Art. 1613. En matière contractuelle, le débiteur n’est tenu que des
dommages-intérêts qui ont été prévus ou qu’on a pu prévoir au moment où l’obligation
a été contractée, lorsque ce n’est point par sa faute intentionnelle ou par
sa faute lourde qu’elle n’est point exécutée; même alors, les
dommages-intérêts ne comprennent que ce qui est une suite immédiate et
directe de l’inexécution.
|
|
Art. 1613. In contractual matters, the debtor
is liable only for damages that were foreseen or foreseeable at the time the
obligation was contracted, where the failure to perform the obligation does
not proceed from intentional or gross fault on his part; even then, the
damages include only what is an immediate and direct consequence of the
nonperformance.
|
C.C.B.-C.
1074. Le
débiteur n’est tenu que des dommages-intérêts qui ont été prévus ou qu’on a pu
prévoir au temps où l’obligation a été contractée, lorsque ce n’est point par
son dol qu’elle n’est point exécutée.
1076. Lorsque
la convention porte qu’une certaine somme sera payée comme dommages-intérêts
pour l’inexécution de l’obligation, cette somme seule, et nulle autre plus
forte ou moindre, est accordée au créancier pour ses dommages-intérêts.
Mais si l’obligation a été exécutée en
partie, au profit du créancier, et que le temps pour l’entière exécution soit
de peu d’importance, la somme stipulée peut être réduite, à moins que le
contraire ne soit stipulé.
O.R.C.C. (L. V, DES OBLIGATIONS)
295. Le
créancier a droit à la réparation du préjudice qui résulte directement de l’inexécution
de l’obligation.
En matière contractuelle, le débiteur n’est
tenu de réparer que le préjudice normalement prévisible, sauf en cas de faute
intentionnelle ou lourde de sa part.
[Page 883]
C.c.B.-C. : art. 1071.
C.c.Q. : art. 1607, 1434, 1474, 1479, 1622, 1623 et 2803.
1. Notions
générales
2335. Selon l’article
1613 C.c.Q., la réparation d’un
préjudice contractuel ne s’étend qu’aux seuls dommages-intérêts prévisibles au
temps où l’obligation a été contractée. Il est cependant fait exception à cette
règle lorsque l’inexécution est la conséquence d’une faute intentionnelle ou
lourde du débiteur. Dans ce cas, le
créancier a le droit d’être compensé non seulement pour le dommage prévisible,
mais également pour le dommage imprévisible, pourvu qu’il soit une suite
immédiate et directe de l’inexécution. À titre d’illustration,
en cas de non-respect par l’acheteur de l’offre d’achat d’une résidence, le
propriétaire pourra réclamer les frais de courtage engagés afin de permettre la
revente de la résidence.
2336.
Contrairement à ces prédécesseurs, l’article 1613 C.c.Q. exclut de son
application les réclamations en matière de responsabilité extracontractuelle :
seul le débiteur de l’obligation contractuelle n’est tenu qu’aux
dommages-intérêts prévisibles (lors de la conclusion du contrat).
Cette précision est justifiée par la volonté présumée des
[Page 884]
parties
qui, lors de la formation du contrat, peuvent prévoir d’avance l’étendue des
conséquences économiques de l’inexécution de l’obligation contractuelle.
Elle est également fondée sur la nécessité, d’une part, d’établir l’équité et
la justice contractuelle entre les parties et, d’autre part, de maintenir une
certaine stabilité dans les relations contractuelles. Un contractant non
seulement peut, mais doit pouvoir évaluer l’étendue de sa responsabilité
financière en cas d’inexécution de ses obligations dès le début et avant même
la conclusion du contrat, pour ajuster en conséquence la contrepartie à
demander à son cocontractant, compte tenu de leurs obligations respectives.
2. Les
conditions d’octroi de dommages-intérêts
2337. L’article
1613 C.c.Q. pose les conditions de bases nécessaires à l’octroi de
dommages-intérêts en matière contractuelle. Le
législateur a voulu éviter qu’une partie soit tenue d’indemniser son
cocontractant pour des dommages difficilement prévisibles par une personne
raisonnable au moment de la conclusion du contrat. Ainsi, le débiteur d’une
obligation contractuelle n’est pas tenu d’indemniser pour des dommages en
cascade lorsque son contractant savait ou devait savoir à quoi s’attendre en
cas d’inexécution de son obligation.
2338. En
matière contractuelle, il incombe donc au demandeur de prouver non seulement
que le dommage est le résultat direct et immédiat de l’inexécution fautive de l’obligation
par le défendeur, mais également que ce dommage était prévisible lors de la
conclusion du contrat.
[Page 885]
A. Dommages
prévisibles
1)
Définitions et critères
2339. Le
dommage est prévisible lorsqu’il représente la conséquence normale de toute
relation contractuelle de la même nature et dans les mêmes circonstances,
indépendamment de la situation du créancier. Le dommage inhabituel et impropre
au même type de relations contractuelles ne peut être considéré prévisible
lorsqu’il est dû à des circonstances propres au créancier. Il peut cependant l’être
lorsque le débiteur, suffisamment informé des circonstances spéciales et/ou du
délai particulier dans lesquels il doit exécuter son obligation, aurait été en
mesure de le faire de sorte à ce que l’exécution profite au créancier ou lui
épargne un préjudice auquel on ne peut s’attendre habituellement dans ce genre
de relation contractuelle.
2340. En
pratique, la prévisibilité doit être appréciée au jour où le contrat est conclu
selon le critère de la personne raisonnable et prudente considérée in abstracto.
En fait, l’application d’un tel critère objectif consiste à se demander
quels sont les dommages qu’un contractant raisonnablement prudent et diligent
pouvait prévoir dans les circonstances – et non ce
à quoi la personne du débiteur pouvait subjectivement s’attendre. En d’autres
termes, sont des dommages prévisibles ceux qu’une personne raisonnable et
avisée aurait pu prévoir si elle s’était trouvée dans la même situation que le
débiteur. Il est donc tenu compte des circonstances ayant entouré la conclusion
du contrat,
[Page 886]
c’est-à-dire que la « personne
raisonnable » considérée gagne des caractéristiques différentes selon le
type de contrat.
2341. Par
exemple, un spécialiste dans l’application de produit inflammable diligent doit
prévoir qu’un manque de précautions élémentaires dans son travail peut causer
un feu pouvant endommager un immeuble et forcer ses occupants à se loger
ailleurs, encourant ainsi des frais d’hébergement.
De même, sont prévisibles par le fournisseur de matériaux de construction les
dommages causés aux travaux réalisés par l’utilisation du matériel inadéquat;
sont par contre imprévisibles les difficultés financières de l’entreprise de
construction apparues par la suite. Les coûts
additionnels de construction encourus par l’acheteur, lorsque l’offre d’achat
du terrain prévoit un test de sol qui révèle une contamination du terrain, sont
également des dommages prévisibles. Il est en
effet difficile de croire que le vendeur ne pouvait pas s’attendre à ce que des
travaux de contamination soit nécessaires suite au résultat du test. Également,
est prévisible le préjudice résultant de la négligence du locateur qui était
conscient que le chauffe-eau avait dépassé sa vie utile mais au lieu d’agir
avec prudence en procédant à son remplacement, il a négligé de le faire de
sorte que les dommages causés au locataire, par son éclatement, devront être
indemnisés.
2342.
Contrairement à la simple « probabilité »
exigée par la jurisprudence sous l’ancien régime eu égard à l’existence
générale de dommages, le critère actuel de prévisibilité est plus exigeant et s’applique
à la nature précise des dommages encourus en matière contractuelle. La règle
est valable à l’égard de tous les contrats nommés et innommés.
Il importe de noter que le critère de prévisibilité qui s’applique en matière
de dommages s’applique également aux profits. En d’autres mots, lorsqu’une
partie, lors de la conclusion de son contrat, n’envisage la réalisation d’aucun
profit, ni d’en tirer un avantage quelconque, elle ne pourra plus tard réclamer
une indemnité pour l’absence de profits.
[Page 887]
2343. Dès
lors qu’il incite les cocontractants à évaluer leur responsabilité respective
avant la conclusion du contrat, il découle de l’article 1613 C.c.Q. qu’une
partie ne peut être tenue de compenser plus que la contrepartie reçue moyennant
l’exécution de l’obligation à laquelle elle s’était engagée. À titre d’illustration,
un employeur contrevenant à son obligation de négocier de bonne foi l’attribution
d’options d’achat à son salarié sera tenu d’indemniser celui-ci pour son
obligation contractuelle inexécutée. Il importe cependant de ne pas confondre l’obligation
de négocier de bonne foi et celle d’accorder nécessairement des options d’achat
d’actions. Si les négociations de bonne foi ont eu lieu, on ne pourra tenir
pour acquis que le salarié aurait obligatoirement obtenu un pourcentage du
capital-actions de l’entreprise. Pour pouvoir obtenir
une compensation pour les dommages ou les pertes réclamées, le demandeur doit
faire la preuve qu’il les a réellement et effectivement subis. En d’autres
termes, les dommages et les pertes faisant l’objet de la réclamation ne peuvent
être présumés, mais doivent être prouvés.
2344. Il n’est
guère intéressant pour un contractant de se retrouver dans l’obligation d’indemniser
des dommages qui peuvent fluctuer de manière draconienne à la suite d’événements
postérieurs à la conclusion du contrat, sans possibilité de se prémunir contre une
telle éventualité. Ainsi, ne peut être prévisible une perte de profit sur un
contrat de revente due à un retard dans le transfert de fonds par la banque au
cocontractant de son client, alors que ce transfert devait être exécuté dans un
certain délai qui n’a jamais été révélé à la banque. Celle-ci ne peut prévoir
le dommage pouvant être causé à son client si les fonds ne sont pas transférés
dans un délai qu’elle ignore. Par contre, si le client avait dénoncé à la
banque le délai à respecter, cette dernière aurait pu prévoir le dommage causé
et en sera tenue responsable, advenant son défaut de prendre les mesures qui s’imposent
pour empêcher sa survenance.
2345. Les
frais extrajudiciaires, tels les frais d’avocat payés par chaque partie, ne
constituent pas en principe des dommages prévisibles. C’est seulement dans des
circonstances particulières que de tels frais seront admis comme dommages.
Par contre, les coûts d’expertise
[Page 888]
sont très souvent
alloués comme dommages directs et prévisibles. Ces frais permettent
généralement au demandeur d’établir ses droits ou même d’évaluer le préjudice
subi. Ils incluent
généralement le temps consacré à la rédaction du rapport et le temps que l’expert
consacre à le présenter à la Cour. Toutefois, lorsqu’il
apparaît que la présence à la Cour de l’expert n’était pas nécessaire – et, de
fait, elle l’est de moins en moins dans la nouvelle culture judiciaire
préconisée par le Code de procédure civile remanié –, le tribunal
rejette toute demande de remboursement des honoraires et dépenses à ce titre.
2346. Un
dommage est prévisible lorsqu’il était envisagé ou envisageable par les parties
au moment de la conclusion du contrat. Des
éléments trop éloignés sont souvent considérés par les tribunaux comme
imprévisibles, alors qu’ils peuvent toujours être qualifiés de résultat direct
de la faute contractuelle. Ainsi, une réclamation pour taxes municipales
porte sur un dommage prévisible lorsque le promettant-acheteur ne respecte pas
son obligation de passer le titre, mais pas lorsque le promettant-vendeur
décide de vendre la propriété quelques années après le refus du
promettant-acheteur de respecter sa promesse et réclame les taxes pour toute
cette période. Le dommage prévisible au moment de la conclusion de la promesse
ne peut porter que sur les frais et les dépenses encourus durant la première et
exceptionnellement de
[Page 889]
la deuxième année de
l’inexécution de la promesse, non pas pour une période longue ou indéfinie.
Cela dit, tout déprendra des circonstances de l’affaire et la détermination de
la période à compenser n’est pas automatique : un promettant-vendeur ne
peut aucunement prétendre avoir droit à une pleine année d’intérêts sur la
somme due. Si l’indemnisation n’est pas attribuée pour une durée adéquate, il y
a un risque d’enrichissement injustifié que les tribunaux, justement, cherchent
à éviter. Il en est de même
pour les intérêts payés par le promettant-vendeur sur sa marge de crédit ou sur
le montant de l’hypothèque à la suite de l’échec de la vente de sa maison.
2347. La
diminution de la valeur d’un immeuble due à un avis de non-conformité qui n’a
pas été dévoilé à l’acheteur par le notaire peut également être considérée
prévisible. L’écart entre le prix de vente de l’immeuble et la valeur diminuée
de la propriété doit donc indemnisé : le notaire aurait pu facilement
prévoir, au moment de la passation de titre, que la vente n’aurait pas eu lieu
au même prix et que l’acheteur ne l’aurait pas acceptée s’il avait été informé
de cet avis. De même, la non
divulgation par le débiteur d’informations concernant d’éventuels risques lors
de la conclusion du contrat, en violation de son obligation de divulgation,
rend le dommage prévisible lorsqu’il se produit par la suite.
Le créancier pourra obtenir une indemnité pour ce dommage puisque s’il avait
été informé d’éventuels risques, il aurait pu prendre des mesures préventives
afin de les éviter ou, du moins, de minimiser leur réalisation. Le débiteur qui
a manqué à son obligation d’information pouvait ou devait prévoir que son
défaut pouvait mettre le créancier dans un état où il serait exposé à un
dommage.
2) Faute
contractuelle et extracontractuelle
2348. La
règle relative à la prévisibilité des dommages s’applique dans certains cas
restreints où la faute du débiteur peut être qualifiée de faute
extracontractuelle. Il est donc nécessaire de déterminer tout d’abord le régime
de responsabilité de la faute reprochée afin de définir les critères applicables
à l’évaluation des dommages-intérêts devant être alloués.
2349. En
matière contractuelle, l’exigence supplémentaire de la prévisibilité fait en
sorte que les dommages-intérêts sont alloués dans
[Page 890]
des situations plus
restreintes qu’en matière extracontractuelle : dans le premier cas, le
dommage doit non seulement être une conséquence directe et immédiate de la
faute, mais aussi un dommage prévisible lors de la conclusion du contrat; dans
le deuxième, le dommage n’a pas à être prévisible, pourvu qu’il soit
directement lié à la faute reprochée.
2350. Une
obligation contractuelle peut aussi être implicite et son inexécution qualifiée
de faute contractuelle, avec les conséquences que cette qualification implique
sur l’évaluation du dommage. Il est donc nécessaire de procéder à une analyse
des stipulations contractuelles pour déterminer si la faute commise porte ou
non sur l’une des obligations explicites ou implicites qui en découlent. Ainsi,
la concurrence pratiquée par un franchiseur envers son franchisé constitue une
faute contractuelle, même si le contrat ne prohibe pas explicitement cette
pratique. De même, le débiteur
qui manque de prudence et de vigilance commet une faute contractuelle. Les baux
commerciaux conclus entre l’organisme chargé de la gestion d’un aéroport et les
entreprises ayant une activité reliée au transport comprennent implicitement l’exploitation
et l’existence d’une activité aéroportuaire. La décision de transférer les
activités de l’aéroport sur un autre site entraîne une perte d’achalandage et
donc un préjudice pour les locataires.
2351. Tout
contrat comporte implicitement une obligation de sécurité qui découle de sa
nature, conformément à l’article 1434 C.c.Q. Le débiteur doit agir avec
prudence lors de l’exécution de son contrat, sans qu’il soit nécessaire de le
stipuler. Son défaut d’agir ainsi constitue une violation de ses obligations et
par conséquent, une faute engageant sa responsabilité contractuelle.
3)
Exceptions
a) Cas prévus dans la
loi
2352.
Lorsque le demandeur réclame des dommages-intérêts en vertu d’une loi, même s’il
est lié au défendeur par un contrat, le
[Page 891]
critère du dommage prévisible ne s’applique
pas à sa réclamation et il n’a pas à en faire la preuve.
2353. Le
critère de prévisibilité ne s’applique pas lorsque la loi prévoit l’obligation
du débiteur d’indemniser son contractant. Ainsi, le vendeur de bonne foi est
tenu d’indemniser son acheteur pour les coûts des réparations de vices cachés,
même lorsqu’il en ignore complètement l’existence.
Ce critère ne s’applique pas non plus en matière de contrats de travail
collectifs : lors d’un arbitrage de grief, l’arbitre n’en tient pas compte
pour déterminer le montant de l’indemnité pour le préjudice subi par la faute
de l’employeur. Par contre, en
matière de contrat individuel de travail, la prévisibilité est encore de mise,
à moins qu’il ne s’agisse de cas où la partie défenderesse est de mauvaise foi.
b) Faute
intentionnelle ou lourde
2354.
Lorsque le débiteur fait défaut d’exécuter son obligation en raison de sa faute
intentionnelle ou de sa faute lourde, le
créancier pourra demander une compensation pour tous les dommages subis.
Ainsi, le débiteur sera tenu de réparer tous dommages directs, certains et
licites, qu’ils soient prévisibles ou imprévisibles.
Le débiteur doit assumer la responsabilité de sa mauvaise foi ou de
[Page 892]
sa négligence qui dénote une insouciance
grossière quant aux conséquences pouvant résulter de l’inexécution de son
obligation. La prévisibilité des
dommages au moment de la formation du contrat perd donc de l’importance en
fonction de la caractérisation intentionnelle ou lourde de la faute à l’origine
de l’inexécution de l’obligation ou qui a causé les dommages.
Même imprévus, la perte subie ou le gain manqué pourront alors être source d’indemnité
selon les règles applicables en matière contractuelle, à condition d’être une
suite directe et immédiate de l’inexécution.
2355. Enfin,
le libellé de l’article 1613 C.c.Q. fait référence à la faute de « mauvaise
foi » commise par un contractant : l’inexécution du contrat par un
débiteur de mauvaise foi est assimilable à une faute intentionnelle.
Dans ce cas, les dommages qui constituent la suite directe et immédiate de
cette inexécution doivent être compensés, même s’ils étaient imprévisibles lors
de la conclusion du contrat. À titre d’exemple, la
perte ou les gains manqués d’un sous-contractant peuvent être une suite directe
de la conduite de l’entrepreneur général de mauvaise foi qui, après lui avoir
demandé de baisser le prix de sa soumission comme condition à l’octroi du
contrat, lui a imposé un échéancier irréaliste rendant difficile toute
réalisation de profit. De même, le débiteur
d’une promesse bilatérale de vente qui, sciemment et sans motif, fait défaut de
passer titre devra compenser le gain dont le créancier a été privé.
Cette intentionnalité de la faute intentionnelle influe sur l’étendue de la
réparation.
[Page 893]
2356. Il n’est
cependant pas nécessaire que l’inexécution de l’obligation contractuelle soit
malhonnête ou malicieuse pour engendrer une
condamnation à une somme d’argent pour les dommages imprévisibles : une
faute résultant d’une insouciance ou d’une négligence grossière du débiteur, au
sens de l’article 1474 C.c.Q., est suffisante.
2357. Notons
aussi que l’article 1613 C.c.Q. ne fait pas référence au dol comme le faisaient
les articles 1074 et 1075 C.c.B.-C. La jurisprudence
a cependant assimilé cette dernière notion à la faute lourde. On peut se
demander si le dol ne devrait pas être assimilé à une faute intentionnelle et
tenir ainsi son auteur responsable des mêmes dommages-intérêts.
2358. Une
clause d’exonération de responsabilité pour des dommages matériels ne sera pas
valide dans le cas d’une faute intentionnelle ou lourde (art. 1474 C.c.Q.).
3. Dommages
directs et immédiats
A. Principe
2359. Le
dommage prévisible subi par le créancier ne peut être compensé à moins qu’il ne
soit la conséquence directe et immédiate de la faute commise par le débiteur.
Autrement dit, la preuve d’un manquement à une obligation contractuelle ne
permet pas de conclure nécessairement à l’existence d’un préjudice justifiant l’octroi
de dommages-intérêts. La victime ou le créancier ne peut non plus se contenter
de faire la preuve d’une faute commise par le défendeur, mais doit aussi
établir le préjudice qui lui a été causé par cette faute. Dans tous les cas, le
préjudice doit être le résultat réel et direct de la faute commise
et le débiteur ne peut être tenu responsable des conséquences trop éloignées de
sa faute. Ceci est une condition sine qua non de toute attribution des
dommages-intérêts, que ce soit en matière contractuelle ou extracontractuelle.
Ce principe ressort des
[Page 894]
articles 1607 et
1613 C.c.Q., de sorte que le demandeur doit établir un lien de causalité étroit
entre la faute et le dommage.
2360. À titre
d’illustration, le vendeur d’un immeuble ne pourra pas réclamer de
dommages-intérêts au courtier immobilier pour le préjudice subi suite à l’annulation
de la vente par l’acheteur, à moins de faire la preuve que cette annulation
entretient un lien de causalité avec une faute commise par le courtier. Si l’inscription
par celui-ci d’une mauvaise date de construction dans la fiche descriptive d’un
immeuble, bien que fautive, n’est pas causale de l’annulation de la vente par l’acheteur
(qui résulte plutôt de la découverte de vices cachés permise par un rapport d’inspection),
il ne saurait être tenu d’indemniser le vendeur pour le préjudice ainsi subi.
2361. Le
dommage ne constitue pas davantage une suite directe et immédiate de la faute
du débiteur lorsqu’il résulte d’une cause indépendante et postérieure à
celle-ci. En cas de nouvel acte intervenu entre le bris du contrat et la
survenance du dommage, il faut se demander si ce novus actus interveniens n’est
pas plutôt la cause du dommage. En principe, en l’absence de faute du créancier
ou d’un tel acte intermédiaire commis par d’autres personnes, la faute du
débiteur sera tenue pour cause directe et immédiate du dommage.
Il en est ainsi lorsqu’un client à qui sa banque refuse sans motif d’augmenter
le crédit décide d’ouvrir un nouveau compte auprès d’une autre banque et d’y
transférer ses fonds. Si, par la suite, la deuxième banque refuse de faire le
double endossement de chèques, causant une perte d’achalandage préjudiciable à
l’entreprise du client, la cause directe n’en est pas la faute de la première,
mais plutôt l’acte subséquent posé par elle-même.
De même, la fraude commise par les proches du détenteur d’un compte bancaire
rompt le lien de causalité existant entre la négligence de cette dernière et le
préjudice subi par le client.
2362. Afin d’évaluer
le caractère direct et immédiat des dommages, le tribunal doit tenir compte des
faits qui lui sont présentés. Ainsi, cette appréciation est une question de
fait qui relève du pouvoir
[Page 895]
discrétionnaire du
juge de première instance. La Cour d’appel ne peut intervenir et se prononcer
de nouveau sur cette question, à moins que la partie appelante ne démontre une
erreur manifeste et dominante de la part du juge de première instance.
2363. L’évaluation
des dommages-intérêts doit se faire par le tribunal en fonction d’un certain
degré de certitude et non sur une base purement spéculative.
Ces dommages-intérêts peuvent comprendre le damnom emergens (la perte
éprouvée par la victime) et le lucrum cessams (son gain manqué), mais
ils doivent, dans tous les cas, être immédiats et directs,
le débiteur ne pouvant être tenu de supporter la suite indéfinie des événements
qui peuvent se rattacher successivement à l’inexécution de son obligation.
2364. La
détermination des dommages-intérêts nécessite, dans certains cas, une
application souple des critères d’évaluation en raison de la nature du
préjudice subi et de la faute commise et eu égard à la nature de l’obligation.
En matière de préjudice corporel, le nombre possible de réclamations de la
victime est habituellement prévisible et ces réclamations se multiplient
rarement par des effets d’enchaînements. En revanche, ces effets d’enchaînement
peuvent multiplier les réclamations de dommages matériels. En effet, la perte
économique découlant de l’inexécution ou de la mauvaise exécution d’un contrat
peut se manifester ou se réaliser pendant un laps de temps plus ou moins long,
de sorte que la victime ou le créancier des dommages tardifs n’est plus
nécessairement le contractant initial du débiteur.
B. Cas d’illustration :
dommages directs
2365. Chaque
cas en est un d’espèce que la Cour évalue séparément selon sa discrétion. Le
juge tient compte des faits qui lui sont propres afin d’appliquer un critère
objectif pour déterminer l’existence d’un lien de causalité entre le dommage et
la faute reprochée. Le dommage sera considéré comme étant une conséquence
directe et immédiate de la faute du débiteur si on établit que, sans cette
faute,
[Page 896]
aucun dommage n’aurait
été causé au créancier. Il faut cependant
faire la distinction entre la prévisibilité et le lien de causalité : si
un dommage indirect ne peut être prévisible, l’inverse n’est pas toujours vrai.
2366. À titre
d’illustration, le mandant qui prétend à une indemnisation pour les troubles,
inconvénients et ennuis causés par les négligences professionnelles de son
mandataire doit établir un lien de causalité entre la faute commise et le dommage
subi. Le législateur a
voulu éviter qu’une partie soit tenue de compenser un demandeur pour des
conséquences trop éloignées de sa faute.
2367. De
même, dans le cadre d’un contrat de bail, le locateur en conflit avec son
locataire au sujet du paiement du loyer ne peut lui réclamer le remboursement
des travaux nécessaires à l’aménagement des locaux pour une nouvelle location.
Également, la banque qui accorde un prêt à un client à la suite d’une étude
environnementale réalisée par une entreprise ne peut réclamer à cette dernière
les frais de syndic de faillite de l’emprunteur dont la faillite résulte de
mauvais choix financiers et non du risque de pollution non décelé.
La victime d’un dol ne pas peut non plus réclamer le remboursement de frais de
transport de la marchandise alors qu’elle assumait initialement les frais de
transport.
[Page 897]
C. Cas d’illustration :
dommages indirects
2368. Comme
nous l’avons mentionné sous l’article 1607 C.c.Q., le débiteur ne peut être
tenu d’indemniser son créancier pour le dommage qui n’est pas la suite directe
et immédiate de la faute commise.
2369. Ainsi,
un commerçant qui a la possibilité, soit de relouer une voiture remise par le
consommateur, soit de la revendre, ne peut réclamer les frais d’un remorquage
non requis par le locataire, ni les frais de transport aux enchères, ni les
frais de la vente. Ces frais ne sont pas une conséquence directe et immédiate
de la résiliation du contrat par le locataire.
De même, suivant l’échec d’une tentative de vente, un propriétaire ne peut
réclamer à l’agent immobilier une indemnisation pour des travaux entrepris afin
de satisfaire son nouveau locataire. Il ne pourrait pas non plus obtenir un
dédommagement pour le permis de taxi que la non-réalisation de la vente l’a empêché
d’obtenir. Le propriétaire
immobilier qui a été empêché, en raison de l’échec de la vente de sa résidence,
d’en acheter une autre ne peut non plus réclamer comme dommage direct le profit
qu’il prévoyait réaliser grâce à cette acquisition,
ni le risque financier lié à son achat d’une nouvelle résidence avant la
conclusion du contrat de vente de la première.
De même, après avoir retenu les services d’un entrepreneur afin d’éliminer les
rats, le propriétaire d’une résidence ne peut lui réclamer le remboursement des
travaux effectués par la suite alors que ces travaux étaient nécessaires dès le
départ.
2370. Les
conséquences éloignées de l’inexécution d’une obligation contractuelle ne
seront pas indemnisées. Ainsi, les intérêts contractés par le vendeur dans le
cadre du financement de l’achat d’un autre bien ne seront pas remboursés :
ces intérêts ne résultent pas de l’inexécution contractuelle du
promettant-acheteur qu’il poursuit, mais de ses propres capacités financières
limitées. De même, ce promettant-vendeur
ne pourra pas réclamer au promettant-acheteur les frais de notaire résultant de
la vente de la propriété à un autre acheteur, car ils ne peuvent être imputés à
son défaut de conclure la vente. Ces
[Page 898]
frais ne peuvent
être prévisibles au moment où le promettant-acheteur s’engage à acheter l’immeuble,
puisqu’ils sont en général à la charge de l’acheteur qui réalise la vente en
confiant la préparation du contrat à son notaire. Le fait que le vendeur se
soit engagé envers le nouvel acheteur à payer les frais de la vente ne rend pas
ceux-ci exigibles du premier acheteur : ils ne sont qu’une suite indirecte
de la rupture de la promesse d’achat.
2371. La
perte de profits résultant de l’incapacité d’achat d’un bien de remplacement n’est
pas une suite directe et immédiate des fausses représentations du vendeur et ne
peut donc être compensée. De même, ne seront
pas indemnisés les dommages subis par un acheteur lorsque ces dommages
découlent de son incapacité financière à remédier à ses défauts.
2372. Lorsqu’un
locataire est obligé d’emménager dans de nouveaux locaux à cause d’un
changement de destination des lieux par le locateur, celui-ci devra lui
rembourser certaines dépenses encourues, comme la
différence de loyer et les frais de relocalisation et d’aménagement des
nouveaux locaux.
2373. Dans le
cadre du règlement d’un conflit de travail, l’arbitre ne peut, par contre,
condamner l’employeur au paiement de tous les dommages, même indirects, subis
par la personne sanctionnée.
D. Cas
particulier : vices cachés
2374. En
matière de vices cachés, l’obligation légale imposée au vendeur d’indemniser l’acheteur
pour les coûts des réparations du bien ne repose pas sur une faute quelconque
du vendeur, qui peut être de bonne foi. Par contre, la preuve de la mauvaise
foi du vendeur qui connaissait les vices cachés avant la vente, mais n’en a pas
fait part à l’acheteur permet à ce dernier de réclamer d’autres dommages, même
imprévisibles. Ces derniers, qui ne peuvent être réclamés d’un vendeur de bonne
foi, peuvent notamment représenter la perte de temps, la perte
[Page 899]
de jouissance du
bien, les inconvénients, les intérêts sur le montant accordé à titre des coûts
de réparation des vices cachés, les frais d’expertise, les frais et honoraires
extrajudiciaires, etc.. Ces dommages
résultent directement de la faute du vendeur qui a manqué à son obligation d’information.
2375. En l’absence
d’une preuve démontrant la mauvaise foi du vendeur, l’acheteur ne peut réclamer
un montant supérieur aux coûts de réparation des vices cachés. Cela dit, il ne
peut réclamer le montant de la démolition et de la reconstruction de l’immeuble
lorsqu’il pouvait simplement démolir la partie de l’immeuble affectée par les
vices cachés. D’ailleurs, l’acheteur est tenu, selon l’article 1479 C.c.Q., de
minimiser ses dommages lorsqu’il constate un vice caché. Il ne peut laisser l’immeuble
se détériorer et ainsi réclamer par la suite le montant total des réparations
dont une partie aurait pu être évitée.
2376. En
présence de vices cachés, les articles 1458 et 1590 C.c.Q. donnent la
possibilité à l’acheteur d’opter pour le maintien du contrat et la réduction du
prix de vente. Le second recours sert à l’indemnisation de l’acheteur. En cas
de réalisation de travaux de réparation, la plus-value apportée au bien sera
prise en considération lors de la détermination du montant de la réduction de prix
à être accordée à l’acheteur. En effet, l’indemnisation ne peut avoir pour
effet de produire un enrichissement injustifié de l’acheteur.
2377. Les
fondements à un recours en vice cachés sont circonscrits à l’article 1726
C.c.Q. et dans lequel il prévoit que le vendeur doit garantir à l’acheteur que
le bien est exempt de vices cachés, qui le rend impropre à l’usage auquel il
est destiné ou qui diminue tellement son utilité de sorte que l’acheteur ne l’aurait
pas acheté ou n’aurait pas payé un prix si élevé. Le vice doit donc avoir un
caractère grave. Le deuxième et alinéa de cet article nuance ce principe en
prévoyant que le vendeur n’est pas tenu de garantir le vice connu de l’acheteur
ni le vice apparent. La doctrine et la jurisprudence enseignent que le vice est
apparent lorsqu’un acheteur prudent et diligent peut le constater par un examen
visuel et attentif sans avoir besoin de recourir à un expert. Ainsi, dans le
cadre d’une action pour vice caché, l’acheteur doit démontrer, selon la balance
de probabilité, plusieurs conditions
[Page 900]
requises à l’existence
de son recours, soit que le vice dont il se plaint était caché lors de la vente
c’est-à-dire lui était inconnu, et alors qu’il s’agit d’un vice grave et
antérieur à la vente.
2378. Le vice
qui n’est pas ainsi caché ou qui était connu par l’acheteur, ou qu’il aurait dû
connaître lors de la vente ne peut faire l’objet d’une garantie à laquelle le
vendeur peut être tenu. En d’autres termes, l’acheteur ne dispose d’aucun
recours lorsqu’il a été informé d’un vice avant la vente. Dans tous les cas, l’acheteur
a une obligation de prudence et de diligence lors de l’achat et il doit
inspecter le bien comme le ferait toute personne raisonnable. Il s’agit d’une
norme objective à laquelle doit se conformer l’acheteur qui est tenu à une l’obligation
de constater le vice apparent et d’apporter une attention particulière à tout
indice pouvant présager un vice quelconque. Toutefois, ceci ne signifie pas qu’il
soit nécessaire d’avoir recours à un expert. Cependant, l’acheteur qui n’est
pas en mesure de remplir cette obligation, doit avoir recours aux services d’un
expert lorsque la situation le requiert. Ainsi, l’acheteur
qui a eu recours à un expert, il ne pourra se faire reprocher d’avoir manqué à
son devoir de prudence et de diligence si l’inspecteur n’a pas pu déceler l’existence
d’un vice caché qu’un acheteur raisonnable n’aurait pas pu lui-même déceler.
2379. Ainsi,
le vice doit être antérieur à la vente, c’est-à-dire que ses origines doivent
être antérieures à la vente, même si le vice ne se manifeste que
postérieurement à celle-ci. Pour satisfaire à la
condition d’antériorité, il n’est pas nécessaire que le vice se soit pleinement
manifesté avant la vente, le fait que le vice existe au moment de celle-ci dans
un état latent est suffisant.
2380. Quant à
la gravité du vice, elle s’évalue en fonction de la diminution de l’utilité du
bien vendu. L’appréciation de la gravité se fait en tenant compte du coût sdes
travaux de réparation, de l’importance des inconvénients subis par l’acheteur,
de la diminution réelle de la valeur du bien et du temps que l’acheteur a pris
pour le faire réparer.
[Page 901]
4. Fautes
commises par plusieurs intervenants
2381.
Plusieurs défendeurs peuvent être poursuivis dans la même action pour les mêmes
dommages, sans pour autant que leur faute respective n’entretienne de lien
causal direct et immédiat avec l’ensemble de ceux-ci. Le partage de
responsabilité sera alors effectué par la Cour. Il en est de même pour la
prévisibilité de ces dommages. À moins d’une responsabilité solidaire entre les
débiteurs, le créancier doit faire la preuve du caractère direct, immédiat et
prévisible des dommages à l’égard de chaque défendeur.
2382. De
plus, en cas de poursuite dirigée contre plusieurs défendeurs, l’un peut être
tenu responsable sur la base de la responsabilité contractuelle, alors que l’autre
engage sa responsabilité selon les règles de la responsabilité
extracontractuelle. Dans ce cas, le
demandeur ne peut être dispensé de faire la preuve de la prévisibilité du
dommage à l’égard du défendeur ayant commis une faute contractuelle. Ce dernier
ne peut en effet être condamné à payer une indemnité pour les dommages
imprévisibles, pour lesquels le demandeur peut néanmoins obtenir compensation
de la part du défendeur ayant contribué à leur survenance par sa faute
extracontractuelle.
5. Faute du
créancier
2383. Il n’existe
pas de lien causal entre la faute du débiteur et le dommage subi lorsque l’origine
de ce dommage est la propre incurie du créancier. Le client créancier ne peut
tenir son débiteur responsable des conséquences résultant de l’inexécution de
son obligation, lorsqu’il est la cause d’une telle inexécution. De même, le
créancier qui provoque par ses actes ou comportements un retard dans l’exécution
ne peut ni reprocher au débiteur ce retard, ni obtenir une indemnité pour le
préjudice qui en découle. Ainsi, le client qui a averti son notaire de ne pas
publier une hypothèque en connaissant les conséquences de son acte ne peut
ensuite prétendre que le notaire doit l’indemniser pour la perte qu’il a subie
en raison de la non-opposabilité de l’hypothèque à un tiers ayant,
[Page 902]
entre-temps, publié
ses droits au registre de la publicité foncière.
De même, un client ne peut obtenir de dommages-intérêts de son notaire, à qui
il reproche d’avoir fait défaut de publier une hypothèque sur un bien consentie
pour garantir le remboursement du prêt contracté pour en faire l’acquisition,
si la preuve démontre que le préjudice matériel lié à ce bien est dû à ce que
lui-même a déboursé le montant du prêt avant de demander la publication, alors
qu’une hypothèque universelle grevait déjà la totalité de ses actifs. La perte
subie par le client, advenant la saisie éventuelle du bien par le créancier de
premier rang, résulte de ses propres gestes hâtifs.
2384. De
même, le créancier qui commet la faute directement causale du dommage ne pourra
obtenir une indemnité pour une faute éventuelle du débiteur.
Il n’en est pas ainsi cependant si la preuve démontre la nature contributoire
de la faute du créancier, laquelle est de moindre importance que celle du
débiteur. En un tel cas, le tribunal peut conclure à un partage de
responsabilité et établir le pourcentage attribué à chaque faute.
6. La preuve
requise en cas de perte de revenus
2385. Lorsque
le dommage faisant l’objet de la réclamation consiste en une perte de revenus,
il y a lieu de tenir compte des dispositions prévues aux articles 1611 et 1613
C.c.Q. pour déterminer la nature de la preuve requise par les conclusions
recherchées par le créancier. La règle veut que ce dernier établisse l’existence
d’un lien de causalité direct et immédiat entre les gains manqués et la faute
de son débiteur par une preuve prépondérante. Cette preuve doit encore
démontrer la prévisibilité de la perte préjudiciable pour le débiteur, au
moment de la conclusion du contrat. Cette
preuve peut être difficile dans bien des cas. Il en est ainsi lorsque plusieurs
facteurs peuvent être considérés
[Page 903]
séparément comme
étant la cause du dommage, alors que ces facteurs ne sont pas tous imputables à
la faute du débiteur.
2386. En cas
de doute quant au lien de causalité, le tribunal peut se voir contraint de
rejeter la réclamation, en tout ou en partie, pour ne pas condamner injustement
le débiteur lorsque la preuve du lien de causalité entre le dommage et la faute
qu’on lui reproche est douteuse (art. 2803 C.c.Q.).
7. L’obligation
de minimiser les dommages
2387. Le
créancier a l’obligation de minimiser ses pertes en vertu de l’art. 1479 C.c.Q.
Il doit s’acquitter de cette obligation sous peine de voir sa réclamation en
dommages-intérêts réduite au montant des dommages qu’il aurait subis s’il avait
pris les mesures appropriées pour limiter ou minimiser leur étendue.
Le dommage additionnel subi en raison de son manquement d’agir ne constitue
pas, en principe, un dommage direct et immédiat résultant de la faute du
débiteur. Ainsi, s’il est admis
que les honoraires extrajudiciaires peuvent être indemnisés, ils ne le seront
pas dans leur intégralité s’il apparaît que le demandeur n’a pas tenté de les
réduire.
2388. Il en
va de même lorsque le débiteur propose au créancier de minimiser ses pertes en
lui offrant des avenues alternatives, que ce dernier refuse. C’est le cas
également lorsque l’inaction du créancier transforme un préjudice futur
incertain en préjudice futur certain. Le créancier aura alors de la difficulté
à démontrer de manière prépondérante que tous les dommages subis résultent
directement du bris de contrat. Une attitude négative
du créancier peut faciliter la contre-preuve, par le débiteur,
[Page 904]
que ces dommages ou
une partie de ces dommages résultent plutôt du refus du créancier de collaborer
pour les limiter.
2389. Par
contre, le créancier ayant cherché à minimiser ses dommages de façon appropriée
réussit souvent dans sa réclamation pour les gains manqués. S’il adopte de
bonne foi des mesures pour minimiser ses dommages, le créancier peut être
difficilement blâmé par un débiteur fautif, même si ces mesures apparaissent s’avèrent
rétrospectivement peu efficaces. Le tribunal sera moins hésitant à conclure que
le manque à gagner résulte de la faute du débiteur et non pas moyens choisis
par le créancier pour minimiser ses pertes. Il en est ainsi lorsqu’un locateur
choisit de relouer le local pour un montant inférieur au montant du loyer prévu
dans le bail afin de réduire ses pertes suite à la faute de son locataire. Il
appartient à ce dernier de supporter la différence entre le montant prévu dans
l’ancien bail et celui du nouveau loyer, ainsi que les frais encourus pour
trouver un nouveau locataire. Leur ensemble constitue un dommage résultant
directement de sa faute.
8.
Dommages-intérêts conventionnels
2390. Les
règles du régime d’indemnisation en matière contractuelle ne sont pas d’ordre
public. Les parties peuvent régler à l’amiable toute question relative aux
dommages causés par la faute de l’un des cocontractants. Elles peuvent aussi,
lors de la conclusion de leur contrat, déterminer le montant de l’indemnité à
être payée par le débiteur, advenant l’inexécution de son obligation. En effet,
l’article 1474 C.c.Q. prévoit la validité d’une clause limitative ou d’exclusion
de responsabilité pour un dommage matériel. Une telle clause présente certains
avantages pour les deux parties. Ainsi, le débiteur peut connaître dès le
départ l’étendue de sa responsabilité financière advenant son défaut d’exécuter
son obligation. Quant au créancier, il n’aura à faire la preuve ni du quantum
des dommages, ni de leur caractère prévisible advenant le cas où son débiteur
fait défaut d’exécuter le contrat. Il suffit qu’il démontre que les conditions
d’application de la clause pénale sont réunies. Cependant, une telle clause
peut lui être désavantageuse dans le cas où le dommage subi par la faute du
débiteur est d’une valeur supérieure au montant prévu par la clause pénale.
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