Art. 2112. Si les parties ne s’entendent pas sur la somme à retenir et les
travaux à compléter, l’évaluation est faite par un expert que désignent les
parties ou, à défaut, le tribunal.
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Art. 2112. If the parties do not agree on the amount to be deducted
and on the work to be completed, an assessment is made by an expert
designated by the parties or, failing that, by the court.
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2100. Si les parties ne s’entendent pas sur la somme à
retenir et les travaux à compléter, l’évaluation est faite par un expert que
désignent les parties ou, à défaut, le tribunal.
C.c.Q. : art. 2110, 2111, 2113.
C.p.c. : art. 158.
1. Introduction
1476. L’article
2112 C.c.Q. vise à instaurer un mécanisme d’évaluation en cas de divergence
entre les parties sur le montant de la retenue ou sur les travaux à compléter.
Le législateur cherche, par cette disposition, à favoriser la conciliation entre les parties, au moins, quant à la
désignation de l’expert qui procédera à l’évaluation du coût de réparation des
malfaçons et à prévenir les abus de la part du client.
Il s’agit d’un recours alternatif de plus en plus utilisé
et plus économique que le recours devant le tribunal.
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1477. Il importe cependant de noter que cet article n’est pas d’ordre public
et rien n’oblige une partie à collaborer dans le processus de désignation d’un
expert. Dans ce cas, l’autre partie n’a d’autre choix que de s’adresser au
tribunal pour faire désigner un expert par ce dernier. Elle peut aussi procéder
à l’évaluation des coûts des travaux de réparation par son propre expert et
mettre en demeure la partie récalcitrante d’agir en conséquence avant de s’adresser
au tribunal pour régler le litige.
1478. L’intervention de l’expert dans l’évaluation des coûts occasionnés par
des vices ou des malfaçons apparents contribue souvent à aider les parties à
déterminer le montant de la retenue et à éviter, par la suite, un litige devant
les tribunaux. Si un recours aux tribunaux est inévitable, les parties
conserveront tous leurs droits, à l’exception de l’incidence de la décision de
l’expert sur l’exigibilité de la somme due. Le tribunal n’est
pas lié, en principe, par le rapport de l’expert et peut l’écarter pour des
motifs valables. Il peut aussi ordonner une nouvelle évaluation par un autre
expert. De même, il conserve, non seulement, son rôle en cas de litige relatif
au montant retenu par le client pour cause de vices et malfaçons apparents,
mais aussi pour tout autre litige ayant trait à l’offre d’une sûreté suffisante
ou au choix de l’expert.
1479. Pour qu’il y ait mésentente sur les travaux à corriger et la somme à
retenir, il faut absolument que le client ait reçu l’ouvrage avec réserve.
Il s’agit d’une condition essentielle à l’exercice du droit de retenue sur le
paiement du prix. Le défaut de remplir cette condition fait perdre au client
tout recours contre l’entrepreneur pour les vices et malfaçons apparents qui
existaient lors de la réception de l’ouvrage.
En d’autres termes, la procédure en désignation d’un expert ne pourra être
accueillie s’il n’y a pas eu de réserve au moment de la réception de l’ouvrage.
De plus, la mésentente doit porter non seulement sur les travaux à exécuter ou
à corriger, mais aussi sur le montant qu’il convient de retenir. Ces conditions
sont cumulatives et doivent
impérativement être remplies afin que le tribunal accepte d’intervenir pour
désigner un
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expert. En conséquence, la procédure en désignation d’un
expert pourrait donc être rejetée s’il n’y a pas eu de réserve ou de retenue au moment de la réception de l’ouvrage
et, évidemment, s’il n’y a pas de mésentente entre les parties pour régler leur différend. D’ailleurs, même dans
le cas d’une réception de l’ouvrage
avec réserve, si le client a déjà payé intégralement les coûts des travaux à l’entrepreneur sans retenir un certain montant, l’article 2112
C.c.Q. qui permet la nomination d’un expert ne peut
recevoir application puisque la
raison qui justifie la nomination de
l’expert n’existe plus en raison du paiement du prix entier des travaux.
1480. Il faut
également souligner que le droit à la retenue d’une somme d’argent et le
recours aux tribunaux pour désigner un expert, ne peuvent être exercés si le
client avait refusé à l’entrepreneur le droit d’effectuer les corrections.
De même, la retenue pour vices et malfaçons faite par le client ne pourra
comprendre les malfaçons découvertes après la réception de l’ouvrage.
Cependant, le client pourra se prévaloir de la règle relative à l’exception d’inexécution
prévue à l’article 1591
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C.c.Q. et ainsi
refuser de payer le solde du prix du contrat jusqu’à concurrence d’un montant égal aux coûts des
travaux. Il peut aussi se prévaloir de l’article 2120 C.c.Q. qui prévoit une garantie sur les vices et malfaçons pour une
durée d’un an suite à la réception de l’ouvrage.
2. Demande
en vertu de l’article 158 (2) C.p.c.
1481. Lorsque
les parties ne s’entendent pas sur la désignation d’un expert, l’une ou l’autre
peut demander au tribunal de procéder à cette désignation. Même si le contrat
contient une clause stipulant le droit du client de retenir un certain
pourcentage du prix total en cas de malfaçon, cette clause n’empêche pas l’une
d’elles de se prévaloir de l’article 2112 C.c.Q. pour procéder à la
désignation d’un expert. Une telle demande peut être justifiée lorsqu’il y a
une grosse différence entre le montant de la retenue prévu dans le contrat et
le coût nécessaire pour faire les réparations des malfaçons. Il n’y a pas de
véhicule procédural précis pour faire une telle demande, mais une demande en
vertu de l’article 158(2) C.p.c.
semble être le moyen approprié. Cet article prévoit
que le tribunal peut, à titre de mesure de gestion, prendre d’office ou sur
demande la décision de nommer un expert. Il peut d’abord évaluer la pertinence
de l’expertise, qu’elle soit commune ou non, en établir les modalités, les
coûts anticipés, et fixer un délai pour la remise du rapport. Avant de prendre
sa décision, il procède à l’appréciation du bien-fondé et des motifs qui
justifient la demande et peut imposer une expertise commune, par l’application
du principe de proportionnalité. La demande devrait être présentée à une date
rapprochée de la réception de l’ouvrage et, dans tous
les cas, elle doit être faite avant le paiement complet des travaux.
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1482. La demande pour désignation d’un expert peut faire l’objet d’une contestation par écrit. Cependant, cette
contestation ne doit pas porter sur l’existence de vices ou de malfaçons
apparents ou sur la somme à retenir, car ces questions relèvent du champ de
compétence exclusif de l’expert.
3. Rôle du
tribunal : conditions de son
intervention
1483. Le tribunal ne peut pas se substituer aux parties et décider de la
somme à retenir pour procéder aux corrections.
L’évaluation de ce montant relève de la compétence de l’expert lorsque les
parties ne s’entendent pas. Le tribunal ne peut que désigner l’expert qui
procédera, en visitant le lieu, à l’évaluation du montant à retenir pour faire
les travaux de réparation des malfaçons ou des vices apparents.
Il arrive souvent que la mésentente entre les parties au sujet de travaux à
exécuter ainsi que de leur coût trouve son origine dans les rapports préparés
par leurs experts respectifs. En un tel cas, le tribunal peut nommer un expert
parmi les noms suggérés par les parties ou par l’une d’elles sans être
toutefois lié par le rapport de ce dernier. En effet, le tribunal peut opter en
totalité ou en partie pour le rapport rédigé par l’expert de l’une des parties
lorsqu’il trouve que le contenu de celui-ci est plus réaliste et objectif. Dans
tous les cas, le tribunal peut ordonner le partage des frais de l’expert
désigné ou bien condamner la partie qui a adopté une position déraisonnable et
inconciliable à payer ces frais entièrement.
1484. Il importe de
faire la distinction entre, d’une part, une demande par laquelle l’une des
parties s’adresse au tribunal soit pour réclamer le solde du prix du contrat d’entreprise,
soit pour qu’on lui accorde une indemnité pour les malfaçons et les vices
apparents qui affectent l’ouvrage, et, d’autre part, une demande par laquelle l’une
des
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parties s’adresse au
tribunal en vertu de l’article 2112 C.c.Q. pour faire désigner
un expert qui aura la charge d’évaluer
le coût des
malfaçons et des vices apparents
et de déterminer le montant à retenir sur le prix de l’ouvrage. Dans ce
dernier cas, le rôle du tribunal
est restreint, il ne peut que désigner l’expert chargé d’évaluer le montant que le client peut retenir sur le prix. Il ne peut donc procéder à l’évaluation
même de ce montant. Autrement, le tribunal va au-delà des pouvoirs que l’article 2112 C.c.Q. lui donne et sa décision peut être
considérée ultra petita.
1485. Par
contre, lorsque le tribunal est saisi d’une demande ayant pour objet soit de
condamner le client à payer le
solde du prix, soit à condamner l’entrepreneur
à indemniser ce dernier pour les coûts des travaux de réparation
des malfaçons ou des vices apparents, il a tous les pouvoirs pour trancher le
litige opposant les parties en déterminant ainsi les coûts de réparation des malfaçons et des vices et, conséquemment, le montant pouvant être retenu par le client sur le prix total de l’ouvrage.
En effet, le tribunal, lorsqu’il dispose d’éléments suffisants en preuve pour
déterminer les coûts de réparation des malfaçons et des vices qui affectent l’ouvrage,
alors qu’il est saisi de cette question, ne sera pas obligé de désigner un
expert pour le faire, même si l’une des parties opte pour cette désignation. En
d’autres termes, le tribunal, en vertu de ses pouvoirs généraux ainsi que de
son devoir de rendre justice et de se prononcer sur le litige qui lui est
soumis, peut refuser la désignation d’un expert demandée par l’une des parties,
lorsque l’autre lui demande, tout simplement, de trancher la question relative
au montant dû par l’entrepreneur pour les vices et malfaçons. Il arrive souvent
que le tribunal
décide de procéder ainsi, afin d’épargner aux parties le
paiement des honoraires pour l’expert lorsque le coût des malfaçons et des
vices est minime.
1486. Le tribunal
saisi d’une demande de désignation d’un expert dans le cadre d’une action
purement hypothécaire, ne peut rendre une décision en vertu de l’article 2112 C.c.Q. lorsque cette action ne comporte
aucune conclusion visant à condamner personnellement le propriétaire à payer le
solde du prix du contrat.
1487. Il importe de
mentionner que, dans le cadre d’une demande en justice pour délaissement forcé
de l’immeuble, le propriétaire doit
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pouvoir contester le
montant réclamé en cas d’inexécution de certains travaux ou de vices
ou malfaçons qui affecteraient l’ouvrage
avant qu’une décision relative au délaissement forcé de l’immeuble ne soit rendue.
Rappelons, à cet effet, que les étapes judiciaires à suivre avant d’exercer un recours qui trouve son fondement dans les
articles 2111 et 2112 C.c.Q., débutent avec la réception de l’ouvrage
et l’expression d’une réserve à cette occasion par le client.
Il est alors
justifié de procéder à une retenue sur le paiement final des travaux. En cas de
mésentente entre l’entrepreneur et le client quant au montant à retenir et aux
travaux correctifs à apporter à l’ouvrage, les parties se prévaudront de l’article
2112 C.c.Q. Il importe de rappeler qu’une réserve doit être faite lors de la
réception de l’ouvrage, de même qu’une retenue sur le prix total pour que l’article
2112 C.c.Q. puisse trouver
application.
1488. On ne peut
toutefois pas reprocher au client d’avoir procédé à une retenue dont il a
déterminé le montant lui-même en premier lieu. En effet, c’est son droit
légitime de procéder à une telle retenue, selon l’article 2111 C.c.Q., et si l’entrepreneur est en
désaccord avec le montant de cette retenue, il peut d’abord faire part au
client de son point de vue et ainsi utiliser le recours prévu à l’article 2112 C.c.Q. En effet, le client n’est pas tenu
de procéder systématiquement à une évaluation par un expert de la somme à
retenir. Une telle façon de faire pourrait se révéler inutilement longue et
coûteuse, particulièrement dans les cas où l’entrepreneur pourrait être d’accord
avec la somme que le client propose à titre de retenue contractuelle.
1489. Lorsque l’expert
nommé par les parties ou par la Cour dépose son rapport d’évaluation quant aux
travaux à effectuer, ainsi que le montant requis pour leur réparation, le
client doit payer le montant excédentaire qui demeure dû à l’entrepreneur. Si
le client refuse de payer ce solde, l’entrepreneur pourra intenter un recours
personnel contre lui, un recours hypothécaire ou un recours mixte afin de
recouvrer sa créance. À l’occasion de tels recours, le client aura l’opportunité
de contester l’action de l’entrepreneur et ainsi, justifier son refus de payer
le solde dû à ce dernier. Ce refus peut être justifié, entre autres, par le
fait que le montant estimé par l’expert ne couvre pas le coût total des
réparations des vices ou des malfaçons. Ainsi, une preuve sera présentée de
part et d’autre par les parties. Cependant, le fardeau de prouver l’existence
des malfaçons ainsi que la valeur proportionnelle entre le coût des réparations
requises et le montant retenu par le client repose
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sur les épaules de ce dernier.
Le juge tranchera alors s’il y a lieu à une compensation judiciaire entre le solde dû et le coût des travaux
correctifs ou si le client est tenu de payer le solde dû à
l’entrepreneur. Le client pourra alors remédier à son défaut de payer l’entrepreneur en lui versant le
montant dû dans le délai imparti par le tribunal, afin d’éviter, par la suite,
un jugement ordonnant le délaissement forcé de son immeuble.
1490. Enfin, il faut rappeler que le montant établi par l’expert, en vertu de
l’article 2112 C.c.Q., ne tient pas compte des vices cachés découverts suite à
la réception de l’ouvrage. Le client aura toujours la possibilité de faire
valoir ses droits relativement à ces vices à l’encontre de l’entrepreneur dans
le même recours qui l’oppose à ce dernier relativement aux malfaçons ayant fait
l’objet de l’évaluation par l’expert. Il s’agit, en
fait, du même litige résultant de la même source et opposant les mêmes parties,
de sorte que même si c’est l’entrepreneur ou le prestataire de services qui a
initié le recours, le client peut formuler, dans sa défense, une demande
reconventionnelle à l’encontre de ce dernier (art. 172 C.p.c.).
4. Décision
de l’expert
1491. Dès que le montant de la retenue est déterminé, le client a l’obligation
de payer le solde du prix à l’entrepreneur puisqu’il a déjà reçu son ouvrage en
état de servir à l’usage pour lequel il est destiné. Rappelons, cependant, que
cette réception est faite sous réserve des corrections à apporter. La décision de l’expert
n’est pas sujette à homologation ni susceptible d’appel.
Elle est finale et lie les parties.
1492. Les frais d’expertise sont assumés à parts égales entre les parties
sauf décision contraire du tribunal.
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