Art. 2115. L’entrepreneur est tenu de la perte de l’ouvrage qui survient
avant sa délivrance, à moins qu’elle ne soit due à la faute du client ou que
celui-ci ne soit en demeure de recevoir l’ouvrage.
Toutefois, si les biens sont fournis par
le client, l’entrepreneur n’est pas tenu de la perte de l’ouvrage, à moins qu’elle
ne soit due à sa faute ou à un autre manquement de sa part. Il ne peut
réclamer le prix de son travail que si la perte de l’ouvrage résulte du vice
propre des biens fournis ou d’un vice du bien qu’il ne pouvait déceler, ou
encore si la perte est due à la faute du client.
|
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Art. 2115. The contractor is liable for loss of the work occurring
before its delivery, unless it is due to the fault of the client or the
client is in default to receive the work.
However, where the property is supplied by the client, the
contractor is not liable for the loss of the work unless it is due to his
fault or some other failure on his part. He may not claim the price of his
work except where the loss of the work results from an inherent defect in the
property supplied or a defect in the property that he was unable to detect,
or where the loss is due to the fault of the client.
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[Page 563]
C.c.B.-C.
1684. Si l’ouvrier
fournit la matière et se charge de
faire tout l’ouvrage et le rendre parfait pour un prix
fixé, la perte, de quelque manière qu’elle arrive avant la délivrance, tombe
sur lui, à moins que cette perte ne soit causée par le propriétaire ou qu’il ne
soit en demeure de recevoir la chose.
1685. Dans le cas où l’ouvrier fournit seulement son travail et son
industrie, la perte de la chose avant sa délivrance ne tombe pas sur lui, à
moins qu’elle ne provienne de sa faute.
1686. Si, dans le
cas de l’article précédent, l’ouvrage doit être fait en entier et rendu
parfait, et que la chose vienne à périr avant que l’ouvrage ait été reçu et
sans que le maître soit en demeure de le recevoir, l’ouvrier n’a point de
salaire à réclamer quoiqu’il n’y ait aucune faute de sa part, à moins que la chose
n’ait péri par le vice de la matière, ou par la faute du maître.
P.L. 125
2103. L’entrepreneur
est tenu de la perte de l’ouvrage qui survient avant sa délivrance, à moins qu’elle
ne soit due à la faute du client ou que celui-ci ne soit en demeure de recevoir
l’ouvrage.
Toutefois, si les biens sont fournis par le
client, l’entrepreneur n’est pas tenu de la perte de l’ouvrage, à moins qu’elle
ne soit due à sa faute. Il ne peut réclamer le prix de son travail que si la
perte de l’ouvrage résulte du vice propre des biens fournis ou est due à la
faute du client.
C.c.Q. : art. 950, 1456 al. 2, 1457, 1458, 1594, 1693, 2102, 2104, 2105.
1. Introduction : notion et portée de la règle par rapport aux
règles du droit commun
1530. L’article
2115 C.c.Q. reprend, de façon plus succincte, les articles 1684 à 1686
C.c.B.-C. Il traite de la responsabilité due à la perte de l’ouvrage avant sa
délivrance (réception). Rappelons que la
délivrance est une question de faits et qu’elle n’a lieu que lorsque l’ouvrage
est complété et sert à l’usage auquel il est destiné.
Ainsi, dans le cas d’un contrat d’entreprise ou de prestation de services, le
moment où le client paye l’intégralité du prix des travaux ne correspond pas
toujours à la délivrance de l’ouvrage, et par conséquent, le transfert de
propriété ne s’effectue pas à ce moment.
[Page 564]
1531. Le
premier alinéa de l’article 2115
C.c.Q. reprend les règles développées par la doctrine et la jurisprudence sous l’article 1684 C.c.B.-C.,
tout en l’adaptant aux nouveaux concepts
et aux changements apportés, en général, lors de la
réforme du Code civil. Le deuxième alinéa rejoint les articles 1685 et 1686
C.c.B.-C. Il doit, cependant, être lu en corollaire avec l’article 2104 C.c.Q.
à propos des matériaux fournis par le client.
1532. La règle res
perit domino est établie à l’article 2115 C.c.Q. tant au premier qu’au
deuxième alinéa. Cette maxime signifie que le propriétaire subit les risques de
la perte de son bien causée par force majeure et qu’il ne peut réclamer de l’autre
partie l’exécution de son obligation corrélative. Cette règle s’applique
aux contrats non translatifs de droit de propriété (art. 750 et 1562 C.c.Q.).
Ainsi, l’entrepreneur demeure le propriétaire des biens fournis par lui avant
la réception de l’ouvrage et il assume la perte ou les dommages causés à ces
biens en cas de force majeure. À l’inverse, lorsque les biens nécessaires à la
réalisation de l’ouvrage sont fournis par le client, les risques incombent à ce
dernier, même si ces biens sont mis à la disposition de l’entrepreneur.
1533. Lors de la
réforme du Code civil, le législateur a renversé la règle res perit domino, en
matière de vente, pour la remplacer par la règle res
perit debitori, voulant
ainsi que la partie ayant la possession et le contrôle du bien vendu demeure
responsable de la perte survenue avant la livraison (art. 1456 al. 2 et 1693
C.c.Q.). En effet, même si l’acheteur devient propriétaire du bien avant sa
livraison et que ce bien périt avant qu’il n’en ait eu possession, le vendeur
devra en assumer la perte causée par la force majeure,
et l’acheteur n’aura pas à payer le prix du bien.
[Page 565]
1534. Les règles prévues à l’article 2115 alinéa 1 et alinéa 2 C.c.Q. ne font aucune distinction entre une
perte partielle ou totale ni entre un dommage mineur et un dommage majeur. Ces
deux règles doivent s’appliquer, quelle que soit l’étendue de la perte ou du
dommage causé à l’ouvrage. Ainsi, dans le cas où la perte doit être assumée par
l’entrepreneur, celui-ci peut procéder à la réparation du dommage à ses frais
pour pouvoir, par la suite, réclamer le coût initialement prévu dans le
contrat, sans aucune augmentation. Par contre, si les biens sont fournis par le
client, la perte doit être assumée par ce dernier. L’entrepreneur ne peut
réclamer les coûts de son travail, à moins que la perte ne soit due à la faute
du client ou à un vice propre aux biens fournis. Dans ce dernier cas, une
nouvelle entente doit intervenir entre les parties ayant pour objet de faire
les réparations qui s’imposent moyennant un prix supplémentaire.
2. Biens
fournis par l’entrepreneur (art. 2115 al. 1 C.c.Q.)
1535. L’alinéa 1 de
l’article 2115 C.c.Q. établit la règle voulant que l’entrepreneur assume la
perte de l’ouvrage qui survient avant sa réception par le client, à moins qu’il
ne prouve la faute du client ou que celui-ci était en demeure de recevoir l’ouvrage
au moment où sa perte est survenue. Cette règle
semble être conforme aux règles générales en matière de risque.
Il s’agit, en effet, de lier le risque et la perte non seulement à la
possession, mais aussi à la propriété. Ainsi, l’entrepreneur demeure le
propriétaire de l’ouvrage construit tant qu’il n’est pas reçu par le client.
C’est à la date de sa réception que le transfert de
[Page 566]
propriété et des risques s’opère entre
les parties. Avant cette date, l’ouvrage demeure sous le contrôle de l’entrepreneur.
1536. Dans le cas d’un contrat d’entreprise portant sur la fabrication et la construction d’une maison
mobile, le transfert de propriété aura lieu seulement au moment où l’exécution
de l’ouvrage est complétée et que sa livraison et sa réception par le client
ont eu lieu. Le client devient ainsi propriétaire de l’ouvrage lors de sa
réception, même s’il a déjà payé partiellement ou intégralement le prix. Notons
à cet effet qu’en cas de cession des biens par l’entrepreneur avant la
réception de l’ouvrage, le client ne peut revendiquer la propriété de l’ouvrage
lorsque sa construction n’était pas encore terminée à la date de cette cession.
Ainsi, compte tenu du fait qu’il s’agit d’un contrat d’entreprise ayant pour
objet la construction d’une maison mobile, le client n’acquiert le droit de
propriété que lorsque l’ouvrage est complété et que sa réception a eu lieu.
Par contre, lorsqu’il s’agit d’un contrat d’entreprise portant sur la
construction d’une maison sur un terrain appartenant au client, quel que soit l’état
d’avancement des travaux au moment de la faillite de l’entrepreneur, la
propriété de l’ouvrage revient au client. Cependant, le syndic de la faillite
peut réclamer du client le paiement du solde du prix du contrat.
1537. Une question se pose lorsque le terrain faisant l’objet de construction
est encore enregistré au nom du promoteur ou de l’entrepreneur : le client peut-il revendiquer la propriété de l’ouvrage
non achevé puisqu’il a déjà fait des avances sur le prix ou il a déjà acquitté
des paiements partiels pour les travaux déjà exécutés ? La réponse doit être affirmative dans le cas d’un
projet de construction ayant fait l’objet d’une offre d’achat ou de vente. En
présence d’une promesse d’achat, il est difficile de conclure au droit de
propriété du client puisque la promesse ne confère aucun droit réel sur le
bien, mais tout simplement un droit personnel contre le promettant ou l’entrepreneur
qui peut être contraint à faire la vente conformément à la promesse.
1538. La règle
établie à l’article 2115 alinéa 1 C.c.Q. est également conforme à celle qui lie
le risque à la propriété (art. 950 C.c.Q.) et à celle qui lie les risques à la
possession prévue à l’article 1456 alinéa 2 C.c.Q. Les matériaux et les biens
destinés à l’ouvrage fournis par l’entrepreneur demeurent sa propriété même
après leur livraison sur le chantier
[Page 567]
et leur incorporation dans l’ouvrage, et ce, jusqu’à la
réception partielle ou totale de l’ouvrage. En tant que propriétaire de ces
biens, il est tout à fait logique d’en assumer le risque inhérent. Rappelons
que la réception de l’ouvrage opère transfert de propriété entre l’entrepreneur
et son client. De plus, tant que l’ouvrage
n’est pas terminé ni reçu, le bien acheté par l’entrepreneur, pour le compte du
client, demeure en sa possession et
sous son contrôle jusqu’à la date de la réception de l’ouvrage.
Il est donc tout à fait logique de l’assimiler à un vendeur tenu à une obligation de délivrance devant assumer la
perte liée à la possession avant la livraison (art. 1456 al. 2 C.c.Q.).
1539. Dans le cas d’un incendie qui survient et ravage l’ouvrage alors que
les travaux ne sont pas terminés, il appartient à l’entrepreneur d’assumer la
perte à moins de faire la preuve de la cause de l’incendie en établissant la
faute du client. Même lorsque la perte de l’ouvrage est causée par un cas de
force majeure alors que les travaux sont terminés, il appartient à l’entrepreneur
d’assumer cette perte à moins de faire la preuve que le client était constitué
en demeure de prendre livraison et de recevoir l’ouvrage avant la survenance de
cet événement, mais qu’il a fait défaut de donner suite à cette demande. Cette
preuve fait alors présumer la réception de l’ouvrage et le transfert de son
risque au client. Si l’entrepreneur ne remplit pas ce fardeau de preuve, la
présomption de l’article 2115 C.c.Q. alinéa 1 C.c.Q. s’applique contre ce
dernier et il sera alors tenu responsable de la perte de l’ouvrage.
1540. Enfin, la réception de l’ouvrage est un acte juridique distinct du
contrat d’entreprise ou de prestation de services, bien qu’elle soit
étroitement liée à ce dernier et qu’elle soit une suite logique de l’existence
même de ce contrat. Cette réception a souvent lieu à la suite d’informations
données par l’entrepreneur selon lesquelles l’ouvrage est bien exécuté et prêt
à l’usage auquel il est destiné. Elle peut aussi avoir lieu, en l’absence de
toute information par l’entrepreneur, en raison d’une manifestation par le
client de son intention de recevoir l’ouvrage.
[Page 568]
1541. L’acte de réception peut être annulé lorsqu’il survient à la suite de
fausses représentations ou de manœuvres dolosives par l’une ou l’autre des
parties. Ainsi, le client victime de ce dol peut demander la nullité de l’acte
de réception afin d’anéantir tous ses effets, notamment le transfert de
propriété et des risques.
A. Réception de l’ouvrage par phases
1542. Il importe,
cependant, de faire la distinction entre l’ouvrage dont les parties ont déjà
stipulé la réception par phases et l’ouvrage qui ne fera l’objet que d’une
seule réception totale. Dans le premier cas, chaque fois que le client reçoit
une partie des travaux exécutés ou de la phase exécutée, il en devient
propriétaire tout en assumant tout risque ou perte causé par force majeure,
alors que dans le deuxième cas, il n’y a pas de transfert de propriété et de
risque tant que la réception totale de l’ouvrage n’a pas lieu. Jusqu’à cette
date, l’entrepreneur assume toute perte survenue à l’ouvrage par force majeure.
De plus, le client peut réclamer le remboursement des montants déjà versés à l’entrepreneur
au moment de la perte à titre d’avances ou d’acomptes sur le prix convenu pour
l’ouvrage.
B. Perte due à la faute du client
1543. Cette règle établie à l’alinéa 1 de l’article 2115 C.c.Q.
prévoit des réserves trouvant leur origine dans le droit commun.
Ainsi, lorsque la perte est causée par la faute du client, l’entrepreneur n’assume
pas la perte; il appartient au client
de l’assumer. Ce dernier assume aussi la perte lorsque la cause en est la
qualité inappropriée de matériaux choisis et fournis par lui, alors que l’entrepreneur
l’a bien informé et conseillé de ne pas les incorporer dans l’ouvrage. En
effet, lorsque l’entrepreneur refuse d’utiliser les biens inappropriés fournis
par le client, mais que celui-ci insiste pour le faire à ses risques et périls,
l’entrepreneur sera exonéré de toute responsabilité pour la perte.
À défaut par ce dernier de fournir les conseils appropriés au client, alors qu’il
était en mesure de déceler les vices qui affectent les biens fournis,
[Page 569]
il sera tenu
responsable pour la défectuosité des
objets confectionnés. En d’autres termes, l’entrepreneur ne peut invoquer la qualité inappropriée des biens fournis par le
client comme cause d’exonération de
responsabilité lorsqu’il a manqué à son obligation de renseigner et de
conseiller le client quant aux risques pouvant résulter de l’utilisation de ces biens dans l’ouvrage. Il doit même refuser de les utiliser lorsque la qualité et la solidité de l’ouvrage, ainsi que la sécurité du public seront en cause.
1544. Dans
certains cas, même lorsque c’est l’entrepreneur
lui-même qui a fourni les matériaux et que le client s’aperçoit qu’ils sont de mauvaise qualité, il devient de son devoir d’en aviser
ce dernier. Il doit aussi les remplacer par des biens de qualité.
Conséquemment, il ne peut pas se prévaloir
de l’article 2115 C.c.Q. en cas de perte due à cette mauvaise qualité ou à un autre vice qui
fut connu par lui lorsqu’il a laissé l’entrepreneur continuer les travaux qui ont mené
à la ruine de l’ouvrage.
Il doit aussi être tenu
responsable lorsqu’il a la même compétence et la même connaissance
que celles de l’entrepreneur ou lorsqu’il a été conseillé par des professionnels ayant choisi les
matériaux mentionnés dans les cahiers de charge. Les risques sont également
assumés par le client lorsque la perte est causée par la faute d’un
sous-traitant choisi et imposé par lui malgré l’opposition et les conseils de l’entrepreneur.
C. Perte survenue après la mise en
demeure
1545. Il y a
transfert de risques lorsque l’ouvrage est terminé et que le client a été mis
en demeure de le recevoir alors que la perte survient après cette mise en
demeure. Rappelons que cette exception est conforme à la règle de droit commun
prévue à l’article 1600 C.c.Q., qui stipule expressément que la mise en demeure
opère transfert des risques.
1546. Le client ne
peut repousser la date de la délivrance, au sens de l’article 2115 C.c.Q.,
jusqu’à ce que toutes les malfaçons soient corrigées, lorsque celles-ci sont
minimes, et que l’ouvrage est prêt pour les fins auxquelles il est destiné.
C’est pourquoi la mise en demeure adressée au client pour recevoir l’ouvrage,
lorsque celui-ci est complété, devient nécessaire pour opérer transfert de
propriété et de risque entre les parties. Cependant, la mise en demeure n’opère
pas transfert de risque lorsqu’une entente survient entre les parties aux
termes de
[Page 570]
laquelle l’entrepreneur
garde l’ouvrage un certain temps, moyennant une indemnité à payer
par le client pour compenser les inconvénients que peuvent causer la garde et
le contrôle de l’ouvrage. L’entrepreneur, en acceptant le paiement, consent à
prolonger le délai pour la réception de l’ouvrage.
La charge d’une perte alors que l’entrepreneur est en possession de l’ouvrage
doit donc lui incomber.
D. Perte due à la mauvaise qualité de
l’ouvrage
1547. L’obligation
de l’entrepreneur quant à la qualité de l’ouvrage est une obligation de
résultat et il ne peut s’exonérer
qu’en prouvant la force majeure ou la faute du client ou celle d’un tiers.
En effet, il s’engage, par un contrat d’entreprise, à exécuter un ouvrage et à
fournir les matériaux nécessaires à un prix fixé.
Il ne sera libéré de son obligation que pour la livraison d’un ouvrage conforme aux stipulations de son
contrat. De plus, il demeure responsable de la perte de l’ouvrage avant sa
réception par le client, sauf si la perte est due à la faute de ce dernier ou s’il
était en demeure de recevoir l’ouvrage. Il s’agit d’une présomption de
responsabilité contre l’entrepreneur. S’il ne
réussit pas à convaincre le juge que la perte ne lui est pas imputable, il sera
réputé responsable de la perte de l’ouvrage. C’est à lui qu’incombe le fardeau
de preuve de la cause qui est à l’origine de la perte de l’ouvrage et non au
[Page 571]
client de faire la preuve de la faute de l’entrepreneur.
Si aucune preuve n’est apportée sur l’origine de la perte, l’entrepreneur
assume la responsabilité puisqu’il suffit que le client prouve l’absence de
résultat, soit le défaut de délivrer l’ouvrage prévu, pour que la faute de l’entrepreneur
soit présumée.
3. Biens fournis
par le client (art. 2115 al. 2 C.c.Q.)
A. Notion et portée de la règle
1548. L’alinéa 2 de l’article 2115 C.c.Q. prévoit une règle qui s’applique
lorsque les matériaux ou les biens sont fournis par le client. Selon cette
règle, l’entrepreneur n’est pas tenu à la perte de l’ouvrage.
1549. Cette règle est conforme à celle prévue à l’article 950 C.c.Q. selon laquelle le propriétaire du
bien assume les risques de la perte causée par une force majeure. Dans le même
sens, l’article 2105 C.c.Q.
prévoit que si les biens nécessaires à l’exécution de l’ouvrage périssent par
force majeure, leur perte est à la charge de la partie qui les fournit. Dans le
cas d’un contrat d’entreprise prévoyant la fourniture de biens et de matériaux
par le client, l’entrepreneur n’est pas un vendeur ni un fournisseur de ces
biens. L’acheteur et le
client deviennent propriétaires dès la conclusion du contrat avec le vendeur ou
le fournisseur. Ces derniers seront libérés de toute responsabilité en cas de
perte survenue après la livraison des biens vendus (art. 1456 et 950 C.c.Q.). Bien que
[Page 572]
l’entrepreneur soit
tenu d’incorporer ces biens destinés à l’ouvrage, il ne peut être tenu responsable
pour une perte causée par la force majeure.
B. Perte due à la faute de l’entrepreneur
1550. Si la perte est due à la faute de l’entrepreneur,
il en sera tenu responsable envers le client. L’entrepreneur ou le prestataire
de services est tenu d’utiliser le
bien du client avec soin. Lorsque ces biens sont impropres à l’usage auquel ils
sont destinés ou lorsqu’ils sont affectés d’un vice apparent ou d’un vice caché
que l’entrepreneur doit connaître, il doit informer immédiatement le client et
refuser de les incorporer ou de les utiliser dans l’ouvrage.
Cette obligation d’information oblige l’entrepreneur à conseiller adéquatement
son client quant à la qualité du bien et au préjudice que peut causer son
utilisation. Il a le devoir de refuser l’incorporation ou l’utilisation de ces biens lorsque leur qualité est
manifestement inappropriée et que leur utilisation risque de causer des
dommages à l’ouvrage ou même sa perte. À défaut par l’entrepreneur de remplir
son obligation d’information, sa responsabilité sera engagée pour la mauvaise
qualité des matériaux.
1551. Lorsque la
perte est due à un vice caché qui affecte le bien fourni par le client, l’entrepreneur
reste responsable, à moins qu’il ne fasse la preuve qu’il ne pouvait déceler ce
vice. Il appartient à la Cour saisie d’un litige en rapport avec la perte de l’ouvrage
d’évaluer si le vice prétendu caché aurait pu être décelé par un entrepreneur
raisonnable et prudent. Il s’agit d’un critère objectif. Cet entrepreneur
raisonnable doit aussi être un expert ayant une connaissance et une expérience
pertinente dans son métier. Le fait que l’entrepreneur défendeur n’ait pas l’expérience
ni la connaissance requises pour pouvoir déceler ce vice ne peut être une cause
d’exonération de responsabilité pour la perte de l’ouvrage.
[Page 573]
1) Perte due à un vice
caché
1552. Il faut
souligner que l’entrepreneur peut être tenu responsable envers le client pour
la perte de l’ouvrage en vertu de l’article 2115 C.c.Q. même lorsqu’il s’agit d’un
cas où un autre contrat avait été conclu avec des professionnels spécialisés
dans le domaine et qu’il appartenait à ces derniers de déceler les vices
cachés. L’entrepreneur pourrait également être tenu responsable pour un vice de
conception en vertu de l’article 2101 C.c.Q. puisque l’exécution des travaux
doit être faite sous sa direction et sa responsabilité. Il est donc de son
devoir de détecter et de déceler un vice de conception dans les plans préparés
par ces professionnels même lorsque leurs services ont été retenus par le
client. L’entrepreneur sera responsable avec ces professionnels, à moins de
démontrer qu’il est impossible que le vice de conception soit décelé par un
entrepreneur diligent, prudent et agissant de façon raisonnable. Dans tous les
cas, lors de l’exécution des travaux en conformité aux règles de droit, il
appartient à l’entrepreneur d’appeler en garantie le professionnel ayant
préparé les plans et qui était en charge de la surveillance
des travaux. Il peut également appeler en garantie le
sous-traitant qui était en charge de l’exécution des travaux dans lesquels on a
détecté l’erreur qui est à l’origine du vice de conception.
2) Fardeau
de preuve
1553. Le fait que
les biens soient fournis par le client ne libère aucunement l’entrepreneur de
sa responsabilité envers ce dernier. Il doit lui fournir les conseils adéquats
en tant qu’expert. Il doit refuser l’utilisation de biens à moins que le client
ne le dégage de toute responsabilité pour le dommage qui en résulte et prenne à
sa charge le risque qui en découle. C’est seulement dans ce cas que le client
assume la perte de l’ouvrage due à la mauvaise qualité des biens qu’il a
fournis. Conséquemment, l’entrepreneur pourra lui réclamer les coûts de ses
travaux.
1554. Le fardeau de
la preuve incombe, selon l’article 2115 C.c.Q., à l’entrepreneur et non au
client puisque son obligation quant à la qualité du bien est une obligation de
résultat. Il suffit que le client prouve la perte de l’ouvrage pour renverser
le fardeau de la preuve et obliger l’entrepreneur à faire la preuve non
seulement de l’existence d’un vice, mais aussi, de l’impossibilité de le
déceler par un entrepreneur raisonnable, expérimenté dans le domaine. À défaut
d’une telle preuve, la responsabilité de l’entrepreneur sera retenue pour la
perte de l’ouvrage et il
[Page 574]
devra assumer le prix
des matériaux fournis par le client
sans pouvoir réclamer le prix de son
travail.
C. Perte causée par la force majeure
1555. L’entrepreneur
assume également la perte de l’ouvrage, même si les biens sont fournis par le
client, lorsque cette perte est due à une cause qui lui est imputable. En
effet, l’entrepreneur est responsable, selon l’article 2118 C.c.Q., de la perte
de l’ouvrage qui survient dans les cinq ans qui suivent la fin des travaux,
dans la mesure où elle résulte d’un vice de conception, de construction ou de réalisation
de l’ouvrage ou encore d’un vice du sol. Il est responsable solidairement avec
l’architecte et l’ingénieur qui dirigent ou surveillent les travaux ainsi qu’avec
le sous-entrepreneur qui participe à la réalisation de l’ouvrage. Il appartient
à l’entrepreneur de faire la preuve des faits permettant de repousser cette
responsabilité. À défaut de quoi, l’entrepreneur devra assumer entièrement,
avec les autres intervenants, la perte, y compris le coût des matériaux fournis
par le client.
1556. Lorsque les biens sont fournis par le client, l’entrepreneur n’est pas
tenu de la perte de l’ouvrage causée par un cas de force majeure avant sa
réception, sauf si la perte est due à sa faute ou à un autre manquement de sa
part : négligence, imprudence,
etc.. Dans ce cas, il doit
prouver que les biens ont été fournis par le client et que la perte n’est pas
due à sa faute pour être dégagé de la responsabilité de la perte de l’ouvrage.
L’entrepreneur se trouve alors dans la même situation qu’un réparateur à qui l’on
confie un bien. Si ce dernier est victime d’un vol par effraction alors qu’il
était muni d’un système antivol fort élaboré, la perte
[Page 575]
de la chose n’est pas de sa faute. Il s’agit d’un
cas de force majeure puisqu’il a pris toutes les précautions nécessaires pour
éviter le vol. Même si le réparateur
n’a pas de système d’alarme, le simple fait que le voleur entre dans une
automobile ou un immeuble fermé à clef ne peut lui être reproché puisqu’il n’a
pas été négligent. Il a agi comme une
personne raisonnable placée dans les mêmes circonstances, et l’on ne peut rien
lui reprocher. Le client, propriétaire du bien, doit alors supporter la perte.
Ce même raisonnement doit s’appliquer, par analogie, si le client fournit les
biens nécessaires à l’exécution de l’ouvrage et les confie à l’entrepreneur.
Cependant, un vol de matériaux engage la responsabilité de l’entrepreneur
lorsque ce dernier n’a pas pris les mesures nécessaires pour éviter ce vol.
1557. Il ne suffit toutefois pas que l’entrepreneur démontre la cause de la
perte de l’ouvrage. Il doit démontrer qu’il n’a pu empêcher le dommage de se
produire. Il doit prouver l’absence
de sa négligence et qu’un entrepreneur raisonnable et expérimenté aurait fait
la même chose que lui dans les mêmes circonstances. À défaut d’une telle
preuve, la responsabilité de la perte doit lui être imputée.
1558. Lorsque le client et l’entrepreneur signent un contrat contenant une
clause d’exonération de responsabilité, cette clause devient inopérante et sans
effet, si le client prouve la faute intentionnelle ou la faute lourde de l’entrepreneur
(art. 1474 al. 1 C.c.Q.). Cette clause est, également,
invalide et inopposable au client qui subit un préjudice corporel ou moral
(art. 1474 al. 2 C.c.Q.).
D. Lien avec la règle de l’article 2104 C.c.Q.
1559. Il y a lieu d’établir un lien entre la règle prévue à l’article 2115 alinéa 2 C.c.Q. et celle établie à l’article 2104 C.c.Q.. À première vue,
[Page 576]
on peut penser que la
responsabilité de l’entrepreneur, en vertu de l’article 2104 C.c.Q., pour les
dommages dus à la mauvaise qualité des matériaux peut être une responsabilité
beaucoup plus lourde que celle prévue à l’article 2115 alinéa 2 C.c.Q. On peut
noter l’absence, à l’article 2104 C.c.Q., de l’expression « d’un vice du
bien qu’il ne pouvait déceler » retenue à l’article 2115 alinéa 2 C.c.Q.
pour permettre à l’entrepreneur de s’exonérer pour la perte survenue. Malgré
cette différence dans le texte, la responsabilité de l’entrepreneur sous l’article
2104 C.c.Q. doit être identique à celle prévue à l’article 2115 alinéa 2 C.c.Q.
Ces deux dispositions doivent aboutir au même régime de responsabilité pour l’entrepreneur
lorsque les biens sont fournis par le client. La différence dans la formulation
de ces deux dispositions s’explique par le fait que l’article 2104 C.c.Q.
traite de l’obligation d’information et de conseil de l’entrepreneur ainsi que
du moyen pour remplir cette obligation, alors que l’article 2115 C.c.Q. traite
de la responsabilité en cas de perte de l’ouvrage. Le fait que l’article 2104
C.c.Q. ne prévoit pas expressément que l’entrepreneur ne sera pas responsable
pour les dommages résultant d’un vice affectant le bien fourni par le client ne
l’empêche pas de faire la preuve que ce vice ne pouvait être décelé par un
professionnel aussi expérimenté que lui et agissant avec diligence dans les
mêmes circonstances. Les deux dispositions traitent de la même situation, c’est-à-dire
du cas d’un contrat d’entreprise dont les biens sont fournis par le client. Il
est inconcevable d’envisager deux situations similaires dont l’une serait régie
par l’article 2104 C.c.Q. alors que l’autre le serait par l’article 2115 alinéa
2 C.c.Q. Il est impensable de créer deux régimes de responsabilité pour une
même situation. L’entrepreneur doit, en vertu de ces deux dispositions, avoir
la possibilité de s’exonérer de toute responsabilité pour la perte ou le
dommage dû à l’existence d’un vice caché dans le bien. Il serait difficile de
reprocher à l’entrepreneur son manquement à son obligation d’information sous l’article
2104 C.c.Q. du simple fait qu’un vice caché affectait le bien sans lui
permettre de rejeter toute responsabilité en faisant la preuve qu’un
professionnel expérimenté, se trouvant dans les mêmes circonstances, n’aurait
pu le déceler. Ces deux dispositions se complètent et doivent avoir une même
interprétation en ce qui a trait à la responsabilité de l’entrepreneur.
1560. Enfin, la
règle prévue à l’article 2115 alinéa 2 C.c.Q. s’applique autant au cas où le
client fournit la totalité des matériaux qu’à
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celui où il fournit
seulement les principaux matériaux. Il n’est pas
nécessaire que le client fournisse tous les matériaux pour que l’article 2115
alinéa 2 C.c.Q. trouve son application.
E. La réclamation du prix par l’entrepreneur
pour l’ouvrage effectué
1561. La dernière partie du deuxième alinéa de l’article 2115 C.c.Q. prévoit que l’entrepreneur n’a pas
droit à son salaire, sauf s’il démontre que l’ouvrage a péri par la faute du
client ou par un vice propre aux biens fournis par le client qu’il ne pouvait
déceler. Comme nous l’avons mentionné, l’entrepreneur a donc le fardeau de
démontrer que la perte de l’ouvrage n’est pas due à sa faute ni à aucune
négligence de sa part, mais à une faute extérieure. Il serait injuste de lui
faire supporter la perte de son salaire à la suite d’une perte de l’ouvrage qui
ne lui est pas imputable et qu’il n’a pu prévenir.
4. La
règle de l’article 2115 C.c.Q. n’est
pas d’ordre public
1562. Les règles prévues à l’article 2115 C.c.Q. ne sont pas d’ordre public et les parties peuvent y déroger par
une stipulation à cet effet dans leur contrat.
Il faut, toutefois, préciser que toute dérogation aux règles prévues à l’article
2115 C.c.Q. doit être restreinte et limitée à la perte de l’ouvrage avant sa
réception. Par contre, après la réception de l’ouvrage, toute dérogation en
matière de perte de l’ouvrage risque d’être annulée lorsqu’elle a pour effet de
contrevenir à la règle prévue à l’article 2118 C.c.Q. Celle-ci étant d’ordre
public de direction, toute renonciation à son application par le client sera
nulle et sans effet.
5. Responsabilité
de l’entrepreneur envers les sous-entrepreneurs et les ouvriers
1563. La responsabilité de l’entrepreneur envers les sous-traitants est de
nature contractuelle. Elle découle du contrat qui le lie à ces derniers (art.
1458 C.c.Q.). Dans le cadre d’un
contrat d’entreprise ou de services, il arrive fréquemment que l’entrepreneur
délègue le travail à
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des sous-entrepreneurs. En
cas de perte de l’ouvrage par force majeure, l’entrepreneur est tenu de payer à
ses sous-traitants le prix de leur contrat indépendamment de l’application des
règles prévues à l’article 2115 C.c.Q.
En effet, ces règles ne s’appliquent pas aux rapports contractuels existants
entre l’entrepreneur et ses sous-traitants.
1564. La responsabilité des sous-traitants vis-à-vis du client n’est pas de
nature contractuelle, puisqu’il n’y a pas de contrat les liant directement,
mais de nature délictuelle. Ils seraient, ainsi,
responsables de la perte de l’ouvrage causée par leur faute. La délégation du
travail ne libère pas l’entrepreneur de toute responsabilité pour la perte de l’ouvrage
causée par la faute de l’un des sous-traitants. En vertu des articles 1457 et 1458 C.c.Q., le client peut poursuivre en dommages-intérêts l’entrepreneur
et les sous-traitants. Ces dommages-intérêts ne seront pas limités à ceux qui
sont causés à l’ouvrage lui-même, mais s’étendront à
tout dommage causé aux autres biens appartenant au client. L’entrepreneur
général a le devoir de coordonner les travaux exécutés par les sous-traitants
et de les surveiller adéquatement, surtout lorsque ceux-ci comportent des
risques (incendies, explosions, etc.). Une mauvaise
surveillance dans de telles conditions justifie de retenir la responsabilité de
l’entrepreneur non seulement pour la perte de l’ouvrage,
mais aussi pour tout dommage ou préjudice qui lui est causé par l’un des
intervenants dans la construction.
6. Les
recours des parties
A. Recours du client contre l’entrepreneur
1565. Lorsque la
perte de l’ouvrage survient après la réception de l’ouvrage, la responsabilité
de l’entrepreneur ne saurait être engagée en l’absence de mise en demeure
adressée par le client à ce dernier et dans laquelle il indique l’origine ou la
cause de cette perte. Cette mise en demeure
est nécessaire pour permettre à l’entrepreneur de constater la perte et de
vérifier la cause de la perte.
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1566. D’ailleurs,
lorsqu’une perte partielle ou des dommages causés à l’ouvrage surviennent avant sa réception, le client ne peut être contraint
à le recevoir, et plus particulièrement la partie des travaux endommagés, comme si de rien n’était, et l’entrepreneur ne peut ainsi le
contraindre à acquitter le prix
total de l’ouvrage en l’invitant à se plaindre plus tard de la perte partielle.
Au contraire, le client doit signaler son mécontentement et demander à l’entrepreneur
de faire les réparations nécessaires avant ou lors de la
réception de l’ouvrage, afin d’éviter la présomption d’acceptation des travaux
s’ils sont affectés de malfaçons ou de déficiences.
1567. Si la faute
de l’entrepreneur est démontrée ou s’il n’a pas pu se décharger du fardeau de s’exonérer,
il est responsable envers le client pour la perte de l’ouvrage. Il sera tenu de
payer une indemnité qui correspond à la valeur des biens. Il s’agit de la restitution par équivalent (art.
1700 C.c.Q.). Il en est ainsi
lorsque le client, ayant fourni les matériaux, n’a pas été informé de la
mauvaise qualité de ceux-ci, alors que l’entrepreneur connaissait cet état de
fait et a préféré ne rien dire. Comme nous l’avons mentionné, l’entrepreneur a
une obligation de renseignement face au client et
lorsqu’il ne s’y conforme pas, il doit répondre de son manquement. Il a une
responsabilité légale qui découle du contrat d’entreprise
et de l’article 2104 C.c.Q.
B. Recours de l’entrepreneur contre le
client
1568. Si la perte de l’ouvrage est causée par la faute du client, notamment
par la mauvaise qualité des matériaux fournis, alors que l’entrepreneur lui a
spécifié qu’ils n’étaient pas appropriés pour les travaux, le client doit en
assumer la perte. Il doit, également, payer à l’entrepreneur le prix de l’ouvrage.
Il en est de même lorsque la perte est due à un vice caché affectant les
matériaux fournis par le client et que l’entrepreneur réussit à démontrer qu’il
ne pouvait déceler ce vice. Ce dernier peut exiger le paiement du coût des
travaux malgré la perte de l’ouvrage.
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