Art. 2116. La prescription des recours entre les parties ne commence à courir
qu’à compter de la fin des travaux, même à l’égard de ceux qui ont fait l’objet
de réserves lors de la réception de l’ouvrage.
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Art. 2116. The prescription of rights to pursue remedies between the
parties begins to run only from the time that work is completed, even with
respect to work that was subject to reservations at the time of acceptance of
the work.
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P.L. 125
2104. La
prescription des recours entre les parties ne commence à
courir qu’à compter de la réception sans réserve de l’ouvrage ou dès que les
travaux faisant l’objet des réserves ont été exécutés.
C.c.Q. : art. 2111, 2116, 2118, 2120, 2925, 2926.
C.p.c. : art. 168.
1. Introduction
1569. L’article 2116
C.c.Q. précise que le point de départ de la prescription
des recours entre les parties est la fin des travaux, même à l’égard de ceux
qui ont fait l’objet de réserves lors de la réception de l’ouvrage (art. 2111
C.c.Q.). Il est le corollaire de l’article 2110 C.c.Q., qui définit la notion
de fin des travaux.
1570. La prescription prévue à l’article 2116 C.c.Q. vise uniquement les recours contractuels entre l’entrepreneur
général et le client. Ainsi, lorsque le recours est extracontractuel, ni l’entrepreneur
général ni le client ne peut invoquer la prescription en vertu de cet article.
A. Distinctions entre la réception de
l’ouvrage et la fin des travaux
1571. Une distinction entre la réception de l’ouvrage et la fin des travaux s’impose
lors de la détermination du point de départ du délai de prescription.
La première n’a pas pour effet de déclencher le point de départ du délai de
prescription alors que la deuxième constitue la date à laquelle le délai de
prescription commence à courir contre la partie qui entend exercer ses recours
contre l’autre. Bien que la réception et la fin des travaux puissent coïncider,
souvent l’une peut précéder l’autre. En effet, la fin des travaux peut avoir
lieu avant la réception de l’ouvrage.
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C’est le cas lorsque
les travaux sont terminés et que
le client refuse de recevoir l’ouvrage. L’entrepreneur
sera alors obligé de le mettre en demeure de le faire.
1572. Si le client continue de refuser de recevoir l’ouvrage malgré la mise
en demeure, il sera présumé être reçu par ce dernier à l’expiration du délai
imparti dans la mise en demeure. En présence de cette situation, la date de la
réception et la date de la fin des travaux ne coïncident pas. Il en est ainsi
également lorsqu’il y a eu une réception de l’ouvrage alors qu’il restait
certains travaux à compléter. La date de la fin des travaux est alors
postérieure à celle de la réception de l’ouvrage.
1573. L’article 2116 C.c.Q.
précise le point de départ du délai de la prescription des recours du client
contre l’entrepreneur pour les malfaçons ou les vices apparents ayant fait l’objet
de réserve lors de la réception de l’ouvrage. Ce délai commence à courir à
compter de la date de la fin des travaux et non à la date de la réception de l’ouvrage.
1574. Les malfaçons et les vices dont il est question à l’article 2116 C.c.Q. sont différents de ceux dont parle
l’article 2120 C.c.Q. En effet, ce
dernier vise les malfaçons existantes au moment de la réception de l’ouvrage et
peuvent être apparentes ayant fait l’objet d’une réserve ou non apparentes, mais
qui sont découvertes dans l’année qui suit la réception de l’ouvrage.
En ce qui a trait aux malfaçons apparentes, le délai de prescription commence à
courir à partir de la fin des travaux, alors que celui pour les malfaçons qui
se manifestent après la réception de l’ouvrage commence à courir à compter de
la date de leur découverte et non pas à la date de la fin des travaux.
1575. Le recours
entre les parties prévu par l’article 2116 C.c.Q. est un recours personnel dont
le délai de prescription est de trois ans (art. 2925 C.c.Q.). Cette
prescription commence à courir à compter de la fin des travaux ou du moment où
le préjudice survient pour la première fois s’il s’agit d’un dommage qui se
manifeste graduellement (art. 2926 C.c.Q.). Le recours exercé peut être un
recours en exécution forcée en nature, dans la mesure où ce recours est
possible (art. 1601 C.c.Q.)
ou un recours en dommages-intérêts. En effet, la victime
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d’une faute
contractuelle possède différents recours afin d’obtenir sanction de l’inexécution
du contrat.
2. Point
de départ du délai du recours en responsabilité ou du délai des garanties
1576. Il ne faut
pas confondre le point de départ des délais de prescription
relatifs aux différentes garanties ou réclamations avec le
délai de prescription de l’action. Le délai de prescription de l’action est
celui prévu à l’article 2925 C.c.Q., soit trois ans à partir de la date de la
naissance du droit à l’action pour le créancier ou le bénéficiaire. Le point de
départ de ce délai de trois ans doit être déterminé à la lumière de la disposition prévue à l’article 2880 C.c.Q., qui
prévoit que le point de départ du délai de prescription de trois ans correspond
au jour où le droit à l’action a pris naissance. La Cour suprême a décidé que
le point de départ du délai de prescription correspond à la date de la
connaissance par le créancier des faits générateurs de droit à l’action.
1577. Il importe de noter que le délai de trois ans pour exercer un recours
en responsabilité contractuelle contre l’entrepreneur s’applique également à l’assureur
de ce dernier. Ainsi, le client qui bénéficie d’une garantie ou d’un
cautionnement fourni par l’assureur de l’entrepreneur doit exercer son recours
contre ce dernier à l’intérieur du même délai, et le point de départ de ce
délai est le même que celui applicable à une action dirigée contre l’entrepreneur.
Ainsi, le délai commence à courir dès que le droit à l’action en indemnité pour
les dommages causés par la faute de l’entrepreneur prend naissance, de sorte que
le client dispose de trois ans
pour exercer son recours contre l’entrepreneur ou son assureur.
A. L’impossibilité d’agir et l’interruption
du délai de prescription
1578. Le Code civil du Québec ne prévoit aucun délai spécifique pour
la prescription en matière de recours entre le client et l’entrepreneur. Par
conséquent, le délai de prescription générale de trois ans,
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prévu à l’article 2925 C.c.Q., s’applique.
Ce délai court contre toute personne, sauf celles qui sont dans l’impossibilité
relative d’agir en fait (art. 2904 C.c.Q.). Il s’agit d’une
question de fait et il appartient à celui qui invoque l’impossibilité d’agir,
de prouver cet état de fait.
1579. Sous le Code
civil du Bas-Canada, la suspension du délai de prescription était une
exception qui recevait une application stricte.
Cependant, la Cour suprême a déterminé, dans l’arrêt Gauthier c. Beaumont, qu’un assouplissement et un élargissement de cette notion étaient
nécessaires. Dans la plupart des cas, pour que cette notion soit applicable, le
défendeur doit avoir un comportement grandement répréhensible.
Par contre, la simple ignorance de l’étendue exacte du dommage pouvant être
réclamé n’est pas une cause valable de suspension du délai de prescription.
Le client ne peut donc prétendre qu’il
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était dans l’impossibilité d’agir
en raison du fait que les dommages résultant du vice étaient difficiles à évaluer avant l’institution
de l’action. Notons à cet effet que le client peut toujours amender sa demande
en justice et ainsi ajuster le montant de sa réclamation.
B. Reconnaissance par l’entrepreneur
de son obligation
1580. Lorsque l’entrepreneur
intervient pour réparer les malfaçons ou les vices ou lorsqu’il manifeste son
intention de le faire, il y a une interruption du délai de prescription. En
faisant des promesses ou en posant des gestes faisant croire au client qu’il a
l’intention de remplir son obligation, ce dernier pourra alors légitimement
avoir confiance en lui et ainsi lui donner la chance de faire les réparations
requises sans litige. Cependant, si, plus tard, l’entrepreneur fait défaut de
procéder aux réparations, tel que promis, ou qu’il intervient, mais de manière
inadéquate, le tribunal examinera la situation et pourra considérer qu’il y a
eu une interruption du délai de prescription. Il en est de même lorsque l’entrepreneur
rassure son client quant à l’avancement des travaux et à la façon qu’il entend
suivre pour exécuter les travaux alors que, plus tard, il agit autrement.
1581. La
jurisprudence admet donc qu’une reconnaissance tacite d’une obligation de la
part de l’entrepreneur ou des sous-entrepreneurs envers le client interrompt la
prescription du recours. Il est légitime et
valable que le client donne à l’entrepreneur l’opportunité de procéder aux
réparations des malfaçons ou des vices; le délai de prescription ne commence
donc à courir qu’à partir du moment où l’entrepreneur cesse les tentatives de
réparations.
1582. Dans certains
cas, il est aussi légitime de se demander si la déclaration de l’entrepreneur,
quant à son intention de remplir son obligation ou lorsque, par ses comportements et sa conduite laisse croire qu’il a
pris la décision de satisfaire son créancier, ne doivent être interprétés comme
une reconnaissance d’obligation faisant ainsi recourir à nouveau un autre délai
de prescription. Cette possibilité juridique ne doit pas être exclue en
présence d’une preuve révélant des éléments, des
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faits et des
circonstances ayant entouré et accompagné l’évolution des relations entre les
parties et permettant d’assimiler la position adoptée par le débiteur à une
reconnaissance d’obligation envers l’autre partie.
C. La disposition de l’article 2116 C.c.Q. n’est
pas d’ordre public de direction
1583. L’article 2116 C.c.Q. n’est
pas d’ordre public de direction, mais
doit être considéré comme une disposition d’ordre public de protection. Ainsi, les parties peuvent, par une
stipulation contractuelle, prévoir une date de départ du délai de prescription
autre que celle prévue à cette disposition. Cependant, la
validité d’une telle clause pourra être remise en question lorsqu’elle a pour
effet de désavantager le bénéficiaire d’un droit ou le détenteur d’un recours
juridique. En d’autres termes, les parties peuvent reporter le point de départ
du délai de prescription, mais ne peuvent pas l’avancer puisque, dans ce cas,
la stipulation contractuelle aura pour effet de contrevenir à la règle de l’article
2884 C.c.Q. qui prévoit que les parties ne peuvent convenir d’un délai de
prescription autre que celui prévu par la loi. Une date avancée pour le départ
du délai de prescription aura pour effet d’écourter celui-ci des trois ans
prévus dans la loi, ce qui est interdit par l’article 2884 C.c.Q..
3. Point
de départ du délai de prescription
1584. Il ne faut pas confondre le délai de la prescription du recours avec la
durée de la garantie légale dont dispose le client contre les intervenants en
construction. À titre d’exemple, l’article
2118 C.c.Q. prévoit la
responsabilité de l’entrepreneur, du sous-entrepreneur, de l’ingénieur et de l’architecte
pour la perte de l’ouvrage survenue dans les cinq ans suivant la fin des travaux.
Le délai pour exercer ce recours par le client est de trois ans
et commence à courir lorsque les éléments
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constitutifs de cette
responsabilité et le dommage qui en résulte sont réunis.
1585. Lorsque la faute, fondement de la responsabilité, et le dommage se
produisent en même temps, le point de départ du délai peut facilement être
déterminé. C’est à la date de leur survenance que commence la prescription du
recours du client contre l’entrepreneur ou les sous-entrepreneurs.
Dans certains cas, le dommage peut toutefois se produire à une date sans que l’on
connaisse nécessairement la faute ou la cause à l’origine de ce dommage. Cette
cause ou le responsable peut n’être connu que plus tard. La prescription ne
peut commencer à courir avant de connaître la faute ou la cause qui est à l’origine
du dommage, car c’est à ce moment que l’on peut connaître le responsable.
Conséquemment, le droit à l’action contre ce dernier est né à cette date.
1586. C’est lors de la fin des travaux que le client est en mesure de
constater que les malfaçons ou vices apparents faisant l’objet de réserve ne
sont pas corrigés et ainsi les associer à des fautes commises par l’entrepreneur
ou des sous-entrepreneurs. C’est pourquoi le délai de prescription commence à
courir à partir de la date de la fin des travaux
et non à la date de la réception de l’ouvrage.
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1587. Il importe de faire la distinction entre la fin des travaux et la fin
du contrat; ce n’est qu’à la fin des
travaux que le délai de prescription commence à courir.
La fin du contrat peut avoir lieu indépendamment de l’achèvement des travaux.
Ainsi, le contrat peut prendre fin même si les travaux ne sont pas complétés.
Il en est ainsi en cas de résiliation du contrat, d’abandon des travaux ou de
toute autre situation où le contrat prend fin pour une cause valable.
1588. Lorsque la détermination de la date de fin des travaux aura des
conséquences sur les droits des parties, notamment quant à la prescription de leurs recours, le tribunal peut
prendre en considération leur bonne foi. Il arrive que l’entrepreneur général
ou son sous-traitant agisse de mauvaise foi en retardant délibérément les
travaux afin de conserver son droit. Le tribunal peut alors décider que la date
de la fin des travaux est celle où ces travaux devaient être terminés n’eût été
de cette volonté de la part de l’entrepreneur. Il peut donc faire échec à la
stratégie de l’entrepreneur ou d’un sous-traitant qui délaisse certains travaux
mineurs dans le but de conserver son recours alors qu’il aurait pu les exécuter
à temps. Dans d’autres cas, le tribunal doit être prudent lors de son
appréciation des faits et ainsi éviter de faire perdre à un entrepreneur son recours alors que celui-ci
avait agi de bonne foi. Rappelons que l’entrepreneur ou le prestataire de
services peut suspendre ses travaux afin de faire des pressions sur un client
qui refuse injustement de payer le coût des travaux déjà dû. En un tel cas, le
tribunal peut conclure que la date des derniers travaux effectués par l’entrepreneur,
même s’ils sont de peu d’importance, représente la date de fin des travaux.
1589. Dans les cas de vices ou de malfaçons non apparents (art. 2120 C.c.Q.),
de perte de l’ouvrage survenue après la réception de celui-ci (art. 2118 C.c.Q.) ou d’un dommage qui se manifeste
graduellement (art. 2926 C.c.Q.), le délai de
prescription commence à courir à la date de leur apparition.
1590. Lorsqu’un dommage se manifeste graduellement (dommage progressif), la
prescription ne peut débuter qu’au moment où le client
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aussi est en mesure de connaître le résultat du
diagnostic du problème. Il est impensable que
le délai de prescription commence au moment de la première apparition du
préjudice lorsque celui-ci est mineur. En effet, le
client ne peut être conscient qu’il possède un recours contre l’entrepreneur ou
les sous-entrepreneurs que lorsqu’il constate la présence d’un préjudice réel
et sérieux. Cependant, le fait qu’il ne connaisse pas l’étendue exacte des
dommages n’a pas d’importance. Il peut toujours
amender le quantum des dommages si ceux-ci s’aggravent. De même, le client ne
doit pas attendre que le dommage se réalise complètement, la prescription
commençant au moment où le préjudice est certain.
Il s’agit d’un test objectif qui se fait en comparant le comportement du client
à celui d’une personne raisonnable placée dans les mêmes circonstances, puisque
le fondement de la prescription extinctive est de sanctionner la négligence d’une
partie d’intenter son recours contre l’autre.
Lorsque
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le client n’est pas en mesure de connaître le
dommage ou la cause qui est à l’origine du dommage, aucune négligence ne peut
lui être imputée, excepté si une personne raisonnable avait pu déceler le vice
ou la cause.
1591. Si les dommages sont mineurs, à tel point qu’ils ne justifient pas l’exercice
d’un recours lors de leur apparition, mais qu’avec le temps, ils continuent à s’aggraver,
le client doit alors intenter son recours dès que ces dommages deviennent
sérieux. Le point de départ du délai de trois ans sera alors la date où
vraiment le préjudice est devenu sérieux et appréciable. En d’autres termes, le
délai de trois ans ne doit courir qu’à partir du moment où les dommages
atteignent leur évolution ou un état justifiant
l’exercice d’un recours devant les tribunaux.
1592. En présence de plusieurs dommages distincts qui résultent de la même
faute, la prescription commence à courir à partir de la réalisation du premier
dommage même si chacun de ces dommages n’est pas la suite logique de l’autre.
4. La
demande en irrecevabilité (art. 168 C.p.c.)
1593. L’entrepreneur ou le sous-entrepreneur qui prétend que le recours de
son client est prescrit peut soulever la prescription soit dans sa défense,
soit par une demande en irrecevabilité selon l’article 168
C.p.c. Dans le premier cas, la question de la prescription
sera réglée par le juge du fond alors que dans le deuxième cas, la question de
la prescription sera soumise à un
juge siégeant en chambre de pratique. Lors de la présentation de cette demande,
les allégations de la déclaration doivent être tenues pour avérées
et le juge peut prendre en considération
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toutes les pièces déjà versées au dossier.
Dans le cas du rejet de la demande en irrecevabilité, la question de prescription n’est pas réglée
définitivement, et elle peut être soulevée et plaidée à nouveau lors de l’audition
au mérite. Le jugement rendu ne lie pas le juge du fond, qui peut conclure à la
prescription de l’action à la lumière de la preuve soumise par les deux parties
lors du procès.
1594. Une
déclaration sous serment n’est donc pas nécessaire pour prouver les
affirmations puisqu’elles sont tenues pour véridiques.
Le juge qui doit décider du bien-fondé de la demande en irrecevabilité n’a pas
à juger du fondement des faits énoncés dans la déclaration.
Il doit vérifier, cependant, si les faits allégués, dans la mesure où ils sont
prouvés, sont susceptibles de donner ouverture aux conclusions recherchées.
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Il n’a pas à examiner la précision, les chances
de succès ou la complexité de la preuve de l’affaire.
Ces questions relèvent de la compétence du juge du fond.
1595. Les
tribunaux doivent faire preuve d’une extrême prudence avant de mettre fin prématurément à un procès. Le rejet de l’action
sans avoir procédé à un examen de l’affaire entraîne des conséquences graves.
C’est pourquoi la demande en irrecevabilité doit être claire et précise.
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