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Table des matières
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Article 9
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Charte canadienne des droits et libertés (partie I de la Loi constitutionnelle de 1982 constituant l'annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.-U.), 1982, c. 11)
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GARANTIES JURIDIQUES
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Article 9
Détention ou emprisonnementChacun a droit à la protection contre la détention ou l’emprisonnement arbitraires.
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Section 9
Detention or imprisonmentEveryone has the right not to be arbitrarily detained or imprisoned.
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Annotations
Alter Ego : Chartes des droits de la personnee (2022) par Henri Brun, Pierre Brun et Fannie LafontaineExtraits de : Henri Brun, Pierre Brun et Fannie Lafontaine, Chartes des droits de la personne : Législation, jurisprudence et doctrine, Collection Alter Ego, 35e éd., Montréal, Wilson & Lafleur, 2022 ( version intégrale dans eDOCTRINE). L'authentification est requise pour accéder à ce contenu Traité de droit criminel. Tome IV, Les garanties juridiques (2021) par Hugues ParentExtraits de : Parent, Hugues, Traité de droit criminel. Tome IV, Les garanties juridiques, 2e éd., Montréal, Wilson & Lafleur, 2021 ( version intégrale dans eDOCTRINE).
Chapitre troisième - L’article 9
302. Nous devons maintenant quitter le
domaine de la vie privée, de la protection contre les fouilles, saisies et
perquisitions abusives, pour entrer dans les régions de la liberté, du choix de
l’individu de coopérer ou non avec les policiers. Aux termes de l’article 9 de
la Charte : « chacun a le droit à la protection contre la détention
ou l’emprisonnement arbitraires ». Envisagé du point de vue de l’accusé,
l’article 9 vise « à protéger la liberté individuelle contre l’ingérence
injustifiée de l’État ». La détention,
l’arrestation et, à plus forte raison, l’emprisonnement constituent donc
l’ensemble des mesures visées par cette disposition. Quant à l’étendue de la
protection constitutionnelle, l’article 9 interdit la détention « arbitraire »
du prévenu, la suspension de son droit à la liberté qui n’est pas autorisée par
la loi ou la common law. D’un côté, le
maintien de la paix, la prévention et la répression du crime et « de
l’autre, le respect de la liberté et de la dignité fondamentale des individus ».
La protection contre la détention ou l’emprisonnement arbitraires s’inscrit
donc dans cette tension, dans cet espace où s’affrontent les intérêts de l’État
et ceux de l’accusé.
303. Comme la protection contre la détention
ou l’emprisonnement arbitraires suppose la présence d’une intervention
policière
[Page 460]
à l’origine de la
suspension du droit à la liberté de l’individu, c’est de ce côté que nous
allons commencer notre étude de l’article 9 de la Charte. À l’examen de la
définition de la détention, succédera une analyse des différentes formes de
détention actuellement reconnues par la loi ou la common law.
Première
section : La définition de la détention
304. Du latin detinere, qui signifie « retenir,
empêcher, tenir occupé », la détention désigne « la suspension du
droit à la liberté d’une personne par suite d’une contrainte physique ou
psychologique considérable ». La suspension
du droit à la liberté d’une personne, tout d’abord, puisqu’un individu qui « n’est
pas libre de partir », qui est « privé du choix de s’en aller »
ou « de collaborer ou non avec la police », fait l’objet d’une
détention. Ici, la perte de liberté doit être réelle pour engager la protection
constitutionnelle. La personne qui est « retenue » ou simplement « retardée »
n’est pas détenue au sens de l’article 9. C’est
pouquoi le policier qui s’adresse à un passant, qui parle à un témoin ou qui
aborde un suspect afin de voir « ce qui se passe », n’est pas tenu
d’informer l’individu de son droit à l’assistance d’un avocat.
La détention,
[Page 461]
rappelons-le, exige
une contrainte physique ou psychologique considérable.
Une entrave mineure ou négligeable n’est pas suffisante à ce stade. Il en
va également des interventions policières « qui ne compromettent pas
sérieusement les droits des personnes interpellées ».
Sans être limitée à la prise de contrôle physique du suspect ou de la personne
concernée, il est évident que la contrainte physique ou la menace de
contrainte physique constitue la forme la plus envahissante de détention.
Ici, l’État s’empare du détenu. L’emprisonnement, qui consiste à maintenir une
personne contre son gré dans un lieu fermé, et l’arrestation, qui désigne le
fait « de se saisir d’une personne ou de la toucher dans le but de la
détenir », correspondent,
de toute évidence, à cette définition. La
personne détenue se trouvant sous le pouvoir coercitif de l’État, elle doit
bénéficier des droits et garanties conférés par la Charte.
305. Quant à la détention découlant d’une
contrainte psychologique appréciable, celle-ci « se produit [...]
(1) lorsque le plaignant est “légalement tenu de se conformer à un ordre ou à
une sommation” d’un policier (c’est-à-dire en vertu de l’application régulière
de la loi), ou (2) lorsque plaignant n’est pas légalement tenu
d’obtempérer à un ordre ou à une sommation, “mais qu’une personne raisonnable
se trouvant dans la même situation se sentirait obligée de le faire” et
“conclu[rait] qu’elle n’est pas libre de
[Page 462]
partir” ».
L’ordre de fournir des échantillons d’haleine, conformément à l’ancien par.
235(1) du Code criminel, est un exemple de sommation donnant lieu à une
détention. Ici, l’individu n’est pas libre de s’en aller. Il n’a pas d’autres
choix que d’obtempérer à l’ordre du policier. Comme l’indique le juge Le Dain,
dans R. c. Therens, « [i]l est irréaliste de dire d’une
personne qui est passible d’arrestation et de poursuites pour refus
d’obtempérer à une sommation faite par un agent de la paix dans l’exercice du
pouvoir que lui confère la loi, qu’elle est libre de refuser d’obtempérer à
cette sommation ». En ce qui
concerne la personne qui n’est pas légalement tenue de se conformer à un ordre
ou à une sommation, la détention se produit lorsqu’une personne raisonnable
placée dans la même situation que l’accusé conclurait qu’elle n’est pas libre
de partir et qu’elle doit obtempérer à l’ordre ou à la sommation des policiers.
Bien que pertinente, la perception subjective de l’accusé à l’égard de sa
situation est rarement concluante. C’est que « l’analyse
fondée sur l’art. 9 ne devrait
[Page 463]
pas porter
principalement sur ce qui se passait dans l’esprit de l’accusé à un moment
précis, mais plutôt sur la façon dont les policiers ont agi et, eu égard à
l’ensemble des circonstances, sur la manière dont un tel comportement serait
raisonnablement perçu ». Pour
déterminer si une personne raisonnable placée dans les mêmes circonstances
aurait cru que sa liberté de choix était contrainte par la conduite des
policiers, la Cour suggère de tenir compte a) des circonstances à l’origine du
contact avec les policiers telles que la personne en cause a dû raisonnablement
les percevoir; b) de la nature de la conduite des policiers et c) des
caractéristiques ou de la situation particulière de la personne visée. Sans
être exhaustive, cette liste de facteurs permet aux tribunaux de déterminer si
et quand la conduite des policiers s’est transformée en détention,
déclenchant ainsi la protection constitutionnelle. En effet :
« 1. La détention visée aux art. 9 et
10 de la Charte s’entend de la suspension du droit à la liberté d’une personne
par suite d’une contrainte physique ou psychologique considérable. Il y a
détention psychologique quand l’individu est légalement tenu d’obtempérer à une
demande contraignante ou à une sommation, ou quand une personne raisonnable
conclurait, compte tenu de la conduite de l’État, qu’elle n’a d’autre choix que
d’obtempérer.
2. En l’absence de contrainte physique ou
d’obligation légale, il peut être difficile de savoir si une personne a été
mise en détention ou non. Pour déterminer si une personne raisonnable placée
dans la même situation conclurait qu’elle a été privée par l’État de sa liberté
de choix, le tribunal peut tenir compte, notamment, des facteurs suivants :
a)
Les circonstances à l’origine du contact avec les policiers telles que la
personne en cause a dû raisonnablement les percevoir : les policiers
fournissaient-ils une aide générale, assuraient-ils simplement le maintien de
l’ordre, menaient-ils une enquête
[Page 464]
générale
sur un incident particulier, ou visaient-ils précisément la personne en cause
dans le cadre d’une enquête ciblée ?
b)
La nature de la conduite des policiers, notamment les mots employés, le recours
au contact physique, le lieu de l’interaction, la présence d’autres personnes
et la durée de l’interaction.
c)
Les caractéristiques ou la situation particulières de la personne, selon leur
pertinence, notamment son âge, sa stature, son appartenance à une minorité ou
son degré de discernement. »
306. Les circonstances à l’origine du
contact avec les policiers telles que la personne en cause a dû raisonnablement
les percevoir, tout d’abord, puisqu’il est évident qu’un policier qui
répond à une demande d’aide ou « à une
urgence médicale à la suite d’un appel au 911 ne détient pas les personnes avec
qui il interagit et ce, même s’il restreint effectivement leur liberté de
mouvement en prenant la direction des opérations ».
Cette conclusion s’applique également au policier qui est appelé à intervenir
sur les lieux d’un accident. L’agent devant
s’enquérir de la situation afin de décider comment procéder par la suite, on
s’attend à ce qu’il pose des questions aux passants ou autres témoins
potentiels sans procéder à leur détention. La simple
vérification
[Page 465]
qui s’effectue dans
le cadre d’une patrouille de routine visant à maintenir l’ordre permet
également aux policiers de poser des questions générales afin de déterminer « ce
qui se passe » ou si une personne est en difficulté.
« Bien que “[b]on nombre de [contacts
[Page 466]
entre des policiers
et des citoyens] sont plutôt anodins, [...] se limitant à une simple
conversation[,] [c]es échanges [risquent toutefois de] dev[enir] plus
envahissants […] lorsque la contrainte et l’interrogatoire se substituent au
consentement et à la conversation”. » En
ce qui concerne le policier qui répond à un appel relativement à un incident
particulier ou à la commission
d’un acte criminel, on s’attend à ce que ce dernier pose des questions afin de
s’enquérir de la situation. Comme l’indique le juge McIsaac, dans R. c. Suberu :
« Il faut poser plusieurs questions préliminaires pour décider comment
procéder par la suite. Tant que les renseignements relatifs à la perpétration
possible d’une infraction criminelle et à l’identité de l’interlocuteur
n’avaient pas été obtenus, j’estime qu’aucune détention ou arrestation, ni mise
en garde, n’était nécessaire. » Des questions
plus ciblées, dans le cadre d’un interrogatoire policier, peuvent amener une
personne raisonnable placée dans la même situation que l’accusé à conclure
qu’elle a été privée de sa liberté de choix.
En effet, « les policiers
[Page 467]
menaient-ils une
enquête générale sur un incident particulier, ou visaient-ils précisément la personne
en cause dans le cadre d’une enquête ciblée ? ».
La question est importante. Bien que la présence de soupçons ne transforme pas
automatiquement l’intervention en détention, les policiers sont appelés à
redoubler de précautions. Ainsi, « à moins que les policiers n’informent
la personne qu’elle n’est pas tenue de répondre aux questions et qu’elle est
libre de partir, il se peut fort bien que la détention se
[Page 468]
soit cristallisée ».
Il en va de même lorsque le contact initial avec un témoin ou une personne
d’intérêt se transforme par la suite en l’interrogatoire d’un suspect.
Comme la nature des
[Page 469]
questions, la durée
de l’interrogatoire et l’insistance des
policiers peuvent amener une personne raisonnable placée dans la même situation
à conclure qu’elle n’est pas libre de partir, il serait prudent d’informer le
suspect de son droit de garder le silence, de consulter un avocat et de s’en
aller en tout temps. « Dans les cas où les policiers ne savent pas avec
certitude si leur conduite a un effet coercitif, ils peuvent dire clairement à
la personne visée qu’elle n’est pas tenue de répondre aux questions et qu’elle
est libre de partir. » En somme, plus
les questions sont ciblées, plus il est important de faire comprendre au
suspect qu’il n’est pas obligé de collaborer avec les policiers et qu’il a le
droit de s’en aller. La présence de « soupçons raisonnables » ou même
de « motifs raisonnables de croire » n’empêche pas la tenue d’une
entrevue à laquelle participe volontairement le suspect, si une personne
raisonnable placée dans les mêmes circonstances n’aurait pas conclu
[Page 470]
que sa liberté de
partir était contrainte par les policiers. Une
personne, en effet, n’est pas détenue parce que les policiers ont des motifs
suffisants pour la placer en détention, mais parce qu’elle est privée de sa
liberté de coopérer ou non avec les policiers.
[Page 471]
307. La nature de la conduite des
policiers est un second facteur dont il faut tenir compte au moment de
déterminer la présence ou non d’une détention psychologique. Sur ce point, la
Cour suprême est catégorique : « Pour répondre à la question de
savoir s’il y a détention, il faut procéder à une évaluation réaliste de la
totalité du contact tel qu’il s’est déroulé, et non à une analyse détaillée de
chacun des mots prononcés et des gestes posés. »
En effet, ce n’est pas parce qu’un policier a dit à une personne : « Attendez
une minute ! Il faut que je vous parle avant que vous vous en alliez »
que cette dernière est automatiquement détenue au sens de la loi. L’absence de
geste pouvant entraver la liberté de l’accusé, la nature générale des questions
posées et la courte durée du contact reproché peuvent amener le tribunal à
conclure que la personne n’était pas détenue.
Sans être toujours déterminants, « [l]es mots utilisés par les policiers
peuvent démontrer que ces derniers prennent immédiatement le contrôle de la
situation, avec leur voix forte et sévère, en donnant des commandes brusques et
des ordres clairs quant au comportement exigé. Toutefois, tout cela pourrait ne
pas être nécessaire pour établir la dynamique de force requise pour prouver une
détention ». Bien que
l’utilisation d’expression telle que « Attendez une minute ! Il faut
que je vous parle » ne soit pas automatiquement synonyme de détention, les
policiers doivent, dans la mesure du possible, éviter de telles paroles
puisqu’elles peuvent amener une personne raisonnable placée dans les mêmes
circonstances à croire qu’elle n’est pas libre de partir et qu’elle doit
obtempérer à l’ordre ou à la sommation du policier. Fréquemment utilisées lors
d’un contact initial, les expressions du genre « Puis-je vous
parler ? » ou « J’aimerais vous poser
[Page 472]
quelques questions »
sont à privilégier, même si, encore une fois, « toute “cordialité”
passagère doit également être mise en perspective et considérée dans le
contexte des événements tels qu’ils se sont effectivement déroulés ».
308. Le recours au contact physique est une
autre circonstance permettant de définir la conduite générale des policiers. Si
le simple fait d’effleurer l’épaule du suspect ou de poser la main sur son bras
quelques secondes ne suffit pas pour conclure automatiquement à la présence
d’une détention, il en va autrement du
policier qui saisit le bras de la personne qui vient d’ignorer la demande qui
lui a été faite. « Le geste de prendre le bras démontre bien qu’il y a,
par ce geste, une manœuvre de détention. »
Sans être un contact physique, il est évident que le positionnement des
policiers et le fait d’activer ou non les gyrophares constituent des éléments
pertinents au moment de déterminer s’il y a détention. Les policiers qui
stationnent leur voiture derrière ou devant celle du conducteur pour l’empêcher
de quitter, qui prennent une
[Page 473]
« position
antagonique » face au suspect afin de bloquer son chemin
ou d’empêcher sa sortie, qui activent les
gyrophares
[Page 474]
pour intercepter ou
interpeller un individu, privent généralement
l’accusé de sa liberté de circuler librement. En sens contraire, les agents qui
se stationnent parallèlement et à une distance raisonnable de la voiture du
suspect, qui s’approchent à
pied du véhicule ou d’un piéton pour effectuer une
vérification ou s’adresser tout
simplement à lui, ne le privent pas de
sa liberté de choix. Discutant de la situation juridique d’une conductrice qui
[Page 475]
fut abordée par des
policiers qui avaient remarqué la présence de son véhicule, tard la nuit, les
phares allumés et le moteur en marche dans le stationnement d’un restaurant, le
juge Gosselin précise que « cette interaction s’est produite sur un
terrain commercial éclairé dans un environnement non menaçant. Non seulement
l’auto-patrouille n’était-elle pas immobilisée de façon à intimider la
conductrice (elle était stationnée parallèlement, à 10 pieds de distance) »,
mais les policiers n’ont rien fait pour la priver de son choix de s’en aller.
D’où l’absence de détention en l’espèce.
309. Comme l’indique ce passage de la
décision R. c. Spence, le lieu de
l’interaction et le mode d’intervention peuvent avoir une incidence importante
sur l’existence ou non d’une détention. Cela est particulièrement évident
lorsque les policiers interviennent dans un lieu privé, comme une cour arrière
ou l’entrée d’une résidence. Dans ce cas, « la nature de l’intrusion de
policiers [...] sera raisonnablement perçue comme plus percutante, coercitive
et menaçante que si pareil acte de l’État se produisait dans un lieu public.
Les gens s’attendent à juste titre à ne pas être importunés par l’État dans
leurs espaces privés. Il y a aussi, sur le plan pratique, la réalité que,
lorsque les autorités prennent le contrôle d’un espace privé, comme une cour
arrière ou une résidence, il n’existe souvent aucun autre endroit où se
réfugier contre une autre intrusion forcée ». Le
lieu de l’interraction et le mode d’entrée devant être considérés, le policier
qui souhaite parler à des personnes qui se trouvent dans la cour arrière d’une
maison d’habitation a tout avantage à demeurer dans la rue ou de l’autre côté
de la clôture, ou de s’annoncer et d’expliquer les raisons de sa présence.
[Page 476]
310. Comme plusieurs interrogatoires ont
lieu au poste de police, suite à une invitation de s’y présenter, il convient
de déterminer s’il s’agit ou non d’une détention.
Pour répondre à cette question, les tribunaux ont recours aux facteurs énoncés
par la Cour suprême dans l’arrêt Grant. En effet, s’agit-il d’une
invitation à
[Page 477]
venir au poste de
police ou d’un ordre plus formel de se présenter pour fins
d’interrogatoire ? Le policier qui invite l’accusé à se présenter
volontairement au poste de police pour discuter de l’affaire, qui informe
l’individu qu’il n’est pas tenu de faire une déclaration et qu’il est libre de
partir en tout temps, ne prive pas l’accusé de son choix de collaborer ou non
avec les policiers. Il en va également du
suspect qui se présente de son propre gré au poste de police pour s’expliquer,
tirer les choses au clair ou dissiper les soupçons qui planent à son endroit.
Les circonstances entourant le transport du suspect au poste de police et son
interrogatoire sont également pertinentes à l’existence ou non d’une détention.
Parmi les facteurs militant en faveur d’une détention, mentionnons (1)
l’individu qui ne peut utiliser sa voiture et qui doit accompagner les
policiers jusqu’au poste de police, (2)
l’accusé qui est placé en cellule lors de son arrivée, (3) l’interrogatoire qui
est mené dans
[Page 478]
une salle sécurisée
la porte fermée ou barrée et (4) les policiers
qui refusent à l’accusé la permission de quitter le poste de police. En sens
contraire, la personne qui est libre de quitter le poste de police, d’aller aux
toilettes, de boire de l’eau ou de fumer une cigarette n’est généralement pas
privée de sa capacité d’aller et venir, ni de choisir de collaborer ou non avec
les policiers. Le statut de l’accusé
relativement à l’enquête en cours est un autre facteur à considérer lorsqu’il
s’agit de décider si la personne interrogée est détenue au sens de la Charte.
Sur ce point, la jurisprudence distingue entre le « témoin » d’une
infraction, la « personne
d’intérêt » et le « suspect » d’un crime.
Le « témoin » d’une infraction et les « personnes d’intérêts »,
tout d’abord, puisque le contexte de l’interrogatoire et la nature générale des
questions ne permettent généralement pas de conclure à la présence
[Page 479]
d’une détention.
Il en va autrement d’une personne soupçonnée d’avoir participé à la commission
d’un crime. Comme il s’agit de
questions plus ciblées s’inscrivant dans le cadre d’une enquête visant à
déterminer la culpabilité de l’accusé, les policiers doivent redoubler de
précautions. Cela est d’autant
plus vrai lorsque
[Page 480]
l’inspecteur
confronte le suspect avec des éléments de preuve, ou laisse croire à ce dernier
que son enquête établit nettement sa culpabilité ou que celle-ci ne fait plus
aucun doute. Dans ce cas, « les policiers devraient dire clairement à la
personne visée “qu’elle n’est pas tenue de répondre aux questions et qu’elle
est libre de partir, [sans quoi] il se peut fort bien que la détention se soit
cristallisée” ». Une mise en
garde informant l’accusé qu’il peut consulter un avocat s’il le désire
serait également appropriée vu le danger que l’interrogatoire soit assimilé à
une détention. Le but, rappelons-le,
n’est pas d’obtenir une déclaration à tout prix, mais de conserver celles qui
ont été recueillies conformément aux garanties conférées par la Charte. Il faut
éviter, en effet, de franchir le rubicon. Entre le policier qui interroge un
suspect pour comprendre « ce qui s’est passé » après l’avoir informé
du but de son intervention et celui qui confronte l’accusé en lui posant des
questions ciblées visant à clarifier ou confirmer sa participation dans la
commission d’un crime, il y a un pas qui ne
peut être franchi
[Page 481]
sans engager la
protection constitutionnelle prévue à l’article 9 de la Charte.
311. La présence d’autres personnes
constitue un autre facteur pertinent dans l’analyse de la détention, puisqu’il
est évident que l’intervention qui implique plusieurs personnes qui obéissent
aux ordres et commandes des policiers est de nature à laisser croire à une
personne raisonnable qu’elle n’est pas libre de partir et qu’elle n’a pas le
choix d’obtempérer. En sens contraire, la
décision prise par plusieurs personnes de refuser de parler aux policiers tout
en continuant leur chemin laissera présager une absence de contrainte et de
détention au sens de l’article 9.
312. La durée du contact peut également nous
renseigner sur la nature de l’intervention contestée, sans pour autant être
déterminante quant à sa qualification juridique. Comme « un seul acte ou
mot percutant peut induire une personne raisonnable à conclure qu’elle n’a plus
le droit de choisir comment répondre à la situation »,
il est difficile d’établir l’absence de détention sur la base uniquement de la
courte durée du contact avec les policiers. La durée du contact n’est donc
qu’un facteur parmi tant d’autres.
313. En plus des circonstances à l’origine
du contact avec les policiers et de la nature de la conduite reprochée, les
tribunaux doivent tenir compte des caractéristiques personnelles de l’accusé
[Page 482]
qui peuvent influer
sur la perception d’une personne raisonnable placée dans la même situation.
Parmi les caractéristiques pertinentes, mentionnons l’âge de l’accusé, son
sexe, sa stature, son inexpérience, son statut
social, son manque d’assurance et son degré de discernement.
L’exemple de la jeune femme soupçonnée du meurtre de son mari, qui fut amenée
dans une salle d’entrevue se trouvant dans un secteur à accès restreint après
s’être présentée au poste de police, illustre bien cette situation. Comme les
policiers ont fermé la porte derrière elle, qu’ils ont empêché sa mère de
l’accompagner dans la salle d’interrogatoire, qu’ils lui ont dit qu’elle devait
frapper à la porte si elle voulait quelque chose et qu’ils ne lui ont jamais
mentionné qu’elle pouvait partir si elle le souhaitait, la cour conclut qu’une
personne raisonnable, possédant comme l’accusée peu d’assurance et une capacité
de discernement plutôt limitée, aurait pensé qu’elle n’avait d’autres choix que
d’obtempérer aux directives des policiers. La conclusion pourrait être
entièrement différente si l’accusé, loin d’être inexpérimenté, faisait preuve
d’assurance et n’était pas à ses premiers contacts avec les policiers.
314. L’appartenance d’un accusé à un groupe
racialisé au Canada est un facteur important au moment de déterminer s’il y a
ou non détention. Les autochtones et les membres des autres minorités visibles
étant plus souvent « appréhendés et appelés à répondre
[Page 483]
à des questions
ciblées et familières, [...] l’historique des relations entre la police et les
collectivités racialisées a une incidence sur les perceptions d’une personne
raisonnable mise à la place de l’accusé ».
Deuxième
section : La détention à des fins d’enquête
315. La détention à des fins d’enquête fut
reconnue par la Cour suprême dans l’arrêt R. c. Mann.
À la suite d’une introduction par effraction dans un immeuble d’un quartier
du centre-ville de Winnipeg, deux policiers, qui se trouvaient à proximité des
lieux du crime, ont aperçu l’accusé qui marchait dans la rue. Comme ce dernier
correspondait « en tous points » à la description du suspect, les
policiers ont interpellé l’appelant, puis lui ont demandé de s’identifier.
Après avoir décliné son nom et sa date de naissance, M. Mann fut soumis à une
fouille par palpation au cours de laquelle l’un des agents a senti la présence
d’un objet mou dans la poche avant de son gilet kangourou. Le policier ayant
glissé sa main à l’intérieur de la poche, ce dernier y a trouvé un petit sac en
plastique contenant de la marijuana. Des sachets en plastique, deux comprimés
de Valium et une carte d’Indien furent également retrouvés dans une autre
poche. Suite à la découverte de la drogue, l’accusé fut mis en état
d’arrestation pour possession de marijuana en vue d’en faire le trafic, puis
informé de son droit de garder le silence et d’avoir recours à l’assistance
d’un avocat. S’interrogeant sur la légalité de l’intervention policière, la
Cour suprême conclut à l’existence d’un pouvoir limité de détention aux fins
d’enquête fondé sur le devoir général des policiers de maintenir la paix, de
prévenir le crime et de protéger la vie et les biens. « Ce pouvoir,
précise le Tribunal, permet aux policiers de détenir une personne à de telles
fins lorsque, dans l’ensemble des circonstances, ils ont des motifs
raisonnables de soupçonner l’existence d’un lien clair entre la personne en
cause et une infraction criminelle récente ou
[Page 484]
toujours en cours. »
En somme, « les policiers peuvent détenir une personne aux fins d’enquête
s’ils ont des motifs raisonnables de soupçonner, à la lumière de toutes les
circonstances, que cette personne est impliquée dans un crime donné et qu’il
est nécessaire de la détenir ». La croyance
subjective du policier n’est pas suffisante en l’absence de faits objectivement
discernables pouvant appuyer ses soupçons. Comme
l’accusé correspondait
[Page 485]
étroitement à la description
du suspect et qu’il se trouvait à proximité de l’infraction, peu de temps après
sa commission, les policiers avaient des motifs raisonnables de soupçonner que
l’individu était impliqué dans l’introduction par effraction et « qu’il
devait à tout le moins faire l’objet d’une enquête plus approfondie ».
316. Se pose ensuite la question de la
légalité de la fouille de la personne détenue à des fins d’enquête. Sur ce
point, la Cour suprême est catégorique : l’existence d’un pouvoir de
fouille accessoire à une détention à des fins d’enquête repose sur le devoir
général des policiers de protéger la vie et la sécurité de leurs propres agents
et du public. Il ne s’agit pas d’un pouvoir automatique. Le policier doit avoir
des motifs raisonnables de croire que sa sécurité ou celle d’autrui est menacée
pour soumettre la personne détenue à une fouille de nature préventive. Mise de
l’avant afin d’assurer la sécurité des policiers et du public, la fouille du
détenu doit se limiter à une fouille par palpation. Comme l’accusé, en
l’espèce, pouvait être en possession d’outils de cambriolage pouvant servir
d’armes et que l’intervention s’était effectuée à une heure tardive en
l’absence de personnes à proximité, les policiers avaient des motifs
raisonnables de craindre pour leur sécurité. La fouille devant se limiter à ce
qui est raisonnablement nécessaire pour « découvrir la présence d’armes »,
la décision du policier de glisser sa main dans la poche du gilet kangourou
après y avoir senti la présence d’un objet mou relevait davantage de la
curiosité que de la sécurité des policiers. La preuve ayant été obtenue à la
suite de la violation du droit de l’individu à la vie privée, un examen de son
admissibilité en vertu de l’article 24(2) devenait nécessaire dans les circonstances.
317. La distinction entre les questions
préliminaires ou exploratoires visant à déterminer si une infraction a été
commise et la détention privative de liberté fut abordée par la Cour suprême,
dans R. c. Suberu. Au
cours d’un voyage d’une journée les
[Page 486]
amenant dans
différentes villes situées le long du lac Ontario, l’accusé, M. Suberu, et un
complice, M. Erhirhie, ont effectué à l’aide d’une carte de crédit volée
plusieurs achats de marchandises, de cartes prépayées et de chèques-cadeaux
dans des magasins Wal-Mart et à la Régie des alcools de l’Ontario (LCBO).
Contacté par les employés d’une succursale voisine de la LCBO où les deux
suspects s’étaient procuré des chèques-cadeaux d’une valeur de 100 $, un
employé de la succursale de Cobourg a interpellé M. Erhirhie, puis appelé la
police, après que ce dernier ait tenté d’acheter une bouteille de bière de 3 $
avec un chèque-cadeau de 100 $. Sans connaître tous les détails de la
transaction frauduleuse, l’agent Roughley, qui venait de recevoir un appel au
sujet d’une personne de sexe masculin qui tentait d’utiliser une carte de
crédit volée, s’est présenté à la LCBO de
Cobourg. Informé par un collègue, qui se trouvait déjà sur les lieux, de la
présence de deux suspects de sexe masculin dans le magasin, l’agent Roughley
est entré dans la succursale et a aperçu le policer, près de la caisse
enregistreuse, en train de discuter avec un employé du magasin et un client de
sexe masculin, M. Erhirhie. C’est à ce moment que M. Suberu a croisé l’agent
Roughley et prononcé les paroles suivantes : « C’est lui qui a fait
ça, c’est pas moi, alors j’imagine que je peux partir. »
Surpris par la déclaration de M. Suberu, l’agent Roughley l’a suivi à
l’extérieur et lui a dit : « Attendez une minute ! Il faut que
je vous parle avant que vous vous en alliez. »
Après une brève conversation au cours de laquelle l’agent Roughley a questionné
le suspect afin de déterminer ce qui s’était passé et pourquoi ce dernier avait
tenu de tels propos, l’agent Roughley reçu, par radio, des renseignements
supplémentaires concernant le numéro de plaque d’immatriculation et la
description de la fourgonnette que conduisait l’homme qui s’était procuré plus
tôt dans la journée des chèques-cadeaux dans une autre succursale de la LCBO.
Comme la fourgonnette dans laquelle prenait place M. Suberu correspondait en
tous points à celle décrite par le répartiteur radio, l’agent Roughley lui
demanda une pièce d’identité et le titre de propriété de sa voiture. Ayant
remarqué la présence de sacs provenant de magasins Wal-Mart et de la LCBO entre
les
[Page 487]
sièges avant de la
voiture et derrière ceux-ci, l’agent Roughley procéda à l’arrestation de M.
Suberu. L’accusé ayant prétendu qu’il se trouvait en détention lorsque le
policier lui a demandé d’attendre afin qu’il puisse lui parler, l’agent
Roughley aurait enfreint l’al. 10b) de la Charte en omettant, dès ce
moment, de l’informer de son droit à l’assistance d’un avocat. La demande
d’exclusion de la preuve ayant été rejetée par le juge de première instance,
l’accusé fut déclaré coupable de fraude, ce que confirma la Cour d’appel de
l’Ontario. La décision ayant été portée en appel devant le plus haut tribunal
du pays, la Cour suprême devait déterminer si l’accusé se trouvait en détention
à la suite des paroles du policier.
318. Dans une analyse empreinte de lucidité,
la Cour distingua les questions « préliminaires » ou « exploratoires »,
de celles privant l’accusé de sa liberté de choisir de coopérer ou non avec les
policiers. En effet, les agents appelés sur les lieux d’une infraction présumée
connaissent rarement tous les détails entourant les événements en question.
Placés devant l’incertitude, les policiers doivent poser des questions afin de
comprendre « ce qui s’est passé » et pour déterminer si la personne
peut « être mêlée à l’affaire » d’une quelconque façon. C’est
l’exemple du policier appelé sur les lieux d’un incendie criminel qui s’est
déclaré au cours de la nuit dans une résidence universitaire. Comme le policier
doit s’enquérir de la situation, on peut s’attendre à ce qu’il pose des
questions aux résidents et résidentes qui se trouvent à l’extérieur de
l’immeuble en flamme, sans qu’il y ait pour autant détention.
« Avez-vous remarqué quelque chose d’inhabituel ? », « Avez-vous
[Page 488]
aperçu ou croisé des
personnes suspectes près de l’immeuble ? », « Avez-vous senti
une odeur particulière avant l’incendie ? » Voilà des questions « exploratoires »
permettant au policier de comprendre ce qui s’est passé. « Même si un
policier demande des renseignements ou de l’aide à un passant, celui-ci n’est
pas tenu en droit d’obtempérer. » Il en va de
même de la personne qui, dans le cadre d’une enquête exploratoire, devient
l’objet des soupçons des policiers. Reprenons l’exemple de l’incendie criminel.
Dans sa quête d’information, le policier demande à la seule personne qui n’est
pas en chemise ou vêtements de nuit de s’identifier. Ce dernier n’étant pas un
étudiant, le policier devra naturellement lui poser des questions sur les
raisons de sa présence près des lieux du crime, sur ses allées et venues, etc.
On ne saurait parler, à ce stade, de détention aux fins d’enquête. En effet, « [i]l
se peut qu’au cours d’une enquête sur un accident ou un crime, des policiers
posent, sans le savoir, des questions à une personne qui est impliquée dans
l’incident et qui, par conséquent, risque de s’incriminer. Ils ne sont pas pour
autant empêchés de continuer à interroger cette personne dans le cadre de leur
enquête. L’article 9 de la
Charte n’oblige pas les policiers à s’abstenir d’interagir avec les membres
[Page 489]
du public tant
qu’ils n’ont pas de motifs précis permettant de rattacher une personne à la
perpétration d’un crime. L’article 10 n’oblige pas non plus les policiers à
informer d’emblée toute personne de son droit de garder le silence et d’avoir
recours à l’assistance d’un avocat. » Le
policier au cours de la conversation avec le passant détecte une odeur
d’essence sur ses vêtements. L’agent lui demande alors de s’expliquer.
L’individu ayant refusé et tenté de s’enfuir, le policier lui ordonne de
s’arrêter. L’accusé se trouve alors en détention et doit être informé des
motifs de sa détention et de son droit à l’assistance d’un avocat. La
cristallisation de la détention, qui opère un renversement d’équilibre dans les
rapports qui opposent le suspect à l’État, est à la fois génératrice de droits
pour l’accusé et d’obligations pour le policier. Même s’il est difficile, dans
certains cas, de distinguer les questions « exploratoires » ou « générales »,
des questions posées dans un contexte privant l’accusé de sa liberté de choix,
il appartient au juge de déterminer « si la ligne de démarcation entre des
questions générales et la détention a été franchie ».
Examinant les circonstances entourant l’intervention de l’agent Roughley, la
Cour suprême apporte les précisions suivantes :
« Selon la preuve, l’agent Roughley a
abordé M. Suberu dans le but d’essayer de comprendre ce qui se passait. Une
infraction venait vraisemblablement d’être commise et les policiers sont
arrivés sur les lieux pour enquêter. Toutefois, comme le souligne avec justesse
le juge Binnie (au par. 62), il serait absurde de prétendre que l’agent
Roughley devait permettre à toutes les
[Page 490]
personnes présentes d’exercer leur droit à
l’assistance d’un avocat avant de commencer à tirer la situation au clair.
Selon nous, il serait aussi déraisonnable d’exiger que, dès qu’il aborde un
suspect pour tirer la situation au clair, un policier doive lui permettre
d’exercer son droit à l’assistance d’un avocat. »
319. Comme les paroles et questions de
l’agent Roughley visaient à comprendre ce qui s’était passé « plutôt que
de priver M. Suberu de sa liberté », qu’il n’avait
posé aucun geste afin d’entraver sa liberté d’action et que le contact à
l’origine de la contestation fut bref, la Cour confirma la décision du juge de
première instance selon laquelle il n’y avait pas de détention au sens de la
Charte.
320. Si des policiers qui répondent à un
appel peuvent poser des questions « préliminaires » afin de
s’enquérir de la situation et de déterminer comment procéder par la suite,
qu’en est-il de ceux qui, sans avoir d’infraction précise à l’esprit,
souhaitent parler à une personne afin de lui poser des questions. La présence
de simples soupçons peut-elle permettre à un policier de s’adresser à une
personne et de l’interroger sur sa conduite ou la nature de ses activités sans
mise en détention préalable ? La question est importante. Elle fut abordée
par la Cour suprême dans l’arrêt R. c. Grant.
À la suite d’une série d’agressions, de vols et d’infractions relatives aux
stupéfiants impliquant des étudiants de quatre écoles de la région de Toronto,
trois patrouilleurs se trouvaient dans le secteur afin d’y surveiller les lieux
et d’assurer la sécurité des élèves. Deux policiers, les agents Forde et
Worrell, étaient habillés en civil au volant d’une voiture banalisée. Leur
tâche consistait à visiter les différentes écoles du quartier afin de vérifier
si des étrangers ou des personnes qui étudient dans une autre école s’y
trouvaient. Le troisième policier, l’agent Gomes, était en uniforme dans une
voiture de patrouille. Sa fonction était d’assurer une « présence
policière visible dans le quartier afin de
[Page 491]
rassurer les élèves
et de prévenir le crime pendant la pause du déjeuner des écoles secondaires ».
Quant à l’accusé, un jeune homme de race noire, ce dernier marchait sur le
trottoir à proximité d’une école lorsqu’il attira l’attention des agents Forde
et Worrell. Ayant dévisagé et suivi du regard les deux agents banalisés,
l’accusé aurait nerveusement « tripoté » son blouson et son pantalon.
La conduite de l’appelant ayant éveillé ses soupçons, l’agent Worrell a pensé « qu’ils
devraient peut-être parler avec ce gars-là » pour voir « si M. Grant
fréquentait une des écoles que son partenaire et lui devaient surveiller et,
sinon, s’il se rendait quand même à l’une d’entre elles ».
Comme l’agent Gomes était en uniforme et se trouvait près de l’accusé, les
agents Forde et Worrell lui ont suggéré d’avoir une conversation avec lui afin
de s’enquérir de la situation. Après être sorti de sa voiture, l’agent Gomes a
abordé M. Grant. Se tenant directement devant lui sur le trottoir, l’agent
Gomes lui a demandé « ce qui se passait ». Après avoir décliné son
nom et son adresse, l’appelant a de nouveau réajusté nerveusement son blouson,
ce qui amena le policier à lui demander de garder ses mains devant lui. Comme
l’accusé semblait très nerveux et qu’il regardait constamment autour de lui,
les agents Forde et Worrell ont décidé de s’approcher des deux individus. Après
s’être identifiés à l’aide de leur insigne, les deux policiers se sont placés
derrière l’agent Gomes, bloquant ainsi le chemin de l’accusé. À ce moment, une
brève conversation entre l’agent Gomes et l’appelant a eu lieu au cours de
laquelle M. Grant a admis la possession d’une arme à feu et d’une petite
quantité de cannabis. L’accusé fut aussitôt arrêté, puis fouillé conformément
au pouvoir de fouille accessoire à une arrestation. Comme une arme et de la
marijuana furent trouvées sur l’accusé, ce dernier fut informé de son droit à
l’assistance d’un avocat, puis transporté au poste de police. L’accusé ayant
été déclaré coupable d’une série d’infractions relatives aux armes à feu, ce
dernier contesta la légalité de la preuve obtenue à la suite de la conversation
avec les policiers. D’après la défense, la liberté de choix de l’accusé fut
contrainte par la conduite des policiers. N’ayant pas de motifs raisonnables de
soupçonner qu’une infraction avait eu lieu ou que M. Grant était impliqué dans
la
[Page 492]
commission d’un
crime, les déclarations menant à l’arrestation puis à la fouille de l’accusé
auraient été obtenues à la suite d’une détention arbitraire au sens de
l’article 9 de la Charte.
321. L’examen de l’admissibilité des
éléments de preuve obtenus à la suite des déclarations incriminantes de
l’accusé suppose une analyse attentive du contact initial à l’origine des
questions du policier, ainsi que du déroulement subséquent de la conversation
après l’arrivée des agents Forde et Worrell. Le contact initial entre la police
et M. Grant a débuté lorsque l’agent Gomes s’est placé devant l’appelant pour
lui poser des questions d’ordre général. Comme une série d’infractions
impliquant des étudiants avait déjà été commise dans le passé, pendant la pause
du déjeuner, et que l’accusé dévisageait les policiers en tripotant
nerveusement son blouson et son pantalon, il était normal, dans les
circonstances, pour les policiers de s’enquérir de la situation. La première
partie du contact entre M. Grant et l’agent Gomes étant de nature « préliminaire »
ou « exploratoire », la Cour affirme que la conduite du policier, une
fois considérée dans le contexte global du contact en question, n’aurait pas
amené une personne raisonnable à conclure qu’elle n’était pas libre de partir
et qu’elle devait obtempérer à la demande du policier. D’où l’absence de
détention à des fins d’enquête.
322. Se pose ensuite la question de la
légalité du contact survenu après que les deux agents banalisés se soient
placés derrière l’agent Gomes. Le rapport entre l’accusé et l’agent Gomes
s’étant diamétralement transformé à la suite de l’arrivée des deux autres
policiers, les questions qui visaient à l’origine à comprendre « ce qui se
passait » ont cédé leur place à un interrogatoire plus ciblé visant à
déterminer s’il « avait quelque chose qu’il ne devait pas avoir ».
Cette question ayant été posée alors que l’appelant était bel et bien « contrôlé »
par les policiers, M. Grant se trouvait en détention au sens de l’article 9. La
détention n’étant pas fondée sur des motifs raisonnables de soupçonner que
l’accusé
[Page 493]
était impliqué dans
un crime donné et qu’il était nécessaire de le détenir, celle-ci était
arbitraire et violait l’article 9 de la Charte.
323. Si la police ne peut détenir sans
soupçon raisonnable une personne sous enquête, rien ne l’empêche toutefois,
dans le cadre de son devoir « de maintenir la paix, l’ordre et la sécurité
publique, de prévenir et de réprimer le crime », d’aborder une personne et
de lui poser des questions au sujet d’une situation qui mérite d’être
éclaircie. En effet, le policier qui agit dans le cadre d’une enquête
ou d’un appel relativement à la commission possible d’une infraction criminelle
doit poser des questions afin de déterminer ce qui s’est passé. Dans la
poursuite de son enquête, le policier peut s’adresser aux passants, aux témoins
potentiels ainsi qu’à toute personne qui pourrait avoir été impliquée dans la
commission du crime. « Que s’est-il
passé ? », « Qui
[Page 494]
êtes-vous ? »,
« Que faites-vous ici ? » Voilà des questions préliminaires à
des fins d’enquête permettant aux policiers de « décider comment procéder
par la suite ». La possibilité
de poser des questions dans le cadre d’une enquête sur la commission d’un acte
criminel fut examinée récemment par la Cour d’appel du Québec dans P.G.
c. R.. Appelés à faire la
lumière sur les causes d’une hémorragie subie par un jeune bébé qui avait été
transporté à l’hôpital, des enquêteurs ont rencontré le père de l’enfant dans
un petit local de l’établissement afin de s’enquérir de la situation. Ce
dernier ayant été informé des raisons de leur présence ainsi que de la
possibilité de quitter les lieux à tout moment, les enquêteurs ont questionné
l’individu sur les événements ayant précédé l’hospitalisation du bébé. Après
avoir formulé quelques hypothèses non crédibles, l’appelant a reconnu avoir « peut-être »
secoué l’enfant en dormant. Les enquêteurs ayant été informés pendant la pause
de la présence de sang dans l’œil de l’enfant, compatible avec la thèse du
secouement, ils ont indiqué à l’appelant qu’il était soupçonné de voies de fait
graves et l’ont informé de son droit de garder le silence et de consulter un
avocat. Une fois la mise en garde effectuée, les policiers ont recueilli une
déclaration écrite dans laquelle le suspect confirmait avoir secoué brusquement
son enfant. Ce dernier a finalement été arrêté, puis accusé de voies de fait et
de voies de fait graves quelques jours plus tard. Comme il soutient que ses
déclarations ont été obtenues à la suite d’une violation de ses droits au
silence et à l’avocat, le Tribunal devait déterminer si l’appelant était en
détention au moment où il a fait ses déclarations. D’après la Cour d’appel, ce
n’est pas parce qu’une personne est soupçonnée d’un crime que les policiers
doivent s’abstenir de lui poser des questions. La détention, rappelle le juge
Schrager, suppose la présence d’une contrainte physique ou psychologique
appréciable. La maltraitance ayant été envisagée
[Page 495]
comme une hypothèse
pouvant expliquer l’état du bébé, les policiers devaient déterminer ce qui
s’était passé lors des jours précédent son hospitalisation.
Comme il s’agissait d’une enquête générale visant à « faire la lumière sur
les événements » en cause, que l’individu était libre de répondre aux
questions et de quitter les lieux à sa guise, l’appelant n’était pas en
détention au moment où il a admis pour la première fois avoir « peut-être »
secoué l’enfant en dormant. En effet, « la
rencontre entre des policiers et un suspect n’entraîne pas nécessairement un
état de détention, et ce, même lorsqu’une personne est soupçonnée. Tout est
affaire de circonstances. La présence de soupçons n’est qu’un indice
[Page 496]
important, mais n’est
pas un facteur déterminant dans l’évaluation de la détention. L’analyse du juge
ne doit ainsi pas porter uniquement sur la présence ou non de soupçons, mais
doit plutôt chercher à déterminer s’il y a détention psychologique. En
l’espèce, il n’est pas possible de conclure à une détention ».
Quant à la déclaration écrite, obtenue à la suite de la mise en garde
constitutionnelle, l’individu se trouvait en détention et pouvait exercer son
droit à l’avocat. Encore une fois, il faut distinguer les questions visant à
recueillir des informations générales de celles ayant pour but de confirmer la
participation d’un suspect dans la perpétration d’un crime. Des questions
ciblées visant à établir la responsabilité d’un suspect « évident »,
dans des circonstances qui limitent sa liberté d’action, peuvent donc amener le
tribunal à conclure que les policiers ont franchi le rubicon, et que le suspect
était en détention.
324. La seconde situation vise les cas où
les policiers n’agissent pas dans le cadre d’une enquête ni d’un appel, mais
des pouvoirs généraux qui leur sont conférés par la loi.
Le policier qui se livre à « une activité de patrouille routinière et de
prévention générale du crime » peut être
appelé à enquêter de façon « plus approfondie »
sur une situation qui lui semble problématique. Dans la poursuite de sa « mission
de maintenir la paix, l’ordre et la sécurité publique, de prévenir et de
réprimer le crime », le
[Page 497]
policier qui
soupçonne la commission d’une activité illégale peut aborder un suspect sans le
détenir au sens des articles 9 et 10 de la Charte.
L’intervention du policier devant s’inscrire dans l’exercice légitime de ses
fonctions, l’agent qui « a des raisons valables » de parler à une
personne ne devrait pas s’abstenir d’agir en l’absence de soupçons raisonnables.
En effet, « lorsque les policiers n’interviennent pas en réponse à un
incident précis », mais dans le cadre de leur devoir général de prévenir
le crime et de fournir de l’aide, ils peuvent interroger des personnes afin de
s’enquérir de la situation et des actions qui seront entreprises par la suite.
Comme l’indique la juge en chef McLachlin et la juge Charron, dans R. c.
Suberu, la notion de détention « ne signifie pas que tout contact
avec les policiers constitue une détention pour l’application de la Charte,
même lorsqu’une personne fait l’objet d’une enquête relativement à des
activités criminelles, qu’elle est interrogée ou qu’elle est retenue
physiquement par son contact avec les policiers ».
Cette situation doit être distinguée des questions ciblées formulées dans un
contexte de contrôle de la part des policiers. La détention s’étant alors
cristallisée, ces questions sont interdites compte tenu de l’absence de motifs
raisonnables de soupçonner et de mise en garde quant au droit d’avoir recours
sans délai à l’assistance d’un avocat.
[Page 498]
325. Les principes énoncés dans les arrêts Mann,
Suberu et Grant furent repris et développés par la Cour suprême dans
R. c. Le.
Après avoir signifié à des policiers qui recherchaient une personne précise
qu’elle ne se trouvait pas dans les environs, des gardiens de sécurité d’une
coopérative d’habitation ont affirmé qu’une personne reconnue pour ses
activités criminelles avait été aperçue sur les lieux « quelques jours ou
quelques semaines auparavant » et qu’une maison appartenant à un certain
L.D. constituait un « endroit problématique », en raison de « soupçons
de trafic de drogue dans la cour arrière ». Les
policiers ayant décidé de s’enquérir de la situation, ils remarquèrent la
présence de cinq jeunes hommes dans la cour arrière de la maison de L.D. Selon
la preuve, ces personnes « semblaient ne rien faire de mal. Elles étaient
juste en train de bavarder ». Sans
s’annoncer ou tenter autrement d’engager la conversation, deux agents ont
pénétré dans la cour arrière de la maison par l’ouverture de la clôture qui
délimitait la propriété. Après avoir demandé aux jeunes hommes [Traduction] « ce qu’ils faisaient,
qui ils étaient et si l’un d’eux habitait dans l’immeuble »,
les policiers ont ordonné à chaque personne de s’identifier à l’aide d’une
pièce d’identité. À ce moment, un troisième policier, qui patrouillait le long
de la clôture, a rejoint ses collègues en sautant par-dessus la clôture de la
cour arrière. Ayant noté la présence d’une personne assise sur un sofa, les
mains derrière le dos, l’agent O’Toole lui a intimé l’ordre de placer ses mains
devant elle. Après avoir vérifié l’identité de l’ami de l’accusé, l’attention
du policier fut attirée par le fait que ce dernier, qui portait un sac en
bandoulière, affichait des signes de nervosité, en plus de se comporter comme
s’il désirait dissimuler quelque chose. L’agent ayant demandé à l’appelant de
lui fournir une pièce d’identité, ce dernier a pris la fuite après que l’agent
se soit enquis du contenu de son sac. Le suspect ayant été rapidement maitrisé,
son arrestation permit la fouille du sac et la saisie d’une arme à feu chargée,
en plus d’une certaine quantité d’argent comptant. Une fois au poste de police,
le suspect remit aux policiers
[Page 499]
13 grammes de
cocaïne qu’il avait en sa possession. M. Le ayant été accusé notamment de
possession illégale d’une arme, de possession illégale de cocaïne en vue d’en
faire le trafic et de possession illégale de produits de la criminalité, la
défense demanda l’exclusion des éléments de preuve obtenus en raison de sa
détention arbitraire. Cette prétention, précise la Cour, suppose la présence
d’une détention au sens de la Charte, puis de l’absence de règle de droit permettant
d’entreprendre une telle action.
326. La présence d’une détention au sens de
la Charte, tout d’abord, puisque la protection constitutionnelle ne s’applique
que lorsque l’interaction suppose « l’application de contraintes physiques
ou psychologiques appréciables ». La contrainte
physique n’étant pas en jeu, seule la contrainte psychologique pouvait donner
lieu, en l’espèce, à la privation de liberté constitutive de la détention. Sur
ce point, la Cour suprême est catégorique : Les jeunes hommes n’étaient « pas
légalement tenus de répondre aux questions posées par les policiers, de
présenter une pièce d’identité ou de suivre les ordres reçus concernant la
position de leurs mains ». La Cour devait
donc déterminer si une personne raisonnable, placée dans la même situation que
l’appelant, aurait cru qu’elle a été privée de sa capacité de collaborer ou non
avec les policiers, de demeurer sur place ou de partir, lorsque les policiers
sont entrés dans la cour arrière pour ensuite s’adresser aux
[Page 500]
occupants.
L’analyse, rappelons-le, est « principalement objective ».
Elle commande un examen a) des circonstances à l’origine
[Page 501]
du contact avec les
policiers telles qu’elles ont dû raisonnablement être perçues, b) de la
nature de la conduite des policiers et c) des caractéristiques ou de la
situation particulière de la personne.
327. a) Les circonstances à l’origine du
contact avec les policiers telles qu’elles ont dû raisonnablement être perçues :
En tant qu’agents de la paix, les policiers ont le devoir de maintenir l’ordre
dans la collectivité en surveillant les rues, les parcs et autres lieux
fréquentés par le public. Naturellement, les policiers ne peuvent, sans raisons
valables, entrer dans la cour arrière d’une propriété privée sans s’annoncer
pour interroger ses occupants et leur demander de s’identifier. Puisque
personne n’avait demandé l’aide des policiers, qu’aucun incident particulier
n’avait été rapporté et qu’aucune plainte pour intrusion ou troubles de
jouissance n’avait été déposée, les policiers ne pouvaient entrer dans la cour
arrière de la résidence sans mandat, sans consentement et sans explications,
afin d’interroger les occupants sur ce qu’ils étaient et ce qu’ils faisaient,
puis d’exiger la production d’une pièce d’identité.
Cette conclusion, une fois comprise, n’empêche pas le
[Page 502]
policier qui
intervient pour assurer le maintien de l’ordre ou prêter assistance en cas de
besoin, de s’approcher d’un passant dans la rue, d’expliquer les raisons de sa
présence et de discuter avec lui afin d’obtenir les renseignements qu’il
souhaite. Il en va également des policiers qui demeurent de l’autre côté de la
clôture pour parler avec une personne qui se trouve dans sa cour arrière ou sur
le terrain de sa propriété.
328. b) La nature de la conduite des
policiers : Ce deuxième facteur s’ajoute aux circonstances à l’origine
du contact avec les policiers pour alimenter la perception de la personne
raisonnable quant à la nature de l’interaction contestée. Sur ce point, la
preuve est éloquente. En plus d’être entrés sans explication, sans permission
et sans autorisation légale, « les actes accomplis par les policiers à ce
même moment et les mots employés immédiatement après démontrent que ces
derniers exerçaient leur domination sur les personnes qui se trouvaient dans la
cour arrière depuis qu’ils y étaient entrés ».
On parle ici de questions ciblées, de la demande de s’identifier à l’aide d’une
pièce d’identité et de l’ordre donné à l’un d’eux de garder ses mains bien en
vue. La proximité physique, le nombre de personnes rassemblées dans un endroit
restreint, la position des policiers qui interrogent séparément les suspects en
bloquant la sortie contribuent également à l’instauration d’un climat
d’oppression propice à la détention. En ce qui concerne le lieu de
l’interaction et le mode d’entrée privilégié, il est évident que l’entrée
soudaine et sans annonce de deux policiers, tard le soir, dans la cour arrière
d’une propriété privée, jumelée à l’arrivée d’un troisième agent de police qui
avait fait le tour du périmètre avant de rejoindre ses collègues en sautant
par-dessus la clôture, peuvent amener une personne raisonnable à croire que les
policiers ont pris le « contrôle de la situation » et qu’elle ne peut
s’en aller. Que
[Page 503]
l’intervention ait
lieu dans un quartier réputé pour ses activités criminelles n’atténue en rien
l’aspect coercitif découlant de l’intervention policière. C’est que « la
réputation d’une collectivité en particulier ou la fréquence des contacts entre
la police et ses résidants n’autorisent aucunement les policiers à entrer dans
une résidence privée plus facilement ou de façon plus envahissante qu’ils ne le
feraient dans une collectivité où les clôtures sont plus hautes ou le taux de
criminalité plus bas ». Loin d’atténuer
la nature coercitive de l’intervention, la présence d’autres personnes sur les
lieux, et plus particulièrement leur soumission aux demandes des policiers,
contribue à la création d’un climat qui amènerait une personne raisonnable à
croire qu’elle n’avait véritablement pas d’autres choix que d’obtempérer aux
demandes des policiers.
329. c) Les caractéristiques ou la
situation particulière de l’accusé : Comme la présence ou non d’une
détention doit tenir compte des caractéristiques personnelles de l’accusé
pouvant influer sur la perception d’une personne raisonnable placée dans la
même situation, l’appartenance d’une personne à un groupe racialisé est un
facteur pertinent dans l’équation menant à la constatation d’une détention.
Les autochtones, les Noirs et les autres
[Page 504]
membres de minorités
visibles étant l’objet de contrôle plus fréquents, il est évident que ce
facteur doit être pris en considération par les tribunaux. En effet, « lorsque
trois policiers sont entrés dans une petite cour arrière privée, tard en
soirée, sans être munis d’un mandat, sans obtenir de consentement et sans
s’annoncer, pour interroger cinq jeunes hommes de groupes racialisés dans une
coopérative d’habitation de Toronto, les jeunes en question se seraient sentis
obligés de rester sur place, de répondre aux questions et d’obtempérer ».
Ces facteurs, une fois considérés, amènent le Tribunal à conclure que la
détention s’était cristallisée au moment où les policiers sont entrés dans la
cour arrière et ont commencé à poser des questions.
330. La détention de l’appelant ayant été
établie, il reste maintenant à déterminer sa légalité. S’agit-il d’une
détention arbitraire ou autorisée par une règle de droit ? La question est
importante puisqu’elle détermine en partie l’admissibilité de la preuve
recueillie à la suite de l’intervention contestée. Comme les policiers avaient
pour objectifs de « vérifier si les jeunes hommes étaient des intrus, de
rechercher des personnes d’intérêt et de vérifier un secteur qui, leur avait-on
dit, était problématique en ce qui concerne les drogues »,
aucune loi ni aucun principe de common law
[Page 505]
n’autorisait la
détention du suspect. S’agissant d’une détention à des fins d’enquête, les
policiers n’avaient pas de motifs raisonnables de soupçonner l’existence « d’un
lien clair entre la personne en cause et une infraction criminelle récente ou
toujours en cours ». Si les
renseignements indiquant que JJ. fréquentait le secteur et que la cour arrière
de la demeure était un endroit problématique pouvaient inciter les policiers à
aller voir ce qui s’y passait, à surveiller les allées et venues ou à
interroger les voisins, ils ne permettaient pas, en l’espèce, de détenir des
personnes en l’absence de motifs raisonnables de soupçonner. D’où l’annulation
des déclarations de culpabilité et l’acquittement de l’accusé.
331. Fondée uniquement sur la présence de
soupçons raisonnables, la détention à des fins d’enquête doit être brève et ne
pas se prolonger indûment. Malgré l’absence d’un
délai fixe au-delà duquel la détention devient automatiquement abusive, la
restriction à la liberté du suspect est soumise à des limites temporelles dont
la durée varie en fonction du degré d’intrusion de la détention; de la nature
de l’infraction soupçonnée; de la complexité de l’enquête; de la sécurité des
policiers ou du public; de la possibilité de continuer l’enquête sans prolonger
la détention du suspect; de l’absence de diligence de la part des policiers et
de la disponibilité immédiate des instruments pertinents d’enquête.
[Page 506]
En effet, la durée
de la détention ne peut se prolonger aussi longtemps qu’il est nécessaire pour
mener à terme une enquête. Les policiers qui détiennent, par exemple, une
personne soupçonnée d’être en possession de marijuana, ne peuvent la maintenir
sous garde pendant plus de 1h45 pour permettre l’arrivée du chien renifleur au
poste de police. D’après le juge Hoy, de la Cour d’appel de l’Ontario, « la
police soupçonnait la présence de drogues dans ses bagages. L’enquête n’était
pas complexe et le risque pour les policiers ou le public était faible. Si la
police voulait poursuivre son enquête, elle connaissait l’adresse du suspect et
pouvait recourir à d’autres méthodes sans interférer avec la liberté de
l’individu ». L’analyse est
donc contextuelle et dépend des circonstances de l’affaire.
[Page 507]
Troisième
section : La détention en matière de conduite automobile
332. Avant de commencer notre analyse de la
détention en matière de conduite automobile, il convient, à la suite des juges
Dalphond, dans R. c. Dault, et
Gosselin, dans R. c. Spence, de
définir les concepts d’interception et d’interpellation.
L’interception d’un véhicule désigne l’action d’empêcher une
automobile de poursuivre son chemin ou de circuler librement suite à l’ordre
d’un policier. Qu’il s’agisse d’une interception effectuée dans le cadre d’un
barrage routier, d’une vérification en vertu de l’article 636 CSR ou du devoir
de prévenir le crime et de protéger la vie des citoyens, les policiers peuvent
exiger que le conducteur d’un véhicule routier immobilise sa voiture. Le
conducteur n’ayant d’autre choix que d’obtempérer à l’ordre du policier, il ne
fait aucun doute que sa liberté de mouvement est contrainte par l’ordre qui lui
est donné.
333. L’interpellation du conducteur,
pour sa part, suppose que le véhicule que conduit l’accusé soit déjà
immobilisé. Sur ce
[Page 508]
point, on distingue
l’intervention policière qui s’effectue sur une base volontaire, sans
contrainte ni pression, de celle qui prive le conducteur de sa capacité de
mouvement. Le policier qui stationne sa voiture près de celle du conducteur,
les gyrophares éteints, peut s’approcher de ce dernier pour s’enquérir des
raisons de sa présence sur les lieux sans le priver de son choix de s’en aller.
Il en va autrement de l’agent qui active les gyrophares et stationne son
auto-patrouille derrière ou devant la voiture du suspect afin de lui bloquer le
chemin. Dans ce cas, l’automobiliste perd sa liberté de circuler : il y a
détention au sens de l’article 9 de la Charte. Comme le pouvoir d’intercepter
un véhicule ou d’interpeller son conducteur découle de la loi (Code la
sécurité routière, Code criminel, Loi de la police) ou de la common law
(devoir de maintenir la paix, de prévenir le crime et de protéger la vie et les
biens), c’est de ce côté que nous allons commencer notre analyse. À l’examen du
pouvoir d’intercepter ou d’interpeller le conducteur d’un véhicule routier
conféré par la loi ou la common law, succédera une étude du pouvoir de détenir
un conducteur à des fins d’enquête et de l’interpeller sans détention ni
contrainte psychologique. Première sous-section : Le
pouvoir d’intercepter ou d’interpeller le conducteur d’un véhicule routier
conféré par la loi ou la common lawa) Le pouvoir d’exiger que le
conducteur d’un véhicule routier immobilise son véhicule
334. La première décision concernant
l’interception au hasard d’un conducteur automobile fut rendue, en 1985, dans
l’arrêt R. c. Dedman. L’accusé
circulait normalement au volant de son véhicule lorsqu’un policier lui fit
signe d’arrêter à un barrage routier. Le policier n’ayant remarqué rien
d’inhabituel dans sa façon de conduire, ni dans l’état de son véhicule,
l’interception du
[Page 509]
conducteur
s’inscrivait dans le cadre d’un programme d’arrêt au hasard (programme RIDE)
mis en place afin de diminuer la conduite avec les facultés affaiblies. Après
avoir demandé au conducteur son permis de conduire et ses papiers d’assurance,
le policier décela une forte odeur d’alcool provenant de l’haleine de l’accusé.
S’appuyant sur ces constatations, l’agent de police lui intima l’ordre de
souffler dans l’appareil de détection approuvé (appareil de type A.L.E.R.T.).
N’ayant pas réussi à fournir un échantillon suffisant à la prise d’un résultat,
l’appelant fut accusé d’avoir omis ou refusé de fournir un échantillon
d’haleine pour analyse sur place contrairement au par. 234.1(2) du Code
criminel. S’interrogeant sur la légalité de l’interception au hasard du
conducteur, la Cour suprême procéda à une analyse des pouvoirs des policiers à
la lumière de l’arrêt Waterfield. D’après le juge Le Dain,
l’interception au hasard d’un automobiliste dans le cadre d’un programme de
vérification de la sobriété n’est prévue dans aucune disposition législative.
Ce pouvoir s’inscrit dans le cadre général des devoirs imposés aux policiers de
« prévenir les infractions et de protéger la vie des personnes et la
propriété par la surveillance de la circulation ».
Comme le pouvoir d’intercepter au hasard un véhicule afin de vérifier la
sobriété du conducteur est nécessaire à l’accomplissement d’un devoir de la
police et qu’il est raisonnable compte tenu (1) des contraintes relativement
mineures qu’il impose aux conducteurs, (2) de l’importance des objectifs
poursuivis et (3) des moyens utilisés à cette fin, l’interception au hasard des
véhicules pour les fins du programme RIDE ne constitue pas un usage injustifié
d’un pouvoir relié à un devoir de la police.
335. Le pouvoir d’intercepter un véhicule
routier au hasard en vertu d’une disposition législative fut examiné par la
Cour suprême, dans R. c. Hufsky. Alors
qu’il circulait en voiture, en direction nord, sur l’avenue Midland,
l’appelant, qui conduisait jusque-là normalement, fut sommé d’arrêter son
véhicule à un contrôle routier mis en place par les policiers afin de « vérifier
les permis de conduire, les assurances, l’état mécanique des véhicules
[Page 510]
et la sobriété de
leur propriétaire ». Après avoir
demandé le permis de conduire et une preuve d’assurance au conducteur, l’agent
a noté une odeur d’alcool et une prononciation hésitante chez l’accusé.
Soupçonnant la présence d’alcool dans l’organisme du conducteur, l’agent le
somma de sortir du véhicule et de fournir un échantillon d’haleine au moyen de
l’appareil de détection approuvé (appareil de type A.L.E.R.T.). L’appelant
ayant refusé de subir l’alcootest, ce dernier fut reconnu coupable d’avoir refusé
d’obtempérer à la sommation du policier. La décision ayant été confirmée en
appel, l’appelant conteste la légalité de l’intervention à l’origine de la
demande du policier. La disposition invoquée pour justifier l’arrêt au hasard
du conducteur se trouve à l’alinéa 189a) du Code de la route de
l’Ontario. Aux termes de cette disposition :
« 189a) (1) Un agent de police,
dans l’exercice légitime de ses fonctions, peut exiger du conducteur d’un
véhicule automobile qu’il s’arrête. Si tel est le cas, le conducteur obtempère
immédiatement à la demande de l’agent identifiable à première vue comme tel.
(2) Quiconque contrevient au paragraphe (1)
est coupable d’infraction et passible, sur déclaration de culpabilité, d’une
amende d’au moins 100 $ et d’au plus 2 000 $ et d’un
emprisonnement maximum de six mois ou de l’une de ces peines. »
336. Le conducteur ayant été sommé par les
policiers d’arrêter son véhicule au barrage routier, la Cour devait déterminer
si l’accusé avait été détenu au sens de l’article 9 et si sa détention était
arbitraire, le cas échéant. En ce qui concerne la première question, il ne fait
aucun doute que l’accusé était en détention au moment de son interception. Sa
liberté d’action ayant été contrainte par la sommation ou l’ordre d’un policier,
l’accusé était détenu au sens de l’article 9. Quant à la légalité de
l’intervention policière, comme la disposition permettait au policier
d’intercepter « au hasard » le conducteur d’un véhicule routier,
cette détention fut jugée arbitraire, mais justifiée en vertu de l’article
premier.
[Page 511]
337. Admise dans le cadre d’un programme
structuré de contrôles routiers ponctuels, l’interception au hasard d’un
automobiliste afin de « vérifier les permis de conduire, les assurances,
l’état mécanique des véhicules et la sobriété de leur propriétaire » peut
également se produire dans le cadre d’une vérification de routine, sans point
de contrôle préétabli. C’est l’hypothèse étudiée par la Cour suprême dans
l’arrêt R. c. Ladouceur. Après
avoir procédé à la surveillance d’une maison dans un quartier résidentiel
d’Ottawa, deux policiers ont aperçu l’appelant au volant de sa voiture. Bien
que les agents n’avaient aucune raison de soupçonner que le conducteur pouvait
être impliqué dans la commission d’actes criminels, les policiers ont procédé à
son interpellation pour « vérifier si ses documents étaient en règle et
s’il possédait un permis de conduire valide ». Le permis de l’appelant
étant suspendu, ce dernier fut accusé de conduite pendant la suspension de son
permis, contrairement à l’article 35 du Code de la route. S’interrogeant
sur la légalité de la détention du conducteur, la Cour suprême réitère la
nature arbitraire de la détention en question et sa justification au sens de
l’article premier.
338. La constitutionnalité de l’alinéa 189a)
du Code de la route de l’Ontario ne faisant plus aucun doute, c’est donc
sans surprise que la Cour d’appel du Québec confirma, quelques années plus
tard, la légalité de l’article 636 du Code de la sécurité routière.
D’après cette disposition : « Un agent de la paix, identifiable à
première vue comme tel, peut, dans le cadre des fonctions qu’il exerce en vertu
du présent code, exiger que le conducteur d’un véhicule routier immobilise son
véhicule. Le conducteur doit se conformer sans délai à cette exigence. »
Après avoir observé l’accusé sortir au volant de sa voiture du stationnement du
Château Huntingdon, des policiers ont remarqué que ce dernier avait empiété
légèrement sur l’autre voie et effectué un virage un peu large. Comme les
policiers souhaitaient vérifier la sobriété du conducteur, mais ne possédaient
aucun motif pour l’arrêter, ils procédèrent à l’interception du véhicule de
l’appelant en vertu de
[Page 512]
l’article 636 CSR.
Après avoir vérifié le permis de conduire et les papiers d’enregistrement de la
voiture, les policiers ont décelé une odeur d’alcool provenant de l’haleine de
l’accusé. Les agents ayant ordonné au conducteur de souffler dans l’appareil de
détection approuvé, ce dernier échoua le test et fut arrêté pour conduite avec
les facultés affaiblies et conduite avec un taux d’alcool supérieur à la limite
permise. L’acquittement de l’accusé ayant été confirmé par un juge de la Cour
supérieure, la Cour d’appel du Québec renversa la décision et déclara l’individu
coupable de conduite avec un taux d’alcool supérieur à la limite permise.
D’après le juge Steinberg, qui s’exprimait alors au nom de la Cour d’appel,
l’article 636 CSR est tellement similaire à l’alinéa 189a) du Code de
la route de l’Ontario que la décision de la Cour suprême dans R. c. Ladouceur
s’appliquait également à la présente affaire.
339. Comme nous le savons, l’article 636 CSR
permet à un policier d’intercepter au hasard le conducteur d’un véhicule
routier afin de « vérifier la sobriété et l’état de conduire du
conducteur, la validité de son permis de conduire, les immatriculations, les
assurances ainsi que l’état mécanique du véhicule ».
[Page 513]
L’article 636 CSR
n’exige aucun motif autre que ceux relatifs à la conduite automobile.
« Pour imager cette possibilité, les policiers peuvent décider
d’intercepter tous les véhicules, un véhicule sur cinq, seulement les rouges ou
encore seulement les véhicules construits en Amérique, en somme, n’importe
lesquels en autant que le but de l’interception est l’un des trois exposés
précédemment. » Le policier
qui est informé par une intervenante en milieu scolaire qu’un individu vient
souvent chercher ses enfants en état d’ébriété peut procéder à l’interception
du conducteur pour vérifier sa sobriété. Il en va
également des policiers qui observent un individu effectuer une manœuvre
d’évitement dans un secteur industriel et commercial peu éclairé;
circuler très lentement à une heure tardive,
ou procéder à un demi-tour et se diriger en direction opposée après avoir été
aperçu à la sortie d’un bar. Comme l’interception,
dans chaque cas, visait à
[Page 514]
vérifier la sobriété
du conducteur, la validité des documents requis ou l’état du véhicule,
aucun autre motif n’était exigé dans les circonstances. La détention permise en
vertu de l’article 636 CSR doit être brève, en l’absence de motifs justifiant
une détention plus prolongée. Les policiers qui interceptent un automobiliste
conformément à cette disposition peuvent vérifier la validité des documents
requis à l’aide des renseignements contenus dans leur ordinateur de bord. Ils
peuvent également procéder à une inspection visuelle de l’intérieur du véhicule
afin d’assurer leur sécurité et poser des questions se rapportant à la conduite
automobile. La présence d’un
examen plus approfondi de l’habitacle de la voiture ou de questions ne touchant
pas la sécurité routière se situe inéluctablement en dehors du cadre des
fonctions qu’ils exercent en vertu du présent code, et ne serait pas justifiée
aux termes de
[Page 515]
l’article 636 CSR.
Sans nécessairement être reliées à la raison de l’interception, des questions
concernant les allées et venues (d’où venez-vous ?, où allez-vous ?)
peuvent donc être posées afin de vérifier la sobriété du conducteur ou son état
de fatigue.
340. Compte tenu de son caractère exorbitant,
le pouvoir conféré à l’article 636 CSR doit être strictement contrôlé et « scrupuleusement
limité aux situations qui répondent à sa raison d’être fondamentale » :
la sécurité routière. « Les programmes d’interpellation au hasard ne
doivent pas en effet permettre d’effectuer une enquête générale dénuée de tout
fondement ou une fouille abusive. » D’où
l’illégalité de l’interception (1) d’un conducteur
[Page 516]
effectuée dans le
but de vérifier les raisons de sa présence à une heure tardive dans un quartier
résidentiel en construction où l’on avait rapporté plusieurs vols d’outils et
de matériaux; (2) d’un individu qui
avait éveillé les soupçons des policiers alors qu’il circulait lentement dans
un secteur où il y avait beaucoup de vols par effraction
et (3) d’un conducteur qui semblait suspect en raison du fait qu’il regardait
souvent ses miroirs et effectuait plusieurs virages.
Le pouvoir d’interpellation prévu à l’article 636 CSR ne doit pas être utilisé
à des fins obliques, mais conformément au Code de la sécurité routière.
Il ne s’agit pas d’un pouvoir général d’enquête ni d’une autorisation
pouvant être détournée par les policiers afin de satisfaire leur curiosité,
renforcer leurs préjugés ou enquêter sur la
commission d’actes criminels « qui
[Page 517]
ne relèvent pas de
la conduite sécuritaire d’un véhicule automobile ».
Encore une fois, il doit y avoir un lien rationnel entre
[Page 518]
l’interception du
véhicule et la sécurité routière. Une détention fondée
uniquement sur l’apparence physique de l’individu, son habillement ou sa race
est arbitraire et contraire à l’article 9 de la Charte.
C’est donc l’intention du policier, considérée à la lumière des circonstances
de l’affaire, qui compte. Est-ce que
l’interception a été effectuée dans la poursuite d’un objectif légitime se
rapportant à la sécurité routière ou en raison de vagues soupçons concernant la
commission possible d’actes criminels autres que la conduite avec les facultés
affaiblies ? La question est importante puisqu’elle détermine la légalité
de l’intervention
[Page 519]
policière et les
constatations qui en découlent. Enfin, mentionnons que ce n’est pas parce que
des policiers soupçonnent un automobiliste d’être impliqué dans la production
de cannabis, qu’ils ne peuvent procéder à son interception pour une infraction
au Code de la sécurité routière (p. ex. : pare-brise fissuré). Si,
en ce faisant les policiers acquièrent les motifs raisonnables nécessaires à son
arrestation, celle-ci sera légale.
[Page 520] b) Le pouvoir d’interpeller le
conducteur d’un véhicule routier immobilisé sur la voie publique
341. Un agent de la paix peut, dans le cadre
des fonctions qu’il exerce en vertu du CSR, interpeller le conducteur d’un
véhicule routier immobilisé le long d’un chemin public. En effet,
l’automobiliste est-il en état d’ébriété ? Éprouve-t-il des problèmes de
santé ? Ou des ennuis mécaniques ? Il s’agit là de questions se
rapportant à la sécurité du conducteur et des autres usagers de la route.
L’interpellation du conducteur étant permise dans ces circonstances, le
policier pourra actionner les gyrophares et s’enquérir de la situation faisant
l’objet de l’intervention. En d’autres termes, si l’agent de la paix peut, dans
l’exercice de ses fonctions prévues au CSR, demander l’arrêt au hasard d’un
véhicule routier, il peut, a fortiori, procéder dans le même but à
l’égard d’un conducteur dont la voiture est déjà immobilisée le long d’un
chemin public.
342. L’article 636 CSR s’applique également
au conducteur qui circule ou qui est garé dans le stationnement d’un commerce
ou d’un immeuble ouvert au public. Pour s’en convaincre,
citons la décision R. c. Thibeault
dans laquelle deux policiers
[Page 521]
ont procédé à
l’interpellation d’un conducteur qui était assis au volant d’une automobile
garée dans le stationnement du bar « La Boulathèque » à Rimouski.
Comme le conducteur se trouvait à proximité d’un débit de boisson peu avant la
fermeture et qu’il avait éteint les lumières de sa voiture à la suite du
passage des policiers, ces derniers ont procédé à l’interpellation du
conducteur pour « vérifier sa sobriété » et « sa présence sur
les lieux ». La
vérification de la sobriété étant un objectif valable d’interception au sens du
Code de la sécurité routière, celle-ci pouvait, en l’espèce, fonder
l’intervention des policiers. En ce qui concerne la
décision de s’enquérir des raisons de sa présence sur les lieux (Qu’est-ce
qu’il faisait là ? Est-ce qu’il arrivait ou partait ? etc.), celle-ci
ne relève pas de la sécurité routière, mais s’inscrit dans l’exercice légitime
du devoir général des policiers « de maintenir la paix, l’ordre et la
sécurité publique, de prévenir la commission d’infraction et d’assurer la
sécurité du public ». Ce devoir, comme nous le verrons un peu plus loin,
permet aux policiers d’intervenir auprès du conducteur, sans le détenir
toutefois en l’absence de soupçons raisonnables. c) Le pouvoir d’interpeller le
conducteur d’un véhicule routier qui se trouve sur un terrain privé
343. L’article 636 CSR peut-il s’appliquer
lorsque le véhicule qui circulait sur la voie publique s’immobilise par la
suite dans la cour d’un terrain privé ? La réponse est oui, selon la Cour
[Page 522]
d’appel dans Harvey
c. R..
Après avoir remarqué la présence d’un véhicule circulant tard le soir sur une
route de campagne où l’on avait rapporté la commission de plusieurs vols dans
des propriétés, les policiers ont aperçu la conductrice entrer dans la cour
d’une résidence privée quelques mètres avant de les croiser. Croyant que la
conductrice tentait de les éviter, les policiers ont fait demi-tour et
immobilisé leur véhicule derrière celui de l’appelante. Constatant la présence
de personnes sur le perron de la maison où l’accusée s’était garée, les
policiers décident alors de rebrousser chemin. Au moment de quitter les lieux,
les agents observent l’accusée sortir de son véhicule. Comme les policiers sont
intrigués par la lenteur de ses gestes, ils interpellent la conductrice afin de
vérifier son permis de conduire et son certificat d’immatriculation. Constatant
une odeur d’alcool et des signes apparents d’ébriété, les policiers demandent à
l’accusée de souffler dans l’appareil de détection approuvée. La conductrice
ayant échoué le test, elle fut accusée d’avoir conduit un véhicule à moteur
avec les facultés affaiblies et de conduite avec un taux d’alcool supérieur à
la limite permise. Après avoir rappelé le pouvoir des policiers d’enquêter
lorsque leurs soupçons sont éveillés par la présence d’un véhicule circulant,
tard la nuit, dans un secteur où plusieurs vols furent rapportés,
la Cour affirme que « les policiers ont le droit de vérifier, lorsqu’une
personne circule avec un véhicule sur les chemins publics, si elle est
titulaire d’un permis de conduire et d’un certificat d’immatriculation
(articles 35 et 95 CSR). Le fait que l’appelante venait de garer son véhicule
dans une entrée privée n’affecte pas le droit du policier de vérifier ses
papiers alors qu’il
[Page 523]
la voit en sortir ».
Cette approche est conforme à l’esprit de l’article 636 CSR. S’il faut
condamner le comportement d’un « policier qui, a posteriori, se
drape dans les dispositions de l’art. 636 CSR pour justifier ses agissements »,
rien ne l’empêche d’interpeller l’automobiliste qui se trouve sur un terrain
privé, après avoir été observée au volant de sa voiture sur le chemin public.
344. Quant à l’interpellation effectuée dans
l’entrée d’une résidence privée à la suite de constatations faites entièrement
sur un terrain privé alors que la voiture ne s’est pas engagée sur la voie
publique, nous croyons que l’article 636 CSR n’est d’aucun recours. Cette
situation fut étudiée par le juge Vanchestein, dans R. c. Gasse.
Après avoir aperçu l’accusé reculer brusquement avec sa voiture dans l’entrée
d’une propriété privée et en descendre tout aussi rapidement, des policiers ont
procédé à l’interpellation du conducteur et d’une autre personne qui se
trouvait sur les lieux. Constatant la présence de symptômes d’ébriété et d’une
forte odeur d’alcool, le constable Hamelin demanda à l’accusé de souffler dans
l’appareil de détection approuvé. Ce dernier ayant échoué le test, il fut mis
en état d’arrestation pour conduite avec capacités
[Page 524]
affaiblies et avec
un taux d’alcoolémie supérieur à la limite permise. Comme les policiers ont
actionné leurs gyrophares et bloqué l’entrée de la cour avec leur voiture,
l’accusé était en détention au moment de la constatation des symptômes
d’ébriété. Cette détention ne pouvant être justifiée qu’en vertu de l’article
636 CSR ou du pouvoir de détention à des fins d’enquête, le tribunal devait se demander
si le pouvoir prévu à l’article 636 CSR pouvait s’appliquer lorsque les faits
menant à l’interpellation du conducteur avaient été entièrement observés alors
que le véhicule se trouvait déjà immobilisé sur un terrain privé ? La
réponse est non. Les policiers ne pouvaient se prévaloir d’un tel pouvoir dans
les circonstances. Leur attention ayant été attirée par le recul rapide de la
voiture et la sortie en trombe du requérant, ils auraient pu, dans le cadre de
leur devoir de maintenir la paix et de prévenir le crime, s’approcher des deux
personnes tout simplement pour voir ce qui se passait, sans priver le requérant
de sa liberté d’aller et venir. La détention s’étant cristallisée au moment de
leur intervention, celle-ci devenait arbitraire, faute de soupçons
raisonnables. Deuxième sous-section : Le
pouvoir de détenir un conducteur à des fins d’enquêtea) Le pouvoir de détenir aux fins
d’enquête un conducteur circulant ou stationné sur le chemin public
345. Un policier peut intercepter à des fins
d’enquête une voiture circulant sur le chemin public s’il possède des motifs
raisonnables de soupçonner que le conducteur est impliqué dans un crime donné
et qu’il est nécessaire de le détenir. Cette situation fut examinée par le juge
Beauséjour dans R. c. Lemay.
Alors qu’ils
[Page 525]
patrouillaient en
voiture sur le boulevard de l’Industrie à Joliette, deux policiers ont remarqué
la présence d’un véhicule stationné sous un viaduc, le long d’un accotement
situé dans un rond-point adjacent à la cour d’une quincaillerie Patrick Morin.
Comme plusieurs vols de matériaux de construction avaient été rapportés au
cours des trois dernières années dans ce commerce, que le rond-point en
question était souvent utilisé par les voleurs afin de cacher leurs camions
entre le viaduc et la clôture du commerce, qu’il s’agissait d’un véhicule
utilitaire sport comportant une grande capacité de chargement, que la
camionnette se trouvait tard la nuit à quelques mètres de la clôture donnant
accès à la cour du commerce et que la conductrice avait quitté l’accotement
pour s’engager dans la voie publique au moment de l’arrivée des policiers, ces
derniers décidèrent de procéder à l’interception du véhicule. Sachant qu’une
femme avait participé au dernier vol perpétré à la quincaillerie Patrick Morin,
l’attention des policiers fut attirée rapidement par la présence d’un gros
coffre situé à l’avant de la valise. La conductrice ayant dissipé les soupçons
des policiers à l’égard du contenu du coffre, ces derniers décelèrent une odeur
d’alcool provenant de son haleine. Possédant des motifs raisonnables de
soupçonner que l’accusée avait consommé de l’alcool, les policiers demandèrent
à la requérante de souffler dans l’appareil de détection approuvé. Accusée de
conduite avec les facultés affaiblies et de conduite avec un taux d’alcool
supérieur à la limite permise, la défense contesta la légalité de la détention
initiale. D’après le juge Beauséjour, l’interception du véhicule de l’accusée
n’avait rien à voir avec les pouvoirs prévus à l’article 636 CSR. S’agissant
d’une détention aux fins d’enquête, les policiers devaient posséder des motifs
raisonnables de soupçonner que la conductrice était impliquée dans un crime
donné et qu’il était nécessaire de la détenir.
[Page 526]
Comme la croyance
des policiers voulant que la conductrice pouvait être impliquée dans la
commission d’un crime s’appuyait sur la présence de facteurs objectivement
vérifiables, tels que la fréquence des infractions rapportées dans ce commerce
au cours des trois dernières années, l’endroit utilisé par les voleurs, l’heure
de l’interception, le type de véhicule conduit par l’accusée et son départ au
moment de l’arrivée des policiers, la détention de la conductrice était
justifiée dans les circonstances. En ce qui concerne la
détention qui repose sur une intuition ou de simples soupçons, celle-ci est
arbitraire et contraire à l’article 9 de la Charte.
[Page 527] b) Le pouvoir de détenir aux fins
d’enquête un conducteur se trouvant dans le stationnement d’un commerce ou d’un
autre bâtiment ouvert au public
346. Si les policiers peuvent détenir un
conducteur circulant ou stationné le long d’un chemin public lorsqu’ils « ont
des motifs raisonnables de soupçonner l’existence d’un lien clair entre la
personne en cause et une infraction criminelle récente ou toujours en cours »,
il en va également du conducteur qui se trouve dans le stationnement d’un
commerce ou d’un autre édifice ouvert au public. Dans R. c. Morissette,
la juge Aubry confirme la légalité de la détention du conducteur d’un
véhicule routier immobilisé tard la nuit, les phares allumés, à côté de la
pompe à essence d’un dépanneur Couche-tard fermé depuis deux ou trois heures.
Plusieurs introductions par effraction et vols de cigarettes ayant été
rapportés dans les dépanneurs de la région, les policiers ont activé les
gyrophares et interpellé le conducteur afin d’enquêter sur les raisons de sa
présence sur les lieux en question. L’interpellation du conducteur ayant mené à
la constatation des symptômes d’ébriété à l’origine des accusations de conduite
avec les facultés affaiblies et de conduite avec un taux d’alcool supérieur à
la limite permise, sa détention était fondée sur le devoir général des
policiers de prévenir le crime et, plus précisément, sur la présence de
soupçons raisonnables justifiant l’intervention des policiers. Cette décision
n’est pas sans analogie avec celle rendue par la juge Gilbert, dans R. c.
Lelièvre. Alors
qu’ils patrouillaient dans le secteur de Beauport, des policiers aperçoivent
deux voitures, le moteur en marche et les phares allumés, garées très près
l’une de l’autre dans le stationnement d’un édifice d’Hydro-Québec. Comme il
s’agit d’un samedi soir, que le bâtiment est fermé la fin de semaine et qu’il
n’y a pas d’autres véhicules dans le stationnement, les policiers s’approchent,
les phares éteints, à près de 2 ou 3 mètres des véhicules suspects. Constatant
que les vitres des voitures sont
[Page 528]
embuées, les
policiers activent leurs gyrophares. Ayant sommé les trois personnes se
trouvant dans la voiture de l’accusé de s’identifier, un des policiers
aperçoit, à l’aide de sa lampe de poche, du cannabis caché sous un cendrier,
dans le porte gobelet du conducteur. L’autre policier ayant détecté une odeur
de cannabis fraîchement coupé, l’agent procéda à l’arrestation de l’accusé et
des 2 passagers pour possession de cannabis. Comme les soupçons des policiers
s’étaient transformés en soupçons raisonnables à l’approche de la voiture et
que la drogue était apparente aux yeux de l’agent, l’arrestation de l’accusé
pour trafic de cannabis et de possession dans le but d’en faire le trafic était
fondée dans les circonstances. c) Le pouvoir de détenir aux fins
d’enquête un conducteur se trouvant sur un terrain privé
347. Le pouvoir de détenir aux fins
d’enquête un conducteur se trouvant sur un terrain privé, puise sa source dans
la décision de la Cour d’appel du Québec, dans R. c. Cotnoir.
Vers 1 h 30 du matin, des agents de la Sûreté du Québec, qui patrouillaient
dans la municipalité d’Évain, ont remarqué la présence inhabituelle d’une
camionnette, le moteur en marche, dans le stationnement d’une résidence privée.
L’agent Bélanger ayant aperçu, sans en avertir sa collègue, un individu assis à
la place du conducteur la tête penchée vers l’arrière, le policier songea à
revenir sur les lieux, une fois sa ronde terminée, afin de s’enquérir de l’état
de santé du conducteur. Une fois la résidence dépassée, l’agent Gougeon
constata également, dans son rétroviseur, la présence d’un individu à
l’intérieur de la camionnette. Croyant qu’il s’agissait d’un voleur, l’agent
Gougeon stationna sa voiture derrière celle du suspect, descendit de
l’auto-patrouille, puis s’approcha de la camionnette dans laquelle elle
découvrit l’accusé endormi. L’agent Gougeon ayant cogné à la fenêtre du
véhicule afin de réveiller le conducteur, la policière décela une forte odeur
d’alcool provenant de l’habitacle
[Page 529]
de la voiture. Après
avoir appris qu’il s’agissait du propriétaire de la camionnette et de la
résidence, l’agent Gougeon constata plusieurs signes d’ébriété en vertu
desquels elle somma l’accusé de se soumettre à un test de dépistage d’alcool.
Mis en état d’arrestation après avoir échoué le test, l’accusé contesta la
légalité de l’intervention à l’origine des constatations des policiers. D’après
le juge Pidgeon, les agents Gougeon et Bélanger agissaient dans le cadre des
devoirs imposés par la loi et la common law : la première souhaitant
prévenir le crime après avoir surpris un voleur en flagrant délit et le second
à protéger la vie des citoyens en prêtant assistance à une personne qui pouvait
avoir subi un malaise. Après avoir déterminé
que les policiers agissaient dans l’exercice légitime de leurs fonctions, la
Cour estima que « les soupçons de l’agent Gougeon étaient suffisamment
sérieux » pour fonder son
intervention dans les circonstances. Même si nous croyons que les soupçons de
l’agent Gougeon n’étaient pas suffisamment étayés par la preuve pour être
raisonnables, la décision de la Cour d’appel, dans R. c. Cotnoir, doit
être interprétée comme permettant aux policiers de détenir un individu
stationné dans sa voiture sur un terrain privé, lorsqu’ils ont des motifs
raisonnables de soupçonner qu’il est impliqué dans la commission d’un crime et
qu’il est nécessaire de le détenir. En
l’absence de tels soupçons raisonnables,
[Page 530]
les policiers ne
peuvent procéder à la détention du conducteur pour fins d’enquête, mais peuvent
procéder à des vérifications de routine.
348. L’arrêt de la Cour d’appel dans R.
c. Bilodeau confirme le pouvoir des policiers de détenir aux fins
d’enquête un conducteur qui s’immobilise dans l’entrée d’une résidence privée.
Alors qu’ils patrouillaient au cours de la nuit dans un secteur résidentiel
d’un petit village, des policiers ont remarqué la présence d’une camionnette
qui circulait à très basse vitesse, les lumières des freins s’allumant et
s’éteignant « comme si les passagers à bord regardaient les maisons ou
cherchaient une adresse quelconque ». Le
véhicule étant entré dans la cour d’une maison privée à l’approche des
policiers, ces derniers ont vérifié si l’adresse de la demeure correspondait au
véhicule en question. La demande au Centre de renseignements policiers du
Québec (CRPQ) révéla que le suspect habitait dans un autre village. Deux
minutes plus tard, le conducteur remit le moteur de sa voiture en marche,
recula, puis s’engagea en direction sud sur la rue Bilodeau. Les policiers
s’étant approchés pour l’intercepter, le conducteur s’immobilisa, encore une
fois, dans l’entrée d’une résidence privée. Craignant la possibilité d’une
introduction par effraction, les policiers procédèrent à l’interpellation du
suspect, puis constatèrent la présence d’une forte odeur d’alcool. Discutant de
la légalité de l’intervention ayant
[Page 531]
permis la
constatation des symptômes d’ébriété, la Cour d’appel confirma le pouvoir des
policiers de détenir le conducteur à des fins d’enquête. Ainsi, puisque la
voiture roulait à faible vitesse en freinant à plusieurs reprises, que le
conducteur avait immobilisé son véhicule, les phares éteints, dans l’entrée
d’une maison dont l’adresse ne correspondait pas à la sienne, qu’il s’était
arrêté de nouveau dans l’entrée d’une autre résidence à l’approche des
policiers, ces derniers étaient justifiés d’intervenir « pour éviter une
tentative d’introduction par effraction dans une résidence au cours de la nuit ».
La détention étant fondée sur la présence de motifs raisonnables de soupçonner,
celle-ci ne contrevenait pas à l’article 9 de la Charte.
349. Le pouvoir d’interpeller le conducteur
d’une automobile dans l’entrée d’une résidence privée fut réitéré dernièrement
par la Cour d’appel dans l’arrêt Pelland c. R..
Après avoir reçu du répartiteur radio des renseignements précis provenant d’une
personne qui avait appelé au 911 pour signaler que l’accusé conduisait son
véhicule en état d’ébriété, des policiers se sont rendus à l’adresse du
suspect. Le véhicule n’étant pas sur place à leur arrivée, les policiers ont
aperçu quelques instants plus tard le jeep Patriot vert du suspect se diriger
vers eux, pour se garer dans l’entrée de sa résidence. Les policiers ayant
procédé à son interpellation, le suspect fut accusé d’avoir conduit une
automobile alors que sa capacité de conduire était affaiblie par l’effet de
l’alcool et d’avoir conduit une automobile alors que son alcoolémie dépassait
la limite légale. L’accusé ayant été acquitté en première instance, l’appel de
la décision fut accueilli par le juge Boucher, de la Cour supérieure. D’après
ce dernier, les policiers pouvaient détenir le conducteur, car ils avaient des
motifs raisonnables de soupçonner que l’intimé « était lié à une
infraction criminelle récente ou en cours ».
L’accusé ayant contesté cette décision devant la Cour d’appel du Québec, le
Tribunal devait déterminer notamment si l’intervention policière était illégale
parce qu’elle avait eu lieu sur
[Page 532]
un terrain privé.
Encore une fois, la Cour est catégorique : « le fait qu’un véhicule
passe de la voie publique à un terrain privé ne transforme pas ce dernier en un
refuge contre l’intervention des policiers ». Que
le conducteur circulant sur la voie publique s’immobilise chez lui, chez des
amis ou à un autre endroit qui ne correspond pas à son adresse importe peu.
« Lorsque des motifs légitimes, au sens de la jurisprudence, sous-tendent
leur intervention, les policiers peuvent intervenir comme en l’espèce. » Troisième sous-section : Le
pouvoir d’interpellation sans détention d’un conducteura) Le pouvoir d’interpeller (sans
détention) le conducteur d’un véhicule immobilisé sur un chemin public ou dans
le stationnement d’un commerce ou d’un édifice ouvert au public
350. L’interpellation sans détention du
conducteur d’une automobile garée en bordure d’un chemin public ou dans le
stationnement d’un commerce ou d’un édifice ouvert au public, fut abordée par
la Cour d’appel, dans R. c. Dault.
Le 14 décembre 2003, peu après minuit, deux policiers en auto-patrouille
pénètrent dans le stationnement d’un lave-auto situé à proximité d’un bar
fréquenté par plusieurs clients. C’est à ce moment que leur attention est
attirée par la présence d’un véhicule garé, le moteur en marche, les phares
éteints et les vitres dégivrées, contrairement aux autres voitures. Deux
passagers se trouvent à l’intérieur et semblent s’affairer près du tableau de
bord. Dans le but de procéder à une vérification du véhicule, le policier
Montfils stationne l’auto-patrouille près de la voiture des suspects, sans
activer les
[Page 533]
gyrophares. Les
policiers sortent de leur véhicule et s’approchent des deux passagers. Arrivé
au niveau de la porte du conducteur, le policier Montfils note que la fenêtre
est entrouverte et décèle une forte odeur d’alcool. Quant au policier se
trouvant du côté du passager, il remarque « des mouvements de mains sur le
tableau de bord du véhicule » et la présence
d’un étui de carte de crédit. Aussitôt, l’agent Rouleau ouvre la portière du
passager et voit une ligne de cocaïne que ce dernier est en train de préparer à
l’aide d’un étui et de sa carte bancaire. De son côté, le policier Montfils
constate la présence chez le conducteur de plusieurs symptômes de facultés
affaiblies. Les deux individus sont arrêtés puis amenés au poste de police.
Accusé de garde et contrôle d’un véhicule à moteur avec les facultés affaiblies
(art. 253b) et 255(1) C.cr.) et de possession de cocaïne, le conducteur
conteste la validité de l’interpellation à l’origine des constatations des
policiers et plus précisément l’absence de motifs permettant aux agents de
s’approcher du véhicule. D’après le juge Dalphond, « il est de
jurisprudence bien établie que les policiers peuvent patrouiller pour assurer
la paix et la sécurité, prévenir la commission d’infraction et venir en aide à
un citoyen (R. c. Cotnoir, [2000] R.J.Q. 2488 (C.A.)). Il est
aussi indéniable qu’en vertu de leurs pouvoirs généraux, les policiers peuvent
interpeller des personnes et leur poser des questions dans le cadre d’une
patrouille de routine ». Comme les
policiers
[Page 534]
ont stationné leur
voiture parallèlement à celle de l’accusé, sans bloquer la sortie et sans
activer les gyrophares, et qu’ils « voulaient voir se qui se passait »
afin de vérifier qu’aucune personne n’était en difficulté ou en train de
commettre un acte criminel, l’intervention ayant mené aux constatations
reprochées s’inscrivait légitimement dans l’exercice des pouvoirs généraux des
policiers « de maintenir la paix et la sécurité, de prévenir la commission
d’infraction et de venir en aide à un citoyen ».
[Page 535]
351. Les principes énoncés par le juge
Dalphond, dans R. c. Dault, furent repris et développés par le
juge Gosselin, dans R. c. Spence. Alors
qu’ils patrouillaient sur la route 105 à Chelsea, les agents Cloutier et Deveau
ont remarqué la présence d’un véhicule immobilisé, tard la nuit, le moteur en
marche et les phares allumés, à proximité d’un restaurant ayant déjà fait
l’objet d’une demande de surveillance. Au moment d’entrer dans le stationnement
du commerce, les policiers aperçoivent un individu, qui vient de sortir de la
voiture, se diriger vers le restaurant. Comme l’établissement est fermé, les
policiers décident d’effectuer une vérification auprès du véhicule en question.
Immobilisant l’auto-patrouille une dizaine de pieds à gauche de la Mercedes,
l’agent Deveau constate que la conductrice a vu leur automobile s’approcher.
Malgré plusieurs tentatives d’attirer son attention, la conductrice ne réagit
pas à la présence des policiers. Trouvant la situation plutôt louche, « le
constable Deveau décide à ce moment d’enquêter de façon plus approfondi[e] pour
voir qu’est ce qui se produit sur le site du commerce ».
Le policier se trouvant, à ce moment, debout du côté de la porte de la
conductrice, il aperçoit l’individu, qui avait quitté la voiture pour se
diriger vers le restaurant, en train d’uriner. Sachant désormais ce que
l’individu fait là, l’agent Deveau décide tout de même de compléter son
intervention auprès de la conductrice afin (1) de s’enquérir des raisons de
leur présence sur les lieux, (2) de s’assurer qu’il n’y a pas de problèmes et
(3) de vérifier si la personne qui se trouvait à l’extérieur de la voiture n’a
pas tenté de faire diversion en faisant semblant d’uriner. Après avoir cogné à
la fenêtre de la conductrice pour engager la conversation, le policier décela
une forte odeur d’alcool provenant de l’habitacle du véhicule. Ayant également
remarqué les yeux rougis de la conductrice, le patrouilleur lui demanda de
sortir du véhicule afin de subir un test de dépistage d’alcool, qu’elle échoua.
Discutant de la légalité de l’intervention policière ayant mené à la
constatation des symptômes de facultés affaiblies, le juge Gosselin conclut à
l’absence de détention de l’accusée au moment de son interpellation et à la
légitimité de l’intervention policière. Ce n’est donc pas parce que les
policiers abordent une personne à des fins
[Page 536]
d’enquête qu’elle
est nécessairement en détention au sens de l’article 9. Dans un passage d’une
clarté et d’une précision remarquables, le juge Gosselin explique :
« D’abord que, si les policiers ont
besoin d’avoir des soupçons raisonnables fondés sur des motifs concrets à
l’effet qu’une personne est reliée à la perpétration d’une infraction pour
pouvoir la détenir à des fins d’enquête, au sens des arrêts Mann et Suberu,
et s’ils ont aussi besoin d’acquérir des motifs raisonnables de croire
qu’une personne a commis une infraction pour pouvoir l’arrêter, l’exigence
d’acquérir de tels soupçons ou motifs raisonnables n’est pas requise lorsque,
dans l’exercice de leurs pouvoirs généraux d’assurer la protection des
personnes et des biens et de prévenir le crime, ils procèdent à des
vérifications de routine. Il suffit dès lors que l’intervention policière
s’inscrive dans l’exercice légitime de ces pouvoirs généraux pour que les
policiers soient justifiés, par exemple, d’approcher un véhicule automobile
immobilisé dans un lieu accessible au public et d’interagir avec le conducteur,
ou encore d’approcher quelqu’un sur la rue et d’interagir avec lui; pour
autant, toutefois, que cette interaction se fasse dans le respect des droits et
libertés enchâssés dans la Charte. Et pour autant, en conséquence, que cette
interaction ne se métamorphose pas en une détention pour fins d’enquête ou
encore en une [arrestation] pure et simple puisque, le cas échéant, le policier
doit avoir préalablement acquis des soupçons raisonnables ou encore des motifs
raisonnables. »
352. Les policiers ayant stationné leur
voiture à la gauche de celle de la conductrice, sans bloquer le chemin ni
activer leurs gyrophares, la liberté de mouvement de l’accusée n’a pas été
contrainte dans les circonstances. Quant à la légalité de l’intervention
policière, le constable Deveau avait « des raisons valables de
procéder à une vérification du commerce et du véhicule stationné »
(présence d’un véhicule à une heure tardive dans le stationnement d’un
restaurant fermé, secteur isolé, passager se dirigeant vers le commerce,
conductrice faisant fi de la présence
[Page 537]
des policiers,
etc.). Comme la décision d’approcher le véhicule suspect, puis de cogner à la
fenêtre de la conductrice afin de vérifier ce qui se passait, s’inscrivait dans
l’exercice légitime des pouvoirs des policiers « de prévenir le
crime et de protéger la vie », les constatations effectuées par la suite
pouvaient conférer aux policiers les soupçons raisonnables nécessaires afin
d’obliger la conductrice à souffler dans l’appareil de détection approuvé.
353. En ce qui concerne les policiers qui
agissent dans le cadre d’une enquête, ou d’un appel, ces derniers peuvent,
conformément aux enseignements de la Cour suprême dans R. c. Suberu, interpeller
un conducteur afin de déterminer si la personne « est mêlée à l’affaire
d’une façon quelconque ». En effet, « [i]l
faut poser plusieurs questions préliminaires pour décider comment procéder par
la suite. Tant que les renseignements relatifs à la perpétration possible d’une
infraction criminelle et à l’identité de l’interlocuteur n’avaient pas été
obtenus », le policier
pouvait continuer à poser des questions dans un climat exempt de contrainte,
sans qu’il y ait détention.
[Page 538] b) Le pouvoir d’interpeller (sans
détention) le conducteur d’un véhicule immobilisé sur un terrain privé
354. Bien que l’interpellation d’un
conducteur sur un terrain privé implique des considérations particulières, nous
croyons qu’un policier peut, « à l’occasion de l’exercice légitime des
devoirs permis par la loi et la common law »,
interpeller le conducteur d’une automobile stationnée dans la cour d’une
résidence privée. Comme l’exercice légitime
des pouvoirs conférés par la loi ou la common law suppose la présence de raisons
valables de procéder à l’interpellation du conducteur, les policiers
doivent fonder leur intervention sur la présence de faits justifiant leur
action. « Est-ce que le conducteur a besoin d’aide ? Se livre-t-il à
une activité illicite ? A-t-il les facultés affaiblies ? Fait-il du
repérage afin de vérifier si les habitants de la demeure sont présents ? »
Naturellement, l’intervention fondée sur la race ou des préjugés ne s’inscrit
pas dans l’« exercice légitime » des pouvoirs conférés par la loi ou
la common law. Sans exiger des motifs précis ou des soupçons raisonnables, les
policiers doivent avoir des raisons valables de procéder à la
vérification du conducteur. Résultat :
[Page 539]
Les policiers qui
aperçoivent un véhicule automobile circuler sur le terrain privé d’une usine
fermée pendant la nuit pour ensuite se garer à proximité d’une génératrice
fixée à l’immeuble en question peuvent intervenir auprès du conducteur afin « de
prévenir la commission d’un crime ou d’aviser des individus de quitter les
lieux s’ils n’avaient aucun droit légitime sur cette propriété ».
S’agissant d’une intervention, sans détention, effectuée dans le but de
s’enquérir des raisons de leur présence à cet endroit, les policiers n’avaient
rien à se reprocher. Quant à la voiture qui circulait, tard le soir, à plus de
178 km/h dans une zone de 100 km/h et qui fut retrouvée, quinze minutes plus
tard, dans l’entrée d’une résidence privée dont les lumières étaient allumées,
les policiers peuvent cogner à la porte de la demeure afin d’identifier le
propriétaire du véhicule sans engager la protection offerte à l’article 9.
Bien que la présence de simples soupçons suffise, le policier qui se fonde « sur
aucune observation [ou information] préalable sérieuse avant d’intercepter »
le conducteur, aura de la difficulté à justifier son
[Page 540]
intervention dans le
cadre des pouvoirs qui lui sont conférés par la loi ou la common law.
Quatrième
section : La norme des « soupçons raisonnables »
355. Les motifs gouvernant l’intervention
d’un policier auprès d’un citoyen peuvent être classés en fonction du degré de
probabilité qu’une personne se livre à une activité criminelle.
Fondée sur une intuition, une hypothèse ou une supposition, la présence de « simples
soupçons » ou de « soupçons généraux » peut amener des policiers
à commencer ou pousser plus loin leur enquête, sans toutefois leur permettre de
détenir la personne qui a attiré leur attention.
Comme les faits ne sont pas encore suffisamment précis ou caractérisés pour
constituer des « soupçons raisonnables », les policiers doivent
s’abstenir de contraindre la liberté du suspect. On n’a qu’à penser au
patrouilleur qui intercepte le conducteur d’un véhicule de location qui circule
tard la nuit dans un secteur agricole reconnu pour la production de cannabis.
L’intervention policière se fondant uniquement sur la présence de simples
soupçons (le mois de septembre est la période de récolte du cannabis; l’endroit
est reconnu pour la production illégale de cannabis; les récoltes ont
généralement lieu la nuit; les individus qui procèdent aux récoltes circulent
fréquemment sur des chemins de
[Page 541]
campagne ou des
routes secondaires, les producteurs utilisent souvent des véhicules de
location), le tribunal conclut à l’illégalité de la détention.
356. Pour être « raisonnables »,
les soupçons doivent reposer sur « des faits objectivement [discernables]
ou vérifiables ». La distinction
entre un « simple soupçon » et un « soupçon raisonnable »
tient donc dans la nature et la précision des faits à l’origine de la
perception du policier. Pour s’en convaincre,
citons, encore une fois, la décision de la Cour suprême dans R. c. Mann.
À la suite d’une introduction par effraction commise dans un quartier
voisin du centre-ville de Winnipeg, l’accusé, Philip Mann, fut interpellé puis
détenu par des policiers à la recherche d’un suspect
[Page 542]
identifié. Comme
l’accusé correspondait étroitement à la description du suspect et qu’il se
trouvait à proximité du lieu de l’infraction peu de temps après sa commission,
les policiers avaient des motifs raisonnables de soupçonner qu’il pouvait être
impliqué dans la perpétration d’un acte criminel et qu’il était nécessaire de
le détenir. « Les faits
indiquent-ils objectivement la possibilité d’un comportement criminel
compte tenu de l’ensemble des circonstances ? Dans l’affirmative, il est
satisfait à l’élément objectif du critère. Dans la négative, l’analyse prend
fin. » Le tribunal,
rappelons-le, doit considérer la preuve à la lumière de toutes les
[Page 543]
circonstances de
l’affaire. Des facteurs neutres
ou anodins ne procurent pas de soupçons raisonnables « lorsqu’ils sont
combinés à d’autres facteurs neutres, à moins que l’un de ces facteurs
fournisse un support à un autre ou aux autres facteurs, ou que ces
[Page 544]
facteurs neutres,
une fois réunis, se renforcent mutuellement ».
S’agissant de la possibilité raisonnable d’un crime, les soupçons se rapportent
à un événement susceptible de se produire, sans exclure toutefois d’autres
conclusions possibles.
357. À l’extrémité supérieure de l’échelle
de probabilité se trouvent les « motifs raisonnables et probables de
croire ». « Ce qui distingue les “soupçons raisonnables” de la norme
plus stricte des “motifs raisonnables et probables” est simplement le degré de
probabilité qu’une personne se livre à une activité criminelle, et non
l’existence de faits objectivement vérifiables, qui, dans les deux cas, sont
nécessaires pour justifier la fouille ou la perquisition. »
Les faits indiquent-ils objectivement la probabilité qu’une infraction
[Page 545]
a été commise ?
Si la réponse est oui, le policier peut procéder à l’arrestation de l’individu.
Dans le cas contraire, la police peut interpeller, sans détention, le suspect
en vertu de son pouvoir général de maintenir la paix et de prévenir le crime,
ou procéder à sa détention à des fins d’enquête.
L’exemple de la personne qui sort en courant d’un immeuble en feu avec un bidon
d’essence dans les mains illustre bien cette situation. Comme les policiers ont
des motifs raisonnables et probables de croire que l’individu a commis un acte
criminel, ces derniers peuvent arrêter le suspect. L’arrestation qui s’incarne
dans la prise de possession physique de l’individu étant plus envahissante que
la détention à des fins d’enquête, il est normal d’exiger un degré de
probabilité plus élevé quant à la preuve. En effet, « la
norme des soupçons raisonnables est moins exigeante que celle de la cause
probable non seulement parce que les soupçons raisonnables peuvent reposer sur
des renseignements différents, sur le plan de la quantité et du contenu, de
ceux requis pour établir l’existence d’une cause probable, mais également parce
que des soupçons raisonnables peuvent découler de renseignements moins fiables
que ceux requis pour démontrer l’existence d’une cause probable ».
La probabilité raisonnable, qui marque le passage de la détention à
l’arrestation, permet donc à l’État d’empiéter davantage sur la liberté du
suspect.
358. Envisagés sous l’angle de l’infraction
reprochée, les « soupçons raisonnables » doivent se rapporter à
l’implication
[Page 546]
possible d’une
personne dans la poursuite d’une activité criminelle et à la nécessité de la
détenir afin de procéder à une enquête plus approfondie.
Discutant de la légalité de la détention à des fins d’enquête de deux individus
qui s’affairaient à transférer des sacs à ordures d’un véhicule à l’autre dans
le stationnement d’un centre commercial, la Cour d’appel confirme la validité
de l’intervention policière. D’après le juge
Chamberland, la position perpendiculaire d’un véhicule par rapport à l’autre,
l’empressement des deux accusés à décharger la cargaison, le fait que les sacs
paraissaient légers malgré qu’ils étaient pleins et la présence d’une femme à
l’avant de la fourgonnette en train de faire le guet, contribuent à la présence
de motifs raisonnables de soupçonner qu’une activité criminelle était en cours.
En effet, « [i]l ne s’agit pas ici d’intuition; il s’agit plutôt de faits
qui, mis ensemble et analysés, permettaient raisonnablement aux policiers de
soupçonner qu’un crime se déroulait sous leurs yeux. Ils ne savaient peut-être
pas précisément de quel crime ils étaient les témoins (le sergent-détective
Lemire croyait à du recel ou à un trafic de stupéfiants), mais ils en avaient
assez pour intervenir et, dans la foulée de cette intervention, détenir
brièvement les appelants aux fins de leur enquête ».
Les policiers n’ont donc pas besoin d’identifier la nature exacte de l’infraction
reprochée pour procéder à la détention des suspects.
[Page 547]
359. La seule présence de motifs
raisonnables de soupçonner que l’accusé est « généralement impliqué dans
une activité criminelle » (p. ex. : le trafic de stupéfiants), ne
suffit pas pour conclure « qu’il commettait ou s’apprêtait à commettre un
crime au moment de l’interception ». Cela est
particulièrement vrai lorsque les policiers aperçoivent uniquement l’individu
déposer un objet non identifié dans le coffre de sa voiture. Quant à la
présence d’un suspect dans un quartier réputé pour ses activités criminelles,
elle ne permet pas l’établissement de « motifs raisonnables de soupçonner
l’existence d’un lien clair entre la personne en cause et une infraction
criminelle récente ou toujours en cours ». Il
en va également de la simple présence d’une personne qui n’est pas soupçonnée
par la police dans un endroit « fréquenté quelques jours ou quelques
semaines auparavant par une personne d’intérêt ».
« Même si certains immeubles d’appartements dans un quartier peuvent être
connus des policiers comme des refuges pour les activités liées à la drogue,
cela ne signifie pas que quiconque entre dans un immeuble à appartements dans
un secteur ou un quartier mal défini peut objectivement être soupçonné
d’activité criminelle. » Le policier
qui souhaite pousser plus loin son enquête devra alors recourir à des
techniques moins envahissantes, telles que la surveillance à pied ou en
voiture.
360. En ce qui touche finalement la
responsabilité de l’accusé, celle-ci exige la preuve de sa culpabilité « hors
de tout doute raisonnable ». Il est donc important de ne pas confondre ces
quatre niveaux de preuve (soupçons, soupçons raisonnables, motifs raisonnables
et probables de croire, preuve hors de tout doute
[Page 548]
raisonnable), car
ils conditionnent l’empiètement de l’État sur la liberté individuelle, ainsi
que les limites qui s’y rapportent.
Cinquième
section : L’arrestation
361. L’arrestation consiste dans le fait de
se saisir d’une personne ou de la toucher dans le but de la
détenir. De la saisir, tout
d’abord, puisque le policier qui s’empare physiquement d’un suspect, ou qui
menace d’employer la force à son endroit lorsque cela est possible, procède à
son arrestation. L’arrestation qui découle de l’emploi de la force ou de la
menace d’un tel emploi est donc la forme la plus simple et la plus évidente
d’arrestation.
362. L’arrestation subséquente au toucher
de la personne interpellée fut examinée par la Cour suprême dans l’arrêt R.
c. Whitfield. Alors
qu’il se trouvait à un feu rouge, un agent de police a repéré un automobiliste
faisant l’objet d’un mandat d’arrestation. L’accusé ayant accéléré après avoir
été informé par le policier qu’il avait un mandat contre lui, le suspect fut
contraint de freiner, quelques mètres plus loin, en raison de la circulation.
L’agent ayant rejoint le conducteur, il l’empoigna par la chemise et prononça
les mots suivants : « Je vous arrête. » Les voitures s’étant déplacées
entretemps, l’accusé réussit finalement à se
[Page 549]
libérer de l’emprise
du policier en accélérant de nouveau. Discutant de la présence ou non d’une
arrestation, le juge Judson s’inspire des principes issus de la jurisprudence
et résumés dans l’affaire Nicholl v. Darley (1828) : « [E]n
droit, il y a arrestation au moindre toucher. »
Ce principe, qui fut repris et développé par le baron en chef Pollock, dans Sandon
v. Jervis, ne fait plus aucun doute : « la loi c’est qu’il
y a arrestation si l’agent est assez près du débiteur pour le toucher et de
fait il le touche et l’informe de l’existence du bref ».
Le policier ayant touché l’accusé après l’avoir informé qu’il était en état
d’arrestation, ce dernier devait se soumettre à l’ordre du policier.
363. De simples paroles, sans toucher ou
contact, peuvent également constituer une arrestation si l’accusé se soumet à
l’autorité des policiers. Cette hypothèse fut considérée par la Cour suprême
dans R. c. Latimer. Dans
le cadre de leur enquête sur la mort suspecte de sa fille lourdement
handicapée, deux policiers se sont présentés au domicile de Robert Latimer afin
de le placer sous garde. Convaincus de la présence de motifs raisonnables pour
arrêter M. Latimer, mais de l’absence de preuve suffisante à ce stade pour
obtenir un verdict de culpabilité, les agents ont dit à l’accusé qu’il « était
détenu en rapport avec l’enquête sur la mort de Tracy »,
puis l’ont informé de son droit à l’assistance d’un avocat et procédé à la mise
en garde habituelle. Après avoir mentionné à Robert Latimer qu’ils devaient
l’accompagner dans la maison pour se changer de vêtements, l’accusé fut conduit
au détachement de North Battleford pour y être interrogé. La défense ayant
contesté l’existence et la légalité de l’arrestation, la Cour
[Page 550]
conclut en la
présence d’une arrestation de fait. Comme « c’est la substance de
ce qu’on peut raisonnablement supposer que l’appelant a compris qui est
déterminante plutôt que le formalisme des mots exacts utilisés »,
il ne fait aucun doute que les paroles des policiers, une fois considérées à la
lumière des circonstances de l’affaire et de la soumission de Robert Latimer,
signifiaient qu’une arrestation avait bel et bien été effectuée.
364. En ce qui concerne l’intervention policière
sans prise de possession physique ni toucher, sans risque de contrainte
physique immédiate ni soumission, celle-ci ne constitue pas une arrestation.
L’agent de sécurité qui brandit sa plaque d’inspecteur et qui se place devant
la voiture de l’accusé en lui demandant de s’immobiliser n’effectue pas une
arrestation si le suspect poursuit sa route et accélère pour déloger l’agent
qui s’était retrouvé sur son capot. L’accusé n’ayant pas « renoncé à sa
liberté », l’absence de soumission à l’autorité de l’inspecteur ne
permettait pas dans les circonstances de parfaire l’arrestation.
365. Avant de terminer cette rubrique
consacrée à la notion d’arrestation, il convient de dire quelques mots sur la
nature de l’arrestation en tant que telle. Sur ce point, la jurisprudence est
unanime : l’arrestation est un processus continu qui débute avec la prise
de possession physique du suspect, le toucher ou les paroles suivies d’une
soumission à l’autorité, et se prolonge jusqu’au moment où la personne est
livrée à un agent de la paix, remise en liberté par un agent de la paix ou
conduite devant un juge de paix pour être traitée selon la loi.
L’entrave à la liberté, qui caractérise
[Page 551]
la mise en
arrestation de l’accusé, est donc continue et non ponctuelle ou intermittente. Première sous-section :
L’arrestation sans mandat
366. Comme les pouvoirs d’arrestation
fluctuent en fonction de la nature de l’infraction reprochée, c’est de ce côté
qu’il faut commencer notre analyse de la légalité des arrestations prévues par
le Code. Sur ce point, le législateur distingue entre l’« acte criminel »
et les « infractions criminelles ». L’« acte criminel »
renvoie aux actes criminels purs (actes poursuivis par mise en
accusation) et aux infractions hybrides ou mixtes (actes poursuivis
par mise en accusation ou par procédure sommaire, au choix du poursuivant).
Quant aux « infractions criminelles », elles recouvrent aussi bien
les actes criminels purs, que les infractions hybrides ou mixtes et
punissables par voie sommaire. La distinction est importante car elle
détermine l’étendue des pouvoirs d’arrestation des simples citoyens et des
agents de la paix conformément aux articles 494 et 495 du Code. a) L’arrestation sans mandat par
quiconque (article 494 C.cr.)
367. L’arrestation sans mandat par quiconque
est un concept ancien dont l’origine remonte à l’époque des rois normands. Créé
pour assurer la « paix du roi », le pouvoir d’arrestation des
citoyens est antérieur à celui des agents de la paix. « En common law, un
simple citoyen avait à la fois le droit et l’obligation absolue de procéder à
une arrestation lorsqu’un crime était en train d’être
[Page 552]
commis ou avait “en
fait” été commis. » Cette
obligation, qui était absolue dans les cas de felonies, semblait plus
limitée dans les cas de crimes mineurs. En effet, selon le juge Pigot, dans King
v. Poe (1866), il n’existe aucun [Traduction]
« droit d’arrêter l’auteur [...] d’une infraction mineure, en
l’absence d’une violation de la paix et lorsqu’il n’est pas nécessaire de
l’arrêter pour empêcher la répétition de l’acte en cause ».
368. Issus de la common law, les pouvoirs
d’arrestation du citoyen sont désormais prévus à l’article 494 du Code
criminel. Aux termes de l’al. 494(1)a), « [t]oute personne peut
arrêter sans mandat un individu qu’elle trouve en train de commettre un
acte criminel ». C’est
l’exemple de l’individu qui aperçoit une personne en train de mettre le feu
dans des poubelles situées sous les escaliers d’un immeuble à appartements.
L’accusé ayant été pris en flagrant délit, le passant pouvait l’arrêter
sur-le-champ. Pour procéder à une arrestation sans mandat en vertu de l’al.
494(1)a),
[Page 553]
le citoyen doit « constater
lui-même une situation où une personne est apparemment en train de
commettre une infraction ». Le citoyen n’a
pas à avoir personnellement connaissance de tous les éléments qui l’amènent à
croire que la personne est « en train » de commettre un acte
criminel. Des renseignements provenant d’un tiers confirmés par la vérification
subséquente du citoyen peuvent être suffisants à ce stade. C’est ainsi qu’il
faut envisager l’arrestation effectuée par des policiers militaires qui circulaient
en voiture sur un chemin public lorsqu’ils ont été informés par un passant que
le conducteur d’une automobile qui venait de s’immobiliser le long de la
chaussée semblait conduire en état d’ébriété.
Le véhicule ayant repris son chemin quelques instants plus tard, les policiers
ont constaté la conduite erratique du conducteur puis procédé à son
arrestation. Comme les renseignements reçus avaient été confirmés par les
observations des policiers militaires, il était « apparent aux yeux d’une
personne raisonnable qui se trouve dans les mêmes circonstances » que le
conducteur était « en train de conduire son véhicule avec les facultés
affaiblies ».
369. De simples soupçons ne permettent pas
de justifier une arrestation, même si ces derniers se confirment par la suite.
L’exemple des clients d’un dépanneur qui ont procédé à l’arrestation d’un
individu soupçonné d’avoir commis un vol à l’étalage illustre bien cette
situation. Le caissier ayant demandé au suspect qui se trouvait près des
frigidaires situés à l’arrière du commerce ce qu’il faisait là, celui-ci se
retourna puis marcha dans l’allée. Comme ce dernier ne réagissait pas aux
commentaires du caissier et qu’il se dirigeait vers la sortie, le plaignant et
ses compagnons
[Page 554]
bloquèrent le chemin
à l’accusé et tentèrent de le maîtriser. Au cours de l’altercation qui
s’ensuivit, de la marchandise volée tomba des poches de l’accusé. Le plaignant
ayant agi sur la base de simples soupçons, l’arrestation fut jugée illégale.
Selon le tribunal, la découverte d’éléments de preuve démontrant après coup la
commission de l’infraction ne permet pas de conclure ex post facto à la
perpétration d’un acte criminel, et encore mois à la présence d’un flagrant
délit. En ce qui concerne le moment pour procéder à l’arrestation, l’al. 494(1)a)
n’exige pas que la personne arrête le suspect « sur-le-champ ».
L’agent de sécurité n’est donc pas obligé d’intervenir immédiatement s’il
désire parfaire son enquête.
370. Aux termes de l’al. 494(1)b),
une personne peut arrêter sans mandat un individu qui, d’après ce qu’elle croit
pour des motifs raisonnables, a commis une infraction criminelle et est en
train de fuir des personnes légalement autorisées à l’arrêter. C’est l’exemple
du citoyen qui marche sur le trottoir et qui aperçoit un individu courir dans
sa direction, deux agents de police à ses trousses. Le piéton ayant des motifs
raisonnables de croire que l’individu a commis une infraction et qu’il est en
train de fuir des policiers qui le poursuivent, il peut procéder à son arrestation.
Dans R. c. Matthews, le
tribunal acquitte un gréviste impliqué dans une altercation avec un individu à
la sortie d’un cinéma. Comme ce dernier avait agressé un piqueteur, que la
police avait été appelée sur les lieux, qu’elle voulait s’entretenir avec le
plaignant et que celui-ci était sorti par la porte arrière du cinéma, l’accusé
pouvait l’arrêter.
371. Quant au par. 494(2) C.cr., il permet
au propriétaire d’un bien, à celui qui en a la possession légitime ainsi qu’à
toute personne qu’il autorise, à arrêter sans mandat une personne qu’il trouve en
train de commettre une infraction criminelle sur ce bien, s’il procède à
son arrestation sur-le-champ ou dans un délai
[Page 555]
raisonnable après la
perpétration de l’infraction. Dans ce dernier cas, la personne qui procède à
l’arrestation doit avoir des motifs raisonnables de croire que l’arrestation
par un agent de la paix n’est pas possible dans les circonstances. On n’a qu’à
penser aux agents de sécurité d’un magasin qui observent, à l’aide d’une caméra
de surveillance, une employée entrer dans une salle d’essayage avec trois robes
et un sac. Comme l’employée sort
quelques minutes plus tard avec seulement deux robes, que son sac semble plein
et que le vestiaire est vide, les agents fouillent le sac que la suspecte avait
déposé dans un endroit réservé aux employés, puis procèdent à son arrestation à
la fin de sa journée de travail. Ici, la décision de retarder l’arrestation
pourrait leur être reprochée, car les agents de sécurité doivent procéder à
l’arrestation de la personne sur-le-champ ou dans un délai raisonnable après la
perpétration de l’infraction s’ils croient, pour des motifs raisonnables, que
l’arrestation par un agent de la paix n’est pas possible dans les
circonstances. Comme l’arrestation ne s’est pas produite sur-le-champ, que
celle-ci pouvait être effectuée par un agent de la paix et que le vol, en tant
qu’infraction hybride ou mixte, est réputé être un acte criminel,
les agents pouvaient procéder à son arrestation conformément à l’al. 494(1)a)
C.cr.
372. Permise en droit, l’arrestation sans
mandat effectuée par un citoyen oblige ce dernier à livrer aussitôt la personne
visée à un agent de la paix. L’expression « aussitôt »
ne signifie pas immédiatement, mais aussi rapidement qu’il est « raisonnablement
possible ou pratique dans les circonstances ».
Cette situation fut examinée récemment par la juge Suzanne Gagné, dans
[Page 556]
Giguère c. R..
Alors qu’il effectuait une surveillance dans une pharmacie Jean Coutu, un agent
de sécurité remarqua la présence d’un suspect dans le rayon des appareils
électroniques. Profitant des miroirs installés au plafond du commerce, l’agent
de sécurité a aperçu l’appelant s’approcher d’une femme qui lui a donné un sac
provenant d’un autre commerce. L’accusé ayant placé dans le sac le contenu
d’une boîte dans laquelle se trouvaient un DVD, des fils d’alimentation et des
manettes, l’agent de sécurité procéda à son arrestation. Après s’être
identifié, l’agent de sécurité mentionna au suspect les motifs de son
arrestation, puis lui demanda de le suivre jusqu’à un bureau situé au deuxième
étage du commerce. Sur place, l’agent informa l’individu de son droit d’avoir
recours à l’assistance d’un avocat et de garder le silence. Il composa ensuite
le 911 pour demander à la police de venir chercher le suspect. Plus de trois
heures plus tard, la police arriva finalement à la pharmacie. L’agent de police
ayant procédé à l’arrestation de la personne pour l’identifier, il remit
l’accusé en liberté environ 20 minutes plus tard, après lui avoir délivré une
citation à comparaître. D’après la juge Gagné, « l’arrestation d’une
personne par un simple citoyen constitue une action gouvernementale au même
titre que si elle est effectuée par un agent de la paix ».
Comme le par. 494(3) du Code criminel prévoit que la personne arrêtée
soit livrée aussitôt à la
[Page 557]
police, « un
délai de plus de trois heures avant d’être livré à un agent de la paix et de
pouvoir recouvrer sa liberté peut certainement constituer une violation du
droit à la protection contre la détention arbitraire ».
Le défaut de livrer aussitôt le suspect à un agent de la paix rend donc, en
l’espèce, « l’arrestation de l’appelant illégale et sa détention
arbitraire au sens de l’article 9 de la Charte ».
L’arrestation persiste donc jusqu’au moment de la remise du suspect
conformément à l’obligation prévue au paragraphe 494(3) C.cr.
373. Pour procéder à l’arrestation du
suspect, le citoyen est autorisé à employer la force nécessaire,
ce qui signifie que tout
[Page 558]
débordement quant à
l’utilisation d’une force excessive et disproportionnée pourra lui être
reproché. C’est l’exemple de l’individu qui a procédé à l’arrestation « musclée »
d’une personne qu’il avait trouvée « en train » de dérober le plat de
nourriture pour chats qui se trouvait sous l’abri d’auto, situé près de la
porte d’entrée de sa résidence. La victime ayant été prise en flagrant délit,
l’accusé se précipita sur elle, lui couvrit la tête d’une serviette, puis la
projeta violemment au sol. Après avoir placé ses genoux sur la victime qui
était allongée sur le ventre, l’accusé fixa des attaches en plastique
autobloquantes aux poignets et aux chevilles de la plaignante. Bien que
l’accusé puisse légalement procéder à son arrestation,
il a utilisé une force qui était « déraisonnable et non proportionnelle à
la menace dans les circonstances de l’espèce ».
D’où sa déclaration de culpabilité pour voies de fait. b) L’arrestation sans mandat par un
agent de la paix (art. 495 C.cr.)
374. Si un simple citoyen, un agent de
sécurité, un constable auxiliaire ou un policier
militaire circulant sur un chemin public peuvent arrêter une personne en vertu
de l’article 494 C.cr., les policiers et autres agents de la paix
(p. ex. : gardiens de prison,
[Page 559]
douaniers et agents
de conservation de la faune agissant à l’intérieur de leur fonction) tirent
leur pouvoir d’arrestation de l’article 495 C.cr. Enfin, mentionnons que les
policiers qui ne sont pas en devoir conservent leur statut d’agent de la paix et
peuvent exercer les pouvoirs d’arrestation qui leur sont dévolus.
375. Aux termes de l’al. 495(1)a) du
Code, « un agent de la paix peut arrêter sans mandat une personne qui a
commis un acte criminel ou qui, d’après ce qu’il croit pour des motifs raisonnables,
a commis ou est sur le point de commettre un acte criminel ».
Dans la mesure où elle permet l’arrestation du suspect, l’existence
[Page 560]
de « motifs
raisonnables et probables de croire » exige plus que de simples soupçons
ou de soupçons raisonnables. Cette exigence, qui vise à opérer un équilibre
entre la protection de la société contre les abus des policiers et la
répression du crime, comporte un
[Page 561]
volet à la fois subjectif
et objectif.
Subjectif, tout d’abord, puisque le policier doit croire en la présence
de motifs raisonnables et probables qu’une infraction a été commise.
Objectif, ensuite, car « une personne raisonnable se trouvant à la
place de l’agent de police doit pouvoir conclure qu’il y avait effectivement
des motifs raisonnables et probables de procéder à l’arrestation ».
La nécessité de préserver des éléments de preuve n’a aucune
[Page 562]
importance à ce
stade. La croyance du
policier doit être subjectivement honnête et objectivement vérifiable.
Supérieure à la norme des soupçons raisonnables, l’exigence des « motifs
raisonnables et probables de croire » n’exige pas la présence d’une preuve
« suffisante à première vue pour justifier une déclaration de culpabilité ».
Quant à son application, l’examen du caractère raisonnable des motifs à l’appui
de la croyance subjective du policier commande une analyse à la fois souple et
réaliste des circonstances de l’affaire, qui tient compte non seulement du
comportement de l’accusé, mais également de la formation et de l’expérience des
policiers. Statuant sur un
pourvoi logé à l’encontre d’un acquittement prononcé à l’endroit d’un individu
qui fut arrêté par des policiers à la sortie d’une banque, alors qu’il était en
possession d’un boîtier métallique fréquemment utilisé dans le cadre
d’opérations frauduleuses, la Cour d’appel accueille le pourvoi, confirme la
validité de l’arrestation et ordonne la tenue d’un nouveau
[Page 563]
procès.
D’après la juge Thibault, la nervosité de l’individu à la sortie de la banque
jumelée au fait qu’il a changé de direction à la vue des policiers et qu’il
s’est dirigé vers l’arrière du stationnement où ne se trouvait aucun véhicule,
justifiaient la décision des policiers de s’approcher du suspect afin de
s’enquérir de la situation. En se faisant, ils ont observé l’accusé se pencher
deux fois comme s’il tentait de dissimuler un objet derrière la bordure de
ciment qui délimite l’espace de stationnement. Se trouvant à moins d’un mètre
du suspect, les policiers ont aperçu, dans sa main gauche, un boîtier
métallique argenté avec un cadenas à numéro ouvert. Questionné par les
policiers, le suspect fut incapable d’expliquer la raison de sa présence sur
les lieux. Possédant des motifs raisonnables et probables de croire que le suspect
avait commis une infraction, ces derniers procédèrent à son arrestation pour
fraude. Cette arrestation, précise la juge Thibault, était justifiée dans les
circonstances compte tenu du comportement du suspect ainsi que de la formation
et de l’expérience des policiers. Du comportement du suspect, tout d’abord,
puisque selon la Cour suprême, dans R. c. MacKenzie, les
observations faites par « la vue ou l’ouïe, les mouvements, le langage
corporel et les types de comportement, notamment, font partie du bagage des
agents de police que les tribunaux devraient prendre en considération pour
déterminer si leurs témoignages, dans une affaire donnée, permettent d’établir
[le seuil d’intervention requis en l’espèce] ».
Quant à la formation et l’expérience des policiers, il s’agit d’éléments
pertinents dans l’évaluation du caractère raisonnable de la croyance voulant
que l’accusé venait probablement de commettre une fraude.
Le boîtier métallique
[Page 564]
fort caractéristique
qui se trouvait entre les mains du suspect étant reconnu par les policiers
comme étant fréquemment utilisé pour commettre des fraudes avec des cartes de
crédit, ce facteur, une fois considéré, à la lumière du contexte global de
l’intervention, permettait aux policiers de procéder à son arrestation.
L’analyse, rappelons-le, est globale et contextuelle.
Elle tient compte des circonstances de l’affaire, ainsi que de la formation et
de l’expérience des policiers. Ces derniers ayant des motifs raisonnables de
croire qu’un acte criminel avait été commis, « l’arrestation de l’intimé
était justifiée, notamment pour éviter la perte des éléments de preuve qui se
trouvaient sur lui ».
376. La présence de « motifs
raisonnables et probables de croire » provenant de renseignements fournis
par un informateur fut examinée par la Cour suprême, dans R. c. Debot.
En l’espèce, une source, bien connue des policiers, avait informé l’agent
Gutteridge que l’appelant et deux autres personnes devaient se rencontrer pour
conclure un marché de drogues et prendre possession d’une quantité importante
d’amphétamines. Comme l’informateur avait déjà collaboré avec la police et que
les informations obtenues provenaient d’une conversation entre ce dernier et
une partie à la transaction, les policiers ont mis sur pied une opération de
filature aux termes de laquelle l’appelant et ses complices furent arrêtés. Les
motifs raisonnables et probables de croire que
[Page 565]
l’appelant avait des
amphétamines sur lui provenant essentiellement des renseignements fournis par
l’informateur, la Cour s’interrogea sur la suffisance des éléments de preuve à
l’appui de l’arrestation. Dans un jugement empreint de lucidité, la Cour
proposa un examen à trois volets permettant d’évaluer la fiabilité de la preuve
et son degré de probabilité. Premièrement, les renseignements fournis par
l’informateur sont-ils convaincants ? Ce
volet vise à évaluer la qualité des renseignements obtenus. S’agit-il
d’informations précises et détaillées ou de simples « rumeurs ou racontars » ?
Est-ce que les informations proviennent directement de personnes actives dans
l’organisation criminelle ou d’individus agissant plus en périphérie du
groupe ? « Deuxièmement, la source extérieure à la police d’où
provenaient les renseignements était-elle fiable ? »
Ce volet cherche à vérifier la fiabilité des renseignements obtenus à travers
la qualité de l’informateur. S’agit-il d’une source connue des policiers
ou d’un informateur anonyme ? La source
a-t-elle déjà fourni des renseignements permettant des perquisitions
fructueuses ou des arrestations ? Pour quelles
raisons donne-t-elle ces informations ? Par avidité, vengeance, envie
[Page 566]
ou crainte à l’égard
des individus visés ? « Troisièmement, l’enquête de la police
confirmait-elle ces renseignements avant que les policiers décident de procéder
à l’arrestation ? »
Ce dernier volet s’attarde à la fiabilité des renseignements obtenus à travers
la confirmation subséquente des informations provenant de l’informateur.
La corroboration des renseignements par les dires d’une autre source ou par
d’autres moyens d’enquête (p. ex. : surveillance physique du suspect,
vérification de ses condamnations antérieures, observations additionnelles
faites quelques instants avant de procéder à l’arrestation, etc.)
constitue un moyen bien connu
[Page 567]
de s’assurer de la
fiabilité des informations obtenues. La présence d’un complément d’enquête
s’avère particulièrement importante lorsque la qualité des renseignements et/ou
la fiabilité de la source demeure incertaine.
Sans être fatale aux policiers, la faiblesse d’un volet doit être compensée par
la force des autres facteurs de pondération.
Si l’obtention de renseignements provenant d’une source plus ou moins connue
des policiers peut s’avérer suffisante lorsque la qualité des renseignements
fournis et l’enquête qui s’est ensuivie confirment les informations à l’origine
de l’arrestation,
[Page 568]
on ne peut en dire
autant de la source fiable dont les renseignements sont insuffisants et non
vérifiés par les policiers. En ce qui concerne l’appelant
Debot, la précision des renseignements fournis par l’informateur jumelée à la
qualité de la source et à la vérification subséquente des policiers étaient
suffisantes, en l’espèce, pour procéder à son arrestation.
377. Fondé sur la présence de motifs
raisonnables de croire que la personne « a commis ou est sur le point de
commettre un acte criminel », l’alinéa 495(1)a) s’applique
également aux infractions mixtes ou hybrides,
mais exclut les infractions punissables
[Page 569]
sur déclaration de culpabilité
par procédure sommaire. Dans ce dernier cas,
le policier qui souhaite procéder à l’arrestation d’une personne soupçonnée
d’avoir commis une infraction doit la trouver en train de commettre
l’acte en question au sens de l’alinéa 495(1)b) du Code.
C’est l’exemple du jeune homme qui se promène nu dans un endroit public. Un
passant ayant porté plainte à la police, l’agent peut procéder à l’arrestation
de l’individu s’il est toujours dévêtu (« en train de commettre »),
ou lui délivrer une sommation s’il est habillé au moment de son interpellation.
Quant à la personne qui est sur le point de commettre un acte criminel,
la situation fut étudiée récemment par la Cour d’appel du Manitoba, dans R. c.
Alexson. À
la suite d’un appel au 911 dont la communication avait été coupée, des
policiers se sont présentés chez le suspect afin de s’enquérir de la situation.
Une fois sur place, les agents ont entendu et aperçu l’accusé, à travers la
fenêtre du salon, crier après sa femme et son enfant. Les policiers ayant cogné
à la fenêtre et à la porte de la demeure, la femme du suspect s’empressa de les
faire entrer pour ensuite leur demander « d’emmener son mari ailleurs ».
Malgré les tentatives pour calmer l’accusé, ce dernier, qui était intoxiqué et
très agressif, serra les poings et adopta
[Page 570]
une position de
combat face aux policiers. Convaincus qu’ils ne pouvaient permettre à l’accusé
de demeurer chez lui sans danger, les policiers l’agrippèrent, puis le
projetèrent au sol afin de le menotter. Le suspect ayant assené un coup de pied
à un agent qui tentait de le placer dans l’auto-patrouille, il fut accusé de
voies de fait contre des policiers dans l’exercice de leurs fonctions. Acquitté
en première instance, la Cour d’appel cassa la décision et prononça un verdict
de culpabilité. D’après le juge Chartier, les policiers avaient des motifs
raisonnables de croire que l’accusé était « sur le point de commettre des
voies de fait » au sens de l’alinéa 495(1)a) du Code. Cette
disposition, selon le magistrat, n’oblige pas les agents « à attendre
qu’une personne profère ouvertement des menaces ou devienne très violente avant
d’intervenir ». En effet, « what is required is that the officer’s belief that
an assault was about to occur be more likely than not ». Comme les policiers croyaient
qu’ils devaient éloigner l’accusé de la résidence afin de protéger sa femme et
son enfant et que l’une de ces personnes serait agressée en l’absence d’une
telle intervention, le volet subjectif était respecté.
Cette croyance, poursuit le Tribunal, était raisonnable compte tenu de l’appel
au 911, de l’exaspération manifestée par l’accusé, de son intoxication avancée,
de son attitude agressive en présence des policiers, de sa tentative de suivre
sa femme et son enfant lorsqu’ils ont été placés à l’écart dans une autre
chambre, et du fait qu’il avait les poings serrés et adopté une position de
combat face aux policiers. Ces derniers
possédaient donc des motifs raisonnables de croire que l’accusé était sur le
point de commettre des voies de fait au sens de l’alinéa 495(1)a) du
Code. D’où la légalité de l’arrestation de l’individu sans mandat.
[Page 571]
378. Aux termes de l’alinéa 495(1)b)
C.cr., un agent de la paix peut arrêter sans mandat une personne qu’il trouve « en
train » de commettre une infraction criminelle. C’est l’hypothèse du flagrant
délit que nous avons étudiée dans le cadre de notre analyse des pouvoirs
d’arrestation du citoyen. Conformément à la définition proposée dans l’arrêt R.
c. Biron, l’agent
de la paix peut procéder à l’arrestation sans mandat d’un suspect lorsqu’il « constate
lui-même une situation où une personne est apparemment en train de
commettre une infraction ». Sans être
témoin de tous les éléments qui l’amènent à croire que la personne est « en
train » de commettre une infraction criminelle, « la validité de
l’arrestation en vertu de cet alinéa doit être déterminée au regard des
circonstances apparentes à l’agent de la paix lorsque l’arrestation
s’effectue ». Ces principes
furent repris et développés par la Cour suprême, dans R. c. Roberge.
Discutant de la légalité de l’arrestation d’un chauffeur de taxi qui conduisait
à haute vitesse à l’entrée d’un pont où un policier était stationné, le
Tribunal conclut que ce dernier avait des motifs raisonnables et probables de
croire que le conducteur était « en train » de conduire
dangereusement. L’infraction étant « apparente » aux yeux d’une
personne raisonnable placée dans la même situation, le policier pouvait
procéder à l’arrestation du suspect. Reposant sur les observations personnelles
de l’agent, les éléments qui l’amènent à conclure que la personne est « en
train » de commettre une infraction criminelle peuvent découler de la
doctrine des objets « bien en vue ». Le policier qui aperçoit de la
marijuana dans le porte-gobelet situé entre les deux sièges avant d’un véhicule
intercepté légalement peut procéder à l’arrestation du suspect pour possession
de cannabis. Même s’il s’agissait d’une infraction sommaire, l’alinéa 495(1)b)
permet aux policiers de procéder à l’arrestation sans mandat afin d’éviter la
destruction de la preuve ou d’empêcher que l’infraction
[Page 572]
se poursuive.
Cette disposition s’applique donc autant aux actes criminels « purs »
qu’aux infractions mixtes et sommaires.
379. Un agent de la paix peut, conformément
à l’al. 495(1)c) du Code, arrêter sans mandat « une personne contre
laquelle, d’après ce qu’il croit pour des motifs raisonnables, un mandat
d’arrestation ou un mandat de dépôt [...] est exécutoire dans les limites de la
juridiction territoriale dans laquelle est trouvée cette personne. C’est
l’exemple du Hells Angels en cavale qui est intercepté au volant de sa voiture
dans le cadre d’une opération de routine. Les policiers ayant identifié l’homme
qui était recherché en vertu d’un mandat pancanadien, ils procédèrent à son
arrestation sur-le-champ.
[Page 573]
380. L’article 405.1 C.cr. permet à l’agent
de la paix qui a « des motifs raisonnables de croire qu’un prévenu soit a
violé ou est sur le point de violer une sommation, une citation à comparaître,
une promesse ou une ordonnance de mise en liberté le visant, soit a commis un
acte criminel alors qu’il était visé par une sommation, une citation à
comparaître, une promesse ou une ordonnance de mise en liberté », de
procéder à son arrestation sans mandat « afin qu’il soit conduit devant un
juge ou un juge de paix au titre de l’article 524 ».
381. Suivant l’alinéa 495(2)d) du
Code, un agent de la paix ne peut arrêter une personne sans mandat pour un acte
criminel mentionné à l’article 553, une infraction « hybride » ou une
infraction sommaire, s’il a « des motifs raisonnables de croire que
l’intérêt public, eu égard aux circonstances, y compris la nécessité
d’identifier la personne, de recueillir ou conserver une preuve de l’infraction
ou une preuve y relative, d’empêcher que l’infraction se poursuive ou se
répète, ou qu’une autre infraction soit commise, peut être sauvegardé sans
arrêter la personne sans mandat ». Il en va de
même, selon l’alinéa 495(2)e), « lorsqu’il n’a aucun motif
raisonnable de croire que, s’il n’arrête pas la personne
[Page 574]
sans mandat,
celle-ci omettra d’être présente au tribunal pour être traitée selon la loi ».
D’après le juge Fisher, dans R. c. Jowett
Work, « section 495(2) was enacted by the Bail Reform Act, R.S.C.
1970, c. 2 (2nd Supp.), s. 5, to prevent the unnecessary arrest of persons
charged with certain kinds of offences where the public interest does not
require an arrest ». Bien entendu, le paragraphe 495(2)
s’applique uniquement lorsque les conditions prévues au paragraphe 495(1) sont
respectées. La question
principale, lorsqu’un policier procède à l’arrestation sans mandat d’une
personne qui a commis un acte criminel, demeure donc s’il avait les motifs
nécessaires pour procéder à l’arrestation du suspect en vertu de l’alinéa 495(1)a)
du Code. Quant au critère
utilisé pour déterminer si l’agent de la paix avait des motifs raisonnables de
croire que l’intérêt public pouvait être sauvegardé sans arrêter la personne
sans mandat, il est à la fois subjectif et objectif. Subjectif, tout
d’abord, puisque le policier doit croire que l’intérêt public peut être
sauvegardé sans arrêter la personne. Objectif, ensuite, car la
perception du policier doit être raisonnable dans les circonstances. Les deux
conditions sont cumulatives. La personne qui allègue une violation du
paragraphe 495(2) ne peut se contenter d’établir que l’intérêt public peut être
sauvegardé objectivement, sans procéder
[Page 575]
à l’arrestation.
Elle doit également démontrer que le policier croyait subjectivement que
l’intérêt public pouvait être sauvegardé sans arrêter la personne, mais qu’il a
néanmoins procédé à son arrestation.
382. L’interaction entre les paragraphes
495(1) et (2) fut examinée récemment par la Cour d’appel de la
Colombie-Britannique, dans R. c. Jowett Work.
À la suite d’une plainte déposée pour un vol de portefeuille, des policiers
ont rencontré les plaignants qui leur ont fourni une description des suspects.
Cette description correspondait aux images des voleurs captées sur la caméra de
surveillance du restaurant McDonald’s où s’était produit le vol. Peu de temps
après leur départ, l’agent de sécurité du McDonald’s a contacté les policiers
pour leur dire qu’il avait aperçu les deux suspects marchant en direction ouest
sur la rue Johnson. Une fois sur place, les policiers observèrent les suspects,
puis procédèrent à leur arrestation quelques minutes plus tard. Une fouille
accessoire ayant été effectuée dans le but de récupérer le portefeuille et
d’assurer leur sécurité, l’un des policiers découvrit de la
[Page 576]
cocaïne dans les
poches d’un suspect et procéda à son arrestation pour possession en vue d’en
faire le trafic. D’après la juge du procès, la preuve n’était pas suffisante,
en l’espèce, pour déterminer si le policier avait des motifs raisonnables de
croire qu’il était nécessaire d’arrêter l’accusé afin de récupérer le
portefeuille ou pour toute autre raison prévue aux alinéas 495(2)d) et e).
Comme la poursuite n’avait pas réussi à démontrer que la police avait « agi
d’une manière légale et raisonnable » en procédant à l’arrestation du
suspect, la fouille accessoire n’avait plus de fondement et les droits prévus
aux articles 8 et 9 avaient été violés. La décision ayant été portée en appel,
la Cour cassa le jugement. En effet, un agent de la paix peut arrêter sans
mandat une personne qui a commis un acte criminel ou qui, d’après ce qu’il
croit pour des motifs raisonnables, a commis ou est sur le point de commettre
un acte criminel. Le vol de moins de 5000 $ est une infraction hybride
pouvant donner lieu à une arrestation sans mandat prévue à l’alinéa 495(1)a).
Quant au par. 495(2), il n’entre en jeu qu’après avoir respecté le paragraphe
495(1) et constaté la présence de motifs raisonnables et probables d’arrêter la
personne. Comme la juge du procès a affirmé qu’il s’agissait d’une affaire
touchant le par. 495(2) et non le par. 495(1), elle a commis une erreur, car
elle devait déterminer, en premier lieu, si les policiers avaient les motifs
suffisants pour arrêter le suspect en vertu de l’al. 495(1)a). De plus,
le non-respect du par. 495(2) ne peut transformer une arrestation légale en
arrestation illégale, selon l’al. 495(3)a) du Code. Cette disposition,
précise la Cour d’appel, prévoit qu’un agent de la paix agit légalement et que
l’arrestation est légale si l’agent avait les motifs suffisants pour procéder à
l’arrestation du suspect en vertu des alinéas 495(1)a) et b).
Comme « une arrestation qui est légale en vertu du par. 495(1) ne peut
devenir illégale dans une procédure
[Page 577]
criminelle en raison
du défaut du policier de considérer correctement l’intérêt public tel que prévu
au par. 495(2) », la juge du
procès a commis une erreur en concluant que l’arrestation du suspect était
illégale en raison du non-respect des conditions du par. 495(2).
383. L’arrestation sans mandat d’un individu
soupçonné d’avoir commis un acte criminel prévu à l’article 553, une infraction
hybride ou une infraction sommaire peut s’avérer nécessaire pour procéder à son
identification. Sur ce point, citons le cas de l’individu qui se touche les
parties génitales par-dessus son pantalon dans un parc, pour ensuite commencer
à se masturber devant un policier habillé en civil. Le policier ayant montré
son insigne et informé le suspect qu’il était en état d’arrestation, ce dernier
a tenté de quitter les lieux à pied mais fut rapidement intercepté par un agent
qui se trouvait à proximité. L’accusé fut alors « conduit à une auto-patrouille
située à deux cents (200) mètres pour les procédures d’identification et a été
libéré par la suite avec une citation à comparaître ».
Le besoin de recueillir ou de conserver une preuve peut également justifier
l’arrestation sans mandat du suspect. On n’a qu’à penser aux quatre jeunes
femmes arrêtées pour vol à l’extérieur d’un centre commercial de la région de
[Page 578]
Trois-Rivières.
Comme les femmes étaient en possession de marchandises volées provenant du
magasin Bouclair, que des sacs à poubelle remplis de linge et de tissus se
trouvaient sur la banquette arrière de leur voiture et qu’elles étaient venues
spécialement de Montréal pour commettre les vols, elles ont été arrêtées,
fouillées, puis amenées au poste de police pour y être interrogées.
En ce qui concerne la nécessité d’empêcher que l’infraction se poursuive ou se
répète, ou qu’une autre
infraction soit commise, citons l’exemple de l’individu qui avait agressé son
ex-conjointe à la suite d’une dispute concernant la garde des enfants. Comme le
défendeur devait retourner au domicile pour aller chercher ses enfants et qu’il
avait menacé la victime de s’en prendre encore une fois à elle, la police a
procédé à son arrestation afin d’empêcher toute récidive. La présence de motifs
raisonnables de croire que la personne ne se présentera pas au tribunal à
défaut d’arrestation permet également à l’agent de la paix de procéder à
l’arrestation sans mandat du suspect. Bien que
les circonstances mentionnées à l’alinéa 495(2)d) sont les plus importantes,
la priorité demeure l’intérêt public et ce facteur ne peut être limité aux
éléments précités.
[Page 579]
384. Lorsqu’un agent de la paix n’arrête pas
une personne en vertu du par. 495(2), il peut lui délivrer une citation à
comparaître conformément à l’article 497 C.cr. On n’a qu’à penser à l’individu
appréhendé à la suite du vol d’un ordinateur dans un magasin d’équipements
électroniques. Le suspect ayant été identifié par les policiers à l’aide de son
permis de conduire, une citation à comparaître lui fut délivrée.
385. Lorsqu’une personne a été arrêtée sans
mandat pour une infraction qui n’est pas mentionnée à l’article 469 et « n’a
pas été conduite devant un juge de paix ni mise en liberté en vertu d’une autre
disposition de la présente partie, un agent de la paix doit, dès que cela est
matériellement possible, la mettre en liberté » si, selon le cas, il a
l’intention d’obliger cette personne à comparaître par voie de sommation ou il
lui a délivré une citation à comparaître ou que cette personne lui a remis une
promesse. C’est l’exemple de
l’individu qui est remis en liberté après avoir été identifié ou interrogé par
la police. Les motifs présidant à son arrestation sans mandat ayant disparu, il
n’y a plus lieu de le maintenir en détention. En sens contraire, l’al. 498(1.1)a)
prévoit que « l’agent de la paix ne met pas la personne en liberté s’il a
des motifs raisonnables de croire qu’il est nécessaire, dans l’intérêt public,
de détenir la personne sous garde » ou de disposer de la question conformément
à une autre disposition. L’intérêt public comprend notamment le besoin
d’identifier la personne, de recueillir ou de conserver des éléments de preuve,
d’empêcher que l’infraction se poursuive, se répète ou qu’une autre infraction
soit commise, et d’assurer la sécurité des victimes ou des témoins de
l’infraction. Les policiers peuvent
donc détenir une personne
[Page 580]
s’ils ont des motifs
raisonnables de croire que sa mise sous garde doit se poursuive afin de
recueillir de la preuve. L’exception ne faisant pas de distinction quant à la
technique d’enquête utilisée, les policiers peuvent procéder à l’interrogatoire
du suspect, le soumettre à une séance d’identification ou à une autre procédure
d’enquête. En ce qui concerne le
prévenu qui indique à la police qu’il va s’en prendre à la victime à la
première occasion ou qu’il va régler le compte de la personne qui l’a dénoncé,
il doit également s’attendre à passer quelques heures en cellule. Les motifs
d’intérêts publics ne se limitent pas aux facteurs énoncés à l’al. 498(1.1)a)
du Code. D’autres circonstances peuvent s’ajouter afin de permettre aux
policiers de détenir le prévenu sous garde. L’exemple du conducteur arrêté pour
avoir refusé de fournir un échantillon d’haleine illustre bien cette situation.
S’agissant d’une infraction hybride commise par un individu qui était agité,
agressif, instable et non coopératif, ce dernier fut détenu au poste de police
pendant une période de 12 heures. D’après le juge Cameron, de la Cour d’appel
du Manitoba, l’intérêt public s’étend à d’autres considérations telles que la
sécurité générale du public, de la police et du prévenu.
Bien que le par. 498(1) n’exige pas que la personne détenue soit remise en
liberté le plus rapidement possible, ni que sa détention, une fois considérée
comme nécessaire à ce moment, se poursuive jusqu’à sa comparution, le policier
doit, sous réserve de l’exception prévue au par. 498(1.1), la mettre en liberté
« dès que cela est matériellement possible ». De son côté, l’article
493.1 C.cr. prévoit que l’agent de la paix doit « cherche[r] en premier
lieu à mettre en liberté le prévenu à la première occasion raisonnable [...]
tout en tenant compte des motifs visés au paragraphe 498(1.1) ».
[Page 581]
386. Aux termes du paragraphe 500(1) C.cr.,
une citation à comparaître indique notamment le nom du prévenu, sa date de
naissance, ses coordonnées, l’essentiel de l’infraction qu’on lui reproche,
ainsi que la date, l’heure et le lieu de sa comparution devant le tribunal. La
citation doit également contenir un résumé des conséquences relatives à
l’omission de se conformer à une citation. Quant au contenu de la promesse,
celle-ci doit prévoir, en plus des renseignements se rapportant au prévenu et à
l’infraction qu’il aurait commise, un résumé des dispositions applicables à
défaut de respecter une telle promesse. La promesse doit obliger le prévenu à
se présenter devant le tribunal aux date, heure et lieu prévus dans le document
et aux autres dates qu’exigera par la suite le tribunal.
Elle peut également être assortie de l’une ou de plusieurs conditions
facultatives prévues aux al. 501(3)a) à k).
Ces conditions doivent être « raisonnables » compte tenu des
circonstances entourant l’infraction et « nécessaires pour assurer la
présence du prévenu au tribunal ou la sécurité des victimes ou des témoins de
l’infraction ou pour empêcher que l’infraction se poursuive ou se répète ou
qu’une autre infraction soit commise ».
Parmi les conditions pouvant être imposées au prévenu, mentionnons celle de « se
présenter, aux moments indiqués, à l’agent de la paix ou à la personne qui y
sont nommés »; de « demeurer
dans le ressort de la juridiction précisée »; « d’aviser
l’agent de la paix ou la personne qui y sont nommés de tout changement
d’adresse, d’emploi ou d’occupation »; de
s’abstenir de communiquer avec toute personne identifiée (victime, témoin ou
autre) ou d’aller
dans un lieu qui est lié à cette personne, si ce n’est en conformité avec les
conditions qui y sont prévues; de déposer son
passeport; de résider à
l’adresse indiquée et à y être présent
[Page 582]
aux heures
mentionnées; de s’abstenir de
posséder une arme à feu; de « s’engager à
verser la somme – d’au plus cinq cents dollars – qui y est précisée, en cas de
non-respect de l’une ou l’autre des conditions de la promesse »;
de « déposer, auprès de l’agent de la paix nommé une somme d’argent ou
autre valeur d’au plus cinq cents dollars si, au moment de remettre la
promesse, le prévenu ne réside pas ordinairement dans la province où il est
sous garde » ou à moins de 200 km du lieu de sa détention.
La promesse peut également prévoir « toute autre condition indiquée pour
assurer la sécurité des victimes ou des témoins de l’infraction en cause ».
387. Si une citation à comparaître a été
délivrée au prévenu aux termes de l’article 497, ou que la personne a recouvré
sa liberté en vertu des articles 498 ou 503, « une dénonciation relative à
l’infraction que le prévenu aurait commise [...] doit être faite devant un juge
de paix dès que cela est matériellement possible par la suite et, dans tous les
cas, avant le moment indiqué dans la citation à comparaître ou la promesse pour
sa présence au tribunal ». Lorsqu’il
estime qu’on a démontré qu’il est justifié de le faire,
le juge de paix qui reçoit la dénonciation doit confirmer la citation à
comparaître ou la promesse, selon le cas. La
citation à comparaître ou la promesse peut être annulée et remplacée par une
sommation ou un mandat d’arrestation décerné conformément
[Page 583]
à l’article 507,
pour obliger l’accusé à comparaître devant lui.
Lorsque le juge estime qu’il n’a pas été démontré qu’il était justifié de le
faire, il doit annuler la citation à comparaître ou la promesse et informer
aussitôt le détenu de sa décision. Deuxième sous-section :
L’arrestation avec mandat
388. Si le prévenu n’a pas fait l’objet
d’une arrestation sans mandat, une dénonciation peut être faite par un agent de
la paix, un fonctionnaire public ou le procureur général ou son représentant.
Les poursuites étant autorisées par le substitut du Procureur général, ce
dernier « fait rédiger la dénonciation sous laquelle l’accusé comparaîtra
plus tard ». Une fois
complétée, la dénonciation est remise à un policier (agent de liaison ou le
policier à l’origine de la dénonciation) « qui va se faire assermenter par
le juge de paix, alléguant qu’il a des motifs raisonnables de croire que ces
infractions ont été commises par la personne mentionnée à la dénonciation ».
Cette demande peut être faite en personne par l’agent de la paix ou par « un
moyen de télécommunication qui peut rendre la communication sous forme écrite ».
Le juge de paix qui reçoit la dénonciation doit entendre et examiner, ex
parte, les allégations à la source de la dénonciation ainsi que les
dépositions des témoins lorsqu’il croit que c’est utile. S’il « estime
qu’on a démontré qu’il est justifié de le faire », le juge de paix doit
décerner une sommation ou un mandat d’arrestation pour obliger l’accusé à
comparaître devant lui ou un autre juge pour répondre des infractions
reprochées. Ce faisant, il doit
déterminer si la
[Page 584]
dénonciation est
valide à sa face même et vérifier si les allégations ou les témoignages
entendus révèlent une preuve prima facie de l’infraction reprochée. Une
sommation est décernée dans tous les cas, à moins que les allégations du
dénonciateur ou les observations des témoins ne « révèlent des motifs
raisonnables de croire qu’il est nécessaire, dans l’intérêt public, de décerner
un mandat [d’arrestation] ». La notion
d’intérêt public ne se limite pas à la présence de l’accusé au tribunal ni aux
questions de sécurité, mais comprend toutes les circonstances ou facteurs
pouvant susciter des motifs d’intérêt public.
Si le besoin d’empêcher que l’infraction se poursuive ou se répète constitue
indéniablement un motif d’intérêt public, ce facteur ne justifie pas la
délivrance d’un mandat d’arrestation lorsqu’il peut être satisfait au moyen
d’une sommation. Quant à la gravité
objective de l’infraction, il peut s’agir d’un motif d’intérêt public dans les
cas où la personne est poursuivie pour une infraction prévue à l’article 469 et
pour celles mentionnées au par. 515(6) du Code criminel. Ces
dispositions prévoient que le prévenu doit être détenu sous garde jusqu’à la
fin de son procès à moins qu’il ne démontre que sa détention n’est pas
justifiée aux termes du par. 515(10) du Code. Une fois émis, le mandat
d’arrestation ordonne aux policiers qui se trouvent dans la même
circonscription territoriale d’amener le prévenu devant un juge de paix. Son
exécution peut être suspendue pour une certaine période afin de permettre au
prévenu de se présenter de son propre gré, auquel cas le mandat sera présumé
avoir été exécuté.
389. Aux termes du par. 507(6) C.cr., le
mandat d’arrestation peut être visé ou non. Sous réserve d’une infraction
prévue à l’article 469, le juge qui décerne un mandat en vertu de l’article 507
peut autoriser la mise en liberté du prévenu par un agent de la paix en
application de l’article 499 du Code. Il s’agit du mandat visé. Cette procédure
permet « au fonctionnaire responsable [auj. agent de la paix] de mettre un
prévenu en liberté lorsque les circonstances
[Page 585]
le justifient afin
d’éviter de prolonger indûment la détention en attendant sa comparution devant
un juge de paix ». La personne
ayant été placée sous garde après avoir été arrêtée à la suite de l’exécution
d’un mandat visé, tout agent de la paix peut alors libérer la personne s’il lui
délivre une citation à comparaître ou si elle remet une promesse.
L’emploi du mot « peut », contenu à l’article 499, indique une
possibilité plutôt qu’une obligation. La personne qui refuse de signer la
promesse ou qui indique son intention de ne pas la respecter une fois remise en
liberté démontre l’importance d’une discrétion pouvant s’ajuster en fonction
des circonstances de l’affaire. La disposition étant
muette sur les facteurs qui bornent cette discrétion, celle-ci nous semble
subordonnée aux motifs d’intérêt public qui se trouvent à l’article 498, et
notamment au besoin de recueillir ou de conserver une preuve de l’infraction,
d’empêcher la récidive et d’assurer la sécurité des victimes ou des témoins de
l’infraction. « Le libellé des
articles 499 et 507(6) ne comporte aucune exigence temporelle pour la remise en
liberté. » Résultat :
si certains prévenus sont arrêtés puis remis en liberté immédiatement, d’autres
seront interrogés à la suite de l’exécution du mandat visé pour être libérés
après avoir signé une promesse comportant certaines conditions spécifiques.
Bien que le défaut de libérer l’accusé ou de considérer la possibilité de le
libérer lorsque les circonstances s’y prêtent puisse parfois
[Page 586]
constituer une
violation de l’al. 11e) de la Charte, l’agent de la paix demeure libre
d’interroger le suspect afin de recueillir une preuve de l’infraction. Lorsque
le mandat d’arrestation ne fait pas l’objet d’un visa, le prévenu devra
comparaître détenu conformément à l’article 503 C.cr.
Sixième
section : La comparution
390. Une fois arrêté avec ou sans mandat, le
détenu doit comparaître dans un délai de vingt-quatre heures après son
arrestation si un juge de paix est disponible, et le plus tôt possible si un
juge de paix n’est pas disponible dans un tel délai.
Comme un juge de paix est physiquement présent dans tous les districts
[Page 587]
judiciaires, l’agent
de la paix a l’obligation de faire comparaître le détenu « sans retard
injustifié et, dans tous les cas, au plus tard dans les 24 heures de son
arrestation ». C’est
d’ailleurs ce que
[Page 588]
confirme le juge
Gosselin, dans R. c. Lamoureux, en
prononçant l’arrêt des procédures engagées à l’encontre d’un individu qui avait
[Page 589]
dû patienter plus de
68 heures avant de comparaître devant un juge de paix. Considérant (1)
l’absence de remise en liberté de l’individu par une promesse de comparaître,
(2) la disponibilité physique de juges de paix dans le district de Hull au
moment de sa détention et (3) le défaut de comparaître dans un délai de 24
heures, la détention du prévenu fut jugée illégale, puis arbitraire en raison
de la violation délibérée des droits de l’accusé. Comme cette violation
continue et répétée des droits des personnes présumées innocentes était
reconnue et entretenue par le système judiciaire depuis des années et que le
préjudice subi se reflétait non seulement sur la personne détenue, mais
également sur la société tout entière, le tribunal ordonna l’arrêt des
procédures.
391. L’obligation de faire comparaître le
prévenu sous garde dans un délai de 24 heures lorsqu’un juge de paix est
disponible ou le plus tôt possible dans les autres cas, ne signifie pas que la
personne détenue ne sera pas libérée avant l’expiration du délai pour
comparaître. En effet, sous réserve des infractions prévues à l’article 469,
l’agent de la paix qui est « convaincu que la continuation de la détention
de la personne sous garde n’est plus nécessaire la met en liberté » s’il
délivre à cette personne une citation à comparaître ou si « cette personne
lui remet une promesse ». Quant au par.
503(4) du Code, il prévoit que l’agent de la paix, qui
[Page 590]
est chargé de la
garde d’une personne qui a été arrêtée sans mandat alors qu’elle était sur le
point de commettre un acte criminel, remet la personne en liberté « dès
que cela est matériellement possible à compter du moment où il est convaincu
que la continuation de sa détention n’est plus nécessaire pour empêcher qu’elle
commette un acte criminel ».
Septième
section : L’arrestation effectuée dans une maison d’habitation
392. L’arrêt de principe en matière
d’arrestation effectuée dans une maison d’habitation est R. c. Feeney.
À la suite d’informations provenant de plusieurs personnes, des policiers se
sont présentés chez l’appelant afin de l’interroger sur la mort brutale d’un
dénommé Frank Boyle. Après s’être rendu à la remorque où M. Feeney habitait, un
agent a frappé à la porte puis a annoncé sa présence en criant « Police ».
N’ayant obtenu aucune réponse, le policier est entré sans permission dans la
remorque de l’appelant. Comme il faisait sombre et que le policier voulait
vérifier de plus près ses vêtements, l’agent a demandé à M. Feeney de se
déplacer à l’avant de la remorque. Ayant constaté la présence de taches de sang
sur son tee-shirt, le policier a procédé à l’arrestation du suspect. Ce dernier
ayant été informé de ses droits, les policiers lui ont posé des questions
concernant la présence des taches de sang sur ses vêtements et l’existence
d’autres éléments de preuve pouvant l’impliquer dans la mort de la victime. Son
gilet maculé de sang a été saisi, puis l’appelant fut conduit au détachement de
la GRC à Williams Lake pour y être interrogé. Comme la poursuite se fondait
principalement sur le pouvoir de fouille accessoire à une arrestation afin de
justifier la perquisition et les saisies effectuées par les policiers, le
Tribunal devait déterminer la légalité de l’arrestation en question. Après
avoir conclu que l’arrestation sans mandat du suspect effectuée à la suite de
l’entrée en force dans la remorque était illégale en raison de son absence de
fondement subjectif et objectif, la Cour s’interrogea sur la conformité des
[Page 591]
règles développées
par les tribunaux au regard de la Charte. Sur ce point, le juge Sopinka est
sans détour : « Les arrestations sans mandat dans une maison
d’habitation sont généralement interdites. Avant de procéder à une telle
arrestation, il incombe au policier d’obtenir l’autorisation judiciaire de
l’effectuer au moyen d’un mandat l’autorisant à entrer, à cette fin, dans la
maison d’habitation. » Ce mandat,
poursuit le juge Sopinka, ne peut être délivré que s’il existe des motifs
raisonnables d’arrêter la personne et de croire que le suspect se trouve à
l’endroit indiqué. En plus de l’obtention préalable d’une autorisation
judiciaire, l’entrée par la force dans la maison d’habitation doit être
précédée d’une annonce régulière.
393. L’obtention d’une autorisation
préalable permettant de procéder à l’arrestation du suspect dans une maison
privée n’est pas requise dans les cas de prise en chasse. Cette prise en
chasse, selon le juge Lamer dans R. c. Macooh, « doit être
continue et effectuée avec diligence raisonnable, de façon à ce que la
poursuite et la capture, avec la perpétration de l’infraction, puissent être
considérées comme faisant partie d’une seule opération ».
Une situation d’urgence pourrait également justifier l’intervention immédiate
des policiers, bien que la commission d’un crime grave avec tout ce que cela
peut comporter comme risque concernant la présence d’un individu dangereux et
la destruction potentielle
[Page 592]
d’éléments de preuve
ne soit pas suffisante à ce stade. Sur ce point, il ne faut pas confondre
l’entrée dans une maison d’habitation pour procéder à une arrestation et
l’arrestation effectuée après avoir pénétré légalement dans la maison
d’habitation. La distinction est importante. Les policiers qui répondent à un
appel d’urgence au 911 dont la communication a été coupée peuvent pénétrer de
force dans un appartement « afin de s’assurer de la santé et de la
sécurité de la personne qui a composé le 911 ».
Si dans la poursuite de cet objectif, ils obtiennent des motifs raisonnables et
probables de croire qu’un acte criminel a été commis, ils peuvent procéder
sur-le-champ à l’arrestation du suspect. En plus de cette exception reconnue
par les tribunaux, les policiers peuvent arrêter une personne sans mandat dans
une maison d’habitation à la suite de l’invitation expresse ou tacite du
propriétaire ou de son occupant. Des policiers qui
répondent à un appel concernant la commission d’un délit de fuite peuvent donc
entrer dans la demeure du père du suspect pour continuer leur enquête, s’ils
obtiennent une invitation sans équivoque de sa part.
En effet, « quand l’invitation a été lancée, Gilles Couturier savait que
les policiers enquêtaient sur un délit de fuite et que son fils en était
l’auteur. Il savait qu’à la suite de l’invitation, les policiers allaient
questionner son fils et il comprenait très bien les conséquences que son geste
pouvait avoir pour ce dernier. Je comprends mal pourquoi, dans de telles
circonstances, on imposerait à un policier le devoir de refuser l’invitation
lancée à moins d’informer la personne autorisée à faire l’invitation qu’elle a
le droit de lui interdire d’entrer, ou encore, qu’elle peut retirer
l’invitation à volonté ». Pour être
[Page 593]
valide, le
consentement ne doit pas avoir été obtenu à la suite d’un mensonge ou d’une
supercherie. Des policiers qui procèdent à l’arrestation d’un individu dans la
salle de lavage d’une maison de chambres, après avoir reçu la permission du
propriétaire d’y pénétrer sous le faux prétexte qu’ils enquêtaient pour une
plainte de bruit, ne peuvent invoquer la présence d’un consentement libre et
éclairé de la part du propriétaire. Il faut
distinguer ici l’entrée dans une maison d’habitation dans le but de procéder à
une arrestation, de l’entrée effectuée dans la poursuite d’une enquête en cours.
Si un mandat d’entrée est requis à défaut d’invitation ou de renonciation
valide, l’article 529 ne
s’applique pas aux
[Page 594]
policiers qui
souhaitent poursuivre une enquête sans avoir à ce stade les motifs ou
l’intention de procéder à une arrestation. Une fois
obtenu, le consentement donné aux policiers peut être retiré en tout temps.
Il en va ainsi de l’invitation implicite.
394. Quelques mois après la décision de la
Cour suprême dans l’arrêt Feeney, le Parlement canadien adopta des
dispositions
[Page 595]
spécifiques
concernant les arrestations dans une maison d’habitation.
Ces dispositions, qui reprennent essentiellement les directives formulées par
le juge Sopinka, permettent à un juge ou à un juge de paix de délivrer un
mandat autorisant un agent de la paix à pénétrer dans une maison d’habitation
afin de procéder à l’arrestation d’une personne qui y est désignée ou pouvant
être identifiée, s’il est convaincu, sur la foi d’éléments de preuve établis
sous serment, « qu’il existe des motifs raisonnables de croire que cette
personne s’y trouve ou s’y trouvera et que, selon le cas : a) elle fait
déjà l’objet au Canada d’un mandat d’arrestation; b) il existe des motifs de
l’arrêter sans mandat aux termes des al. 495(1)a) ou b) ou de
l’article 672.91 du Code criminel; c) il existe des motifs pour
l’arrêter sans mandat en vertu d’une autre loi fédérale ».
La maison d’habitation est définie à l’article 2 du Code criminel comme
désignant « l’ensemble ou toute partie d’un bâtiment ou d’une construction
tenu ou occupé comme résidence permanente ou temporaire », ce qui inclut
les roulottes et bateaux utilisés à cette fin.
Les policiers qui ont des motifs raisonnables et probables de croire qu’une
personne a commis un acte criminel peuvent donc
[Page 596]
procéder à son
arrestation dans l’ascenseur de l’unité de condominium où elle loue un
appartement. Comme les policiers croyaient avoir assisté à une transaction de
drogue, ils n’avaient pas à laisser le suspect retourner à son appartement pour
demander ensuite un mandat d’entrée. La
définition ne s’étend pas aux endroits qui ne sont pas tenus ou occupés comme
résidence permanente ou temporaire, tels que les entrepôts, les lieux
d’affaires et autres endroits utilisés comme cache de drogues.
L’exception relative à la prise en chasse du suspect est maintenue.
En effet, le policier qui poursuit un suspect qui entre dans sa demeure ou dans
l’appartement d’un ami pour échapper à la justice, peut pénétrer dans la maison
d’habitation afin de procéder à son arrestation. Cette situation fut examinée
par la Cour d’appel du Québec, dans
[Page 597]
Tétard c. R..
L’accusé, qui était au volant de son automobile, fut impliqué dans un léger
accrochage avec un autre conducteur. Ce dernier ayant rejoint l’appelant afin
de remplir un constat amiable, il remarqua très rapidement son état ébriété
avancé. L’accusé ayant admis qu’il avait beaucoup bu, le conducteur l’informa
de son intention d’appeler la police. L’appelant en profita alors pour quitter
les lieux au volant de sa voiture. Le conducteur ayant pris en note son numéro
de plaque d’immatriculation, il communiqua avec le 911. Quelques minutes plus
tard, l’appelant stationna sa voiture devant son domicile, entra dans l’immeuble,
en ressortit afin de s’entretenir avec le conducteur, puis retourna dans la
maison. Une fois la police arrivée sur les lieux, le conducteur montra les
dommages causés à sa voiture et donna une description du suspect. Ce dernier se
trouvant sur le balcon, la victime identifia l’appelant comme étant la personne
fautive. Le policier demanda à l’appelant de sortir de la demeure. L’appelant
refusa d’obtempérer. Le policier s’approcha aussitôt de la porte d’entrée et
aperçut l’accusé se faufiler dans une pièce de la maison. Il décida alors de
pénétrer dans la demeure où il constata l’état d’ébriété avancé de l’appelant
et procéda à son arrestation. Discutant de la légalité de l’intervention
policière, la Cour d’appel confirma la présence, aux termes de l’al. 495(1)a)
du Code criminel, de motifs raisonnables de croire que l’appelant avait
commis un acte criminel. Toujours
[Page 598]
selon la Cour, « l’arrestation
sans mandat de l’appelant était autorisée en raison de la nécessité de
l’identifier, de recueillir ou conserver une preuve de l’infraction et
d’empêcher que l’infraction se poursuive ou se répète ».
En ce qui concerne l’absence de mandat d’entrée afin de procéder à
l’arrestation du suspect, le tribunal rejeta catégoriquement toute distinction
quant à l’identité de la personne à l’origine de la prise en chasse initiale.
Les policiers peuvent donc « continuer une poursuite déjà engagée »
par un citoyen ou un autre policier, même s’ils n’ont pas été témoin
personnellement des faits ayant donné lieu à la prise en chasse du suspect.
395. Le par. 529(1) permet au juge, qui
délivre un mandat d’arrestation en vertu du Code criminel ou d’une autre
loi fédérale, d’autoriser un agent de la paix à pénétrer dans une maison
d’habitation afin de procéder à l’arrestation du suspect. Pour ce faire, le
juge ou le juge de paix doit être convaincu qu’il existe des motifs
raisonnables de croire que la personne qui en fait l’objet se trouve ou se
trouvera dans cette maison d’habitation. Comme l’indique
[Page 599]
le juge Sopinka dans
R. c. Feeney, « un mandat d’arrestation seulement constitue une
protection insuffisante des droits du suspect à la vie privée ».
Ainsi, sous réserve d’une exception reconnue par la loi ou la jurisprudence,
les policiers ne peuvent pénétrer dans une maison d’habitation pour procéder à
une arrestation sans avoir obtenu, au préalable, un mandat d’entrée.
Les policiers qui sont munis seulement d’un mandat d’arrestation peuvent cogner
à la porte, demeurer à l’extérieur du domicile, puis attendre la sortie du
suspect, mais ne peuvent y entrer dans le but de procéder à l’arrestation.
Si, en ce faisant, l’individu tente de fermer la porte et se dirige rapidement
vers sa chambre, les policiers peuvent entrer afin d’assurer leur sécurité et
d’éviter sa fuite. L’autorisation
[Page 600]
de pénétrer dans une
maison d’habitation prévue au paragraphe 529(1) est délivrée à la condition que
le policier ne pénètre dans l’endroit indiqué que si, au moment de s’exécuter, « il
a des motifs raisonnables de croire que la personne à arrêter s’y trouve ».
396. Issue de la common law, l’exception
relative aux cas d’urgence fut reprise et développée par le législateur à
l’article 529.3 du Code. Aux termes de cette disposition, l’agent de la paix
peut, sans autorisation préalable, pénétrer dans une maison d’habitation pour
procéder à l’arrestation d’une personne « s’il a des motifs raisonnables
de croire que la personne s’y trouve, si les
conditions nécessaires à l’obtention d’un mandat d’entrée prévu à l’article
529.1 sont réunies et si l’urgence de la situation rend difficilement
réalisable son obtention ». Il y a urgence lorsque l’agent de la paix
possède « des motifs raisonnables de soupçonner qu’il est
nécessaire de pénétrer dans la maison d’habitation pour éviter à une personne
des lésions corporelles imminentes ou la
[Page 601]
mort » (529.3(2)a));
ou des motifs raisonnables de croire que des éléments de preuve
concernant la perpétration d’un acte criminel se trouvent dans les lieux en
question et « qu’il est nécessaire d’y pénétrer pour éviter leur perte ou
leur destruction imminentes » (529.3(2)b)). Notons ici la
distinction entre la norme exigée en matière de préjudice corporel (soupçons
raisonnables) et
celle requise dans les cas de perte ou de destruction d’éléments de preuve (motifs
raisonnables de croire). Quant à l’imminence du péril, « [i]l
ne suffit pas que le danger soit prévisible ou probable; il doit être sur le
point de survenir et être quasi certain de se produire ».
397. Une situation n’est pas urgente parce
qu’il serait plus commode, plus utile ou moins long de procéder sans mandat,
mais parce qu’il y a des « circonstances pressantes propres à une
situation qui requiert l’intervention immédiate des policiers soit pour
préserver la preuve, soit pour assurer la sécurité des policiers ou celle du
public ». Comme
l’urgence de la situation doit rendre difficilement réalisable l’obtention d’un
mandat, le risque invoqué doit être suffisamment imminent, pour que le temps nécessaire
afin d’obtenir un mandat « compromette sérieusement » la préservation
[Page 602]
de la preuve, la
sécurité des policiers ou celle du public. La
préservation de la preuve, tout d’abord, puisque des policiers qui répondent à
un appel d’urgence au 911, pour apprendre par la suite qu’une personne vient de
se faire couper la gorge par sa voisine, peuvent entrer dans l’appartement de
la suspecte afin de procéder à son arrestation sur-le-champ. En plus d’avoir
des motifs suffisants pour procéder à son arrestation, les policiers croyaient
raisonnablement que des éléments de preuve se rapportant à la tentative de
meurtre se trouvaient dans son appartement (p. ex. : sang, arme, etc.) et
qu’il était nécessaire d’y pénétrer pour éviter qu’elle ne les détruise.
La sécurité des agents ou celle d’une autre personne peut également requérir
l’intervention immédiate des policiers.
[Page 603]
Dans R. c. Phillips,
la Cour d’appel de la Nouvelle-Écosse s’interroge sur la légalité de
l’arrestation sans mandat effectuée par des policiers dans le sous-sol de la
résidence d’un prévenu souffrant de troubles psychologiques. L’accusé, qui
s’était présenté à l’hôpital pour une prise de sang et une évaluation médicale,
a affirmé à un résident en psychiatrie et à un médecin qui se trouvaient sur
place qu’il se sentait déprimé et qu’il avait des pensées suicidaires et
violentes. Comme l’accusé avait quitté l’urgence en raison de la durée de
l’attente, les autorités médicales ont communiqué avec la police pour exprimer
leurs inquiétudes quant aux tendances suicidaires de l’accusé. Les deux
policiers qui ont répondu à l’appel se sont présentés au domicile de l’accusé,
ont frappé à sa porte puis l’ont informé qu’il devait retourner à l’hôpital. La
personne ayant refusé de suivre les policiers, l’agent Galloway empoigna le
bras de l’accusé pour procéder à son interpellation en vertu de l’article 38 de
l’Hospital Act. C’est alors que l’accusé assena un solide coup de poing
à l’officier. Ayant pris la fuite dans la maison après avoir réussi à se
dégager de l’emprise du policier, une altercation violente s’ensuivit au terme
de laquelle l’individu fut arrêté, puis accusé de voies de fait contre un agent
de la paix dans l’exercice de ses fonctions. Comme l’arrestation du suspect
avait été effectuée dans la résidence de l’accusé, la Cour devait déterminer si
les policiers pouvaient procéder à l’arrestation sans mandat de l’individu.
Examinant les faits de l’affaire à la lumière des conditions prévues à
l’article 529.3, le juge Fichaud confirme la légalité de l’intervention
policière. Tout d’abord, la personne faisant l’objet de l’arrestation se
trouvait chez elle lors de l’intervention conformément au par. 529.3(1) C.cr.
Ensuite, il existait des motifs de l’arrêter sans mandat aux termes de l’alinéa
495(1)a) du Code puisque les policiers avaient été témoins de
l’agression commise à l’endroit de l’agent Galloway. Enfin,
[Page 604]
l’urgence de la
situation rendait difficilement réalisable l’obtention du mandat d’entrée, car
les agents de police savaient que l’accusé était suicidaire. Les agents ayant
observé le comportement imprévisible et violent de l’accusé lors de l’agression
qui avait eu lieu à l’extérieur de la porte d’entrée, les policiers pouvaient
légalement, en vertu de l’article 529.3, poursuivre l’accusé dans la demeure
afin de procéder à son arrestation. Cette intervention pouvant également être
justifiée dans le cadre de l’exception relative à la prise en chasse,
l’arrestation n’était pas arbitraire au sens de l’article 9 de la Charte.
398. Aux termes du par. 529.4(1) C.cr., le
juge ou le juge de paix qui permet à un agent de la paix de procéder à
l’arrestation d’une personne dans une maison d’habitation peut l’autoriser à ne
pas prévenir l’occupant avant d’y pénétrer, s’il est convaincu qu’il existe des
motifs raisonnables de croire que le fait de prévenir exposerait l’agent de la
paix ou une autre personne à des lésions corporelles imminentes ou à la mort,
ou entraînerait la perte ou la destruction imminente d’éléments de preuve se rapportant
à la perpétration d’un acte criminel. Dans ce
cas, l’agent de la paix ne peut pénétrer dans la maison d’habitation sans
prévenir que si, au moment de son entrée, il a des motifs raisonnables de
soupçonner que le fait de prévenir l’exposerait ou exposerait une autre
personne à des lésions corporelles imminentes ou à la mort, ou de croire que le
fait de prévenir entraînerait la perte ou la destruction imminente d’éléments
de preuve relatifs à la perpétration d’un acte criminel. Cette exception s’applique
également à l’agent de la paix qui pénètre sans mandat dans une maison
d’habitation pour procéder à l’arrestation d’un individu en raison d’une
situation d’urgence prévue à l’article 529.3 du Code. Les craintes concernant
la sécurité des policiers ou des occupants de la maison peuvent provenir, par
exemple, des antécédents de violence du suspect, de sa participation à une
organisation criminelle ou de son état psychologique.
Quant à la destruction d’éléments de preuve, disons
[Page 605]
simplement que la
nature de l’infraction commise et de la substance en question (p. ex. :
cocaïne) sont des facteurs souvent pris en compte par les tribunaux dans leur
évaluation des motifs raisonnables. Des
préoccupations d’ordre général ou théorique à l’égard de la sécurité des
policiers ou de la destruction d’éléments de preuve ne suffisent pas en
semblable matière. Les policiers doivent procéder sur la base d’une analyse
sérieuse des faits spécifiques à chaque affaire.
La décision des policiers de ne pas s’annoncer doit être évaluée en fonction de
ce qu’ils savaient ou
[Page 606]
auraient
raisonnablement dû savoir au moment de la demande et non en fonction de ce qui
s’est effectivement produit lors de l’intervention.
Il ne s’agit pas d’une analyse ex post facto de la décision des
policiers, mais bien d’un examen de ce qui a mené à la décision de ne pas
s’annoncer. Ainsi, à moins d’urgence, les policiers doivent frapper à la porte
et s’annoncer avant de pénétrer dans une maison d’habitation afin d’y effectuer
une arrestation. À cette fin, les policiers doivent généralement donner « (i)
avis de leur présence en frappant ou en sonnant, (ii) avis de leur autorité, en
s’identifiant comme agents chargés d’exécuter la loi et (iii) avis du but de
leur visite, en déclarant un motif légitime d’entrer ».
Faute de réponse dans un délai raisonnable, les policiers peuvent utiliser la
force pour pénétrer dans la maison d’habitation et procéder à l’arrestation du
suspect. À moins de constituer
une
[Page 607]
invitation tacite à
entrer, ce qui est plutôt rare, la présence d’une porte entrouverte ou
déverrouillée ne dispense pas les policiers de donner un avis régulier.
L’agent qui procède à l’arrestation d’un suspect à la suite d’un mandat
d’entrée ou d’une autorisation de pénétrer dans une maison d’habitation est
tenu, selon le par. 29(1) du Code, « de donner à cette personne, si la
chose est possible, avis du mandat aux termes duquel il opère l’arrestation ».
L’omission de le faire, sans bonne raison, constitue une violation de l’article
8 de la Charte.
399. Enfin, mentionnons que l’article 529.5
prévoit que le mandat visé à l’article 529.1 ou l’autorisation prévue aux
articles 529 ou 529.4, peut être délivré à la suite d’une dénonciation faite
par téléphone ou à l’aide d’un autre moyen de télécommunication, lorsque
l’agent de la paix « considère qu’il serait peu commode dans les
circonstances de se présenter en personne devant un juge ou un juge de paix »
pour en faire la demande.
[Page 608]
Huitième
section : L’enquête sur la mise en liberté de l’accusé
400. Lorsqu’une personne arrêtée n’est pas
remise en liberté avant sa comparution, une enquête sera menée par le tribunal
afin de déterminer le sort de l’accusé en attente de son procès.
Cette audition, qui a lieu la journée même de la comparution ou dans les jours
suivant la mise sous garde du prévenu, est régie
par les articles 515 et suivants du Code criminel.
Aux termes de ces dispositions, le juge de paix peut ordonner soit la
remise en liberté de l’accusé avec ou sans conditions, soit sa détention
jusqu’à la fin de son procès. Le droit à la liberté et la présomption
d’innocence étant des piliers de notre système de justice pénale,
la
[Page 609]
mise en liberté du
prévenu s’impose dans tous les cas où sa détention sous garde n’est pas
justifiée au sens du par. 515(10) ou que la loi ne le prévoit pas autrement. Le
principe est donc « la mise en liberté de l’accusé et la détention,
l’exception ». Cette règle,
qui est enchâssée à l’al. 11e) de la Charte, reconnaît à tout inculpé le
droit « de ne pas être privé sans juste cause d’une mise en liberté
assortie d’un cautionnement raisonnable ». « Le
terme
[Page 610]
cautionnement
raisonnable se rapporte aux conditions de la mise
en liberté », c’est-à-dire
au « montant du cautionnement » et aux restrictions imposées à
l’accusé. Ainsi, lorsqu’un prévenu est accusé d’une infraction autre que celles
prévues à l’article 469 ou au par. 515(6), le juge de paix doit ordonner la
mise en liberté sans conditions de l’accusé, sauf si le poursuivant fait valoir
à l’égard de cette infraction des « motifs justifiant la détention du
prévenu sous garde », ou « une forme plus sévère de mise en liberté ».
La mise en liberté du prévenu peut donc être « avec » ou « sans
conditions ». En l’absence de motifs justifiant la détention du prévenu
sous garde, le juge de paix qui ne rend pas une ordonnance de mise en liberté
sans conditions doit ordonner la mise en liberté du prévenu aux conditions
qu’il fixe. Aux termes du par.
515(4) du Code, le juge de paix peut assortir l’ordonnance de l’une ou des
conditions suivantes intimant au prévenu notamment de « se
[Page 611]
présenter, aux
moments indiqués dans l’ordonnance, à un agent de la paix ou à la personne
nommés » (al. 515(4)a)); « de demeurer dans le ressort de la
juridiction précisée » (al. 515(4)b)); « d’aviser l’agent de
la paix ou la personne nommés de tout changement d’adresse, d’emploi ou
d’occupation » (al. 515(4)c)); de s’abstenir de communiquer
directement ou indirectement avec toute personne identifiée dans l’ordonnance
(al. 515(4)d)), ou d’aller dans un lieu qui y est mentionné (al. 515(4)e));
de déposer son passeport (al. 515(4)f)) et d’observer toute autre
condition qui serait nécessaire afin d’assurer la sécurité des victimes ou des
témoins de l’infraction (al. 515(4)g)). L’al. 515(4)h) permet au
juge de paix d’imposer toute autre condition raisonnable qu’il estime indiquée.
Parmi les conditions non énumérées souvent imposées, mentionnons « l’interdiction
d’utiliser un téléphone cellulaire et d’avoir accès à l’Internet, le contrôle
de la consommation d’alcool et de drogue et l’imposition d’un couvre-feu ».
S’il conclut qu’il est souhaitable de le faire pour la sécurité du prévenu, de
la victime ou d’une autre personne, le juge doit interdire le prévenu d’avoir
en sa possession une arme à feu, une arbalète, une arme prohibée, une arme à
autorisation restreinte, des munitions, etc. Cette condition est requise
notamment dans le cas d’une infraction perpétrée avec usage, tentative ou
menace de violence, d’une infraction de terrorisme, de harcèlement criminel,
d’intimidation d’une personne associée au système judiciaire, de certaines
infractions à la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, d’une
infraction relative à une arme à feu, une arbalète, une arme prohibée, une arme
à autorisation restreinte et d’autres objets de cette nature (par. 515(4.1)).
Les conditions imposées par le juge de paix doivent se rapporter aux motifs
pouvant justifier la détention de l’accusé au sens du par. 515(10) du Code.
Ces conditions, précise la
[Page 612]
Cour suprême dans
R. c. Zora, « doivent être minimales, nécessaires,
raisonnables, les moins sévères possible dans les circonstances et suffisamment
liées au risque indiqué au par. 515(10) ».
[Page 613]
401. En plus des conditions autorisées au
paragraphe 515(4), l’ordonnance de mise en liberté du prévenu est assortie,
selon le cas, d’une indication que celle-ci « ne contient aucune forme
d’obligation financière »; de
l’engagement de la part du prévenu à verser la somme d’argent indiquée dans les
cas où il contreviendrait à une condition de l’ordonnance;
« de l’obligation d’avoir une ou plusieurs cautions, avec ou sans
engagement de la part du prévenu à verser la somme indiquée en cas de
non-respect d’une condition de l’ordonnance »;
« de l’obligation de déposer la somme d’argent ou autre valeur indiquées,
avec ou sans engagement de la part du prévenu à verser la somme d’argent
indiquée en cas de non-respect d’une condition de l’ordonnance »
et, enfin, si le détenu ne réside pas ordinairement au Québec ou dans un rayon
de deux cents kilomètres du lieu de garde, « de l’obligation de déposer la
somme d’argent ou autre valeur indiquées, avec ou sans caution ainsi qu’avec ou
sans engagement de la part du prévenu à verser la somme d’argent indiquée en
cas de non-respect d’une condition de l’ordonnance ».
Dans tous les cas, « la forme de mise en liberté imposée à l’accusé ne
doit pas être plus sévère que ce qui est nécessaire ».
C’est le « principe de l’échelle », reconnu au paragraphe 515(2.01)
du Code. D’après ce principe,
[Page 614]
le juge de paix ne
peut imposer une forme de mise en liberté plus sévère, « à moins que le
ministère public ne démontre pourquoi des conditions de mise en liberté moins
contraignantes seraient inappropriées ».
Pour reprendre une formule consacrée, la loi « favorise la mise en liberté
à la première occasion raisonnable et [...] aux conditions les moins sévères
possible ».
402. Lorsque le prévenu est inculpé de
meurtre ou d’une autre infraction prévue à l’article 469 du Code, un juge de la
Cour supérieure doit ordonner la détention sous garde de l’accusé à moins que
le prévenu ne démontre que celle-ci n’est pas justifiée aux termes du par.
515(10). Le principe est alors
inversé : la détention devient la règle et la mise en liberté,
l’exception. Il en va également des infractions listées au par. 515(6) du Code,
et plus particulièrement de certaines infractions de criminalité organisée
(sous-al. 515(6)a)(ii)) et de terrorisme (sous-al. 515(6)a)(iii));
de trafic, de possession en vue du trafic ou d’exportation, d’importation et
d’exportation de stupéfiants – passibles de l’emprisonnement à perpétuité – ou
de complot en vue de perpétrer l’une de ces
[Page 615]
infractions (al.
515(6)d)); de l’utilisation d’une arme à feu dans le cadre d’infractions
perpétrées contre la personne (sous-al. 515(6) a)(vii)(viii)); d’un acte
criminel présumé avoir été commis alors que l’individu se trouvait en liberté à
l’égard d’un autre acte criminel (sous-al. 515(6)a)(i)) et d’une
infraction se rapportant à l’omission de comparaître ou à l’omission de se
conformer à une condition d’une promesse, d’une ordonnance de mise en liberté,
d’une sommation ou d’une citation à comparaître qu’il aurait commise après
qu’il a été mis en liberté relativement à une autre infraction (al. 515(6)c)).
La personne qui ne réside pas habituellement au Canada et qui est accusée
d’avoir commis un acte criminel, autre qu’une infraction mentionnée à l’article
469, doit également être placée sous garde par le juge de paix à moins que le
prévenu ne fasse valoir l’absence de fondement de cette mesure (al. 515(6)b)).
Bien que les exceptions prévues au par. 515(6) privent le détenu de sa liberté
sous caution dans certaines circonstances, la plupart de ces règles sont
soigneusement conçues afin d’endiguer le risque que l’activité criminelle se
poursuive, ou que le suspect s’esquive en tentant d’échapper à la justice.
Cela est particulièrement évident en matière de gangstérisme et de trafic de
stupéfiants où les risques (1) que l’activité criminelle se poursuive en raison
des profits générés et (2) que l’accusé
s’esquive grâce à la présence
[Page 616]
d’une organisation
bien structurée sont bel et bien
réels. Quant aux personnes ne pouvant bénéficier de moyens financiers aussi
considérables ou d’un réseau d’entraide aussi sophistiqué, elles devraient
généralement recouvrer leur liberté sous certaines conditions.
403. La constitutionnalité de l’al. 515(6)a)
[auj. al. 515(6)a)(i)] fut confirmée par la Cour suprême, dans R. c.
Morales. Mise
de l’avant afin d’enrayer la poursuite de l’activité criminelle, cette
disposition prive de liberté uniquement ceux qui sont inculpés d’un acte
criminel alors qu’ils étaient en liberté sous caution à l’égard d’un autre acte
criminel et qui ne font pas valoir l’absence de fondement de la détention. En
ce qui concerne le renversement du fardeau de la preuve en matière de meurtre
et autres infractions prévues à l’article 469, l’exception est suffisamment
limitée pour constituer une « juste cause » au sens de l’al. 11e)
de la Charte.
[Page 617]
En effet, le par.
522(2) ne s’applique qu’au meurtre et autres infractions prévues à l’article 469.
Il s’agit pour la plupart d’infractions très graves qui sans exclure
complètement la liberté sous caution, obligent l’accusé à faire valoir que sa
mise en liberté est justifiée. Quant à la poursuite de fins étrangères au
système de mise en liberté sous caution, l’article 522 ne fait « qu’établir
un système efficace au regard d’infractions déterminées pour lesquelles le
système normal de mise en liberté sous caution permettrait la poursuite d’une
activité criminelle et un risque intolérable que le prévenu s’esquive ».
Si la poursuite de l’activité criminelle en matière de meurtre est possible –
sans nécessairement être probable –, le risque d’échapper à la justice
criminelle en s’esquivant ne peut être plus élevé compte tenu de la sévérité de
la peine qui s’y rattache.
[Page 618]
404. Qu’il s’agisse de procéder en vertu du
principe général de remise en liberté ou des exceptions prévues aux par. 515(6)
et 522(2), le par. 515(10) prévoit que la détention d’un prévenu sous garde
n’est justifiée que lorsqu’elle est nécessaire (1) pour garantir sa présence au
tribunal afin qu’il soit traité selon la loi; (2) pour assurer la protection ou
la sécurité du public, ou (3) pour ne pas miner la confiance du public envers
l’administration de la justice. Pour garantir la présence du prévenu devant le
tribunal, tout d’abord, puisqu’un individu qui possède un emploi, qui est
marié, qui a des enfants, qui a mis fin à ses anciennes relations, qui a
modifié son mode de vie, qui a toujours respecté ses engagements et qui demeure
bien enraciné dans sa communauté fait preuve d’une stabilité qui lui permettra
d’établir qu’il sera présent à son procès s’il est remis en liberté. La
question ici n’est pas de savoir si l’État sera en mesure de retracer un accusé
qui s’est esquivé, mais plutôt si sa détention est nécessaire pour assurer sa
présence devant le tribunal pendant toute la durée des procédures. Comme les
chances de s’esquiver sont généralement tributaires des moyens financiers de
l’individu et de ses relations avec des complices prêts à l’aider, un prévenu
sans le sou et agissant seul ou en relation avec une organisation mal
structurée présente moins de risque d’échapper à la justice.
[Page 619]
La présence d’une
preuve accablante et d’une peine sévère advenant une condamnation peut
également être considérée par le tribunal sans nécessairement constituer un
motif automatique de détention.
405. Aux termes de l’al. 515(10)b),
la détention du prévenu est justifiée lorsqu’elle est nécessaire « pour la
protection ou la sécurité du public, notamment celle des victimes et des
témoins de l’infraction ou celle des personnes âgées de moins de dix-huit ans,
eu égard aux circonstances, y compris toute probabilité marquée que le prévenu,
s’il est mis en liberté, commettra une infraction criminelle ou nuira à
l’administration de la justice ». La simple possibilité de commettre une
infraction criminelle n’est pas suffisante en l’absence d’un risque « marqué »
pour la protection ou la sécurité du public.
Pour évaluer le degré de prévisibilité du risque, le tribunal peut recourir aux
facteurs suivants : « (1) la nature de l’infraction, (2) les
circonstances pertinentes de celle-ci, ce qui peut mettre en cause les
événements antérieurs et postérieurs, (3) la probabilité d’une condamnation,
(4) le degré de participation de l’inculpé, (5) la relation de l’inculpé avec
la victime, (6) le profil de l’inculpé, i.e., son occupation, son mode de vie,
ses antécédents judiciaires, son milieu familial, son état mental, (7) sa
conduite postérieurement à la commission de l’infraction reprochée et (8) le
danger que représente, pour la communauté particulièrement visée par l’affaire,
la liberté provisoire de l’inculpé ».
L’analyse est
[Page 620]
contextuelle et
tient compte de toutes les circonstances se rapportant à la protection ou à la
sécurité du public. Un risque élevé de récidive découlant de la nature de
l’infraction commise et du rôle joué par l’accusé milite donc en faveur de la
détention du prévenu. On n’a qu’à penser à l’individu qui s’adonne au commerce
de la drogue depuis plusieurs années ou qui est membre d’une organisation
criminelle générant des profits considérables. « Plus l’organisation
criminelle est importante et plus grand y est le rôle du prévenu, plus il sera
difficile de convaincre la cour de l’absence de probabilité que la détention
n’est pas nécessaire pour la protection ou la sécurité du public. »
En sens contraire, la personne qui n’est pas impliquée dans une organisation
structurée, dont l’activité criminelle est occasionnelle ou le mode d’opération
artisanal pourra démontrer que sa détention n’est pas justifiée au sens de
l’al. 515(10)b). Cela est d’autant plus vrai si le prévenu « suggère
au tribunal quelque ensemble de conditions spécifiques susceptibles de limiter
son potentiel de récidive ». C’est dans
cette perspective qu’il faut envisager la pertinence d’un plan de mise en
liberté comprenant notamment une thérapie supervisée pour les personnes
souffrant d’alcoolisme, de toxicomanie ou de problèmes de santé mentale. « La
mise en liberté prévoyant l’admission dans un centre de traitement assortie de
conditions appropriées permettra souvent de bien répondre à tout risque soulevé
en application du par. 515(10) et constitue une solution de rechange moins
onéreuse que la détention dans un établissement provincial. »
En s’attaquant aux causes de la criminalité, cette option peut également
diminuer le risque de récidive.
[Page 621]
406. Enfin, la détention d’un prévenu sous
garde est justifiée lorsqu’elle est nécessaire pour ne pas miner la confiance
du public envers l’administration de la justice. Dans le cadre de cette
analyse, le tribunal doit tenir compte de toutes les circonstances de
l’affaire, notamment « (i) du fait que l’accusation paraît fondée, (ii) de
la gravité de l’infraction, (iii) des circonstances entourant sa perpétration,
y compris l’usage d’une arme à feu et, enfin, (iv) du fait que le prévenu
encourt, en cas de condamnation, une longue peine d’emprisonnement ou,
s’agissant d’une infraction mettant en jeu une arme à feu, une peine minimale
d’emprisonnement d’au moins trois ans ».
L’emploi de l’adverbe « notamment » nous indique que ces
circonstances ne sont pas exhaustives. D’autres facteurs peuvent, en effet,
s’ajouter afin de déterminer si la détention est nécessaire pour ne pas miner
la confiance du public envers l’administration de la justice. Le fait que
l’accusation paraît fondée constitue la première circonstance énoncée à l’al.
515(10)c). D’après le juge Wagner, dans R. c. St-Cloud,
ce critère renvoie au sérieux de l’accusation, à la nature et à la qualité
de la preuve, ainsi qu’aux moyens de défense pouvant être invoqués par
l’accusé. Comme il ne s’agit pas d’un procès, mais d’une instance préliminaire
régie par des règles de preuve plutôt souples, le juge saisi d’une demande de
détention fondée sur l’al. 515(10)c) doit évaluer le sérieux de
l’accusation sans se substituer au juge du procès. La crédibilité des témoins à
charge, la fiabilité des éléments de preuve et le bien-fondé de certains moyens
de défense devront être examinés plus tard au procès.
Pour déterminer si « l’accusation paraît fondée », le juge tient
compte de la qualité de la preuve en fonction de sa nature et de sa quantité.
Une preuve imposante
[Page 622]
recueillie dans le
cadre d’une enquête exhaustive s’étant déroulée sur plusieurs mois ou années
ajoute du sérieux à l’accusation. Quant aux excuses et justifications pouvant
être invoquées à l’encontre des accusations, le juge est « également
autorisé à prendre en considération les moyens de défense auxquels la preuve
pouvait donner prise; il serait en effet injuste de permettre à la poursuite de
faire état de la preuve à charge sans que le juge puisse considérer non
seulement ses faiblesses, mais aussi les moyens de défense qu’elle laisse voir ».
Envisagée du point de vue de l’infraction, de sa gravité objective, l’importance
du crime « résulte principalement de la peine maximale prévue par le
législateur, car cette peine maximale permet de hiérarchiser le crime à
sanctionner dans l’échelle de gravité des crimes telle qu’elle résulte des
différentes peines maximales prévues pour les divers crimes créés par le
Parlement fédéral ». L’imposition
de peines minimales ou leur relèvement au cours des dernières années peut
également être considéré par le juge dans l’évaluation de la gravité de
l’infraction. Les circonstances entourant la perpétration du crime, y compris
l’usage d’une arme à feu, renvoient aux circonstances aggravantes et/ou
atténuantes qui caractérisent l’infraction en augmentant ou diminuant sa
gravité subjective. Parmi les facteurs se rapportant à cette question,
mentionnons la nature violente, odieuse ou horrible du crime; la commission
d’une infraction motivée par des préjugés ou de la haine fondée sur des
facteurs de discrimination; les crimes commis à l’égard d’un partenaire intime;
les infractions perpétrées à l’endroit d’une personne vulnérable en raison de
son jeune âge ou de son âge avancé, de sa condition physique ou mentale, de son
[Page 623]
emploi ou de sa
situation factuelle; le terrorisme ou le gangstérisme; les séquelles physiques
ou psychologiques subies par la victime; le nombre des victimes; la durée et la
fréquence des infractions et le rôle de l’accusé dans la perpétration du crime.
Le fait que le prévenu encourt une longue peine d’emprisonnement est la
quatrième et dernière circonstance énoncée à l’al. 515(10)c). Cette
question est déterminée en fonction de la nature du crime commis, de la peine
qui s’y rattache, de la gravité du crime et du degré de responsabilité du
délinquant. Bien qu’il ne s’agisse pas d’une audience sur la détermination de
la peine, la présence de circonstances atténuantes et aggravantes se rapportant
à la nature du crime et à la situation du délinquant révélera très rapidement
l’ampleur de la peine anticipée.
407. Les quatre facteurs précités
n’entraînent pas automatiquement la détention du prévenu aux termes de l’al.
515(10)c). Même s’il « doit prêter une attention particulière aux
facteurs énoncés par le législateur », le
juge saisi d’une demande de détention fondée sur l’al. 515(10)c) doit
tenir compte de toutes les circonstances pertinentes, y compris celles se
rapportant à la situation personnelle du délinquant. La gravité subjective du crime
ayant déjà été examinée par le tribunal, l’analyse des facteurs se
rapportant à la personne du délinquant s’impose dans le cadre d’une évaluation
sommaire, mais nécessaire, permettant de qualifier l’infraction et son auteur.
Parmi les facteurs pertinents, mentionnons le jeune âge de l’accusé, la
présence ou non d’antécédents judiciaires en semblable matière, sa fragilité
psychologique, son appartenance à une organisation criminelle, son rôle au sein
du groupe, son changement de mode de vie (p. ex. : le prévenu n’est plus
membre des Hells Angels), l’adhésion à des valeurs plus positives,
etc. La présence d’un plan de sortie soigneusement élaboré
[Page 624]
demeure un facteur
pertinent afin de décider si la détention du prévenu est nécessaire pour ne pas
miner la confiance du public envers l’administration de la justice.
En plus des circonstances propres à l’accusé, le juge peut prendre note des
délais nécessaires avant la tenue du procès. Loin d’être exhaustives, « les
quatre circonstances énumérées ne sont que les principaux éléments que le juge
doit pondérer en sus de tout autre élément pertinent, afin de déterminer si,
dans l’affaire qui l’occupe, la détention est nécessaire pour réaliser
l’objectif poursuivi : le maintien de la confiance du public envers
l’administration de la justice au pays. Telle est la finalité de cet alinéa.
Même si le juge doit prendre connaissance de toutes les circonstances de
l’affaire et se livrer à un exercice de pondération, c’est cette question
ultime que le juge doit trancher, et qui doit donc le guider dans sa décision ».
408. La confiance du public envers
l’administration de la justice renvoie « à une personne raisonnable, bien
informée de la
[Page 625]
philosophie des
dispositions législatives, des valeurs consacrées par la Charte et des
circonstances réelles de l’affaire ». Il
ne s’agit pas d’une personne trop émotive, mal informée ou qui ne partage pas
les valeurs qui surplombent notre système de justice pénale, ni d’une personne
possédant les connaissances d’un juriste ou maîtrisant toutes les subtilités
qui caractérisent la procédure judiciaire, les éléments constitutifs des
infractions et les conditions d’ouverture des moyens de défense. Sans exclure
la pertinence des reportages médiatiques qui reflètent l’opinion d’une partie
de la population à l’égard de certains enjeux ou questions plus spécifiques,
les tribunaux doivent se prémunir contre l’influence négative des reportages
inexacts, mal informés, vindicatifs ou carrément incendiaires.
409. En résumé, l’alinéa 515(10)c)
constitue un motif distinct qui permet d’ordonner la détention du prévenu
lorsqu’elle est nécessaire pour ne pas miner la confiance du public envers
l’administration de la justice. Bien que le juge doive prêter une attention
particulière aux quatre facteurs énoncés aux sous-al. 515(10)c)(i) à
(iv), sa décision doit tenir compte de toutes les circonstances de l’affaire.
Comme aucune circonstance n’est déterminante, c’est l’effet combiné ou
l’ensemble des circonstances qui permettra au juge de décider si la détention
du prévenu est justifiée au sens de l’al. 516(10)c). Sans être réservée
à des
[Page 626]
situations
exceptionnelles ni à certaines infractions spécifiques,
la détention du prévenu sera généralement ordonnée « en présence d’un
crime grave ou très violent, lorsque la preuve contre l’accusé est accablante,
et que la ou les victimes sont vulnérables ». Un
risque peu élevé de récidive et des moyens de défense sérieux peuvent, dans ce
cas, permettre au détenu de recouvrer sa liberté sous différentes conditions.
Ces conditions, une fois réunies, permettront de contenir le risque que le
prévenu ne se présente pas à son procès, qu’il récidive ou cause un préjudice à
autrui, ou qu’il nuise à l’administration de la justice.
410. Aux termes des articles 520 et 521 du Code
criminel, la défense et le poursuivant peuvent s’adresser à un juge afin de
réviser l’ordonnance rendue à l’égard du prévenu.
Ces
[Page 627]
demandes, qui ne
s’appliquent pas aux infractions mentionnées à l’article 469, peuvent être
présentées « en tout temps » avant le début du procès. Le pouvoir de
réviser l’ordonnance initiale de détention provisoire ou de mise en liberté du
prévenu n’est pas « illimité ». Seule la
présence d’une erreur de droit, d’une décision « manifestement
inappropriée » en raison de l’importance démesurée accordée à certains
facteurs de pondération ou de l’omission de prendre en considération un ou des
facteurs pertinents peuvent justifier l’intervention du juge chargé de la
révision de la décision initiale. Comme le juge qui a rendu la décision
contestée jouit d’une grande discrétion, les juges réviseurs doivent faire
preuve de retenue et s’abstenir d’intervenir à la légère. Une différence
d’opinions sur l’importance accordée à certains facteurs pertinents ne peut
justifier l’intervention du juge réviseur en l’absence d’une décision « manifestement
inappropriée ». Une nouvelle preuve soumise par l’accusé ou la poursuite
peut également amener le juge réviseur à modifier la décision initiale lorsque
ces nouveaux éléments de preuve « démontrent un changement important et
pertinent dans les circonstances de l’affaire ».
Quant aux infractions prévues à l’article 469, l’ordonnance rendue aux termes
[Page 628]
de l’article 522
peut être révisée par la Cour d’appel, en vertu du par. 680(1) du Code
criminel. Cette révision, qui est subordonnée à un contrôle préalable du
juge en chef, est effectuée par la
Cour, sur l’ordre de ce dernier. Le Tribunal peut alors confirmer la décision
initiale, modifier l’ordonnance rendue à l’égard du prévenu ou remplacer la
décision par celle qui aurait dû être rendue conformément aux principes
applicables.
[Page 629]
411. En plus des demandes de révision
prévues aux articles 520 et 521 du Code, le paragraphe 525(1) prévoit que la
personne qui a la garde d’un prévenu qui est accusé d’une infraction qui n’est
pas mentionnée à l’article 469, doit, à l’expiration d’un délai de 90 jours
suivant la date de la comparution du prévenu en vertu de l’article 503, de sa
mise sous garde suite à une ordonnance rendue en vertu de l’article 521, du
sous-alinéa 523.1(3)b)(ii) ou de l’article 524, ou de la décision rendue
suite à une demande de révision présentée conformément à l’article 520,
demander à un juge la tenue d’une audience afin de déterminer si le prévenu
devrait recouvrer sa liberté. Le juge qui reçoit la
demande fixe une date pour l’audition et informe les personnes concernées.
L’audience doit avoir lieu le plus rapidement possible. Comme la
[Page 630]
demande vise à
déterminer si le détenu « devrait être mis en liberté ou non », « la
question que doit trancher le juge lors d’une audience prévue à l’art. 525 est
la suivante : Le maintien en détention du prévenu sous garde est-il
justifié au sens du par. 515(10) ? ».
S’il est évident que le juge peut examiner la transcription et les pièces se
rapportant à une audience antérieure concernant la liberté provisoire du
prévenu, il doit être attentif aux nouvelles preuves ainsi qu’à « tout
changement important de la situation du prévenu » pouvant avoir un impact
sur le bien-fondé de son maintien en détention sous garde.
Dans son analyse, le juge doit tenir compte de l’incidence du temps qui s’est
écoulé en prêtant une attention particulière au risque que la détention du
prévenu soit aussi longue, sinon plus, que le temps estimé pour purger sa peine
s’il était reconnu coupable. La prise en compte du temps écoulé ou prévu ne se
limite pas à la confiance du public envers l’administration de la justice, mais
s’étend également aux autres motifs indiqués au paragraphe 515(10). « Si,
à la suite de l’audition, le juge n’est pas convaincu que la continuation de la
détention du prévenu sous garde est justifiée aux termes du paragraphe 515(10),
il rend l’ordonnance de mise en liberté visée à l’article 515. »
Le juge appelé à statuer sur la demande présentée peut également, en vertu de
l’article 526, donner des instructions afin d’accélérer le déroulement des
procédures engagées. Le juge qui constate que le dossier s’étire et se dirige
vers des délais déraisonnables devrait donc intervenir pour accélérer la tenue
du procès.
412. Enfin, mentionnons que l’alinéa 523(2)a)
du Code permet au juge « devant qui un prévenu subit son procès » de
réviser l’ordonnance de mise en liberté ou de détention provisoire.
Le
[Page 631]
procès commence au
moment où le juge remet l’accusé entre les mains du jury.
Lorsque le procès se tient devant un juge de la cour provinciale, le procès
débute généralement avec la preuve de la poursuite.
Le juge de gestion d’instance désigné en vertu de l’article 551.1 C.cr. n’est
pas le juge du procès. Dans Villemaire c.
R., le tribunal considère que le procès sans jury de l’accusé a commencé « puisque
l’acte d’accusation a été déposé et que ce dernier a enregistré un plaidoyer de
non-culpabilité devant le juge
[Page 632]
des faits ».
Cette conclusion s’imposait d’autant plus que le juge du procès s’était déjà
saisi, à ce titre, de questions concernant la divulgation de la preuve et
prononcé sur deux demandes de révision de détention présentées conformément à
l’alinéa 523(2)a) du Code. La décision rendue en vertu des alinéas 523(2)a)
ou c) n’est pas sujette à révision. « L’absence
de mécanismes de révision interdit donc toute interférence d’une autre cour
lorsque le procès est en cours. » La décision
prise en vertu de l’alinéa 523(2)a) n’étant pas listée au paragraphe
680(1), celle-ci ne peut faire l’objet d’une révision par la Cour d’appel.
Quant à l’alinéa 523(2)b), il permet au juge qui cite le prévenu à
procès à la suite d’une enquête préliminaire tenue à l’égard d’une infraction
qui ne figure pas à l’article 469, de substituer l’ordonnance initiale par
toute autre ordonnance qu’il juge appropriée relativement à la mise en liberté
ou à la détention du prévenu. L’ordonnance rendue en vertu de l’aliéna 523b)
peut faire l’objet d’une révision aux termes des par. 520(1) et 521(2) du Code
criminel.
413. En ce qui concerne le statut de la
personne qui est en attente d’une décision en appel, celle-ci peut,
conformément aux critères prévus au paragraphe 679(3), être mise en liberté si
elle convainc le tribunal « que l’appel [...] n’est pas futile; qu’elle se
livrera en conformité avec les termes de l’ordonnance et que sa
[Page 633]
détention n’est pas
nécessaire dans l’intérêt public ». Le premier critère
n’est pas très exigeant. « Il permet au
juge d’appel de refuser immédiatement la liberté (en répondant par un “oui” ou
un “non” catégorique) lorsque l’appel est dénué de fondement. »
Le second critère indique que le juge doit être convaincu que l’accusé ne
s’esquivera pas entretemps et qu’il « se livrera au besoin ».
Le troisième critère se rapportant à l’intérêt public comporte deux volets :
la sécurité publique et la confiance du public envers l’administration de la
justice. La sécurité publique fait intervenir des considérations déjà étudiées
dans le cadre de notre analyse de l’al. 515(10)b). Ce volet sera
satisfait s’il n’y a pas de « probabilité marquée » que l’appelant
commette une infraction criminelle
[Page 634]
ou nuira à
l’administration de la justice. Le volet se
rapportant à la confiance du public envers l’administration de la justice « suppose
la mise en balance » de deux
intérêts divergents : la force exécutoire des jugements et le caractère
révisable de ceux-ci. Pour déterminer si la mise en liberté de l’appelant en
attendant la décision de son appel « pourrait porter atteinte à la
confiance du public envers l’administration de la justice »,
le juge doit s’inspirer des facteurs prévus à l’alinéa 515(10)c). Vue
sous l’angle de l’intérêt lié à la force exécutoire des jugements, la gravité
du crime joue un rôle important dans la décision du tribunal. Comme le jugement
sur la peine tient compte de la gravité de l’infraction, des circonstances
entourant sa perpétration et de la durée de l’emprisonnement, le juge d’appel
profitera du jugement sur la peine pour prendre connaissance de ces facteurs.
En plus de la gravité du crime, la confiance du public peut être minée par la
présence d’un risque subsistant qui sans être suffisamment important pour
compromettre la sécurité publique, peut militer en faveur de la détention de
l’appelant. Il en va de même pour les risques de fuite qui
[Page 635]
ne répondent pas aux
critères de l’alinéa 679(3)b). À l’inverse, l’absence de préoccupations
importantes en matière de sécurité publique et de risques de fuite diminuera
l’intérêt associé à la force exécutoire des jugements. En ce qui concerne
l’intérêt lié au caractère révisable des jugements, sa nature transparaît à
travers la « solidité des moyens d’appel » et le type de réparation
recherchée. En effet, plus les
moyens d’appel sont sérieux, plus l’intérêt lié à la force exécutoire des
jugements diminuera au profit du caractère révisable de ceux-ci.
La mise en balance des intérêts liés à la force exécutoire des jugements et à
leur caractère révisable n’obéit pas à une règle prédéfinie, mais à une analyse
globale et
[Page 636]
contextuelle des
facteurs pertinents. En général, une déclaration de culpabilité pour meurtre ou
pour un autre crime grave accentue l’intérêt du public concernant la force
exécutoire des jugements au détriment de l’intérêt lié au caractère révisable
de ceux-ci. Cette situation est d’autant plus évidente lorsqu’il subsiste des
risques pour la sécurité du public ou des risques de fuite, ou lorsque les « moyens
d’appel semblent faibles, ou les deux ». À
l’inverse, la présence de moyens d’appel « qui vont clairement au-delà des
exigences du critère de “non-futilité” »,
combinée à l’absence de préoccupations importantes se rapportant à la sécurité
du public ou au risque de fuite, peuvent faire pencher la balance du côté de
l’intérêt du public lié au caractère révisable des jugements, et cela même en
matière de meurtre ou de crimes graves. Pour s’en
convaincre, citons le cas d’Adèle Sorella, cette mère de famille qui avait
demandé sa mise en liberté pendant l’appel du verdict de culpabilité de meurtre
prononcé contre elle à la suite de la mort de ses deux enfants.
Après avoir conclu que l’appel n’était pas futile, le juge Schrager souligne
qu’il n’y a aucune raison « de douter que l’appelante se livrera aux
autorités carcérales advenant le rejet de son appel ».
L’accusée, en effet, n’a pas de passeport, entretient une relation étroite avec
les membres de sa famille et de sa communauté et a toujours respecté ses
conditions de mise en liberté. De plus, une amie qui est membre du barreau
s’est offerte pour l’héberger. Les deux premiers critères ayant été établis,
[Page 637]
le juge procéda à
l’analyse de l’intérêt public prévu à l’alinéa 679(3)c). Sur ce point,
l’appelante, qui est âgée de 54 ans, n’a pas d’antécédents judiciaires autres
que ceux découlant de l’affaire. En plus d’avoir toujours respecté les
conditions imposées par le tribunal, madame Sorella a participé à des séances
de psychothérapie. Le juge Schrager conclut donc que l’accusée n’est pas
violente et ne présente pas de risque pour la sécurité publique. Quant à la
confiance du public envers l’administration de la justice, celle-ci doit être
évaluée « du point de vue d’un membre raisonnable du public, c’est-à-dire
d’une personne réfléchie, impartiale, bien informée sur les circonstances de
l’affaire et respectueuse des valeurs fondamentales de la société ».
L’infraction, de toute évidence, est grave, mais les circonstances ne révèlent
pas, selon le jugement sur la peine, la présence « d’un crime crapuleux »
ou de violence extrême, mais plutôt d’un événement imputable, en partie, à la
condition mentale de l’accusée. S’inspirant des
commentaires du juge Moldaver, dans R. c. Oland, le juge Schrager
mentionne que l’absence de risques de fuite et de risques pour la sécurité du
public diminue l’intérêt lié à la force exécutoire des jugements. Quant aux
motifs d’appel, il est difficile à ce stade de se prononcer catégoriquement en
raison du fait que le juge n’a pas accès aux témoignages des psychiatres ni à
la preuve ayant amené le jury à écarter la défense suggérée. Comme le juge est
convaincu qu’une « personne réfléchie, impartiale, bien informée sur les
circonstances de l’affaire et respectueuse des valeurs fondamentales de la
société » estimerait que la détention de l’appelante, en attendant la
décision de son appel, n’est pas nécessaire dans l’intérêt
[Page 638]
public, la requête
est accueillie et la mise en liberté de l’appelante ordonnée aux conditions
fixées par le Tribunal.
414. Avant de terminer notre étude des
mesures concernant l’arrestation, la comparution et la mise en liberté
provisoire du prévenu, il convient de souligner l’adoption récente de l’article
493.2 du Code criminel. Cette disposition prévoit que l’agent de la
paix, le juge de paix ou le juge qui prend une décision concernant la liberté
du suspect doit accorder « une attention particulière à la situation des
prévenus autochtones et des prévenus appartenant à des populations vulnérables
qui sont surreprésentées au sein du système de justice pénale et qui souffrent
d’un désavantage lorsqu’il s’agit d’obtenir une mise en liberté au titre de la
présente partie ».
[Page 639]
Conclusion
415. L’étude de l’article 9 de la Charte
nous a montré combien la liberté du citoyen était importante en droit pénal
canadien. Une fois constatée, la détention du suspect exige la mise en place de
protections visant à pallier le déséquilibre dans le rapport de force qui
l’oppose désormais à l’État. Le droit d’être informé des motifs de sa détention
ou de son arrestation et le droit à l’assistance d’un avocat permettront « à
la personne détenue non seulement d’être informée de ses droits et de ses
obligations en vertu de la loi, mais également d’obtenir des conseils sur la
façon d’exercer ces droits ».
[Page 641]
La diffusion de l'ouvrage Traité de droit criminel. Tome IV, Les garanties juridiques de Hugues Parent, et publié par Wilson et Lafleur, est rendue possible grâce à une licence accordée au CAIJ par Wilson et Lafleur.
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