Art. 2119. L’architecte ou l’ingénieur ne sera dégagé de sa responsabilité qu’en
prouvant que les vices de l’ouvrage ou de la partie qu’il a réalisée ne
résultent ni d’une erreur ou d’un défaut dans les expertises ou les plans qu’il
a pu fournir, ni d’un manquement dans la direction ou dans la surveillance
des travaux.
L’entrepreneur n’en sera dégagé qu’en
prouvant que ces vices résultent d’une erreur ou d’un défaut dans les
expertises ou les plans de l’architecte ou de l’ingénieur choisi par le
client. Le sous-entrepreneur n’en sera dégagé qu’en prouvant que ces vices
résultent des décisions de l’entrepreneur ou des expertises ou plans de l’architecte
ou de l’ingénieur.
|
|
Art. 2119. The architect or the engineer may be relieved from
liability only by proving that the defects in the work or in the part of it
completed do not result from any error or defect in the expert opinions or
plans he may have supplied or from any failure in the direction or
supervision of the work
The contractor may be relieved from liability only by
proving that the defects result from an error or defect in the expert
opinions or plans of the architect or engineer selected by the client. The
subcontractor may be relieved from liability only by proving that the defects
result from decisions of the contractor or from the expert opinions or plans
of the architect or engineer.
|
[Page 668]
Chacun pourra encore se dégager de sa
responsabilité en prouvant que ces vices résultent de décisions imposées par
le client dans le choix du sol ou des matériaux, ou dans le choix des
sous-entrepreneurs, des experts ou des méthodes de construction.
|
|
Each may, in addition, be relieved from liability by
proving that the defects result from decisions imposed by the client in
selecting the land or materials, or the subcontractors, experts, or
construction methods.
|
O.R.C.C. (L. V, DES OBLIGATIONS)
688. L’architecte
ou l’ingénieur se dégage de cette responsabilité en prouvant que les vices et
malfaçons de l’ouvrage, de même que les vices du sol, ne proviennent pas d’une
erreur ou d’un défaut dans les expertises ou les plans qu’il a fournis ou d’un
manquement à une obligation de surveillance des travaux d’exécution.
Le constructeur s’en dégage en prouvant que
ces vices ou malfaçons proviennent d’une erreur ou d’un défaut dans les
expertises ou les plans de l’architecte ou de l’ingénieur choisi par le client.
L’ingénieur, l’architecte ou le constructeur
s’en dégage en prouvant que ces vices et malfaçons proviennent de décisions
imposées par le client dans le choix du sol, des sous-entrepreneurs, des
experts, des méthodes de construction ou des matériaux.
En matière d’ouvrage immobilier, toute
stipulation dérogatoire est sans effet.
D.T. : art. 114.
C.c.Q. : art. 9, 1457, 2104, 2115, 2117, 2118, 2120,
2121, 2124.
1. Introduction
1760. L’article 2119 C.c.Q.
prévoit des moyens d’exonération pour les intervenants en construction.
1761. Il s’agit d’une disposition d’ordre public
qui vise, à l’instar de l’article 2118 C.c.Q., à assurer la sécurité publique. Conséquemment, toute clause
ayant pour effet d’exclure ou de limiter la responsabilité des personnes visées
par ce dernier article serait nulle. En d’autres termes, les moyens d’exonération
prévus à l’article 2119 C.c.Q.
constituent une liste exhaustive qui ne peut être élargie par une clause
contractuelle.
[Page 669]
1762. Cette disposition doit
être interprétée en corrélation avec la disposition de l’article 2118 C.c.Q. afin de produire ses pleins effets.
Il faut donc déclarer inopérante toute stipulation contractuelle permettant à l’un
ou à l’autre des intervenants en construction visés par cette disposition de
limiter ou d’exclure sa responsabilité pour une cause autre que celles permises
par l’article 2119 C.c.Q.
1763. Cet article, qui énumère les moyens d’exonération dont dispose chacun
des intervenants tenus à la garantie légale, doit donc être interprété
restrictivement pour permettre à cette
garantie d’avoir son efficacité. Celle-ci, rappelons-le, a pour but d’assurer
la solidité des immeubles, en protégeant le client et le public en général.
Ainsi, lorsque la preuve soumise ne permet pas de conclure à l’existence de l’un
des cas d’exonération prévus à l’article 2119 C.c.Q., la Cour ne peut donner
une interprétation large à cette disposition, afin d’y englober un cas qui ne
remplit pas les critères de son application.
Une telle interprétation aura pour effet de restreindre la garantie de l’article
2118 C.c.Q. ou de la rendre inapplicable, allant ainsi à l’encontre des
objectifs visés par le législateur.
2. Moyens
d’exonération
1764. Le législateur a prévu des moyens d’exonération différents pour chaque
intervenant en construction. Il a prévu, également, un moyen d’exonération
commun à tous, soit l’immixtion du client dans la conception ou l’exécution des
travaux de construction. À cela, s’ajoutent, évidemment, les causes d’exonération
prévues dans les règles de droit commun (art. 1470 C.c.Q.).
A. Moyens d’exonération de l’architecte
et de l’ingénieur
1765. Il importe de rappeler que la responsabilité légale prévue à l’article
2118 C.c.Q. ne s’applique à l’architecte ou à l’ingénieur que pour
[Page 670]
les prestations qu’il
a fournies. Elle ne s’applique
non plus qu’aux architectes et ingénieurs ayant surveillé
ou dirigé les travaux. Ceux qui ont simplement conçu les plans et devis et
fourni des expertises ne sont responsables que pour la faute qu’ils ont commise
dans l’exécution de leurs prestations, soit pour les défauts dans les plans et
devis ou des erreurs dans leurs expertises (art. 2121 C.c.Q.).
1766. L’architecte et l’ingénieur peuvent se dégager de la responsabilité
légale de l’article 2118 C.c.Q. en démontrant que la perte de l’ouvrage ne
résulte pas d’une erreur ou d’une omission dans les plans et devis ni dans la préparation
de leurs expertises, ni d’une erreur dans la surveillance ou la direction des
travaux. Ils doivent aussi démontrer que la perte est due à une cause étrangère
à leur intervention dans la réalisation de l’ouvrage. Ils peuvent également
invoquer le cas de force majeure, la faute du propriétaire et l’acte d’un tiers.
Ces derniers sont tenus à une obligation de résultat.
1767. On peut se
demander si l’architecte et l’ingénieur peuvent se dégager de leur
responsabilité sans être obligés de démontrer la faute ou la cause exacte qui
est à l’origine de la perte de l’ouvrage. En d’autres termes, peuvent-ils se
limiter à une preuve de l’absence d’erreur dans la conception et l’élaboration
des plans et devis ou dans la surveillance des
[Page 671]
travaux ? Une affirmation dans ce sens ne sera pas conforme
à l’intention du législateur et aux objectifs ayant motivé l’adoption d’un
régime de responsabilité légale mixte qui assouplit le régime de responsabilité
présumée en offrant la possibilité à une exonération restreinte de
responsabilité sans toutefois adopter un régime de présomption de faute pouvant
être repoussée par une simple preuve d’absence de faute.
1768. Il importe d’abord de noter que l’absence de faute n’équivaut pas à la
diligence raisonnable puisque l’architecte
et l’ingénieur sont soumis à une obligation de résultat en ce qui a trait à la
conception des plans et devis et des expertises qu’ils préparent. Ceux-ci
doivent être conformes aux normes en construction et au contrat liant les
parties.
1769. Les prestations relatives à la surveillance et à la direction des
travaux sont, en général, des obligations de moyens, ce qui signifie que, dans
certains cas, l’architecte et l’ingénieur peuvent s’exonérer en démontrant la
diligence raisonnable dans la surveillance des travaux. Ne constituera pas
cependant un moyen de défense efficace pour l’architecte ou l’ingénieur le fait
de prétendre qu’il n’est pas obligé d’être en permanence sur le chantier, car
il doit être présent lorsque les circonstances le requièrent.
Ils ne peuvent, non plus, invoquer comme moyen de défense que le client avait
refusé leur suggestion de surveiller les travaux à temps plein alors qu’une
telle surveillance était nécessaire. Ils peuvent, cependant, se dégager de leur
responsabilité en faisant une preuve supplémentaire que ce dernier avait aussi
été informé des risques à encourir en l’absence d’une surveillance permanente,
notamment de pouvoir vérifier, de façon adéquate et régulière, l’exécution des
travaux. Ainsi, ils peuvent se libérer de leur responsabilité par la preuve
que, malgré les conseils appropriés donnés au client quant aux risques à
[Page 672]
encourir en l’absence
d’une surveillance adéquate, ce
dernier a refusé de leur donner un
mandat complet.
1770. Dans le
cadre de la surveillance ou de la direction des travaux, l’architecte et l’ingénieur ont l’obligation d’aviser le client de tout vice ou malfaçon dans les biens et de tout défaut ou erreur dans l’exécution
des travaux. Ils ne
peuvent se contenter d’une preuve générale de bonne conduite. Au contraire, ils doivent faire
les vérifications qui s’imposent à tout professionnel dans de semblables
situations, de la méthode d’exécution choisie et des biens suggérés par l’entrepreneur
et les sous-traitants. De plus, ils ne doivent pas se limiter à une
vérification de la conformité de la méthode et des modes d’exécution choisis
par l’entrepreneur et les sous-traitants, mais aussi surveiller et vérifier le respect de ceux-ci en cours d’exécution des
travaux.
1771. Pour se
dégager de leur responsabilité, ils doivent donc démontrer, d’une part, l’absence
d’erreurs ou de failles dans leur surveillance des travaux et, d’autre part, l’impossibilité pour eux de détecter ou
de découvrir, durant leur surveillance de l’exécution des travaux par les
intervenants, la cause qui est à l’origine de la perte de l’ouvrage survenue
plus tard. En d’autres termes, ils doivent faire non seulement une preuve qui
relie directement la cause de la perte à l’activité d’un autre intervenant,
mais aussi, démontrer l’impossibilité de découvrir, en temps opportun, des
éléments ou des indices révélateurs de cette cause.
1772. Bien que l’article 2119 alinéa
1 C.c.Q. assouplit les conditions
des moyens d’exonération pour l’architecte et l’ingénieur par rapport à celles
offertes à l’entrepreneur et au sous-entrepreneur, il n’en demeure pas moins qu’ils
ne peuvent se dégager de leur responsabilité par la simple preuve de l’absence
de faute. Cette disposition et celle prévue à l’article 2118 C.c.Q. ne
permettent pas de conclure à l’existence d’un régime légal de présomption de
faute pouvant être repoussée par la seule preuve de l’absence d’une faute de
leur part. À titre d’illustration, lorsque les plans et devis sont préparés par
un autre professionnel, l’architecte ou l’ingénieur, chargé de diriger ou de
surveiller les travaux, doit corriger toute erreur, omission ou lacune dans les
plans et devis ou dans l’expertise, afin de les rendre conformes aux objectifs
visés par le contrat et
[Page 673]
aux règles de l’art.
Ainsi, à défaut pour lui de déceler un vice qu’un autre architecte ou ingénieur
placé dans les mêmes circonstances et ayant la même expertise aurait décelé, il
engage sa responsabilité solidaire avec les autres intervenants. Il engage
aussi sa responsabilité en cas de changements apportés à ces plans par l’entrepreneur
ou le sous-traitant et qui sont la cause de la perte alors qu’il a fait défaut
de vérifier leur conformité aux règles de l’art et au contrat initial.
1773. Dans le même ordre d’idées, l’ingénieur ou l’architecte chargé de
surveiller les travaux doit faire tout ce qui est nécessaire pour obtenir les
explications pertinentes quant à l’application des plans conçus par un autre
ingénieur ou architecte. Il doit aussi s’assurer que la lecture de ces plans et
leur mise en application par les constructeurs sont conformes à ce qui était
envisagé par leur concepteur. Il leur appartient de vérifier la méthode d’exécution
prévue dans les plans et devis et de faire les calculs nécessaires pour s’assurer
de leur conformité aux règles de l’art et aux derniers développements
technologiques dans l’industrie. Rappelons que l’ouvrage doit être de qualité
et sécuritaire pour le client et le public, ce qui oblige l’architecte ou l’ingénieur
à communiquer avec l’ingénieur ou l’architecte qui a conçu et préparé les
plans, afin de discuter de toute anomalie et dissiper toute ambiguïté pouvant
résulter de leur interprétation ou mise en exécution.
1774. Il ne suffit donc pas que l’architecte ou l’ingénieur démontre qu’il a
suivi la pratique professionnelle courante pour échapper à sa responsabilité,
il doit aussi établir, d’une part, le caractère raisonnable de cette pratique
et, d’autre part, la difficulté pour un autre professionnel de déceler le
problème et ainsi éviter la perte. Cette preuve peut être requise pour
démontrer l’absence d’une faute de sa part. Le tribunal dispose toutefois d’un
pouvoir discrétionnaire et peut, malgré l’absence d’une preuve contraire,
considérer la preuve relative à la bonne conduite inadmissible et la refuser
comme moyen d’exonération.
1775. L’étendue de
l’obligation de surveillance ou de direction des travaux est souvent précisée
dans le contrat liant les parties. Sans égard à ce qui est prévu, l’architecte
ou l’ingénieur, en raison de son obligation de conseil, est tenu à protéger le
client contre toutes défectuosités et lacunes dans le travail de l’entrepreneur
et des sous-entrepreneurs. Cette obligation implique nécessairement le devoir
de conseiller le client quant à l’utilisation des matériaux et des biens à
incorporer dans
[Page 674]
l’ouvrage, voire de l’empêcher d’accepter l’utilisation
des matériaux dont les conséquences pourraient être dommageables.
1776. L’architecte ou l’ingénieur ne peut invoquer comme cause d’exonération
l’urgence à laquelle il a fait face ainsi que l’insuffisance du temps qui lui a
été alloué pour faire ses vérifications. Il ne peut évoquer non plus, l’inexistence
des documents sur les produits ou les matériaux fournis ni l’absence de
résultat des tests ou des renseignements adéquats quant aux conséquences et
effets qui résultent de leur utilisation.
1777. L’ingénieur
et l’architecte, en leur qualité d’experts, ont le devoir d’agir avec extrême
diligence et vigilance et de ne pas fermer les yeux devant des anomalies qui
entachent les plans et devis préparés par d’autres architectes ou ingénieurs.
B. Moyens d’exonération de l’entrepreneur
et du promoteur immobilier
1778. L’entrepreneur, tenu à une obligation de résultat, ne peut pas plaider
la diligence raisonnable dans l’exécution des travaux.
Il ne peut, non plus, s’exonérer par une preuve que la surveillance des travaux
était confiée à un architecte ou à un ingénieur engagé par le client. En effet,
il a la responsabilité de la coordination et de la direction des travaux, ce
qui implique nécessairement une obligation de surveiller la qualité et la
conformité de leur exécution par les différents intervenants. Le fait qu’un
architecte ou qu’un ingénieur ait été chargé de surveiller les travaux ne
libère pas l’entrepreneur de sa propre obligation de surveillance et de
coordination. Même lorsque l’exécution d’une partie des travaux a été confiée à
un sous-traitant choisi par le client, l’entrepreneur à qui reviennent la
coordination et la direction de l’ensemble des travaux, demeure responsable de
la surveillance, de la vérification de la qualité ainsi que de la conformité
des travaux exécutés par ce dernier.
[Page 675]
1779. La perte de l’ouvrage peut aussi résulter de l’omission de l’entrepreneur
général de prendre les mesures appropriées à sa protection
ou de sa décision de modifier les plans de l’architecte
rendant ainsi l’exécution des travaux non conforme aux règles de l’article 2119
C.c.Q. Elle peut aussi être due à son refus ou à sa négligence d’exécuter certains travaux selon la recommandation d’un
architecte ou d’un sous-traitant. Notons à cet effet que la preuve de la cause
de la perte de l’ouvrage ne peut être requise du client dans les cas visés par
l’article 2118 C.c.Q., qui n’exigent pas la preuve d’une faute, mais tout
simplement celle de l’existence des vices qui affectent l’immeuble. D’ailleurs,
l’entrepreneur général a l’obligation de surveiller et de diriger la totalité
des travaux. Il lui appartient de s’assurer de l’exécution et de la conformité
de tous les travaux même en l’absence d’une recommandation ou d’un avis donné
par un autre professionnel ou intervenant.
1780. L’entrepreneur peut cependant se dégager de sa responsabilité en
faisant la preuve que, malgré les conseils et les avertissements donnés au
client en rapport avec l’incompétence du sous-traitant choisi par ce dernier ou
la mauvaise qualité et non-conformité des travaux exécutés par lui, le client
avait insisté pour que ce sous-traitant continue l’exécution des travaux.
Il peut également se dégager de la responsabilité légale lorsque la cause de la
perte est due à une erreur commise dans une partie de l’ouvrage qui n’était pas
sous sa surveillance, mais sous celle d’un architecte ou d’un ingénieur choisi par
le client.
1781. L’entrepreneur
peut également se dégager de sa responsabilité lorsqu’il a rempli son devoir de
renseigner son client sur l’état du sol ou sur la qualité des travaux à être
exécutés selon les plans et devis ou selon la description contenue dans les
documents d’appel d’offres. Alors, le client qui décide de ne pas prendre en
considération les conseils et les avertissements de l’entrepreneur en exigeant
tout de même l’exécution des travaux selon les documents préparés par ses
conseillers ne pourra tenir l’entrepreneur responsable en l’absence d’une faute
de la part de ce dernier pouvant être la cause de défectuosité ou d’insatisfaction
quant à la qualité des travaux.
[Page 676]
1782. Au contraire, il est en
faute et engage sa responsabilité lorsqu’une erreur dans les plans et devis ou
dans les expertises aurait dû être décelée par lui, mais qu’il a manqué de le
faire (art. 2104 C.c.Q.).
La faute peut alors être l’omission de prévenir un danger prévisible.
1783. Ainsi, l’entrepreneur ne peut se dégager de sa responsabilité en
invoquant une erreur dans les plans et devis. Dès son implication dans le
projet envisagé, il doit s’assurer de l’exactitude des mesures prévues et des
données contenues dans les plans et devis, même lorsque celles-ci ont été
préparées par un professionnel engagé par le client.
Il doit ainsi les vérifier préalablement à leur mise en application. À titre d’illustration,
il doit s’assurer de la qualité réelle du sol, du lieu et de l’environnement de
construction avant de débuter les travaux. L’ouvrage doit être conforme aux
plans et devis et l’entrepreneur doit aussi s’assurer de la solidité de
celui-ci, afin qu’il réponde à toutes les qualités généralement requises par
les règles de l’art. Il pourra donc engager sa responsabilité pour les
conséquences qui résultent de son défaut de prendre les mesures appropriées et
de faire les tests qu’il devait effectuer en guise de vérification à la suite
de l’attribution du contrat. Cependant, l’entrepreneur ne peut être tenu
responsable d’un vice de sol s’il a effectué un examen attentif du terrain et
qu’il n’était pas possible de déceler ce vice.
[Page 677]
1) Faute de
l’ingénieur ou de l’architecte
1784. L’entrepreneur
ou le promoteur immobilier, assimilé à l’entrepreneur en vertu de l’article 2124 C.c.Q., doit démontrer que la perte de l’ouvrage
découle d’une erreur dans les plans et devis ou les expertises
préparées par l’architecte ou l’ingénieur choisi par le
client. L’engagement de ces derniers par le client peut être un élément important à considérer lors de la détermination
de la responsabilité pour la perte. Par contre, lorsqu’ils sont engagés par l’entrepreneur,
celui-ci ne peut invoquer leur faute pour s’exonérer de sa responsabilité
légale. Il est responsable de
la qualité de leurs prestations et de leur conformité aux stipulations du
contrat conclu avec le client ainsi qu’aux règles de l’art.
1785. Afin qu’il puisse s’exonérer de la responsabilité légale de la perte de
l’ouvrage, l’entrepreneur doit démontrer, en plus d’une erreur de la part des
architectes ou des ingénieurs qui ont préparé les plans ou les expertises, une
absence de faute de sa part. Il s’agit d’un régime plus lourd que celui qui s’applique
aux architectes et aux ingénieurs, puisque l’entrepreneur ne peut se dégager de
sa responsabilité pour la perte de l’ouvrage en faisant seulement la preuve de
la faute du sous-traitant, de l’architecte ou de l’ingénieur. En effet, en tant
que professionnel chargé de la coordination et de la direction des travaux, il
est responsable des erreurs commises par ces derniers dans l’exécution des
travaux ou des prestations qui leur ont été confiés.
1786. Il est le maître d’œuvre et doit, à ce titre, vérifier et surveiller l’exécution
de chaque partie de l’ouvrage sans égard à l’identité de celui qui l’exécute et
à celui qui l’a engagée. Pour pouvoir se dégager de la responsabilité pour la
perte ou les dommages résultant d’un vice prévu à l’article 2118 C.c.Q., l’entrepreneur
doit ainsi faire la preuve de la cause de la perte, qui doit être imputable à
un intervenant en construction choisie
par le client et, d’autre part, qu’il a bien conseillé et avisé ce dernier du
risque pouvant résulter de la mauvaise qualité des travaux exécutés par cet
intervenant ou des erreurs commises par lui. De plus, il doit soumettre une
preuve que, malgré ses conseils donnés au client,
[Page 678]
celui-ci a insisté pour que l’intervenant responsable de
la cause de la perte continue l’exécution des travaux.
1787. D’ailleurs,
il importe de mentionner que l’entrepreneur n’est pas un simple exécutant quant aux plans et devis préparés et conçus par un ingénieur ou un architecte. Il doit
vérifier les données contenues ainsi que les mesures prévues dans les plans et
devis. Cependant, cette obligation de vérification en est une de moyens, de
sorte qu’elle peut être remplie avec la même diligence et la même prudence que celles d’un entrepreneur
raisonnable et compétent dans un domaine. Ainsi, contrairement à l’ingénieur et
l’architecte, la responsabilité de
l’entrepreneur ne peut donc pas être retenue quant à une vérification des
données qui s’est révélée plus tard inefficace.
1788. La
démonstration par l’entrepreneur que la perte est due à une cause imputable à
la faute de l’ingénieur ou de l’architecte choisi par le client, tel qu’une
erreur ou une omission dans les plans et devis ou dans les expertises préparés
par eux peut être
insuffisante. L’entrepreneur peut demeurer responsable envers le client, même s’il
s’est fié aux mesures et autres paramètres établis aux plans et devis, alors qu’il
devait les vérifier au préalable. Il ne doit pas utiliser, sans vérification,
les données contenues aux plans et devis. En d’autres termes, il ne peut être
un exécutant passif et assimiler les plans et devis à des ordres du client
devant être suivis fidèlement et sans protestation de sa part puisqu’il est, en
fait, le maître d’œuvre. Ainsi, en tant que spécialiste du domaine de la
construction, sa responsabilité sera retenue s’il n’a pas décelé à temps une
erreur contenue dans les plans qui lui ont été soumis, à moins de faire la
preuve qu’une telle erreur aurait aussi échappé à un entrepreneur compétent,
diligent et agissant de façon raisonnable.
1789. Enfin, l’entrepreneur ne peut, non plus, s’exonérer en démontrant une
faute dans la surveillance ou la direction de l’architecte ou de l’ingénieur à
son égard. Il ne peut, ainsi, imputer la responsabilité de la
[Page 679]
perte due à sa faute, dans l’exécution
des travaux, au manquement de surveillance par l’ingénieur ou l’architecte. D’ailleurs, la
surveillance générale et la
direction des travaux reposent sur les épaules de l’entrepreneur. La surveillance par l’architecte
ou l’ingénieur est effectuée au bénéfice du client et non à celui de l’entrepreneur. Il est donc
inconcevable de permettre à l’entrepreneur de soulever une erreur ou une lacune
dans la surveillance par l’architecte ou l’ingénieur pour se libérer de sa
propre faute, qui est la cause principale de la perte de l’ouvrage.
2) Faute du sous-traitant
1790. L’entrepreneur qui confie l’exécution d’une partie des travaux à un
autre professionnel conserve la direction et la surveillance de ces travaux.
Il ne peut se libérer de sa responsabilité du simple fait que le vice ou la
cause de la perte provient de la partie des travaux exécutés par un
sous-traitant.
1791. La
démonstration de la faute d’un sous-traitant par l’entrepreneur n’entraînera
donc pas son exonération de responsabilité envers le client. Dans ce cas, son
seul recours est d’appeler en garantie le sous-traitant pour le tenir
responsable de tout montant qu’il sera condamné à payer au client.
1792. Il arrive que l’entrepreneur renonce dans son contrat avec le
sous-traitant à tout recours subrogatoire contre ce dernier advenant une faute
commise et qui cause dommage aux biens du client. Dans ce cas, l’entrepreneur
qui sera tenu responsable solidairement avec son sous-traitant pour réparer les
dommages causés au client et
[Page
680]
payer l’indemnité
accordée par le jugement ne pourra pas exercer son recours récursoire contre
son sous-traitant en raison de cette renonciation. Il en est de même lorsque la
renonciation porte aussi sur les dommages causés par le sous-traitant aux biens
de l’entrepreneur. À cet effet, l’assureur de ce dernier qui paie le montant de
l’indemnité due soit au client, soit à l’entrepreneur lui-même, ne pourra pas
exercer un recours subrogatoire selon l’article 2474 C.c.Q. contre le
sous-traitant auteur des dommages. En effet, la renonciation par l’entrepreneur
à exercer un recours subrogatoire ou récursoire contre le sous-traitant sera
également opposable à son assureur.
1793. Lorsque la
faute ayant causé la perte a été commise par un sous-traitant, l’entrepreneur
demeure donc responsable avec ce dernier envers le client, à moins que ce
sous-traitant ne soit choisi par ce dernier. Dans ce cas, l’entrepreneur doit
aussi démontrer que, malgré les conseils et les avertissements donnés quant à l’incompétence
du sous-traitant et à la mauvaise qualité des travaux, le client avait décidé
de le laisser poursuivre l’exécution de ces travaux.
3) Immixtion du client
1794. L’immixtion
injustifiée du client dans l’exécution du contrat peut être invoquée par l’entrepreneur
comme cause d’exonération de responsabilité. Ceci est possible dans le cas d’une
perte de l’ouvrage, et non dans le cas de malfaçons.
Il ne suffit cependant pas d’alléguer une immixtion par le client, l’entrepreneur
doit aussi faire la preuve de son existence et de son étendue. Il lui
appartient également de faire la preuve du lien de causalité entre cette
immixtion et le mauvais résultat, la perte, la défectuosité ou le vice qui
affecte l’ouvrage.
1795. Pour que l’immixtion
du client soit une cause d’exonération de responsabilité pour l’entrepreneur, elle
doit remplir plusieurs conditions. Elle doit, d’abord, être faite par un client ayant une connaissance
notoire de la méthode d’exécution des obligations de l’entrepreneur.
De plus, pour qu’une immixtion précise vaille une exonération de
[Page 681]
responsabilité, l’entrepreneur
doit être réticent à l’égard d’une telle immixtion, de sorte que sa réticence
doit faire l’objet d’un avis donné au client exprimant non seulement son
désaccord avec l’ingérence de ce dernier, mais aussi les motifs et les informations
pertinentes qui justifient son désaccord. En d’autres termes, l’entrepreneur
doit s’opposer à l’immixtion injustifiée du client et l’aviser des risques et
des conséquences pouvant en résulter. Il doit aussi exprimer son intention de
se dégager de toute responsabilité pour ces conséquences si le client insiste
et maintient son immixtion. Également, cette immixtion du client doit être la
seule cause de la perte de l’ouvrage. Enfin, l’entrepreneur
doit mettre en preuve que l’immixtion du client a eu un impact significatif sur
la qualité et la conformité du travail.
1796. Faut-il
rappeler que l’entrepreneur est tenu à une obligation de renseignement et de
conseil à l’égard du client. Celui-ci peut avoir
une connaissance limitée ou une expérience insuffisante en matière de
construction. Conséquemment, un choix déraisonnable ou inapproprié formulé par
ce dernier ne permet pas à l’entrepreneur de s’exonérer de sa responsabilité.
Ainsi, ce dernier doit refuser la décision de son client lorsque celle-ci est contraire
à ses intérêts et aux règles de l’art.
1797. Enfin, il
importe de mentionner que le régime de responsabilité de l’article 2118 C.c.Q.
est établi seulement au bénéfice du client ou de ses ayants cause. Il ne
bénéficie pas aux intervenants en construction visés par cette disposition qui
ne peut être invoquée par l’un à l’encontre de l’autre pour établir sa
responsabilité pour la perte. Ainsi, dans le cas où un intervenant tenterait de
s’exonérer en soulevant l’immixtion du propriétaire dans les travaux, il
importe que ce propriétaire n’ait pas, lui-même, la qualité d’entrepreneur.
[Page 682]
C. Moyens d’exonération du
sous-entrepreneur (art. 2119 al. 2 in fine C.c.Q.)
1) Moyens
généraux d’exonération
1798. Le sous-entrepreneur est soumis à la responsabilité légale pour la
perte de l’ouvrage au même titre que l’entrepreneur, l’architecte et l’ingénieur.
La responsabilité du sous-entrepreneur est, toutefois, limitée à la partie des
travaux qu’il a exécutés. Ainsi, il ne peut pas
être responsable de la perte de l’ouvrage lorsque la cause de cette perte
provient d’une partie de l’ouvrage dans l’exécution de laquelle il n’était
aucunement impliqué. Dans ce cas, il suffit de faire la preuve que le vice ou
la cause de la perte a pris son origine dans une partie de l’ouvrage qui ne
relève pas de sa responsabilité.
1799. Lorsque le
vice ou la cause de la perte se situe dans une partie qui a été exécutée par le
sous-traitant ou dans la réalisation de laquelle il était impliqué, il assume,
en principe, la même responsabilité que l’entrepreneur général. Pour se dégager
de sa responsabilité, il doit faire la preuve, d’une part, de la faute de l’architecte
ou de l’ingénieur dans les plans et devis ou les expertises qu’il a préparés,
et d’autre part, de l’absence d’une faute de sa part dans l’exécution de ces
travaux. En d’autres termes,
il doit faire la preuve de la cause exacte de la perte de l’ouvrage, soit l’erreur
ou l’omission dans les plans et devis ou les expertises préparées par l’architecte
ou l’ingénieur.
1800. De plus, il peut également s’exonérer de sa responsabilité en faisant
la preuve que la perte est attribuable à une faute d’un autre sous-traitant qui
a été impliqué dans l’exécution de la partie des travaux qui lui étaient
confiés. Cependant, comme c’est le cas pour l’entrepreneur, il demeure
responsable de la faute commise par un autre sous-traitant lorsque celui-ci
devait exécuter des travaux sous sa surveillance ou qui relèvent de sa responsabilité.
1801. Contrairement à l’entrepreneur, il n’est pas nécessaire que l’architecte
ou l’ingénieur ait été choisi par le client pour que le
[Page 683]
sous-entrepreneur
puisse s’exonérer de sa responsabilité légale. Ce choix peut être fait par l’entrepreneur.
1802. Cependant, le sous-entrepreneur peut être responsable lorsqu’il n’a pas
décelé l’erreur dans les plans et devis ou dans les expertises alors qu’un
autre expert placé dans les mêmes circonstances l’aurait découverte. De plus,
étant un expert en construction quant à la partie des travaux qu’il lui a été
confié, le sous-traitant est tenu à une obligation de résultat. Il a donc le
devoir de se renseigner quant à la bonne méthode d’exécution des travaux, que
ce soit auprès de l’entrepreneur, du fabricant, du fournisseur de matériaux, de
l’architecte, de l’ingénieur ou de toute autre personne qui connaît les techniques
et la méthode à suivre.
2) Faute de
l’entrepreneur
1803. Le sous-entrepreneur peut s’exonérer en démontrant que la faute résulte
d’une décision imposée par l’entrepreneur. Expert en la
matière, le sous-entrepreneur a, toutefois, le devoir de dénoncer par avis
écrit ou au moins de souligner toute décision de l’entrepreneur qui n’est pas
conforme aux règles de l’art. Il en est ainsi
lorsque la non-conformité est sérieuse et qu’elle menace la solidité de l’ouvrage
ou la sécurité du client et du public. Dans ce cas, le sous-entrepreneur doit
plutôt refuser de procéder à l’exécution des travaux imposés par une mauvaise
décision de l’entrepreneur. En effet, si ce
dernier insiste
[Page 684]
pour que le
sous-entrepreneur agisse à sa façon, il engage, ainsi, sa responsabilité
légale. La dénonciation à l’entrepreneur du danger que représente l’exécution
des travaux en suivant ses directives ou sa décision, libère le
sous-entrepreneur de sa responsabilité contractuelle et légale puisque la faute
qui est à l’origine de la perte ne peut lui être imputable.
De même, l’entrepreneur qui fournit des matériaux défectueux pour la
réalisation du travail de sous-traitance engagera seul sa responsabilité pour
les dommages résultant de ce vice, s’il n’était pas possible pour le
sous-traitant de déceler ce défaut.
1804. Il est plausible de penser que la faute de l’entrepreneur n’est pas
opposable au client et ne permet pas à un sous-entrepreneur de se libérer de sa
responsabilité légale à l’égard de ce dernier. Cette faute peut, cependant,
constituer une cause légitime et valable pour appeler l’entrepreneur en
garantie par le sous-traitant pour le faire condamner à l’indemnisation de tout
montant ou frais payés au client.
1805. Le sous-entrepreneur ne peut, cependant, invoquer un défaut dans la
surveillance ou la direction des travaux par l’entrepreneur, l’architecte ou l’ingénieur,
pour se dégager, en tout ou en partie, de sa responsabilité légale lorsque la
faute à l’origine de la perte de l’ouvrage a été commise dans l’exécution des
travaux qui lui ont été confiés. Une telle faute
commise par un expert en la matière est la cause principale de la perte et non
pas le manque de surveillance à son égard. La
surveillance est effectuée au bénéfice du propriétaire et non du
sous-entrepreneur.
3) Choix de matériaux imposé au
sous-entrepreneur spécialisé
1806. Le sous-entrepreneur n’est pas en principe responsable de la faute
commise par l’entrepreneur ou due à un mauvais choix de
[Page 685]
matériaux qu’il est contractuellement obligé d’utiliser. Cependant, il ne faut
pas exclure sa responsabilité en
tant que spécialiste dans le domaine des travaux exécutés par celui-ci. Ainsi, même lorsque les
matériaux sont déjà prévus au contrat, il se doit en tant que spécialiste d’être
conseillé auprès de l’entrepreneur et du client. Un sous-entrepreneur
spécialisé doit subir le même traitement que l’entrepreneur en ce qui concerne
la responsabilité auprès du client. À cet effet, il n’est pas inutile de rappeler que l’entrepreneur a une
obligation de conseil quant à la qualité des matériaux à utiliser, et ce même
si ces matériaux sont choisis et livrés par le client. Dans certains cas, l’entrepreneur
doit même refuser d’utiliser ces
matériaux lorsqu’il est conscient à titre de spécialiste que la qualité de l’ouvrage
et sa solidité en seront réduits. Si malgré le conseil reçu, le client insiste
pour que ses propres matériaux soient utilisés dans la réalisation de l’ouvrage,
l’entrepreneur doit obtenir par écrit une libération pour toute responsabilité
à cet égard. Cette règle doit s’appliquer mutatis mutandis à une
relation liant un entrepreneur général à un sous-entrepreneur spécialisé.
3. Moyens
d’exonération de tous les intervenants en construction
A. Moyens codifiés à l’article 2119 C.c.Q.
1) L’expertise
du client
1807. Certains pensent qu’il y a lieu d’établir une analogie entre la règle
prévue à l’article 1473 alinéa 1 C.c.Q. et celle de l’article 2119 C.c.Q. lorsque le client lui-même est un
expert en construction. L’article 1473 C.c.Q. établit un moyen d’exonération de
responsabilité pour le fabricant, le distributeur ou le fournisseur d’un bien
meuble lorsque la victime connaissait ou était en mesure de connaître le défaut
du bien ou qu’elle pouvait prévoir le préjudice. Nous croyons qu’il est
difficile d’assimiler le cas d’un acheteur victime d’un défaut de sécurité d’un
bien meuble au cas du client qui se fait construire un ouvrage immobilier.
1808. Le fait que
le client soit un expert en construction ne doit pas être une cause d’exonération
de responsabilité pour les intervenants en construction visés par l’article
2118 C.c.Q. La responsabilité de ces
[Page 686]
intervenants n’est
pas due à l’ignorance ou à l’incompétence du client en construction,
mais à leur devoir et obligation
de s’assurer de la qualité et de
la solidité de l’ouvrage dont ils
sont chargés. Il est inacceptable
de permettre à un intervenant en
construction, visé par l’article
2118 C.c.Q., de se dégager de sa responsabilité en invoquant tout simplement que
le client est lui-même expert en
construction.
1809. L’expertise
du client ne doit être prise en considération que lorsque celui-ci est impliqué dans la réalisation
de l’ouvrage. Il en est
ainsi lorsque le client s’implique dans la conception des plans ou assume, avec
l’entrepreneur, la direction des travaux ou qu’il participe aux décisions prises quant aux moyens et modalités d’exécution de l’ouvrage. Même dans ce cas, l’expertise du client peut être insuffisante pour se
dégager de toute responsabilité quant à la perte. Elle peut être invoquée pour
faire partager cette responsabilité avec ce dernier. En d’autres termes, le
client, expert en construction, qui est impliqué dans la réalisation des
différentes étapes de l’ouvrage, peut se voir attribuer la même responsabilité
que les intervenants visés par l’article 2118 C.c.Q. En effet, l’intervention
ou l’ingérence de ce dernier dans la réalisation de l’ouvrage peut être
considéré comme une faute contributoire, le rendant, lui aussi, responsable
solidairement avec les autres intervenants. Pour se dégager complètement de la
responsabilité, il faut démontrer que la perte de l’ouvrage est due à l’unique
décision imposée par le client versé en la matière.
2) Décision
imposée par le client
1810. La règle
générale fait présumer la responsabilité des intervenants en construction pour
la perte de l’ouvrage (art. 2118 C.c.Q.) sans que le client ait besoin d’établir
leur faute. L’article 2119 alinéa 3 C.c.Q. permet, cependant, à ces derniers de
s’exonérer si cette perte résulte d’une décision imposée par le client dans le
choix des matériaux, du sol, des méthodes
de construction, des sous-entrepreneurs ou des experts, ou dans l’utilisation
de l’ouvrage à une fin autre que celle à laquelle il est destiné.
Le client doit être, cependant, compétent en
[Page 687]
matière de construction.
D’ailleurs, pour obtenir une exonération ou un partage de responsabilité, l’intervenant
en construction devra démontrer que la connaissance de ce dernier est
supérieure ou égale à la sienne. En effet, plus le client a des connaissances
notoires en la matière, plus son immixtion sera jugée avec sévérité et pourra
être considérée comme une cause d’exonération de responsabilité.
1811. L’immixtion du client doit être active dans les travaux de
construction, afin que l’imposition de sa décision constitue un élément
essentiel dans la détermination de sa responsabilité pour la perte. Ni de
simples suggestions ou recommandations, ni la demande d’information à laquelle
le client a droit en vertu des articles 2108 et 2117 C.c.Q.
n’entrent dans cette catégorie. La décision
du client, invoquée comme cause d’exonération, est une exception au régime
légal prévu à l’article 2118 C.c.Q., qui est d’ordre public. Cette exception
doit donc faire l’objet d’une interprétation restrictive.
1812. Lorsque l’intervenant en construction nourrit des doutes quant à la
méthode choisie par le client, il devra les soulever dès le départ s’il compte,
par la suite, soulever l’immixtion fautive du client dans l’exécution des
travaux, pour s’exonérer en cas de matérialisation de ses
[Page 688]
craintes. Un
entrepreneur qui n’a pas confiance en la méthode d’exécution choisie, mais qui
poursuit tout de même l’exécution, agis inévitablement contre l’intérêt de son
client, puisque dans ce cas il n’agit pas au mieux de ses connaissances
professionnelles. À l’inverse, l’intervenant en construction qui communique ses
craintes et ses doutes au client et informe celui-ci des risques que comporte
son choix a davantage de chances d’obtenir un dégagement de responsabilité en
cas de matérialisation de ses craintes.
1813. Sous le Code civil du Bas-Canada, la jurisprudence a fait le
point sur la question de la responsabilité pour la perte de l’ouvrage lorsque
celle-ci est due à une décision imposée par le client. Elle attribuait à ce
dernier la responsabilité entière de la perte de l’ouvrage lorsqu’il avait une
compétence supérieure à celle des intervenants en construction. Lors de la
réforme du Code civil, à l’article 2119 alinéa 3 C.c.Q., le législateur n’a pas
codifié cette jurisprudence, restant muet sur le degré de compétence que le
client doit avoir pour exonérer totalement les intervenants en construction.
1814. Quoi qu’il en
soit, la responsabilité de l’entrepreneur, de l’architecte et de l’ingénieur
pour la perte de l’ouvrage doit être retenue et leur défense, basée sur l’exécution
des ordres du propriétaire, doit être rejetée si elle se limite à prétendre
avoir exécuté les ordres du propriétaire en ce qui a trait au mode de
construction et aux choix et emploi des matériaux. Ces professionnels, chargés
de l’exécution des travaux, sont présumés connaître l’art de leur métier. Ils
doivent, en conséquence, refuser les modes d’exécution des travaux suggérés par
le client lorsque ceux-ci sont inappropriés. Il est de leur devoir de proposer
des modes d’exécution appropriés et conformes aux règles de l’art et aux
derniers développements techniques dans l’industrie.
1815. Il faut
reconnaître à l’entrepreneur, à l’architecte et à l’ingénieur le droit à l’exonération
de leur responsabilité pour la perte de l’ouvrage lorsque la preuve démontre
que, malgré des explications et des conseils pertinents fournis au propriétaire,
celui-ci a maintenu sa
[Page 689]
décision quant au choix
du mode d’exécution et des matériaux à utiliser dans la construction. Ce droit
à l’exonération devient évident lorsque le client dispose d’une compétence
égale ou supérieure à celle de l’entrepreneur, de l’architecte ou de l’ingénieur
qui surveille les travaux. Il en est de même lorsque le mode d’exécution et les
matériaux ont été prévus dans le cahier de charges préparé par les
professionnels du client et que ceux-ci ont été également avisés de la
réticence ou du refus de l’entrepreneur ou de l’architecte et l’ingénieur
chargé de surveiller les travaux, d’appliquer ce mode d’exécution ou d’utiliser
les matériaux choisis.
1816. Il ne suffit
donc pas que les intervenants tenus à garantir la solidité de l’immeuble
invoquent l’immixtion du propriétaire dans les travaux de construction pour s’exonérer
de leur responsabilité. Pour qu’elle constitue une cause d’exonération, l’immixtion
doit d’abord être fautive. De plus, l’entrepreneur, l’architecte ou l’ingénieur
chargé de surveiller les travaux doivent avoir avisé le propriétaire de leur opposition à ses décisions relatives aux modes
de construction ou au choix des matériaux à utiliser.
1817. Il faut aussi
démontrer que le client avait reçu les conseils et les explications nécessaires
pour le convaincre des risques ou des conséquences pouvant résulter de l’utilisation
de ces modes d’exécution ou des matériaux choisis par lui. Autrement dit, les
intervenants ayant le fardeau de preuve des éléments constitutifs d’une
immixtion fautive doivent démontrer que, malgré leurs conseils et leur
désaccord, le propriétaire a maintenu sa décision et imposé ses vues et choix
en prenant à charge la responsabilité pour les conséquences qui en résultent.
Ainsi, une preuve que le client ou le propriétaire est à l’origine des vices,
en raison de son immixtion, sera insuffisante, à moins qu’elle ne soit
corroborée et appuyée par une preuve que ce dernier avait reçu les conseils et
les explications pertinentes quant aux risques éventuels concernant la solidité
de l’ouvrage, mais qu’il a quand même imposé ses décisions.
Ainsi, la preuve du choix imprudent du client, principalement guidé par des
considérations financières, alors que l’entrepreneur l’avait informé des
dangers que représentait ce choix, peut être un moyen de défense pour se
dégager de toute responsabilité, au sens de l’article 2119 C.c.Q., du préjudice
subi par le client.
[Page 690]
1818. Il
importe de souligner que la disposition de l’article 2119 C.c.Q. ne fait aucune
distinction entre les propriétaires basés sur leurs expériences et
leurs compétences quant à l’application des moyens d’exonération de responsabilité
pour les intervenants en construction. Cependant, le tribunal tiendra compte de l’expertise et de la
compétence du propriétaire. Il pourrait donc être moins exigeant quant au degré
de preuve à faire pour démontrer l’immixtion fautive du client et sa
connaissance du risque pouvant en résulter.
1819. Par contre, en l’absence d’une compétence égale ou équivalente du
propriétaire à celle de l’entrepreneur ou du prestataire de services, ces derniers ne peuvent se contenter
d’une simple dénonciation du risque ou du danger qui découle des décisions
prises par le propriétaire, étant donné qu’ils ont des devoirs de conseil et de
renseignement imposés par les articles 2100, 2102 et 2104 C.c.Q. Au contraire,
ils doivent refuser de se conformer à la décision de leur client, en sachant qu’elle
est contraire à ses intérêts ainsi qu’aux règles de l’art.
1820. Dans certains
cas, lorsque la sécurité publique le commande, le professionnel doit maintenir
son refus de suivre le mode d’exécution ou d’utiliser des matériaux inadéquats,
et ce, même si le client assume les conséquences qui en découlent. Cette
libération équivaut à une renonciation à la garantie prévue à l’article 2118
C.c.Q., que les tribunaux ont déclarée sans effet, vu le caractère d’ordre
public de cette disposition.
1821. Le courant jurisprudentiel, tel que développé au fil des ans,
trouve son application lorsque le client est d’une compétence supérieure à
celle de l’intervenant en construction. L’exonération de ce dernier peut être
totale, à moins que le client
ne prouve que la perte
[Page 691]
de l’ouvrage est due
aussi à une autre cause qui n’a pas de lien avec son ingérence. Il y a, dans ce
cas, partage de responsabilité.
1822. Le client qui engage des spécialistes pour le conseiller dans la
réalisation de l’ouvrage est réputé avoir la connaissance notoire.
S’il intervient dans l’exécution des travaux et impose ses décisions, il peut
se voir imputer une responsabilité dans la perte de l’ouvrage. De plus, si la
compétence du client est égale à celle de l’intervenant en construction, la
responsabilité de ce dernier pour la perte de l’ouvrage sera partielle.
Par contre, si la compétence du client est inférieure à celle de l’intervenant
en construction, ce dernier pourra difficilement obtenir une exonération de
responsabilité même partielle.
1823. Le tribunal, saisi d’une action en responsabilité pour la perte de l’ouvrage,
doit garder à l’esprit l’objectif des articles 2117 à 2119 C.c.Q., soit la
protection du client et la sécurité du public. Partant de cette prémisse, il ne
faut pas permettre à un intervenant en construction de se libérer de sa
responsabilité sur une simple preuve d’une décision imposée par le client. Il
ne faut pas faire assumer à un client qui n’a pas la compétence requise toute
la responsabilité de la perte de l’ouvrage survenue à la suite d’une de ses
décisions. Par contre, comme
mentionné précédemment, si le client engage des conseillers pour l’aider dans
son choix, il ne sera plus considéré comme une personne incompétente dans le
domaine de la construction.
[Page 692]
1824. Enfin, il faut faire une distinction entre une décision imposée par le
client et une décision simplement proposée. Seule la
première peut exonérer, à certaines conditions, les intervenants en
construction pour la perte de l’ouvrage. Ces conditions, rappelons-le, sont la
compétence notoire du client en matière de construction et son immixtion dans
les travaux lorsque cela devient la seule cause immédiate de la perte de l’ouvrage.
Autrement, l’immixtion du client ne permettra à l’intervenant qu’une
exonération partielle. L’immixtion du client est une question de fait qui doit
être évaluée par rapport à l’ensemble des faits entourant la construction ou la
rénovation de l’ouvrage.
3) Lien de
causalité
1825. Les intervenants en construction doivent démontrer le lien de causalité
entre le choix fautif imposé par le client et la perte de l’ouvrage.
Ceci implique que l’exonération totale ne fonctionne pas lorsque la perte est
due, aussi, en partie ou en totalité, à une mauvaise exécution des travaux ou à
une faute commise par l’un des intervenants en construction.
1826. Les travaux doivent être conformes aux règles de l’art afin que l’exonération
des intervenants en construction soit justifiée.
La preuve du lien de causalité entre le choix imposé par le client et la perte
de l’ouvrage incombe à l’intervenant en construction. Il doit être évalué selon
un critère objectif, soit celui d’un autre expert ou sous-entrepreneur, placé
dans les mêmes circonstances. La preuve doit révéler que cet expert aurait agi
différemment en refusant de se conformer à la décision
[Page 693]
du client.
Il doit établir également qu’il a fourni au client les conseils appropriés,
mais que ce dernier a maintenu sa décision tout en assumant la responsabilité
qui en résulte. Le tribunal peut alors imputer la perte de l’ouvrage en partie
ou en totalité à la décision du client. Ces deux conditions doivent être
réunies pour pouvoir s’exonérer de la responsabilité prévue à l’article 2118 C.c.Q. Ainsi, si un autre sous-entrepreneur
ou expert expérimenté n’avait pu empêcher la perte, il serait injuste d’en
imposer la responsabilité au client du simple fait que celui-ci a choisi le
sous-traitant, les biens ou le mode d’exécution.
1827. De même, si l’entrepreneur ou le sous-traitant n’a pas décelé le vice
dans les matériaux ou les plans fournis par le client alors qu’un autre
entrepreneur, placé dans les mêmes circonstances et ayant la même expertise,
aurait pu le déceler et avertir le client, la responsabilité de l’entrepreneur
doit être maintenue pour la perte de l’ouvrage.
Ce n’est que dans le cas où le client, avisé de l’existence du vice affectant
les matériaux qu’il a fournis, décide de les incorporer même si la
responsabilité de la perte de l’ouvrage doit lui être imputée.
1828. Si les intervenants en construction ne réussissent pas à démontrer que
ce choix fautif de la part du client est à l’origine de la perte de l’ouvrage,
ils ne seront pas exonérés de leur responsabilité en vertu de l’article 2118 C.c.Q.
4) Obligation
de renseignement
1829. Quant au choix des matériaux, des méthodes d’exécution, des experts ou
sous-entrepreneurs, rappelons que l’entrepreneur a l’obligation de renseigner
le client sur les inconvénients et les dangers de la non-conformité de ces
choix avec les règles de l’art. En l’absence d’avertissement de la part de l’entrepreneur,
le client n’est pas tenu responsable de la perte de l’ouvrage, même s’il y a un
lien direct entre son immixtion dans l’exécution de l’ouvrage et sa perte.
[Page 694]
1830. Rappelons que
l’entrepreneur et le prestataire de services sont tenus envers le client à une
obligation de renseignement et à un devoir de conseil. L’article 2100 C.c.Q.
prévoit que ces derniers sont tenus d’agir au mieux des intérêts de leur
client, avec prudence et diligence. De même, l’article 2104 C.c.Q. prévoit leur
obligation, lorsque les biens sont fournis par le client, d’en user avec soin
et de rendre compte de cette utilisation. Lorsque ces biens sont manifestement
impropres à l’utilisation à laquelle ils sont destinés ou lorsqu’ils sont
affectés d’un vice que l’entrepreneur ou le prestataire de services devait
connaître, ces derniers sont tenus d’informer immédiatement le client, sous
peine d’engager leur responsabilité pour le préjudice qui résulte de leur
utilisation. Ces deux articles
ne laissent aucun doute quant à l’étendue de l’obligation de renseignement à
laquelle l’entrepreneur ou le prestataire de services est tenu, pas plus qu’à l’obligation
de prodiguer à ce dernier les conseils appropriés quant à la qualité des biens
fournis et au risque qui résulte de leur utilisation.
1831. L’obligation
de renseignement fait en sorte que le client soit bien informé sur le
déroulement des travaux et sur les risques et les mesures à prendre pour réaliser
l’ouvrage prévu en conformité avec les règles de l’art. En d’autres termes, l’entrepreneur
ou le prestataire de services doit remplir son obligation de renseignement et s’acquitter
de son devoir de conseil non seulement lors de la conclusion du contrat, mais
aussi tout au long de sa durée. Son défaut de se conformer adéquatement à cette
obligation le rend responsable envers le client.
Ce défaut constitue aussi une fin de non-recevoir quant à la possibilité d’invoquer
l’immixtion de ce dernier dans l’exécution des travaux ou le choix des
matériaux. Pour réussir dans sa défense et obtenir une exonération pour la
perte, l’entrepreneur ou le prestataire de services doit, d’une part, prouver
que la perte est due à l’immixtion du client dans la réalisation de l’ouvrage
et, d’autre part, démontrer qu’il a rempli adéquatement son obligation de
renseignement et fourni les conseils appropriés à ce dernier quant aux
conséquences des décisions prises et imposées par lui relativement au choix des
matériaux et au mode d’exécution.
1832. Dans certains
cas, lorsque l’ouvrage comporte un danger, les intervenants en construction ne
peuvent pas se limiter à remplir leur obligation de renseignement et de
conseil, mais doivent aussi refuser d’exécuter les travaux. Il ne suffit donc
pas de démontrer qu’ils étaient
[Page 695]
en désaccord avec la
décision du client, ils doivent, de plus, refuser de s’y conformer lorsque la
solidité de l’ouvrage et la sécurité du public pourront être mises en question.
Devant l’insistance et le maintien d’une décision erronée par le client, ils
doivent résilier unilatéralement leur contrat, car le danger entourant la
construction ou la réparation de l’ouvrage constitue un motif sérieux de
résiliation au sens de l’article 2126 C.c.Q..
1833. Cette obligation de renseignement incombe, également, au client lorsqu’il
possède une plus grande expertise dans un domaine quelconque.
Ce dernier est tenu aussi de se renseigner lorsqu’il pourra avoir accès aux
informations pertinentes à la réalisation de l’ouvrage et son défaut de le
faire pourra justifier un partage de responsabilité avec les intervenants en
construction.
5) Opposition
des intervenants en construction au choix du client
1834. Il est plausible pour l’entrepreneur ou les autres intervenants en
construction d’invoquer une faute imputable au client comme étant à l’origine
de la défectuosité ou du vice ayant causé la perte de l’ouvrage. Il ne peut,
cependant, se contenter d’une preuve d’une mauvaise décision imposée par le
client ou son représentant ou d’un mauvais choix de matériel fait par ce
dernier. En effet, il ne suffit pas d’invoquer et de prouver que la cause qui
est à l’origine de la perte trouve ses éléments dans la méthode d’exécution ou
le matériel choisi par le client. Il faut, de plus, démontrer que l’entrepreneur
s’est opposé à l’usage de la méthode ou des matériaux imposés par le client. Il
doit, également, prouver que, malgré cette opposition, le client a maintenu sa
décision en refusant d’effectuer les changements proposés par l’entrepreneur et
au contraire, a insisté pour que celui-ci exécute le travail.
[Page 696]
1835. Une preuve écrite selon laquelle le propriétaire de l’ouvrage a pris à
ses risques l’emploi de la méthode d’exécution et l’usage des matériaux choisis
par lui sans modification est une preuve appropriée. Le défaut d’une telle
preuve par écrit fait courir à l’entrepreneur le risque de voir le tribunal
confronté à des versions contradictoires, ce qui l’empêche de mettre en
évidence la responsabilité du client pour la perte.
1836. Certains jugements imposent même aux intervenants en construction un
refus d’exécuter de tels travaux. Il ne suffit pas que
les intervenants soulignent l’erreur dans la décision du client, il faut qu’ils
lui expliquent les conséquences d’une telle décision. À défaut de renseigner
adéquatement le client, il y a lieu de conclure à une faute de leur part et
leur responsabilité sera engagée. Les intervenants en construction doivent
fournir tous les renseignements pertinents au client pour lui permettre de
prendre ses décisions en toute connaissance de cause. L’inverse est également
vrai, le client qui détient des renseignements sur la qualité du sol, des
matériaux ou sur tout autre aspect qui peut intéresser les intervenants en
construction doit les communiquer à ces derniers.
B. Moyens communs à tous les
intervenants
1) Généralités
1837. À l’exception
de l’entrepreneur général, chaque intervenant en construction peut faire
rejeter l’action en responsabilité légale, en faisant la preuve que le vice de
construction garanti par l’article 2118 C.c.Q. ne se trouve pas dans la partie
des travaux exécutés par lui. En faisant la démonstration que le vice qui est à
l’origine de la perte affecte la partie de l’ouvrage qui relève de la
responsabilité d’un autre intervenant, le sous-entrepreneur pourra être
indemnisé par celui-ci tout en étant tenu solidairement responsable envers le
client des dommages résultant de la perte de l’ouvrage.
L’entrepreneur général, l’architecte et l’ingénieur chargés de surveiller les
travaux ne peuvent se libérer de leur responsabilité qu’en faisant la preuve
que le vice de construction affecte une partie de l’ouvrage qui ne tombe pas
sous le champ de leur responsabilité. De même, il y aura exonération de
[Page 697]
responsabilité lorsque
le contrat exclut expressément une partie des travaux, alors que le client
était bien renseigné sur l’importance de son exécution et décide en toute
connaissance de cause de ne pas la confier à l’entrepreneur général. Ainsi,
dans la mesure où la preuve révèle que si ces travaux avaient été exécutés, la
perte de l’ouvrage ne serait pas survenue, les intervenants ne peuvent être
tenus responsables de cette perte, même s’il s’agit d’un vice de construction
au sens de l’article 2118 C.c.Q..
1838. Les contraintes financières du client ne sont pas un moyen d’exonération
des intervenants en construction. Si ces derniers ne
peuvent pas construire, réparer ou modifier, de façon conforme aux règles de l’art,
l’ouvrage envisagé en raison de difficultés financières du client, ils doivent
refuser d’entreprendre les travaux et expliquer à ce dernier les risques qui en
résultent pour l’ouvrage. Autrement, ils
engagent leur responsabilité solidaire. Comme nous l’avons vu, l’article 2118 C.c.Q. est d’ordre public, une clause
contractuelle ne peut limiter ou exclure leur responsabilité.
2) Force
majeure
1839. Bien que le législateur n’ait pas repris les moyens d’exonération
élaborés par la jurisprudence avant 1994, en rapport avec la force majeure, la faute d’un tiers ou du
propriétaire, ces moyens
[Page 698]
demeurent valables
et peuvent être invoqués par les
intervenants en construction.
1840. Le Code
civil du Québec a inclus dans la définition de force majeure à l’article
1470 alinéa 2, celle de cas fortuit, le but
premier de la responsabilité légale prévue à l’article 2118 C.c.Q. étant d’assurer
la solidité des immeubles qui doivent être construits conformément aux normes
reconnues en ce métier afin qu’ils résistent aux différents phénomènes naturels.
C’est pourquoi la force majeure doit revêtir un caractère de gravité extrême
que l’on ne peut prévoir. L’intervenant en
construction ne peut plaider l’imprévisibilité lorsqu’il emploie des matériaux
inappropriés pour l’ouvrage confectionné, car, en tant qu’expert dans son
domaine, il peut raisonnablement s’attendre au dommage qui en résulte.
Il en est de même lorsque l’événement que l’on qualifie d’imprévisible était
connu ou peut raisonnablement être prévisible au moment de la formation du
contrat.
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3) La faute
du tiers ou du créancier
1841. La faute d’un tiers doit également être extérieure à la volonté de l’intervenant
en construction, imprévisible et irrésistible.
Ce tiers ne doit pas être une partie au contrat ni une personne qui participe
aux travaux de construction. Les critères d’imprévisibilité
et d’irrésistibilité sont fondamentaux et doivent être remplis dans l’acte
commis par le tiers, et ce pour les mêmes raisons qu’en cas de force majeure,
car le fait d’un tiers est assimilé à une force majeure.
Tel est le cas lorsqu’un voisin effectue des travaux sur sa propriété et que
ces travaux viennent compromettre la solidité de l’ouvrage du client. Ainsi, l’entrepreneur
peut se prévaloir de la disposition prévue à l’article 991 C.c.Q. qui permet à
ce dernier d’invoquer la responsabilité du voisin afin de faire tomber la
présomption de l’article 2118 C.c.Q. et être exonéré de la responsabilité pour
le problème surgi.
1842. Lorsque la perte résulte d’un vice affectant les biens fournis par le
client (art. 2115 al. 2 C.c.Q.), la responsabilité des intervenants en
construction est engagée s’ils avaient dû déceler ce vice, mais qu’ils ont fait
défaut de le faire. Ils ont le devoir de
renseigner le client sur la qualité inappropriée des matériaux afin qu’il fasse
un choix éclairé. Comme nous l’avons
souligné dans nos commentaires sous l’article 2115 alinéa 2 C.c.Q., ils ont le devoir de refuser l’exécution
de l’ouvrage lorsque les biens sont susceptibles d’affecter la solidité de l’ouvrage.
La responsabilité de ne pas avoir décelé le vice est prévue à l’article 2104
C.c.Q. et peut donner également lieu à l’application de l’article 2118 C.c.Q.,
en cas de perte de l’ouvrage.
1843. Le fait que
les travaux soient dirigés par le client lui-même, qui s’implique dans les
différentes étapes de leur exécution, ne libère
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pas, pour autant,
les intervenants en construction de leur responsabilité
prévue à l’article 2118 C.c.Q. Ces derniers conservent
leur obligation de renseignement (art. 2104 C.c.Q.)
et demeurent responsables des vices affectant les matériaux,
qu’ils soient fournis par le client ou par un autre
fournisseur, car les matériaux doivent
être d’une qualité
appropriée afin de soutenir l’ouvrage. De même, le
fait que les intervenants en construction soient soumis à un certain pouvoir de
direction et de contrôle de la part du client ne constitue pas une cause
suffisante pour les libérer de leur responsabilité de fournir un ouvrage de
qualité et conforme aux règles de l’art.
1844. Les
intervenants peuvent, également, s’exonérer de leur responsabilité en
démontrant que la perte est due à une faute du client dans l’entretien de l’ouvrage
ou à son utilisation à une fin incompatible à celle à laquelle il est destiné.
L’exonération peut être, dans ce cas, totale ou partielle, selon les
circonstances. Elle peut être partielle lorsque le défaut d’entretien de l’ouvrage
n’est pas la cause première et principale de la perte.
Par contre, lorsque le client néglige de faire lui-même les travaux nécessaires
pour rendre l’immeuble propre à l’usage auquel il est destiné, il y a lieu à
exonération totale.
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1845. Le client qui aperçoit un vice de construction, même de peu d’importance,
ne doit pas rester inactif et attendre qu’il s’aggrave au point de mettre en
péril la solidité de l’ouvrage. Il y a, dans ce cas,
une faute de sa part entraînant sa responsabilité solidaire avec les
intervenants en construction. Il y a exonération totale lorsque la perte est
entièrement due à la négligence du client. L’exonération doit cependant être
partielle lorsque la faute, à l’origine de la perte, provient de la mauvaise
conception ou exécution des travaux.
1846. Il peut également y avoir responsabilité partielle pour le client
lorsque ses directives sont modifiées fréquemment, plaçant ainsi les
intervenants en construction dans une situation d’incertitude.
1847. Enfin, l’intervenant en construction peut invoquer la faute du client
dans le choix d’une méthode d’exécution, s’il est en mesure de la démontrer. Le
fardeau de preuve de la cause d’exonération incombe ainsi à celui qui serait
autrement responsable. Il sera de la
discrétion du tribunal de constater que la faute du client est suffisamment
mise en preuve ou le contraire, sans quoi, l’intervenant en construction, homme
de l’art, sera responsable du choix de la méthode d’exécution. Comme nous l’avons
mentionné, l’immixtion injustifiée du client serait évaluée en tenant compte
des connaissances de ce dernier en la matière, et comparée à celles de l’entrepreneur,
du sous-entrepreneur, de l’architecte ou de l’ingénieur. Plus les connaissances
du client en la matière seront vastes, et plus l’intervenant en construction
aura de chances de voir sa responsabilité exonérée du fait de cette immixtion
injustifiée.
1848. Tel que
décrit plus amplement à l’article 2099 C.c.Q.,
cette immixtion peut connaître divers aspects. Le client peut s’immiscer
injustement par le fait d’imposer l’opinion de son expert à l’entrepreneur ou à
ses sous-traitants, mais il peut également s’immiscer injustement
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en imposant ses
décisions quant aux méthodes ou aux matériaux à employer, ainsi que toute autre
décision susceptible de modifier le cours normal de l’exécution des travaux.
4) Responsabilité
solidaire en cas d’absence d’exonération
1849. Les intervenants en construction qui se libèrent de la responsabilité
légale pour la perte de l’ouvrage envers le client qui a commandé les travaux
sont également libérés à l’égard de l’acquéreur subséquent de l’immeuble.
Ce dernier peut, toutefois, intenter contre le client les mêmes recours de
droit commun que ceux offerts à l’acheteur contre son vendeur en matière de
vices cachés.
1850. Les intervenants en construction qui ne réussissent pas à s’exonérer de
la responsabilité légale prévue à l’article 2118 C.c.Q. sont tenus
solidairement d’indemniser le client pour la perte de l’ouvrage. Un intervenant
ne peut invoquer la faute de l’autre pour faire réduire le montant de la
réclamation en conséquence. En cas de paiement total, ce dernier peut,
cependant, chercher le ou les responsables de la perte afin de se faire
indemniser par le biais de l’action récursoire.