Art. 1525. La solidarité entre les débiteurs ne se présume pas;
elle n’existe que lorsqu’elle est expressément stipulée par les parties ou
prevue par la loi.
Elle est, au
contraire, presume entre les débiteurs d’une obligation contractée pour le
service ou l’exploitation d’une entreprise.
Constitue
l’exploitation d’une entreprise l’exercice, par une ou plusieurs personnes,
d’une activité économique organisée, qu’elle soit ou non à caractère
commercial, consistant dans la production ou la réalisation de biens, leur
administration ou leur aliénation, ou dans la prestation de services.
|
|
Art. 1525. Solidarity
between debtors is not presumed; it exists only where it is expressly
stipulated by the parties or provided for by law.
Solidarity
between debtors is presumed, however, where an obligation is contracted for
the service or operation of an enterprise.
The carrying on
by one or more persons of an organized economic activity, whether or not it
is commercial in nature, consisting of producing, administering or alienating
property, or providing a service, constitutes the operation of an enterprise.
|
C.C.B.-C.
1105. La
solidarité ne se présume pas; il faut qu’elle soit expressément stipulée.
Cette règle cesse dans les cas où la
solidarité a lieu de plein droit en vertu d’une disposition de la loi.
Elle ne s’applique pas non plus aux
affaires de commerce, dans lesquelles l’obligation est présumée solidaire,
excepté dans les cas régis différemment par des lois spéciales.
O.R.C.C. (L. V, DES OBLIGATIONS)
158. Les
débiteurs d’une même obligation sont présumés solidaires.
159.
Toutefois, lorsque plusieurs personnes s’engagent par un même contrat à payer
une somme d’argent, elles ne sont pas présumées solidaires.
C.c.Q. : art. 397, 1292, 1334, 1370, 1384, 1480, 1526, 2118, 2144, 2156,
2221, 2224, 2246, 2254, 2274, 2326 et 2352.
1. Généralité
629. Cet
article reprend substantiellement les dispositions énoncées à l’article 1105 C.c.B.-C.
relatives aux présomptions de solidarité. Ainsi, la solidarité passive ne se
présume pas entre les débiteurs. Elle doit être expressément stipulée dans la
convention ou prévue par la loi.
[Page 240]
630.
Contrairement aux dispositions de l’Office de révision du Code civil
qui proposaient de modifier le droit antérieur afin d’établir une présomption
générale de solidarité entre les débiteurs d’une même obligation, le
législateur a préféré maintenir les règles en vigueur sous l’ancien régime,
puisque rien ne justifie une présomption générale de solidarité. En fait, même
si certains codes étrangers se sont engagés dans
cette voie, il semble préférable de maintenir la règle exigeant que la
solidarité en matière civile soit stipulée contractuellement puisqu’elle a
ainsi l’avantage d’attirer l’attention du débiteur sur la portée de son
engagement.
2. Contrats
civils : la solidarité doit être expressément stipulée
631. En
matière civile, la solidarité entre les débiteurs ne se présume pas (art. 1525
al. 1 C.c.Q.), elle doit être expressément stipulée.
Le créancier qui prétend à l’existence d’une obligation solidaire doit
démontrer de façon bien arrêtée l’intention des débiteurs de s’engager
solidairement, puisque la solidarité
est une exception au principe de la divisibilité des obligations.
632. Peu
importe la phraséologie utilisée dans la convention, l’intention des parties
doit être claire et précise. La présence des termes « solidaire » ou « solidarité »
n’est toutefois pas nécessaire, pourvu que la volonté des parties soit évidente
dans l’acte d’engagement. Ainsi, l’emploi du mot « endosse » dans un
contrat n’a pas pour effet de créer une obligation solidaire entre les
codébiteurs. Ce mot peut signifier « prendre
à son compte, assumer » et, conséquemment, il pourrait aussi bien servir à
désigner un cautionnement. En cas de doute sur l’intention des débiteurs, l’obligation
ne pourra être présumée solidaire.
[Page 241]
633.
Rappelons qu’en matière civile la preuve testimoniale est inadmissible lorsque
la valeur du contrat est de plus de 1500 dollars (art. 2862 C.c.Q.). Même dans
le cas où cette preuve est admissible, la règle de la meilleure preuve s’impose
et en l’absence d’un écrit attestant l’acceptation des codébiteurs d’assumer
solidairement l’obligation, le témoignage du créancier sur l’existence d’un tel
engagement peut être insuffisant ou risque de soulever le doute dans l’esprit
du juge.
634.
Également, l’engagement solidaire doit remplir les critères prévus à l’article
1523 C.c.Q.; les débiteurs doivent
notamment être obligés à une même et unique chose envers le créancier, de
manière à ce que chacun puisse être séparément contraint à son exécution
entière.
635. Il
importe de souligner que l’obligation in solidum (solidarité imparfaite)
constitue une dérogation à la règle du premier alinéa de l’article 1525 C.c.Q.
selon lequel la solidarité ne se présume pas, mais doit être prévue par la loi
ou stipulée par les parties. Ainsi, le juge peut
conclure à la responsabilité solidaire imparfaite entre les défendeurs lorsque
la preuve révèle que les conditions requises par l’article 1480 C.c.Q. sont
remplies.
636. Enfin,
il importe de noter que les règles prévues à l’article 1525 C.c.Q. ne sont pas
d’ordre public et, conséquemment, il est possible pour les parties d’y déroger
soit en stipulant la solidarité lorsque celle-ci ne se présume pas ou l’exclure
lorsqu’elle est présumée en raison de la nature du contrat.
A.
Solidarité dans les actes unilatéraux
637. La
solidarité peut aussi résulter d’un acte unilatéral. Il en est ainsi lorsqu’un
testateur lègue ses biens à ses légataires à titre universel conditionnellement
à l’acceptation de ces derniers d’exécuter une obligation solidaire au bénéfice
d’un autre légataire particulier. L’acceptation de la légation par chacun des
légataires, même par un acte séparé, confirme l’engagement solidaire stipulé
par le testament.
[Page 242]
De même, en cas de
retrait ou d’une révocation prématurée d’une offre de contracter par ses
auteurs, ces derniers engagent leur responsabilité solidaire envers le
destinataire de l’offre si la nature du contrat envisagé est d’entreprise.
3. Solidarité
stipulée par la loi
638. La
solidarité peut également résulter d’une disposition expresse de la loi. À
titre d’illustration, les articles 1480 et 1526 C.c.Q. établissent un régime de
responsabilité solidaire entre les auteurs de fautes extracontractuelles.
Le premier article régit les situations dans lesquelles un préjudice découle de
la faute collective de plusieurs personnes, ou de plusieurs fautes dont on ne
peut déterminer de façon exacte laquelle est causale, alors que toutes peuvent
l’être. Quant à l’article 1526 C.c.Q., il précise que, dans le cadre de la
responsabilité extracontractuelle, les personnes ayant causé un préjudice à
autrui par leur faute commune sont tenues solidairement à sa réparation.
639. En
matière contractuelle, on trouve également plusieurs dispositions prévoyant une
responsabilité solidaire entre les codébiteurs envers leur créancier. À titre d’exemple,
l’article 2118 C.c.Q. prévoit que l’entrepreneur, l’architecte et l’ingénieur
qui ont dirigé ou surveillé les travaux, et le sous-entrepreneur pour les
travaux qu’il a exécutés sont tenus solidairement responsables envers le client
pour la perte ou la ruine de l’immeuble survenue dans les cinq ans de la fin
des travaux. De même, les articles 1334 et 2144 C.c.Q. prévoient que les
administrateurs et mandataires nommés pour la même affaire sont responsables
solidairement de l’exécution de leurs obligations envers le bénéficiaire ou le
mandant. Aussi, selon l’article 2326 C.c.Q., des personnes qui empruntent
ensemble le même bien afin d’en faire l’usage sont solidairement responsables
envers le prêteur pour les dommages causés à ce bien par l’une d’entre elles.
Enfin, mentionnons que la Loi sur la protection du consommateur complète
l’article 1525 C.c.Q. en prévoyant la responsabilité solidaire du fabricant et
du vendeur.
640. En
matière familiale, l’époux qui contracte une obligation pour subvenir aux
besoins courants de la famille, engage solidairement la responsabilité de son
conjoint envers le créancier pour l’exécution de cette obligation, conformément
à l’article 397 C.c.Q. Il faut préciser que la notion de « conjoint »
mentionnée à l’article 397 C.c.Q. doit s’interpréter de manière
[Page 243]
large et libérale,
afin d’y inclure les conjoints de fait. Le
législateur a aussi prévu expressément à l’article 89 de la Loi sur l’aide
aux personnes et aux familles, que les conjoints sont tenus solidairement
au remboursement d’un montant obtenu par l’un des conjoints en vertu d’un
programme d’aide financière de dernier recours à la suite de fausses
déclarations données concernant son état familial ou sa situation financière.
641. Dès
lors, la présomption de non-solidarité ne s’applique pas puisque la loi prévoit
expressément le contraire. En effet, pour écarter
la solidarité prévue par la loi, il faut que le créancier renonce expressément
à cette solidarité, cette renonciation ne se présumant pas.
4. Contrats
conclus au cours des activités d’une entreprise
A. Notions
et portée de la règle
642. Le
deuxième alinéa de l’article 1525 C.c.Q. édicte une présomption de solidarité
lorsque des débiteurs ont contracté une obligation pour le service ou l’exploitation
d’une entreprise. Cette présomption
suppose l’existence d’un contrat commun auquel sont parties les codébiteurs
visés qui ont contracté les mêmes obligations.
Elle doit toutefois recevoir une interprétation large et libérale.
Ainsi, deux entreprises utilisant les mêmes documents libellés à leur nom
respectif et ayant un porte-parole
[Page 244]
unique et commun
peuvent être considérées comme étant liées solidairement pour les obligations
contractées par ce dernier même si elles sont faites seulement pour le bénéfice
de l’une d’elles. Il en est de même,
dans le cas d’achat d’actions conjointement par deux compagnies.
643. Notons
que pour qu’il y ait solidarité, il faut que les débiteurs soient tous obligés
à une même et unique chose, car la présomption de
solidarité ne peut avoir pour effet de modifier les relations juridiques des
parties n’ayant aucun lien contractuel entre elles.
Également, ce n’est pas la relation entre les débiteurs qui doit déterminer si
nous sommes en présence d’une obligation contractée pour le service d’une
entreprise, mais plutôt la relation entre les débiteurs et le créancier.
644. Pour qu’il
y ait présomption de solidarité, il faut donc que les obligations aient été
contractées dans le même cadre contractuel. Ainsi, l’entrepreneur ayant
installé des pièces défectueuses conçues par un fabricant qu’il a lui-même
choisi sera solidairement responsable avec ce dernier des problèmes occasionnés
par le mauvais fonctionnement de ses installations. Leurs obligations ayant été
contractées dans le même cadre contractuel, leur responsabilité découle alors
de la même source, la malfaçon des pièces qui est le résultat de l’exécution de
leurs obligations. À l’inverse, l’entreprise
ayant fait affaire avec un courtier immobilier pour l’achat d’un immeuble ne
pourra être tenue solidairement responsable avec ce dernier pour le paiement d’une
partie de la commission que le courtier avait convenu de partager avec un
collègue dans une entente séparée et intervenue précédemment entre eux. La
transaction effectuée entre le courtier immobilier et l’entreprise n’étant pas
liée par l’entente que ce dernier avait préalablement conclue avec son collègue.
[Page 245]
645. Enfin,
soulignons que la solidarité se présume entre les personnes ayant contracté une
obligation en tant que débiteurs pour l’exploitation d’une entreprise, et cela
même si l’une d’elles n’a aucun intérêt dans l’obligation, mais agit en fait à
titre de caution. Cette dernière ne peut
plus invoquer le bénéfice de discussion et de division à l’encontre de la
réclamation du créancier en raison de son engagement d’assumer solidairement
avec le débiteur l’obligation contractée.
646. La
promesse ou l’offre acceptée doit recevoir la même qualification que le contrat
envisagé. Ainsi, lorsque la promesse ou l’offre de contracter vise à conclure
un contrat d’entreprise, la nature de cette promesse ou offre devra être la
même que celle du contrat envisagé : la responsabilité des promettants ou
des offrants advenant leur défaut de s’y conformer devra être solidaire. En
fait, la faute contractuelle qui résulte d’un défaut d’exécution de la promesse
ou de l’offre visant la conclusion d’un contrat qui sera qualifié d’entreprise
engage la responsabilité solidaire des promettants ou offrants fautifs. La
condamnation en dommages-intérêts pour le préjudice qui résulte d’un bris d’une
promesse ou d’une offre de contracter doit être solidaire contre les
promettants ou les offrants et ne peut être conjointe. Il semble qu’il y ait
une confusion entre l’obligation de réparer le préjudice résultant d’un défaut
de remplir une promesse ou une offre donnant lieu à la conclusion d’un contrat
d’entreprise où les codébiteurs doivent être tenus solidairement responsables,
et une obligation en nature indivisible à laquelle sont tenues plusieurs
codébiteurs. Dans ce dernier cas, bien que le créancier puisse exiger l’exécution
d’une obligation en nature à l’un ou à l’autre des codébiteurs conjoints, sa
réclamation en dommages-intérêts pour son inexécution se divise comme une
obligation conjointe.
1) Notion d’exploitation
d’une entreprise
647. Le
troisième alinéa de l’article 1525 C.c.Q. définit ce que constitue l’exploitation
d’une entreprise. Cependant, cette définition ne dissipe pas toutes les
incertitudes, car la généralité des termes employés laisse beaucoup de pouvoir
aux tribunaux pour élargir l’application de la règle à des cas qui peuvent être
à première vue considérés exclus. Bien que cette définition rejoigne les
enseignements de la doctrine et de la
[Page 246]
jurisprudence, de
même que le concept d’entreprise utilisé par les lois fiscales,
il faut s’attendre à une évolution du droit en cette matière.
648. La
notion d’entreprise est donc plus large que celle de « commerce » que
l’on retrouvait sous l’ancien régime. Elle
englobe désormais les activités artisanales, agricoles,
professionnelles, ou fondées sur la coopération.
Elle peut donc s’entendre d’une activité économique organisée relativement à
des biens ou à des services. Il n’est pas
nécessaire que l’exploitation ait un caractère « commercial », ni qu’elle
ait une connotation de bénéfice pécuniaire. Par exemple, une association peut
exploiter une entreprise malgré le fait que le but commun ne soit pas la
réalisation de bénéfices pécuniaires à partager.
649. Le champ
de la solidarité a donc été élargi avec la nouvelle définition d’entreprise.
Ainsi, tout acte juridique conclu en conformité avec l’objet de l’entreprise,
tout en tenant compte de circonstances particulières, peut être considéré comme
un acte conclu dans le cours des activités d’une entreprise. Il en est ainsi
lorsque deux personnes concluent une entente portant sur l’exploitation d’un
garage avec hangar situé dans un immeuble commercial appartenant à l’une d’elles.
L’objet
[Page 247]
de l’entente porte
donc sur l’exploitation d’une entreprise dans le but de réaliser des profits.
Il s’agit d’une activité économique organisée, relative à un bien et à la
fourniture de services. L’entente doit être qualifiée de contrat d’entreprise
au sens de l’article 1525 al. 3 C.c.Q..
650. On
constate, depuis l’entrée en vigueur du Code civil du Québec, une
tendance à étendre la notion d’entreprise au-delà du caractère commercial d’une
activité économique. Ainsi, on a considéré comme une entreprise au sens de l’article
1525 al. 3, l’exercice de la profession de notaire,
l’exercice de la profession d’avocat, l’activité
du courtier en assurances, celle du promoteur
immobilier, celle d’un syndicat
professionnel, l’exploitation d’une
garderie et d’un foyer d’accueil
pour personnes âgées.
651. Ne font
toutefois pas partie de la notion d’exploitation d’une entreprise les activités
des organismes à vocation administrative ou publique, tels que les ordres
professionnels ou la Commission des valeurs mobilières compte tenu de leur
caractère public, politique, administratif ou social.
2) Éléments
permettant de conclure à l’exploitation d’une entreprise
652. L’essentiel
de l’exploitation d’une entreprise, au sens de l’article 1525 C.c.Q., consiste
en l’exercice d’une activité économique organisée. La personne physique ou
morale exerçant une activité d’entreprise, doit offrir la vente des biens ou
des prestations de services de façon
[Page 248]
organisée. La notion
d’activité économique organisée suppose également la présence d’une répétition
d’acte et d’une régularité dans les opérations faisant l’objet de cette
activité. Ainsi, les opérations occasionnelles ou isolées ne s’apparentent pas
à une activité économique organisée, et ne pourraient pas constituer l’exploitation
d’une entreprise.
653. D’autres
éléments ont cependant été retenus pour conclure à l’existence d’une
entreprise. Ainsi, il doit y avoir un plan précisant les objectifs économiques
de l’entreprise, en fonction duquel l’activité est organisée. Il doit aussi y
avoir des actifs reliés à la poursuite des objectifs et des actes juridiques
habituels et usuels faits dans la poursuite des objectifs préétablis et
impliquant l’entreprise. Enfin, on doit retrouver la présence d’autres
intervenants économiques (comme la clientèle) et d’une valeur économique ou d’un
bénéfice directement attribuable aux efforts de l’entreprise.
654. Notons
que si l’exploitation d’une entreprise implique toujours l’exercice d’une
activité économique organisée, l’inverse n’est pas nécessairement vrai. En
effet, pour que l’exercice d’une activité économique organisée constitue l’exploitation
d’une entreprise, cette activité doit elle-même être la mission, l’objectif ou
le but de l’organisme visé. Si l’activité économique organisée n’est exercée
que pour atteindre la mission de l’organisme, il ne peut être question d’exploitation
d’une entreprise au sens du Code civil et de la loi. Ainsi, une congrégation
religieuse ne constitue pas une entreprise même si elle gère des dons reçus et
administre les biens acquis grâce à ces dons. Sa mission demeure malgré tout
religieuse et l’administration d’offrandes n’est effectuée que pour atteindre
cet objectif d’exercer une activité religieuse.
655. L’exploitation
d’une entreprise n’est pas nécessairement et uniquement le fait d’un
entrepreneur au sens du contrat d’entreprise, ni d’un prestataire de services
au sens du contrat de prestation de services. La
qualification des activités d’une personne est une question de fait devant être
déterminée selon une approche individualisée, tenant
[Page 249]
compte de chaque cas
particulier. Il faut toutefois
donner à l’article 1525 al. 3 C.c.Q. une interprétation conforme à l’esprit et
à l’intention du législateur, surtout dans le contexte des diverses lois
trouvant application à une situation particulière, en tenant compte de l’objectif
de ces lois.
3) La notion
d’entreprise : champ d’application
656. La
définition d’entreprise prévue à l’alinéa 3 de l’article 1525 C.c.Q. revêt une
importance particulière, puisqu’elle établit des critères à être appliqués par
les tribunaux, non seulement pour déterminer s’il y a une solidarité entre les
débiteurs tenus à une même obligation envers le créancier, mais aussi pour
décider de l’application d’autres règles de droit.
a) Application en
matière de règles de preuve
657. Il en
est ainsi lorsque la question soulevée est relative aux règles de la preuve. À
titre d’exemple, l’article 2862 al. 2 C.c.Q. permet la preuve testimoniale d’un
acte juridique à condition que celui-ci soit intervenu dans le cours des
activités d’une entreprise. Le tribunal, pour trancher cette question de
preuve, doit décider si l’une des parties à cet acte exploite une entreprise,
et si l’acte en question a été effectivement conclu dans le cours normal de l’activité
de cette entreprise, faisant ainsi appel aux critères prévus à l’article 1525
al. 3 C.c.Q..
b) Contrat de
consommation
658. Cette
définition constitue également une référence en matière de contrats de
consommation. En effet, la Loi sur la protection du consommateur
ne définit pas le « commerçant ». Il faut donc se référer à la
définition prévue à l’article 1384 C.c.Q. relativement au contrat de
consommation qui nous réfère également à la notion d’entreprise établie à l’alinéa
3 de l’article 1525 C.c.Q. Pour qu’il y ait un contrat de consommation, deux
conditions sont requises : premièrement, il faut que le contrat soit
intervenu dans le cours de l’activité d’une entreprise;
[Page 250]
deuxièmement, l’activité
de cette entreprise doit être une activité économique exercée dans un but
lucratif sans qu’elle soit nécessairement à caractère commercial.
c) Vente du bien d’autrui
659. De même,
en matière de vente des biens d’autrui, l’article 1714 C.c.Q. donne à l’acheteur
de bonne foi le droit de se faire rembourser le prix de la vente d’un bien
aliéné dans le cours des activités d’une entreprise qui serait revendiqué par
son véritable propriétaire.
d) Hypothèque
mobilière sans dépossession
660. Les
critères établis à l’article 1525 al. 3 C.c.Q. trouvent également leur
application lorsqu’on doit décider de la validité d’une hypothèque mobilière
sans dépossession consentie par le débiteur. Selon l’article 2683 C.c.Q., cette
hypothèque ne peut être valide que si ce dernier exploite une entreprise au
sens de l’article 1525 C.c.Q. et que l’hypothèque grève les biens de cette
entreprise.
e) Détermination de la
nature de l’activité de l’entreprise en matière de saisie
661. Dans
certains cas, le tribunal aura à accomplir une tâche difficile qui ne se limite
pas à déterminer si le débiteur exploite ou non une entreprise au sens de l’article
1525 al. 3 C.c.Q. En effet, en cas de saisie des biens de l’entreprise par le
créancier, il faut déterminer la nature de l’activité de l’entreprise, car s’il
s’agit d’une activité professionnelle, l’article 694 C.p.c. permet au débiteur
qui exploite l’entreprise de soustraire à la saisie les instruments de travail
nécessaires à l’exercice personnel de son
[Page 251]
activité
professionnelle. L’article 694 C.p.c.
doit recevoir une interprétation restrictive puisqu’il pose les limites de l’exception
au principe général, selon lequel les biens du débiteur sont affectés à l’exécution
de ses obligations et constituent le gage commun de ses créanciers.
662. Les
biens qui peuvent être soustraits à la saisie sont ceux qui permettent à une
personne d’exercer sa profession, qu’il y ait ou non une entreprise. Les
activités d’un marchand au détail et en gros ne constituent pas une activité
professionnelle lui permettant de soustraire à la saisie la voiture utilisée
comme moyen de transport. En revanche, un chauffeur de taxi qui tire ses
revenus de l’utilisation de son automobile peut l’en soustraire,
sauf si cette dernière est grevée d’une hypothèque mobilière. Notons que le
métier de chauffeur de taxi consiste en une activité économique organisée à
caractère commercial et répond donc aux critères d’une entreprise.
Quant au marchand qui tire ses revenus de la vente de produits et non pas
directement de l’automobile, il ne peut soustraire sa voiture de la saisie même
s’il l’utilise pour transporter les marchandises qu’il vend à ses clients,
étant donné qu’il peut les faire acheminer par un tiers.
663. De même,
le camion d’un cultivateur qui sert à l’exploitation de sa ferme peut être
soustrait d’une saisie, puisqu’il s’agit d’un outil servant à l’exploitation
agricole. Celui qui exerce le métier de pêcheur peut aussi invoquer l’insaisissabilité
de son camion réfrigéré, nécessaire pour compléter les opérations de pêche.
Cependant, il faut noter qu’un chirurgien-dentiste ne peut s’opposer à la
saisie de ses actions dans une compagnie dont il est le seul actionnaire, sous
le prétexte que les seuls actifs de cette compagnie sont les équipements dont
il se sert pour exercer sa profession. En effet, les actions d’une compagnie ne
sont pas des biens énumérés à l’article 694 C.p.c..
664. Selon l’article
2648 C.c.Q., les meubles du débiteur qui garnissent sa résidence principale et
servent à l’usage du ménage, pourront également être soustraits de la saisie.
Quant au second alinéa de l’article 2648 C.c.Q., il permet de soustraire à la
saisie les
[Page 252]
instruments de
travail nécessaires à l’exercice d’une activité professionnelle, plus
précisément les instruments qui permettent à un individu d’exercer sa
profession en dehors de toute notion d’entreprise. Ainsi, un particulier pourra
soustraire de la saisie ses outils ou les objets qui lui permettent d’exercer son
art, son métier ou sa profession lorsque ces biens se trouvent dans sa
résidence. Il ne peut cependant soustraire l’ameublement de son bureau ou les
appareils ou machines qui transforment l’exercice de l’activité en exploitation
d’une entreprise.
665. L’article
2644 C.c.Q. établit à l’égard du débiteur une présomption de caractère
saisissable des biens. Ce dernier peut toutefois renverser cette présomption et
établir, selon la balance des probabilités, chacun des éléments de l’exception,
à savoir qu’il exerce une activité professionnelle, que les biens saisis dont
il revendique la mainlevée sont, selon la règle prévue à l’article 694 C.p.c.,
des instruments de travail, que ces instruments de travail lui sont nécessaires
à l’exercice de son activité professionnelle, et enfin que l’exercice de cette
activité est personnel en ce qu’elle ne constitue pas l’exploitation d’une
entreprise.
[Page 253]
B.
Renonciation au bénéfice de solidarité
666. La
renonciation à la solidarité ne se présume pas; elle doit être expresse.
Ainsi, la stipulation qui exclut la solidarité entre les codébiteurs doit
exprimer sans équivoque l’intention du créancier de renoncer au bénéfice de
solidarité prévue dans la loi.
667. Comme la
solidarité se présume lorsque plusieurs personnes exploitent une entreprise au
sens de l’article 1525 al. 3 C.c.Q., les débiteurs qui ne veulent pas qu’il y
ait solidarité entre eux doivent l’exclure expressément par une stipulation
contractuelle, avec le consentement express du créancier. Cette exclusion est
possible car l’article 1525 C.c.Q. n’est pas une disposition d’ordre public et
établit une présomption simple seulement.
668. Enfin,
la validité d’une renonciation au bénéfice de solidarité dépend de l’intention
exprimée par le créancier et non pas de celle des codébiteurs, qui importe peu.
L’intention du créancier doit être non seulement sans équivoque, mais aussi
donnée en toute connaissance de cause. Il appartient aux codébiteurs de faire
la preuve quant à cette validité. Le créancier peut cependant demander la
nullité de la stipulation excluant la solidarité en faisant la preuve de l’une
des causes pour lesquelles le contrat peut être annulé.