CHAPITRE
HUITIÈME - DU CONTRAT D’ENTREPRISE OU DE SERVICE
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CHAPTER VIII - CONTRACT
OF ENTERPRISE OR FOR SERVICES
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SECTION
I - DE LA NATURE ET DE L’ÉTENDUE DU CONTRAT
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SECTION
I - NATURE AND SCOPE OF THE CONTRACT
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Art. 2098. Le contrat d’entreprise ou de service est celui par lequel une
personne, selon le cas l’entrepreneur ou le prestataire de services, s’engage
envers une autre personne, le client, à réaliser un ouvrage matériel ou
intellectuel ou à fournir un service moyennant un prix que le client s’oblige
à lui payer.
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Art. 2098. A contract of enterprise or for services is a contract by
which a person, the contractor or the provider of services, as the case may
be, undertakes to another person, the client, to carry out physical or
intellectual work or to supply a service, for a price which the client binds
himself to pay to him.
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C.c.B.-C.
1665a. Le
louage d’ouvrage est un contrat
par lequel le locateur s’engage à faire quelque chose pour le locataire moyennant
un prix.
1666. Les
principales espèces d’ouvrages qui peuvent être louées, sont :
1. Le service
personnel des ouvriers, domestiques et autres;
2. Le service des
voituriers, tant par terre que par eau, lorsqu’ils se chargent du transport des personnes et des choses;
3. Celui des
contracteurs et autres entrepreneurs de travaux suivant devis et marché.
O.R.C.C.
(l. v, DES OBLIGATIONS)
684. Le
contrat d’entreprise est celui par lequel l’entrepreneur, moyennant
rémunération, s’oblige à exécuter, sans lien de subordination envers son
client, un ouvrage matériel ou intellectuel.
698. Le
contrat de service est celui par lequel une personne, moyennant rémunération, s’oblige
envers une autre à lui fournir des services, tout en conservant le choix des
moyens d’exécution.
p.l. 125
2087. Le
contrat d’entreprise ou de service est celui par lequel une personne, selon le
cas l’entrepreneur ou le prestataire de services, s’engage envers une autre
personne, le client, à réaliser un ouvrage matériel ou intellectuel ou à
fournir un service moyennant un prix
que le client s’oblige à lui payer.
C.c.Q. : art. 1376, 1377, 1379, 1388 et suiv., 1432, 1435, 1436, 1525, 1611, 1794,
2085, 2103, 2106, 2108, 2124, 2138, 2861, 2862.
l.q. :
Code des professions, RLRQ, c. C-26.
Code municipal du Québec, RLRQ, c. C-27.1 : art. 14.5-14.7.2, 14.10, 934-936, 938-939, 941.
Décret de la construction, Décret 172-87 du 4 février 1987, (1987)
119 G.O. II, 1271.
Loi sur la protection du consommateur, RLRQ, c. P-40.1 : art. 34 et suiv.
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Loi sur la
qualification professionnelle des
entrepreneurs en construction, RLRQ, c. Q-1.
Loi sur les cités et villes, RLRQ, c. C-19 : art. 573, 573.1, 573.2-573.4.
Loi sur le bâtiment, RLRQ, c. B-1.1 : art. 7.
Loi sur les agents de voyages, RLRQ, c. A-10 : art. 2.
1. Introduction
1. L’article 2098 C.c.Q. est
une disposition générale ayant pour effet d’assujettir tous les contrats nommés
d’entreprise ou de service aux dispositions spécifiques du huitième chapitre du
cinquième livre des obligations. Ces règles peuvent être complétées ou
modifiées contractuellement. En cas de silence du législateur et des parties,
les règles supplétives de droit commun trouvent application.
2. Du fait de leur ressemblance, le législateur définit les contrats d’entreprise
et de prestation de services en une même disposition. Les articles 2098 et 2099
C.c.Q. énoncent les éléments
caractérisant ces contrats et qui les distingue des contrats de mandat et de
travail. Cette qualification des activités professionnelles s’avère
déterminante quant aux obligations et aux droits des parties et, plus
particulièrement, en ce qui a trait à la naissance de l’hypothèque légale des
constructeurs et rénovateurs immobiliers (art. 2724 para. 2, 2726 et 2727 C.c.Q.) et au droit de
rétention (art. 1592 et 1593 C.c.Q.) sur un bien meuble
ayant fait l’objet d’une prestation de services. Prenons à titre d’exemple le
droit de rétention de l’avocat sur des dossiers ou celui du
garagiste sur les automobiles.
3. Cette qualification revêt aussi une importance quant à l’application
des diverses protections accordées au client, notamment celles prévues aux
articles 2113, 2118 et 2120 C.c.Q. Elle détermine également
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les droits et les moyens exceptionnels qu’offre le
régime des contrats d’entreprise et de service, telle que la résiliation
unilatérale prévue aux articles 2125 à 2129 C.c.Q.
qui constituent une dérogation aux règles de droit commun,
et le droit de rétention sur le paiement du prix des ouvrages (art. 2111 C.c.Q.). Enfin,
contrairement à l’employé, l’entrepreneur et le prestataire de services sont
responsables des dommages qu’ils causent ou qui résultent des accidents
survenus en cours d’exécution de leur contrat.
4. Il appartient à chaque partie de faire la preuve des éléments sur
lesquels elle fonde sa prétention relative à la nature du contrat qui la lie à
l’autre. Pour que le tribunal retienne sa prétention, il suffit de faire la
preuve par balance des probabilités (art. 2803 et 2804 C.c.Q.).
2. Définition
et caractéristiques du contrat d’entreprise et du contrat de service
A. Contrat d’entreprise
1) Notions
a) Les parties au contrat
5. Le contrat d’entreprise est un contrat synallagmatique et commutatif
par lequel l’entrepreneur s’engage moyennant le paiement d’une contrepartie par
le client, à fournir son travail, son industrie et ses matériaux afin de
réaliser l’ouvrage envisagé par ce dernier, et ce, dans le délai convenu. La
loi n’exige aucune forme particulière pour la validité du contrat d’entreprise; la volonté des parties demeure le critère
principal à sa formation. À l’instar de tout contrat synallagmatique, une
partie n’est pas tenue de remplir ses obligations advenant le cas où l’autre
partie ne remplisse pas les siennes.
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6. Ce type de contrat
implique nécessairement qu’une partie exerce une activité économique organisée
à caractère commercial et que l’autre partie soit un consommateur ou une
personne exploitant une entreprise visant la réalisation de profits.
C’est pourquoi le contrat d’entreprise répond dans bien des cas à la définition
du contrat de consommation, considérant que l’entrepreneur,
à la manière du commerçant dans le contrat de consommation,
est celui qui exerce une activité de façon permanente et dans le but de
réaliser un profit.
7. Néanmoins, le contrat d’entreprise se rattache davantage à l’exécution
de l’ouvrage, et non pas à celui qui l’exécute, de sorte que l’élément
essentiel qui le caractérise est l’entreprise elle-même.
Autrement dit, le contrat d’entreprise ou de prestation de services s’identifie
par l’objet de l’obligation assumée par l’entrepreneur ou le prestataire de
services qui peut être un ouvrage quelconque ou une prestation de services
plutôt que par celui qui rendra l’exécution de cette obligation possible, que
ce soit par son travail, son industrie ou les matériaux qu’il fournit.
b) Contrats d’entreprise : nature et
types
8. On peut aussi comprendre le contrat d’entreprise comme étant un contrat
mixte de vente et de louage de services.
Il présente des similarités avec le contrat de vente, sans pour autant en être
un :
l’acquéreur et le propriétaire de l’ouvrage doivent payer le prix, le vendeur
et l’entrepreneur doivent livrer et répondre des défauts cachés affectant le
bien vendu ou l’ouvrage réalisé. Cependant, lorsque les
biens sont
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incorporés à l’ouvrage
et que l’étude de l’attribution des coûts au contrat révèle que le coût des
biens s’avère plus substantiel que le coût de l’ensemble des autres éléments,
il y a contrat de vente et l’ouvrage ou le service fourni est considéré comme
accessoire (art. 2103 al. 3 C.c.Q.).
9. Le contrat d’entreprise
se distingue aussi du contrat de travail par l’absence d’un lien de
subordination entre les parties (art. 2099 C.c.Q.).
Comme nous allons le voir plus loin, l’immixtion du client dans l’exécution d’une
partie de l’ouvrage n’affecte pas la nature du contrat intervenu avec l’entrepreneur.
10. Le Code civil du Québec traite de trois types de contrats d’entreprise : le contrat sur estimation (art. 2107 C.c.Q.), le contrat à forfait (art. 2109 C.c.Q.) et enfin, le contrat où le prix s’établit
en fonction des travaux exécutés, des services rendus ou des biens fournis
(art. 2108 C.c.Q.). Le contrat à forfait ne prévoit pas une rémunération
précise puisque celle-ci est incluse dans le prix à payer à l’entrepreneur.
Cependant, la rémunération de l’entrepreneur peut être à l’heure plutôt que
forfaitaire, alors que les matériaux
sont fournis par le propriétaire de l’ouvrage.
2) Contrat d’adhésion
ou de libre discussion
11. La nature du contrat d’entreprise a déjà soulevé une controverse : s’agit-il d’un contrat consensuel ou d’adhésion ? Plusieurs entrepreneurs utilisent déjà des contrats types préparés et rédigés à l’avance par
leur conseiller. Ces contrats portent souvent sur des travaux de rénovation ou
d’agrandissement. Ils contiennent des clauses standards et usuelles qui seront
complétées par une description sommaire des travaux à exécuter, du prix à payer
et du délai d’exécution. Ils sont aussi souvent conclus par des consommateurs
qui ne détiennent aucune expérience ou connaissance dans cette industrie. Ces
contrats peuvent donc satisfaire les critères du contrat d’adhésion (art. 1379 al. 1 C.c.Q.).
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12. La même
question peut être soulevée quant à la nature du contrat d’entreprise préparé
par le client et conclu par l’entrepreneur à la suite d’un appel d’offres et
selon un cahier des charges.
a) Négociation du contrat
13. En principe, le
contrat d’entreprise ou de prestation de services doit faire l’objet des
négociations entre les parties (art. 1379 al. 2 C.c.Q.). Le caractère d’adhésion
ou de consensualisme du contrat d’entreprise doit être apprécié en rapport avec
la possibilité pour chacune des parties de négocier le contrat envisagé et d’y
proposer des modifications. Dans le cas où le contrat est imposé par le maître
de l’ouvrage, l’impossibilité de négocier librement ses stipulations par l’entrepreneur
ne doit cependant pas affecter son autonomie à titre de professionnel puisqu’il
conserve la liberté de choisir les moyens et les méthodes de son exécution.
14. Dans le cas où
l’entrepreneur, dans la préparation de sa soumission, se limite à soumettre un
prix, le contrat conclu par lui pourra être considéré comme un contrat d’adhésion.
Il importe cependant de rappeler que l’entrepreneur demeure en tout temps libre
de soumissionner, ce qui nous éloigne souvent de la véritable notion d’adhésion.
15. Il faut aussi
noter que la conclusion d’un contrat d’adhésion ne libère pas l’entrepreneur de
sa responsabilité pour la qualité et la solidité de l’ouvrage. Il est, en
effet, tenu à des obligations implicites, il doit notamment se renseigner sur l’état
du sol et aviser le client de toute défaillance de conformité détectable par un
entrepreneur compétent, même s’il n’avait pas pris part à l’élaboration des
cahiers des charges. Ainsi, même si le contrat d’entreprise en est un d’adhésion,
l’entrepreneur ne doit pas se limiter à des données fournies par le client
quant au chantier ou à la conformité des données techniques contenues dans les
cahiers des charges, il doit s’assurer que ces données sont conformes aux
règles de l’art et à celles de son métier.
i) Contrats types
16. Le pouvoir de
négociation est en pratique limité dans son application
par le recours à des contrats types qu’offrent plusieurs
organismes,
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notamment des
associations d’entrepreneurs qui ont élaboré des contrats modèles souvent
utilisés par les parties. Il suffit de citer, à titre d’exemple, les documents
contractuels préparés par le Comité canadien de documents de construction
(CCDC) qui sont des contrats types souvent utilisés dans l’industrie de la
construction. Certains de ces
contrats types contiennent des clauses prévoyant le droit du client d’apporter
des changements aux travaux prévus dans les plans et devis et, en conséquence,
un ajustement de prix pour l’entrepreneur. Ce genre de clauses n’a pas pour
effet de modifier pour l’une ou l’autre des parties la nature du contrat d’adhésion.
Le critère déterminant doit toujours rester la possibilité pour la partie qui s’est
vue imposer ce contrat type, de négocier les stipulations essentielles
contenues dans ce contrat lors de sa conclusion.
17. Le recours à
des contrats types en matière de construction peut être initié par l’entrepreneur
lui-même ou par le client sur les conseils donnés par des professionnels. Il
faut donc vérifier jusqu’à quel point il était possible pour l’autre partie
invitée à signer ce contrat type de négocier son contenu ou d’y apporter des
modifications.
ii) Droit de regard : rapport de force
entre les cocontractants
18. Le fait qu’un
droit de regard du propriétaire puisse être prévu au contrat ne peut être un
élément modifiant sa nature consensuelle. En effet, un droit de regard du
propriétaire pourrait diminuer le pouvoir d’exécution de l’entrepreneur sans
pour autant que cela affecte son pouvoir de négociation lors de la conclusion
du contrat, ce qui constitue le critère déterminant pour qualifier un contrat
de « gré à gré » ou « d’adhésion ». Il faut tenir compte du
rapport de force puisque l’entrepreneur peut, dans certains cas, présenter une
soumission ou non, négocier le prix ou bien, au contraire,
avoir l’opportunité de négocier l’ensemble du contenu du contrat.
19. Dans le même
ordre d’idées, la stipulation au nom d’un droit de regard du client ne modifie
en rien la responsabilité de l’entrepreneur puisque ce droit existe en vertu de
l’article 2117 C.c.Q., même en l’absence d’une clause dans le contrat le
stipulant. Que ce droit de regard soit stipulé dans le contrat ou qu’il résulte
de cet article, il n’a pas pour effet d’empiéter sur le pouvoir qu’a l’entrepreneur
de choisir la main-d’œuvre, la
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machinerie et les
moyens et les méthodes d’exécution des travaux. Il ne peut confier ces travaux qu’à des sous-traitants (entrepreneurs
spécialisés) (art. 2099 et 2101 C.c.Q.). Notons
cependant que le droit à la sous-traitance ne libère pas l’entrepreneur de sa
responsabilité envers le client pour la qualité des travaux exécutés par des
sous-traitants.
20. De même, la détermination du résultat escompté par le client et sa
nouvelle participation dans la direction des travaux, afin de favoriser la
solidité, la sécurité et l’uniformité de ces derniers, n’ont pas pour effet de
changer la nature consensuelle et de libre discussion du contrat d’entreprise,
même si l’intensité de l’obligation de l’entrepreneur en découlant se trouve
ainsi atténuée contractuellement.
21. Le contrat d’entreprise
peut toutefois être d’adhésion lorsque l’entrepreneur ne peut proposer aucune
modification aux cahiers des charges et autres conditions essentielles du
contrat et que son pouvoir de négocier est restreint au seul choix de soumettre
ou non un prix. Souvent, dans des
projets d’une certaine ampleur, les stipulations essentielles du contrat d’entreprise
sont rédigées selon les exigences du client et imposées par la suite à l’entrepreneur.
En présence d’une telle situation, le contrat d’entreprise pourra être considéré un contrat d’adhésion
lorsque les autres conditions requises par l’article 1379 alinéa 1 C.c.Q. sont
également remplies. Ainsi, le contrat de
construction public est généralement considéré comme un contrat d’adhésion.
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iii) Clause déraisonnable
ou abusive
22. La détermination de la nature du contrat d’entreprise
revêt une certaine importance pour
la partie qui se voit liée par
certaines clauses déraisonnables ou
abusives. Sous réserve de faire la
preuve de l’existence d’un contrat d’adhésion, la partie débitrice peut
demander à la Cour, soit la nullité de ces clauses ou la réduction de ses obligations, dans la mesure où elle apporte la preuve du caractère déraisonnable ou
abusif de celles-ci. Par contre, en présence d’un contrat d’entreprise négocié
de gré à gré, les dispositions prévues aux articles 1435 à 1437 C.c.Q.
ne rencontrent pas leur application, et ce, même si la preuve apportée par la
partie débitrice révèle un caractère déraisonnable ou abusif de certaines
clauses incluses dans son contrat.
iv) Clause pénale
23. En présence d’une clause pénale, incluse même dans un contrat de gré à
gré, la partie tenue à cette clause peut demander au tribunal de réduire le
montant prévu à titre d’indemnité pour le retard dans l’exécution des travaux
ou d’indemnité compensatoire pour l’inexécution ou la mauvaise exécution des
travaux. L’article 1623 C.c.Q. donne le pouvoir au tribunal de réduire le
montant prévu dans la clause pénale, à condition que le débiteur tenu au
paiement de ce montant démontre le caractère déraisonnable ou abusif de la
clause, sans aucune importance quant à la nature du contrat dans lequel elle se
trouve.
B. Contrat de prestation de services
1) Nature et
notions
24. Le contrat de
prestation de services couvre un aspect du travail pour autrui qui ne correspond ni au contrat de travail, ni au contrat d’entreprise,
ni au contrat de vente. Il vise autant les
prestations de services professionnels que les prestations de services de
nature commerciale. Il s’agit d’un contrat par lequel soit un professionnel ou
un technicien s’engage à fournir des prestations de services à un client
moyennant rémunération.
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25. Le contrat de prestation de
services est, en principe, un
contrat consensuel pouvant souvent faire l’objet de négociations entre les
parties. Cependant, ce contrat peut être un contrat d’adhésion lorsqu’il est
préparé ou imposé par l’une des parties à l’autre.
Soulignons à cet effet que plusieurs contrats types ont déjà été élaborés et
rédigés par différents organismes, notamment par l’Association des ingénieurs-conseils
du Québec ou par des compagnies d’assurances. Ces contrats types sont, en
principe, préparés à l’intention des ingénieurs-conseils, des architectes ou d’autres
professionnels afin de leur offrir certaines protections, parfois à l’encontre
de l’intérêt du client. Ils contiennent des clauses destinées à protéger les
professionnels contre des recours éventuels en responsabilité par leur client.
Les tribunaux devront, en cas de litige portant sur ce genre de clauses
protectrices, tenir compte du caractère d’adhésion du contrat afin, soit d’interpréter
toute ambiguïté en faveur du client qui est l’adhérant (art. 1432 C.c.Q.) ou de déclarer déraisonnables ou
abusives ces clauses, conformément à l’article 1437 C.c.Q. Faut-il rappeler que certains clients se trouvent souvent dans
une position vulnérable, non seulement en raison de leur inexpérience et de
leur manque de renseignements quant à la portée de ces clauses, mais aussi,
quant aux conséquences qui en résultent par rapport à leurs droits.
26. Par ailleurs, le fait qu’un des éléments du contrat de prestation de
services se trouve rempli dans un contrat intervenu entre deux parties ne fait
pas nécessairement de celui-ci un contrat de prestation de services qui, de par
sa nature, exige la réunion d’autres éléments. La
détermination de la nature du contrat n’est pas toujours facile. Dans certains cas, les relations entre les parties
permettent de croire qu’on est en présence de plusieurs ententes à la fois et
il est difficile de conclure à l’existence d’un contrat en particulier. Il
faut, dans ce cas, chercher l’aspect dominant de la relation contractuelle et
distinguer sa cause de son contenu.
27. Lorsqu’ils sont appelés à interpréter un contrat, les tribunaux ne sont
pas liés par la qualification que les parties lui ont donnée lors de sa
conclusion. Le juge accorde plus d’attention aux stipulations du contrat, aux
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effets produits par
ce dernier et à la volonté interne des parties. Il peut ainsi procéder à une analyse du contenu du contrat afin de décider de
sa nature.
28. À titre d’illustration,
le contrat « d’achat de droits locatifs à temps partagé d’abonnement »,
plus communément appelé « contrat de vacances à temps partagé », est
un contrat de service sans égard à la qualification que les parties auraient pu
lui donner. Ainsi, une qualification donnée par les parties et qui porte à croire qu’il s’agit d’un contrat
de vente translatif de droit de propriété peut être inappropriée lorsqu’à l’analyse
de ses dispositions, on constate l’absence des éléments principaux du contrat
de vente, surtout lorsque la partie cocontractante qui bénéficie des services
conférés par ce contrat n’a rien acheté.
2) Cas d’illustration : contrat de service avec une agence de
voyages
29. L’activité
exercée par un agent de voyages (organisateur de voyages ou intermédiaire) peut
donner lieu à un contrat de service en vertu duquel cette dernière offre et
vend des voyages organisés. Il est tenu à une obligation de résultat
et à une garantie de conformité du produit vendu aux représentations faites au
client (art. 2100 C.c.Q.). Il s’agit en effet d’un
contrat de service au sens de la Loi sur la protection du consommateur.
Ce type de contrat est assujetti à l’application de cette loi, qui impose
par ailleurs d’obtenir un permis de pratique par le dépôt d’un cautionnement
par l’agence. De même, le contrat
conclu avec une
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agence de tourisme
vendant des « points voyage » à ses clients est un contrat de service pouvant être aussi qualifié de contrat
d’adhésion.
30. L’objet du
contrat de voyage impose à l’organisateur de voyages un devoir d’information et
une obligation de préserver la sécurité de ses clients. En général, l’agent
doit fournir aux clients tous les renseignements pertinents, les conseils
nécessaires et l’assistance qui s’impose compte tenu des circonstances. Il doit
ainsi les informer adéquatement des risques possibles
une fois qu’ils sont rendus à destination et prendre les moyens nécessaires
pour que le voyage se déroule dans des conditions sécuritaires.
L’agent de voyages ne peut se retrancher derrière le défaut du grossiste en
alléguant qu’il n’en est que l’intermédiaire en tant que dépositaire de ses
publications. L’agent ne sera cependant pas responsable envers son client pour
des imprévus tels que le changement de température. Il doit toutefois dans ces
cas fournir avec diligence les services requis pour son client, et ce, dans la
mesure du possible afin de s’assurer que ses propres obligations dans le
contrat de service sont remplies.
31. En cas de
manquement à une obligation contractuelle de la part de l’agent envers son
client, il appartient au
tribunal de faire l’évaluation de la nature et de la portée de l’obligation compte
tenu des faits et des circonstances propres au cas d’espèce. L’intérêt de la
protection du consommateur est prioritaire et peut justifier que le tribunal
prenne des décisions favorisant ce dernier lorsqu’une agence de voyages fait
preuve de négligence à son égard.
C. Ressemblance des contrats d’entreprise
ou de prestations de services avec d’autres contrats
32. Étant donné l’ensemble
de ses caractéristiques, le contrat d’entreprise ou de prestation de services
est confondu, le plus souvent, avec les contrats de mandat et de travail.
Pourtant, les caractéristiques
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propres à chacun de ces
différents types de contrats sont identifiables et il importe de faire cette
distinction en plusieurs points.
1) Distinction avec le mandat
33. Le contrat de
mandat et le contrat de prestation de services ou d’entreprise comprennent des
similarités, notamment en ce qui a trait à l’absence de lien de subordination
entre le client et le prestataire de services, d’une part, et le mandataire et
le mandant, d’autre part. On utilise souvent le mot « mandat » dans
le sens de « contrat de service ». Or, bien que cela soit admis dans
certaines situations, si le contexte s’y prête, il s’agit, dans
bien des cas, d’une erreur de terminologie, de langage courant.
a) Capacité de représentation
34. Par l’adoption
de l’article 2130 C.c.Q., le législateur a voulu rendre moins ambiguë la
différence entre le mandat et le contrat d’entreprise ou de prestation de
services et ainsi éviter toute confusion entre ces deux types de contrats,
malgré certaines ressemblances. La principale distinction entre ces deux types
de contrats réside en la capacité de représentation qu’infère le contrat de
mandat, notamment en cas de représentation pour l’accomplissement d’un acte
juridique. Ainsi, l’autorité
inférée par le contrat constitue un élément essentiel et déterminant quant à l’existence
d’un mandat, ce qui fait défaut dans le contrat de prestation de services. En fait, l’autorité que confère le
contrat de mandat permettra au mandataire de lier le mandant par l’accomplissement
d’un acte juridique, tandis que le contrat d’entreprise ou de prestation de
services n’infère pas cette autorité au mandataire.
Ainsi, à moins qu’il n’y intervienne, le client ne peut être lié par les
contrats conclus par l’entrepreneur avec les sous-traitants et pour lesquels il
demeure un tiers.
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b) Valeur pécuniaire
35. Une autre distinction porte
sur le fait que le contrat de mandat peut être consenti à titre gratuit (art.
2133 C.c.Q.), contrairement à tout contrat d’entreprise ou de prestation de
services qui détient un critère de formation pécuniaire.
Une distinction pourrait également être établie quant au caractère révocable du
contrat de mandat, contrairement au contrat d’entreprise ou de services pour
lequel le droit à sa résiliation demeure différent quant aux conséquences qui
en résultent.
36. Il importe donc
de déterminer si le cocontractant est un prestataire de services ou un
mandataire, afin de pouvoir établir ce que chaque partie contractante est
habilitée à faire.
c) Rôle du professionnel : conseiller ou mandataire
37. Bien qu’il soit
possible de joindre un mandat (art. 2130 C.c.Q.) à un contrat de service,
lorsque le client préfère être représenté dans l’exercice de certains droits
par le même professionnel prestataire de services, la règle veut que celui-ci
ne soit pas mandataire. Il est de pratique
courante que parallèlement à l’exécution de ses prestations d’entrepreneur ou
de prestataire de services, un professionnel assiste son client dans certaines
activités et démarches, afin de lui donner les conseils appropriés, en vue de
la conclusion d’un acte juridique ou dans l’accomplissement de certaines
tâches. C’est le cas lorsqu’un architecte, un ingénieur ou un juriste assiste
et conseille son client dans les négociations visant la conclusion de contrats
d’entreprise avec des sous-entrepreneurs ou fournisseurs de matériaux. Dans ce
cas, on est en présence d’un contrat de prestation de services. Le rôle de ces
professionnels se limite à aider le client dans ses négociations en lui
prodiguant les conseils adéquats. Il ne peut donc être question de
représentation
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puisque c’est le
client lui-même qui prend les décisions, à la lumière des opinions et des informations qui lui sont données
par le professionnel.
38. Il arrive, cependant, dans certains cas, que le prestataire de services se voie attribuer certains pouvoirs qui
consistent à donner des instructions et des directives, au nom du client, à des
intervenants dans la réalisation d’un ouvrage. Il est possible que l’on soit
alors en présence d’un contrat mixte d’entreprise et de mandat ou d’un contrat
de prestation de services et de mandat. Il faut alors
déterminer si le mandat est accessoire au contrat d’entreprise ou de service ou
l’inverse. Le contrat de mandat
peut être accessoire à un contrat de prestation de services. Cette coexistence
d’un contrat de mandat et d’un contrat de prestation de services n’empêche pas,
cependant, le contrat de mandat de conserver son autonomie, même s’il constitue
un contrat accessoire au contrat de prestation de services.
39. Il ne sera pas inutile de revoir certaines relations contractuelles
pouvant illustrer et retracer la ligne de démarcation entre le contrat de
prestation de services et d’autres types de contrats qui lui ressemblent.
Ainsi, les services d’un avocat relèvent tantôt du contrat de prestation de
services, tantôt du mandat. Il agit comme prestataire de services quand il
rédige une opinion juridique ou lorsqu’il conseille son client ou l’assiste
lors de la négociation d’un contrat. Par contre, il agit comme mandataire
lorsqu’il le représente devant les tribunaux.
40. Un contrat de courtage immobilier est un contrat de service par lequel
le courtier est indépendant et payé par commission.
Selon la Loi sur le courtage immobilier, l’opération
de courtage consiste en la fourniture des services. En effet, le courtier agit
à titre d’intermédiaire entre les parties et pose un acte professionnel afin de
réaliser une transaction. A contrario, lorsqu’il
recommande le client à une institution financière, il n’accomplit pas une
opération de courtage immobilier
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exclusive.
Il agit plutôt comme
personne-ressource. En d’autres termes, ce type de contrat ne donne pas au
courtier le pouvoir de lier son client, sauf indication contraire.
41. De même, l’arpenteur-géomètre est un prestataire de services et non un mandataire, car la préparation du
certificat de localisation nécessite une opinion professionnelle qui engage sa
responsabilité. Également, un huissier
qui veille à l’exécution d’un jugement est un officier public autonome et non
un mandataire du saisissant. Bien qu’il existe un
lien contractuel entre le comptable et son client, cette relation ne comprend
pas toujours les attributs du mandat. Conséquemment, le comptable qui, en cours
d’exécution de son contrat, fait affaire avec un tiers contracte
personnellement avec ce dernier, et non en qualité de mandataire de son client.
42. Le contrat par
lequel un employeur fait appel à un professionnel pour faire passer des tests
préalables à l’embauche et formuler des recommandations sur les candidats n’est
pas un contrat de mandat, mais un contrat de service en raison de l’absence de
pouvoir de ce professionnel de représenter l’employeur dans la conclusion de
contrats de travail.
d) Importance de la distinction : effets de la résiliation
43. La distinction entre le contrat de mandat et le contrat de prestation
de services est importante lorsque l’on décide d’y mettre fin prématurément. En
effet, la résiliation du mandat ou du contrat de prestation de services ne sera
pas régie par les mêmes dispositions et ne produira pas les mêmes effets.
Ainsi, bien que le mandant ait le droit de révoquer en tout temps le mandat de
son mandataire, il sera toujours tenu d’indemniser ce dernier, selon les règles
de droit commun en matière de régime d’indemnisation. Le mandataire aura droit
à une compensation non seulement
pour la partie déjà exécutée de son mandat, mais
[Page 17]
aussi pour les gains
manqués (art. 1611 C.c.Q.),
alors que dans le cas d’un contrat de prestation de services, le client a également le droit d’y mettre
fin en cours d’exécution sans avoir à motiver sa décision (art. 2125 C.c.Q.).
Cependant, le client ne sera tenu d’indemniser le prestataire de services que
pour les prestations déjà fournies telles que le prévoit l’article 2129 C.c.Q..
Le prestataire de services n’a donc pas droit à une indemnité pour les gains
manqués. Il s’agit, dans ce
dernier cas, d’un régime particulier d’indemnisation que le législateur a prévu
en matière de contrat d’entreprises et de prestation de services, en excluant l’application
des règles de droit commun en matière d’indemnisation (art. 1611 C.c.Q.).
2) Distinction avec le contrat de travail
44. Un contrat d’entreprise
ou de prestation de services est parfois qualifié, à tort, de « contrat de travail » (art. 2085 C.c.Q.) par les parties lors de sa conclusion,
malgré l’absence de subordination (art. 2099 C.c.Q.). Ainsi, la personne qui s’engage
à effectuer certaines prestations de travail se voit octroyer le contrat en
considération de ses qualités intrinsèquement personnelles. Par contre, dans le
cas d’un contrat d’entreprise ou de prestation de services, la considération
principale dans l’attribution du contrat consiste en la qualité des prestations
de services ou des travaux à effectuer, ainsi que le prix demandé en
contrepartie.
45. Certains employeurs offrent à leurs employés certains services qui seront fournis par des professionnels
payés par eux. Il s’agit d’une situation qui relève entièrement de la sphère
personnelle des employés et n’a pas de lien direct avec leur contrat de
travail, même si le service est dispensé sur les lieux du travail. À titre d’illustration,
l’employeur qui décide d’offrir à ses employés un service qui n’a aucun lien
avec leur contrat de travail, tel qu’un service de consultation en raison de
problèmes personnels, ne pourra être tenu responsable en vertu d’un contrat de
travail des conséquences qui résultent des services fournis. Il s’agit plutôt d’un
contrat de service intervenu entre l’employeur et le
[Page 18]
prestataire de services dont les bénéficiaires sont les
employés. Cette situation peut être assimilée à une stipulation pour autrui et
l’employeur en tant que stipulant ne peut être tenu responsable dans le cadre
de cette consultation personnelle avec le promettant-prestataire de services.
a) Contrat du travailleur autonome
46. Le travail autonome est l’une des sphères d’activité couvertes par le
contrat d’entreprise ou de prestation de services.
Il ne répond pas d’un contrat de travail, mais plutôt d’un contrat d’entreprise
ou de prestation de services. Ainsi est un
travailleur autonome la personne qui vend des billets au profit d’un organisme,
dans le but d’en tirer un revenu, même si cet organisme lui donne des
instructions ou se réserve un droit d’inspection et de supervision sur ses
activités. Par contre, le contrat
par lequel un pêcheur s’engage à remettre toutes ses prises à un seul client n’est
ni un contrat d’entreprise ni un contrat de prestation de services. Il s’agit
alors d’un contrat sui generis qui s’apparente davantage à un contrat d’approvisionnement
ou de vente.
47. La distinction entre le contrat de travail et le contrat de prestation
de services consiste aussi dans le fait que le prestataire de services, à l’instar
de l’entrepreneur, exécute son contrat avec ses propres matériaux et
instruments, tandis que dans le
contrat de travail, le préposé ou le travailleur emploie les matériaux et les
instruments de celui qui l’a engagé et à qui il est subordonné, pour compléter
l’exécution de son contrat de travail.
b) Contrat d’une personne morale
48. Lorsqu’un contrat oscille entre le contrat de travail et le contrat de
service, la distinction peut être facile si la personne tenue de fournir la
prestation est une personne morale. En effet, la notion de « salarié », prévue à l’article 2085 C.c.Q., qui précise que le salarié doit être
une
[Page 19]
personne physique,
permet alors de conclure à l’existence
d’un contrat de prestation de services. Bien qu’en général cette règle de séparation des identités s’applique, une
entente peut tout de même être qualifiée de contrat de travail lorsque le
bénéficiaire de prestations du travail est une personne morale. Il en est ainsi
dans le cas où la création de la personne morale a uniquement pour but d’exonérer
l’employeur de ses obligations imposées par les lois en matière de travail. Ce
subterfuge ne doit pas être toléré par les tribunaux en raison de la mauvaise
foi de l’une des parties qui cherche à se soustraire à ses obligations envers
ses salariés.
49. Il en est
autrement lorsque les parties concluent une entente en toute bonne foi afin de
modifier une relation de travail en relation de services pour différentes
raisons personnelles, notamment pour des raisons fiscales ou de responsabilité.
Le prestataire de services ne peut par la suite prétendre à l’existence d’un
contrat de travail afin de pouvoir jouir des avantages octroyés par la loi en
matière du contrat de travail et ainsi s’exonérer des inconvénients d’un
contrat de service.
50. Il se peut également qu’il y ait des changements dans une relation qu’entretiennent les parties. C’est le
cas d’une personne qui offrait au préalable ses services personnels à un
employeur dans le cadre d’un contrat de travail, mais par la suite, se
constitue en société afin de fournir les mêmes prestations au nom de celle-ci
et dans le cadre d’un contrat de service. Suite à ce changement, aucune des
parties ne peut prétendre à une continuation du contrat de travail qui a été
remplacé par le nouveau contrat de service. Ainsi, l’ancien employé devenu
prestataire de services ne peut à la fois profiter des avantages d’une société
et d’un contrat de travail, car ces avantages ne
découlent pas du nouveau contrat intervenu entre les parties, puisqu’il s’agit
de deux contrats distincts dont le premier a pris fin par la conclusion du
deuxième qui est de nature différente et produit des effets juridiques
différents.
[Page 20]
c) Importance de la distinction :
effet de la résiliation unilatérale
51. La
distinction entre le contrat de travail et le contrat d’entreprise
ou de prestation de services revêt d’une importance particulière dans le cas d’une
résiliation unilatérale du contrat. En présence d’un
contrat de travail, l’employeur doit avoir une preuve des éléments certains pouvant justifier la résiliation du
contrat. En l’absence d’une
telle preuve, il doit d’abord procéder à la suspension de l’employé en attendant
qu’une décision judiciaire soit rendue dans le dossier qui implique ce dernier. Dans le cas d’un contrat de prestation
de services cependant, le client peut procéder à sa résiliation sans avoir à
motiver sa décision, et sa responsabilité se
limite à payer le montant de l’indemnité, déterminé selon les critères établis
à l’article 2129 C.c.Q..
Par contre, la résiliation unilatérale sans motif valable d’un contrat de
travail à durée déterminée engage la responsabilité de l’employeur qui pourrait
se voir condamné à payer, à titre d’indemnité, la rémunération de l’employé
pour le reste de la durée du contrat.
52. Également, l’indemnisation qui sera due par la partie ayant mis fin au
contrat est différente s’il s’agit d’un contrat de travail à durée indéterminée
ou d’un contrat de service. Dans le premier cas, l’indemnisation sera établie
en conformité avec l’article 2091 C.c.Q. qui prévoit un délai raisonnable
durant lequel l’employé doit être indemnisé pour son congédiement alors que
dans le cas d’un contrat de service, l’indemnisation devra plutôt être
déterminée selon les règles prévues aux articles 2125 et 2129 C.c.Q..
d) Lien de subordination
53. Finalement, la présence ou l’absence du lien de subordination entre les
parties est l’un des critères déterminants quant à la qualification
[Page 21]
du contrat.
En effet, le lien de subordination qui se concrétise par la direction et le contrôle que l’employeur exerce sur son salarié est l’un
des principaux éléments constitutifs du contrat de travail,
alors qu’il y a une absence claire et essentielle du lien de subordination dans
le contrat d’entreprise ou de prestation de services, en vertu de l’article
2099 C.c.Q. Le lien de subordination ne doit cependant pas être associé à la
dépendance économique. En effet, malgré la présence d’une dépendance
économique, cette situation n’inclut pas automatiquement une subordination
juridique, tandis que la subordination juridique inclut toutefois une
dépendance économique. Ainsi, même lorsqu’un prestataire de services est lié à
un seul client qui lui impose un certain standard, il y a absence de
subordination juridique et les parties ne peuvent qualifier leur entente comme
étant un contrat de travail.
54. La
qualification du contrat par les parties d’un contrat d’entreprise ou de
prestation de services, mandat ou contrat de travail ne lie pas le tribunal et
celui-ci peut arriver à une conclusion contraire, suite à l’examen et à l’analyse
de stipulations de ce contrat. Le tribunal peut aussi tenir compte de la conduite
et du comportement des parties pour vérifier le véritable rapport entre elles
et ainsi, déterminer la nature de leurs relations. À titre d’illustration, il arrive, dans bien des cas, que la
qualification du contrat ou le titre que les parties lui ont donné ne
corresponde pas à son contenu ni au véritable rapport contractuel qui reflète
leurs comportements et conduit depuis sa conclusion. Ainsi, les parties peuvent
donner à leur contrat le titre de contrat de travail, alors qu’il appert des
stipulations de ce contrat, de la conduite et des comportements des parties qu’il
s’agit d’un contrat d’entreprise ou de prestation de services. Le critère
déterminant est l’absence du lien de subordination et la liberté dont dispose
[Page 22]
l’entrepreneur ou le
prestataire de services quant au choix de moyens et de méthodes
d’exécution du contrat.
3) Distinction avec le contrat de louage et le bail commercial
55. Afin de distinguer le contrat de service d’un contrat de location, le
tribunal doit tenir compte de la qualification donnée par les parties au
contrat. Cependant, il n’est pas lié, dans tous les cas, à qualifier le contrat de la même manière que les
parties l’ont déterminé. Cette qualification est principalement une question de
droit qui s’évalue selon le comportement
et la conduite des parties afin de déterminer le plus adéquatement la nature
réelle de la relation contractuelle. Il s’agit bien souvent d’une question
mixte de fait et de droit, dont la qualification du contrat sera déterminée à
la lumière de l’interprétation de la preuve testimoniale ou documentaire
soumise par les parties.
56. L’essence même
du contrat de location est l’obligation du locateur de fournir un bien de façon
à ce que le locataire puisse en jouir paisiblement tel que le prévoit l’article
1851 C.c.Q. Quant au contrat de
service, l’entrepreneur ou le prestataire de services n’a pas à procurer la
jouissance paisible de l’ouvrage, mais plutôt à exécuter et à fournir les
prestations prévues dans son contrat afin de réaliser l’ouvrage qui devient par
la suite la propriété du client.
57. Lorsque le
contrat prévoit plusieurs obligations pouvant donner lieu à des qualifications
différentes, il est important de déterminer quelle est la prestation
essentielle ayant motivé les parties à sa conclusion et celles qui ne sont qu’accessoires à sa cause. Ainsi, la
qualification du contrat doit être déterminée en tenant compte de l’obligation
principale assumée. À titre d’illustration, un contrat qui prévoit l’exploitation
d’un train touristique sur une voie ferrée doit être qualifié d’un contrat de
bail commercial et non pas d’un contrat de service lorsque l’obligation
principale négociée et convenue par les parties consiste en la location des
biens permettant au locataire d’opérer et d’exploiter son entreprise. Dans la
mesure où l’obligation principale du locateur consiste à procurer la jouissance
paisible et l’exploitation par le locataire de son entreprise
[Page 23]
sans empêchement, le
contrat doit être qualifié de location. Il faut que l’interprétation du contrat
négocié et accepté par les parties reflète leur intention et que sa
qualification soit conforme à celle qu’elles ont voulu être liées soit un
contrat de bail commercial ou un contrat de service.
Il en est également ainsi pour un contrat de louage de biens qui prévoit aussi
des obligations accessoires d’entretien et de réparation. Ces obligations ne constituent pas un contrat de
service parallèle au contrat de louage, mais s’apparentent
plutôt aux obligations accessoires du locateur quant à la garantie de procurer
au locataire l’usage et l’entretien du bien (art. 1854 et 1864 C.c.Q.).
3. Distinctions
entre le contrat d’entreprise et le contrat de prestation de service
A. Éléments distinctifs
1) Un
entrepreneur ou un prestataire de services
58. L’article 2098
C.c.Q. établit une distinction entre deux notions pouvant sembler similaires,
soit la notion de l’entrepreneur et celle de prestataire de services : le premier réalise un ouvrage dans le cours des
activités de son entreprise, tandis que le second fournit des prestations de
services.
a) L’entrepreneur général et le
sous-entrepreneur : définitions et notions
59. La qualification de l’entrepreneur dépend davantage de la nature de son
travail et de la nature des caractéristiques du contrat que de sa qualité, de
son titre ou de son métier au moment de la conclusion du contrat.
Ainsi, l’artisan qui travaille pour un propriétaire ne peut être assimilé à un
entrepreneur, du simple fait qu’il détient la connaissance ou la compétence
requise dans le domaine de son travail. Il sera inéquitable de faire assumer à
un artisan les mêmes garanties que celles de l’entrepreneur (art. 2113, 2118 et 2120 C.c.Q.).
[Page 24]
60. De même, le fait qu’un artisan détienne une licence ne fait pas nécessairement
de lui un entrepreneur. D’abord, tout particulier peut, avec ou sans licence,
construire un ouvrage quelconque à des fins familiales ou personnelles sans
être un entrepreneur. S’il le construit lui-même, aucune licence n’est
nécessaire. Par contre, la personne qui désire faire exécuter certains travaux
spécialisés sur sa propriété doit se munir d’une licence.
Elle peut cependant se trouver dans une situation où elle sera effectivement
assimilée à un entrepreneur lorsqu’elle a l’intention d’exercer l’activité d’un
entrepreneur et procède à la mise en chantier des travaux pour le compte d’un
tiers.
61. La Loi sur le bâtiment définit l’entrepreneur
comme « une personne qui,
pour autrui, exécute ou fait exécuter des travaux de construction ou fait ou
présente des soumissions, personnellement ou par personne interposée, dans le
but d’exécuter ou de faire exécuter, à son profit de tels travaux ».
Suivant cette définition, une ville peut être considérée comme un entrepreneur
en raison des diverses activités qu’elle exerce, telle que le déneigement,
le déblaiement et l’entretien. Elle accomplit ces divers travaux dans le cours
des activités de son entreprise.
62. L’entrepreneur
est tenu, en principe, à une obligation d’exécution personnelle de l’ouvrage
convenu avec le client. Il s’agit, toutefois, d’une obligation pouvant être
tempérée par la possibilité de l’entrepreneur de confier une partie des travaux
à des sous-traitants. Il s’agit cependant
des contrats conclus subséquemment au contrat d’entreprise intervenu avec le
client. Les sous-traitants et le client demeureraient donc des tiers, l’un
envers l’autre. Ceci influencera notamment les recours que l’un pourra avoir à
l’encontre de l’autre.
63. Puisque la
décision de recourir à la sous-traitance revient à l’entrepreneur général, la
partie des travaux qu’il confiera aux sous-traitants sera également à sa
discrétion. Notons toutefois qu’il s’agit
[Page 25]
d’un contrat de
sous-traitance, et non pas d’une délégation ou d’une cession de droits et devoirs à un sous-entrepreneur. L’entrepreneur général conserve les droits et obligations que lui confère
le contrat principal intervenu avec le client,
notamment les obligations relatives à la coordination et à la
surveillance de l’exécution de l’ouvrage.
64. Il importe donc de bien distinguer l’entrepreneur général indépendant,
qui dirige l’exécution des travaux en tant que maître d’œuvre, du sous-traitant
qui est souvent un entrepreneur spécialisé (art. 2101 C.c.Q.) et qui agit comme
simple prestataire de services ou fournisseur de main-d’œuvre. Ainsi, le
sous-traitant (entrepreneur spécialisé) n’est pas un préposé, bien qu’il se
voie confier l’exécution d’une partie d’un contrat d’entreprise par rapport
auquel il demeure un tiers. Cette sous-traitance intervient entre deux
nouvelles parties et répond aux mêmes caractéristiques que le contrat d’entreprise
(art. 2098, 2099 et 2100 C.c.Q.). Ainsi, le
sous-traitant est libre de choisir les méthodes et les moyens à être utilisés
pour la réalisation de la partie de l’ouvrage qui lui a été attribuée.
65. En principe, le maître de l’ouvrage n’a de lien contractuel qu’avec une
seule partie, soit l’entrepreneur général. Cependant, le sous-traitant qui
accepte la réalisation d’une partie de l’ouvrage confié à l’entrepreneur
accepte en même temps d’assumer certaines responsabilités envers le maître de l’ouvrage
pour les défectuosités et les vices qui affectent cette partie.
Cette acceptation est implicite puisqu’il connaît ou doit connaître la responsabilité
solidaire que la loi leur impose quant à la qualité et à la solidité de l’ouvrage
(art. 2113, 2118 et 2120 C.c.Q.). Il résulte de cette
responsabilité une obligation du sous-traitant de mentionner à l’entrepreneur
général tout éventuel élément inadéquat qu’il pourrait remarquer lors de l’exécution
de l’objet de son contrat de sous-traitance. Cette obligation demeure régie par
l’obligation de bonne foi et se limite aux connaissances des règles de l’art
que le sous-traitant est censé avoir.
66. La responsabilité
du sous-traitant pour la partie des travaux qu’il exécute ne libère pas l’entrepreneur
de sa responsabilité envers son client. En effet, l’obligation de rendre au
client un ouvrage conforme aux règles de l’art incombe entièrement et prioritairement
à l’entrepreneur général qui pourra être tenu responsable de son défaut.
[Page 26]
b) Le prestataire de services :
définitions et notions
67. Le prestataire de services peut-être soit un entrepreneur indépendant,
soit tout simplement un prestataire de services. Il peut être artisan,
technicien ou professionnel fournissant des services exclusifs,
notamment courtier en valeurs mobilières, garagiste, traducteur,
arpenteur-géomètre, comptable agréé, avocat, informaticien,
notaire, inspecteur en bâtiments dans le cas des immeubles, vétérinaire dans l’éventualité
de l’achat d’un animal dispendieux, etc.
68. Dans les contrats de construction, l’ingénieur
et l’architecte sont d’importants acteurs. Ils élaborent les plans et devis,
les techniques, les structures et
les systèmes mécaniques de l’ouvrage. Ils sont ultimement responsables de la
viabilité et du contrôle de la qualité de l’ouvrage (art. 2118-2120 C.c.Q.).
De plus, l’architecte doit attester de la conformité des travaux achevés et
ainsi autoriser leur paiement : le maître de l’ouvrage peut refuser d’effectuer
un paiement avant que l’architecte n’atteste de l’exécution et de la conformité
des travaux pour lesquels l’entrepreneur demande le paiement. Tout paiement
effectué sans l’approbation de l’architecte pourra donner lieu à la possibilité
d’exonération de sa responsabilité pour ce dernier envers le client, pour les
malfaçons et les vices apparents.
69. Finalement, tous ces professionnels ont en commun une autonomie et une
indépendance par rapport à leur cocontractant quant au choix des moyens et des
modalités d’exécution des prestations (art. 2099 C.c.Q.).
c) Le soumissionnaire : définition et notions
70. Le soumissionnaire est celui qui manifeste son intention de réaliser un
contrat en déposant une soumission. Il peut être un entrepreneur
ou un sous-entrepreneur. Deux entreprises ou plus peuvent
se
[Page 27]
grouper temporairement
aux fins de présenter une soumission à la suite d’un appel d’offres : l’existence
d’un contrat de société entre elles est établie
par le dépôt de leur soumission conjointe, sans nécessité d’un écrit pour le
prouver. En l’absence de
déclaration à l’effet contraire, la société est réputée être en participation.
71. Le destinataire de l’offre est celui qui invite les soumissionnaires à
lui faire une offre. Il peut être le donneur d’ordres, le propriétaire de l’ouvrage
ou l’entrepreneur général chargé de la réalisation de l’ouvrage. En effet, un
entrepreneur peut, aux fins de la soumission, être à la fois soumissionnaire et
destinataire des soumissions faites par des futurs sous-traitants
(entrepreneurs spécialisés). L’appel d’offres
survient une fois que les documents nécessaires au projet sont complets. Il a
pour but d’obtenir un engagement de l’entrepreneur général, aux termes duquel
celui-ci s’engage à exécuter les plans et devis moyennant un prix forfaitaire
ne pouvant être modifié qu’exceptionnellement (art. 2109
C.c.Q.).
d) Le client : définition et notions
72. Il n’est pas nécessaire que le cocontractant de l’entrepreneur ou du
prestataire de services exploite une entreprise. Le législateur les traite
indifféremment comme étant client de l’entrepreneur ou du prestataire de services.
Il peut être un consommateur ou une personne physique ou morale propriétaire d’un
immeuble pouvant être ou non à revenu. Le client peut aussi être un locataire
autorisé à faire des travaux locatifs par le propriétaire de l’immeuble.
73. Contrairement à
l’employeur par rapport aux salariés, le client n’est pas légalement tenu d’assurer
la santé et la sécurité au travail des personnes qui interviennent dans la
construction ou dans la prestation de services,
ces professionnels n’étant pas éligibles à certains avantages sociaux, tels que
ceux offerts par la Loi sur les accidents de travail,
[Page 28]
sauf exception prévue par la Loi ou convention contraire.
On pourrait, par exemple, conclure
exceptionnellement à la responsabilité du client pour le préjudice causé aux
intervenants dans l’exécution de l’ouvrage lorsqu’un droit de surveillance ou
de contrôle important de ce dernier est stipulé au contrat.
Toutefois, un recours en responsabilité civile extracontractuelle pour
manquement à un devoir élémentaire de prudence et de diligence envers autrui
demeure possible.
i) Client de l’entrepreneur : propriétaire de l’immeuble ou personne
autorisée
74. Le Code civil du Québec ne contient aucune définition du client
auquel réfèrent pourtant les articles régissant les contrats d’entreprise et de
prestation de services. Il faut donc s’en remettre à l’enseignement doctrinal
et jurisprudentiel dans ce domaine. Il importe, cependant, de ne pas confondre
la notion de client avec celles de propriétaire et de maître de l’ouvrage
auxquelles référait la jurisprudence sous le Code civil du Bas-Canada.
Selon le nouveau concept que dégagent les dispositions du Code civil du
Québec, le client sera le propriétaire de l’ouvrage. C’est le destinataire
des activités exercées par les divers intervenants dans la réalisation d’un
ouvrage. Lorsqu’il s’agit d’un immeuble, le client peut être le propriétaire de
cet immeuble ou la personne autorisée par ce dernier à faire des travaux qui sont nécessaires à l’exercice de ses activités,
telle que le locataire.
75. Bien souvent, on emploie le terme « maître de l’ouvrage » ou
« donneur d’ouvrage » pour désigner le client qui est le propriétaire
de l’ouvrage. Il faut cependant noter que le client ou le donneur de l’ouvrage
peut ne pas être le propriétaire de l’immeuble, mais une personne ayant été
autorisée par ce dernier à faire des travaux pour son propre intérêt en
assumant les coûts, comme le locataire d’un local commercial. Bien souvent,
lors de la conclusion d’un bail commercial avec le propriétaire, un locataire
se fait autoriser par celui-ci à faire des travaux d’aménagement ou locatifs d’une
valeur importante. Ainsi, le locataire autorisé par le propriétaire de l’immeuble
peut être qualifié de client, de donneur d’ouvrage ou de maître de l’ouvrage
par rapport à l’entrepreneur à qui les travaux autorisés ont été confiés.
[Page 29]
76. Il faut
donc exclure de la notion de client l’entrepreneur général
qui confie une partie des travaux
à des sous-traitants. L’entrepreneur ne peut être considéré comme un client au
sens des articles 2113 et 2118 C.c.Q. et il ne peut profiter des
garanties qui y sont prévues. Il ne dispose contre le sous-traitant que des recours offerts, par le régime de droit
commun, aux contractants en général. Le régime de responsabilité légale prévu à
l’article 2118 C.c.Q. constitue
une exception et ne bénéficie qu’au propriétaire de l’ouvrage ou à son ayant
cause. Même en l’absence d’un lien contractuel entre le sous-traitant et le
client, le sous-traitant est considéré comme l’exécutant de ce dernier. En
fait, il exerce ses activités pour lui et à son bénéfice,
même s’il n’est pas le préposé de l’entrepreneur général cocontractant du
client (art. 2099 C.c.Q.).
77. Certains auteurs sont d’avis que le client est celui qui contracte avec
un entrepreneur. Selon eux, il s’incarne en un large éventail de personnes, n’ayant
qu’à être celui envers qui l’entrepreneur s’engage à réaliser un ouvrage
moyennant un prix.
78. Deux remarques s’imposent. Premièrement, une personne qui cumule à la
fois le titre de propriétaire et d’entrepreneur sera considérée comme client au
sens de l’article 2118 C.c.Q. Elle
peut ainsi bénéficier des mêmes droits (art. 2125 C.c.Q.) et des mêmes recours contre le sous-traitant, l’architecte et l’ingénieur.
Le fait qu’elle agisse aussi comme entrepreneur général pour son ouvrage ne lui
enlève aucun droit aux recours en garantie prévus en général en faveur d’un
client. Même si elle agit comme promoteur immobilier,
elle peut avoir les mêmes droits et recours, en cas de vente, que ceux transmis
à l’acquéreur de l’immeuble.
79. Deuxièmement,
il semble que ni les actionnaires ni les administrateurs d’une compagnie ne
soient visés par la notion de client.
[Page 30]
Les recours en garantie
des articles 2113 et 2120 C.c.Q., en cas de malfaçons, et 2118 C.c.Q., en cas de perte de l’ouvrage,
appartiennent plutôt à la compagnie elle-même qu’à ses actionnaires ou
administrateurs. Toutefois, en cas de transfert de droit de propriété d’une
unité ou d’un immeuble par la compagnie à un actionnaire ou administrateur, les
garanties légales ou conventionnelles seront transmises à ce dernier,
conformément à l’article 1442 C.c.Q.
Dans ce cas, l’acquéreur bénéficiera des mêmes droits et garanties que ceux
dont la compagnie disposait avant le transfert contre les intervenants en
construction.
80. Dans le même ordre d’idées, l’exploitant d’une entreprise ne rejoint
pas la définition du client. Ainsi, à titre d’exemple, le simple contrat
portant sur l’exploitation d’une franchise ne confère pas au franchisé la
qualité de propriétaire puisqu’il s’agit d’un contrat de gestion résiliable
unilatéralement par le franchiseur.
81. Finalement, il ne peut être assimilé à un client, le ministère qui
exerce un pouvoir de contrôle sur une société parapublique ou un organisme
public ayant conclu un contrat avec un entrepreneur général pour l’exécution
des travaux sur son immeuble. Le fait que le ministère paye une subvention à
son organisme pour ces travaux ou qu’il se réserve le droit d’approuver les
modifications à apporter aux plans et devis déjà préparés ne constitue pas un
fondement juridique pouvant attribuer à ce ministère le statut d’un client.
ii) Client du prestataire de services
82. Le client dans un contrat de service n’est pas toujours le débiteur de
l’obligation de payer. La personne à qui le service est fourni peut être un
entrepreneur ou simplement un
particulier. Il existe autant de personnes faisant appel aux services d’un
professionnel que de possibilités de services. Ainsi, il est fréquent qu’un
acheteur inexpérimenté retienne les services d’une personne qualifiée pour le
renseigner et le conseiller dans l’achat qu’il s’apprête à effectuer. C’est le
cas, par exemple, d’une personne profane qui consulte un vétérinaire avant l’achat
d’un cheval.
83. Un contrat donné à un prestataire de services conjointement par deux
clients demeure opposable à chacun d’eux, bien que l’un puisse
[Page 31]
avoir perdu intérêt à ce que le travail soit effectué. Le prestataire de services peut réclamer le paiement du prix aux deux clients en vertu du principe de la
force obligatoire du contrat (art. 1439 C.c.Q.).
iii) L’entrepreneur
général ne peut être considéré comme un client pour le sous-traitant
84. Il importe de
souligner que l’entrepreneur ne peut se prévaloir de la résiliation unilatérale
du contrat telle que prévue à l’article 2125 C.c.Q. Cet avantage est dévolu
uniquement au client qui est le propriétaire de l’ouvrage. Celui-ci peut être
le propriétaire de l’immeuble ou son gestionnaire, ou même un locataire ayant
reçu du propriétaire de l’immeuble l’autorisation de faire des travaux pour son
bénéfice. Cependant, l’entrepreneur ayant conclu des contrats de sous-traitance
portant sur l’exécution de certains travaux ne peut être considéré comme le
propriétaire de l’ouvrage et n’entrera donc pas dans la définition de client
telle que désignée à l’article 2125 C.c.Q. Le législateur a adopté cette
disposition pour protéger le client ayant conclu un contrat portant sur un
ouvrage qui deviendra plus tard inutile ou désavantageux. Il serait donc
contraire à l’objectif visé par le législateur de permettre à l’entrepreneur de
se prévaloir de l’avantage de résiliation unilatérale du contrat conclu avec un
sous-traitant.
4. Prix
85. La prestation à
laquelle le client s’engage, en échange de la réalisation d’un ouvrage ou d’une
prestation de services, consiste au paiement du prix convenu (art. 2106 à 2109 C.c.Q.). L’absence de fixation du prix n’empêche pas que l’on soit en
présence d’un contrat d’entreprise, puisque le prix n’a pas à être déterminé d’avance.
Il demeure cependant préférable que son mode de détermination soit arrêté.
Il est possible de conclure un contrat qui prévoit une série de prix qui seront
déterminés selon plusieurs tarifs, tels qu’un tarif pour la main-d’œuvre, un
tarif pour les matériaux et un mode de
rémunération pour l’entrepreneur.
[Page 32]
86. Les taxes
sont généralement payables
par l’acquéreur de services après que le prestataire de services l’ait informé de ce montant, à moins de stipuler l’inclusion des taxes dans le prix. Par exemple,
dans un contrat de service, les taxes de vente et d’accise, sur les commissions
non incluses dans celles-ci, sont payées par l’acquéreur de services.
5. Formation
du contrat d’entreprise ou de prestation de services
87. Il y a lieu de
faire la distinction entre un contrat d’entreprise ou de prestation de
services, qui relève du droit privé, et un contrat de droit public. En général,
bien que les formalités à observer ne soient pas les mêmes dans les deux cas,
le contrat d’entreprise ou de services peut se former par la rencontre des
volontés ou par l’acceptation d’une offre de contracter, ou d’une soumission
faite à la suite d’un appel d’offres.
A. Contrat de droit privé
88. Les contrats d’entreprise
et de prestations de services sont soumis aux règles prévues aux articles 1385 et suivants C.c.Q. régissant la formation
des contrats, l’offre et l’acceptation. Aucune forme n’étant
exigée, l’écrit n’importe qu’à des fins de preuve. Les parties ont, cependant,
intérêt à faire un contrat par écrit et à le rédiger avec précision pour éviter
toute surprise lors de son interprétation par les tribunaux. Ainsi, pour les
parties, il est préférable que leurs obligations et droits soient stipulés de
façon claire et précise et que toute réserve soit notée expressément dans leur
contrat. Les tribunaux ont tendance à appliquer le principe de la force
obligatoire du contrat en donnant effet à certaines clauses pouvant être exorbitantes,
mais qui laissent croire à la volonté des parties de se soustraire à l’application
des dispositions supplétives en matière de contrats d’entreprise ou de
prestation de services.
[Page 33]
1) Conditions particulières à la validité du contrat : la détention d’une licence
89. Le contrat d’entreprise
ou de prestation de services doit remplir non seulement les conditions prévues
dans les règles de droit commun applicables en matière de formation de contrat,
mais aussi certaines conditions prévues dans les lois et les règlements qui
régissent l’exercice des professions. Ainsi, ce contrat peut être déclaré sans
effet juridique entre les parties contractantes lorsque des conditions propres
à l’entrepreneur ou au prestataire de services ne sont pas remplies.
90. Certaines lois spécifiques exigent du professionnel qu’il détienne un
permis, une licence ou une certification afin d’assurer la fiabilité de l’expertise
du professionnel ou de l’entrepreneur. Étant d’ordre
public de protection, ces dispositions ne peuvent être contournées en concluant
un contrat d’entreprise avec un client sans avoir le permis ou la licence
requis pour la nature de la prestation. Dans le cas
contraire, un entrepreneur serait exposé à des sanctions pouvant être imposées
par le tribunal selon les articles 1420, 1422, 1699 et 1700 C.c.Q.
91. Le contrat
conclu par un professionnel qui ne détient pas l’autorisation requise pourra
être sanctionné par le tribunal advenant qu’un litige oppose les parties.
Cette sanction peut être la nullité du contrat ou bien la radiation de l’hypothèque
légale inscrite par l’entrepreneur ou le prestataire de services en vertu des
articles 2726 et 2727 C.c.Q.
92. Dans certains
cas, le tribunal peut refuser la demande en paiement du prix convenu dans le
contrat ou le coût des travaux déjà exécutés lorsque le client subit un
préjudice en raison de non-conformité de ces travaux aux règles de l’art ou une
mauvaise exécution due à l’incompétence et l’inexpérience de l’entrepreneur ou
le prestataire de services qui ne
détient pas le permis requis.
93. En présence d’un contrat de consommation, l’entrepreneur qui n’a pas de
permis conformément à la Loi sur la protection du consommateur pourrait
voir son contrat annulé, même si le consommateur n’est pas en mesure de
restituer en nature les prestations du travail fournies. Cette impossibilité ne
constitue pas une fin de non-recevoir à sa demande en nullité dans le cas d’une
violation par l’entrepreneur ou le prestataire
[Page 34]
des services aux
dispositions d’une loi d’ordre public. Une telle violation est imputée entièrement à ce dernier.
94. L’entrepreneur peut voir son contrat annulé ou sa réclamation du prix
réduite ou rejetée à condition que le client fasse la preuve d’un préjudice
subi et qu’il fasse une demande au tribunal d’imposer l’une de ces sanctions.
Rappelons que l’article 50 de la Loi
sur le bâtiment prévoit la nullité du contrat qui ne respecte pas les
exigences prévues aux articles 1411 à 1413 C.c.Q. puisqu’il ne
s’agit pas d’une disposition d’ordre public de direction, mais plutôt d’ordre
public de protection, selon la présomption établie à l’article 1421 C.c.Q..
a) Courtier immobilier et courtier en finances
95. La pratique des courtiers immobiliers et courtiers en finance
hypothécaires est encadrée par la Loi sur le courtage immobilier. Cette
loi qui est d’ordre public exige que toute
personne qui entend agir à titre de courtier immobilier ou hypothécaire doive
être détenteur d’un permis délivré par l’Organisme d’autoréglementation du
courtage immobilier du Québec (OACIQ). Le rôle du
courtier hypothécaire est d’agir comme intermédiaire
entre la société prêteuse et l’emprunteur. Il ne peut donc remplir ce rôle d’intermédiaire
sans avoir un permis et risque de ne pas pouvoir réclamer ou recevoir de
rétribution pour l’opération qu’il a faite en contravention à la loi.
La détention d’un permis de l’OACIQ constitue donc une condition particulière à
la validité du contrat de prestation de services qui intervient avec un client.
b) Expert en sinistre
96. La pratique de l’expert en sinistre doit respecter les dispositions de
la Loi sur la distribution de produits et services financiers. Ainsi,
une personne qui agit à titre d’expert en sinistre doit être titulaire d’un
certificat délivré par l’Autorité des marchés financiers
[Page 35]
conformément à cette loi, qui est d’ordre public de protection.
Ainsi, une partie ayant conclu un contrat de prestation de services avec une personne qui ne détient
pas un tel certificat prescrit par cette loi peut demander la nullité du
contrat au motif qu’il contrevient à la disposition de l’article 1413 C.c.Q. Il
s’agit cependant d’une nullité relative qui ne peut être invoquée d’office par
le juge, mais doit faire l’objet d’une demande par la partie que la loi entend
protéger.
c) Entrepreneur en construction
i) Catégories de licences
97. Afin de déterminer si la catégorie de la licence de l’entrepreneur est
appropriée pour la nature des travaux à effectuer, le tribunal doit examiner l’objet principal du contrat, notamment
en étudiant les documents d’appel d’offres et les plans et devis émanant du
maître de l’ouvrage. Lorsque l’examen de l’objet principal du contrat permet de
conclure que l’entrepreneur peut détenir différentes licences afin d’exécuter
les travaux, le maître de l’ouvrage ne peut refuser sa soumission, sous
prétexte qu’il ne détient pas l’une ou l’autre des licences relatives aux
différents travaux. Dans le cas où le
maître de l’ouvrage souhaite que l’entrepreneur ait des compétences
particulières en détenant une licence spécifique, il doit définir le type des
travaux à être exécutés dans les documents d’appel d’offres de façon à ce que l’objet
principal du contrat rende clair le type de la licence appropriée devant être
détenue par l’entrepreneur.
98. Rappelons que l’article 4 du
Règlement sur la qualification professionnelle des entrepreneurs et des
constructeurs-proprietaires édicte que « La licence d’entrepreneur
général est requise de tout entrepreneur dont l’activité principale consiste à organiser, à coordonner, à
exécuter ou à faire exécuter, en tout ou en partie, des travaux de construction
compris dans les sous-catégories de licence de la catégorie d’entrepreneur
général, ou à faire ou à présenter des soumissions, personnellement ou par personne
interposée, dans le but d’exécuter ou de faire exécuter, en tout ou en partie,
de tels travaux ».
[Page 36]
ii) Contrat par voie d’appel d’offres
99. Les entrepreneurs qui agissent à titre d’entrepreneur général ou de
sous-traitants doivent détenir la licence émise par la Régie du bâtiment.
Cette licence constitue une condition essentielle qui doit être remplie au
moment du dépôt de la soumission afin que celle-ci soit conforme aux conditions
requises par les documents d’appel d’offres et que l’entrepreneur
en construction ait la capacité juridique nécessaire pour exécuter les travaux
demandés. Ainsi, l’absence de
licence appropriée pour l’exécution des travaux représente une irrégularité
majeure qui peut engendrer le rejet de la soumission, et il s’agit d’un
obstacle incontournable à l’acceptation de la soumission.
L’obtention ultérieure ou même l’inscription à l’examen afin d’obtenir la
licence adéquate ne suffit pas à justifier l’acceptation de la soumission. En
effet, l’entrepreneur doit détenir la licence requise au moment où il dépose sa
soumission.
100. Il en découle
que la présentation de soumission constitue un acte réservé aux entrepreneurs
détenant une licence appropriée. À cet effet, la
jurisprudence récente admet que le maître de l’ouvrage n’a pas l’obligation d’indiquer
expressément dans les documents d’appel d’offres la nécessité que le
soumissionnaire détienne une licence appropriée ou d’indiquer avec précision
quels sont exactement les types de licences que l’entrepreneur doit détenir.
Il s’agit d’une obligation qui incombe à l’entrepreneur afin de se conformer
aux prescriptions de la loi qui régissent l’exercice de son métier.
[Page 37]
iii) Sanctions de l’absence d’une
licence
101.
Plusieurs sanctions et conséquences surviennent lorsqu’une entreprise agit sans avoir une licence dûment octroyée en vertu des lois et règlements qui le prévoient.
Selon la jurisprudence et la doctrine, il sera
possible, à la demande du client-propriétaire de l’immeuble, d’obtenir la radiation de l’hypothèque
légale inscrite par l’entrepreneur qui ne détient pas le permis requis. Cette sanction
est cependant conditionnelle à l’ignorance
par le propriétaire du fait que l’entrepreneur
ne détient pas la licence requise par la Régie du bâtiment. Ainsi, le client qui
accepte de conclure un contrat avec l’entrepreneur en sachant qu’il n’a pas l’expertise
que lui assure la licence et qui l’autorise à faire les travaux pourra
difficilement réussir à faire valoir ses droits, notamment en ce qui concerne
la radiation de l’hypothèque légale de construction.
102. La même
situation survient lorsque le client demande la nullité du contrat de
construction. Cela sera possible dans la mesure où le client n’a pas eu
connaissance du fait que son cocontractant entrepreneur
ne détenait pas la licence requise. Il pourrait dans
certains cas exceptionnels demander la réduction du prix des travaux même
lorsque l’exécution est conforme et que l’entrepreneur avait la compétence pour
les exécuter.
103. Il appartient
toutefois à l’entrepreneur de faire la preuve que le client était bien informé
de l’absence de la licence ainsi que de son acceptation de conclure le contrat.
On peut considérer cette acceptation par le client comme une renonciation à la
protection prévue par la loi. Cependant, cette renonciation ne peut être
invoquée par l’entrepreneur pour se dégager de sa responsabilité quant à la
qualité des travaux et leur conformité aux règles de l’art.
104. Il importe de noter que l’absence d’une licence justifie la radiation
de l’avis d’hypothèque de construction inscrite par l’entrepreneur même si les
travaux sont bien exécutés, à condition que le client n’ait pas été informé que
ce dernier ne détient pas de licence. Cependant, le tribunal peut utiliser son
pouvoir discrétionnaire afin de ne pas permettre l’enrichissement injustifié du
client lorsque les travaux ont été correctement exécutés même en dérogeant aux
règles d’ordre public applicables.
105. Le tribunal de
droit commun a la compétence pour juger les questions relatives à la compétence
de l’entrepreneur en construction seulement si le lien de causalité entre l’absence
de licence et la mauvaise exécution des travaux est établi. Autrement, la
sanction pour le simple fait
[Page 38]
de ne pas avoir obtenu de licence relève de la
compétence du tribunal administratif compétent.
iv) Conditions relatives à la conservation
de la licence
106. Il importe de noter que l’entrepreneur qui détient une licence en règle
doit respecter certaines conditions relatives à la compétence et à sa
connaissance de l’évolution des méthodes d’exécution de son industrie afin de
conserver son droit d’opérer dans ce domaine. Il est également de sa
responsabilité d’assurer le renouvellement de son permis et de respecter les
normes prescrites pendant le délai de suspension du permis. La simple
négligence ne devrait toutefois pas avoir pour effet d’emporter la
responsabilité contractuelle de l’entrepreneur dans les limites raisonnables de
la bonne foi et dans la mesure où les clients ne subissent aucun préjudice
important.
2) Formation
du contrat selon les mécanismes ordinaires
a) Contrat d’entreprise
i) Détermination de l’objet du contrat
107. La loi n’exige aucune forme particulière pour la validité du contrat d’entreprise.
Il s’agit d’un contrat consensuel qui se forme par le simple échange de
consentements entre les parties. Ces dernières peuvent
donc exprimer leur volonté verbalement ou par écrit.
108. Il est cependant déconseillé de conclure un contrat d’entreprise verbal
en raison de la difficulté de faire la preuve non seulement de son existence,
mais aussi de ses dispositions relativement à des éléments précis. L’entrepreneur
ne peut non plus faire la preuve de ce contrat par témoignage lorsque le client
est un consommateur. Un engagement verbal d’un consommateur de faire exécuter
des travaux par l’entrepreneur qui lui soumet une évaluation ne suffit pas à
former un contrat d’entreprise, en cas de refus de ce dernier de donner suite à
son engagement. L’évaluation du coût des travaux s’apparente alors à une
soumission et ne donne pas
[Page 39]
nécessairement à la conclusion du contrat ni à un droit à des
honoraires lorsque le client est une personne physique pour qui le contrat est
civil.
109. Même lorsque le contrat est un contrat d’entreprise
pour les deux parties et que la preuve testimoniale est admissible, il reste difficile de prouver les différents éléments et les composantes de l’ouvrage
en raison de la spécificité de chaque ouvrage, notamment
de ses aspects techniques. Il est donc préférable de rédiger le contrat avec
précision pour éviter tout ennui lors de son exécution.
110. L’objet d’un
contrat d’entreprise doit être déterminé avec précision,
notamment quant à la destination de l’ouvrage et à la fin des travaux (art.
2110 C.c.Q.). Cette obligation de
précision incombe au client qui est le maître de l’ouvrage.
Il a intérêt à ce que l’objet du contrat soit bien caractérisé, car le contrat
d’entreprise se rattache non pas à l’entrepreneur, mais au produit qu’il
cherche à obtenir par l’exécution de l’ouvrage.
Notons que l’absence de prix et de précisions quant aux plans n’empêche pas la
formation d’un contrat d’entreprise, à condition que le contrat contienne les
éléments nécessaires à leur détermination. L’article 1432
C.c.Q. énonce qu’en cas de doute, le contrat devra être interprété en faveur de
la partie qui a contracté l’obligation ou, s’il s’agit d’un contrat conclu avec
un consommateur, en faveur de ce dernier.
ii) Distinction entre l’ouvrage matériel et
l’ouvrage intellectuel
111. Il importe de
faire la distinction entre un ouvrage matériel et un ouvrage intellectuel.
Un ouvrage matériel porte généralement sur la construction, la réparation, le
remplacement, le démantèlement ou la rénovation d’un bien, soit l’activité
physique entourant un ouvrage. L’ouvrage intellectuel porte plutôt sur l’étude
et l’analyse
[Page 40]
d’une situation,
telle qu’une étude de faisabilité visant à rendre fonctionnelle une
usine par un ingénieur-conseil
ou la conception des plans et devis d’un immeuble. L’ouvrage
intellectuel peut aussi consister en
la mise en place d’un site Internet par un prestataire de services.
Dans un tel cas, celui qui prépare et confectionne le site
Internet en tant que prestataire de services ne peut prétendre qu’il détient un
droit d’auteur sur l’ouvrage qu’il exécute pour son client et pour lequel il a
été rémunéré. Conséquemment, il ne peut garder les codes d’accès et mots de
passe du site web. Agissant à titre de prestataire de services, il ne détient
aucun droit de propriété sur la chose lorsque le client le paie pour les
services rendus.
112. Certains contrats d’entreprise intègrent cependant les deux aspects. C’est
le cas lorsqu’un contrat vise la préparation d’un logiciel informatique et d’un
manuel d’instructions. Cette distinction
demeure cependant théorique, le législateur ne délimitant pas le champ d’application
des dispositions en rapport avec la nature de l’ouvrage.
113. Le contrat d’entreprise peut se rapporter à des ouvrages mobiliers
ou immobiliers; les dispositions générales prévues aux articles 2098 à 2116
C.c.Q. s’appliquent également aux ouvrages mobiliers et immobiliers. Une
attention doit être portée aux dispositions particulières, prévues aux articles
2117 à 2124 C.c.Q., qui s’intéressent plus particulièrement à l’ouvrage
immobilier.
b) Contrat de prestation de services
114. Le contrat de prestation de services est un contrat consensuel qui peut
être verbal ou écrit. Il doit être d’une
durée déterminable. Cependant, le contrat à durée indéterminée ne viole pas l’ordre
public dans la mesure où il ne lie pas le prestataire de services par un terme
illimité.
115. L’objet du contrat de service est de fournir les prestations convenues
par le professionnel moyennant le paiement des honoraires par le client. Le
fait qu’un des éléments ou que l’objet d’un contrat de service ne se rapporte
pas à l’exécution de services n’en change pas la nature. Un
[Page 41]
contrat par lequel le prestataire de services s’engage
à faire le triage et le traitement des matériaux recyclables n’en demeure pas
moins un contrat de service, même si cela implique la cession des matériaux par
le prestataire de services. De même, les
obligations de conserver un bien et de le restituer sont accessoires et
implicites au contrat de service ayant pour objet principal la réparation d’un
bien.
116. Enfin, pour des considérations de preuve et d’interprétation, il est
important que le contrat de prestation de services mentionne certains éléments tels l’identification des
parties, l’objet précis du contrat, les limitations et la date des prestations,
le prix ou les honoraires, ainsi que le mode de paiement, etc..
117. Contrairement au contrat d’entreprise, le contrat de prestation de
services peut être renouvelé aux mêmes conditions et pour la même durée. Ce
renouvellement peut être express ou tacite. Il est tacite lorsque le
prestataire de services continue à fournir les mêmes prestations et à recevoir
le même paiement, alors que la durée du contrat est expirée. Le renouvellement tacite
présuppose cependant l’absence d’obstacle légal, comme la réception d’un
préavis de non-renouvellement en temps utile.
B. Contrats par voie d’appels d’offres
a) Notions et principes
118. Le processus d’appel d’offres est une pratique courante souvent
utilisée par les responsables des services publics, notamment dans le domaine
de la construction. L’intérêt public exige d’attribuer le contrat par voie d’appel
d’offres afin de fournir aux citoyens des services de qualité au meilleur prix
et sans favoritisme entre les soumissionnaires, qui doivent être traités sur un
pied d’égalité. Ce processus se fait
par avis public ou par invitation adressée à un groupe de personnes déterminées
afin de présenter leur offre de service ou leur soumission de réaliser un
[Page 42]
ouvrage déterminé. Il a donc pour but de sélectionner des personnes ayant la compétence et les moyens pour réaliser le projet envisagé.
Cette façon de procéder permet d’assurer
le maintien d’une saine concurrence. Elle constitue, en général, une procédure obligatoire pour les organismes publics ou parapublics et volontaire
pour les parties ou entreprises privées.
i) Entente préalable
119. L’entente
préalable est existante à partir du moment du dépôt
d’une soumission par un entrepreneur. L’appel d’offres à titre de sollicitation des entrepreneurs
constitue une offre de contracter, de sorte que l’acceptation par les différents entrepreneurs de présenter leur soumission respective donne lieu
à une multitude d’ententes préalables. Les modalités et le contenu de ces ententes préalables sont intimement liés aux
conditions de l’appel d’offres, dont les droits et les obligations sont
cependant différents de ceux
pouvant résulter du contrat d’entreprise
éventuel.
120. Ainsi, l’entente
préalable est une source de droits
et d’obligations réciproques entre
les parties, notamment en ce qui a trait à l’examen des
soumissions et à l’attribution du contrat. Le maître de l’ouvrage doit se
conformer aux règles régissant l’attribution du contrat, notamment au principe
d’égalité entre les soumissionnaires, tandis que le soumissionnaire choisi doit
conclure le contrat d’entreprise conformément aux documents d’appel d’offres
dont il devait avoir pris connaissance au moment du dépôt de sa soumission.
121. De ce fait, à
moins d’une stipulation prévue aux documents d’appel d’offres, la signature du
contrat n’est pas nécessaire à la création du lien contractuel en matière d’appel
d’offres public. En effet, la signature du contrat dans ce contexte est une formalité du processus global
[Page 43]
de l’appel d’offres
puisque le dépôt de la soumission représente le consentement du soumissionnaire
à la conclusion d’un contrat conforme, et l’acceptation de la soumission par l’organisme
public complète le consentement mutuel requis à la conclusion du contrat d’entreprise,
qui est un contrat n’exigeant aucune forme particulière pour sa validité.
b) Bureau des soumissions déposées du Québec
et autres codes
122. Les parties doivent respecter avec rigueur le Code provincial du Bureau
des soumissions déposées du Québec, que l’on appelle aussi Code des
soumissions, et les normes suggérées par le Bureau des soumissions déposées
du Québec (BSDQ). Le Code des soumissions et les normes du BSDQ ont été
créés afin de mettre sur pied un traitement égalitaire entre les sous-traitants
(entrepreneurs spécialisés) et les entrepreneurs généraux, en empêchant les
comportements déraisonnables de ces derniers au stade de l’appel d’offres. En
prévoyant des sanctions disciplinaires pour ses signataires, le Code vise à
obliger le donneur d’ouvrage à comparer les différentes offres reçues afin de
favoriser la saine et sereine concurrence de façon à ce que les prix soient
compétitifs. Il applique des règles communes à toutes les offres afin d’éviter,
dans un but d’intérêt général, que l’on puisse abuser du processus d’appel d’offres,
notamment en pratiquant le marchandage ou en faisant des tractations
malhonnêtes.
123. Le non-respect des dispositions du Code et des normes du BSDQ peut d’ailleurs
être considéré comme une faute commise par le donneur d’ouvrage pouvant
invalider le contrat obtenu par le soumissionnaire en violation de ces
dernières. Il ne s’agit pas d’une
irrégularité, mais bien d’une entorse fautive aux normes prévues dans le Code
et visant à garantir une égalité et une concurrence loyale entre les
soumissionnaires. À titre d’exemple, l’article
28 de la Loi sur les maîtres
électriciens prévoit que lorsque les travaux visés par un appel d’offres
relèvent fondamentalement d’une seule spécialité, le contrat intervenu entre un
entrepreneur et une personne en violation du Code justifie l’imposition d’une
pénalité représentant cinq pour cent du prix du contrat.
[Page 44]
124. L’entrepreneur général doit dans sa soumission répondre à tous les
éléments requis par les plans et devis relativement à l’exécution de l’ensemble
des travaux qui y sont décrits. La soumission doit
aussi comprendre tous les documents essentiels et requis dans l’appel d’offres.
L’entrepreneur général, tout comme ses sous-traitants ou sous-entrepreneurs,
doit aussi fournir le cautionnement de soumission demandé par les documents d’appel
d’offres. En cas de défaut, la soumission devra être écartée.
125. En matière de contrat public, il est énoncé qu’un donneur d’ordre ne
peut accepter une soumission déposée suite à un appel d’offres qui ne respecte
pas les modalités et les règles d’ordre public. Il n’est tenu à traiter que les
soumissions déposées par des soumissionnaires ayant rempli les exigences de
conformité. Ainsi, un
soumissionnaire qui ne détient pas la licence de construction requise sera dans
l’obligation de se retirer du projet, même si sa soumission a été retenue suite
à l’appel d’offres, parce qu’une telle soumission n’est pas conforme à la loi
au moment où elle a été déposée. Une telle situation peut également permettre à
un tiers soumissionnaire dont l’offre a été rejetée d’être compensé pour les
profits envisagés dont il a été privé en n’obtenant pas le contrat alors qu’il
remplissait toutes les exigences de la loi contrairement au soumissionnaire
choisi.
[Page 45]
c) Règles particulières au contrat de droit
public
126. Les contrats d’entreprise ou de prestation de services conclus par un
organisme public par voie de soumission continuent d’être régis également par
le droit civil du Québec. Ainsi, les droits et
les obligations des parties qui
découlent tant du contrat que des documents d’appel d’offres seront déterminés
et régis par les règles prévues dans le Code civil du Québec.
Il importe à cet effet de faire la distinction entre la formation des
contrats de droit public, qui est soumise à un plus grand formalisme dont le
processus est imposé par la loi ayant créé l’organisme en question, et les
droits et obligations des parties, qui demeurent régis par les dispositions du
Code civil. Bien que les règles de formation de ces contrats diffèrent du
régime de droit commun, le gouvernement et les organismes publics sont
cependant tenus au devoir d’équité dans l’exercice de leur pouvoir
administratif. Ces organismes sont
aussi dotés d’un ensemble de règles de droit public ayant pour but de rendre le
système plus transparent et ainsi de prévenir la corruption dans le secteur
public.
i) Règle du plus bas soumissionnaire
127. Le principe
général veut que l’administration accorde le contrat au plus bas
soumissionnaire qui a présenté une offre conforme et qui est manifestement apte
à réaliser les travaux. Donc, même si le
donneur
[Page 46]
d’ouvrage public ou
parapublic n’est pas lié par le
BSDQ (tout comme le donneur d’ouvrage privé), il devra en principe se conformer à la règle de la plus
basse soumission conforme, en raison des règles de droit public. Il est néanmoins loisible au donneur d’ouvrage de se réserver le droit de refuser toutes les soumissions, même
la plus basse, en prévoyant ce droit à l’appel d’offres.
128. Il est
bien établi qu’un organe
gouvernemental ou un organisme public
peut inclure dans les documents d’appel d’offres des exigences nécessaires devant être remplies par le soumissionnaire. Lors de l’adjudication
du contrat, le maître de l’ouvrage
aura la faculté d’attribuer le
contrat au soumissionnaire qui remplit ces conditions, même
s’il n’offre pas le prix le plus bas. En cas de
contestation de la méthode appliquée lors de l’attribution du contrat, le soumissionnaire-demandeur doit démontrer que la soumission qui a été retenue aurait dû être
rejetée en raison de non-conformité
à l’une des conditions ou exigences prévues dans les documents d’appel d’offres. Il
doit également démontrer que le
contrat lui aurait été adjugé parce
qu’il a rempli toutes les conditions requises dans ces documents.
ii) Expérience
et expertise requises du
soumissionnaire
129. Lors de l’attribution
du contrat, le principe d’égalité entre les soumissionnaires impose des
exigences précises prévues initialement dans les documents d’appel d’offres,
qui tendent en général à assurer que le contrat sera attribué au plus compétent
et au plus fiable. Ainsi, il est de pratique courante d’exiger du
soumissionnaire une expérience précise dans le domaine en question, que ce soit
par la démonstration de la réalisation d’un certain nombre de projets de nature
similaire, de projets d’une valeur quelconque ou encore d’une expérience d’un
certain nombre d’années.
130. Il arrive qu’un
soumissionnaire mécontent invoque à l’appui de sa demande que l’entrepreneur à
qui le contrat a été attribué ne possède pas l’expérience nécessaire dans le
domaine du contrat. Ce motif peut
[Page 47]
être rejeté compte tenu
des stipulations contenues dans les documents d’appel d’offres au sujet de l’expérience
requise par le soumissionnaire. En effet, dans le cas où la condition relative
à l’expérience et l’expertise requises ne sont pas stipulées avec précision,
cette condition peut être considérée remplie lorsque le dirigeant de l’entreprise
possède l’expérience et l’expertise demandées, notamment lorsque le permis d’entrepreneur
bien qu’il soit émis au nom d’une compagnie, a été attribué en raison de l’expérience
de ce dirigeant dont le nom figure aussi sur ce permis comme étant un
représentant responsable de ses activités. Bien souvent,
par son expérience et sa compétence, le dirigeant réussit à faire qualifier une
compagnie ou une entreprise nouvellement incorporée ou établie en tant qu’entrepreneur
spécialisé dans l’industrie en question.
131. Par contre,
lorsque les documents d’appel d’offres spécifient que l’entrepreneur ou l’entreprise
soumissionnaire doit avoir certaines expériences dans l’industrie en question
et avoir à son compte un nombre spécifique de projets réalisés au cours des
dernières années, il est fort probable que par cette exigence, le donneur d’ouvrage
n’inclut pas les dirigeants de l’entreprise. Il est donc possible que par des
stipulations contenues dans les documents d’appel d’offres, les dirigeants de l’entreprise
soient exclus des exigences requises dans ces documents afin de limiter la
condition relative à l’expérience et l’expertise à l’entreprise elle-même.
132. En cas d’ambiguïté
quant à l’importance de la compétence et de l’expérience du soumissionnaire, il
faut conclure que cette exigence doit être remplie par ce dernier lorsqu’il s’agit
d’une personne morale et non pas par son administrateur. Ainsi, l’administrateur
d’une compagnie doit être distingué de l’entreprise lorsque l’appréciation des
conditions d’appel d’offres doit se faire selon la compétence du
soumissionnaire. Doit-on interpréter les termes « soumissionnaire »
et « entrepreneur » comme des synonymes ? Est-ce l’administrateur
de l’entreprise qui donne à l’entreprise sa compétence ? Tout dépendra de
l’interprétation des termes employés dans les documents d’appel d’offres, de
sorte qu’il faut faire la distinction entre l’entreprise et son administrateur
lorsque l’expérience est clairement requise de l’entreprise soumissionnaire.
Autrement, il revient à une entreprise qui n’a pas acquis l’expérience
nécessaire pour la réalisation de l’ouvrage prévu dans les documents d’être
tout de même admissible de par l’expérience de son administrateur. En principe,
c’est l’entreprise qui doit être considérée comme étant le soumissionnaire et
non pas son représentant. Ainsi, il sera
[Page 48]
primordial de bien spécifier dans les documents d’appel d’offres la nature des
exigences et si elles doivent être remplies par l’entreprise soumissionnaire ou
bien par son administrateur. En l’absence de
précisions, il sera de mise de présumer que les conditions s’adressent
seulement à l’entreprise en tant que soumissionnaire.
133. Il faut rappeler que, dans le cas d’un contrat de sous-traitance, la
formation effective de ce contrat est conditionnelle à l’octroi du contrat à l’entrepreneur
général par le donneur d’ouvrage.
134. Plusieurs autres règles de forme ayant trait à la procédure à suivre
dans les démarches entamées pour conclure le contrat sont imposées au nom du
respect de la règle d’équité entre les soumissionnaires et le maintien d’une
concurrence équitable. À l’examen de la jurisprudence, on constate que les
tribunaux n’hésitent pas à sanctionner la violation des règles essentielles du
processus d’attribution du contrat, surtout lorsque le donneur d’ouvrage est un
organisme public.
d) Principe d’égalité entre les
soumissionnaires : objectif et
importance
135. Le Code des soumissions n’est pas un règlement imposé par une
disposition législative et ne constitue en fait qu’un document contractuel.
Ses dispositions visent à assurer une parfaite égalité des chances entre les
soumissionnaires et un maintien d’une concurrence loyale par l’application de
règles communes à tout appel d’offres. Il est
obligatoire que le donneur d’ouvrage traite tous les soumissionnaires avec
équité
[Page 49]
et de bonne foi. Ces règles sont particulièrement
importantes dans un contexte de libre concurrence.
136. Le traitement des soumissions en toute égalité est un principe fondamental, qui constitue la base du
processus d’attribution du contrat. Autrement, les soumissionnaires n’ont aucun
intérêt à s’embarquer dans un processus où chacun d’eux se verrait imposer des
exigences différentes ou une rigueur qui varie en importance.
C’est en raison de ce principe d’égalité qu’on peut dire que l’appel d’offres
donne lieu à une première relation contractuelle entre le donneur d’ouvrage et
chaque soumissionnaire, créant ainsi des droits et des obligations réciproques
même si chaque offre soumise ne lie pas le donneur d’ouvrage. Celui-ci, surtout
lorsqu’il s’agit d’un organisme public, est tenu à assurer l’égalité des
chances entre les soumissionnaires et à accepter la soumission la moins
coûteuse à moins de motif légitime justifiant l’attribution du contrat à un
autre soumissionnaire, à condition que la soumission présente un avantage
particulier sur le plan technologique et en termes d’efficacité et de
calendrier d’exécution.
137. Les
soumissionnaires doivent déposer leur soumission dans le délai fixé dans les
documents d’appel d’offres et en conformité aux conditions
demandées dans ces documents, ce qui force le donneur d’ouvrage
à écarter les soumissions non conformes ou déposées après l’expiration du délai.
e) Principes à respecter lors de l’attribution
et de la formation du contrat
i) Pour le maître de l’ouvrage
138. Le maître de l’ouvrage qui impose une condition essentielle dans son
appel d’offres ne peut, au moment de l’analyse des soumissions et de l’adjudication,
passer outre et renoncer à cette condition qui a été remplie dans les autres
soumissions. Ceci aurait pour effet
de brimer l’égalité des chances des soumissionnaires en favorisant certains
plus que d’autres. De même, il y a une
violation du principe d’égalité entre
[Page 50]
les soumissionnaires
dans le cas où une soumission entachée d’une irrégularité mineure est écartée
par le maître de l’ouvrage parce que celui-ci veut accorder le contrat à un
soumissionnaire qui n’aurait pas eu la chance de l’avoir si la soumission
entachée d’irrégularités mineures n’avait pas été écartée.
139. L’égalité des chances entre les soumissionnaires doit guider le donneur
d’ouvrage dans sa prise de décision en cas d’irrégularités d’une ou plusieurs
soumissions. Pour ce faire, le donneur d’ouvrage doit établir une distinction
entre les irrégularités mineures et celles qui sont majeures. Cette distinction
est un facteur déterminant lors de l’attribution du contrat.
Ainsi, le maître de l’ouvrage ne peut assimiler une irrégularité sérieuse et
importante qui entache une soumission à un élément accessoire afin de retenir
cette soumission, car cela favoriserait injustement l’auteur de celle-ci.
L’irrégularité sérieuse peut porter, entre autres, sur la possibilité de
modifier le prix de la soumission, ce qui aurait pour effet de mettre en
question le principe d’égalité des soumissionnaires.
140. La soumission qui ne respecte pas toutes les conditions essentielles
mentionnées dans les documents d’appel d’offres doit être considérée non
conforme. La conformité d’une
soumission s’apprécie entre la date d’ouverture des soumissions et la date d’adjudication
du contrat. L’attribution du
contrat doit se faire de bonne foi et selon certains critères pouvant être valable et justifiée compte tenu de la nature et
de l’ampleur de l’ouvrage. Ainsi, même en l’absence d’une clause prévoyant ces
critères, le maître de l’ouvrage est justifié de prendre en
[Page 51]
considération l’échéancier
d’exécution, la compétence et l’expérience de l’entrepreneur dans la
réalisation de projets semblables, les méthodes d’exécution qui sont les plus
adéquates, compte tenu des matériaux et équipements à utiliser dans la
réalisation de l’ouvrage, etc.
141. Le principe d’égalité des soumissionnaires doit être respecté lors de
la collecte des soumissions et de l’attribution du contrat par le maître de l’ouvrage.
Celui-ci doit agir avec transparence et bonne foi à l’égard de tous les
soumissionnaires durant le processus d’appel d’offres. Il ne peut se soustraire
à ce principe en annulant un appel d’offres pour en tenir un second sans motif
valable, mais dans le but inavoué de favoriser un entrepreneur en particulier.
Le fait que le maître de l’ouvrage cherche à accorder une seconde chance à un
soumissionnaire qui n’avait pas la possibilité d’obtenir le contrat s’il était
attribué selon les soumissions reçues, serait considéré comme une violation du principe d’égalité.
142. D’ailleurs, le
maître de l’ouvrage n’est pas tenu de recourir aux services du BSDQ, ceci n’étant
pas obligatoire. Cependant, une fois qu’il
a décidé d’utiliser les services de cet organisme et qu’un contrat est signé à
cet effet, il sera tenu de respecter les règles de ce processus. Il y aura donc
application du Code des soumissions et des normes du BSDQ
quant à la conformité des soumissions au processus de leur ouverture et à l’attribution
du contrat.
ii) Pour le soumissionnaire
143. Le soumissionnaire doit quant à lui respecter une obligation positive,
soit celle de renseignement et de se donner une conduite prudente et diligente.
L’expertise de ce dernier est alors un facteur important à considérer lorsqu’il
s’agit de déterminer s’il a respecté son obligation de renseignement. Ainsi,
les documents d’appel d’offres contiennent souvent une mise en garde relative à
l’obligation du soumissionnaire de s’informer
[Page 52]
quant à l’objet du contrat ainsi qu’aux exigences à remplir avant sa conclusion. Le soumissionnaire qui n’a
pas vérifié ces informations, ne peut plus tard en tenir responsable le maître
de l’ouvrage lorsque celui-ci ne possède aucune formation, ni même une
expérience dans ce domaine précis d’expertise. Il ne peut amoindrir son
obligation fondamentale de renseignement en prétendant qu’il s’agissait de l’obligation
du maître de l’ouvrage de fournir tous les renseignements lorsque ce dernier n’est
pas en mesure de le faire ou qu’il se trouve dans l’impossibilité de les
obtenir.
144. L’entrepreneur
désirant réaliser des travaux dont une partie seulement est soumise au Code du
BSDQ des soumissions doit soumissionner pour la totalité des travaux à
réaliser. Cette absence de distinction vise à éviter une attribution arbitraire
du contrat qui s’écarterait du but premier du Code, consistant en la recherche
par le client de la soumission la plus basse. Les travaux non soumis à ce code
sont donc considérés dans l’attribution d’un contrat dès que l’appel d’offres
vise l’ensemble de ces travaux. Toutefois, en cas de
violation des règles du Code, le contrevenant ne paiera les dommages-intérêts
qui y sont prévus par une clause pénale que sur le coût de la partie des
travaux qui y est soumise et non sur le prix de l’ensemble du contrat.
iii) Pour les organismes publics
145. Il importe de
mentionner que certains organismes publics élaborent leurs propres normes
prévoyant des principes et des mécanismes à suivre lors de l’attribution des
contrats. Ces organismes peuvent, dans la limite de leur liberté contractuelle,
prévoir d’autres conditions supplémentaires d’admissibilité de l’offre de
services dans leurs documents d’appel d’offres. L’organisme public peut ainsi
exiger que les soumissionnaires soient préalablement autorisés par l’Autorité
des marchés financiers. En un tel cas, l’organisme public ne peut contrevenir à
ses propres règles ou aux conditions qu’il a exigées en octroyant le contrat à
un soumissionnaire qui n’a pas été autorisé à temps. Cette contravention sera
considérée comme une violation au principe d’égalité
[Page 53]
entre les
soumissionnaires, ce qui engage la responsabilité de l’organisme envers les soumissionnaires
ayant rempli les critères et les conditions requis, et ce dans la mesure où ils
auraient autrement décroché le contrat.
146. Notons que le contrat de service et de vente de gaz conclu entre un
client et une compagnie d’utilité publique relève du droit privé, même si cette
dernière est soumise à des obligations statutaires qui ressortent du domaine
réglementaire de droit public. Depuis le 14 juin
2002, les sociétés paramunicipales et celles de transport en commun se trouvent
assujetties à cette règle d’adjudication quand elles recourent aux services de
certains professionnels à usage exclusif et que le contrat porte sur une valeur
de 100 000 $ ou plus,
bien que le contrat puisse rester de gré à gré.
iv) Pour le sous-traitant
147. Le sous-traitant qui participe à la préparation de la soumission
générale déposée par l’entrepreneur général est tenu à respecter les règles du
BSDQ. Ainsi, il doit se
conformer aux conditions prévues dans l’appel d’offres relativement à la partie
des travaux qui relève de sa compétence. Le défaut de s’y conformer constituera
une irrégularité pouvant affecter également la conformité de la soumission de
son entrepreneur général. Cela dit, en présence d’une irrégularité dans la soumission
de l’un des sous-traitants relativement à sa capacité et à sa compétence à
satisfaire aux exigences de l’appel d’offres ou celles qui découlent de la loi,
l’entrepreneur général pourra voir sa soumission déclarée incomplète et non
conforme, puisqu’elle ne
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couvre pas l’ensemble
des éléments prévus dans l’appel d’offres
ou dans les cahiers de charges.
148. Une fois que le contrat d’entreprise
est attribué à l’un des soumissionnaires, rien n’empêche, en principe, un autre
soumissionnaire dont la soumission n’a pas été retenue pour un motif quelconque
de s’impliquer dans la réalisation de l’ouvrage en tant que sous-entrepreneur
avec l’entrepreneur général. Le client ne peut, en principe, s’opposer à l’intervention
d’un sous-traitant dans l’exécution de l’ouvrage puisque l’entrepreneur général
demeure le principal responsable de l’exécution des travaux, de leur conformité
et de leur qualité.
v) Pour le client à l’égard du
sous-traitant
149. Rappelons que
l’entrepreneur général est toujours responsable envers le client pour la partie
des travaux dont l’exécution a été confiée à un sous-entrepreneur. Le client
peut, cependant, s’opposer à l’attribution d’une partie des travaux à un
entrepreneur, ou à un sous-entrepreneur, dont la soumission n’a pas été retenue
en raison de sa non-conformité aux conditions prévues dans l’appel d’offres ou
dans les cahiers des charges. C’est le cas lorsque ce sous-traitant n’a pas la
compétence ou la qualification nécessaire pour exécuter les travaux selon la méthode
d’exécution et les techniques prévues aux cahiers des charges.
150. Il peut arriver que le client, dans son appel d’offres, indique non
seulement les travaux et les conditions devant être remplies par les
soumissionnaires, mais aussi, qu’aucune soumission ne soit prise en
considération, à moins que le soumissionnaire ne soit membre d’une association
ou d’une corporation qui regroupe les entrepreneurs de son métier.
Ainsi, une soumission déposée par un entrepreneur spécialisé tel qu’un plombier
ou un électricien ne sera pas examiné ni retenu par le client, même si elle est
conforme aux conditions de l’appel d’offres, si son auteur ne détient pas la
licence nécessaire et l’attestation de son adhésion à son association
professionnelle.
151. Il arrive aussi
que le client dresse une liste des entreprises spécialisées pouvant participer
à la réalisation de l’ouvrage à titre de sous-traitants. Dans ce cas, le
soumissionnaire ne peut confier les travaux pour lesquels ces exigences sont
demandées à une entreprise qui
[Page 55]
ne figure pas sur la liste des entreprises
autorisées à participer à la réalisation de l’ouvrage comme sous-traitant. Le
non-respect par le soumissionnaire de cette condition justifie le rejet de sa
soumission pour motif de non-conformité aux conditions exigées dans les
documents d’appel d’offres. Il en est de même
lorsque dans les documents d’appel d’offres, le maître de l’ouvrage exige que
le soumissionnaire fournisse la description des travaux à être réalisés par lui
et ceux qui seront confiés à des sous-traitants. La soumission qui n’est pas
conforme à cette exigence peut
être refusée lorsque ces travaux seront exécutés par des sous-traitants alors
que le maître de l’ouvrage cherche par la condition imposée à s’assurer de la
compétence et de l’expérience de l’entrepreneur. Dans ce cas, le
soumissionnaire ne peut compter sur l’expérience de ses sous-traitants dans l’exécution
d’un tel projet alors que lui-même ne possède pas l’expérience requise par le
maître de l’ouvrage dans les documents d’appel d’offres.
f) Moment de la formation du contrat
152. Tel qu’évoqué
précédemment, l’appel d’offres est une invitation à soumettre des offres de contracter. Conséquemment,
le contrat est conclu au moment de son adjudication, plutôt qu’au moment du
dépôt d’une soumission par l’entrepreneur en conformité avec l’appel d’offres.
Même à l’ouverture des soumissions, aucun contrat n’est formé au bénéfice du
plus bas soumissionnaire si le donneur d’ouvrage, surtout lorsqu’il s’agit d’un
organisme public, a émis de bonne foi une réserve lui permettant de rejeter
toutes les soumissions. Ainsi, le donneur d’ouvrage n’engage pas sa
responsabilité lorsqu’il se réserve le
[Page 56]
droit de ne pas accepter nécessairement
la soumission la plus basse et de préférer un futur contractant en fonction d’autres
particularités ou facteurs.
153. Le contrat de construction ne peut donc être conclu lors de la
réception de la soumission déposée suite à un appel d’offres que dans des cas
exceptionnels. Il arrive que le cahier de charges, élaboré par le maître de l’ouvrage
ou ses professionnels, soit communiqué à une entreprise en particulier ou à un
nombre restreint d’entreprises dans le but de solliciter leurs soumissions.
Même si, suite à cette communication, un seul entrepreneur dépose une
soumission pour réaliser l’ouvrage, ce dépôt ne donne pas lieu à la conclusion
du contrat de façon systématique puisque le maître de l’ouvrage, même en l’absence
d’une clause de réserve ou d’agrément, est toujours en droit de refuser la
conclusion du contrat advenant son insatisfaction de la soumission pour des
raisons valables et sérieuses. À titre d’illustration, le prix demandé pour la
réalisation de l’ouvrage peut être excessif, injustifié ou dépasser la capacité
et les moyens financiers du client. Il est donc
inconcevable de conclure à la formation du contrat d’entreprise par la simple
réception de la soumission.
154. Il est également difficile de penser que le contrat d’entreprise peut
être conclu à la date de la réception de la soumission lorsque le client fait
un appel d’offres général ou adressé à plusieurs entrepreneurs et que plusieurs
soumissions ont été déposées dans des enveloppes scellées à l’intérieur du
délai prévu. Il est de pratique courante que, dans son appel d’offres, le
maître de l’ouvrage indique une date limite pour le dépôt de la soumission
et une date à laquelle les soumissions reçues seront ouvertes, souvent en
séance publique. La réception de ces différentes soumissions ne donne pas lieu
à la conclusion d’un contrat puisque le maître de l’ouvrage ne peut être lié et
tenu à plusieurs contrats identiques et portants sur le même ouvrage, mais avec
différents soumissionnaires.
155. Il est aussi
impensable que le contrat d’entreprise soit conclu à la date de la réception de
l’une de ces soumissions, même si celle-ci a
[Page 57]
été retenue plus tard par le maître de l’ouvrage. Il est plausible de penser que, par l’appel d’offres, le maître de l’ouvrage ou le client cherche à faire jouer la concurrence et qu’il n’accepte pas d’être lié par un contrat lors de la réception d’une soumission. Il est reconnu que
le client se réserve, au moins
implicitement, la faculté d’agrément et de choisir, parmi les soumissions reçues, celle qui lui convient et qui répond le mieux à ses
attentes, même si elles sont
toutes conformes aux documents d’appel d’offres.
156. En général, le client ne
se donne pas comme critère d’attribution du contrat, le coût le moins élevé,
mais bien souvent, il envisage de tenir compte d’autres critères aussi
importants tels que les compétences et l’expérience de l’entrepreneur dans la
réalisation des projets semblables, les techniques et les méthodes d’exécution,
l’échéancier d’exécution, surtout lorsque les biens ou les matériaux à
incorporer sont choisis à l’avance et font l’objet de précisions dans le cahier
de charges.
157. Par ailleurs,
le sous-traitant ou l’entrepreneur a l’obligation d’évaluer au moment de la
préparation de la soumission sa capacité à remplir les conditions requises pour
l’exécution du contrat envisagé, notamment quant au respect de l’échéancier. Il
doit s’assurer d’avoir à sa disposition tous les autres moyens nécessaires à
cette exécution. Ainsi, à moins d’une
erreur manifeste et déterminante dans les documents d’appel d’offres pouvant
invalider la soumission, l’auteur de celle-ci a l’obligation de signer le
contrat et d’exécuter les travaux pour lesquels il s’est engagé à titre de
soumissionnaire, que ce soit comme entrepreneur général ou sous-traitant. Il
est de son devoir de faire sa soumission en tenant compte de certaines
éventualités qui pourraient survenir, par exemple le retardement des travaux et
leur exécution dans des conditions hivernales, mais ce type d’éventualité doit
être mentionné dans les documents d’appel
d’offres.
g) L’attribution du contrat
158. Il importe donc de faire la distinction entre la conclusion de contrat
d’entreprise et la responsabilité du maître de l’ouvrage pour la violation du
processus et des règles devant régir l’attribution du contrat
[Page 58]
suite à la réception de soumissions. Ainsi, le
dépôt d’une soumission ne crée pas, en faveur de l’entrepreneur
soumissionnaire, une relation contractuelle avec le maître de l’ouvrage, même
si la soumission contenait le prix le plus bas.
Les relations contractuelles ne prennent naissance entre ce dernier et l’un des
soumissionnaires que lorsque, suite à l’ouverture des soumissions reçues, le
contrat est attribué à l’un de ces soumissionnaires. Les autres
soumissionnaires qui ne voient pas leur soumission retenue ne peuvent prétendre
à l’existence d’un contrat avec le maître de l’ouvrage. Il ne faut donc pas
généraliser l’application d’une
décision rendue par la Cour suprême du Canada dans un cas particulier
pour en faire une règle applicable à chaque fois que l’on est en présence
d’un appel d’offres et de soumissions.
159. Il ne faut
pas, non plus, confondre la conclusion d’un contrat avec l’existence d’un lien
de droit entre l’entrepreneur soumissionnaire et le maître de l’ouvrage. En
effet, l’entrepreneur qui prétend que le maître de l’ouvrage avait contrevenu
aux règles d’attribution de contrats et à celles de bonne foi peut chercher la
responsabilité de ce dernier en dommages-intérêts
en raison du lien de droit qui découle des documents d’appel d’offres et du
dépôt d’une soumission conforme aux conditions prévues dans ces documents.
Cette responsabilité peut être contractuelle ou extracontractuelle.
Elle est contractuelle lorsque, dans l’appel d’offres, il n’y avait aucune
réserve ou stipulation prévoyant des motifs valables permettant au maître de l’ouvrage
de ne pas accorder le contrat à l’entrepreneur ayant déposé la soumission la
plus basse. Dans ce cas, l’attribution d’un contrat à un autre soumissionnaire
peut placer le maître de l’ouvrage en violation d’une entente que l’on peut
qualifier
[Page 59]
d’avant-contrat
ayant pour objet l’attribution du contrat à cet entrepreneur dans la mesure où sa soumission est conforme et présente le prix le plus bas. L’attribution du contrat d’entreprise à un autre entrepreneur constitue, dans ce cas,
une violation de cette entente par le maître de l’ouvrage qui ne
sera plus en mesure de respecter son engagement.
i) La responsabilité du maître de l’ouvrage
160. Notons que même en présence d’une clause de réserve, la Cour suprême a
statué que le maître de l’ouvrage engage sa responsabilité envers le
soumissionnaire ayant déposé une soumission avec un prix le plus bas alors que
l’attribution du contrat à un autre soumissionnaire n’est pas justifiée par une
raison valable. Il importe de noter
que le fait qu’un contrat précédent ait été accordé par le maître de l’ouvrage
à un entrepreneur ne constitue pas une raison valable pour justifier l’attribution
du nouveau contrat à ce même entrepreneur. Celui-ci doit déposer une soumission
qui sera évaluée objectivement comme toute autre soumission, car le maître de l’ouvrage
n’a aucune obligation à lui accorder le nouveau contrat.
Une exception à ce principe peut avoir lieu lorsque les travaux prévus dans le
nouveau contrat constituent une suite logique des travaux déjà exécutés par l’entrepreneur
en vertu d’un premier contrat. Dans ce cas, le maître de l’ouvrage pourra
exceptionnellement attribuer le nouveau contrat à cet entrepreneur afin de s’assurer
de la même méthode d’exécution et de la qualité de l’ouvrage.
161. La
jurisprudence a tendance à tenir le maître de l’ouvrage responsable de la
violation de la règle d’égalité entre les soumissionnaires et celles de bonne
foi selon les règles de la responsabilité extracontractuelle.
Cette tendance se justifie par le fait que les règles à suivre lors de l’attribution
du contrat sont établies par le Code du BSDQ.
162. Quelle que soit la nature de la responsabilité du maître de l’ouvrage
résultant de sa violation des règles d’attribution du contrat, l’entrepreneur
ne peut chercher à contraindre ce dernier à revenir sur sa décision et à lui
accorder le contrat. Le seul recours offert est celui en
[Page 60]
dommages-intérêts.
Enfin, même si l’on arrive à la conclusion qu’il y avait un lien contractuel
résultant de l’appel d’offres et du dépôt de la soumission, il ne faut pas
confondre la violation de règles d’attribution de contrat avec celles qui
résultent de la résiliation du contrat d’entreprise, en vertu de l’article 2125 C.c.Q. Dans ce dernier cas, l’exercice de
droit à la résiliation, selon cet article, donne lieu à l’application d’un
régime de responsabilité particulier (art. 2129 C.c.Q.) qui limite le droit de l’entrepreneur à une indemnité pour les
travaux exécutés et les dépenses encourues, excluant ainsi toute compensation
pour les gains manqués. Par contre, l’attribution
de dommages-intérêts au soumissionnaire ayant eu droit au contrat n’eût été la
violation de règles d’attribution par le maître de l’ouvrage, sera régie par
les règles d’indemnisation de régime commun tel que nous le verrons plus en
détail plus loin.
163. Par
ailleurs, certains organismes publics doivent préalablement obtenir l’autorisation
d’une instance de vérification avant de rejeter la soumission la plus basse
lorsqu’elle est conforme à l’appel d’offres. Ainsi, une ville doit obtenir l’autorisation
du ministre des Affaires municipales, des Régions et de l’Occupation du
territoire avant de rejeter une telle soumission.
A contrario, un organisme public peut rejeter discrétionnairement la
soumission la plus basse lorsque celle-ci est non conforme aux exigences de l’appel
d’offres. Il peut aussi, pour un
motif valable, tel qu’un prix excessif, refuser toutes les soumissions déposées
à la suite d’un premier appel d’offres et, en l’absence de mauvaise foi ou de
malversation, procéder à un deuxième appel d’offres.
[Page 61]
ii) Le maintien de la soumission
164. Le dépôt d’une soumission conforme aux documents d’appel d’offres crée
un avant-contrat (art. 1396 C.c.Q.)
obligeant le soumissionnaire notamment à maintenir sa soumission pendant le
délai prévu pour l’ouverture des soumissions et l’attribution du contrat. Le soumissionnaire
qui prend conscience d’une omission dans la soumission qu’il a déposée ne
pourra donc pas retirer sa soumission en invoquant cette raison.
Il ne peut la révoquer ni la modifier durant cette période sans qu’une atteinte
à l’obligation d’égalité des soumissionnaires soit engendrée.
Quant au maître de l’ouvrage, il ne peut pas permettre à un soumissionnaire,
lors de l’attribution du contrat, d’apporter des modifications à sa soumission.
Une telle modification contrevient aux règles d’équité entre les
soumissionnaires et à celles de bonne foi devant régir le traitement des
soumissions et l’attribution du contrat. Une telle modification constitue
également une violation au Code du BSDQ, dans la mesure où le maître de l’ouvrage
a retenu les services de l’organisme.
165. Il importe de préciser que le maître de l’ouvrage peut se réserver le
droit de faire une partie des travaux et d’en aviser dans les documents d’appel
d’offres les entrepreneurs intéressés afin que ces travaux soient exclus de leur
soumission. En l’absence d’une
telle réserve, le maître de l’ouvrage ne peut, une fois qu’il a pris possession
des soumissions, décider de faire lui-même certains travaux et d’attribuer le
[Page 62]
contrat en conséquence.
Également, le maître de l’ouvrage ne peut à la suite de la réception des
soumissions, modifier des frais étant fixés précédemment dans les documents d’appel
d’offres, car une telle modification peut avoir des répercussions sur les
profits du soumissionnaire sans obtenir son accord. Dans ce cas, le
soumissionnaire ne sera pas tenu de conclure le contrat ni de maintenir les
obligations découlant de sa soumission.
166. Bien souvent,
des sous-traitants participent à la préparation de la soumission à être déposée
par un entrepreneur général. En cas de divergences entre la soumission et
certains éléments inclus dans le contrat proposé, les parties peuvent en
négocier le contenu et convenir des modifications à apporter à la soumission.
La soumission reste valide durant la période des négociations, et ce même
au-delà de la date d’échéance du délai d’acceptation prévu initialement. En cas
d’échec, les modifications à la soumission ne peuvent être imposées au
sous-traitant. Ainsi, sans écarter les règles d’attribution prévues par le
BSDQ, l’entrepreneur ne peut tenir le sous-traitant responsable pour son refus
de signer le contrat final qui n’est plus conforme à la soumission.
iii) L’obligation de conclure le contrat
167. Une question
se pose à savoir si l’entrepreneur, dont la soumission a été retenue par le
maître de l’ouvrage, peut refuser de conclure un contrat d’entreprise avec ce
dernier en conformité avec sa soumission. La réponse doit être négative puisque
le fait de permettre à un entrepreneur de revenir sur sa soumission une fois qu’il a découvert, suite à l’ouverture
de toutes les soumissions, que la conclusion du contrat sera désavantageuse
pour lui, pourra mettre non seulement le processus de l’attribution de contrats
en question, mais aussi la stabilité des relations contractuelles.
168. Il importe
cependant de souligner que l’envoi par un soumissionnaire d’une lettre
demandant au maître de l’ouvrage de retirer dans la mesure du possible la
soumission qu’il a déjà déposée, sans indiquer clairement son refus d’exécuter
le contrat ne peut être interprété comme étant un refus de sa part de conclure
le contrat. En un tel cas, le maître de l’ouvrage qui a l’intention d’accorder
le contrat à un autre soumissionnaire se doit d’envoyer préalablement une mise
en demeure au premier soumissionnaire l’avisant que sa soumission fut retenue
et lui demandant de signer le
contrat. Le défaut par le maître de l’ouvrage de mettre
[Page 63]
en demeure le
soumissionnaire de signer un contrat conforme à sa soumission, écarte toute
possibilité de présumer le refus de ce dernier de donner suite à sa soumission
et lui fait perdre en même temps le droit de réclamer une compensation à titre
de dommages-intérêts.
169. Le refus de l’entrepreneur de conclure un contrat d’entreprise conforme
à sa soumission pourra engager sa responsabilité envers le maître de l’ouvrage.
Il risque ainsi d’être condamné à payer une compensation
à ce dernier à titre des
dommages-intérêts représentant, entre autres, le coût supplémentaire que le
maître de l’ouvrage doit payer à un autre soumissionnaire dont le tarif est
plus élevé. C’est pourquoi on exige, dans les documents d’appel d’offres, comme
condition à la prise de considération de la soumission, la remise d’un
cautionnement de soumission. Le but d’exiger un tel cautionnement est d’éviter
une poursuite devant les tribunaux afin d’obtenir un jugement qui condamne le
soumissionnaire en défaut à indemniser le maître de l’ouvrage pour les dommages
qui résultent de son refus de respecter sa soumission.
170. Il importe cependant de noter que, dans certains cas exceptionnels qui
impliquent nécessairement une mauvaise foi de la part du maître de l’ouvrage, l’entrepreneur
n’engage pas sa responsabilité envers ce dernier advenant son refus d’honorer
sa soumission. Il en est ainsi lorsque l’entrepreneur avait commis, de bonne
foi, des erreurs dans le calcul du prix et que ces erreurs étaient évidentes à
tel point que le maître de l’ouvrage de mauvaise foi cherche à profiter de ces
erreurs au détriment de l’intérêt de l’entrepreneur.
171. Cela dit, un
soumissionnaire qui s’est engagé à réaliser le contrat suite à l’appel d’offres,
mais qui se retire au moment de signer le contrat en raison de son incapacité à
réaliser les travaux selon le calendrier établi dans les documents d’appel d’offres
engage sa responsabilité pour les coûts supplémentaires que le maître de l’ouvrage
sera obligé de payer. Il s’agit d’un préjudice qui remplit le critère de
prévisibilité de l’article 1613 C.c.Q.,
puisqu’un soumissionnaire raisonnable et prudent devait prévoir lors de la
préparation de sa soumission qu’en cas
[Page 64]
d’éventuel retardement
des travaux, le client subirait un préjudice pouvant consister dans le paiement
de coûts supplémentaires associés à l’exécution de l’ensemble des travaux alors
que le calendrier et les conditions étaient bien prévus dans les documents d’appel d’offres.
iv) Le maintien de la soumission du
sous-traitant
172. Il est d’une
pratique courante que l’entrepreneur général fasse appel à différents
sous-traitants spécialisés afin que chacun prépare une soumission pour les
travaux qui lui seront confiés. Dans ce cas, les mêmes règles ci-haut exposées
s’appliquent au sous-traitant qui participe à l’élaboration de la soumission
globale préparée par l’entrepreneur général afin d’obtenir le contrat envisagé.
Ainsi, advenant le cas où la soumission de cet entrepreneur sera retenue,
celui-ci engage sa responsabilité s’il confie le contrat de sous-traitance à
une entreprise autre que celle ayant participé à l’élaboration de la soumission
globale.
173. De même, le
sous-traitant est tenu à maintenir sa soumission tant et aussi longtemps que le
contrat n’a pas été attribué par le client. Il est également tenu de conclure
le contrat de sous-traitance conformément à sa soumission. Ainsi, sa
responsabilité sera engagée en cas de refus de conclure le contrat de
sous-traitance aux mêmes conditions et au même prix inclus dans sa soumission.
Par son acceptation de participer à l’élaboration de la soumission globale et
par sa soumission en tant que sous-traitant spécialisé, une entente est formée
entre ce dernier et l’entrepreneur général ayant pour objet un engagement
mutuel et réciproque de conclure un contrat de sous-traitance plus tard
advenant l’attribution du contrat par le maître de l’ouvrage à l’entrepreneur
soumissionnaire. Cette entente lie les deux parties de sorte que l’entrepreneur
sera tenu de confier les travaux au sous-traitant ayant fait une soumission
pour ces travaux et ce dernier a l’obligation de respecter les conditions
incluses dans sa soumission et d’exécuter les travaux en conformité avec
celle-ci.
174. Lorsque le
sous-traitant spécialisé refuse d’exécuter les travaux, malgré sa participation
à la soumission globale, l’entrepreneur général peut s’adresser à un autre
sous-traitant et lui confier l’exécution des travaux. Il pourra, dans ce cas,
réclamer la différence entre le prix de la soumission déposée par le premier
sous-traitant et le prix qu’il a dû
[Page 65]
payer à un nouveau
sous-traitant pour obtenir l’exécution des travaux dans le délai prévu.
175. L’existence
des liens contractuels entre l’entrepreneur général et ses sous-entrepreneurs,
ainsi que des liens contractuels entre ces sous-entrepreneurs et leurs
sous-traitants est conditionnelle à l’obtention du contrat par l’entrepreneur
général ayant présenté une soumission conformément à l’appel d’offres. Il
convient donc de rappeler qu’aucun de ces intervenants ne peut être lié par sa
soumission ou entente intervenue avec l’entrepreneur général tant et aussi
longtemps que ce dernier n’aura pas obtenu le contrat d’entreprise avec le
client.
176. Ainsi, le
soumissionnaire qui n’a pas obtenu le contrat ne sera pas tenu de faire appel à
ses propres sous-traitants ayant fourni une soumission jointe à sa propre
soumission lorsqu’il intervient plus tard dans l’exécution du contrat comme
sous-entrepreneur. En d’autres termes, l’entrepreneur qui dépose une soumission
pour obtenir un ouvrage ne sera pas lié contractuellement à ses sous-traitants
ayant contribué à l’élaboration de cette soumission tant et aussi longtemps que
le contrat ne lui a pas été attribué par le client sur la base même de cette
soumission. Le fait qu’il intervienne en tant que sous-entrepreneur engagé par
un entrepreneur général qui s’est vu attribuer l’ouvrage, ne l’oblige pas
légalement à retenir ou à faire appel à ses propres sous-traitants. Au
contraire, le refus par le maître de l’ouvrage de sa soumission en tant qu’entrepreneur
général le libère de toute entente ou promesse prise envers le sous-traitant
spécialisé ayant fourni une soumission dans le cadre de la soumission qu’il a
soumise en tant qu’entrepreneur général.
177. Pour que l’entrepreneur
soit assujetti au Code du BSDQ, il doit faire partie d’une association y ayant
adhéré. Ainsi, les sous-traitants ayant transmis chacun leur propre soumission
à l’entrepreneur pour lui permettre l’élaboration d’une soumission globale qui
fut soumise et retenue par le client, ne pourront pas chercher sa
responsabilité en cas de non-respect des règles du Code du BSDQ lorsque ce
dernier ne fait pas partie d’une association assujettie à ce code. De même,
advenant le cas où cet entrepreneur s’associe à l’entrepreneur ayant obtenu le
contrat, celui-ci ne peut être tenu responsable envers les sous-traitants qui n’ont
aucun lien avec lui. Le fait que ce dernier est assujetti au Code du BSDQ ne
permet pas à ces sous-traitants de chercher sa
[Page 66]
responsabilité pour la
violation des règles du Code, car il n’y a pas de lien contractuel entre eux.
h) Irrégularités des soumissions
178. Il est
important de faire la distinction entre les irrégularités mineures et les
irrégularités majeures, puisqu’elles provoquent des conséquences légales
différentes. Il faut cependant noter que lorsque le maître de l’ouvrage stipule
une condition comme impérative, et prévoit de façon claire et non équivoque le
rejet de la soumission en cas de non-conformité à cette condition, la
détermination de la nature de cette irrégularité n’aura aucune importance, qu’elle
soit mineure ou majeure, puisque la stipulation contenue dans les documents d’appel
d’offres doit produire ses effets. Si le maître de l’ouvrage a le droit de
prévoir des normes obligatoires et des conditions à remplir par tous les
soumissionnaires, il est cependant tenu à veiller à leur application à toutes
les soumissions sans favoritisme ni discrimination.
179. Le maître de l’ouvrage,
qu’il soit un organisme public ou une société privée, lorsqu’il contrevient aux
règles applicables à l’attribution du contrat, engage sa responsabilité envers
le soumissionnaire lésé. Ainsi, le défaut de suivre le mécanisme prévu dans la
loi statutaire de l’organisme public peut mettre en question la validité du
contrat attribué.
180. Notons que l’erreur
commise par le donneur d’ouvrage dans la qualification de l’irrégularité qui
entache la soumission ne peut être, à elle seule, un fondement à l’action en
dommages-intérêts. Une telle action peut être rejetée suite à une demande en
irrecevabilité, car il n’est pas nécessaire de déterminer si la soumission est
entachée d’une irrégularité mineure ou majeure lorsque le prix de la soumission
rejetée n’est pas le plus bas parmi les autres soumissions. En effet, lorsque l’irrégularité
est mineure, il est possible pour le soumissionnaire d’obtenir des
dommages-intérêts du donneur d’ouvrage en cas de rejet de sa soumission, à
condition que celle-ci soit la plus basse. Le recours en
dommages-intérêts n’est pas possible si la soumission ne représentait pas, de
toute façon, le plus bas prix. Sans égard à son irrégularité, qu’elle soit
mineure ou majeure, la soumission ne peut être retenue par le donneur d’ouvrage
lorsqu’elle n’offre pas le prix le plus bas. Notons
[Page 67]
cependant qu’une
irrégularité majeure engendre le rejet
de la soumission dans tous les cas, même si elle contient le prix le plus bas.
181. Il faut
rappeler que la présence d’une clause de réserve dans les documents d’appel d’offres
qui stipule le droit de la municipalité de ne retenir aucune soumission ne peut
être invoquée par le donneur d’ouvrage pour légitimer l’irrégularité commise
dans le processus d’appel d’offres ou dans l’attribution du contrat. La
jurisprudence a déjà reconnu et appliqué la règle selon laquelle une fois que
la municipalité accepte les offres des différents soumissionnaires, elle a l’obligation
de respecter les conditions qu’elle a imposées dans l’appel d’offres. Ainsi, la
ville qui choisit de procéder par appel d’offres sans avoir l’obligation légale
d’attribuer le contrat en raison de ses spécificités ou de la valeur en jeu se
doit de suivre les règles qui en découlent.
182. Enfin, il importe de souligner que plusieurs formalités doivent être
observées, notamment la remise de la soumission au fonctionnaire compétent qui
devra impérativement être faite dans le délai de rigueur déterminé, car le
retard dans son dépôt entraînera un rejet a priori de celle-ci.
i) Cas d’irrégularités mineures
183. Lorsque la soumission est entachée d’irrégularités mineures, celle-ci
peut faire l’objet de modifications par le soumissionnaire qui s’est conformé
aux conditions de l’appel d’offres. Le maître de l’ouvrage dispose d’une
certaine discrétion dans la gestion des offres, et peut accepter une offre qui
ne remplit pas une condition requise dans l’appel d’offres en permettant à son
auteur de modifier son offre afin de la rendre conforme aux exigences prévues.
Le respect du principe de l’égalité des soumissionnaires devra toutefois guider
son appréciation
[Page 68]
afin d’éviter toute
partialité ou tout manque d’objectivité. En
conséquence, l’adjudication d’un contrat à un soumissionnaire doit toujours se
faire en raison de la conformité de sa soumission, plutôt qu’en raison du prix
qui y est indiqué. Cela étant dit, un
contrat d’entreprise peut être valablement octroyé lorsqu’il ne porte pas
atteinte au principe de l’égalité entre les soumissionnaires, même si le
soumissionnaire ayant obtenu le contrat se retrouve au premier rang seulement
par suite d’une correction et d’une bonification par l’organisme public ou d’une
simple erreur matérielle de calcul contenue dans sa soumission.
184. Une erreur qui se trouve dans un calcul peut être considérée comme
étant mineure lorsqu’elle laisse place à une seule interprétation possible.
Cependant, pour que cette erreur soit considérée comme étant mineure, l’intention
du soumissionnaire doit être claire et n’être soumise à aucune spéculation
possible. De plus, afin de qualifier cette erreur comme étant mineure et
respectant le principe de l’égalité des soumissionnaires, le soumissionnaire ne
doit pas être obligé de modifier sa soumission a posteriori.
Il en est de même lorsque la modification apportée à un prix par la
personne ayant recueilli les soumissions n’a pas pour but de corriger un prix,
mais a plutôt pour but de calculer un prix global avec les chiffres fournis par
le soumissionnaire qui n’a pas lui-même fait le calcul global. Cette démarche
est acceptée lorsqu’elle a pour objectif de comparer sur la même base toutes
les soumissions reçues.
185. Sera considérée comme une erreur mineure lorsqu’elle porte sur la
désignation d’un addenda contenu à l’appel d’offres ou sur l’omission de la
mention d’un addenda dans une soumission. Une telle erreur n’influencera pas le
prix indiqué à la soumission et représente plutôt une
[Page 69]
irrégularité mineure
pouvant être corrigée par le soumissionnaire suite à l’acception de sa
soumission. À l’inverse, lorsqu’une
soumission ne respecte pas un addenda qui mentionnait clairement une condition
essentielle devant être respectée ainsi que les raisons qui justifient son importance pour le maître de l’ouvrage, le
soumissionnaire qui ne respecte pas cette condition dans sa soumission peut se
voir refuser l’attribution du contrat en raison de son manquement à une exigence
majeure.
186. Par l’étude
des valeurs fondamentales du Code du BSDQ, il y a lieu
pour le tribunal de distinguer un manquement mineur ou portant sur un élément
accessoire d’un manquement majeur, touchant à un élément requis par les
documents d’appel d’offres ou par les règles du Code.
L’intervention des tribunaux sera nécessaire seulement dans le cas d’irrégularités
majeures. La soumission n’est pas conforme lorsque le superviseur qui y est
désigné ne rencontre pas le niveau de compétence exigé dans les documents d’appel
d’offres; elle est également non
conforme lorsque les équipements requis pour les travaux ne sont pas
disponibles ou lorsqu’elle ne
prévoit pas de moyens pour éliminer les rebuts nécessaires dans le cas d’une
compagnie qui doit remplir une obligation de nettoyage ou en l’absence d’un
monte-charge pour amener les matériaux sur les lieux.
D’ailleurs, l’obligation d’examiner soigneusement les lieux d’exécution du
contrat ne constitue pas une obligation essentielle susceptible d’engendrer le rejet de la soumission.
[Page 70]
187. Il importe
également de souligner qu’une soumission oubliée par l’entrepreneur
destinataire adjudicataire ou par le client, le jour de l’ouverture des
soumissions, peut toujours être prise en considération une fois l’oubli
constaté, à condition qu’elle soit ouverte devant l’ensemble des
soumissionnaires. Dans la mesure où cette soumission est conforme et se révèle
la plus basse ou celle qui répond le mieux aux critères prédéterminés, rien n’empêche
de la retenir et d’accorder le contrat à son auteur.
Cependant, dans certaines circonstances, la soumission égarée ou oubliée ne
pourra valablement être considérée par l’offrant. C’est le cas lorsque, le
lendemain de l’ouverture des soumissions et, ainsi, suite à l’attribution du
contrat au plus bas soumissionnaire, le maître de l’ouvrage retrouve de
nouvelles soumissions qui, bien qu’ayant été envoyées dans les délais prévus,
ont été égarées en raison de sa mauvaise gestion. Malgré le fait que l’une de
ces soumissions soit plus avantageuse pour le maître de l’ouvrage, celui-ci ne
pourra pas revenir sur sa décision afin de pouvoir attribuer le contrat à un
nouveau soumissionnaire, car le contrat a déjà été attribué.
188. Enfin,
plusieurs situations factuelles ont fait l’objet de décisions par les tribunaux
relativement à leur qualification d’irrégularité mineure ou majeure. Ainsi, l’omission
de produire une lettre d’entente signée avec un sous-poste de camionnage en
vrac lors du dépôt de la soumission dans le cadre d’un contrat avec une
municipalité fut qualifiée d’irrégularité mineure.
De même, l’omission de joindre à la soumission le certificat d’autorisation
émis par l’Autorité des marchés financiers lors de son dépôt ne peut constituer
une irrégularité majeure et doit donc être qualifiée d’irrégularité mineure.
ii) Cas d’irrégularités majeures
– Critères de
détermination
189. Une
irrégularité majeure se qualifie en fonction du principe d’équilibre entre les soumissionnaires.
Ainsi, une irrégularité qui porte atteinte à l’égalité et à la transparence
dans le processus d’appel d’offres doit être considérée comme majeure. Il en
est ainsi lorsque les parties font abstraction d’éléments essentiels ou de
conditions prévues dans les
[Page 71]
documents d’appel d’offres
public. Dans ce cas, même si le
contrat était déjà attribué, le
tribunal pourra l’annuler sur la base de l’iniquité pour les autres soumissionnaires.
190. L’irrégularité est qualifiée
de majeure lorsqu’elle concerne un
défaut à une exigence substantielle ou essentielle prévue dans les documents d’appel d’offres. Ainsi, elle doit
être qualifiée d’irrégularité majeure, l’exigence ou la condition qui peut
avoir un effet sur l’égalité entre les soumissionnaires ou un effet sur l’intégrité
du processus.
191. Il a été qualifié d’irrégularité majeure le défaut de suivre le
mécanisme prévu dans la loi statutaire de l’organisme public mettant en
question la validité du contrat attribué. La découverte d’une telle
irrégularité dans le processus peut provoquer le rejet de toutes les
soumissions. Même si le contrat avait été conclu, l’organisme public risque de
voir ce contrat annulé par le tribunal puisqu’il est issu d’un processus
illégal ou inéquitable. Il importe de noter que le fait que les documents d’appel
d’offres contiennent une clause de réserve permettant à l’organisme de ne
retenir aucune soumission ne peut être invoqué par ce dernier pour légitimer l’irrégularité
commise.
192. Pour déterminer si l’élément qui fait défaut est essentiel ou
accessoire aux conditions requises, le tribunal doit examiner les documents de l’appel d’offres, notamment le
cahier des charges, et procéder à une analyse des stipulations qui y sont
contenues. Ainsi, il est important de tenir compte des termes utilisés par le donneur d’ouvrage pour
décrire les conditions requises. Cette analyse permet d’évaluer si l’irrégularité
qui entache la soumission doit être considérée comme majeure ou mineure.
193. Lorsque les termes employés dans les documents d’appel d’offres
laissent croire que la condition exigée est impérative, le tribunal peut
conclure que le non-respect de cette exigence constitue une irrégularité
majeure justifiant la décision du maître de l’ouvrage d’écarter la soumission.
Afin de déterminer si l’exigence prévue dans les documents
d’appel d’offres est une exigence impérative, le tribunal
peut se
[Page 72]
demander si elle est d’intérêt
public ou bien si les termes employés dans la stipulation indiquent
expressément qu’elle constitue un élément essentiel du contrat. Dans certains
cas, il peut être difficile de conclure que l’exigence est imposée dans l’intérêt
public en l’absence d’une stipulation expresse. Le tribunal peut cependant user
de son pouvoir discrétionnaire et déterminer que l’exigence est un élément
essentiel du contrat ou bien accessoire à la lumière des usages et des règles
de l’art applicables dans l’industrie en question.
194. Bien souvent,
l’exigence est qualifiée d’essentielle de façon explicite dans l’appel d’offres.
Toutefois, une condition qui n’est pas stipulée expressément comme étant
impérative n’est pas nécessairement une irrégularité mineure.
Le tribunal peut ainsi prendre en considération dans son analyse l’importance,
l’ampleur, la nature et les circonstances du projet faisant l’objet de l’appel
d’offres, afin de déterminer s’il est en présence d’une irrégularité majeure ou
mineure.
195. Enfin, il
importe de noter que le statut du donneur d’ouvrage est un élément important,
puisqu’en présence d’un organisme public ou parapublic, l’exigence peut être
requise dans l’intérêt public. Il est admis qu’il est essentiel pour l’intérêt
public que les soumissionnaires des contrats publics aient la capacité, l’expertise,
ainsi que la solvabilité nécessaire à l’exécution des travaux.
Cela dit, le critère de l’intérêt public ne doit pas être restreint à la
question du prix.
– Cas particuliers d’application
196. En général, le
défaut de remplir l’exigence relative au prix sera considéré comme une irrégularité
majeure, car la clause relative au prix dans une soumission ne doit pas donner
lieu à plusieurs interprétations ou rendre difficile la détermination du prix
total sans consulter et examiner les documents externes qui y sont annexés.
Cette irrégularité majeure relative au prix peut avoir comme effet de rompre l’égalité
entre les soumissionnaires et de porter atteinte à l’intégrité du processus d’appel
d’offres. De même, sera aussi
considérée non conforme la soumission contenant une clause prévoyant une
[Page 73]
hausse des tarifs en
fonction de l’inflation, alors que les documents d’appel d’offres contiennent
une spécification que la soumission doit présenter un prix fixe.
Également, la soumission sera affectée d’une irrégularité majeure lorsqu’elle contient
un tableau de ventilation des prix mal rempli ou lorsqu’il y a des informations
manquantes.
197. Ainsi, lorsque l’irrégularité porte sur le prix, toute ambiguïté ou
imprécision dans la section relative au prix justifie le rejet de la
soumission. Il importe de noter que le maître de l’ouvrage ne peut accepter une
modification de la soumission comportant un tel manquement, qui aurait pour
effet de rompre l’équilibre entre les soumissionnaires et d’empêcher un
processus de sélection équitable.
198. De même, à titre d’illustration, lorsque l’appel d’offres porte sur un
contrat de construction d’envergure et que le donneur d’ouvrage exige que l’entrepreneur
ait effectué des travaux de même nature auparavant, cette exigence est un
élément central du contrat, et le manque d’expérience de l’entrepreneur ou le
défaut d’en fournir la preuve peut être considéré comme une irrégularité
majeure. Ainsi, il a été déjà décidé que l’exigence de compétence de l’entrepreneur
est impérative lorsque l’appel d’offres porte sur un projet d’infrastructure
majeure et complexe.
199. L’exigence d’expérience
dans le domaine de l’ouvrage constitue donc une condition essentielle à l’attribution
d’un contrat. D’ailleurs, lorsque les documents d’appel d’offres contiennent
une clause de compétence qui exige expressément que l’entrepreneur fournisse
une preuve de sa compétence, le non-respect de cette clause doit être considéré
comme une irrégularité majeure. Il est fréquent que les documents d’appel d’offres
exigent que le soumissionnaire ait déjà effectué des travaux d’une envergure
semblable à celui faisant l’objet de l’appel d’offres, le manque d’expérience d’un
soumissionnaire constitue une irrégularité majeure.
[Page 74]
200. Il importe cependant de faire la distinction entre une soumission qui n’est
pas accompagnée d’une attestation d’expérience et une soumission dont l’attestation
d’expérience n’est pas faite en respectant la formalité requise. Dans le
premier cas, le défaut de fournir une attestation d’expérience constitue une
irrégularité majeure justifiant le rejet de la soumission, alors que dans le
deuxième cas, le donneur d’ouvrage peut exercer sa discrétion et accepter la
soumission en considérant le non-respect de la forme du document attestant l’expérience
comme une irrégularité mineure. Il est donc possible pour le donneur d’ouvrage
d’accepter la soumission même si les documents attestant l’expérience du
soumissionnaire n’ont pas été faits selon la forme prévue dans le document d’appel
d’offres à condition, qu’il contienne les éléments démontrant l’expérience
recherchée.
201. En outre, constitue un manquement majeur le défaut d’annexer à la
soumission l’attestation exigée dans l’appel d’offres, permettant au client de
vérifier si le soumissionnaire détient une assurance et une licence attestant
de sa compétence professionnelle, ainsi qu’une preuve de possession de l’équipement requis pour l’exécution
du contrat. D’ailleurs, dans le
cas de la licence que tout entrepreneur se doit de posséder, les tribunaux ont
jugé que celle-ci constituait une condition essentielle.
202. Dans le cas d’un
appel d’offres portant sur un contrat municipal, l’exigence relative à la capacité de la balayeuse soufflante représente
un élément central et ne peut donc pas
faire l’objet d’une modification suite à l’adjudication sans compromettre l’égalité
entre les soumissionnaires. Il en est de même lorsque le soumissionnaire inclut
une clause d’exclusion de performance et de rendement dans sa soumission alors
que ces deux critères sont primordiaux pour le client. Cette clause d’exonération
de responsabilité constitue une irrégularité majeure qui justifie le rejet de
la soumission.
203. Constitue également un manquement majeur l’omission de joindre les
addendas détaillés qui contiennent les notes additionnelles du donneur d’ouvrage
au document de l’appel d’offres. Par ces addendas, le maître de l’ouvrage
cherche à informer les soumissionnaires de
[Page 75]
plusieurs détails importants, tels que les données techniques supplémentaires
à prendre en considération lors de l’exécution des
travaux. Ces informations peuvent aussi porter sur certaines exigences quant à la signalisation et aux heures de travaux ou bien sur certaines modifications des lieux telles que le
branchement de l’aqueduc. Ces addendas constituent donc un élément essentiel à
la recevabilité de la soumission puisqu’ils confirment au maître de l’ouvrage
que le soumissionnaire a pris connaissance des notes et des exigences qui
complètent celles contenues dans le document d’appel d’offres. Ainsi, l’exigence
que les addendas soient joints à la soumission a pour but d’éviter à l’avenir
un malentendu quant à la nécessité de respecter certaines exigences relatives aux travaux à exécuter par l’entrepreneur.
204. Le défaut de l’entrepreneur de déposer sa soumission au BSDQ alors qu’il
s’était engagé à le faire constitue également une irrégularité majeure.
Nonobstant la conformité de la soumission, il ne saurait y avoir formation d’un
contrat d’entreprise si aucun cautionnement d’exécution ou de paiement de la
main-d’œuvre, des matériaux et des services n’a été fourni, alors que ces
cautionnements sont exigés par les documents d’appel d’offres ou par le Code du
BSDQ. En effet, il arrive
souvent que le maître de l’ouvrage exige que ces cautionnements soient aussi
annexés aux soumissions dont le prix excède un certain montant.
Cependant, la soumission peut être conforme, bien que la garantie de soumission
requise soit fournie par traite bancaire plutôt que par un chèque visé.
205. Enfin, il a déjà été décidé qu’une soumission contenant une déclaration
sous serment, mais qui n’a pas été signée par le représentant du
soumissionnaire est entachée d’une irrégularité majeure.
Par contre, est conforme la soumission non signée faite par un soumissionnaire
correctement identifié, dans la mesure où la signature
[Page 76]
des soumissionnaires
n’est pas exigée par le cahier des
charges. Cependant, lorsqu’elle
est exigée par le cahier de
charges, il s’agit d’une irrégularité majeure qui entraînera le
rejet de la soumission.
iii) Pouvoir
discrétionnaire du maître de l’ouvrage
206. Il est reconnu par la jurisprudence et la doctrine que le donneur d’ouvrage
dispose d’un pouvoir discrétionnaire lors de l’évaluation des offres soumises,
notamment quant à leur conformité aux conditions contenues dans les documents d’appel
d’offres. Ce pouvoir ne peut cependant être exercé que dans le cas où les
irrégularités sont mineures, afin d’éviter une rigidité excessive lors de la
vérification de la conformité d’une soumission aux conditions requises dans les
documents d’appel d’offres. Cependant, seules les irrégularités mineures qui ne
violent pas les objectifs de l’appel d’offres peuvent être l’objet de l’exercice
de ce pouvoir discrétionnaire.
207. Lorsqu’une soumission est entachée d’une irrégularité majeure, le
donneur d’ouvrage qui utilise son pouvoir discrétionnaire afin de l’accepter
verra son acceptation annulée par la Cour ou déclarée illégale puisqu’il n’a
aucun pouvoir discrétionnaire à l’égard de soumissions entachées d’une
irrégularité majeure. D’ailleurs, les irrégularités majeures qui contestent les
principes du processus d’adjudication des contrats ne peuvent être corrigées.
Une soumission qui comporte une irrégularité majeure doit être refusée puisque
le donneur d’ouvrage ne peut ignorer une exigence essentielle dans les
documents d’appel d’offres à laquelle doivent se conformer tous les
soumissionnaires.
208. Le donneur d’ouvrage doit, dans l’exercice de son pouvoir
discrétionnaire, respecter le principe d’égalité entre les soumissionnaires, de
sorte qu’il ne peut rejeter une soumission entachée d’une irrégularité mineure,
mais fermer les yeux et accepter une autre soumission contenant la même
irrégularité. De même, il ne peut pas imposer une exigence supplémentaire
seulement à l’un des soumissionnaires et accepter par la suite d’autres
soumissions qui ne sont pas conformes à cette exigence.
[Page 77]
Il importe de noter
que cette marge de pouvoir discrétionnaire laissée au donneur d’ouvrage a pour but de permettre à ce dernier de traiter avec souplesse l’évaluation
de conformité des soumissions reçues et d’éviter qu’une telle évaluation soit
faite de façon stricte, puisque cela peut ne pas être dans son propre intérêt
ou dans celui de la collectivité.
209. Il faut également noter que même si le donneur d’ouvrage dispose d’une
certaine latitude afin d’évaluer la conformité des soumissions, sa décision ne
peut être arbitraire. Une telle décision
peut être révisée par la cour lorsque la preuve révèle que l’exercice de sa
discrétion a été fait à l’égard d’une soumission entachée seulement d’une
irrégularité mineure sans aucun autre motif valable pouvant justifier son refus.
210. D’ailleurs, le
donneur d’ouvrage soumis au Code du BSDQ ne peut user de son pouvoir
discrétionnaire pour refuser de prendre possession et d’analyser certaines soumissions reçues dans le délai sous prétexte
que celles-ci ne permettent pas la comparaison raisonnable avec les autres
soumissions. Il ne peut pas non
plus refuser de recueillir des soumissions sur la simple base d’une
appréhension. Au contraire, il est tenu de prendre tous les moyens raisonnables
pour obtenir les informations nécessaires et précises afin d’être en mesure d’évaluer
les soumissions sur des fondements solides. Les conditions entourant l’appel d’offres
sont d’ailleurs un bon indicateur permettant de confirmer certaines
appréhensions, notamment l’accès à des architectes et à des ingénieurs ayant
participé à l’élaboration des documents d’appel d’offres.
Ainsi, selon le principe d’égalité des chances, le donneur d’ouvrage doit
prendre en considération avec la même attention toutes les soumissions reçues
suite à un appel d’offres.
211. Le donneur d’ouvrage
peut cependant exiger certaines conditions ayant pour but de limiter le nombre de soumissionnaires à l’appel d’offres.
Les tribunaux ont le pouvoir de vérifier la légalité de ces
[Page 78]
conditions et ainsi d’écarter l’application des conditions
arbitraires ou frivoles. Ces conditions peuvent
être validées lorsqu’elles portent
sur les compétences et les expériences de l’entrepreneur ou lorsqu’elles
visent certaines technologies ou méthodes d’exécution dont l’entrepreneur doit fournir la preuve de l’utilisation dans des
projets qu’il a précédemment exécutés.
iv) La clause de réserve dans les documents d’appel d’offres et
les irrégularités des
soumissions
212. La
clause de réserve a pour but de
permettre au maître de l’ouvrage
de renoncer à la conclusion du
contrat envisagé malgré la conformité des soumissions déposées aux exigences prévues
dans les documents de l’appel d’offres. Elle ne doit
pas, cependant, être interprétée ou
considérée comme une libération du maître de l’ouvrage de toute responsabilité envers les soumissionnaires en cas d’attribution du contrat. Le maître de l’ouvrage qui décide
d’attribuer le contrat malgré la clause de réserve doit
agir avec équité et de bonne foi à l’égard de tous les entrepreneurs ayant déposé une soumission conforme aux documents d’appel
d’offres et ainsi accorder le contrat à celui dont le prix est le plus bas.
La clause de réserve a la même force que les autres clauses de l’appel d’offres
et ne libère pas le maître de l’ouvrage de son obligation de
choisir le moins-disant lorsqu’elle est conforme aux autres exigences prévues dans les documents d’appel d’offres.
213. Le maître de l’ouvrage peut inclure plusieurs
clauses de réserve dans les
documents d’appel d’offres, traitant de son droit de rejeter l’ensemble des
offres ou d’ignorer les irrégularités mineures contenues dans celles-ci, ou bien se réserver
un certain délai pour attribuer le
contrat à l’un des
soumissionnaires. Une clause de réserve qui permet au donneur d’ouvrage de refuser toute offre, incluant la soumission la moins coûteuse, peut être valide à l’instar de toutes les
autres clauses contenues dans les documents.
v) Évaluation erronée par le
soumissionnaire de la portée des travaux
214. Sauf exception, le soumissionnaire ou l’entrepreneur qui par
insouciance se trompe lors de l’évaluation de la portée des travaux ne peut
[Page 79]
pas demander plus
tard la révision du prix ou
annuler sa soumission. Il a l’obligation de se renseigner
afin de participer à l’appel d’offres avec lucidité et en connaissance de tous
les éléments contenus dans les documents d’appel d’offres. Il lui incombe de prendre connaissance des modalités
prévues et de consulter les sources fiables lui permettant de comprendre l’ampleur
du projet. Conformément à l’article 1400 C.c.Q., l’erreur inexcusable ne
constitue pas un vice de consentement. L’erreur unilatérale qui s’apparente à
une négligence grossière de la part de soumissionnaire lors de son évaluation
des éléments inhérents au contrat ne remet pas en question la force
contraignante de sa soumission. Celle-ci est valide et
réputée conforme à la volonté de l’entrepreneur dès le moment où elle a été
déposée au BSDQ.
215. Il faut toutefois s’attarder aux limites de cette règle. L’erreur
inexcusable quant à l’estimation des coûts des travaux par le soumissionnaire
peut être écartée s’il y a preuve qu’elle est due aux actes de l’auteur de l’appel
d’offres tels que la réticence de communiquer des informations pertinentes ou
bien le silence indu, les mensonges ou les manœuvres dolosives.
Ainsi, il y a réticence dolosive si le donneur d’ouvrage avait manqué à son
obligation de bonne foi en n’informant pas le soumissionnaire de l’erreur
évidente qu’il faisait. Le comportement du
cocontractant peut donc amoindrir l’erreur du soumissionnaire qui serait
autrement inexcusable. Par conséquent, en plus d’écarter la responsabilité du
soumissionnaire dans une telle situation, le tribunal peut lui reconnaître le
droit à une compensation (art. 1407 C.c.Q.).
i) Recours en cas de violation des règles d’adjudication
i) Le recours en injonction
216. Il arrive que l’appel d’offres lancé par le maître de l’ouvrage ne soit
pas conforme aux prescriptions de la loi. Une entreprise ayant intérêt à faire
rectifier les conditions de l’appel d’offres ou le processus à suivre pour l’attribution
du contrat, peut s’adresser au tribunal afin d’obtenir une ordonnance forçant
le maître de l’ouvrage à suspendre le processus de l’appel d’offres en
attendant que le tribunal se prononce sur le vice qui atteint le processus et
qui rend l’appel d’offres illégal. D’ailleurs, un soumissionnaire peut demander
à la Cour l’émission d’une ordonnance provisoire ou interlocutoire afin d’enjoindre
le
[Page 80]
maître de l’ouvrage à
ne pas faire ou à suspendre le processus d’un nouvel appel d’offres.
217. Toute demande
d’injonction provisoire ou interlocutoire doit être évaluée selon certains
critères qui se trouvent en partie à l’article 511 C.p.c. Ainsi, l’injonction
ne peut être accordée que dans le cas où le demandeur possède une preuve prima
facie à l’injonction et qu’elle est jugée nécessaire pour empêcher un
préjudice sérieux ou irréparable. Également, la demande doit satisfaire au
critère de la prépondérance des inconvénients en cas de droit plus ou moins
clair. Finalement, dans le cas d’une demande d’ordonnance provisoire, il est
nécessaire qu’il y ait urgence d’intervenir (art. 510 al. 2 C.p.c.).
Exceptionnellement et en cas d’urgence, le tribunal pourra faire droit
provisoirement à la demande d’injonction, et ce, même avant la notification des
procédures à l’intimé; l’ordonnance provisoire ne peut cependant être émise
pour un délai excédant celui de 10 jours prévu à l’article 510 alinéa 2 C.p.c.
sans le consentement des parties.
218. Le recours à
la demande en injonction peut être aussi utile lorsque suite à un appel d’offres,
un entrepreneur ayant présenté une soumission conforme aux exigences prévues
dans les documents d’appel d’offres se voit écarté de l’attribution du contrat.
Dans ce cas, il a intérêt à obtenir une ordonnance interlocutoire et provisoire
pour contraindre le maître de l’ouvrage à surseoir à l’attribution du contrat
en attendant que la Cour examine au mérite l’irrégularité qui entache l’appel d’offres
ou le processus d’attribution du contrat. Il importe cependant de noter qu’il
ne revient pas à la Cour, lors de la présentation d’une nouvelle demande au
stade d’une injonction provisoire, de vérifier au fond la conformité de la
soumission. En cas de rejet de la demande en injonction provisoire, cela ne met
pas fin au litige puisque le demandeur pourra établir lors de l’audition au
mérite que la décision de l’attribution du contrat est mal fondée et ainsi
obtenir des dommages-intérêts.
219. Afin de
réussir dans sa demande en injonction, le soumissionnaire qui prétend avoir le
droit au contrat ne peut présumer que le critère de l’urgence est rempli pour
que le tribunal émette l’ordonnance de sauvegarde, mais il doit en faire la
preuve. Il doit également démontrer que l’ordonnance demandée ne peut avoir de
conséquences négatives pour
[Page 81]
l’intérêt public,
notamment par la suspension de l’exécution du projet en attente d’un jugement
final. La jurisprudence a tendance à favoriser l’intérêt public plutôt que
celui du soumissionnaire, qui cherche en général son propre intérêt.
Cette tendance est souvent renforcée lorsque ce dernier dispose d’un recours en
dommages-intérêts lui permettant d’obtenir une compensation pour le préjudice
découlant de l’attribution du contrat à un autre soumissionnaire. Il importe de
noter que la violation d’une loi ou d’un règlement d’intérêt public dans le
cadre d’un appel d’offres par un organisme public ne suffit pas à démontrer que
le droit d’un soumissionnaire a été enfreint ni l’urgence de la situation.
220. On constate qu’une
tendance jurisprudentielle se développe depuis plusieurs années en faveur de l’émission
d’une ordonnance interlocutoire et provisoire lorsque le dossier démontre que,
sans l’émission d’une telle ordonnance, un état de fait ou de droit sera créé
et rendra le jugement final inefficace. En un tel cas, une ordonnance
interlocutoire et provisoire peut paraître le seul remède pour préserver une
forme de statu quo afin d’éviter que le processus de l’appel d’offres ne
soit complété et qu’un contrat soit signé avant que le tribunal ne vide la
question de la validité de l’appel d’offres ou du processus d’attribution du
contrat. Le tribunal ne doit pas hésiter à émettre une ordonnance enjoignant l’intimé
à surseoir au processus d’appel d’offres ou à l’attribution du contrat afin de
préserver l’efficacité et l’utilité des procédures intentées au stade du
mérite, permettant ainsi que le jugement qui sera rendu sur le fond produise
ses effets. Dans certains cas, le tribunal ne doit pas tenir compte de la
possibilité d’une compensation pécuniaire en raison du préjudice subi lorsque
le demandeur démontre un droit évident de faire respecter un contrat ou un
engagement qui le lie à l’intimé.
221. Lorsque l’organisme
est assujetti à la Loi sur les contrats des organismes publics, la
question de l’intérêt public est un facteur important à considérer pour l’analyse
de la demande d’une injonction
[Page 82]
provisoire. En
effet, l’organisme doit s’assurer du respect des conditions énoncées dans cette loi, notamment en ce qui a
trait à la transparence et à l’intégrité du processus et du traitement des
demandes des soumissionnaires. Lorsque
le tribunal conclut que l’organisme n’a pas respecté ses obligations prévues dans cette loi, il peut accorder la demande en injonction lorsque
celle-ci assure aussi l’intérêt public.
ii) Le
recours en dommages-intérêts
222. En cas de non-respect du processus d’adjudication, le soumissionnaire
lésé peut s’adresser aux tribunaux de droit commun pour réclamer des
dommages-intérêts ou déposer une plainte au BSDQ. Le dépôt préalable d’une
plainte auprès de ce dernier n’écarte pas le droit d’exercer d’autres recours
cumulatifs et alternatifs.
223. Suivant la
règle d’adjudication des contrats, le contrat n’est formé qu’au moment de son
adjudication au soumissionnaire. Comme il a été
mentionné plus haut, un recours contractuel ou extracontractuel s’offre au
soumissionnaire qui prétend être lésé par le maître de l’ouvrage ou par l’organisme
ayant accordé le contrat à un autre soumissionnaire.
Ce recours en dommages-intérêts peut être dirigé également contre le
soumissionnaire adjugé pour avoir faussé le processus. Ce recours est,
cependant, conditionnel à la preuve d’une faute pouvant constituer un fondement
de responsabilité telle qu’une collusion entre les parties.
Il va de soi également que la preuve doit révéler que le processus de l’attribution
du contrat n’a pas été suivi en conformité aux exigences de bonne foi.
[Page 83]
224. Le maître de l’ouvrage engage sa responsabilité envers le
soumissionnaire qui aurait dû obtenir le contrat si l’attribution de celui-ci
avait été faite selon les normes. L’indemnité à payer par le maître de l’ouvrage
au soumissionnaire doit être déterminée à la lumière des critères applicables
en matière de régime d’indemnisation du droit commun et non de ceux prévus à l’article
2129 C.c.Q. En effet, cet article ne rencontre pas son application en raison de
l’absence d’un contrat d’entreprise entre les parties.
– Lien de causalité
225. Il est nécessaire pour être indemnisé pour perte de profit de démontrer
un lien de causalité entre la faute de l’intimée et la perte.
Ainsi, le dommage et les pertes pour lesquels on demande une compensation doivent être directs et résulter
du défaut de l’attribution du contrat. Le soumissionnaire ne peut obtenir une
compensation pour une dépense ou un gain manqué, à moins de faire la preuve d’un
lien direct entre ce dommage et la faute reprochée au maître de l’ouvrage. De
plus, le gain manqué ne doit pas être potentiel ou éventuel, mais doit être
réel et certain. La certitude s’établit
cependant par une preuve prépondérante.
226. Le
soumissionnaire ne doit être d’aucune façon responsable de l’attribution du
contrat à un autre entrepreneur. Ainsi, le soumissionnaire qui ne respecte pas
lui-même les valeurs fondamentales du processus d’appel d’offres public et qui
manque de transparence ne peut être indemnisé.
Par le fait même, le principe de causalité implique que le soumissionnaire ait
lui-même déposé une soumission conforme. Notons que la
clause, incluse dans un cahier des charges, qui empêche un entrepreneur de
participer à une procédure d’appel d’offres alors qu’un litige l’oppose au
donneur d’ouvrage a été jugée contraire à l’ordre public.
227. Le
soumissionnaire lésé doit donc démontrer, par balance de probabilités, les
faits permettant de conclure que le principe de l’égalité
[Page 84]
des soumissionnaires
a été violé par l’acceptation d’une
soumission non conforme. Il en est ainsi lorsqu’une
municipalité modifie le jeu de la concurrence en permettant à un entrepreneur
de modifier son prix de soumission afin de proposer la plus basse soumission
ou lorsque le processus de soumission a été discriminatoire.
C’est le cas aussi lorsque l’entrepreneur a, de mauvaise foi, adjugé un
sous-contrat basé sur une soumission entachée d’une erreur apparente et
grossière, sans vérifier l’exactitude du prix auprès du sous-traitant.
En cas d’ambiguïté, le contrat sera interprété en faveur du soumissionnaire
ayant fait la soumission la plus basse. Enfin, il y a
violation des règles de droit commun en matière d’adjudication de contrat
lorsqu’un client insatisfait du résultat obtenu suite à un deuxième appel d’offres
accorde le contrat à un soumissionnaire ayant seulement déposé une soumission
lors du premier appel d’offres.
– Préjudice
228. Le
soumissionnaire qui poursuit en dommages-intérêts doit aussi prouver qu’il a
subi un préjudice en raison du non-respect du processus d’adjudication,
comme le paiement de frais d’administration,
[Page 85]
une perte de profit réel, et non pas celui espéré ou la perte d’une autre opportunité. Le
soumissionnaire peut aussi avoir droit à une indemnité lorsque sa soumission
fut rejetée en raison d’une erreur commise par le maître de l’ouvrage. Dans ce
cas, le maître de l’ouvrage engage sa responsabilité et sera tenu de payer des
dommages-intérêts en raison de la perte de profit réel subie par le
soumissionnaire. Ce dernier doit cependant démontrer par preuve prépondérante
qu’il aurait obtenu la somme réclamée pour la perte du profit réel si le
contrat lui avait été octroyé. Le tribunal peut, suite à l’évaluation de la
preuve, lui accorder le montant réclamé ou bien le réduire à la valeur réelle
de la perte. À l’inverse, le
soumissionnaire poursuivant qui n’aurait jamais pu obtenir le contrat ne
pourrait être indemnisé, même si la soumission choisie comportait des
irrégularités majeures. Dans le cas où le
soumissionnaire lésé n’est pas en mesure d’évaluer les profits qu’il aurait
réalisés, advenant l’adjudication du contrat, le tribunal évaluera le préjudice
en fonction du bénéfice net, avant impôts, des activités commerciales de ce
soumissionnaire au cours des années précédentes.
229. Enfin, il importe de noter que la notion d’enrichissement injustifié ne
trouve pas son application en matière de réparation de préjudice causé par le
rejet de la plus basse soumission. En d’autres termes, le soumissionnaire qui s’est
vu refuser l’octroi du contrat d’entreprise ne peut réclamer une indemnité au
soumissionnaire adjudicataire sur la base de l’enrichissement injustifié,
puisque les conditions requises pour l’application de cette notion ne seront
pas réunies en semblable situation.
– Détermination du montant de la perte de gain
230. Aux fins de l’évaluation de la perte de gains subie par un
soumissionnaire à qui le contrat aurait dû être octroyé, le BSDQ utilise
[Page 86]
la méthode de calcul visant à lui accorder le même profit que
celui qu’aurait rapporté le contrat qui ne lui fut pas octroyé.
Cette méthode permet ainsi au soumissionnaire d’obtenir une compensation
correspondant au profit qu’il aurait réalisé en exécutant les travaux.
231. Afin de
déterminer le montant de l’indemnité à accorder, les tribunaux suggèrent deux
méthodes; la première méthode prend
en considération l’évaluation faite selon les informations relatives aux
travaux devant être exécutés par le soumissionnaire.
Cette évaluation doit cependant être probable, fiable et réaliste, mais elle n’a
pas à être établie avec certitude. Ainsi, même si un
profit semble être élevé, le tribunal ne doit pas rejeter l’évaluation
uniquement pour ce motif. La deuxième méthode
tient plutôt compte des travaux semblables qui ont été exécutés selon les états
financiers de l’entrepreneur ou du prestataire de services.
Dans les deux cas, les dommages sont donc évalués en tenant compte des profits
qu’auraient dû réaliser l’entrepreneur ou le prestataire de services si ce
dernier avait exécuté le contrat. Lorsqu’il n’est pas possible de faire la
preuve du montant de la perte de profit selon la première méthode, le tribunal
peut alors tenir compte des profits généralement réalisés par l’entrepreneur ou le prestataire de services lors de l’exécution de contrats
similaires. Dans ce cas, le
tribunal
[Page 87]
tient compte du profit net de l’entreprise ainsi que des pertes
qu’elle a subies selon l’article 1611 C.c.Q..
232. L’examen de la jurisprudence révèle que les tribunaux donnent
préférence à une preuve crédible, démontrant avec certitude la marge de profit
que le soumissionnaire aurait pu réaliser si le contrat lui avait été attribué.
On retient toutefois une réticence des tribunaux lorsqu’un soumissionnaire
exagère quant à la marge de profit qu’il prétend avoir pu réaliser s’il avait
eu le contrat. Dans ce cas, une tendance s’est développée pour l’adoption d’une
autre méthode prenant en considération le profit net réalisé au cours des
dernières années par rapport aux chiffres d’affaires résultant des activités du
soumissionnaire pour établir le pourcentage moyen, lequel pourcentage servira à
calculer le profit que ce soumissionnaire aurait pu réaliser s’il avait obtenu
le contrat qui est à l’origine du litige.
233. Lors de la
détermination du montant de l’indemnité, le tribunal ne doit pas inclure dans les dépenses à être compensées, les coûts de
la préparation de la soumission, car même si cette soumission avait été
retenue, le soumissionnaire aurait tout de même dû assumer ces frais. Décider
autrement reviendrait à placer ce soumissionnaire dans une situation plus
avantageuse et à lui accorder une indemnité pour une dépense qu’il n’aurait pas
récupérée même s’il avait eu le contrat, ce qui va à l’encontre de l’objectif
de l’octroi de dommages-intérêts.
– Pouvoir discrétionnaire
234. La retenue
judiciaire doit être observée en matière d’attribution de contrat par un
organisme public, compte tenu des objectifs de la procédure d’appel d’offres
qui visent l’obtention du meilleur produit au meilleur coût et l’élimination du
favoritisme dans l’attribution
[Page 88]
des contrats et d’assurer
en même temps l’égalité entre les entrepreneurs en matière de contrats publics.
Le respect de ces principes ne donne cependant aucun droit d’ingérence au tribunal durant le processus d’évaluation des soumissions. Ainsi,
le tribunal ne peut pas s’ingérer dans
les décisions prises par un comité de sélection qui est chargé d’analyser les différentes
soumissions reçues. L’exercice d’évaluation des soumissions par ce comité
demeure discrétionnaire et le tribunal doit donc agir avec prudence. Il peut
toutefois intervenir dans le cas où les exigences de conformité d’une
soumission ne sont pas respectées, notamment lorsque le processus a été
effectué de manière arbitraire, futile ou contraire aux objectifs recherchés
par la loi. Il en est de même lorsque le tribunal constate qu’il y a une
irrégularité majeure telle qu’une intervention politique, un favoritisme ou
encore une conduite de mauvaise foi lors de l’évaluation et de l’attribution du
contrat.
235. Également, dans certains cas, les tribunaux ne doivent pas intervenir
dans l’interprétation des documents d’appel d’offres lorsque le soumissionnaire
a déjà été choisi et que le travail a été accompli. En effet, lorsqu’un
soumissionnaire a une question relativement aux clauses se retrouvant dans les
documents d’appel d’offres fournis par le maître de l’ouvrage, il se doit de la
formuler avant l’envoi de sa soumission au maître de l’ouvrage. Il ne peut par
la suite demander au tribunal d’interpréter en sa faveur des clauses se
retrouvant dans les documents d’appel d’offres alors que le processus de l’attribution
du contrat a été complété.
iii) Recours contre le BSDQ
236. Lorsque l’irrégularité
ayant affecté le processus d’adjudication du contrat est imputable à une faute
commise par le BSDQ, la partie lésée, que ce soit le maître de l’ouvrage ou un
soumissionnaire, peut chercher la responsabilité de ce dernier en
dommages-intérêts. Il en est ainsi lorsqu’une soumission bien déposée par son
auteur n’a pas été transmise à temps au maître de l’ouvrage et que celle-ci n’a
pas été prise en considération lors de l’attribution du contrat. Le
soumissionnaire auteur de cette soumission pourra réclamer une indemnité du
BSDQ pour la perte du contrat à condition qu’il fasse la preuve que celui-ci
lui
[Page 89]
aurait été attribué si sa soumission avait été transmise à temps au maître de l’ouvrage. Même ce dernier
pourra tenir le BSDQ responsable envers lui pour la différence du prix entre la
soumission retenue et celle qu’il n’a pas pu examiner ni considérer lors de l’attribution
du contrat vu le défaut de sa transmission. C’est le cas aussi de l’entrepreneur
général qui n’a pas été informé par le BSDQ du fait qu’un sous-traitant a
retiré la soumission qui lui était destinée. Dans tous les cas, la preuve doit
démontrer que le BSDQ a manqué à son obligation de diligence de transmettre la
soumission à temps ou d’informer la partie concernée des derniers
développements relatifs au processus d’adjudication.
j) Clause de réserve
237. Le maître de l’ouvrage qui décide d’attribuer le contrat à un
soumissionnaire doit en principe l’accorder au plus bas soumissionnaire à moins
qu’un motif sérieux l’en empêche. Dans certains cas, il
peut décider de n’attribuer le contrat à aucun des soumissionnaires. C’est le
cas lorsque toutes les soumissions reçues dépassent largement le budget prévu
pour l’ouvrage. La décision prise par le maître de l’ouvrage de rejeter toutes
les soumissions, qui peut être fondée sur une clause de réserve se retrouvant
dans les documents d’appel d’offres, sera considérée comme raisonnable et n’engagera
pas sa responsabilité, car les soumissionnaires ont été déjà avisés d’une telle
éventualité.
238. La clause de réserve peut aussi stipuler le droit du donneur d’ouvrage
de ne pas retenir la soumission la plus basse. Une telle clause est valide et
permet au donneur d’ouvrage d’écarter la soumission la plus basse pour en
retenir une autre ou n’en retenir aucune. Il est vrai qu’une
telle clause est incompatible avec l’obligation du maître de l’ouvrage de ne
retenir que la soumission la plus basse, mais cette obligation n’est pas
[Page 90]
impérative et la clause de réserve doit l’emporter.
L’entrepreneur ne peut négocier cette clause ni les conditions du dossier d’appel
d’offres. Il ne peut donc
inclure, dans sa soumission, une stipulation faisant échec au droit du donneur
d’ouvrage de se prévaloir de la clause de réserve. Toute stipulation dans ce
sens, dans la soumission, aura pour effet de permettre au donneur d’ouvrage de
considérer celle-ci non conforme et ainsi l’écarter pour cause d’invalidité.
i) Particularité de l’appel d’offres dans
le domaine du contrat public
239. La prérogative ne permet pas à un organisme public d’octroyer le contrat,
afin de se conformer au budget alloué pour le projet, à un tiers n’ayant pas
soumissionné. Il convient cependant de noter que le donneur d’ouvrage n’a pas d’obligation
envers le soumissionnaire qui soumet l’offre la moins coûteuse lorsque le prix dépasse
aussi le budget prévu. Ce principe se justifie par le fait que ce donneur d’ouvrage
a une obligation envers le trésor public, qui doit payer seulement le prix
ayant déjà fait l’objet d’une décision à moins qu’il existe une bonne raison
pouvant justifier une dérogation, telle l’exigence de réaliser l’ouvrage.
240. Le maître de l’ouvrage peut également se prévaloir de la clause de
réserve lorsqu’il a des soupçons qu’une collusion a eu lieu entre les
soumissionnaires lors de la préparation de leurs soumissions. Dans le cas d’un
contrat public, le maître de l’ouvrage peut même recommander aux autorités
compétentes de procéder à une enquête sur la survenance d’une telle collusion.
Sa décision est alors justifiée par l’intérêt public et vise notamment à assurer
l’intérêt des contribuables. Même sans égard à l’intérêt
public, lorsque les soumissions reçues laissent des doutes qu’elles n’étaient
pas préparées dans un climat de concurrence entre leurs auteurs, mais en
dissertation entre eux et dans leurs intérêts afin de faire déjouer la
concurrence souhaitée pour l’appel d’offres, le maître de l’ouvrage pourra
alors prendre toute décision raisonnable conforme aux exigences de bonne foi
afin que la situation soit clarifiée et
[Page 91]
ainsi dissiper toute ambiguïté
ou confusion avant d’attribuer le contrat à l’un des soumissionnaires.
ii) Bonne foi et transparence : interprétation restrictive de la clause de
réserve
241. Il importe cependant de noter que ce droit ne peut être exercé que
conformément aux exigences de bonne foi et nullement de
façon déraisonnable et sans motif valable. Le client qui
est maître de l’ouvrage a l’obligation, malgré cette clause, d’accepter
seulement les soumissions qui sont conformes. Le client peut
être questionné sur le bien-fondé de sa décision de n’accorder le contrat à
aucun soumissionnaire. Il lui appartient alors de démontrer les raisons ayant
motivé sa décision. En général, le refus d’attribuer
le contrat peut être justifié par la non-conformité des soumissions reçues, par
leur prix excessif ou par les risques qu’elles comportent advenant que l’une d’elles
soit retenue.
242. Le client,
maître de l’ouvrage, ne pourra cependant pas se prévaloir de son droit prévu
dans la clause de réserve pour s’exonérer de tout manque d’équité et de
transparence dans son processus d’octroi du contrat.
Le principe d’égalité et d’équité entre les soumissionnaires dans l’attribution
du contrat doit toujours être respecté. Le client qui ne s’y conforme pas
risque de voir sa responsabilité engagée envers l’un ou l’autre des
soumissionnaires pouvant avoir droit au contrat si ce principe
[Page 92]
avait été respecté.
Enfin, il importe de rappeler qu’à l’instar de toute clause de restriction ou d’exclusion
de responsabilité, la clause de réserve incluse dans un appel d’offres doit
recevoir une interprétation restrictive, en s’harmonisant avec le reste de l’appel
d’offres, et éviter toute
interprétation large pouvant permettre au client d’exercer son droit de manière
déraisonnable. Ainsi, le maître de l’ouvrage
enfreint les règles établies dans les documents d’appel d’offres lorsqu’il
décide de confier le contrat à un entrepreneur dont la soumission ne respecte
pas les conditions essentielles qui y sont prévues. Une telle clause peut être
illégale parce qu’elle contrevient au principe d’égalité entre les
soumissionnaires.
6. La
garantie ou le cautionnement de soumission
243. Le maître de l’ouvrage
dispose de certaines mesures de protection. Il peut obtenir, au stade d’appel d’offres, un cautionnement de
soumission. Il peut également demander, lors de l’attribution du contrat et
comme condition à sa signature avec l’entrepreneur général, un cautionnement de
bonne exécution, un cautionnement visant à le protéger des coûts imprévus pour
l’exécution de l’ouvrage, un cautionnement qui lui garantit les paiements des
ouvriers et des sous-traitants, ainsi qu’un cautionnement pour le remboursement
des acomptes.
244. Le cautionnement est une mesure efficace pour protéger le maître de l’ouvrage
contre les soumissions trop basses qui sont, par le fait même, irréalistes.
La présence d’un cautionnement est souvent une condition de recevabilité de la
soumission. En effet, pour ne pas
être
[Page 93]
contraints d’exercer
une action contre un soumissionnaire défaillant, les maîtres de l’ouvrage ont
pris l’habitude d’exiger, soit dans les documents d’appel d’offres, soit après
la remise d’une offre unilatérale, une garantie ou un cautionnement de
soumission comme condition préalable à l’étude et à la prise en considération
de la soumission. Le montant de ce cautionnement est habituellement de l’ordre
de 10 % de celui de la soumission.
A. Notion et objectif
245.
Habituellement, on n’exige pas de cautionnement de soumission lorsque l’on se
trouve en présence d’une relation contractuelle de gré à gré. On exige souvent
un cautionnement de soumission lorsque l’on se trouve dans un processus d’appel
d’offres où des entrepreneurs sont invités à présenter leur soumission. Est
souvent mentionnée, dans l’appel d’offres, la date limite pour déposer la
soumission ainsi que les conditions à respecter pour que la soumission soit
prise en considération. Rappelons à cet effet que par l’appel d’offres, le
maître de l’ouvrage cherche à faire jouer la concurrence entre des entreprises
qui agissent dans le domaine de l’ouvrage à titre d’entrepreneurs généraux.
Bien que la concurrence soit souvent axée sur le prix ou sur le coût de la
réalisation de l’ouvrage, d’autres éléments sont pris en considération lors de
l’attribution du contrat, tels que la technologie et la nature des équipements
ou des matériaux à utiliser, le délai de l’exécution, la compétence et l’expérience
de l’entrepreneur, ainsi que les modalités de paiement.
246. Le maître de l’ouvrage
craint souvent qu’une fois que les soumissions sont ouvertes et que le contrat
est attribué au soumissionnaire ayant présenté le prix le plus bas, ce dernier
refuse de conclure le contrat une fois qu’il aura découvert que son prix est
tellement plus bas que celui des autres soumissionnaires qu’il court le risque
de subir des pertes au lieu de faire des profits lors de la réalisation de l’ouvrage.
Le client, maître de l’ouvrage, cherche à obtenir, avec la soumission, un
cautionnement lui permettant d’encaisser un montant à titre de dommages-intérêts,
sans être contraint d’intenter une procédure pour obtenir un jugement
condamnant le soumissionnaire à lui payer une compensation. En d’autres termes,
le cautionnement de soumission est destiné à garantir au maître de l’ouvrage la
possibilité d’encaisser
[Page 94]
immédiatement un
montant fixé à titre des dommages-intérêts advenant le refus du soumissionnaire
adjudicataire de signer un contrat conforme à sa soumission.
247. Les libellés
de cautionnement de soumission sont généralement variables selon les cahiers
des charges. Certains textes ont pour objet de garantir le maître de l’ouvrage
(le bénéficiaire) contre les offres téméraires des entrepreneurs qui n’auraient
pas les moyens techniques ou financiers nécessaires à l’exécution du projet ou
qui ne pourraient déposer la garantie ou le cautionnement de bonne exécution. C’est
la raison pour laquelle le cautionnement de soumission n’est pas libéré par la
simple apposition de la signature du contrat, mais bien par la remise du
cautionnement de bonne exécution. Ces textes
garantissent aussi le maître de l’ouvrage contre le dessaisissement prématuré
du soumissionnaire ou son refus de contracter selon les termes de sa
soumission.
248. Dans la
pratique, une grande partie des garanties ou des cautionnements de soumission
sont rédigés sous la forme de garanties sur première demande
ou de lettre de crédit irrévocable payable sur demande de son bénéficiaire.
249. En général, le
cautionnement de soumission ne prend pas fin suite à la simple apposition par
le soumissionnaire de sa signature sur le contrat, mais bien par la remise d’autres
cautionnements, notamment le cautionnement de paiement des ouvriers et des sous-traitants
et le cautionnement de bonne exécution, dont les textes sont souvent imposés
dans les documents d’appel d’offres. Ces textes visent à assurer au maître de l’ouvrage
d’avoir un cautionnement lui permettant de recevoir une indemnité advenant un désistement
prématuré du soumissionnaire ou le refus de celui-ci de fournir les
cautionnements qui assurent au maître de l’ouvrage la garantie de bonne
exécution.
250. Cette pratique
est bien connue et suivie dans les contrats de droit public, dont le texte du
cautionnement est rédigé par les autorités ou établi par décret ministériel. Il
s’agit en fait d’un cautionnement de soumission qui peut être assimilé à une
garantie ou à un dépôt que le
[Page 95]
client peut utiliser
inconditionnellement, advenant le refus du soumissionnaire
de signer un contrat conformément
à sa soumission.
251. Au Canada, le
cautionnement de soumission est généralement émis par des compagnies d’assurance.
Celles-ci se portent cautions envers le maître de l’ouvrage en cas de refus de
l’entrepreneur de signer un contrat conforme à sa soumission dans un délai
stipulé, ou de sa négligence ou de son incapacité de fournir les autres
garanties requises lors de la signature du contrat, notamment le cautionnement
de bonne exécution. La caution devra aussi garantir au maître de l’ouvrage qu’elle
acceptera et fournira, si l’entrepreneur est choisi comme adjudicataire, un
cautionnement d’exécution (performance bond) et un cautionnement d’obligation
envers les tiers (payment bond), d’une valeur représentant un
pourcentage déterminé du coût total de la soumission.
B. La conformité du cautionnement de
soumission
252. La
jurisprudence a traité abondamment de la notion de conformité d’une soumission
en regard de son cautionnement ou de sa garantie. Il convient, tout d’abord, de
noter que les documents d’appel d’offres, lorsqu’ils sont affectés d’une
ambiguïté, doivent être interprétés en faveur du soumissionnaire.
La soumission entachée d’une irrégularité majeure sera déclarée non conforme,
ce qui entraînera son rejet automatique. Cependant, lorsque l’irrégularité est
considérée comme mineure, le maître de l’ouvrage dispose d’une discrétion dans
la détermination de la conformité ou de la non-conformité de la soumission.
253. Il ne faudra
cependant pas perdre de vue l’objectif visé par l’exigence d’un cautionnement,
soit de filtrer les soumissions qui manquent de sérieux.
Le cautionnement permet de s’assurer que le plus bas soumissionnaire a bel et
bien la capacité financière de contracter pour le prix soumis.
Le cautionnement de soumission est également exigé dans l’optique d’obtenir une
promesse de cautionnement d’exécution et de
[Page 96]
cautionnement pour
le paiement des ouvriers, des matériaux et des sous-traitants. Si tous les objectifs
relatifs à l’exigence du cautionnement sont atteints, le client peut montrer
une position de souplesse à l’égard d’une soumission dans laquelle on peut
déceler une irrégularité mineure.
254. L’évaluation de la conformité du cautionnement doit se faire en tenant compte
de l’objectif visé par son exigence. Le donneur d’ouvrage cherche à se
procurer, par le cautionnement fourni, un moyen simple et efficace d’obtenir un
dédommagement si le soumissionnaire retire son offre. Ainsi, un cautionnement
qui ne met pas à la disposition du donneur d’ouvrage une garantie sérieuse lui
permettant d’obtenir une réparation pour le préjudice sans être obligé de s’adresser
à la Cour pour obtenir un jugement ne rejoint pas l’objectif visé par l’exigence
d’une garantie de soumission.
1) Irrégularité
relative au cautionnement
a) Irrégularités majeures
255. Dans la qualification d’une irrégularité, il faut tenir compte du
principe de l’égalité entre les soumissionnaires. Effectivement, il ne faut pas
que l’irrégularité ait un effet sur le prix de la soumission ni sur une
exigence de fond prévue à l’appel d’offres. Il ne faut
pas, non plus, qu’il y ait eu place au marchandage.
256. Ainsi, lorsque les documents d’appel d’offres contiennent une clause
dans laquelle le maître de l’ouvrage informe avec clarté les soumissionnaires
que telle exigence particulière est importante pour lui au point d’interdire
toute dérogation à cette exigence, l’on se trouve en présence d’une condition
de fond. Sont également des
exigences de fond celles ayant pour but d’éviter la collusion entre
soumissionnaires et d’assurer la libre concurrence
ou d’assurer la qualité des cautionnements. Ainsi, le maître de l’ouvrage exige
souvent des cautionnements fournis par une compagnie légalement habilitée à se
porter caution,
[Page 97]
soit une compagnie
ayant son domicile au Canada et possédant suffisamment de biens au Québec pour
payer le montant qu’elle s’engage à payer. Ainsi, une compagnie
se portant garante de l’exécution de
l’obligation d’un soumissionnaire,
mais qui a son établissement à l’étranger et ne dispose pas d’un permis valide pour exercer ses activités au Québec, n’offre
pas au maître de l’ouvrage un moyen efficace pour obtenir un dédommagement si
le soumissionnaire retire son offre. La soumission peut donc être considérée
comme entachée d’une irrégularité majeure.
257. L’utilisation
d’un autre formulaire de cautionnement que celui exigé par les documents d’appel
d’offres peut constituer une irrégularité majeure, même s’il s’agit d’un
formulaire préparé par le même organisme que celui qui a préparé le formulaire
retenu comme modèle dans les documents d’appel d’offres. En effet, si une clause dans ces documents précise
que seules les soumissions préparées avec le formulaire dont le contenu est expressément
mentionné seront prises en considération, l’utilisation d’un autre formulaire
sera perçue comme une irrégularité majeure lorsqu’il existe une différence
entre ces formulaires. Ainsi, constitue une différence pouvant affecter l’égalité
entre les soumissionnaires lorsque le formulaire fourni par le soumissionnaire
limite sa responsabilité à un montant représentant un pourcentage du prix de sa
soumission, alors que le formulaire retenu par le maître de l’ouvrage étend la
responsabilité du soumissionnaire à la différence entre le prix de sa
soumission, et le prix de la soumission subséquente, le deuxième prix le plus
bas. Même si cette différence est moins élevée que le 10
% du prix de soumission, elle doit être considérée comme
une irrégularité majeure justifiant le rejet de la soumission.
Il en est de même lorsque le soumissionnaire falsifie les documents de
soumission en modifiant le formulaire afin d’inclure un type de cautionnement
qui n’était pas accepté par le maître de l’ouvrage. Le soumissionnaire qui ne
prend pas connaissance des exigences inscrites dans les documents d’appel d’offres
ne peut par la suite présenter un cautionnement qui n’est pas conforme aux
stipulations de ces documents qui exigent expressément que le cautionnement
doive provenir d’une compagnie d’assurance.
[Page 98]
258. L’appréciation de la gravité de l’irrégularité ne doit pas se limiter à
l’intérêt du maître de l’ouvrage, mais doit aussi être déterminée en rapport
avec le principe de l’égalité entre les soumissionnaires, de sorte que ces
derniers doivent se conformer et être tenus à la même condition requise dans
les documents de cahiers de charges. Lorsque le formulaire retenu par le
client, dans ses documents d’appel d’offres, précise que le cautionnement de
soumission doit couvrir la différence entre la soumission la plus basse retenue
et la soumission dont le prix se situe juste après, on sera en présence d’un
cautionnement de soumission dont le montant doit être déterminé au moment de l’ouverture
des soumissions et lorsque le problème avec le soumissionnaire survient.
259. L’exigence d’un cautionnement de soumission est une condition de fond et son absence, au moment de
l’ouverture des soumissions, constitue une irrégularité majeure qui justifie le
rejet de la soumission. Ainsi, un
soumissionnaire qui joint à sa soumission une lettre de la banque qui indique
qu’elle est en processus de préparer les documents relatifs à l’émission d’une
lettre de garantie ne constitue pas une garantie de soumission, ce qui rend
cette soumission non conforme. Par contre, le maître
de l’ouvrage ne peut refuser de prendre en considération une soumission pour
motif que celle-ci était accompagnée d’une traite bancaire plutôt que d’un
cautionnement de soumission. Or, une traite bancaire offre à son bénéficiaire
la même garantie qu’un cautionnement. Ce dernier consiste en un engagement par
son émetteur de payer un montant déterminé advenant le refus du soumissionnaire
de signer un contrat conforme à sa soumission et aux conditions prévues dans
les documents d’appel d’offres. La traite bancaire, quant à elle, permet au
client d’encaisser son montant immédiatement suite à ce refus. Au lieu de
rejeter une soumission conforme, le maître de l’ouvrage doit plutôt donner à ce
soumissionnaire la chance de remplacer la traite bancaire par un cautionnement.
260. L’exigence d’un cautionnement de soumission laisse au soumissionnaire
le choix de fournir un cautionnement émis par une compagnie
[Page 99]
d’assurances, une
traite bancaire ou un chèque visé. Ce qui importe pour le maître de l’ouvrage
est d’avoir en sa possession une sorte de garantie lui permettant d’encaisser
le montant exigé à titre de cautionnement de soumission. L’article 1564 C.c.Q. prévoit différents moyens de
paiement et le débiteur peut forcer son créancier à recevoir paiement selon l’un
ou l’autre de ces moyens. Le maître de l’ouvrage
ne peut refuser une soumission à laquelle l’entrepreneur a joint une traite
bancaire ou un chèque visé au lieu d’un cautionnement émis par une compagnie d’assurances,
dans la mesure où le montant exigé est fourni. Il est probable que le
soumissionnaire cherche, par la fourniture d’un chèque visé ou d’une traite
bancaire, à épargner des frais pour l’émission d’un cautionnement de
soumission, ce qui est un droit légitime lorsque cette façon de faire ne cause
aucun préjudice au maître de l’ouvrage.
261. Lorsqu’un premier entrepreneur général voit sa soumission rejetée pour
cause d’absence de cautionnement, le contrat doit être accordé au deuxième plus
bas soumissionnaire. Advenant le cas où une partie des travaux ne peut être
exécutée par l’entrepreneur adjudicataire, celui-ci ne pourra pas embaucher le
premier entrepreneur en tant que sous-traitant afin de pouvoir bénéficier des
soumissions de ses sous-traitants. Premièrement, les soumissions des
sous-traitants du premier entrepreneur général sont devenues caduques lors du
rejet de sa soumission, puis, les sous-traitants ne peuvent être contraints de
travailler pour un entrepreneur qui n’était pas en mesure de fournir un
cautionnement et ainsi être privés de bénéficier du cautionnement pour gages,
matériaux et services lors de l’exécution du contrat.
i) Implication de BSDQ
262. Le Code du Bureau des soumissions déposées du Québec a pour
objectifs d’assurer une concurrence saine dans l’industrie de la construction
et de mettre en œuvre le principe de l’égalité entre les soumissionnaires.
Ainsi, les soumissionnaires doivent soumettre le meilleur prix qu’ils peuvent
offrir pour exécuter un contrat de construction dès le dépôt de leur soumission.
Il s’agit d’un document contractuel
[Page 100]
auquel les intervenants
de la construction au Québec peuvent adhérer et qu’ils doivent, ce faisant, s’engager
à respecter.
263. Il importe de
noter que toute soumission dont le prix est de l’ordre de 100 000 $
ou plus doit être accompagnée d’un cautionnement de soumission, et ce, même si
les documents d’appel d’offres ne l’exigent pas.
L’omission de joindre un cautionnement de soumission constitue donc une
infraction au Code du BSDQ qui entraînera le rejet de la soumission.
De plus, l’attribution d’un contrat à des prix et conditions autres que ceux
soumissionnés, dans le but de contourner la règle relative au cautionnement de
soumission, constitue également une contravention au Code du BSDQ et détermine
aussi la non-conformité de la soumission. Toute partie qui s’est engagée à
respecter le Code du BSDQ ne peut renoncer unilatéralement au bénéfice du
respect des conditions qui y sont prévues, car il s’agit d’une entente à caractère
collectif qui vise à assurer l’égalité des chances entre les soumissionnaires
et le maintien d’une concurrence loyale. Pour qu’il y ait renonciation, il
faudrait que toutes les parties à l’entente, ainsi que les autres
soumissionnaires, renoncent également au bénéfice du respect des règles prévues
au Code.
264. Bien que
certaines formalités doivent être observées afin de s’assurer que le principe
de l’égalité entre les soumissionnaires soit respecté, il ne faut pas exagérer
ce formalisme, afin d’éviter toute absurdité. Ainsi, le sous-traitant qui
dépose, avec la copie de sa soumission destinée au BSDQ, l’original de son
cautionnement, ne doit pas être puni pour avoir fait défaut de joindre à sa
soumission, une copie de ce cautionnement dans l’enveloppe destinée au client
ou à l’entrepreneur général. Dans ce cas, la condition relative à l’exigence d’un
cautionnement est parfaitement remplie lorsque l’original de ce cautionnement
se trouve entre les mains de l’organisme de contrôle, soit le BSDQ. La bonne
foi et le bon sens militent pour que le maître de l’ouvrage ou l’entrepreneur
général donne la chance à ce sous-traitant de produire une copie de l’original
de cautionnement déjà déposé au BSDQ plutôt que de refuser sa soumission pour
cette omission.
[Page 101]
b) Irrégularité mineure
265. Lorsque les documents d’appel
d’offres spécifient le type et le contenu du cautionnement à fournir, le
soumissionnaire doit se conformer à cette exigence. Il importe cependant de
souligner qu’il est d’usage, dans le domaine de la construction, d’offrir un
cautionnement de soumission représentant 10 % de la valeur de la soumission.
Le fait que le soumissionnaire fournisse un cautionnement conforme à cet usage
plutôt qu’un cautionnement pour un montant qui correspond à celui fixé par le
maître de l’ouvrage ne rend pas la soumission non conforme, et ce, même si le
montant du cautionnement est inférieur à celui exigé dans les documents d’appel
d’offres. La même solution doit
être adoptée lorsque ces documents comportent une ambiguïté quant au montant exigé.
266. Le principe
qui veut que le contrat soit accordé au plus bas soumissionnaire doit être
respecté également lorsque l’irrégularité invoquée est mineure. Ainsi, le
maître de l’ouvrage contrevient à ce principe lorsqu’il refuse d’attribuer le
contrat à un soumissionnaire, alors que celui-ci est le soumissionnaire le plus
bas, sous prétexte que le cautionnement de soumission n’a pas été émis pour le
même montant exigé dans l’appel d’offres, mais pour un montant inférieur, qui
représente 10 % du prix demandé dans la soumission. Une telle irrégularité doit
être considérée comme mineure et ne doit aucunement affecter la conformité de
la soumission. Il est fort probable que le montant du cautionnement ait été
fixé par le maître de l’ouvrage en considération du prix qu’il sera prêt à
payer pour la réalisation de l’ouvrage, de sorte que ce montant représente 10 % de ce prix.
Or, lorsqu’un soumissionnaire fournit un cautionnement de soumission pour un
montant inférieur à celui exigé dans l’appel d’offres, mais qui correspond à 10 % du prix demandé dans sa soumission,
celle-ci est tout à fait conforme non seulement à la pratique, mais aussi aux exigences relatives au cautionnement prévues
dans l’appel d’offres.
[Page 102]
267. Par contre, l’exigence
d’un montant fixe peut créer une inégalité entre les soumissionnaires, advenant
le cas où un soumissionnaire exige, dans sa soumission, un prix pour les
travaux tellement élevé, que le montant de son cautionnement, même s’il
correspond à celui exigé dans l’appel d’offres, représente moins de 10 % du
prix de sa soumission. Une telle divergence entre le montant établi selon la
norme coutumière et le montant requis par le maître de l’ouvrage risque de vicier
l’appel d’offres lui-même.
268. Lorsque les
documents d’appel d’offres spécifient que la garantie de soumission doit être
présentée sous forme de chèque visé et que le soumissionnaire soumet plutôt une
traite bancaire au montant exigé, cette traite bancaire équivaut à un chèque
visé, de sorte que le maître de l’ouvrage doit la considérer comme une
irrégularité mineure. Cette différence n’est donc pas de nature à justifier le
rejet de la soumission. Au contraire, la
soumission accompagnée d’une traite bancaire plutôt que d’un chèque visé est
considérée conforme au sens du Code des soumissions.
En effet, le principe de l’égalité entre les soumissionnaires est respecté,
car il n’y a aucun avantage relié à la fourniture d’une traite bancaire plutôt
qu’un chèque visé, ni une influence sur le prix de soumission ou sur le jeu de
la concurrence. L’objectif que le maître de l’ouvrage vise par l’exigence d’un
cautionnement ou d’une garantie de soumission est de recevoir des soumissions
données par des soumissionnaires solvables.
269. Le maître de l’ouvrage
qui accepte de faire parvenir les documents d’appel d’offres sur réception d’une traite bancaire alors qu’il
exigeait également, à cette étape, un chèque visé, constitue un indice qui
révèle que l’importance de la nature de la garantie bancaire fournie est bien
relative. Ainsi, la réglementation qui prévoit que la soumission doit être
accompagnée d’un chèque visé n’est pas violée si le maître de l’ouvrage accepte
une traite bancaire au même montant ou s’il accepte que le soumissionnaire
remplace sa traite bancaire par un chèque visé, lorsque celui-ci propose d’apporter
cette correction en temps utile.
270. Constitue
aussi un défaut mineur le non-respect d’une clause incluse dans les documents d’appel
d’offres qui exige que l’entrepreneur soit membre actif de l’association des
entrepreneurs de son métier. Cette dérogation n’est pas constitutive de
non-conformité de la soumission, car
[Page 103]
une telle clause n’est pas une
condition essentielle ou impérative à
la qualité de l’ouvrage ou à sa réalisation et elle n’a aucune influence sur le
prix de la soumission. Il en va de même d’une
erreur relative au nombre de jours pendant lesquels un cautionnement est valide : s’il est valide pour 30 jours, alors que les documents d’appel d’offres exigent qu’il le soit
pour une période de 45 jours, le
maître de l’ouvrage peut donner l’opportunité au soumissionnaire de corriger
cette erreur en temps utile. La même solution doit
être adoptée dans le cas où la caution fournit une lettre qui confirme qu’elle
émettra, sur demande, un cautionnement d’exécution et un cautionnement pour
paiement des ouvriers, des matériaux et des sous-traitants, mais qu’elle fait
une erreur dans le délai de validité de cette lettre.
Tel est le cas également lorsqu’un cautionnement de soumission comporte une
erreur d’écriture dans la désignation du soumissionnaire concerné.
Enfin, une erreur cléricale relative au délai devant être mentionné dans la
soumission en conformité avec les documents d’appel d’offres
ou une erreur concernant le nom figurant sur le cautionnement de soumission
constitue une irrégularité mineure. Une erreur de cette nature ne peut
justifier le rejet de la soumission, puisqu’une simple rectification suffira à
rendre celle-ci conforme. Cela ne signifie pas pour autant que le donneur d’ouvrage
est tenu d’accepter la soumission entachée d’une erreur mineure, du moment qu’il
agit de bonne foi et dans le respect de l’égalité des soumissionnaires, il peut
prendre la décision de rejeter la soumission non conforme.
i) La discrétion du maître de l’ouvrage
271. La doctrine
et la jurisprudence reconnaissent au maître de l’ouvrage une discrétion à être
exercée lors de l’attribution du contrat suite à l’appel d’offres. Cette
discrétion doit toutefois être exercée avec prudence et diligence, de façon
équitable et égalitaire avec tous les
[Page 104]
soumissionnaires.
Afin de respecter ce principe, cet exercice doit se faire selon des critères
dont tous les soumissionnaires ont pu prendre connaissance au moment du dépôt
de leur soumission. Ainsi, le maître de l’ouvrage ne peut se servir d’exigences
qui ne sont pas demandées dans l’appel d’offres pour accorder le contrat à un
soumissionnaire en raison de certains éléments contenus dans sa soumission,
mais qui n’étaient pas requis ni mentionnées dans l’appel d’offres.
272. Dans le
secteur public, rien n’empêche un organisme public d’exercer son choix en
fonction de ses besoins, à condition qu’un tel choix ne soit pas motivé par le
favoritisme, mais plutôt, par l’intérêt de la collectivité. Toute attribution
de contrat qui ne respecte pas ce principe constitue une violation du principe
d’égalité entre les soumissionnaires et une entrave au libre jeu de la
concurrence que l’organisme doit faire jouer afin d’assurer aux contribuables
non seulement le meilleur prix, mais aussi le meilleur service.
273. Le maître de l’ouvrage
qui procède par appel d’offres a certes une discrétion dans l’acceptation de la
soumission qui comporte une irrégularité mineure, mais est-il obligé d’exercer
cette discrétion ? Le principe fondamental, en matière d’appel d’offres, est celui d’adjuger le
contrat au plus bas soumissionnaire, et non pas à celui dont la soumission est
la plus conforme à l’appel d’offres, car le maître de l’ouvrage doit agir dans
son intérêt ou, dans le cas d’un organisme public, dans le meilleur intérêt des
contribuables. Ce dernier n’a pas une
obligation de premier ordre
relative à l’octroi du contrat envers les soumissionnaires, mais bien envers ses
citoyens, qui ne doivent pas être tenus à des frais plus élevés que nécessaire.
Il conviendra cependant d’apprécier l’exercice, par l’organisme public, de sa
discrétion sous le spectre de l’égalité entre les soumissionnaires.
274. L’exercice par
le maître de l’ouvrage, de sa discrétion, doit se faire cependant de façon
rigide et minimale, en exigeant un respect intégral des conditions essentielles
mentionnées dans les documents d’appel d’offres.
Il doit traiter chaque soumission de cette façon. Ainsi, il ne doit pas
permettre la correction d’une irrégularité mineure, tout en rejetant une autre
soumission affectée aussi d’une irrégularité mineure. Il ne
[Page 105]
peut traiter la plus
basse soumission avec rigueur, tandis qu’il traite les deuxième et troisième
plus basses soumissions avec souplesse, violant à la fois le principe de l’égalité
entre les soumissionnaires et le principe de l’octroi du contrat à la plus
basse soumission. Cette façon d’exercer
sa discrétion est illégale et pourra engager sa responsabilité. Ainsi, il ne
peut adopter une méthode qui consiste en l’application de deux poids, deux
mesures. S’il choisit de ne pas user de sa discrétion et de rejeter toute
soumission comportant la moindre irrégularité, il doit en être ainsi pour toutes
les soumissions. Par contre, s’il choisit d’user de sa discrétion, il devra
permettre à tous les soumissionnaires de corriger une irrégularité qui peut
être qualifiée de mineure, peu importe la nature de celle-ci. Il devra, à titre
d’illustration, exercer sa discrétion en ce qui concerne une erreur sans
conséquence qui s’est produite à l’intérieur du cautionnement requis, lorsque
la soumission est conforme en tous autres points.
275. Que le maître
de l’ouvrage décide d’exercer sa discrétion ou non, sa conduite doit être
guidée par le principe de bonne foi et par celui de l’égalité entre les
soumissionnaires. Il ne peut ainsi invoquer une erreur mineure pour refuser une
soumission alors que le bon sens et la bonne foi devaient l’amener à inviter
les soumissionnaires à faire les corrections nécessaires. Cette politique doit être appliquée même lorsque l’on est
en présence d’une seule soumission affectée d’une irrégularité mineure. En
effet, si le maître de l’ouvrage se permet de refuser une telle soumission,
sous prétexte qu’il y a une irrégularité, cela revient à exercer une
discrimination à l’égard du soumissionnaire, auteur de cette soumission, et à
le priver de son droit d’être traité sur un pied d’égalité alors qu’un tel
traitement ne cause aucun préjudice aux autres soumissionnaires. En d’autres
termes, le maître de l’ouvrage ne peut prétendre avoir exercé son pouvoir
discrétionnaire lorsqu’il refuse à un soumissionnaire de corriger une
irrégularité mineure afin de rendre sa soumission conforme, alors qu’une telle
correction sera faite en respect du principe de l’égalité entre les
soumissionnaires.
2) La responsabilité de la caution
276. La banque qui
a émis une traite bancaire plutôt qu’un chèque visé, en déclarant au
soumissionnaire que les deux s’équivalent, n’engage pas sa responsabilité
envers ce dernier, à moins qu’elle ne soit avisée de l’exigence spécifique d’un
chèque visé contenue dans les
[Page 106]
documents d’appel d’offres.
Lorsque le montant du cautionnement est indiqué en pourcentage, alors que la caution était bien informée que le maître de l’ouvrage exige un cautionnement d’une somme fixe, cette
non-conformité peut être une irrégularité majeure justifiant le rejet de la
soumission. Il en est ainsi lorsque le pourcentage du montant du cautionnement
est inférieur, non seulement à celui de l’usage, soit 10
%, mais aussi au montant fixe exigé dans les documents d’appel
d’offres. En cas de rejet de la soumission pour motif de non-conformité du
cautionnement, la caution risque d’engager sa responsabilité si elle était bien
informée quant aux exigences requises à ce sujet.
277. Il importe toutefois de souligner que la responsabilité de la caution
envers le soumissionnaire pour une irrégularité dans le cautionnement, ne peut
être engagée que dans des cas exceptionnels. En effet, il appartient au
soumissionnaire de vérifier si le cautionnement émis est conforme aux exigences
prévues dans les documents d’appel d’offres. Il lui appartient ainsi de s’assurer
que ce cautionnement remplit les conditions requises par le maître de l’ouvrage.
C’est seulement lorsque le soumissionnaire confie à la caution le document
relatif au cautionnement de soumission, tout en lui demandant d’émettre un
cautionnement conforme à ce document, que la responsabilité de la caution
pourra être engagée, si elle émet un cautionnement non conforme et qui sera la
cause du rejet de la soumission. Dans certains cas, la
responsabilité de non-conformité de cautionnement aux documents d’appel d’offres
peut être partagée entre la caution et le soumissionnaire à qui il incombe de
vérifier la conformité du cautionnement émis avant de le joindre à sa
soumission.
C. Le droit de saisir les garanties ou
les cautionnements de soumission : conditions de sa mise en œuvre
278. Le droit de
saisir le cautionnement de soumission est déterminé en fonction de l’analyse
que l’on fait de la nature juridique de cette garantie. Ce droit dépend en
quelque sorte de la qualification qu’on donne à l’obligation de la caution, qui
peut être « accessoire » ou « indépendante ». Cette
qualification est cependant complexe en raison des approches variées qui
existent.
[Page 107]
279. Selon l’état
actuel du droit, le cautionnement de soumission est considéré, en général,
comme une obligation « accessoire » à la soumission. Le maître de l’ouvrage
(bénéficiaire) ne peut donc saisir le cautionnement que dans le cas où le
soumissionnaire refuse de contracter dans les termes et aux conditions prévues
dans sa soumission, et ce, dans la mesure où celle-ci a été retenue pendant sa
période de validité.
280. À notre avis,
si le cautionnement de soumission fait référence à la soumission, il ne peut
être déconnecté de l’existence de celle-ci, même s’il est stipulé payable à
première demande. Il ne peut couvrir que le refus du soumissionnaire de
contracter conformément aux termes de sa soumission.
281. Comme dans
toute convention, la bonne foi qui s’attache à son interprétation exige que l’on
considère la garantie ou le cautionnement remis à l’occasion du dépôt d’une soumission
comme une obligation accessoire à celle-ci. Même lorsqu’il
est clairement établi que nous sommes en présence d’une garantie
inconditionnelle et que le texte de celle-ci ne contient aucune référence à la
soumission, le maître de l’ouvrage ne peut demander à la caution le paiement du
montant du cautionnement sans avoir à justifier le bien-fondé de sa demande. Il
est difficile de concevoir une situation où le cautionnement de soumission ne
peut être connecté à celle-ci. On peut cependant comprendre que le
cautionnement peut couvrir un refus de contracter de la part du soumissionnaire
ou de fournir les documents requis dans l’appel d’offres.
De même, ce dernier n’est pas obligé de signer un contrat non conforme à sa
soumission et si, dans ce cas, la garantie ou le cautionnement avait été saisi,
le soumissionnaire serait, sans autre justification, en droit de réclamer au
maître de l’ouvrage, la réparation du préjudice causé par cette saisie.
282. Ainsi, le
cautionnement de soumission trouvera toute son utilité en cas de désistement du
soumissionnaire sélectionné. C’est dans une telle situation que le maître de l’ouvrage
pourra alors réclamer de la caution, le montant d’argent correspondant à la
différence entre le prix proposé par le soumissionnaire sélectionné et le prix
prévu par le plus bas soumissionnaire subséquent, ou une autre personne avec
qui il a
[Page 108]
légalement contracté
pour l’exécution des travaux, jusqu’à concurrence du montant prévu à la
garantie ou au cautionnement de soumission.
283. Rappelons que,
si le plus bas soumissionnaire ayant reçu un avis d’acceptation de sa
soumission constate une erreur dans le montant de celle-ci, il ne pourra pas
invoquer cette erreur pour refuser de signer un contrat d’entreprise conforme à
sa soumission, ni la modifier afin de réclamer un prix plus élevé. Il devra
exécuter le contrat de construction pour le prix proposé dans la soumission ou
se désister et donner ouverture au paiement de la garantie ou du cautionnement
de soumission ou à la différence de prix entre la soumission la plus basse et
la deuxième soumission ayant offert le prix le plus bas.
284. Le
cautionnement de soumission ne devient cependant exigible
que lorsque la soumission conforme a été acceptée ou qu’un
contrat a été offert au soumissionnaire. Ainsi, en cas de doute de la capacité
et de la compétence du plus bas soumissionnaire d’exécuter le contrat, le
maître de l’ouvrage ne pourra pas exiger, avant l’acceptation de la soumission,
des documents devant être normalement fournis après la conclusion du contrat. À
titre d’exemple, il ne peut demander au soumissionnaire de fournir une liste
des équipements qu’il entend utiliser dans l’exécution du contrat ou le nom des
superviseurs du chantier et les sous-traitants avec qui il va contracter, alors
même que ce soumissionnaire ne bénéficie pas encore de l’acceptation de sa
soumission. Le soumissionnaire ne peut s’engager envers des sous-traitants ni
acheter les équipements requis à l’exécution du contrat de construction, ne
sachant même pas si ce contrat lui sera octroyé. Dans un tel contexte, le
soumissionnaire peut offrir au maître de l’ouvrage de se retirer sans qu’il n’y
ait de poursuite de la part, ni de l’un, ni de l’autre. Une telle offre doit
être considérée comme une recherche d’un accord avec le propriétaire. En
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cas d’échec, ces
démarches ne peuvent donc être interprétées ou considérées comme un désistement
justifiant la réclamation du montant du cautionnement de soumission, celle-ci n’ayant
même pas fait l’objet d’une acceptation.
285. Le maître de l’ouvrage
qui cherche à changer les règles prévues aux documents d’appel d’offres après l’ouverture
des soumissions, et ce, avant l’acceptation de l’une d’entre elles, donne au
soumissionnaire un motif valable d’offrir son retrait du processus. Dans ce
cas, le maître de l’ouvrage a le choix d’accepter une telle offre et de
considérer que la soumission en question n’a jamais été déposée, ou de refuser
cette offre et d’accepter la soumission. Cette dernière option donne alors lieu
à la signature du contrat avec ce soumissionnaire. Cette signature crée, à la
charge du soumissionnaire, des nouvelles obligations pouvant justifier l’exigence
des documents relatifs à sa compétence et à celle des sous-traitants qui seront
impliqués dans l’exécution du contrat. Ainsi, pour donner ouverture au paiement
du cautionnement de soumission, le maître de l’ouvrage doit avoir préalablement
accepté la soumission et avoir porté cette acceptation à la connaissance du
soumissionnaire. Aussi, le maître de l’ouvrage ne peut réclamer à la caution le
montant de la garantie s’il ne l’a pas, dans un premier temps, informée du
défaut du soumissionnaire de conclure le contrat d’entreprise. C’est le défaut
de la part du soumissionnaire de donner cours au processus de conclusion du
contrat qui justifie la demande de paiement du montant du cautionnement de
soumission, à condition qu’une telle demande soit formulée avant l’expiration
du délai de validité de celui-ci.
D. La durée de la garantie ou du
cautionnement de soumission
286. La durée de la
garantie ou du cautionnement de soumission est une question de première
importance. Elle fait souvent l’objet d’une stipulation dans les documents d’appel
d’offres, sous la rubrique de garantie ou du cautionnement de soumission. Le
maître de l’ouvrage exige souvent que ce dernier soit d’une durée fixe, de
sorte que l’engagement de la caution soit irrévocable pendant cette durée. La
date de l’expiration du cautionnement correspond normalement à la date d’expiration
de la soumission.
287. Rappelons
cependant que le défaut de mettre un cautionnement valide pour la durée requise
par le maître de l’ouvrage ne constitue pas en soi une irrégularité majeure
justifiant le rejet de la soumission. Il
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s’agit d’une irrégularité
mineure à laquelle le soumissionnaire ainsi que la caution peuvent remédier sur
demande de conformité de la part du maître de l’ouvrage.
Ce n’est qu’en cas de défaut de remplacer le cautionnement par un autre pour qu’il
soit de la même durée que la soumission que celle-ci pourra alors être
considérée non conforme.
288. Il est de
pratique courante d’inclure dans le cautionnement de soumission une stipulation
que celui-ci ne sera pas automatiquement libéré dès la signature du contrat
principal, mais restera en vigueur jusqu’à la
remise par l’entrepreneur des garanties, notamment le cautionnement pour le
paiement des ouvriers, des matériaux et des sous-traitants et le cautionnement
de bonne exécution. En effet, dans bien des cas, la signature du contrat peut
être reportée afin de permettre au soumissionnaire de fournir les documents
requis pour finaliser le contrat d’entreprise.
En raison de ce retard, la durée du cautionnement de soumission peut arriver à
terme, et l’engagement de caution peut prendre fin, à moins qu’il soit stipulé
que cet engagement devient pour une durée indéterminée en cas où la soumission
du soumissionnaire en question est retenue par le maître de l’ouvrage.
289. Il arrive
aussi que le maître de l’ouvrage exige qu’en cas où la soumission serait
retenue, que le délai du cautionnement soit prolongé automatiquement et la
caution s’engage à ne plus révoquer son cautionnement et à maintenir son
engagement en vigueur pour permettre aux parties de finaliser la conclusion du
contrat d’entreprise. En d’autres termes, le modèle de cautionnement imposé par
le maître de l’ouvrage contient souvent une clause prévoyant que l’engagement
de la caution ne prend pas fin à l’expiration du délai prévu, mais demeure en
vigueur pour toute la durée nécessaire à la finalisation du contrat d’entreprise
advenant le cas où la soumission serait retenue.
290. En l’absence d’une
telle clause, le maître de l’ouvrage peut exiger de la caution et du
soumissionnaire de renouveler le cautionnement de soumission pour un autre
délai. À défaut par la caution ou le soumissionnaire de consentir à un délai
supplémentaire, le maître de l’ouvrage pourra considérer ce refus comme un
désistement par ce dernier de sa soumission, ce qui justifie un encaissement
immédiat du montant de cautionnement avant l’expiration de son délai. Il sera
ainsi
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protégé de toute
manœuvre frauduleuse qu’un soumissionnaire de mauvaise foi pourrait y recourir,
en laissant son cautionnement de soumission s’éteindre par l’effet du temps pour
ensuite refuser de conclure un contrat conforme à sa soumission. C’est ainsi
que le maître de l’ouvrage doit, en pratique, pouvoir utiliser à bon droit le
cautionnement de soumission et pouvoir obtenir paiement dès lors que le
soumissionnaire concerné refuse ou omet de signer un contrat conforme à sa
soumission retenue. Le droit du maître de l’ouvrage d’encaisser le montant du
cautionnement est également justifié lorsque le soumissionnaire fait défaut de
fournir les autres cautionnements requis dans les documents d’appel d’offres,
notamment le cautionnement de bonne exécution pendant le délai de validité du
cautionnement de soumission.
291. Par ailleurs,
le maître de l’ouvrage peut avoir des raisons valables de souhaiter une
extension de la période de l’examen des soumissions, surtout lorsqu’il s’agit
de projets complexes. Peut-il alors forcer le soumissionnaire à étendre la
validité de sa soumission et à renouveler sa garantie ou son
cautionnement ? La question est controversée. La réponse dépend de la nature
juridique de la garantie ou du cautionnement.
292. Si l’on
considère que la garantie ou le cautionnement de soumission constitue un
engagement indépendant, le maître de l’ouvrage sera en droit de le saisir à
tout moment, dans les conditions prévues pour sa mise en œuvre. Il pourra
contraindre le soumissionnaire à le renouveler, en le menaçant de cette saisie.
293. Il importe
toutefois de rappeler qu’en général, la garantie ou le cautionnement de
soumission est considéré comme une obligation « accessoire » à la
soumission et sa durée se trouve limitée à celle de la soumission. L’engagement
du soumissionnaire de maintenir sa soumission valide expire à la fin de cette
durée, surtout lorsque le délai d’acceptation de la soumission est stipulé de
rigueur. À l’expiration de ce
délai de rigueur, le soumissionnaire ne peut pas être tenu de maintenir sa
soumission en vigueur. Il ne peut donc être forcé, sous la menace de
réalisation de la garantie ou du cautionnement, de prolonger la validité de sa
soumission ni de renouveler son cautionnement.
294. Enfin, il est
important que les parties veillent à leur intérêt en ce qui a trait à la
rédaction de la garantie ou du cautionnement de soumission. Cet intérêt sera
assuré par l’émission d’une garantie ou d’un cautionnement rédigé en termes
clairs garantissant sa validité et son
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caractère exécutoire,
selon des conditions et dans des circonstances précises. Cela dit, il est
essentiel que la garantie ou le cautionnement de soumission soit correctement
rédigé et indique clairement les limites d’engagement du soumissionnaire. Il
peut également être opportun de prévoir une clause d’arbitrage afin de régler
les litiges susceptibles de survenir à cette occasion.