Art. 2129. Le client est tenu, lors de la résiliation du contrat, de payer à
l’entrepreneur ou au prestataire de services, en proportion du prix convenu,
les frais et dépenses actuelles, la valeur des travaux exécutés avant la fin
du contrat ou avant la notification de la résiliation, ainsi que, le cas
échéant, la valeur des biens fournis, lorsque ceux-ci peuvent lui être remis
et qu’il peut les utiliser.
L’entrepreneur ou le prestataire de
services est tenu, pour sa part, de restituer les avances qu’il a reçues en
excédent de ce qu’il a gagné.
Dans l’un et l’autre cas, chacune des
parties est aussi tenue de tout autre préjudice que l’autre partie a pu
subir.
|
|
Art. 2129. Upon resiliation of the contract, the
client is bound to pay to the contractor or the provider of services, in
proportion to the agreed price, the actual costs and expenses, the value of
the work performed before the end of the contract or before the notice of
resiliation and, as the case may be, the value of the property supplied,
where it can be put into his hands and used by him.
For his part, the contractor or the
provider of services is bound to repay any advances he has received in excess
of what he has earned.
In either case, each party is liable for
any other injury that the other party may have suffered.
|
[Page 849]
C.c.B.-C.
1691. Le maître peut résilier, par sa seule volonté, le
marché à forfait pour la
construction d’un édifice ou autre ouvrage, quoique l’ouvrage
soit déjà commencé, en dédommageant l’entrepreneur de ses dépenses actuelles et
de ses travaux et lui payant des dommages-intérêts suivant les circonstances.
1693. Au dernier
cas mentionné en l’article qui précède, le maître est tenu de payer aux
représentants légaux de l’ouvrier, en proportion du prix porté par la
convention, la valeur de l’ouvrage fait et des matériaux fournis, lorsque ces
travaux et ces matériaux peuvent lui être utiles.
C.c.Q. : art. 1492, 1602, 1611, 1613, 1693, 1694, 1699 et suiv., 2125, 2126.
1. Introduction
A. Régime particulier : conditions et critères
2240. Le régime
particulier d’indemnisation de l’article 2129 C.c.Q. constitue une exception
aux règles de droit commun en matière d’indemnisation. Pour que ce régime
exceptionnel trouve son application, il faut que la résiliation du contrat par le client ou par l’entrepreneur
ou prestataire de services soit conforme respectivement aux conditions requises
par l’un des articles 2125 C.c.Q.
et suivants.
2241. Dans le cas
où le client s’est engagé par une stipulation contractuelle à transmettre à l’entrepreneur
ou au prestataire de services un
préavis d’un délai déterminé, il ne peut se prévaloir du régime particulier
prévu à l’article 2129 C.c.Q.
advenant son défaut de transmettre ce préavis. Le client doit respecter la
clause stipulant la nécessité de transmettre un préavis de résiliation d’un
délai déterminé avant qu’une telle résiliation n’entre en vigueur. Le client
doit se conformer à cette clause et donner le préavis de résiliation tout en
respectant le délai prévu à cet effet. S’il agit autrement, il ne pourra se
prévaloir du régime d’indemnisation prévu à l’article 2125 C.c.Q. et risque d’engager
sa responsabilité envers l’entrepreneur ou le prestataire de services. Il peut
ainsi se voir condamné à payer une indemnité pour des préjudices qui ne sont
pas normalement accordés en vertu de l’article 2129 alinéa 3 C.c.Q.
2242. De même,
lorsque le client ou l’entrepreneur ou le prestataire de services exerce son
droit à la résiliation unilatérale de façon déraisonnable et contraire aux
exigences de la bonne foi (articles 6, 7 et 1375 C.c.Q.), cette résiliation
constitue une faute qui engage la responsabilité de son auteur envers le
client. Il sera tenu d’indemniser ce dernier pour le préjudice ou les dommages
qui résultent d’une telle résiliation
[Page 850]
selon les règles de
droit commun applicables en matière d’indemnisation. De même, tout exercice par
le client de son droit à la résiliation du contrat de manière déraisonnable
pourrait engager sa responsabilité pour les dommages causés à l’entrepreneur ou
au prestataire de services selon les règles de droit commun régissant la
responsabilité contractuelle et non pas selon les règles prévues à l’article 2129 C.c.Q..
2243. L’article 2129 C.c.Q.
prévoit donc un régime d’indemnisation en matière de résiliation d’un contrat d’entreprise
ou de prestation de services qui déroge au régime de droit commun établi aux
articles 1607, 1611 et 1613 C.c.Q. L’article 2129
C.c.Q. précise les critères applicables pour déterminer le
montant de l’indemnité à payer en cas de résiliation unilatérale du contrat en
vertu des articles 2125 et
suivants C.c.Q. Ce montant alloué en vertu de cet article devra simplement être
proportionnel et dépendra de l’état d’avancement des services rendus ou des
travaux exécutés.
2244. Le premier
alinéa de l’article 2129 C.c.Q. concerne les obligations
du client, tandis que le deuxième alinéa réfère aux
obligations de l’entrepreneur et du prestataire de services. Le troisième
alinéa s’applique plutôt à toutes les parties contractantes lors d’une
résiliation du contrat. Ces trois alinéas s’appliquent à tous les cas où la
résiliation unilatérale est faite conformément aux articles 2125 C.c.Q. et suivants.
2245. Dans le cas où la résiliation du contrat est faite par l’entrepreneur
ou le prestataire de services conformément à l’article 2126 C.c.Q., le client
sera tenu à indemniser ces derniers de la même façon que si la résiliation
avait été faite par lui. Ainsi, la valeur des travaux exécutés ou des services
rendus sera déterminée selon les critères établis par la disposition prévue à l’article
2129 C.c.Q..
2. Résiliation
par le client
A. Obligations du client : notions et portée
2246. Le client qui résilie unilatéralement son contrat en vertu de l’article
2125 C.c.Q., doit payer à son
cocontractant, dans un premier temps, la valeur des travaux exécutés ou les
prestations fournies avant
[Page 851]
la fin du contrat ou
avant la notification de sa résiliation. Dans certains
cas, la notification de la décision relative à la résiliation du contrat peut
être retardée et ne pas coïncider avec le moment où le client a pris sa
décision. Dans ce cas, tout travail ou prestation effectuée avant cette
notification doit donc être compensé, même lorsque l’exécution a été effectuée
après la prise de la décision de résiliation.
2247. Le client
doit, en principe, payer les frais et dépenses raisonnablement
encourus dans le cadre de l’exécution du contrat à la date de la signification
de la résiliation. Il peut s’agir des
frais de service encourus par l’entrepreneur lui-même ou par un sous-traitant
engagé par ce dernier pour exécuter une partie du contrat d’entreprise que le
client a résilié ou des frais relatifs
à la prise de photographies du bâtiment ou à l’obtention d’un permis de
construction ou de rénovation d’un immeuble.
En revanche, ne doivent pas être remboursés, les frais liés à la préparation de
la soumission puisque ceux-ci ne sont pas la conséquence de la conclusion du
contrat d’entreprise qui a été résilié. En effet, ces
frais auraient été défrayés même en l’absence de la conclusion
du contrat. Il ne peut donc y avoir lieu de les
rembourser.
B. Valeur des travaux et des prestations
2248. L’article 2129 C.c.Q.
parle de la valeur des travaux exécutés ou des prestations fournies avant la
fin du contrat ou avant la notification de la résiliation.
Il appartient donc à l’entrepreneur ou au prestataire de services de faire la
preuve que les travaux ou les prestations pour lesquels il réclame une
compensation ont été exécutés ou fournis avant la résiliation ou sa
notification.
[Page 852]
2249. La valeur représentant les travaux ou les prestations peut être
déterminée selon le pourcentage des travaux exécutés ou les prestations
fournies par rapport au prix total du contrat.
Cette méthode peut cependant être écartée dans le cas où les valeurs sont
basées sur des suppositions ainsi que des présomptions. Par contre, le tribunal
peut opter pour cette méthode s’il est d’avis que celle-ci est adéquate pour
rendre justice aux parties. En un tel cas, le choix de cette méthode ne
constitue pas une erreur pouvant justifier l’intervention de la Cour d’appel
puisque le juge de première instance ne fait qu’exercer dans ce cas son pouvoir
d’appréciation. Dans tous les cas,
elle devra correspondre à la valeur réelle des travaux exécutés ou des
prestations fournies, indépendamment du type de contrat intervenu
ou du mode de paiement prévu. Ainsi, le fait que le
contrat conclu est à forfait n’influencera pas la détermination de l’indemnisation
qui doit être limitée à la valeur des travaux réellement quantifiable.
2250. L’obligation du client de payer une indemnité à son cocontractant
dépend des circonstances propres à chaque cas. L’entrepreneur ou le prestataire
de services qui réclame des dommages-intérêts suite à la résiliation du contrat
doit en faire la preuve et justifier sa réclamation selon les critères prévus à
cet article.
2251. Dans le cas d’un contrat qui met à la charge du client le paiement du
coût du projet et prévoit une rémunération de l’entrepreneur ou du prestataire
de services selon un pourcentage de ce coût, l’indemnisation de ce dernier
devra être calculée selon le même pourcentage, mais par rapport seulement au
coût des travaux exécutés avant la résiliation du contrat. Par contre, dans le
cas d’un contrat de prestation de services dont la rémunération est tributaire
de l’atteinte d’un résultat par le prestataire, ce dernier devra être payé,
suite à la résiliation du contrat par le client, selon la valeur des services
rendus sans égard à ce résultat.
[Page 853]
2252. L’entrepreneur
ou le prestataire de services doit également être
indemnisé pour l’ensemble des travaux exécutés au moment de la résiliation,
même si certains travaux n’étaient pas prévus dans le contrat ou ont été
modifiés par la suite. Ainsi, l’entrepreneur ou le prestataire de services doit
être indemnisé pour les travaux supplémentaires ou pour les modifications ayant
été demandées par le client. Le fait que l’entente intervenue ne prévoit pas le
prix à payer pour ces travaux ne doit pas empêcher l’entrepreneur ou le
prestataire de services d’être indemnisé en conséquence.
En l’absence d’entente ou de stipulation, les coûts excédentaires des ajouts ou
des changements demandés par le client peuvent être déterminés selon les usages
et les coûts standards du marché. Cette interprétation est conforme au dernier
alinéa de l’article 2129 C.c.Q., qui prévoit que chacune des parties est tenue
de tout autre préjudice que l’autre partie a pu subir, dans le contexte d’une
résiliation qui n’est pas fautive.
2253. Par contre,
dans le cadre d’un contrat à forfait, les coûts générés par des travaux
supplémentaires qui n’ont pas été demandés par le client et qui n’ont pas fait
l’objet d’une entente avec lui ne seront pas compensés et l’entrepreneur devra
en assumer les coûts. Ainsi, seuls les
travaux initialement prévus dans le contrat et qui ont été réellement exécutés
au moment de la résiliation du contrat pourront être indemnisés.
Cependant, les travaux exécutés avant la résiliation du contrat peuvent
exceptionnellement être indemnisés même s’ils n’avaient pas été prévus
initialement dans le contrat ou s’ils font l’objet d’une entente postérieure, à
condition que ces travaux aient été imprévisibles au moment de l’estimation,
mais qu’ils soient apparus utiles et nécessaires à l’ouvrage envisagé. Il ne
faut pas permettre au client de s’enrichir injustement au détriment de l’intérêt
de l’entrepreneur lorsque les travaux exécutés sont utiles et qu’il en tire un
avantage. En un tel cas, si le tribunal trouve injuste d’accorder leur coût à l’entrepreneur,
il pourra néanmoins accorder à ce dernier un montant équivalant à l’enrichissement
du client.
2254. Il importe
toutefois de noter que la qualité des travaux exécutés doit être conforme aux
stipulations du contrat et aux règles de l’art.
[Page 854]
Ainsi, les frais
afférents aux travaux qui ont été mal exécutés ne peuvent faire l’objet d’une
réclamation fondée sur l’article 2129 C.c.Q.. En d’autres termes,
afin que l’entrepreneur soit en droit d’obtenir paiement pour les travaux
exécutés, il doit démontrer que ces travaux ont été initialement prévus dans le
contrat, ou ont fait l’objet d’une demande par le client ou d’une entente
postérieure, et qu’ils sont conformes aux règles de l’art.
2255. Le client qui exerce son droit de résiliation unilatérale est tenu
également au paiement du prix des biens fournis, le cas échéant, lorsque ces
biens remis ne sont pas utilisables ailleurs par l’entrepreneur ou le
prestataire de services. Il en est de même pour les biens ou les produits
destinés spécifiquement à des fins d’entretien de l’ouvrage réalisé ou à être
réalisé si le contrat n’avait pas été résilié par le client.
Il doit également payer le prix des biens fournis et qui sont déjà incorporés
dans l’ouvrage.
2256. Il importe de noter que les critères établis à l’article 2129 C.c.Q. ne s’appliquent pas lorsque la
résiliation du contrat par le client est faite de mauvaise foi ou de façon
déraisonnable. Cela dit, lorsque le droit à la résiliation prévu à l’article 2125 C.c.Q. est exercé par le client de façon
déraisonnable ou de mauvaise foi, l’entrepreneur ou le prestataire de service
pourra avoir droit à une indemnité entière établie selon les règles de droit
commun applicables en matière d’indemnisation.
1) Travaux
exécutés après la résiliation
2257. L’entrepreneur
ou le prestataire de services doit en principe mettre fin à l’exécution du contrat
dès la réception de l’avis de résiliation du contrat donné par le client. Les
travaux exécutés ou les prestations fournies après cette réception ne peuvent
faire l’objet d’une indemnisation selon l’alinéa 1 de l’article 2129 C.c.Q. Exceptionnellement,
certains travaux nécessaires à la protection de la partie des travaux exécutés
peuvent faire l’objet d’une réclamation à condition que l’entrepreneur ou le
prestataire de services fasse la preuve de la nécessité de faire ces
[Page 855]
travaux dans l’intérêt
du client. Il est préférable que l’entrepreneur ou le prestataire de services
lorsque du point de vue professionnel, il juge utile l’accomplissement de
certains travaux ou la fourniture de certaines prestations nécessaires à la
protection de ce qui est déjà exécuté avant l’avis de résiliation ou de le
rendre plus utile pour le client, de recommander à ce dernier de faire ces
travaux et de conclure avec lui une entente à cet effet. En l’absence d’une
telle entente, l’entrepreneur ou le prestataire de services pourra
difficilement obtenir la valeur de ces travaux ou prestations à moins d’une
démonstration qu’il était obligé de les faire, afin de ne pas engager sa
responsabilité plus tard pour des malfaçons ou des déficiences ou la perte de
ce qui était déjà exécuté, ou afin d’éviter qu’un dommage ne lui soit causé.
2258. En présence d’un
contrat de consommation, le prestataire des services doit cesser le service dès
la réception de l’avis de résiliation donné par le consommateur. Il n’a aucun
droit de facturer pour les services fournis après la date de la résiliation.
Toute conduite contraire constitue une violation aux dispositions des articles
214.6 et 272 de la Loi sur la protection du consommateur et qui sera
sanctionnée par la condamnation du prestataire de services à rembourser le
montant obtenu et à payer des dommages-intérêts punitifs en raison de la violation des dispositions d’ordre public.
2) Travaux exécutés par un tiers
2259. L’entrepreneur
ou le prestataire de services ne peut réclamer la valeur des travaux qui ont
été exécutés par un tiers lorsqu’il n’est pas tenu envers celui-ci de les
payer. En fait, l’entrepreneur ou le prestataire de services ne peut réclamer
que pour les travaux ou les prestations qui relèvent de sa responsabilité. La
résiliation unilatérale du contrat par le client ne doit pas lui permettre de s’enrichir
injustement au détriment de l’intérêt de ce dernier ou d’un tiers envers lequel
il n’a aucune obligation.
C. Autre préjudice selon l’alinéa 3 de l’article 2129 C.c.Q.
1) Notion de préjudice
2260. La notion de préjudice de l’article 2129 alinéa 3 C.c.Q. se distingue de celle du préjudice de l’article
1611 C.c.Q., puisqu’il résulte de
[Page 856]
l’exercice d’un
droit et vise à indemniser
seulement la perte subie en excluant le gain dont l’entrepreneur ou le
prestataire de services est privé.
Il ne faut pas perdre de vue que le client qui résilie son contrat
unilatéralement exerce un droit strict que lui confère l’article 2125 C.c.Q. Il ne peut pas être obligé à
compenser son contractant de la même façon que s’il avait commis une faute
contractuelle devant être sanctionnée, tel qu’il est prévu dans le régime d’indemnisation
de droit commun.
2261. Ainsi, le mot « préjudice » doit être interprété restrictivement,
afin d’exclure toute indemnisation pour le gain manqué ou le profit que l’entrepreneur
ou le prestataire de services aurait pu réaliser si le contrat n’avait pas été
résilié. Il ne peut donc pas comprendre les pertes de profit anticipé par le cocontractant.
Il faut rappeler à cet effet que la résiliation prévue par l’article 2125
C.c.Q. est une résiliation de plein droit qui diffère de la résiliation pour
faute contractuelle. Par conséquent, l’indemnité à être accordée pour la
rupture d’une relation contractuelle suite à l’exercice de ce droit prévu dans
la loi doit être différente de celle qu’on accorde en raison de l’inexécution d’une
obligation. La perte de profit ne peut alors pas être réclamée dans le cadre d’une
résiliation sous cet article.
2262. Une telle interprétation est conforme à l’objectif visé par cette
disposition qui accorde le droit au client de résilier son contrat d’entreprise
ou de prestation de services en tout temps sans avoir à fournir un motif
sérieux ni à voir engager sa responsabilité. Toute interprétation ou
application qui ne prend pas en considération le régime d’indemnisation
particulier établi par le législateur rend donc inutile le
[Page 857]
premier alinéa de l’article 2129 C.c.Q.
et enlève tout avantage que l’article 2125 C.c.Q. confère au client.
2263. Il faut toujours garder à l’esprit que l’article 2129 C.c.Q. est une disposition dérogatoire au
droit commun et donc, notamment, aux articles 1604 et 1611 C.c.Q.
Conséquemment, la notion de préjudice prévu à son alinéa 3 doit être limitée à ce qui découle
directement de la résiliation et ainsi, éviter toute
indemnisation pouvant résulter de la conclusion du contrat.
2264. La doctrine et la jurisprudence reconnaissent que le mot « préjudice » du troisième alinéa doit être interprété de façon restrictive.
Il va de soi que l’entrepreneur ou le prestataire de services ne pourra pas, en
principe, réclamer du client le paiement total du prix convenu dans le contrat,
à titre de dommages-intérêts, à moins qu’il soit
établi en preuve qu’il avait rempli toutes ses obligations prévues dans le
contrat résilié ou que la résiliation a été faite de façon déraisonnable et non
conforme aux règles de la bonne foi.
2265. En somme, l’article 2129 C.c.Q.
établit une règle spécifique en matière de contrat d’entreprise et de
prestation de services, qui déroge au régime de responsabilité civile de droit
commun en matière de compensation. Il convient donc d’accorder
à l’alinéa 3 de cet article une interprétation restreinte,
de manière à respecter la volonté du législateur de créer un régime dérogatoire
à celui du droit commun qui, lui, permet au créancier d’être indemnisé pour les
gains
[Page 858]
manqués (art. 1611 C.c.Q.).
Affirmer le contraire reviendrait à enlever
à cette disposition tout son sens, en l’interprétant de la même manière que les
articles 1611 et 1613 C.c.Q..
Une interprétation large aura également pour effet de rendre inopérante la
disposition de l’article 2125 C.c.Q.
qui confère au client le droit à la résiliation unilatérale de son contrat sans
avoir à engager sa responsabilité contractuelle.
2) Préjudices
pouvant être indemnisés
2266. L’alinéa 3 de l’article 2129 C.c.Q. doit recevoir une interprétation qui
ne laisse pas une des parties subir un préjudice suite à la résiliation du
contrat. Ainsi, le client ayant résilié unilatéralement son contrat d’entreprise
ou de prestation de services n’est toutefois pas à l’abri d’une poursuite en
dommages-intérêts. Il doit être tenu responsable du dommage causé à l’entrepreneur
ou au prestataire de services afin que celui-ci ne subisse aucun préjudice
résultant de l’exercice de son droit légal à la résiliation unilatérale.
Cependant, le client ne doit indemniser son cocontractant que pour le préjudice
qu’il a réellement subi en raison de la résiliation.
À titre d’illustration, le client qui, en raison de son comportement, rend
nécessaire une évaluation par un expert des travaux déjà exécutés, est tenu d’indemniser
son cocontractant pour les frais de cette évaluation.
Toutefois, il peut arriver que le client soit exceptionnellement tenu de
compenser l’entrepreneur ou le prestataire de services du temps raisonnablement
nécessaire pour se trouver un nouveau client.
2267. À titre de préjudices subis et pouvant faire l’objet d’une
indemnisation au sens de l’alinéa 3 de l’article 2129 C.c.Q., on peut penser
aux débours encourus par l’entrepreneur ou le prestataire de services pour les fins du contrat résilié.
De même, les prix payés pour
[Page 859]
l’acquisition ou la
location d’équipements particuliers et nécessaires à l’exécution du contrat
résilié doivent être compensés lorsque l’entrepreneur ou le prestataire de
services ne peut s’en servir dans d’autres projets. Également, l’engagement de
personnel spécialisé qui ne peut être mis à pied sans préavis doit faire l’objet
d’un remboursement pour le salaire et les avantages payés à ce dernier. Tel est
le cas aussi, des loyers à payer par un prestataire de services pour un local
qui a été loué pour permettre l’exécution du contrat résilié avant son terme
par le client.
2268. Le tribunal peut également accorder à un prestataire de services les
frais de la préparation des brochures publicitaires ou des promotions pour
faire connaître l’établissement du client ainsi que les frais des photocopies
de ces brochures. Il peut aussi être considéré comme un préjudice subi, le
temps investi pour la préparation nécessaire et préalable à la mise en
exécution du contrat lorsque cette préparation ne s’est pas concrétisée par des
prestations fournies.
2269. Il arrive qu’il soit difficile d’établir avec précision le préjudice
lié à la préparation de l’exécution du contrat ou la valeur du temps investi
pour une telle exécution. En un tel cas, le tribunal peut exercer son pouvoir
discrétionnaire pour fixer arbitrairement le montant de l’indemnité à accorder
pour les dommages subis.
2270. Dans certains cas, les circonstances ayant entouré la résiliation du
contrat par le client peuvent donner droit à une indemnisation supplémentaire.
On peut mentionner une conduite reprochable du client lors de la résiliation ou de la conclusion du contrat alors
que celui-ci avait rassuré son cocontractant quant à son intention de mener son
projet à terme. Chaque cas constitue un cas d’espèce ayant ses propres faits et
circonstances que le tribunal doit prendre en considération afin d’éviter que l’exercice
d’un droit ne soit fait de façon déraisonnable par le client au détriment de l’intérêt
de son cocontractant.
2271. Le gain manqué ne doit pas être considéré comme étant un préjudice subi
permettant l’attribution d’une indemnité que dans des cas exceptionnels qui
rendent la résiliation unilatérale du contrat un
[Page 860]
exercice déraisonnable et non conforme aux exigences de
bonne foi. Ainsi, le gain manqué peut être indemnisé
uniquement lorsque la résiliation a été effectuée de façon déraisonnable et abusive.
2272. Il en est de même lorsque le contrat d’entreprise ou de prestation de
services contient une clause prévoyant l’obligation du client de donner un
préavis de résiliation d’une durée déterminée avant que la résiliation n’entre
en vigueur. Le défaut de se conformer à cette stipulation
et plus particulièrement sans accorder le délai prévu,
justifie l’attribution d’une indemnité. Le montant de l’indemnité ne doit pas
toutefois dépasser la perte subie. Dans le cas d’un prestataire de services,
cette perte peut être l’équivalent du gain manqué pour le délai que le client
devait accorder à ce dernier, tel que prévu dans la clause de préavis.
2273. Dans tous les cas, le montant de l’indemnité à être attribuée en vertu
de l’alinéa 3 de l’article 2129 C.c.Q. ne peut être un pourcentage du prix
convenu dans le contrat. Cette notion ne peut recevoir application,
car l’indemnisation du préjudice en vertu de cet alinéa
doit être déterminée par une preuve tangible et démonstrative de ce préjudice.
En d’autres mots, pour que l’entrepreneur ou le prestataire de services puisse
recevoir une indemnisation pour un préjudice subi, il doit établir ce préjudice
par une preuve probante.
2274. Il importe toutefois de souligner que le préjudice ne peut être subi
par l’entrepreneur ou le prestataire de services avant la résiliation du
contrat puisque ce préjudice doit être la conséquence directe de la
résiliation, ce qui signifie un préjudice subi par la suite et non pas en
raison de la conclusion du contrat qui n’a pas été menée à terme.
2275. Le client
peut être aussi tenu à payer une indemnité pour le préjudice subi par l’entrepreneur
ou le prestataire de services lorsqu’il invoque un motif qui se révèle mal
fondé. Même en l’absence d’un motif indiqué lors de la résiliation, le client
pourra être tenu à indemniser son contractant lorsque la preuve révèle plus
tard qu’il a poursuivi un objectif illégitime. Le tribunal doit refuser d’appliquer
le régime restreint
[Page 861]
établi à l’article 2129 C.c.Q. chaque fois qu’il constate que la résiliation par le client était
abusive ou empreinte de mauvaise foi.
2276. Lorsque
la preuve révèle que la résiliation a été faite de façon abusive
ou de mauvaise foi, le client doit être condamné à payer à l’entrepreneur
ou au prestataire de services, non seulement la valeur des travaux exécutés ou des prestations fournies, mais
aussi un montant supplémentaire à titre
de dommages-intérêts. En d’autres termes, en cas de résiliation du contrat par le client contrairement aux exigences de bonne foi et
compte tenu de la gravité de la
situation résultant de la conduite
du client, le tribunal pourra refuser d’appliquer la règle
prévue à l’article 2129 C.c.Q. pour accorder à l’entrepreneur ou au prestataire de services
une compensation établie selon les
règles générales applicables en matière de régime d’indemnisation (art. 1607, 1611 et 1613 C.c.Q.).
2277. Les différents dommages énoncés
à l’article 2129 C.c.Q. ne constituent pas une liste
limitative des préjudices devant être indemnisés par le client.
Cependant, cette disposition qui crée un régime d’indemnisation
particulier ne permet d’obtenir une compensation que pour une partie seulement
des chefs de dommages qui, en général, sont admis par les règles du régime d’indemnisation
commun.
2278.
Certains contrats de prestation de services peuvent faire l’objet d’une
renonciation tacite au droit de résiliation unilatérale
prévu à l’article 2125 C.c.Q. En effet, certains
mandats, qui sont, de par leur
[Page 862]
nature, des contrats
de prestation de services, peuvent être accordés
irrévocablement pour une durée
déterminée. Le client qui donne son consentement à ce genre de contrat pourra difficilement résilier ou
révoquer le mandat du prestataire de services sans engager sa responsabilité
envers ce dernier. C’est le cas lorsqu’un propriétaire confie un mandat de
courtage à un courtier immobilier pour une durée déterminée et accepte que ce
mandat soit non seulement exclusif, mais aussi irrévocable. La résiliation ou
la révocation de ce contrat de courtage avant l’expiration du terme empêche le
courtier de compléter son mandat et de recevoir ainsi sa rémunération. Doit-on
alors appliquer l’article 2129 C.c.Q. qui limite le droit du prestataire de
services à obtenir une compensation pour les prestations déjà fournies ?
a) Préjudices résultant de la résiliation d’un
contrat de courtage
2279. La résiliation d’un contrat de courtage irrévocable soulève la question
relative au droit du courtier à sa commission ou à une autre indemnité. La
réponse à cette question varie selon la situation factuelle de chaque cas d’espèce.
Ainsi, si le courtier avait intéressé un acheteur potentiel à l’entreprise ou à
l’immeuble et qu’une promesse ou une offre d’achat a été soumise au
propriétaire qui l’a accepté, le droit du courtier à sa commission devient dans
ce cas évident. Même dans le cas où la révocation du mandat est survenue avant
l’acceptation de la promesse ou de l’offre par le propriétaire, le courtier
doit avoir droit à sa commission lorsque la vente aurait pu se réaliser si les
négociations s’étaient poursuivies de façon objective et de bonne foi entre les
parties, alors que par sa résiliation ou révocation du mandat, le client a
empêché ou interrompu les négociations. C’est le cas, lorsque suite à la
soumission des offres ou des promesses d’achat, le client a révoqué le mandat
exclusif et irrévocable de son courtier pour signer un contrat de courtage avec
un autre courtier sous prétexte qu’il pourra mieux collaborer et travailler
avec lui. Même si le régime
exceptionnel d’indemnisation prévu à l’article 2129 C.c.Q. trouve son
application, le troisième alinéa de cet article, par l’expression « de tout autre préjudice » donne au tribunal un certain pouvoir
discrétionnaire pour accorder au courtier une indemnité pour les commissions qu’il
aurait dû avoir si la vente avait été réalisée, n’eût été la résiliation ou la
révocation de son contrat de courtage.
2280. Par contre, en l’absence d’une promesse ou d’une offre raisonnable
obtenue d’un acheteur potentiel et sérieux, le courtier pourra
[Page 863]
difficilement justifier
une réclamation de sa commission, à moins de faire la preuve qu’il avait des
acheteurs potentiels et que la résiliation ou la révocation de son mandat l’a
empêché d’obtenir de ces derniers, une offre ou une promesse d’achat qui
correspond à l’attente du client propriétaire.
2281. Par ailleurs, le client qui a déjà révoqué avant terme le mandat de son
courtier ne peut réussir dans sa contestation d’une réclamation d’indemnité
sans faire la preuve d’une faute commise par ce dernier. Il ne peut pas se
contenter de se déclarer insatisfait de ses services alors qu’il ne l’a jamais
constitué en demeure de rectifier ou d’améliorer ses prestations de services.
En d’autres termes, une telle contestation et prétention d’insatisfaction quant
à la qualité des services doivent être traitées selon les règles du régime de
droit commun et non pas selon les articles 2125 et 2129 C.c.Q..
3) Chefs des dommages ou des préjudices
exclus
2282. Les tribunaux
doivent démontrer une certaine prudence afin de respecter la règle établie à l’article
2129 C.c.Q., et éviter de lui
donner une interprétation pouvant couvrir des chefs de dommages qui doivent
normalement être indemnisés, selon les règles de droit commun (art. 1611 et
1613 C.c.Q.). En effet, le client
qui décide, conformément à l’article 2125 C.c.Q., de résilier unilatéralement
son contrat d’entreprise ou de prestation de services, n’engage pas sa
responsabilité puisque sa décision ne cause pas, en principe, de dommages au
sens strict. Le fait que l’article
2129 C.c.Q. prévoie l’obligation
du client de dédommager l’entrepreneur ou le prestataire de services ne permet
pas de conclure automatiquement à un droit à l’indemnisation.
[Page 864]
2283. Contrairement
à ce qu’admettait la jurisprudence antérieure
à la réforme du Code civil, il ne faut pas accorder à un entrepreneur ou un prestataire de services une
indemnité pour les gains manqués en raison de la résiliation du contrat d’entreprise.
Il s’ensuit que le préjudice résultant d’une chance manquée de conclure un
autre contrat d’entreprise qui lui aurait été profitable ne peut être invoqué
par l’entrepreneur ou le prestataire de services dans le cadre de l’application
des articles 2125 et 2129 C.c.Q. Il faut entendre par les expressions « gains manqués » ou « perte des profits » non
seulement le gain ou les profits que l’entrepreneur ou le prestataire de
services aurait pu faire sur tout autre marché qu’il a manqué en raison de la
conclusion du contrat résilié, mais aussi les gains et les profits qu’il aurait
pu obtenir de ce contrat si le client n’avait pas procédé à sa résiliation en
cours d’exécution. Ainsi, le tribunal ne
peut accorder à l’entrepreneur ou au
[Page 865]
prestataire de services
une indemnité pour les profits futurs. L’attribution
de ces profits ne peut être conforme à la règle prévue à l’article 2129 C.c.Q. et toute interprétation contraire
fait perdre au client l’avantage voulu par le droit à la résiliation
unilatérale.
2284. L’entrepreneur ou le prestataire de services ne peut avoir droit à une
indemnité pour le stress, la perte de temps et les inconvénients engendrés
suite à la résiliation et aux démarches entamées pour trouver un nouveau
contrat. Il en est de même pour
les biens qui se trouvaient, avant même la conclusion du contrat, dans l’inventaire
de l’entrepreneur ou du prestataire de services. Ce dernier ne pourra réclamer
une indemnité pour ces biens puisqu’il s’agit d’un avantage qu’il n’aurait pu
obtenir sans l’exécution complète et intégrale des travaux demandés.
En effet, il ne s’agit pas d’une indemnité due à la résiliation du contrat au
sens de l’article 2129 C.c.Q.,
dont l’objectif est de remettre en état les parties à la date de la
résiliation, mais cela correspond plutôt
à une indemnité pour les gains dont l’entrepreneur a été privé, ce qui ne peut
être compensé en vertu du régime d’indemnisation prévu à cet article.
Cette portion d’inventaire pourra donc être utilisée à d’autres fins, puisqu’elle
n’a pas été commandée spécifiquement pour l’ouvrage du client.
2285. De plus, en l’absence d’une clause dans le contrat stipulant la
nécessité d’un préavis de résiliation ainsi qu’une liste établie à l’avance des
différents préjudices pouvant faire l’objet d’une réclamation advenant une
résiliation unilatérale du contrat par le client, l’entrepreneur ou le
prestataire de services ne peut réclamer d’autres montants que ceux prévus aux
articles 2129 C.c.Q..
[Page 866]
2286. On peut
également citer divers chefs de réclamation auxquels l’entrepreneur ou le
prestataire de services ne peut avoir droit. Parmi ceux-ci, on trouve les frais
et dépenses relatifs à la préparation des équipements et les coûts associés au
personnel dédié au projet, car il s’agit de réclamations pour perte d’opportunité
d’affaires. Il en est de même pour les frais liés à la préparation de la
soumission, car ils représentent des frais généraux liés aux opérations de l’entreprise.
Les frais de siège social ne peuvent pas être compensés non plus, car en
principe, ils sont compris dans les frais généraux liés aux opérations de l’entreprise.
Concernant les équipements en attente, soit les équipements réservés pour le
projet qui, en raison de la résiliation, ne pouvaient pas tous être relocalisés
sur d’autres chantiers, il s’agit d’une réclamation qui peut être acceptée
partiellement, selon les circonstances et la preuve soumise.
2287. Enfin, quant
aux coûts relatifs aux sous-traitants, ils ne peuvent pas non plus être
réclamés en vertu de l’article 2129 C.c.Q. en l’absence d’une clause acceptée
par le client et stipulant le droit de l’entrepreneur de réclamer le montant de
la pénalité ou de l’indemnité qu’il sera tenu à payer à ses sous-traitants en
cas de résiliation du contrat principal.
2288. L’exécution
de travaux supplémentaires ou les modifications des travaux déjà prévus, ainsi
que la fourniture de biens additionnels tombent sous l’application du dernier
alinéa de cet article. Ces travaux exécutés ou ces prestations fournies
constituent un préjudice au sens de cette disposition, le législateur n’ayant
pas voulu qu’une partie subisse, suite à la décision de résiliation du contrat
par l’autre, sans qu’elle soit dédommagée en conséquence.
Il ne faut pas permettre à un client de se soustraire à ses obligations qui
résultent de ses propres demandes ou de son entente postérieure avec l’entrepreneur
pour la simple raison que le prix n’a pas été fixé. Autrement, il serait facile
pour un client de multiplier ses
demandes pour des travaux ou des prestations supplémentaires non prévues
initialement dans le contrat et ainsi décider, au moment qui lui convient, de
résilier son contrat d’entreprise ou de prestation de services.
[Page 867]
D. Le client conserve son droit à la
réparation des malfaçons et des déficiences
2289. La résiliation unilatérale du contrat n’empêche pas le client de se
prévaloir de son droit d’exiger de l’entrepreneur la réparation de malfaçons ou
de déficiences constatées dans les travaux déjà exécutés au moment de la
résiliation. Si l’entrepreneur ne procède pas aux travaux de correction, le
client pourra demander au tribunal de réduire du montant déterminé par le
régime d’indemnisation de l’article 2129 C.c.Q., les coûts des travaux de réparation. Ce régime d’indemnisation
exceptionnel n’a pas pour effet d’enlever
au client son droit à une compensation ou à la retenue d’une somme suffisante
pour faire les réparations des déficiences qui affectent la partie de l’ouvrage
exécutée et pour laquelle l’entrepreneur réclame un paiement.
2290. Le droit du client à la réparation des malfaçons ou des vices qui
affectent la partie de l’ouvrage exécutée avant la résiliation du contrat,
englobe aussi le droit à la compensation avec le montant qu’il sera tenu de payer
à l’entrepreneur ou au prestataire de services selon l’article 2129 C.c.Q. Il peut ainsi faire une retenue d’une
somme suffisante à même le montant de l’indemnité pour couvrir les coûts des
travaux de réparation des malfaçons ou des vices existant au moment de la
résiliation du contrat.
3. Résiliation
du contrat par l’entrepreneur ou le prestataire de services
2291. Les dispositions prévues à l’article 2129 C.c.Q. rencontrent aussi leur application dans le cas d’une résiliation
du contrat par l’entrepreneur ou le prestataire de services, selon l’article 2126 C.c.Q..
En effet, selon les dispositions prévues à cet article, ce dernier peut, pour
un motif sérieux, résilier le contrat, à condition de le faire à un moment
opportun pour le client. Celui-ci ne doit pas subir un préjudice prévisible
[Page 868]
suite à la résiliation,
malgré le motif sérieux qui justifie la décision de l’entrepreneur ou du
prestataire de services.
2292. Il importe de
souligner que dans le cas d’une résiliation de mauvaise foi ou de façon
déraisonnable du contrat, par l’entrepreneur ou le prestataire de services,
celui-ci risque de ne pas avoir droit à une indemnité en vertu des dispositions
prévues à l’article 2129 C.c.Q. Au
contraire, il pourrait être tenu responsable envers le client pour le préjudice
subi par ce dernier à la suite de la résiliation du contrat. Ainsi, si la Cour
constate que la résiliation de contrat a été faite sans motif valable ou de
façon déraisonnable, l’entrepreneur ou le prestataire de services peut être condamné
à payer une indemnité au client selon les règles de droit commun applicables en
matière d’indemnisation (art. 1611 et 1613 C.c.Q.).
2293. L’entrepreneur
ou le prestataire de services doit agir avec extrême prudence et en toute bonne
foi lorsqu’il décide de mettre fin au contrat. En effet, même s’il dispose d’un
motif valable et sérieux, il doit s’abstenir ou retarder la mise en exécution
de sa décision, afin d’épargner ou d’éviter au client de subir un préjudice, qu’un
autre professionnel prudent et raisonnable, placé dans les mêmes circonstances,
aurait pu prévoir. Ainsi, dans le cas où sa décision de mettre fin au contrat
est parfaitement justifiée, l’entrepreneur ou le prestataire de services peut
engager sa responsabilité pour le préjudice résultant d’une résiliation à
contretemps, dans la mesure où le préjudice qui en résulte était prévisible par
un professionnel raisonnable. Dans certains cas, les règles d’indemnisation du
régime commun pourraient trouver leur application compte tenu des circonstances
et de la gravité du préjudice subi par le client.
2294. Comme nous l’avons
mentionné dans nos commentaires sous l’article 2126 C.c.Q., lors de la résiliation du contrat faite de bonne foi,
les chefs de dommages se tiendront au strict nécessaire, de manière à ce que le
client ne subisse aucun préjudice patrimonial.
[Page 869]
2295. Par ailleurs,
l’entrepreneur qui découvre, après la conclusion du contrat d’entreprise, qu’il
a fait une mauvaise transaction en acceptant l’exécution de l’ouvrage pour un
prix insuffisant ne peut se prévaloir de son droit à la résiliation prévu à l’article
2126 C.c.Q. Ce droit n’a pas été prévu pour permettre à l’entrepreneur d’échapper
à l’application des règles du régime de droit commun prévues aux articles 1590,
1601, 1602, 1611 et 1613 C.c.Q. Or, le fait de conclure une mauvaise
transaction pouvant entraîner une perte ne constitue pas un motif sérieux au
sens de l’article 2126 C.c.Q. La théorie de l’imprévision n’est pas admise en
droit civil québécois. La doctrine invite cependant les tribunaux à
reconsidérer leur position quant à l’acceptation de certaines ouvertures dans
des cas exceptionnels lorsque la règle de bonne foi justifie une révision du
contrat.
2296. L’entrepreneur
qui résilie unilatéralement son contrat d’entreprise parce qu’il lui apparaît
non profitable commet une faute contractuelle qui engage sa responsabilité
envers le client. Il aura, ainsi, à compenser ce dernier pour un montant
représentant la différence entre le prix convenu dans le contrat résilié et le
prix qu’il doit payer pour faire exécuter le même contrat ou les mêmes travaux
par un autre entrepreneur.
2297. De plus, il
sera tenu de payer une indemnité pour toute perte subie en raison du retard
dans la réalisation de l’ouvrage. Ainsi, le client qui voit son ouvrage
immobilier terminé cinq ou six mois plus tard que la date prévue dans le
contrat résilié et qui subit une perte de revenus en raison de ce retard
devrait être indemnisé par l’entrepreneur pour cette perte. Celle-ci constitue
une réelle perte attribuable à la résiliation fautive du contrat. Refuser à un
client de réclamer la différence entre le coût de l’exécution du contrat payé
au tiers et le prix convenu avec l’entrepreneur initial revient à encourager ce
dernier à procéder à la résiliation de son contrat, chaque fois qu’il constate
que l’exécution du contrat peut aboutir à une perte ou apparaît moins
avantageuse pour lui.
2298. Il importe de
souligner que l’objectif visé par l’adoption de l’article 2126 C.c.Q. n’était
pas de permettre à l’entrepreneur de se libérer d’un contrat désavantageux.
Toute résiliation du contrat pour ce motif engage sa responsabilité. Par
contre, lorsque la résiliation du contrat par l’entrepreneur est justifiée par
un motif sérieux, l’article 2126 C.c.Q. jumelé à l’article 2129 C.c.Q. a pour
but d’exclure l’application au client des règles de droit commun en matière de
responsabilité contractuelle. Cette responsabilité financière se limite dans le
cas du
[Page 870]
client à la valeur des travaux exécutés
ou des prestations et des biens fournis pour l’entrepreneur
et pour le prestataire de services au préjudice résultant de la résiliation.
A. Droits et
obligations de l’entrepreneur ou
du prestataire de services
1) Droit à
la valeur des travaux
2299. L’entrepreneur
ou le prestataire de services qui résilie unilatéralement son contrat pour un
motif sérieux tel que prévu à l’article 2126 C.c.Q. pourra réclamer la valeur
des travaux exécutés ou des prestations fournies conformément à l’article 2129 alinéa 1 C.c.Q. Cette disposition s’applique,
peu importe que l’auteur de la résiliation unilatérale soit le client ou l’entrepreneur
ou le prestataire de services à condition que la résiliation soit conforme aux
critères établis par l’article 2125 ou l’article 2126 C.c.Q. En d’autres termes, la détermination du montant de l’indemnité
devant être payée par le client se fait selon les mêmes critères applicables à
une résiliation par le client. Ainsi, l’entrepreneur ou le prestataire de
services a droit à une compensation pour les travaux exécutés, les prestations
de services et les biens fournis selon les critères prévus à l’article 2129 C.c.Q.
2) Obligation
de rembourser les montants avancés
2300. L’alinéa 2 de l’article 2129 C.c.Q. prévoit que l’entrepreneur ou le
prestataire de services est tenu de restituer les avances qu’il a reçues en
excédant de ce à quoi il a droit pour les travaux exécutés et les biens ou
prestations fournis durant la période antérieure à la résiliation du contrat.
Il est juste et équitable d’exiger de l’entrepreneur ou du prestataire de
services de rembourser les sommes payées à l’avance par le client pour des
travaux ou des services qui ne seront jamais complétés ou fournis en raison de
la résiliation du contrat.
2301. L’alinéa 2 de l’article 2129 C.c.Q. a pour but d’empêcher l’enrichissement
injustifié de l’entrepreneur ou du prestataire de services
qui a été payé pour un travail ou pour des prestations qu’il
n’a pas effectués et qu’il n’effectuera jamais. D’ailleurs, on peut même établir
un parallèle entre l’obligation de restitution prévue à cet article et celle
prévue à l’article 1492 C.c.Q.. En effet, tout
montant reçu par l’entrepreneur ou le prestataire de services excédant la somme
due par
[Page 871]
le client, selon le régime d’indemnisation de l’article 2129
C.c.Q., constitue un paiement indu, devant être restitué
au client par l’entrepreneur ou le prestataire de services.
2302. Lorsque le client a payé un acompte concernant les travaux qui seront
effectués plus tard, ce dernier a droit à son remboursement lorsqu’il résilie
son contrat d’entreprise en toute bonne foi et avant l’exécution de ces
travaux. Ce dernier n’a pas à invoquer une faute ou un motif afin de résilier
son contrat et d’obtenir le remboursement de l’acompte qui a déjà été versé.
En effet, en l’absence d’une preuve qu’il y a eu entente entre les parties à l’effet
que l’entrepreneur ou le prestataire de services conserve le montant de l’acompte
versé advenant une résiliation du contrat, ce dernier a l’obligation selon la
disposition de l’article 2129 alinéa 2 C.c.Q. de le rembourser suite à la
résiliation.
2303. En fait, l’article 2129 alinéa
2 C.c.Q. ne fait que reprendre le
principe de restitution des prestations qui est déjà énoncé par le droit commun
aux articles 1699 et suivants C.c.Q. Celui-ci s’applique dans tous les cas où
une partie a reçu une prestation sans droit, par erreur, ou à la suite de l’annulation
ou de la résolution ou de la résiliation d’un contrat. En effet, dans un
contrat synallagmatique, la cause objective de la prestation d’une partie est la
prestation respective et corrélative de l’autre. Donc, lorsqu’une prestation
est exécutée sans cause ou qu’un paiement est fait en plus, il doit y avoir
restitution.
2304. D’ailleurs, le principe de l’enrichissement sans cause est repris, de
la même manière qu’à l’article 2129 C.c.Q., par certains autres articles du Code civil, tels que l’article
1694 C.c.Q. Ce dernier article réfère au cas où une partie libérée de son
obligation en raison d’une force majeure (art. 1693 C.c.Q.) est tenue de
restituer la prestation qu’elle a reçue jusqu’à concurrence de son
enrichissement. En conformité avec le principe de l’enrichissement injustifié,
il y a lieu à la restitution de la somme reçue en avance par l’entrepreneur ou
le prestataire de services et qui excède ce qui lui est dû par le client.
Permettre à l’entrepreneur ou au prestataire de services de conserver cette
somme reviendrait à lui permettre de s’enrichir injustement.
[Page 872]
2305. La règle prévue à l’alinéa 2 de l’article 2129 C.c.Q. s’applique
à tous les cas où il y a résiliation du contrat d’entreprise ou de prestation
de services. Que cette résiliation soit décidée par le client en vertu de l’article
2125 C.c.Q. ou encore par l’entrepreneur
ou le prestataire de services, conformément à l’article 2126 C.c.Q., ce dernier doit restituer toute
somme reçue et excédant ce que le client lui doit en raison d’une exécution d’une
partie de son contrat. En effet, l’entrepreneur ou le prestataire de services
ne peut prétendre avoir droit aux avances en raison de l’existence d’un motif
sérieux ou du défaut par le client de remplir l’une de ses obligations. Son
droit à l’indemnisation est limité à la valeur des travaux ou des prestations
fournies sans égard aux comportements du client. Il ne peut réclamer aucune
indemnité pour les gains manqués au motif qu’il a été forcé de résilier le
contrat en raison de la conduite du client.
2306. La règle
obligeant à rembourser les avances s’applique en l’absence d’une preuve d’une
entente contraire prévoyant que l’entrepreneur ou le prestataire de services
conserve le montant de l’acompte versé advenant une résiliation du contrat pour
motif sérieux ou un défaut par le client de remplir l’une de ses obligations.
L’obligation de rembourser toute somme d’argent avancée par le client avant la
résiliation du contrat ne peut être modifiée ou écartée à moins d’une
stipulation expresse prévue dans le contrat. Elle peut l’être cependant dans le
cas où une partie des travaux ou des prestations est déjà effectuée. En un tel
cas, l’entrepreneur ou le prestataire de services peut conserver une partie des
avances équivalente à la valeur de ces travaux. Il en est ainsi lorsqu’un
client signe un contrat d’entreprise avec un entrepreneur, tout en lui versant
un acompte, afin que celui-ci lui construise une résidence, mais que l’entrepreneur
doit mettre fin au contrat puisqu’il est incapable d’effectuer les travaux dans
le délai convenu. Ainsi, bien que, dans les circonstances, ce fait constitue un
motif sérieux permettant à l’entrepreneur de mettre fin au contrat selon l’article
2126 C.c.Q., ce dernier a été tenu
de rembourser au client l’acompte versé pour l’exécution du contrat.
3) Droit du
client à la réparation des malfaçons et des déficiences
2307. Bien que l’entrepreneur
ou le prestataire de services puisse résilier unilatéralement son contrat en
vertu de l’article 2126 C.c.Q., le client peut lui exiger de réparer les
malfaçons et les déficiences dans les travaux exécutés avant la résiliation. À
défaut de le faire, le client aura droit au paiement des travaux ou des
services qui ont dû être entrepris
[Page 873]
par un tiers en raison des déficiences dans les
travaux déjà exécutés avant la résiliation du contrat par l’entrepreneur ou le
prestataire de services. Il appartient alors au client de démontrer par une
preuve prépondérante que les travaux ont été exécutés dans le but de corriger
les déficiences qui résultaient du travail de l’entrepreneur ayant résilié
unilatéralement son contrat et qu’il avait mis l’entrepreneur en demeure de les
corriger tout en lui accordant un délai raisonnable pour le faire, mais que l’entrepreneur
ne s’est pas conformé à sa demande. Il doit aussi établir que l’entrepreneur
était avisé dans la mise en demeure de son intention de faire exécuter les travaux de réparation par un autre entrepreneur
et de lui réclamer les coûts à titre de préjudice subi selon l’article 2129
alinéa 3 C.c.Q. Dans ce cas, le tribunal peut lui accorder le montant réclamé,
comme le prévoit aussi l’article 1602 C.c.Q.
2308. Le tribunal
peut cependant rejeter la réclamation du client s’il constate que les travaux
exécutés n’étaient pas inclus dans le contrat initialement intervenu ou qu’il n’y
a pas eu de déficiences dans les travaux exécutés par l’entrepreneur qui a
résilié le contrat. Il ne faut pas
permettre au client d’obtenir une indemnisation de l’entrepreneur pour des
travaux pour lesquels il n’a payé aucun prix et qui n’étaient pas prévus dans
le contrat résilié. Décider autrement reviendrait à permettre à un client d’avoir
un enrichissement injustifié et à cautionner sa conduite pouvant être contraire
aux exigences de bonne foi.
2309. Tel que le prévoient les règles de droit commun, dans le cas où l’entrepreneur
refuse de faire les corrections nécessaires, alors qu’il était déjà constitué
en demeure de les faire, le client peut les faire exécuter par un tiers et lui
réclamer les coûts (art. 1602 C.c.Q.). Le client peut, en l’absence d’entente
sur le montant, s’adresser au tribunal afin de réduire ce montant de celui de l’indemnisation
qui sera accordée à l’entrepreneur ou au prestataire de services selon l’article
2129 alinéa 1 C.c.Q. Bien que cette disposition permette un régime d’indemnisation
exceptionnel, le client conserve
toutefois son droit découlant de l’existence de malfaçons ou de vices affectant
les travaux exécutés avant la résiliation. Il pourra ainsi opérer une
compensation légale ou la
[Page 874]
demander à la Cour compte tenu des sommes qu’il doit à l’entrepreneur selon l’article
2129 C.c.Q. ou retenir une somme
suffisante.
2310. Lorsque le tribunal doit déterminer si le client a droit à une
indemnisation en vertu de l’article 2129 C.c.Q., il doit faire la distinction entre les travaux exécutés en
raison des déficiences dans les travaux initialement prévus dans le contrat et
les travaux non inclus dans celui-ci, mais qui ne représentent pas une suite
des travaux initialement effectués. En effet, dans le premier cas, le client a
droit à une indemnisation de la part de l’entrepreneur ou du prestataire de
services qui a résilié le contrat, mais dans le deuxième cas, il peut seulement
l’obtenir si les travaux ont fait l’objet d’une entente postérieure avec l’entrepreneur
ou le prestataire de services. En l’absence d’une telle entente, le client ne
peut obtenir une indemnité s’il n’avait rien payé pour ces travaux, qui n’étaient
pas prévus initialement dans le contrat résilié par l’entrepreneur ou le
prestataire de services.
4) Autre
préjudice selon l’alinéa 3 de l’article 2129 C.c.Q.
2311. Il faut d’abord rappeler que les alinéas 2 et 3 de l’article 2129 C.c.Q. s’appliquent également dans le cas
d’une résiliation du contrat par l’entrepreneur ou le prestataire de services.
L’alinéa 3 de l’article 2129 C.c.Q. prévoit que le contractant qui résilie le
contrat d’entreprise sera responsable du préjudice qu’en subit son
cocontractant. Ainsi, tout préjudice subi par le client, en raison de la
résiliation unilatérale du contrat par l’entrepreneur ou le prestataire de
services, doit être indemnisé. À titre d’exemple, les inconvénients subis par
le client en raison de la résiliation peuvent être indemnisés par l’entrepreneur
ou le prestataire de services. De la même manière, les dépenses encourues par
le client, liées à l’obtention de permis ou à l’exécution de travaux préalables
à la réalisation du contrat par l’entrepreneur et qui ne seront jamais
utilisés, doivent être remboursées. Toutefois,
ces dommages ou préjudices doivent être réellement subis, et non simplement
anticipés.
[Page 875]
2312. Il faut
noter que l’alinéa 3 n’établit pas une liste exhaustive des dommages
pouvant être indemnisés par l’entrepreneur
ou le prestataire de services. En
effet, contrairement à la
disposition prévue à l’alinéa 1 de l’article 2129 C.c.Q.,
qui énumère les dommages devant être indemnisés par le client, la disposition
de l’alinéa 3 de cet article ne mentionne aucun préjudice ou dommage devant
faire l’objet d’une compensation pour
le client, ce qui laisse croire que le législateur, dans le cas d’une
résiliation du contrat par l’entrepreneur ou le prestataire de services, a
laissé place à l’application de certaines règles de droit commun en matière d’indemnisation.
2313. L’article
1611 C.c.Q. prévoit que le créancier peut se faire compenser pour les pertes qu’il
a effectivement subies. L’article 2129 alinéa 3 C.c.Q. limite cependant ces
dommages à ceux qui résultent de la résiliation du contrat. Par contre, si la
résiliation n’est pas conforme aux critères de l’article 2126 C.c.Q., le client
aura le droit de réclamer une indemnité pour tous les préjudices subis et non
pas uniquement pour les préjudices qui découlent de la résiliation. Ainsi, le
prix supplémentaire que le client doit payer pour faire compléter l’exécution
du contrat par un autre entrepreneur ou prestataire de services peut être
compensé par l’entrepreneur ou le prestataire de services, lorsque toutes les conditions requises par l’article 2126 C.c.Q. ne sont pas remplies. Dans ce cas,
le client qui se voit obligé de retenir les services d’un autre entrepreneur
pour faire exécuter le contrat résilié peut avoir droit de réclamer la
différence entre le prix initial du contrat résilié et le prix à payer au
nouvel entrepreneur (art. 1602 et 1611 C.c.Q.).
2314. Lorsque la
résiliation est conforme à l’article 2126 C.c.Q., une question se pose à savoir
si le client peut réclamer en vertu de l’alinéa 3 de l’article 2129 C.c.Q.
le prix supplémentaire qu’il a dû payer à un nouvel entrepreneur pour obtenir l’exécution
du contrat résilié. En d’autres mots, est-ce que la différence entre le prix
convenu avec l’entrepreneur ou le prestataire de services ayant résilié son
contrat et le prix que le client doit payer à un nouvel entrepreneur ou
prestataire de services pour
obtenir l’exécution du contrat résilié ou le reste de celui-ci tombe sous la
définition de « tout autre
préjudice » prévu à l’alinéa 3 de l’article 2129 C.c.Q. ? Il est
difficile de reconnaître au client le droit de réclamer le prix supplémentaire
qu’il a dû payer au nouvel entrepreneur
[Page 876]
ou au nouveau
prestataire de services puisque cela reviendrait à appliquer les règles d’indemnisation
de droit commun. On peut d’ailleurs établir un parallèle entre la réclamation
de ce prix supplémentaire et le refus de reconnaître à l’entrepreneur ou au
prestataire de services le droit de réclamer le gain manqué qu’il aurait pu
réaliser si le contrat n’avait pas été résilié par le client.
2315. L’entrepreneur ou le prestataire de services doit bénéficier du même
traitement que celui qui est réservé au client par la disposition prévue à l’article
2129 alinéa 1 qui énumère les chefs de dommages auxquels le
client peut être tenu responsable en cas de résiliation unilatérale du contrat
en vertu de l’article 2125 C.c.Q.
En effet, l’entrepreneur ou le prestataire de services qui résilie son contrat
en vertu de l’article 2126 C.c.Q. ne doit pas se trouver devant une
responsabilité qui se rapproche d’une situation relevant des règles applicables
en matière de responsabilité contractuelle pour faute. Le client devra donc
être compensé pour le préjudice subi en raison de la résiliation du contrat et
non pas de sa conclusion. En d’autres termes, le client ne peut réclamer de l’entrepreneur
ou du prestataire de services qu’une indemnité pour le préjudice réellement
subit et qui est la conséquence directe de la résiliation du contrat. Ce
dernier ne doit pas être tenu responsable pour l’inexécution de son contrat.
2316. Enfin, l’entrepreneur ou le prestataire de services qui entend réclamer
une compensation autre que celle prévue à l’article 2129 C.c.Q. doit procéder à
la résiliation de son contrat selon les règles de droit commun lorsque le motif
justifiant la résiliation est une faute commise par le client. Il arrive que
les comportements du client rendent l’exécution du contrat difficile ou plus
coûteuse ou tout simplement augmentent les risques de ne pas pouvoir réaliser l’ouvrage
conformément aux stipulations du contrat ou aux règles de l’art. Le client peut
aussi faire défaut de remplir une de ses obligations principales envers l’entrepreneur
ou le prestataire de services, rendant ainsi difficile la continuation de l’exécution du contrat. En des
tels cas, l’entrepreneur ou le prestataire de services peut procéder à la
résiliation du contrat selon les règles de droit commun afin de pouvoir
réclamer une indemnité selon les règles applicables en matière de
responsabilité contractuelle et d’écarter ainsi l’application du régime
particulier de l’article 2129 C.c.Q. Cependant, il doit, préalablement à la
résiliation, mettre en demeure le client pour rectifier son défaut dans un
délai raisonnable tout en l’avisant de la conséquence qui résultera de son
défaut de s’y conformer. En d’autres termes, l’entrepreneur ou le prestataire
de services doit se conformer aux
règles prévues aux articles 1590, 1595, 1604 et 1605 C.c.Q.
[Page 877]
4. Renonciation
à l’application de l’article 2129 C.c.Q. : impact d’une clause pénale
A. Renonciation par le client
1) Validité
de la renonciation
2317. Bien que le législateur ne fournisse aucune indication quant au
caractère d’ordre public des règles prévues à l’article
2129 C.c.Q. et que la jurisprudence ne les considère pas comme étant d’ordre
public, le client ne peut
renoncer, par une clause contractuelle, à son application en acceptant d’indemniser
l’entrepreneur ou le prestataire de services pour des chefs de dommages ou de
préjudice qui ne sont pas admis par ces dispositions. Cette clause peut être
déclarée inopérante et sans effet à la demande du client puisque l’application
de l’article 2129 C.c.Q. est une conséquence de l’application de l’article 2125
C.c.Q.
2318. La
renonciation du client à l’application du régime particulier d’indemnisation prévu
à cet article peut toutefois être valide et produire ses effets entre les
parties, lorsque le client a aussi renoncé valablement à son droit à la
résiliation unilatérale du contrat prévu à l’article 2125
C.c.Q. Même en l’absence d’une renonciation au droit à la
résiliation, les parties peuvent écarter l’application des règles prévues à l’article
2129 C.c.Q. en déterminant à l’avance le montant de l’indemnité à être payée
par la partie qui exerce son droit à la résiliation.
2319. Il importe de souligner que dans le cas d’un contrat de consommation,
le législateur a expressément exclu la possibilité de renonciation à l’application
des articles 2125 et 2129 C.c.Q., en précisant à l’article 11.4 de la Loi
sur la protection du consommateur qu’il est interdit d’inclure dans le
contrat une stipulation relative à la résiliation des contrats d’entreprise ou
de services.
[Page 878]
2320. Dans le cas des contrats d’entreprise ou de prestation de services
régis par le Code civil du Québec, les règles prévues à l’article 2129
C.c.Q. ne sont pas impératives et les parties peuvent, conformément au principe
de la liberté contractuelle, négocier une entente portant sur le montant à
payer, à titre de dommages-intérêts liquidés, par la partie qui exerce son
droit à la résiliation du contrat. Cette entente qui détermine les dommages par
anticipation est reconnue valide par la jurisprudence et la doctrine.
2321. En présence d’un
contrat négocié de gré à gré et contenant une clause de frais de résiliation ou
de dommages-intérêts liquidés, le tribunal doit donner effet à l’entente des
parties, car en un tel cas, la partie, en décidant de se prévaloir de son droit
à la résiliation, accepte de payer à l’autre partie le montant prédéterminé.
Cette interprétation s’impose aussi lorsque les parties, en écartant l’application
de l’article 2125 C.c.Q., viennent
également écarter l’application de l’article 2129 C.c.Q., mais l’inverse n’est pas nécessairement vrai. En effet, les
parties peuvent, tout en conservant le droit à la résiliation unilatérale du
client, écarter l’application de l’article 2129 C.c.Q. en tout ou en partie et choisir de convenir à l’avance de l’indemnité
éventuelle à payer à l’entrepreneur ou au prestataire de services advenant la
résiliation unilatérale du contrat par le client.
2322. L’absence d’une
renonciation valide par le client à son droit à la résiliation du contrat selon
l’article 2125 C.c.Q. est un
obstacle à l’application systématique de la clause pénale introduite dans le
contrat. Pour que cette clause s’applique, il faut que l’on soit en présence d’une
renonciation expresse par le client à son droit à la résiliation ou à l’application
de l’article 2129 C.c.Q. En effet,
les parties peuvent maintenir le droit du client à la résiliation unilatérale du
contrat, mais prévoir des modalités et des conditions devant être remplies pour
que le client exerce son droit de sorte qu’en cas de non-respect de ces
conditions, il aura à payer l’indemnité prévue dans la clause pénale.
2323. Les parties
peuvent également convenir que l’exercice par le client de son droit à la
résiliation unilatérale du contrat donne lieu au paiement d’une indemnité
prévue dans une clause pénale. Cependant, pour que cette clause pénale s’applique,
il faut qu’il y ait une indication claire et précise que l’application de la
disposition prévue à l’article 2129 C.c.Q. est exclue.
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2324. Dans tous les cas, la renonciation à l’application de la disposition prévue à l’article 2125 C.c.Q. ou à
l’article 2129 C.c.Q. ne se présume pas, même en présence d’une clause pénale.
Il faut que les parties indiquent clairement que l’introduction de la clause
pénale a pour but non seulement la détermination d’un montant d’indemnité à
être payé par le client, mais également l’exclusion de l’application de l’une
ou de l’autre de ces deux dispositions.
2325. D’ailleurs, toute clause ayant pour objet une renonciation à l’application
des dispositions prévues aux articles 2125 et 2129 C.c.Q. doit faire l’objet d’une
négociation libre de la part du client et en toute connaissance de ses droits.
Ainsi, le client bien renseigné sur ses droits et les conséquences qui
découlent de sa renonciation peut convenir, avec son entrepreneur ou son
prestataire de services, du montant à payer à titre d’indemnité pour la résiliation
de son contrat. Par cette clause, les parties apportent une modification à l’une
des composantes de l’article 2129 C.c.Q.
en y substituant une indemnité prédéterminée pour le préjudice à être subi par
le professionnel.
2) Clause pénale abusive
2326. La clause, lorsqu’elle est incluse dans un contrat d’adhésion, doit
être valablement stipulée et ne doit donc pas être abusive au sens de l’article
1437 C.c.Q..
En effet, l’entrepreneur ou le prestataire de services ne peut imposer au client le paiement d’une indemnité équivalant à
celle qu’il aurait dû payer s’il avait fait défaut de remplir ses obligations
au contrat, car conclure ainsi reviendrait à rendre illusoire son droit à la
résiliation. Le fait pour le client de procéder à la résiliation unilatérale de
son contrat ne peut être assimilé à une inexécution de ses obligations, car une
fois son droit exercé, les obligations prévues au contrat se voient éteintes.
En effet, la perte que pourrait subir le cocontractant qui voit son contrat résilié
résulterait non pas d’une inexécution du contrat par le client, mais bien de l’exercice
de son droit à la résiliation.
2327. Ainsi, sera considérée comme abusive la clause qui favorise l’entrepreneur
ou le prestataire de services en lui permettant d’empocher des profits qu’il
aurait pu réaliser si le contrat avait été exécuté. Permettre à ces derniers d’obtenir
une telle indemnité contrevient à la volonté du législateur ayant adopté une
telle disposition afin de favoriser
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le client.
Cependant, ne sera pas toujours considérée comme abusive la clause qui
détermine un préjudice supérieur à celui que l’entrepreneur ou le prestataire
de services aurait pu obtenir par l’application des règles prévues à l’article 2129 C.c.Q. Pour apprécier le caractère abusif
de celle-ci, il importe de tenir compte de l’équilibre économique entre les
parties ainsi que du caractère disproportionné ou non de l’indemnité prévue
dans la clause.
2328. Ce même raisonnement doit être adopté non seulement dans le cas d’un contrat
d’adhésion, mais aussi lorsqu’on est en présence d’un contrat de gré à gré
ayant fait l’objet d’une négociation entre les parties. Bien que l’article 1437
C.c.Q. ne trouve pas son application à un contrat de gré à gré, les exigences
de la bonne foi font en sorte que, pour respecter la volonté du législateur, la clause des dommages-intérêts liquidés ne
devrait servir qu’à compenser le préjudice subi selon un montant convenu à l’avance
et non pas à imposer une quelconque pénalité, car autrement celle-ci viendrait
justement rendre illusoire le droit du client à la résiliation en assimilant l’exercice
de ce droit à une faute.
3) Qualification
de la clause pénale
2329. La clause
pénale permet aux parties d’évaluer par anticipation les dommages-intérêts dus au créancier advenant l’inexécution des
obligations par le débiteur (art. 1622 C.c.Q.). L’article 1623 C.c.Q.
permet cependant au tribunal de diminuer la peine stipulée sur une preuve du
caractère déraisonnable ou abusif de la clause pénale. Cette disposition peut
trouver application dans le cadre de l’application de l’article 2129 C.c.Q. s’il
est possible de qualifier le montant des dommages-intérêts compensatoire.
Ainsi, la peine compensatoire n’a pas pour objet de sanctionner l’exercice d’un
droit à la résiliation du contrat. Au contraire, elle est permise par la loi
même si elle était déterminée selon une évaluation approximative, afin de
compenser le préjudice résultant de la résiliation du contrat et non pas d’imposer
une quelconque pénalité pour l’exercice d’un droit légitime, surtout lorsque
celui-ci est accordé par la loi. Cette interprétation s’impose même si elle
pourrait soulever un problème, car l’article 1622 C.c.Q. semble assimiler la
clause pénale à la sanction d’une faute contractuelle, ce qui n’est pas le cas
lorsque le client exerce son droit à la résiliation. En effet, le montant
prédéterminé doit être justifié, selon cet article, par la faute et à condition
qu’il soit aussi raisonnable.
[Page 881]
Ainsi, une indemnité d’un montant déraisonnable
ne peut être acceptée pour sanctionner l’exercice d’un droit légitime
en l’absence d’une faute établie en preuve.
2330. Il
importe de faire la distinction entre une clause pénale qui a pour but de sanctionner le défaut d’une partie de respecter ses obligations contractuelles envers son
cocontractant et une clause que les parties peuvent appeler par erreur une
clause pénale et qui a pour objet
le paiement des frais de résiliation du contrat. Dans le premier cas, il s’agit d’une clause pénale, au sens des articles 1622 C.c.Q. et
suivants, qui, indépendamment de
sa validité, ne peut être mise en application par son bénéficiaire à moins que le débiteur ne soit constitué en demeure d’exécuter
en nature l’obligation sanctionnée par cette clause.
En d’autres mots, la partie désignée comme bénéficiaire de la clause pénale ne
peut réclamer le montant prédéterminé par les parties à titre de
dommages-intérêts liquidés qu’une fois que la partie débitrice est constituée
en demeure de procéder à l’exécution en nature de son obligation et que son
défaut persiste malgré la demeure et le délai raisonnable qui lui a été accordé.
2331. Par contre, dans le cas où la clause prévoit le paiement d’un certain
montant advenant la résiliation du contrat avant son exécution complète, elle
ne constitue pas une clause pénale au sens des articles 1622 C.c.Q. et suivants. D’abord, non seulement
la validité de cette clause peut être mise en question, mais aussi sa mise en
application. Une telle clause ne permet pas de conclure à une renonciation
implicite par le client à son droit à la résiliation unilatérale prévu à l’article
2125 C.c.Q. puisque la renonciation à ce droit doit être exprimée en termes
clairs et précis. En effet, une renonciation à un droit ne peut être présumée,
mais doit être exprimée clairement et être le résultat d’un consentement donné
par le client en toute connaissance de chose.
2332. Ainsi, on ne
serait pas en présence d’une renonciation au droit à la résiliation unilatérale
si le client n’était pas renseigné du fait que la clause prévoyant le paiement
d’un montant à titre de frais de résiliation constitue en même temps une
renonciation à ce droit. De plus, le client doit savoir, avant de donner son
consentement, que cette clause constitue aussi une renonciation à l’application
de l’article 2129 C.c.Q., article qui limite sa responsabilité financière
envers l’entrepreneur ou le prestataire de services. Il appartient à l’entrepreneur
ou au prestataire
[Page 882]
de services de faire la
preuve que le client était bien renseigné sur la portée et l’étendue ainsi que
sur les conséquences qui découlent de la clause stipulant le paiement d’un
certain montant en cas de résiliation du contrat avant l’arrivée de son terme.
Il ne s’agit pas ici d’une obligation ou d’un devoir de conseil, mais tout
simplement d’une obligation de renseignement devant être bien remplie avant que
le client donne son consentement afin que celui-ci soit exprimé en toute
connaissance des informations pertinentes.
2333. Il faut noter que la qualification donnée par les parties à la clause
prévoyant le paiement d’un montant advenant l’exercice, par le client, de son
droit à la résiliation unilatérale du contrat a peu d’importance. Le tribunal
pourra dans tous les cas décider de réduire le montant ainsi stipulé
lorsque celui-ci excède largement le préjudice réellement subi par le
contractant, car décider autrement reviendrait à assimiler l’exercice du droit
du client à une faute, ce qui ne peut être admis. La qualification de la clause
contenue dans le contrat de clause pénale serait inconciliable avec le droit
accordé au client de résilier unilatéralement le contrat. Autrement, la
résiliation ne serait alors plus vue comme un droit, mais bien comme une faute
sanctionnée.
4) Validité
de la clause pénale
2334. En somme, pour que la clause prévoyant le paiement d’un montant
prédéterminé reçoive application, elle doit remplir deux conditions
essentielles. D’abord, il faut que le montant soit déterminé à titre de
dommages-intérêts liquidés pour compenser l’entrepreneur ou le prestataire de
services pour le préjudice qu’il pourrait subir en cas de résiliation du
contrat par le client. Ensuite, le montant stipulé ne doit pas être l’équivalent
de l’indemnité que l’entrepreneur ou le prestataire de services aurait pu
obtenir si le client avait commis une faute. Ce montant peut cependant être
supérieur à l’indemnité pouvant être établie selon les règles prévues à l’article
2129 C.c.Q., mais il ne doit en
aucun cas être l’équivalent d’une indemnité déterminée selon les règles
applicables en matière de responsabilité contractuelle pour faute, étant donné
que l’exercice d’un droit ne peut être considéré comme une faute contractuelle
ou assimilé à une telle faute. Ainsi, une évaluation anticipée des dommages ne
doit porter que sur le préjudice qui résulte de la
[Page 883]
résiliation. Elle ne doit pas être prise
en considération ni appliquée par les tribunaux lorsqu’elle vise à sanctionner l’exercice, par le client, de son
droit à la résiliation
unilatérale sans égard au préjudice subi,
surtout en l’absence d’une renonciation valable par ce client à son droit de se prévaloir
de l’article 2125 C.c.Q.
2335. On ne
peut que noter qu’une certaine jurisprudence
donne à la clause pénale les pleins effets, sans toutefois
examiner préalablement sa validité selon les règles applicables en matière d’obligations, ainsi qu’en
rapport avec celles qui régissent spécifiquement le contrat d’entreprise et de
prestation de services. Une telle application dépend de la validité de la
renonciation par le client à son droit à la résiliation unilatérale du contrat
sans motif. Elle doit aussi être appréciée et vérifiée en tenant compte des
objectifs qui ont été à l’origine de l’introduction des exceptions aux règles
de droit commun prévues aux articles 2125 et 2129 C.c.Q.
2336. L’article
2129 C.c.Q. précise les différents chefs de dommages pouvant être compensés par
le client qui résilie sans motif le contrat d’entreprise ou de prestation de
services. Mais, est-il possible pour les parties de prévoir à l’intérieur d’une
clause un montant d’indemnisation supérieur au montant pouvant être légalement
accordé à l’entrepreneur ou au prestataire de services ? Il arrive souvent qu’un contrat d’entreprise
contienne une clause pénale prévoyant une sanction exorbitante de 20 à 40 % du prix convenu, en cas de résiliation du
contrat. Les profits du contrat d’entreprise, réalisables par l’entrepreneur,
varient normalement entre 10 et 15 % du prix lorsque le contrat est totalement
exécuté. Il serait donc inéquitable d’accorder une indemnité correspondant à 20 ou 40 % du prix total du contrat lorsque sa résiliation survient en cours d’exécution.
Le client paierait, dans ce cas, un montant dépassant de loin les profits que l’entrepreneur
aurait pu réaliser s’il n’y avait résiliation et, dans certains cas, la valeur
même des travaux exécutés. La clause que l’on appelle clause pénale ou clause
frais de résiliation devient alors un moyen pour décourager le client de se
prévaloir de son droit de résilier le contrat. Elle constitue donc une sanction
à un droit conféré par la loi dont l’exercice est légitime et vise à protéger
les intérêts du client.
2337. Il semble qu’à la lumière des principes et des objectifs mentionnés
plus haut, le tribunal, même s’il conclut à la validité de la
[Page 884]
renonciation par le
client au droit à la résiliation, ne doit pas hésiter
à réduire le montant de la clause. Cette réduction s’impose pour éviter que l’entrepreneur
ou le prestataire de services ne reçoive une compensation mettant en péril des
droits reconnus et établis par le législateur en faveur du client par l’adoption
des règles de l’article 2129 C.c.Q. Ces règles constituent un régime d’indemnisation
particulier et une exception aux
règles de droit commun applicables en matière de responsabilité contractuelle.
Il faut se rappeler que ces règles visent à protéger l’exercice du droit à la
résiliation prévu à l’article 2125 C.c.Q.
2338. Le tribunal
saisi d’un litige portant sur la validité ou l’application d’une clause pénale
introduite dans le contrat pour sanctionner la résiliation du contrat sans
motif, doit garder à l’esprit que ce droit a été accordé pour éviter au client
les nombreuses conséquences importantes et potentiellement désastreuses d’un
projet d’entreprise s’il avait été mené à terme. Permettre à l’entrepreneur ou
au prestataire de services d’insérer, dans le contrat d’entreprise, une clause
pénale alors que le client n’a pas renoncé à son droit à la résiliation
unilatérale du contrat enlèverait aux articles 2125 et 2129 C.c.Q. tout leur
sens et leur raison d’être. La clause pénale, devenue rapidement une clause
type, est utilisée pour contourner une règle de protection qui vise un but
légitime et essentiel au bon déroulement des contrats d’entreprise ou de
prestation de services. Tolérer cette pratique revient à faire de la clause
pénale un moyen permettant aux entrepreneurs et aux prestataires de services de
faire indirectement ce qu’ils ne peuvent pas faire directement, soit de
décourager et d’empêcher le client de se prévaloir d’un droit auquel il n’a pas
accepté de renoncer.
2339. Le tribunal
doit aussi tenir compte de l’article 2129 C.c.Q. qui prévoit l’indemnisation de
l’entrepreneur pour les dommages effectivement subis en raison de la
résiliation du contrat d’entreprise. Il serait paradoxal de permettre l’indemnisation
des préjudices éventuels selon une évaluation anticipée consignée à l’intérieur
d’une clause pénale. L’obligation du
client qui exerce son droit de résiliation unilatérale de payer une indemnité à
l’entrepreneur ou au prestataire de services
[Page 885]
dépend dans son existence et son étendue des circonstances propres à chaque cas d’espèce.
2340. Une
clause pénale prévoyant une
sanction à l’exercice du droit à la résiliation unilatérale peut cependant être considérée
valide, dans le cas où le
montant de la pénalité prévu est inférieur à l’indemnité qui aurait été
accordée selon les critères de l’article 2129 C.c.Q.. En revanche, et
compte tenu de la nature d’ordre public de protection de la disposition prévue
à l’article 2125 C.c.Q., dans le cas où le client n’a consenti à aucune
renonciation au droit à la résiliation unilatérale, un montant supérieur prévu
dans une clause pénale peut être réduit au montant de l’indemnité déterminée
par l’application de la disposition de l’article 2129 C.c.Q. Rappelons que cette dernière disposition prévoit un plafond
ultime des indemnités devant être déboursées par le client.
Décider autrement reviendrait à permettre de sanctionner l’exercice d’un droit
légal, légitime et nécessaire au bon ordre des contrats d’entreprise. Par
ailleurs, et même en cas de validité de la clause pénale, l’article 1623 C.c.Q. permet au juge de réduire la
sanction prévue par celle-ci lorsqu’elle est déraisonnable ou abusive.
2341. Il importe
toutefois de noter qu’en présence d’un contrat d’adhésion, l’obligation de
renseignement de l’entrepreneur ou du prestataire de services au sujet d’une
clause relative au paiement de frais de
[Page 886]
résiliation, peut englober aussi un devoir de conseil de nature juridique puisque
bien souvent l’adhérent n’est pas
au courant de l’existence d’un droit à la résiliation unilatérale accordé par la loi, ni du régime restreint d’indemnisation prévu à l’article 2129 C.c.Q..
2342. Dans tous les cas, le tribunal ne doit pas donner effet à une clause
prévoyant le paiement des frais de résiliation avant de vérifier d’abord la
validité du consentement du client à cette clause et par la suite déterminer si
le montant prévu doit être accordé. Ce montant peut être réduit lorsqu’il est
disproportionné par rapport au montant résultant de l’application des critères
prévus à l’article 2129 C.c.Q.
B. Renonciation par l’entrepreneur ou
le prestataire de services
2343. L’entrepreneur
ou le prestataire de services peut renoncer à son droit de se prévaloir de l’article
2126 C.c.Q. au moyen d’une clause
pénale insérée dans le contrat. Cependant, une telle renonciation ne peut être
présumée, à moins que le
contrat ne contienne une stipulation permettant de conclure à son existence sans équivoque.
2344. L’article 2129 C.c.Q. ne
constitue pas une disposition avantageuse pour l’entrepreneur ou le prestataire
de services. Au contraire, cette disposition vise une limitation à la
responsabilité financière du client et une protection pour ce dernier en cas de
résiliation du contrat. Il va de soi que l’entrepreneur ou le prestataire de
services peut renoncer à l’application de cette disposition pour consentir à
une clause pénale encore plus avantageuse pour le client. Quant à sa
responsabilité envers le client pour une résiliation unilatérale du contrat, l’alinéa
3 de l’article 2129 C.c.Q. l’oblige à indemniser le client pour tout préjudice
qui en résulte, sans spécifier davantage le type de préjudice à être indemnisé.
2345. Il faut cependant faire la distinction entre une clause pénale qui
sanctionne le défaut de l’exécution du contrat par l’entrepreneur ou le
prestataire de services et une clause sanctionnant la résiliation du contrat
selon l’article 2126 C.c.Q. Dans le premier cas, il s’agit d’une clause aux
termes de laquelle les parties évaluent, à l’avance, le montant de l’indemnité
devant être payée au client, alors que, dans le deuxième cas, la clause a pour
but de sanctionner l’exercice d’un droit, accordé par la loi. Il importe de
noter que la clause pénale devient inopérante et sans effet dans le cas d’une
faute intentionnelle ou lourde de l’entrepreneur ou
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du prestataire de
services. En effet, la décision
de ce dernier quant à la résiliation du contrat ne doit pas être fautive et
prise à contretemps ou de manière déraisonnable. En un tel cas, le client peut
obtenir une indemnité pour tous les préjudices subis selon les règles
applicables en matière de responsabilité contractuelle.