreprise),
opposent les mêmes parties et soulèvent les mêmes questions de fait et de
droit. Les questions en litige sont substantiellement les
[Page 1107]
mêmes lorsque l’existence
et le montant de la créance sont contestés. Conséquemment, les actions peuvent
raisonnablement être jugées en même temps et sur la même preuve.
D’ailleurs, l’action hypothécaire doit dépendre du sort de l’action personnelle
portant sur l’existence et le montant de la créance. L’intérêt de la justice
ainsi que celui des parties nécessitent une réunion de ces deux actions. De
plus, la réunion d’actions aura pour effet d’éviter des jugements
contradictoires.
2902. Lorsque l’existence
ou le montant de la créance n’est pas contesté par le propriétaire de l’immeuble,
l’action personnelle est complètement inutile et un recours hypothécaire sera
le seul recours à intenter. Cependant, le créancier poursuivant doit savoir à l’avance
si le propriétaire de l’immeuble, en tant que débiteur, a l’intention de
contester l’existence et le montant de la créance. Doit-il, dans ce cas,
intenter deux actions parallèles comme le préconise la doctrine ou serait-il
plus sage d’intenter un seul recours incluant une conclusion principale qui
vise la condamnation personnelle du débiteur ainsi qu’une conclusion
subsidiaire cherchant l’obtention d’une ordonnance en délaissement ? Il
nous semble que la logique et le bon sens militent pour cette dernière option.
2903. Même lorsque
le recours hypothécaire vise la prise en paiement de l’immeuble, le débat sur l’existence
ou sur le montant de la créance ne peut être évité. En effet, l’existence et le
montant de la créance peuvent être contestés et, même en présence d’une seule
action, soit une requête en délaissement pour prise en paiement, le tribunal
est obligé de trancher d’abord la question de l’existence et du montant de la
créance. Le propriétaire de l’immeuble a, d’ailleurs, toujours intérêt à ce que
le litige entourant la créance soit tranché en premier. Ainsi, il sera en
mesure de prendre la décision qui lui convient, soit de délaisser l’immeuble
conformément à l’ordonnance de délaissement émise dans le jugement ou d’acquitter
le montant liquidé par le tribunal. Il en est ainsi lorsque le montant réclamé
par l’entrepreneur est exagéré ou ne correspond pas au montant convenu ou lorsqu’il y a des malfaçons ou des vices
affectant l’ouvrage réalisé et qu’une demande reconventionnelle est formulée
dans le cadre de la contestation de la requête en délaissement pour prise en
paiement de l’immeuble.
2904. De plus, en
vertu de l’article 2778 C.c.Q., l’intervenant qui souhaite prendre l’immeuble
en paiement doit demander au préalable l’autorisation du tribunal lorsqu’il a
reçu paiement de plus de la moitié de sa créance. Le propriétaire a, dans ce
cas, intérêt à faire trancher par le
[Page 1108]
tribunal la question
relative au montant de la créance de l’intervenant. Il nous semble étrange que
l’entrepreneur qui cherche la prise en paiement de l’immeuble soit dispensé d’alléguer
et de prouver l’existence de sa créance ainsi que le montant de celle-ci. Il
est indispensable que le créancier allègue dans sa requête que le débiteur n’a
pas acquitté la moitié du montant de la créance et y inclut une première
conclusion demandant au tribunal de constater d’abord l’existence de sa créance
pour justifier une conclusion subsidiaire visant la prise en paiement de l’immeuble
(art. 2765 C.c.Q.).
2905. L’hypothèque
légale est un accessoire à la créance et constitue une garantie pour celle-ci,
ce qui signifie que l’existence de la créance doit non seulement être alléguée,
mais aussi constatée par le tribunal (art. 2765 C.c.Q.) pour que le jugement
sur la requête en délaissement pour prise en paiement soit bien fondé en droit.
Il nous semble que l’action mixte qui vise à la fois une condamnation
personnelle et le délaissement de l’immeuble peut soulever les mêmes questions
qu’un recours purement hypothécaire qui oppose un entrepreneur et son débiteur,
le propriétaire de l’immeuble. La seule différence est qu’en cas de recours
mixte, le demandeur cherche une conclusion principale et une conclusion
subsidiaire, alors que dans le deuxième cas, le délaissement pour prise en
paiement sera la conclusion principale, bien qu’il soit assujetti à une
vérification et à une constatation par le tribunal de l’existence et du montant
de la créance. Dans les deux cas (action mixte et recours hypothécaire), les
conclusions ainsi que les jugements qui seront rendus devront offrir l’opportunité
au propriétaire d’éviter le délaissement forcé de l’immeuble pour sa prise en
paiement ou sa vente sous contrôle de la justice en acquittant le montant de la
créance qui a été établi dans le jugement.
2906. En somme, l’entrepreneur
ayant conclu son contrat avec le propriétaire peut, lorsqu’il exerce un recours
en délaissement forcé pour vente sous contrôle de justice, chercher dans la
même demande et à titre d’action personnelle, une conclusion pour faire
condamner ce dernier à lui payer le montant de sa créance, que ce montant soit
en litige ou non. Il n’est pas nécessaire d’intenter deux actions parallèles.
Au contraire, il est de l’intérêt des parties et de celui de la justice que ces
deux recours, personnel et réel, soient exercés en même temps et dans une seule
demande. Ainsi, l’utilité de ce recours mixte pour le propriétaire débiteur de
la dette, lorsqu’il conteste le montant de la créance, est d’avoir une dernière
chance de payer le montant auquel il est condamné dans le délai fixé dans le
jugement (souvent de 30 jours) et d’éviter le délaissement de son immeuble pour
être vendu sous contrôle de justice. Quant à l’entrepreneur, il a aussi intérêt
à faire liquider le montant de sa créance
[Page 1109]
par le tribunal et à
obtenir un jugement qui condamne personnellement le propriétaire à lui payer ce
montant, puisqu’advenant le cas où le prix de la vente serait insuffisant pour
satisfaire à la condamnation personnelle du propriétaire, il aura la
possibilité de faire exécuter le jugement pour le solde de sa créance sur d’autres
biens appartenant à ce dernier.
2907. Par contre, l’entrepreneur
qui opte pour la prise en paiement de l’immeuble de son débiteur propriétaire n’a
pas besoin d’obtenir une condamnation personnelle de ce dernier et son recours
doit être un recours purement hypothécaire. Il est obligé
de faire constater par le tribunal l’existence de sa créance, même en l’absence
d’une contestation du montant de
celle-ci par le propriétaire. L’hypothèque légale de construction est un
accessoire à la créance et il est nécessaire que le tribunal déclare que le
défendeur propriétaire est tenu à payer un montant à titre de dette à l’entrepreneur
demandeur. Il s’agit, en fait, pour cette partie du jugement, d’une conclusion
d’un jugement déclaratoire qui se limite à constater l’existence de la créance.
La situation est différente lorsque le montant de la créance est litigieux
puisque bien que l’entrepreneur n’ait pas à obtenir une condamnation
personnelle de son débiteur propriétaire, il est obligé de demander au tribunal
de vérifier et de reconnaître le montant de sa créance. Dans ce cas, le tribunal,
dans l’exercice de son pouvoir, ne se limite pas à faire une simple déclaration
quant à l’existence de la créance, il doit aussi déterminer, à la lumière de la
preuve soumise, le montant de la créance. En d’autres mots, il doit, liquider
le montant de la créance comme étape préalable pour pouvoir justifier la
conclusion principale recherchée par l’entrepreneur, soit d’être déclaré
propriétaire de l’immeuble et d’ordonner au débiteur propriétaire de délaisser
l’immeuble pour permettre la prise en paiement, ce qui éteint la dette.
En liquidant la créance, le tribunal n’a pas à condamner ce dernier
personnellement à payer le montant, mais il doit cependant lui donner une
dernière chance de le payer dans un délai qu’il doit fixer dans le jugement et
ainsi éviter la prise en paiement.
b) Le débiteur du détenteur de l’hypothèque
légale n’est pas le propriétaire de l’immeuble
2908. Il peut
arriver que le débiteur du détenteur de l’hypothèque légale ne soit pas le
propriétaire de l’immeuble. C’est le cas du sous-traitant ayant contracté avec
l’entrepreneur général. Ce dernier étant le
[Page 1110]
débiteur personnel de
la créance du sous-traitant, l’action personnelle, visant une condamnation au
paiement, doit être dirigée contre lui. En effet, l’absence de lien contractuel
entre le sous-traitant et le propriétaire de l’immeuble rend impossible l’obtention
d’une condamnation au paiement de la créance contre ce dernier. Par contre, en
raison du droit hypothécaire détenu par le sous-traitant, l’action hypothécaire
ne peut être dirigée que contre l’immeuble. Il doit cependant mettre le
propriétaire comme mis en cause visé par une conclusion cherchant à obtenir
contre lui une ordonnance de délaissement de l’immeuble, soit pour être vendue
sous contrôle de justice, soit pour être prise en paiement, dépendamment de la
nature du recours hypothécaire exercé.
2909. Bien que ces
deux actions puissent être intentées séparément et parallèlement, il nous
semble qu’une action mixte puisse être une option valable. Ainsi, l’entrepreneur,
débiteur du sous-traitant, peut être désigné comme étant le défendeur dans l’action
mixte comportant une conclusion en condamnation personnelle contre lui pour le
montant de la créance. Quant au propriétaire de l’immeuble, il sera mis en
cause afin que l’ordonnance en délaissement de l’immeuble lui soit opposable à
moins qu’il ne paie le montant auquel est condamné l’entrepreneur afin de
conserver son immeuble. Cette façon de procéder présente certains avantages
autres que ceux que nous avons déjà mentionnés dans le premier cas. Ainsi, le
propriétaire de l’immeuble, en sa qualité de mis en cause, aura l’opportunité,
d’une part, de contester la validité de l’hypothèque légale lorsque les
conditions requises par la loi pour l’inscription et la conservation de
celle-ci n’ont pas été remplies et, d’autre part, d’appeler l’entrepreneur en
garantie pour que celui-ci soit condamné à lui payer le montant ainsi que les
frais et les dépenses qu’il sera obligé de défrayer pour désintéresser le
sous-traitant détenant l’hypothèque légale.
2910. Le
propriétaire mis en cause peut également contester l’existence d’une plus-value
qui justifie l’inscription de l’hypothèque légale de construction. En d’autres
termes, le juge saisi de la demande du créancier hypothécaire peut, en même
temps, se prononcer, dans son jugement, sur la validité et l’existence de l’hypothèque
légale, sur la réclamation du montant du sous-traitant à l’encontre de l’entrepreneur
général, sur l’ordonnance en délaissement forcé à l’encontre du propriétaire
mis en cause. Il peut également régler, dans son jugement, les questions
faisant l’objet de la requête en garantie intentée par ce dernier à l’encontre
de l’entrepreneur général, tenu personnellement et principalement à la créance
du sous-traitant demandeur principal.
[Page 1111]
2911. Le même raisonnement peut être valable dans le cas où le nouveau
propriétaire de l’immeuble n’a pas assumé les dettes de la construction ou de
la rénovation de son vendeur lors de l’achat de l’immeuble. L’action
personnelle sera donc dirigée contre l’ancien propriétaire en sa qualité de
débiteur de la créance, tandis que l’action hypothécaire sera dirigée contre l’immeuble
et le nouveau propriétaire sera mis en cause. L’assumation personnelle par le
propriétaire qui n’est pas le débiteur des dettes garanties par l’hypothèque ne
peut être présumée du seul fait que le propriétaire paie un montant minimal
chaque mois afin d’éviter la perte de son immeuble. Une assumation personnelle
des dettes sera toutefois constatée lorsqu’une clause le mentionnera
expressément dans l’acte d’acquisition de l’immeuble qui lie le nouveau
propriétaire.
4. Les
mesures provisionnelles
2912. L’article 2748 C.c.Q.
précise en deuxième lieu que le créancier dispose aussi des mesures provisionnelles
pour protéger sa créance. Il peut, ainsi, pratiquer une saisie avant jugement,
intenter une requête pour nommer un séquestre judiciaire
ou une requête en injonction visant à empêcher le
propriétaire d’accomplir des actes pouvant diminuer la valeur de l’immeuble
grevé de l’hypothèque de la construction. Ces mesures visent essentiellement à
sauvegarder les droits de l’intervenant en construction, même si aucune
procédure judiciaire n’est engagée. En cas de détérioration de l’immeuble ou d’une
diminution de sa valeur due à une utilisation abusive ou déraisonnable ou d’un
acte délibéré accompli par celui ayant la possession et le contrôle de l’immeuble
grevé, le créancier détenteur de l’hypothèque légale pourra réclamer de ce
dernier des dommages-intérêts et en cas de
[Page 1112]
fraude, intenter une
action en inopposabilité, que sa créance soit liquide et exigible ou non.
5. Les
recours hypothécaires
2913. Après avoir précisé que les créanciers hypothécaires jouissent des
mêmes droits que les créanciers chirographaires, l’article énonce, dans son
deuxième alinéa, les divers recours hypothécaires pouvant être exercés. Ainsi,
pour faire valoir leurs droits hypothécaires, les intervenants en construction
peuvent opter pour une prise de possession pour fins d’administration, une
prise en paiement, une vente sous contrôle de la justice ou une vente par le
créancier. Il s’agit d’une liste exhaustive puisque l’article précise que les
créanciers ne peuvent exercer que les droits hypothécaires ainsi énumérés.
2914. L’article 2748 alinéa 2 C.c.Q. prévoit cependant que le créancier
hypothécaire ne peut exercer aucun recours à moins qu’il ne détienne une
créance liquide et exigible et que son débiteur ne soit en défaut.
La créance est jugée liquide lorsque son montant est déjà fixé dans le contrat
ou dans une entente postérieure ou s’il peut l’être facilement.
Elle est exigible, à l’arrivée de son terme ou, le cas échéant, en raison du
défaut du débiteur, lorsque le contrat prévoit que le défaut de paiement d’un
versement fait perdre au débiteur le bénéfice du terme.
Aussi, pour que le créancier détienne une créance liquide et exigible, il doit
avoir exécuté son obligation contractuelle correctement.
Avant de se prononcer sur une requête en délaissement forcé, le tribunal doit
donc vérifier si la créance de l’intervenant en construction existe, si elle
est liquide et exigible, s’il y a bel et bien défaut du débiteur, s’il y a
refus de délaisser volontairement l’immeuble et absence d’une cause valable
[Page 1113]
d’opposition.
Il doit vérifier également si le poursuivant avait dûment accompli les mesures
préalables requises par les articles 2757 et suivants du Code civil du Québec.
A. Mesures préalables à l’exercice des
recours hypothécaires
1) Le
préavis d’exercice d’un recours hypothécaire
2915. Le préavis d’exercice d’un droit hypothécaire est une condition
préalable et impérative à l’exercice
d’un droit hypothécaire. Il permet d’avertir
le propriétaire de l’immeuble, à l’époque de la signification du préavis, de l’intention
du créancier d’exercer un droit hypothécaire sur son immeuble. Il permet ainsi
au propriétaire de jouir d’un certain délai de grâce à l’intérieur duquel il
peut soit remédier au défaut en payant la créance, soit délaisser le bien qui
fait l’objet de l’hypothèque. De plus, son inscription au Registre foncier
permet d’avertir les tiers de l’intention du créancier hypothécaire d’exercer
un recours hypothécaire. Ceux-ci peuvent donc faire échec au recours intenté
par le créancier (art. 2750 et 2779 C.c.Q.) ou remédier au défaut du débiteur
signalé dans le préavis d’exercice d’un droit hypothécaire (art. 2761 C.c.Q.). Vu l’importance de ces objectifs,
l’omission de procéder à l’inscription de ce préavis au Registre foncier
constitue une fin de non-recevoir des procédures intentées par la suite.
2916. Le délai à respecter avant d’intenter un recours en délaissement est de
60 jours de l’inscription du préavis d’exercice du droit hypothécaire.
Cependant, lorsque le recours choisi par le détenteur de l’hypothèque est une
prise en possession pour fins d’administration, le délai de délaissement est de
10 jours (art. 2758 al. 2 C.c.Q.). Le recours
[Page 1114]
pour prise en
possession pour fins d’administration de l’immeuble n’est cependant possible
que lorsque l’immeuble sert à l’exploitation d’une entreprise.
2917. L’intervenant doit attendre l’expiration de ce délai avant d’exercer le
recours hypothécaire qu’il a choisi, même si le
propriétaire délaisse volontairement l’immeuble avant cette date, car les tiers
peuvent avoir intérêt à intervenir pour remédier eux-mêmes au défaut ou pour
faire échec à l’exercice du droit hypothécaire.
Ces tiers doivent bénéficier du même délai que le propriétaire de l’immeuble.
Par contre, si ce dernier refuse de délaisser l’immeuble, il conserve son droit
de faire valoir tous ses moyens pour invalider le droit à l’hypothèque de l’intervenant
lorsque celui-ci intente une requête en délaissement forcé (art. 2765 C.c.Q.)
conformément à son préavis.
2918. Le préavis doit être inscrit au registre lorsqu’il est accompagné de la
preuve de sa signification au débiteur, au constituant et à toute autre
personne contre qui le créancier hypothécaire entend exercer ses droits (art. 2757 C.c.Q.). L’article 2752 C.c.Q. précise que lorsque l’immeuble fait
l’objet d’un usufruit, le recours doit être intenté à l’encontre du
nu-propriétaire ainsi que de l’usufruitier. Il s’ensuit que le préavis d’exercice
du recours hypothécaire doit leur être signifié à tous les deux. La signification
est aussi légalement valable lorsqu’elle est faite au représentant de celui
contre qui l’intervenant entend exercer ses droits hypothécaires.
La signification est tout aussi nécessaire à la conservation
de l’hypothèque que l’est l’inscription du préavis d’exercice
d’un droit hypothécaire. Son défaut constitue
une irrégularité pouvant entraîner la nullité du préavis ainsi que celle de
tous les autres actes posés postérieurement dont la validité dépend de celle du
préavis d’exercice du droit hypothécaire.
2919. Les
formalités relatives au préavis d’exercice d’un droit hypothécaire sont en
effet nécessaires pour que le débiteur puisse remédier au défaut avant que le
recours ne soit exercé. Étant donné l’importance de
[Page 1115]
cet objectif, toute
renonciation expresse ou implicite au droit de recevoir signification
du préavis d’exercice du droit hypothécaire est nulle et sans effet. Le
débiteur ou le propriétaire de l’immeuble peut toujours invoquer l’absence de
signification du préavis d’exercice du droit hypothécaire. Rappelons que cette
signification est le point de départ d’un délai de grâce accordé au
propriétaire de l’immeuble par la loi afin de remédier au défaut et ainsi
éviter la perte de son immeuble. L’article 2757 C.c.Q. est d’ordre public de
protection, ce qui rend toute renonciation préalable au droit de signification
du préavis nulle et sans effet.
2920. Plusieurs autres personnes peuvent être intéressées par le préavis d’exercice
d’un recours hypothécaire. Toutefois, le Code civil du Québec n’exige du
créancier la signification qu’au seul « débiteur, constituant ou toute personne contre qui il entend exercer
son recours ». En effet, le
texte de l’article 2757 C.c.Q. n’exige pas du créancier hypothécaire de
signifier son préavis à « toute personne intéressée ». Exiger du créancier qu’il notifie tous les
autres créanciers hypothécaires et toute autre personne intéressée reviendrait
à alourdir indûment les procédures relatives à l’exercice des droits
hypothécaires. De plus, une telle interprétation
ajouterait au texte légal une condition qui n’a pas été prévue. Toute personne,
autre que celle contre qui le créancier entend exercer son recours, ne doit pas
obligatoirement recevoir signification du préavis.
Sont ainsi dépourvus du droit de recevoir la signification du préavis d’exercice
d’un droit hypothécaire, tous les autres créanciers hypothécaires.
Le législateur a laissé à l’officier de la publicité des droits la tâche de
notifier à tous ces derniers l’inscription du préavis. En effet, l’article 3017
C.c.Q. prévoit que toute personne ayant requis l’inscription de son adresse
doit recevoir, dans les meilleurs délais, une notification
à l’effet que le bien sur lequel son droit est publié est
l’objet d’un préavis d’exercice d’un droit hypothécaire.
2921. Il faut faire la distinction entre une personne tenue à la dette soit
en tant que caution, soit en tant que codébiteur et les personnes pouvant être
intéressées par un préavis d’exercice d’un droit hypothécaire dont fait mention
l’article 2757 C.c.Q. Dans le cas d’une personne
[Page 1116]
tenue à la dette avec le propriétaire
de l’immeuble, le créancier qui donne un préavis d’exercice d’un droit
hypothécaire doit également lui signifier son préavis. Le défaut de le faire
peut engager sa responsabilité envers le codébiteur ou la caution pour tout
préjudice subi. Une telle
responsabilité est justifiée par le manquement à l’obligation de renseigner le
codébiteur ou la caution des démarches entamées par le créancier à l’encontre
de son débiteur principal. Le fait que la caution ou le codébiteur ne soit pas
copropriétaire de l’immeuble ne constitue pas un motif valable pour ne pas
signifier un préavis d’exercice d’un droit hypothécaire. Il est évident que le
défaut ne peut mettre en question la validité des procédures accomplies et les
recours dont dispose la caution ou le codébiteur se limitent à des recours en
dommages-intérêts. En effet, dans le cas
où le prix de la vente de l’immeuble sous contrôle de la justice serait
insuffisant pour acquitter toutes les dettes, le créancier peut se retourner
contre la caution ou le codébiteur pour lui réclamer le solde impayé. Or, ces
derniers, s’ils avaient reçu signification du préavis d’exercice d’un droit
hypothécaire, auraient pu remédier au défaut afin de se prévaloir de la
subrogation légale prévue à l’article 1656 alinéa 3 C.c.Q. et bénéficier des
mêmes droits sur l’immeuble. La caution ou le codébiteur sera subrogé dans le
droit du créancier à l’hypothèque légale, ce qui peut lui permettre d’éviter
une perte, advenant l’insolvabilité du débiteur principal.
Il convient toutefois de préciser qu’une caution ne peut demander la suspension
du recours intenté contre elle au motif de l’existence d’un recours
hypothécaire parallèle.
2922. Par contre,
en ce qui concerne la deuxième catégorie de personnes qui peuvent être
intéressées par le préavis d’exercice du droit hypothécaire dont fait mention l’article
2757 C.c.Q., il nous semble que le créancier auteur du préavis, et plus
particulièrement le détenteur d’une hypothèque légale, n’est pas tenu de leur
signifier son préavis. Le législateur a laissé la tâche de signifier le préavis
à ces personnes intéressées à l’officier de publicité des droits (art. 3017 C.c.Q.), tel que mentionné précédemment.
Donc, le défaut de signifier ce préavis à ces personnes par l’officier du
registre de la publicité foncière ne peut aucunement
[Page 1117]
engager la responsabilité du créancier
ayant donné le préavis. En effet, pour que le créancier soit tenu responsable du défaut de signification,
il doit avoir l’obligation de signifier son préavis, ce que la loi ne prévoit
pas. Il est impensable qu’une personne puisse être tenue responsable d’un
préjudice subi par un tiers, sans qu’il ait commis une faute, laquelle faute exige
évidemment un manquement à une obligation, ce qui n’est pas le cas en l’espèce.
a) Le contenu du préavis
2923. L’article 2758 C.c.Q. est
d’ordre public et précise les éléments qui doivent apparaître dans le préavis d’exercice
d’un droit hypothécaire sans toutefois imposer de forme sacramentelle pour le
faire. Tout ce qui importe
est que celui contre qui le recours est exercé ou toute autre personne pouvant
en être concernée soit suffisamment informé des faits et de l’intention du
créancier. Le préavis doit,
premièrement, contenir une mention dénonçant le défaut du débiteur d’avoir
acquitté sa dette envers l’intervenant en construction ainsi que le droit du
débiteur ou d’un tiers de remédier au défaut dans le délai imparti.
Deuxièmement, l’intervenant doit décrire de manière précise le montant de sa
créance comprenant le montant dû en capital ainsi qu’en intérêts. Cette mention
doit être extrêmement précise, de manière à ce que le débiteur ou tout autre
tiers intéressé puisse remédier au défaut de paiement. En effet, bien que le
premier concerné soit le propriétaire de l’immeuble, ces informations serviront
aussi aux tiers intéressés à faire désintéresser l’auteur du préavis et ainsi
éviter l’exercice du recours indiqué contre l’immeuble.
2924. L’article 2761 C.c.Q.
prévoit le droit à toute personne ayant un droit affectant l’immeuble ou un
intérêt dans celui-ci de remédier au défaut du débiteur et ainsi d’éviter la
vente sous contrôle de la justice de l’immeuble ou sa prise en paiement. Dans
ce dessein, il est nécessaire que le tiers soit en mesure de connaître le
montant requis pour faire échec à l’exercice du droit hypothécaire. Il doit
connaître avec précision le montant exact de la dette qui demeure impayée, les
intérêts ainsi que les frais légitimement et légalement engagés qui peuvent
être réclamés.
[Page 1118]
D’où l’importance pour le préavis de contenir toutes ces informations sur la créance
de l’intervenant en construction.
2925. Afin de faire échec au recours hypothécaire, il suffit que le débiteur
ou le tiers intéressé paie le montant exigible au moment du préavis.
Cependant, rien n’empêche d’acquitter la totalité de la créance de l’intervenant
qui a émis le préavis d’exercice d’un droit hypothécaire. Le débiteur peut
effectuer son paiement sous protêt et ainsi libérer son immeuble de l’hypothèque
qui le grève, tout en conservant le droit de réclamer ultérieurement cette
somme d’argent ainsi payée à son créancier dans le cadre d’une action en
répétition de l’indu. Il est important de noter, cependant, qu’advenant le
cas où le débiteur ne paie à son créancier qu’une partie de la somme due en
raison des travaux qu’il a exécutés et des matériaux qu’il a fournis suite à la
réception d’un préavis d’exercice d’un droit hypothécaire, ce paiement ne peut
avoir pour effet de valider ce préavis. En effet, ce
sont les circonstances ayant entouré la signification et l’enregistrement de ce
préavis qui doivent être prises en compte par le tribunal afin d’établir si le
préavis d’exercice d’un droit hypothécaire est valide ou non. Notons à cet
effet que le tribunal ne peut invalider un préavis qui contient toutes les
informations relativement au défaut du débiteur et la créance du créancier au
moment de la signification de
celui-ci.
2926. Il faut rappeler que le débiteur ou même le propriétaire de l’immeuble
lorsqu’il n’est pas tenu au paiement peut toujours remédier au défaut de
paiement après l’institution d’un recours hypothécaire tant qu’un jugement au
fond n’a pas encore été rendu. Ainsi, on peut offrir le montant réclamé ou tout
simplement le consigner tout en réservant le droit de contester le montant
réclamé ou le droit même à l’hypothèque légale ou la validité du préavis d’exercice
d’un droit hypothécaire, en attendant que le tribunal tranche le litige
opposant les parties ou le propriétaire de l’immeuble se protège contre l’éventualité
que le jugement à être rendu ordonne la vente de l’immeuble sous contrôle de
justice ou
[Page 1119]
accorde sa prise en
paiement. Dans sa défense, le débiteur ou le propriétaire peut inclure une
demande reconventionnelle lorsqu’il aura des réclamations à faire valoir à l’encontre
du demandeur qui exerce un recours hypothécaire.
2927. Par ailleurs,
l’auteur du préavis doit préciser la nature du recours hypothécaire qu’il entend
exercer. Ce choix de recours se fait de manière entièrement libre. Il peut
décider soit de vendre l’immeuble sous contrôle de la justice, soit de le
vendre de gré à gré, soit de prendre l’immeuble en paiement, soit de prendre l’immeuble
en possession pour fins d’administration lorsque cet immeuble sert à l’exploitation
d’une entreprise. Aucune restriction ne s’applique quant à son choix de recours.
Ainsi, s’il opte pour un recours de prise en paiement, la valeur de l’immeuble
grevé de l’hypothèque légale déterminera le tribunal compétent pour être saisi de ce recours. En d’autres termes, c’est la
valeur de l’immeuble, et non pas le montant de la créance de construction qui
détermine le tribunal devant être saisi de la requête en délaissement forcé pour
prise en paiement. Il nous semble que le critère déterminant le tribunal
compétent devra être aussi la valeur de l’immeuble lorsque le créancier opte
pour la vente de l’immeuble sous contrôle de la justice ou de gré à gré. Il
importe toutefois de mentionner qu’une controverse existe quant au critère
déterminant du tribunal compétent. En effet, certains jugements ont pris en
considération la valeur de la créance et non pas la valeur de l’immeuble
lorsque le recours exercé par le créancier est une requête en délaissement pour
la vente de l’immeuble sous contrôle de la justice ou de gré à gré.
Avec égards pour l’opinion contraire, il nous apparaît logique d’utiliser la
valeur de l’immeuble grevé de l’hypothèque plutôt que la valeur de la créance,
puisque même dans le cas d’un recours en délaissement pour vente sous contrôle
de la justice ou de gré à gré, on se trouve en présence d’une action réelle ou
d’une action comportant des conclusions concernant la condamnation personnelle
du propriétaire au délaissement forcé de l’immeuble. Dans ce cas, l’objet du
litige est un bien immeuble et il convient donc de considérer sa valeur
supérieure plutôt que la valeur inférieure de la créance.
2928. Le caractère
réel du recours doit primer sur son caractère personnel en matière de
détermination de compétence, puisque le recours exercé est bel et bien un
recours en délaissement forcé visant un immeuble en particulier. Il s’agit d’un
recours différent d’une action
[Page 1120]
personnelle, visant à
faire reconnaître l’existence d’une créance, qui une fois le montant déterminé
par jugement, donnera lieu éventuellement à une saisie applicable aux biens du
débiteur. Le recours en délaissement forcé a donc un impact direct et immédiat
sur l’immeuble, objet du litige, car il implique nécessairement, lorsqu’il est
accueilli, un changement de possession. Que ce recours consiste en un recours
de prise en paiement ou d’une vente sous contrôle de la justice ou de gré à
gré, le résultat sera le même pour le propriétaire, soit le délaissement de son
immeuble, pour ne pas dire la perte de celui-ci. Il nous paraît donc que le
critère adéquat pour déterminer le tribunal compétent à saisir d’un recours
hypothécaire en délaissement forcé soit la valeur de l’immeuble, objet du
recours, plutôt que la valeur de la créance hypothécaire du poursuivant, peu
importe le type de recours hypothécaire à exercer.
2929. Par contre,
si le créancier détenteur d’une hypothèque opte pour la prise de possession de
l’immeuble aux fins de l’administrer et ainsi, de se faire payer à même ses
revenus, la valeur de la créance pourra être le critère approprié pour
déterminer le tribunal compétent, étant donné que ce recours n’aura pas pour
effet de faire perdre au propriétaire son droit de propriété de l’immeuble. Le
fait que son administration sera confiée au créancier détenteur de l’hypothèque
ne fait pas perdre au propriétaire la possession et le contrôle juridique de l’immeuble.
2930. L’hypothèque
légale de construction peut naître d’un contrat de construction portant sur la
construction ou la rénovation d’un immeuble qui, par la suite, a fait l’objet d’une
déclaration de copropriété divise. Le recours hypothécaire du créancier en
construction doit viser tous les copropriétaires des unités, lesquels seront
alors mis en cause par le créancier de construction. Dans ce cas, c’est la
valeur totale de l’immeuble qu’il faudra considérer afin de déterminer quelle
Cour a la compétence pour entendre le litige, et non uniquement la valeur d’une
unité de copropriété appartenant à l’un des mis en cause. En effet, dans la
mesure où c’est l’immeuble en entier qui a fait l’objet du contrat de
construction et des travaux de construction qui y sont prévus, l’assiette de l’hypothèque
légale de la construction sera cet immeuble en entier,
et non pas seulement une unité détenue par l’un des copropriétaires.
2931. Le choix de
recours fait par l’intervenant au stade du préavis est révocable. Le créancier
hypothécaire peut revenir sur sa décision d’exercer le recours mentionné dans
son préavis et ainsi opter pour un
[Page 1121]
autre recours tant qu’un
jugement n’a pas été rendu ou qu’il n’y a pas eu d’acte de délaissement
volontaire. Cependant, le
changement dans le choix du recours a pour effet d’annuler les actes accomplis
en vue d’exercer le recours initialement choisi dans le préavis. Le créancier
doit alors recommencer les mêmes démarches. Il doit,
ainsi, accomplir de nouveau la signification et l’inscription du préavis avec
toutes les informations requises par l’article 2757 C.c.Q. Le créancier n’est pas obligé d’attendre l’expiration du délai
prévu dans le premier préavis pour procéder à cette inscription du nouveau
préavis. Celui-ci comporte,
par contre, le même délai de délaissement que le préavis originel. Il faut agir
extrêmement prudemment à cet égard dans le domaine de l’hypothèque légale de la
construction, car le délai relatif à la conservation de l’hypothèque se termine
six mois après la fin des travaux ou de l’inscription de l’avis d’hypothèque
légale. Le premier préavis signifié et publié et qui a été déclaré invalide par
le tribunal, n’a pas pour effet d’interrompre le délai fixé à l’article 2727 C.c.Q. C’est pourquoi le deuxième préavis
doit absolument être inscrit dans ce délai de six mois, à défaut de quoi l’hypothèque
légale de construction sera éteinte.
2932. De plus, afin que l’hypothèque puisse être conservée au-delà du délai
de six mois de la fin des travaux ou de l’inscription de l’avis de l’hypothèque
légale, le préavis doit contenir une description précise de l’immeuble affecté
par l’hypothèque légale. Cette mention doit nécessairement être exacte pour que
le préavis soit enregistré au Registre foncier de l’immeuble construit ou
rénové.
2933. Finalement, le créancier doit, dans son préavis d’exercice du droit
hypothécaire, sommer le propriétaire de l’immeuble de remédier au défaut par le
paiement de la créance impayée dans le délai mentionné ou de délaisser l’immeuble
afin de lui permettre d’exercer son droit indiqué dans le préavis.
[Page 1122]
b) Délai d’exercice du recours hypothécaire
2934. Nous avons
déjà mentionné que l’intervenant doit attendre l’expiration du délai de
délaissement avant d’exercer son recours hypothécaire. La question demeure de
savoir s’il existe un délai maximal à l’intérieur duquel l’action peut être
intentée. L’inscription du préavis d’exercice du droit hypothécaire permet en
effet à l’hypothèque d’être conservée au-delà de six mois après la fin des
travaux, mais le Code civil du Québec n’indique aucun délai pour exercer
le recours indiqué dans le préavis. Tandis que l’existence de l’hypothèque est
assurée par l’inscription du préavis, le droit de s’en prévaloir est assujetti
aux délais légaux de prescription. L’action doit être intentée à l’intérieur
des délais prévus en matière de prescription.
L’article 2923 C.c.Q. précise qu’une action qui vise à faire valoir un droit
réel se prescrit par un délai de 10 ans. Le droit d’intenter une action
hypothécaire est acquis au moment de l’expiration du délai de délaissement
prévu dans le préavis d’exercice du droit hypothécaire, soit le délai de 60
jours. Il serait possible que l’action puisse être intentée dans les 10 ans de
l’expiration du délai de délaissement. Il ne peut, par contre, en être ainsi,
car l’hypothèque légale est un accessoire qui ne vaut qu’autant que la créance
de l’intervenant en construction dont elle garantit la satisfaction existe
(art. 2661 C.c.Q.). La créance de construction devient exigible à compter de la
date de la réception de l’ouvrage à moins qu’un délai de paiement ne soit
accordé au débiteur. Dans le cas d’un entrepreneur ou d’un fournisseur ayant
contracté directement avec le propriétaire de l’immeuble, le paiement du prix
peut être réclamé dès la réception de l’ouvrage.
Cette créance s’éteint en principe trois ans après la date à laquelle elle est
devenue exigible (art. 2925 C.c.Q.). À l’expiration de ce délai, l’intervenant
en construction ne peut plus intenter une action en paiement à l’encontre de
son débiteur, le propriétaire de l’immeuble, la dette de ce dernier étant alors
éteinte. Il convient de préciser qu’à l’intérieur de ce délai, toute aliénation
volontaire de l’immeuble par le propriétaire, ayant lieu suite à la publication du préavis d’exercice d’un droit
hypothécaire, sera inopposable au créancier de construction qui pourra
poursuivre les procédures relatives au recours qu’il exerce, sans avoir à intenter une nouvelle action. Les
deux exceptions à l’inopposabilité sont l’assumation de la dette par l’acquéreur
et la consignation par ce dernier d’une somme d’argent suffisante pour couvrir
la dette, les intérêts et les frais de l’intervenant en construction.
[Page 1123]
2935. Qu’arrive-t-il
à l’hypothèque légale publiée par l’entrepreneur ? Sera-t-elle aussi
éteinte ou survivra-t-elle bien que le droit à l’action personnelle en paiement
soit éteint ? Le principe établi à l’article 2661 C.c.Q., voulant que l’hypothèque
soit l’accessoire de la créance dont elle garantit le paiement, doit s’appliquer
à l’hypothèque légale. L’extinction de la créance découlant du contrat d’entreprise
engendre nécessairement l’extinction de l’hypothèque légale. Le législateur a
créé une hypothèque légale pour garantir aux intervenants en construction le
paiement de leurs créances et non pas pour les protéger de leur négligence. Le
but recherché par l’hypothèque légale n’est pas la création d’une charge qui
grève l’immeuble du client, mais plutôt d’assurer le paiement du prix du
contrat d’entreprise à celui qui exécute les travaux de construction ou de
rénovation. D’ailleurs, lorsqu’un intervenant en construction ne contracte pas
directement avec le propriétaire, mais avec l’entrepreneur ou un
sous-entrepreneur, son droit à l’action en paiement n’existe qu’à l’encontre de
ce dernier. Le propriétaire de l’immeuble qui n’est pas lié par un contrat avec
le sous-traitant ne peut donc être tenu envers ce dernier au paiement du
montant convenu avec l’entrepreneur. Dans ce cas, le paiement doit être réclamé
à ce dernier. L’inscription d’une hypothèque légale au registre de la publicité
foncière ne rend pas le propriétaire débiteur du montant dû au sous-traitant
par l’entrepreneur.
2936. Si l’action
en paiement du sous-traitant est éteinte par la prescription du délai de trois
ans (art. 2925 C.c.Q.), il serait paradoxal de ne pas conclure, aussi, à l’extinction
de l’hypothèque légale publiée par ce sous-traitant. L’hypothèque légale doit s’éteindre
par l’extinction du droit à la créance résultant de la construction. L’inscription
d’un préavis d’exercice d’un droit hypothécaire n’a pour effet que de conserver
le droit à l’hypothèque légale et ainsi d’empêcher son extinction après six
mois de la fin des travaux. D’ailleurs, si le droit à l’action personnelle
contre le véritable débiteur du sous-traitant est éteint, le propriétaire de l’immeuble,
qui se voit obligé d’acquitter la dette à sa place, ne peut plus exercer son
recours récursoire contre l’entrepreneur. Il ne faut pas faire assumer au
propriétaire de l’immeuble les conséquences de la négligence du sous-traitant
qui n’a pas réclamé, en temps opportun, le paiement de son débiteur. C’est
pourquoi son recours hypothécaire doit être rejeté, lorsque l’action en
recouvrement de sa créance est prescrite.
2937. De même, il
peut arriver que l’hypothèque légale soit remplacée par un dépôt en argent
auprès d’une institution financière, par le biais d’une substitution. La
substitution peut être demandée sans égard au type de recours hypothécaire
entrepris. L’hypothèque légale est alors radiée et le recours intenté est
modifié de telle façon qu’il ne fait
[Page 1124]
plus mention de l’immeuble qui était l’objet
de l’hypothèque légale, et traite plutôt de la créance exigible et de la
possibilité de la satisfaire à même le dépôt en argent, advenant un jugement en
faveur du créancier. Dans un tel cas de substitution, le propriétaire mis en
cause, n’étant pas lui-même débiteur, sera mis hors de cause, car bien que le
recours soit d’origine hypothécaire, il n’est plus de nature hypothécaire.
2) Le
délaissement
2938. Afin que l’intervenant puisse réaliser son droit hypothécaire, le
propriétaire de l’immeuble grevé de l’hypothèque doit délaisser l’immeuble.
Le délaissement constitue une deuxième étape importante à l’exercice du recours
hypothécaire.
a) Le délaissement volontaire
2939. Le délaissement
est volontaire lorsque le propriétaire délaisse l’immeuble dans le délai
imparti dans le préavis ou consent par écrit à le remettre au créancier à un
moment convenu (art. 2764 C.c.Q.). En fait, tout délaissement qui n’a pas été
ordonné par le tribunal constitue un délaissement volontaire, même s’il est
accompli à l’extérieur du délai prévu dans le préavis d’exercice d’un droit
hypothécaire. Le délaissement
volontaire suppose, de la part du propriétaire de l’immeuble, un geste positif
qui traduit son intention de ne pas faire échec au recours hypothécaire.
Les modalités du délaissement dépendent du recours choisi par l’intervenant. À
titre d’illustration, dans le cas où le recours choisi est la prise de
possession pour fins d’administration, le propriétaire doit remettre les clefs
de l’immeuble ainsi que tous les documents relatifs à l’administration de l’immeuble afin que l’intervenant puisse
exercer son droit hypothécaire en bonne et due forme et avec efficacité.
Le simple fait de quitter l’immeuble ne constitue pas un geste suffisant pour
constituer un délaissement volontaire de l’immeuble.
[Page 1125]
2940. L’article
2764 alinéa 2 C.c.Q. précise que le délaissement volontaire dans le cas d’une
prise en paiement comporte l’obligation de consigner par écrit le délaissement
de l’immeuble étant donné les conséquences importantes d’un tel recours. En
effet, l’écrit permet de prouver que le propriétaire de l’immeuble a compris
que la prise en paiement de l’immeuble a pour effet de transférer son droit de
propriétaire au profit de son créancier hypothécaire et qu’il donne son
consentement à l’acte écrit de délaissement qui constitue le titre de propriété
de l’intervenant (art. 2781 C.c.Q.). Rappelons que le délaissement volontaire,
à l’intérieur du délai imparti, n’a pas pour effet de permettre au créancier
hypothécaire de devenir, immédiatement, le propriétaire de l’immeuble ou d’intenter
son recours. En effet, les autres créanciers peuvent avoir intérêt à faire
échec au recours hypothécaire et tout intéressé peut remédier au défaut
mentionné dans le préavis. Ces derniers doivent bénéficier des délais prévus à
l’article 2758 alinéa 2 C.c.Q. L’intervenant ne peut donc exercer son recours
qu’à l’expiration du délai imparti dans son préavis.
2941. Si le
propriétaire a volontairement délaissé l’immeuble, le créancier ne doit faire
appel au tribunal que dans le cas où le recours hypothécaire qu’il entend
exercer est la vente sous contrôle de la justice. Dans ce cas, le tribunal doit
intervenir pour fixer les modalités de la vente. Dans tous les autres cas, le
créancier peut exercer son droit sans l’intervention du tribunal, dès l’expiration
du délai imparti dans le préavis d’exercice du recours hypothécaire.
b) Le délaissement forcé
2942. Le créancier
fait appel au tribunal pour obtenir une ordonnance contre le propriétaire, lui
enjoignant de délaisser l’immeuble (art. 2765 C.c.Q.) lorsque celui-ci refuse
de le faire volontairement. En principe, le tribunal émet une telle ordonnance
lorsqu’il constate l’existence de la créance, le défaut du débiteur, le refus
de délaisser l’immeuble et l’absence d’une cause valable d’opposition (art.
2765 C.c.Q.). L’intervenant doit
donc alléguer clairement tous ces éléments dans sa requête et, plus tard, en
faire la preuve pour que le tribunal puisse rendre son jugement. Dans le cadre de cette requête, le
propriétaire de l’immeuble peut contester l’existence, le montant, la liquidité
ou l’exigibilité de la créance de l’intervenant, il peut soulever l’absence d’un
défaut de sa part, l’irrégularité dans l’inscription ou la conservation de l’hypothèque,
l’irrégularité dans l’inscription ou la
[Page 1126]
signification du
préavis, etc.. Le droit de rétention
n’est toutefois pas considéré comme une cause d’opposition.
2943. Le propriétaire qui a des moyens à faire valoir à l’encontre de la
validité du recours hypothécaire doit pouvoir les invoquer dans le cadre de sa
contestation de la requête, même si un montant a été établi par un expert pour
la retenue prévue à l’article 2112 C.c.Q., avant que le jugement sur le fond ne soit rendu.
Par exemple, il peut invoquer des paiements qu’il a effectués, alors que leurs
montants n’ont pas été réduits par l’intervenant en construction du prix du
contrat ou comptabilisés comme paiements reçus. Il peut également demander la
réduction de son obligation envers l’intervenant en construction, par l’effet
de la compensation légale, au motif que ce dernier n’a pas entièrement exécuté
les travaux prévus au contrat. Il peut aussi invoquer son droit à une compensation judiciaire dans le cas où il a
subi des dommages qui ne sont pas encore établis.
En revanche, si le propriétaire n’a aucun moyen à faire valoir à l’encontre de
la requête, il est dans son intérêt de délaisser volontairement l’immeuble afin
d’éviter des frais judiciaires inutiles.
2944. Un délaissement forcé peut survenir même avant l’expiration du délai
indiqué dans le préavis. Selon l’article 2767 C.c.Q., le tribunal peut,
à la demande du créancier, ordonner le délaissement de l’immeuble
lorsque le recouvrement de la créance serait mis en péril ou lorsque le bien
est susceptible de dépérir ou de se déprécier rapidement.
Pour ce faire, l’intervenant en construction doit alléguer et prouver prima facie qu’il s’agit d’une situation urgente
et que, sans cette ordonnance, il subirait un préjudice irréparable. Les
critères applicables en matière de saisie avant jugement et en injonction
provisoire ou de sauvegarde s’appliquent à la demande du créancier hypothécaire
pour une ordonnance de délaissement anticipé.
[Page 1127]
2945. À titre d’illustration, le recouvrement d’une créance peut être jugé
comme étant mis en péril lorsque le débiteur devient insolvable, lorsqu’il
adopte un comportement généralement déloyal envers ses créanciers, lorsqu’il s’apprête
à accomplir des actes pouvant diminuer la valeur de l’immeuble grevé de l’hypothèque
légale, lorsqu’il commet des actes frauduleux ou lorsqu’il commet des actes
visant à soustraire ses biens de la garantie du créancier.
Au même titre, le cas où un immeuble à logements nécessite des réparations
urgentes avant le renouvellement des baux constitue une situation suffisante
pour justifier l’ordonnance d’un délaissement anticipé.
Par contre, il n’est pas suffisant de prouver que le débiteur ne rapporte pas l’ensemble
de ses revenus sujets à redevance. De la même manière, il est insuffisant d’alléguer
que le délaissement anticipé empêcherait la perte d’une offre d’achat de la
part d’un acheteur intéressé. En effet, cette situation
ne pourrait pas avoir comme conséquence de mettre la créance en péril.
2946. L’alinéa 2 de l’article 2767 C.c.Q. précise que cette demande de
délaissement hâté pour cause d’urgence ne doit pas être signifiée à celui
contre qui le recours est exercé. Par contre, l’ordonnance du tribunal obligeant le délaissement et
permettant le recours hypothécaire anticipé doit l’être. L’ordonnance de
délaissement anticipé fait exception au principe selon lequel nul recours ne
peut être intenté avant l’expiration du délai indiqué dans le préavis, car l’intervenant
est justifié, dans ce cas, d’exercer immédiatement son recours hypothécaire.
2947. Il est cependant nécessaire afin d’exercer l’exception prévue à l’article
2767 C.c.Q. que le préavis d’exercer un recours hypothécaire soit signifié
avant d’intenter l’action en délaissement. En effet, la production et la
signification du préavis sont des conditions essentielles au
[Page 1128]
recours, et ne peuvent
être considérées comme de simples formalités.
L’article 2767 C.c.Q. doit s’interpréter
de façon restrictive, puisque le délaissement forcé avant l’expiration du délai
imparti dans le préavis est une mesure extraordinaire et exceptionnelle.
Ainsi, toute demande en ce sens sans la signification d’un préavis d’exercice d’un
droit hypothécaire doit être considérée comme prématurée et par conséquent doit
être rejetée.
2948. L’article 2766 C.c.Q.
prévoit que lorsque la bonne foi du créancier ou son aptitude à administrer ou
à vendre l’immeuble est mise en doute, le tribunal peut, lorsqu’il est saisi d’une
requête en délaissement forcé, ordonner au créancier d’offrir une sûreté pour
garantir l’exécution de ces obligations. Ainsi, le créancier peut être
contraint d’offrir un cautionnement lorsque sa situation financière est
précaire et met en doute son habileté à exécuter correctement ses obligations.
c) Les effets du délaissement
2949. Grâce au délaissement de l’immeuble, l’intervenant en construction peut
exercer le recours hypothécaire qu’il a choisi. Comme nous l’avons mentionné,
exception faite du cas du recours anticipé prévu à l’article 2767 C.c.Q., l’intervenant
ne peut cependant exercer son recours qu’à l’expiration du délai prévu dans le
préavis d’exercice d’un droit hypothécaire (art. 2758 al. 2 C.c.Q.). Par
conséquent, entre le moment où le propriétaire a délaissé son immeuble et le
moment où l’intervenant exerce son droit hypothécaire, celui-ci a la simple administration de l’immeuble (art. 2768
C.c.Q.).
2950. Si le propriétaire de l’immeuble refuse de se conformer à l’ordonnance
de délaissement du tribunal, il sera tenu personnellement de la dette due au
créancier hypothécaire ayant intenté le recours en délaissement, même s’il n’est
pas le débiteur personnel de celui-ci (art. 2769 C.c.Q.). Il est dans son intérêt
soit de délaisser l’immeuble, soit de remédier au défaut du débiteur en payant
lui-même la créance de l’intervenant (art. 2761 C.c.Q.).
[Page 1129]
2951. Enfin, il importe de rappeler que le délaissement de l’immeuble a pour
conséquence de faire renaître les droits réels du propriétaire qu’il avait
éteints au moment de l’acquisition de l’immeuble ou alors qu’il en était
propriétaire, sauf si de tels droits réels ont fait l’objet d’une radiation au
registre.
B. Les différents recours
hypothécaires
2952. Le Code civil
prévoit quatre recours hypothécaires permettant la réalisation de la sûreté des
créanciers. Le choix du recours est réservé au créancier hypothécaire qui
publie un préavis d’exercice d’un droit hypothécaire.
Le Code précise par contre que le recours de la prise de possession pour fins d’administration
ainsi que celui de la vente par le créancier de gré à gré sont réservés au
créancier qui détient une hypothèque grevant un immeuble servant à l’exploitation
d’une entreprise.
1) La prise
de possession pour fins d’administration
2953. Le premier
recours prévu par le Code civil, à l’article 2773 C.c.Q., est la prise de
possession à des fins d’administration. Ce recours permet au créancier
hypothécaire de prendre possession de l’immeuble et de l’administrer afin de
satisfaire sa créance à même les revenus de l’immeuble. Il devra d’ailleurs
publier un avis de remise des biens dans le cadre de l’exercice de ce recours.
Il dispose de la pleine administration de l’immeuble durant l’exercice de son
droit. Rappelons tout de même que durant le délai de 10
jours prévu par l’article 2758 alinéa 2 C.c.Q.,
le créancier ne dispose que de droits de simple administration. Il s’ensuit que
même si le propriétaire de l’immeuble délaisse volontairement l’immeuble avant
l’expiration de ce délai, le créancier ne dispose que de pouvoirs de simple
administration jusqu’au moment où il pourra valablement exercer sa prise de
possession (art. 2768 C.c.Q.).
2954. La prise de possession pour fins d’administration n’est possible que si l’immeuble faisant l’objet de l’hypothèque
légale sert à l’exploitation d’une entreprise (art. 2773 C.c.Q.). La notion d’exploitation
d’une entreprise, qui est définie à l’article 1525 C.c.Q., réfère à l’exercice
[Page 1130]
d’une activité
économique organisée, ayant ou non un caractère commercial,
et consistant en la fourniture de prestations de services.
Étant donné que cette définition inclut le cas d’un locateur qui loue les
espaces de son immeuble à divers locataires, il est possible pour le créancier
hypothécaire de prendre en possession l’immeuble pour l’administrer dans le
dessein de satisfaire sa créance.
2955. La prise de
possession prend fin lorsque le créancier a satisfait à sa créance incluant
capital, intérêts et frais (art. 2667 C.c.Q.). Elle prend également fin lorsqu’un
autre créancier fait échec à son recours hypothécaire en invoquant son rang
privilégié (art. 2750 C.c.Q.) ou lorsque le créancier publie un nouveau préavis
d’exercice du droit hypothécaire dans le but d’exercer un autre recours
hypothécaire (art. 2775 C.c.Q.). En outre, la prise de possession peut prendre
fin dans les circonstances prévues au chapitre du Code civil du Québec concernant
l’administration du bien d’autrui (art. 1355 à 1362 C.c.Q.). Dans ce cas, le
créancier doit rendre compte de son administration et remettre l’immeuble à
celui contre qui le recours a été exercé.
2956. La fin de la
prise de possession pour fins d’administration n’empêche pas le créancier d’exercer
un autre recours hypothécaire lorsque sa créance n’a pas été entièrement
satisfaite (art. 2776 C.c.Q.). Si, au contraire, la prise de possession a
permis au créancier de satisfaire complètement sa créance, il doit remettre à
celui contre qui le recours a été exercé le surplus des revenus accumulés lors
de son administration et qui
excèdent le montant de la créance, les dépenses faites pour l’administration de
l’immeuble ainsi que les frais engagés pour exercer le recours relatif à la
possession du bien.
2957. L’article
2748 C.c.Q. ne fait aucune distinction entre un créancier qui détient une
hypothèque conventionnelle et un créancier qui détient une hypothèque légale,
de sorte que l’un ou l’autre peut exercer les divers recours hypothécaires.
Cependant, le créancier détenant une hypothèque légale peut voir son droit se
restreindre s’il décide d’exercer un recours en prise de possession pour fins d’administration.
Rappelons que ce recours permet au créancier de récolter les revenus de l’immeuble
pour satisfaire à sa créance à même le montant des revenus générés par l’immeuble
grevé de l’hypothèque. Or, le créancier qui détient une hypothèque
conventionnelle immobilière dispose souvent d’une cession de loyer accordée
dans son contrat hypothécaire. Lorsque c’est le cas, le créancier qui détient
une hypothèque légale ne peut avoir préséance sur le créancier hypothécaire
conventionnel puisque l’hypothèque de premier rang se limite à la plus-value
conférée à l’immeuble par les travaux (art. 2952 C.c.Q.). Or, les revenus de l’immeuble
ne sont
[Page 1131]
pas dus aux travaux
de construction ou de rénovation à moins qu’il ne s’agisse d’une nouvelle construction immobilière ou de travaux de rénovation qui ont permis à
l’immeuble de produire des revenus. Au contraire,
lorsque les travaux de rénovation ou
d’agrandissement ne sont pas la source de revenus, il
devient difficile pour un créancier détenant une hypothèque légale d’avoir un
droit prioritaire sur un créancier hypothécaire conventionnel qui dispose d’une
cession de loyers. Dans le cas d’une prise de possession pour fins d’administration,
le créancier hypothécaire conventionnel doit avoir préséance sur le détenteur d’une
hypothèque légale, sauf lorsque l’hypothèque légale de la construction
bénéficie d’un rang prioritaire en raison de sa date d’inscription qui est
antérieure à celle de la publication de l’hypothèque conventionnelle (art. 2745
C.c.Q.).
2) La prise
en paiement
2958. Le deuxième recours hypothécaire prévu par le Code civil est la prise
en paiement. Ce recours est offert à tous les créanciers hypothécaires et non
seulement à ceux qui détiennent une hypothèque sur un immeuble qui sert à l’exploitation
d’une entreprise. Cependant, lorsque le débiteur a acquitté plus de la moitié
de la créance, le créancier doit
obtenir l’autorisation du tribunal avant de procéder à la prise en paiement de
l’immeuble. Cette mesure de protection prévue à l’article 2778 C.c.Q. vise à
empêcher un créancier de prendre un bien en paiement en réalisation d’une
créance qui est peu importante au moment de l’exercice du recours et ainsi
éviter qu’un débiteur ayant acquitté la majorité de sa dette soit traité de
manière inéquitable.
2959. La prise en
paiement éteint la créance de l’intervenant en construction qui prend l’immeuble
en paiement (art. 2782 C.c.Q.). Une fois que l’intervenant
a pris l’immeuble en paiement, il ne pourra
[Page 1132]
pas intenter un
autre recours hypothécaire ni une
action personnelle dans le dessein de satisfaire le solde de sa créance qui demeure impayé.
Avant de décider d’exercer une prise en paiement, l’intervenant
doit bien évaluer les charges qui grèvent l’immeuble ainsi que la valeur exacte
de celui-ci afin de vérifier s’il peut obtenir satisfaction intégrale de sa
créance par la prise en paiement.
2960. Bien que l’article 2783 C.c.Q.
prévoie que le créancier prend l’immeuble en paiement libre de toutes
hypothèques publiées après la sienne, il est évident qu’en ce qui concerne l’hypothèque
légale de la construction qui dispose d’un premier rang, cet article doit être
entendu comme voulant que le bien soit libre de toutes hypothèques de rang
postérieur à celui qui exerce son recours. Il s’ensuit que l’intervenant en
construction, même s’il dispose d’une hypothèque de premier rang quant au
montant de la plus-value conférée à l’immeuble (art. 2952 C.c.Q.), prendra l’immeuble
libre de toutes hypothèques, à l’exception des hypothèques conventionnelles
publiées avant son hypothèque ainsi que les hypothèques légales de la
construction et les créances garanties par une « fiducie réputée » à
caractère prioritaire. En effet, celles-ci continueront de grever l’immeuble à
la suite de la prise en paiement puisqu’elles partagent le même rang que l’intervenant
qui exerce son recours (art. 2783 et 2952 C.c.Q.). Rappelons que tous les
droits réels, incluant les hypothèques légales de la construction, qui ont été
créés à la suite de l’inscription du préavis d’exercice du droit hypothécaire,
sont inopposables à l’auteur de ce préavis. De même, les créances prioritaires
des municipalités et des commissions scolaires pour les impôts fonciers (art.
2651 al. 5 C.c.Q.) continuent d’affecter l’immeuble après la prise en paiement.
Ces hypothèques sont constitutives d’un droit réel et bénéficient, par
conséquent, d’un droit de suite (art. 2654.1 C.c.Q.). Les créanciers de rang
postérieur, qui perdent leur droit hypothécaire affectant l’immeuble pris en
paiement, conservent leur action personnelle contre leur débiteur en
recouvrement de leur créance.
2961. Le recours en prise en paiement peut donc avoir des conséquences
importantes qui affectent les droits de tous les créanciers de rang postérieur.
C’est pourquoi le législateur a prévu la possibilité pour tous ces créanciers
subséquents ainsi que pour le débiteur d’exiger que l’intervenant en
construction abandonne le recours en prise en paiement pour procéder lui-même à
la vente de l’immeuble ou à la vente sous
[Page 1133]
contrôle de la justice
(art. 2779 C.c.Q.). Dans un tel
cas, l’intervenant en construction occupe une place très privilégiée puisque
celui qui fait échec à son recours doit lui rembourser les frais qu’il a
engagés. Il doit aussi avancer les sommes nécessaires à la vente du bien (art.
2779 al. 1 C.c.Q.) et lui fournir un cautionnement pour garantir le paiement de
sa créance, à l’exception du débiteur, qui n’est pas soumis à cette obligation
de se porter caution (art. 2779 al. 3 C.c.Q.).
De plus, celui qui entend faire échec à la prise en paiement doit, au
préalable, inscrire un avis à cet effet au Registre foncier dans le délai
imparti dans le préavis d’exercice de la prise en paiement pour délaisser l’immeuble,
lequel avis doit être signifié à l’intervenant, à son débiteur ainsi qu’à celui
contre qui le recours est exercé (art. 2779 al. 2 C.c.Q.).
2962. L’article 2750 C.c.Q. ne
permet qu’aux créanciers de rang antérieur de faire échec au recours en prise
en paiement. Or, l’intervenant en construction dispose d’une hypothèque légale
de premier rang pour le montant correspondant à la plus-value (art. 2952
C.c.Q.). Dans ce cas, seul l’article 2779 C.c.Q. est applicable et le débiteur,
propriétaire de l’immeuble, ou les créanciers qui souhaitent empêcher la prise
en paiement de l’immeuble devront remplir toutes les conditions prévues par cet
article.
2963. La situation est encore beaucoup plus difficile pour les créanciers
hypothécaires de la construction qui disposent tous d’une hypothèque de premier
rang pour le montant correspondant à la plus-value en vertu de l’article 2952
C.c.Q. Aucun d’entre eux n’a priorité quant à l’exercice du recours
hypothécaire puisqu’ils partagent tout le même rang. Ils ne peuvent donc pas s’opposer
à la prise en paiement exercée par un autre créancier hypothécaire de la
construction en vertu de l’article 2750 C.c.Q. Ils ne peuvent, non plus, se
prévaloir de l’article 2779 C.c.Q., puisque celui-ci ne vise que les créanciers
de rang postérieur.
2964. Dans le cas
où un seul créancier d’une hypothèque légale opte pour la prise en paiement,
tandis que les autres créanciers de la construction souhaitent vendre l’immeuble
sous contrôle de la justice, le créancier qui insiste pour prendre l’immeuble
en paiement pourrait être contraint de désintéresser ces derniers.
Par contre, dans le cas où plusieurs créanciers hypothécaires de la
construction voudraient prendre l’immeuble en paiement, une priorité peut être
reconnue,
[Page 1134]
conformément à l’article 2945 C.c.Q., à l’intervenant ayant inscrit son hypothèque
légale en premier.
2965. La prise en paiement a pour effet de transférer le droit de propriété
au profit de l’intervenant en construction, rétroactivement à la date de la
publication du préavis d’exercice de la prise en paiement (art. 2783 C.c.Q.).
Ainsi, le jugement qui ordonne le délaissement de l’immeuble ou l’acte
volontaire de délaissement qui a été consigné par écrit constitue le titre de
propriété de l’intervenant (art. 2781 C.c.Q.).
3) La vente
sous le contrôle de la justice
2966. Le troisième
recours prévu par le Code civil est la vente de l’immeuble par le créancier
(art. 2784 C.c.Q.). Ce recours, tout comme le recours en prise de possession
pour fins d’administration, n’est possible que lorsque l’immeuble faisant l’objet
de l’hypothèque légale sert à l’exploitation d’une entreprise (art. 1525 C.c.Q.). Cette vente peut être réalisée
soit de gré à gré, soit par appel d’offres ou aux enchères
(art. 2784 in fine C.c.Q.). Elle doit être faite sans retard inutile pour un prix
raisonnable eu égard à la valeur marchande de l’immeuble, mais dans tous les
cas dans le meilleur intérêt du propriétaire. Ainsi, le créancier a la charge
de trouver le plus d’acheteurs possible au moyen d’annonces dans les journaux,
en procédant au moyen d’un appel d’offres, etc..
Le créancier qui ne s’acquitte pas de ses obligations découlant de ce choix de
recours hypothécaire sera responsable du préjudice causé à son débiteur et à
ses cautions, le cas échéant.
2967. L’intervenant qui procède à la vente agit au nom du propriétaire de l’immeuble
et doit dénoncer sa qualité de créancier hypothécaire à l’acquéreur lors de la
vente (art. 2786 C.c.Q.). Celui-ci prend alors l’immeuble à charge des droits
réels qui le grevaient au moment de l’inscription du préavis d’exercice d’un
droit hypothécaire, à l’exclusion des hypothèques de la construction ainsi que
de celles qui primaient ces dernières. Le produit de
la vente acquitte premièrement les frais
[Page 1135]
engagés dans la
réalisation de la vente de l’immeuble, ensuite, les créances qui priment celle
de l’intervenant qui a vendu l’immeuble puis, finalement, les créances de la
construction (art. 2789 C.c.Q.).
2968. Une situation particulière se produit lorsque l’intervenant qui exerce
un recours hypothécaire dans le dessein de vendre lui-même l’immeuble s’en
porte lui-même acquéreur. Dans ce cas, l’article 1695
C.c.Q. prévoit que la créance de l’intervenant qui a
acheté l’immeuble est réputée être acquittée jusqu’à concurrence de la valeur
marchande de l’immeuble et non seulement quant à son prix de vente, étant donné
qu’il profite de la pleine valeur de l’immeuble. En effet, puisque la vente
résultant de l’exercice d’un recours hypothécaire est faite hâtivement en
conformité avec l’article 2785 C.c.Q.,
qui prévoit qu’elle doit être faite sans retard inutile, le produit de la vente
est souvent bien moindre que la valeur marchande de l’immeuble. L’intervenant
en construction profite d’un immeuble dont la valeur est supérieure au prix de
vente qu’il a payé. Il serait impensable de permettre au créancier hypothécaire
ayant acquis l’immeuble à un prix inférieur à sa valeur marchande de jouir de
la pleine valeur de l’immeuble, tout en conservant une créance à l’encontre de
son débiteur. Si tel était le cas, tout créancier aurait intérêt à exercer ce
recours, à acheter l’immeuble à un prix commercialement raisonnable, à
conserver une partie de sa créance à l’encontre de son débiteur et à vendre l’immeuble
par la suite, de manière à recevoir un prix équivalant à sa valeur marchande.
Ceci reviendrait à permettre à ce créancier de s’enrichir injustement, au
détriment de l’intérêt de son débiteur.
4) La
vente sous contrôle de la justice
2969. Le quatrième et dernier recours prévu par le Code civil du Québec est
la vente sous contrôle de la justice (art. 2791 C.c.Q.). Ce recours est ouvert à tous les créanciers et non seulement à
ceux qui détiennent une hypothèque grevant un immeuble servant à l’exploitation
d’une entreprise. Il ne peut se réaliser, évidemment, sans l’intervention du
tribunal qui doit désigner la personne qui procède à la vente,
déterminer les conditions et les charges de la vente, indiquer si elle doit
être faite de gré à gré, par appel d’offres ou aux enchères (art. 2791 C.c.Q.).
De plus, le tribunal peut fixer une mise à prix de l’immeuble.
2970. Le jugement autorisant la vente de l’immeuble sous contrôle de la
justice comporte deux volets soit premièrement l’ordonnance de délaisser l’immeuble
et l’autorisation de vendre l’immeuble sous contrôle
[Page 1136]
de la justice et deuxièmement la détermination
des conditions et des charges de
cette vente. Le premier volet fait autorité de la chose jugée et nul ne
pourrait donc retourner devant le tribunal pour demander de révoquer l’autorisation
de la vente. Par contre, le deuxième volet réfère à des éléments qui peuvent
faire l’objet d’une nouvelle demande devant le même tribunal, dans le dessein
de modifier les conditions de la vente prescrites par le premier jugement.
2971. La vente a
pour effet de purger tous les droits réels grevant l’immeuble (art. 2794
C.c.Q.). L’acquéreur prendra l’immeuble libre de toute hypothèque. Le créancier
de la construction peut acquérir l’immeuble aux mêmes conditions que celles
énoncées dans la section de la vente par le créancier. Le produit de la vente
sera partagé selon le rang des créances prioritaires et des hypothèques qui
grèvent l’immeuble. Il importe de noter que même si la créance hypothécaire
comporte un terme dont il aurait été convenu dans le contrat de construction,
celle-ci devient exigible dès le moment de la vente de l’immeuble hypothéqué
par l’effet de l’article 767 alinéa 3 C.p.c. Rappelons que bien que les
créanciers perdent leur droit hypothécaire affectant l’immeuble vendu, ils
conservent leur action personnelle contre leur débiteur en recouvrement de leur
créance, dans le cas où le produit de la vente de l’immeuble serait insuffisant
pour acquitter intégralement les créances garanties par les hypothèques.