§ 2. — De l’exception d’inexécution
et du droit de rétention
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§
2. — Exception for nonperformance and right of retention
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Art. 1591. Lorsque les obligations résultant d’un contrat synallagmatique
sont exigibles et que l’une des parties n’exécute pas substantiellement la
sienne ou n’offre pas de l’exécuter, l’autre partie peut, dans une mesure
correspondante, refuser d’exécuter son obligation corrélative, à moins qu’elle
ne résulte de la loi, de la volonté des parties ou des usages qu’elle soit
tenue d’exécuter la première.
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Art. 1591. Where the obligations arising from a
synallagmatic contract are exigible and one of the parties fails to perform
his obligation to a substantial degree or does not offer to perform it, the
other party may refuse to perform his correlative obligation to a
corresponding degree, unless he is bound by law, the will of the parties or
usage to perform first.
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O.R.C.C.
256. Lorsque
deux personnes sont réciproquement débitrices et créancières d’obligations
corrélatives et exigibles, le débiteur de bonne foi peut refuser d’exécuter son
obligation, dans la mesure où le créancier n’exécute pas ou n’offre pas d’exécuter
la sienne.
Il ne peut, cependant, prendre prétexte d’une
inexécution de peu d’importance pour refuser d’exécuter sa propre obligation.
C.c.B.-C. : art. 1496, 1597, 1652 al. 9, 1653 al. 4, 1749, 1812 et 1876.
C.c.Q. : art. 1380, 1592 et 1593.
O.R.C.C. : art. 256.
1. Généralités
1594. Cet
article codifie et généralise la règle dite de l’exception d’inexécution, aussi
connue sous l’expression latine exceptio non adimpleti contractus, qui
est une conséquence directe de l’interdépendance
[Page 589]
des obligations dans
les contrats synallagmatiques. Cette règle d’équité vise à sanctionner la bonne
foi dans l’exécution des obligations contractuelles. Elle permet en effet à une
partie, qui n’est pas tenue de s’exécuter en premier, de refuser légitimement d’exécuter
son obligation tant que son cocontractant refuse ou néglige d’exécuter la
sienne. En ce sens, l’exception d’inexécution constitue donc un moyen de
pression ou de défense offert à l’une des parties à un contrat afin de forcer l’autre
partie à s’exécuter.
2. Source
1595. L’ancien
Code civil ne contenait aucun texte définissant cette règle de façon
générale. Elle n’était que d’une application partielle à certains contrats
synallagmatiques. La doctrine
et la jurisprudence ont toutefois étendu l’application
de cette règle à toutes espèces de contrats synallagmatiques, en justifiant
cette application par le fait que les obligations découlant d’un tel rapport
devraient être exécutées « trait pour trait ».
3. Portée et conditions d’application
1596. L’article
1591 C.c.Q. permet au débiteur de refuser d’exécuter son obligation tant que le
créancier de cette obligation, également
[Page 590]
débiteur d’une
obligation corrélative, n’exécute pas celle-ci ou n’offre pas de l’exécuter. L’exception
d’inexécution se justifie par la volonté présumée des parties de respecter
leurs engagements respectifs et de les exécuter selon les modalités et l’échéancier
convenus.
1597. L’application
de la règle prévue à l’article 1591 C.c.Q. est assujettie à certaines
conditions devant être remplies par la partie qui l’invoque.
Tout d’abord, le contrat entre les parties doit être synallag-matique et les
obligations qui en découlent sont à exécution simultanée.
Ensuite, le droit de se prévaloir de cette exception ne peut être justifié que
si les obligations réciproques que l’on invoque résultent d’un même contrat
ou, du moins, de contrats si intimement liés qu’on peut les considérer comme
formant une seule transaction. Il doit donc s’agir d’obligations
corrélatives, où l’exécution de l’obligation de l’une des parties dépend de l’accomplissement
de l’obligation de l’autre. Le demandeur doit
également démontrer une inexécution substantielle et non négligeable, compte
tenu de la valeur des obligations. Enfin, les
obligations invoquées doivent être équilibrées, c’est-à-dire que la prestation
refusée et celle que l’on cherche à invoquer pour justifier l’application de l’exception
d’inexécution doivent être d’une importance plus ou moins égale. L’application
de cette règle s’évalue donc à la lumière d’un double critère, de nécessité et
de proportionnalité. Ainsi, afin qu’une partie puisse exercer ce moyen d’exception
à l’encontre de l’autre, elle doit démontrer que celle-ci a fait défaut d’exécuter
son obligation et que son défaut est important.
1598. L’exception
d’inexécution, qu’on y ait recours comme moyen de pression sur l’autre partie
pour obtenir l’exécution de son obligation ou comme moyen de défense, est un
droit qui doit être exercé de façon raisonnable et conformément aux exigences
de la bonne foi, tel que requis par les articles 6, 7 et 1375 C.c.Q. Cette
conformité est un critère déterminant de la légitimité de l’exercice :
lorsqu’elle n’est pas avérée, ou lorsque le moyen d’exception est disproportionné
par rapport au défaut
[Page 591]
de l’autre partie,
le tribunal peut conclure à un exercice déraisonnable et injustifié. L’évaluation
des circonstances qui justifient le recours est une question de fait. Elle
appartient au juge du fond, qui peut considérer son usage déraisonnable et le
sanctionner par un rejet de la défense assorti d’une condamnation du défendeur
à payer une indemnité pour les dommages subis par la partie demanderesse.
1599. Une
partie contractante ne peut se prévaloir de la règle de l’exception d’inexécution
en l’absence d’une corrélation entre son obligation et l’obligation assumée par
l’autre partie. Ainsi, un contractant ne peut refuser d’exécuter son obligation
en invoquant le défaut de son cocontractant de remplir l’une des siennes en l’absence
de corrélation entre les obligations en question.
1600. Il
convient toutefois de rappeler que la partie qui veut se prévaloir de l’exception
d’inexécution ne doit pas avoir renoncé de manière expresse à soulever ce moyen
dans une clause prévue à son contrat. Il faut aussi souligner qu’une telle
renonciation n’est pas contraire à l’ordre public et peut être valide dans la
mesure où elle remplit les conditions requises par la loi et la jurisprudence.
1601. Le cas
d’une vente à tempérament, au contraire, est régi par les dispositions d’ordre
public auquel renvoie l’article 1749 C.c.Q., si bien que le vendeur ne peut
plaider la règle de l’exception d’inexécution pour justifier la reprise à
défaut de certaines conditions. Si le Code civil du Québec prévoit le
droit à la reprise du bien en cas de défaut de l’acheteur de payer ses
versements, en effet, il assujettit son exercice à l’envoi, par le vendeur, d’un
préavis. L’objectif est de permettre à l’acheteur de remédier à son défaut dans
un délai déterminé.
A. Exécution simultanée des
obligations
1602. L’exception
d’inexécution ne peut cependant être invoquée à l’encontre d’une partie qui
bénéficie d’un terme pour exécuter son obligation. Ainsi, dans le cas d’une
vente à terme, les obligations réciproques ne peuvent pas être exécutées
simultanément. Aussi, le vendeur qui a accordé un terme à l’acheteur ne peut
refuser la livraison du bien sous prétexte que ce dernier n’a pas payé le prix
de vente. Rappelons que le contractant qui bénéficie d’un délai pour exécuter
son obligation ne peut être contraint à son exécution avant l’arrivée du terme
(art. 1513 C.c.Q.).
[Page 592]
1603. L’exception
d’inexécution impose donc à la partie demanderesse l’exécution préalable de son
obligation lorsque celle-ci est exigible ou, du moins, qu’elle ait offert de l’accomplir.
Par exemple, un promettant-acheteur d’un immeuble ne peut reprocher au
promettant-vendeur son refus d’exécuter son obligation de conclure le contrat
de vente, à moins de lui offrir le prix de vente avant que l’action en
passation de titre ne soit intentée, et, si ce dernier refuse de recevoir
paiement, de consigner le prix de vente. La règle de l’exception d’inexécution
peut donc être invoquée par l’une des parties contractantes à l’encontre de
celle en défaut d’exécuter son obligation et qui, en vertu du contrat ou des
usages doit être la première à exécuter son obligation.
B. Inexécution substantielle
ou totale
1604. Il est
également nécessaire, pour que la règle de l’exception d’inexécution s’applique,
que l’un des cocontractants n’exécute pas son obligation.
Il n’est cependant pas nécessaire que l’inexécution soit totale, elle peut être
partielle. Une exécution
partielle inutile au créancier sera assimilable à une inexécution totale. La
jurisprudence admet
toutefois qu’une défense basée sur l’exception d’inexécution ne peut être
maintenue s’il y a une exécution « substantielle » de l’obligation,
lorsque l’inexécution est de peu d’importance ou qu’elle porte sur une
obligation accessoire compte tenu de la valeur ou du prix du contrat, ou encore
lorsque cette inexécution est utilisée comme prétexte.
Dans ce cas, le moyen de l’exception d’inexécution doit être rejeté et on doit
plutôt accorder à celui qui l’a invoqué une compensation à titre de
dommages-intérêts ou une diminution du prix ou, s’il y a lieu, réserver son
recours quant aux dommages résultant de l’inexécution partielle. Il s’agit d’une
question de fait laissée à l’appréciation du
[Page 593]
tribunal. Celui-ci,
à la lumière des faits établis en preuve, décide si l’exception peut être
invoquée par le créancier et dans quelle mesure ce dernier est en droit de
refuser d’exécuter sa propre obligation en vertu de l’article 1591 C.c.Q..
À titre d’exemple, le maître de l’ouvrage peut retenir le paiement dû à l’entrepreneur
tant que les travaux ne sont pas terminés. Il peut aussi retenir une partie du
montant dû en cas d’une mauvaise exécution ou d’existence de malfaçons ou de
déficiences dans les travaux exécutés. Le fait que l’entrepreneur ait rempli
son obligation d’exécution des travaux n’empêche pas le client de se prévaloir
de la règle de l’exception d’inexécution en présence de malfaçons ou de
déficiences, car le travail effectué ne correspond pas à ce qui était prévu au
contrat et pour lequel le client a accepté de payer le prix convenu.
Par ailleurs, dans le cas d’un contrat de location, le locataire peut invoquer
la règle de l’exception d’inexécution et refuser de payer le loyer ou le coût
de location du bien lorsque celui-ci est livré par le locateur dans un mauvais
état, empêchant le locataire d’en faire l’usage pour lequel il est loué.
C. Le droit d’invoquer l’exception
d’inexécution sans l’autorisation préalable de la Cour
1605. Le
créancier qui souhaite se prévaloir de l’article 1591 C.c.Q. n’a pas à obtenir
l’autorisation du tribunal avant d’invoquer l’exception d’inexécution. Le
tribunal doit cependant évaluer, lors de l’audition au mérite, si le défendeur
était en droit de l’invoquer. Ce dernier doit faire la preuve, d’une part, du
défaut du demandeur de remplir ses propres obligations et, d’autre part, de l’exécution
simultanée des obligations des deux parties.
Il doit démontrer qu’il a fourni ou était en mesure de fournir sa contrepartie
au contrat, remplissant donc sa propre obligation. Ainsi, l’acheteur peut
consigner le montant du prix
[Page 594]
convenu au contrat
afin de contraindre le vendeur à délivrer le bien vendu et de le tenir
responsable pour les dommages qui résultent de son défaut.
1606. En
effet, l’article 1591 C.c.Q. permet exceptionnellement au contractant ayant
respecté ses obligations de se faire justice à lui-même lorsqu’il fait affaire
avec une partie qui ne respecte pas les siennes. Il devra par contre fournir
des justifications plus tard, sous peine de subir les sanctions que le tribunal
impose si les conditions d’application de cet article ne sont pas remplies.
1607. Dans
certains cas, même si le recours à l’exception d’inexécution n’est pas tout à
fait justifié, il sera permis, si le cocontractant, ayant intenté une action en
exécution forcée ou en paiement, a déclaré qu’il n’entend pas respecter son
engagement ou qu’il n’est pas en mesure de le faire.
Le demandeur risque dans ce cas de voir la défense fondée sur l’exception d’inexécution
accueillie et l’action rejetée, lorsqu’il est difficile, eu égard à la preuve
fournie, de déterminer le montant des dommages-intérêts ou le coût de la partie
inexécutée par le demandeur. Cela revient à l’obliger à recommencer une
nouvelle procédure en dommages-intérêts.
1608.
Également, la jurisprudence reconnaît que l’obligation
mal exécutée constitue une obligation non exécutée donnant ainsi au débiteur le
droit d’opposer l’exception non adimpleti contractus. De telles
questions de fait sont cependant laissées à l’appréciation des tribunaux.
Il a ainsi été reconnu qu’un avocat, bien que tenu à une obligation de moyens,
devait exécuter son mandat avec prudence et diligence. Le manquement à ce
devoir doit entraîner une diminution de l’obligation de son client, qui se
traduira en une réduction des honoraires réclamés.
D. Bonne foi
1609. L’article
1591 C.c.Q. précise aussi que le cocontractant qui désire invoquer cette
exception doit être de bonne foi, car il est reconnu que les tribunaux écartent
ce moyen lorsqu’il leur paraît être soulevé dans des circonstances contraires à
la bonne foi et à l’équité. Ainsi, une
[Page 595]
partie ne peut
invoquer le défaut d’exécution de l’autre si elle est elle-même responsable de
cette inexécution.
1610. De plus,
le cocontractant qui souhaite pouvoir bénéficier de cette exception doit
adopter une conduite de bonne foi dans son refus d’exécution de sa propre
obligation de manière à éviter toute application abusive. Ainsi, l’inexécution
doit être proportionnelle au défaut de l’autre partie. Un locataire de bonne
foi ne peut donc pas justifier la rétention totale de son loyer s’il n’y a pas
eu absence totale de la jouissance de son logement, sans quoi la défense d’inexécution
sera utilisée à outrance. Ainsi, ne peut se
prévaloir de cette exception, l’assureur qui nie injustement le droit de
couverture d’un assuré en prétendant que celui-ci n’a pas respecté la condition
de reconstruction du bien dans un délai raisonnable telle que prévue dans la
clause lui permettant d’obtenir la valeur à neuf de celui-ci. Il s’agit d’une
condition déraisonnable, voire impossible vu le fait qu’on exige d’un assuré,
qui se trouve en situation financière précaire, de reconstruire un bâtiment
avant même de connaître l’issue des procédures judiciaires et ainsi de savoir s’il
va être indemnisé. De même, un
promettant-vendeur ne peut exiger de son promettant-acheteur d’exécuter ses
obligations si lui-même n’a pas rempli les obligations contenues dans la
promesse. Il sera important toutefois de déterminer en premier temps la nature
des obligations stipulées dans la promesse. Ainsi, en présence d’une obligation
de moyens, telle que l’obligation de faire les démarches pour obtenir un
financement, l’application de l’exception d’inexécution sera injustifiée à
moins de démontrer que le promettant-acheteur n’a pas fait des efforts
suffisants ni pris des mesures raisonnables pour y arriver. Par contre, en
présence d’une obligation de résultat, l’absence du résultat donne lieu à l’application
de la règle prévue à l’article 1591 C.c.Q. Ainsi, l’obligation de fournir un
rapport pour attester la conformité environnementale du terrain faisant l’objet
de la promesse de vente, ne sera pas remplie en cas de remise d’un rapport qui
n’est pas à jour, car ce rapport peut cacher au promettant-acheteur l’état non
conforme du terrain aux normes environnementales et fait présumer la mauvaise
foi du promettant-vendeur. Dans cette situation, le promettant-acheteur est
alors en droit de refuser de signer l’acte de vente puisque le
promettant-vendeur n’a pas rempli ses obligations corrélatives.
[Page 596]
1611. De
même, la bonne foi dans l’exécution du contrat oblige le contractant cherchant
à se prévaloir de l’exception d’inexécution, à l’invoquer avec prudence et de
choisir le bon moment pour l’autre contractant afin d’éviter qu’un préjudice
injustifié ou disproportionnel ne lui soit causé. En d’autres termes, les
exigences de bonne foi imposent au détenteur d’un droit à l’exception d’inexécution,
de ne pas s’en prévaloir à contretemps ou de manière à générer des pertes ou
des dommages à l’entreprise ou à l’ouvrage de son cocontractant. Le fait que ce
dernier est en défaut d’exécuter son obligation ne justifie pas une attitude de
la part du créancier pouvant lui causer des dommages ou des pertes
inacceptables. C’est le cas du sous-locataire d’un immeuble qui, face au défaut
de son locateur (locataire principal) de payer le loyer mensuel dû au
propriétaire de l’immeuble, entreprend de verser lui-même le loyer directement
à ce dernier. Le défaut de son sous-locateur de payer le loyer pouvant avoir
comme conséquence la résiliation du bail principal, dans ce cas, le
sous-locataire agit de bonne foi en versant le loyer au propriétaire, ce qui
lui permet d’invoquer l’exception d’inexécution pour justifier son refus de
payer le loyer à son sous-locateur (locataire principal).
E. Applications particulières
1) En
matière de location
1612. En
matière de bail commercial ou résidentiel, l’exception d’inexécution pourra
être invoquée par le locataire dans la mesure où certaines conditions sont
remplies. Ainsi, l’inexécution de l’obligation du locateur doit causer à son
locataire un préjudice sérieux. Ce dernier doit alors dénoncer la présence de
ce préjudice et donner un délai raisonnable au locateur pour remédier à son
défaut.
1613. La
présence d’un préjudice sérieux est un élément déterminant pour permettre l’application
de l’exception d’inexécution. Ainsi, la présence d’insectes et de rats sous le
plancher du local loué justifie la retenue du loyer par le locataire, dans la
mesure où ce dernier a avisé son locateur de la situation et que celui-ci a
négligé d’y remédier. Il en est de même
lorsque le locataire avise le locateur de la présence d’humidité et de
moisissure dans le local loué, mais que ce dernier fait défaut de remédier à la
situation. Une telle situation justifie la retenue du loyer en totalité
[Page 597]
ou en partie ou l’abandon
des lieux par le locataire. À l’inverse, n’est
pas un préjudice sérieux la présence de bruit et de vibrations provenant du
local situé au-dessus de celui du locataire. Bien que cette situation entraîne
une perte de la jouissance paisible des lieux pour le locataire, le préjudice
subi n’est pas suffisamment important pour justifier l’application de l’exception
d’inexécution. Ce préjudice peut cependant justifier une demande de réduction
de loyer ou en dommages-intérêts.
2) Le droit
des tiers de se prévaloir de l’exception d’inexécution
1614. La
jurisprudence et la doctrine enseignent que l’exception
d’inexécution peut être opposée par un tiers à l’une des parties contractantes.
Le fait que le tiers n’est pas partie à un contrat synallag-matique intervenu
entre deux personnes ne doit pas être un obstacle à l’application de la règle d’exception
d’inexécution, à condition que les droits qu’il invoque découlent de ce contrat
ou des droits et des obligations qui y sont prévus. En effet, certaines
personnes peuvent être dans une situation factuelle et juridique semblable à
celle de l’une des parties à un contrat synallagmatique. Par exemple, un tiers
peut avoir fait l’acquisition des droits de l’une des parties tout en assumant
ses obligations.
a) Le droit du
sous-locataire de se prévaloir de l’exception d’inexécution
1615. Le
sous-locataire conclut avec le locataire principal une entente aux termes de
laquelle il assume toutes les obligations et bénéficie de tous les droits qui
découlent du bail principal. Il peut par conséquent opposer l’exception d’inexécution
au locateur qui fait défaut d’exécuter les obligations qui lui incombent en
vertu du bail principal. L’article 1876 C.c.Q. le confirme, puisqu’il prévoit
le droit du sous-locataire d’exiger du locateur l’exécution de ses obligations.
1616. Pour
que l’exception s’applique, l’inexécution de l’obligation par le locateur doit
causer un préjudice au locataire ou au sous-locataire. Ces derniers doivent d’abord
constituer le locateur en demeure et exiger qu’il remédie à ses défauts dans un
délai raisonnable. La mise en demeure doit préciser ces défauts et dénoncer le
préjudice qui en
[Page 598]
découle.
Il est aussi important d’aviser le locateur que si son défaut persiste à l’expiration
du délai raisonnable accordé, le locataire ou le sous-locataire entend se
prévaloir de la règle de l’exception d’inexécution, généralement en retenant
tout ou partie du loyer, selon la gravité du défaut ou du préjudice en
résultant.
b) Le droit de
la caution de se prévaloir de l’exception d’inexécution
1617. La
caution garantit au créancier l’exécution de l’obligation contractée par le
débiteur principal. Cette garantie peut consister dans le paiement d’une somme
d’argent, qui correspond en général au montant de la dette du débiteur
principal. Elle peut aussi avoir pour objet l’exécution d’une obligation en nature
assumée par un entrepreneur ou un prestataire de service. Le maître de l’ouvrage,
en tant que bénéficiaire du cautionnement, ne peut réclamer à la caution l’exécution
de l’obligation de l’entrepreneur lorsque lui-même est en défaut d’exécuter ses
obligations corrélatives. La caution peut, au contraire, opposer l’exception d’inexécution
au maître de l’ouvrage afin de le forcer à payer le coût des travaux déjà
exécutés, lorsque le contrat principal avec l’entrepreneur prévoit des
modalités de paiement selon la progression de l’exécution des travaux.
4. Conservation du lien contractuel
A. Défense
1618. L’exception
d’inexécution constitue donc en fait une défense essentiellement conservatoire
permettant à une partie de suspendre l’exécution de son obligation jusqu’à ce
que l’autre partie exécute la sienne. Elle n’a
donc pas pour effet d’éteindre les obligations réciproques des parties,
contrairement à la résolution ou la résiliation du contrat pour défaut d’exécution,
qui met fin au rapport contractuel entre
[Page 599]
les parties. Elle ne
peut pas non plus être invoquée par une partie qui désire se soustraire à une
clause contractuelle. En d’autres termes, l’application
de cette règle n’a pas pour effet de rompre le lien contractuel entre les parties.
Le défendeur qui désire mettre fin à ses relations contractuelles avec le
demandeur doit non seulement invoquer l’exception d’inexécution dans sa
défense, mais aussi faire une demande reconventionnelle en résolution ou en
résiliation du contrat, conformément aux articles 1590 et 1604 C.c.Q. Il peut
également décider de demander l’exécution en nature en vertu de l’article 1601
C.c.Q.
1619. Même si
cette défense présente certaines similitudes avec le droit de rétention, il ne
faut pas confondre ces deux institutions qui s’exercent dans des conditions de
fait différentes. D’ailleurs, cette dernière règle est maintenant codifiée aux
articles 1592 et 1593 C.c.Q.
1620. Le
moyen de l’exception d’inexécution peut être invoqué non seulement dans une
défense, mais aussi dans une contestation à toute requête introductive d’une
procédure, telle que la requête en délaissement forcé
ou la requête en résiliation de bail.
B. Moyen de pression
1621. L’exception
d’inexécution peut également être utilisée comme moyen de pression pour
contraindre l’autre partie à exécuter son obligation. Ainsi, une partie
contractante dans un contrat synallagmatique peut valablement et légalement
refuser d’exécuter ses propres obligations tant et aussi longtemps que l’autre
partie refuse ou n’exécute pas simultanément ses obligations corrélatives. Dans
un tel cas, la position passive d’une des parties démontre la volonté de
conserver le lien contractuel et donc de ne pas rompre la réciprocité des
obligations qui sera respectée lorsque la partie qui n’exécute pas sa
prestation l’exécutera suite au moyen de pression. Ainsi, un locataire peut
retenir le paiement de son loyer tant que le locateur ne prendra pas les
dispositions efficaces pour faire cesser les troubles provenant d’un voisin.
1622. Le but
d’invoquer l’exception d’inexécution comme moyen de pression est de conserver
le lien contractuel, de sorte que lorsque l’inexécution cessera, la partie qui
opérait ce moyen de pression recommencera elle aussi à exécuter ses
obligations. Ainsi, il est possible pour le locataire de retenir son loyer pour
cause d’exception d’inexécution et
[Page 600]
ce, quelque soit le
défaut du locateur, qu’il engendre une perte totale ou partielle de jouissance.
Ainsi, le locataire peut refuser de payer le loyer convenu dans un bail tant
que le locateur fait défaut de fournir l’usage ou la jouissance du bien loué,
ce qui représente en fait une inexécution substantielle dudit bail.
1623. La
retenue du loyer par le locataire, en application de la règle d’exception d’inexécution,
ne doit pas donner lieu à la résiliation du bail par le locateur, à moins que
cet exercice par le locataire ne soit déraisonnable et abusif en les
circonstances. Il peut arriver que le locataire retienne un montant plus élevé
par rapport à la valeur de la prestation inexécutée par le locateur même si l’article
1591 C.c.Q. précise que l’exception d’inexécution doit être faite dans une « mesure
correspondante ». Doit-on dans ce cas considérer la rétention du montant
du loyer ou d’une partie du loyer comme un défaut justifiant la résiliation du
bail ? Encore une fois, la réponse ne peut être affirmative et le tribunal
doit prendre en considération les faits et les circonstances propres à chaque
cas d’espèce. Ainsi, il peut prendre en considération les défauts reprochés au
locateur propriétaire qui sont à l’origine de la décision du locataire de
retenir le loyer en totalité ou en partie, la bonne ou la mauvaise foi des deux
parties ainsi que leur conduite depuis le début de leur relation contractuelle.
La partie qui demande la résiliation doit prouver que le manquement évoqué à l’appui
de la demande en résiliation est majeur et qu’il lui cause un préjudice
sérieux. Ce ne serait pas le cas lorsque le locataire fait un exercice
déraisonnable de son droit de retenir le loyer, alors que le défaut du locateur
est minime et n’affecte pas l’usage du bien loué. Par contre, dans le cas où le
locataire retient le montant ou une partie du loyer à la suite d’une mauvaise
interprétation des clauses du bail ou en raison d’ambiguïté ou d’imprécision
dans celles-ci ou après de mauvais conseil de son conseiller juridique, la
demande en résiliation de bail pour défaut de paiement du loyer peut être
rejetée.
[Page 601]
1624. Les
tribunaux se sont prononcés à maintes reprises sur une demande en résiliation
de bail dans le cas où le locataire avait retenu le loyer pour obtenir du
locateur l’exécution de certaines obligations.
La demande en résiliation a alors été rejetée bien que, dans certains cas, le
montant de la réduction du loyer était minime par rapport au montant retenu.
1625. L’exception
d’inexécution permet donc à l’un des contractants de refuser l’exécution de ses
obligations sans que sa responsabilité ne soit engagée. En effet, un
contractant ne peut reprocher à son cocontractant de ne pas avoir exécuté son
obligation quand lui-même est en défaut d’exécuter les siennes. Il est donc
tout à fait plausible pour le contractant qui est prêt à exécuter ses
obligations de suspendre cette exécution afin de faire des pressions légitimes
sur l’autre partie qui cherche à l’obliger à exécuter ses obligations, et
advenant le cas où celle-ci décide d’intenter un recours, l’exception d’inexécution
constitue une défense valable.
1626. Enfin,
l’exception d’inexécution n’est pas opposable aux tiers qui ne sont pas tenus
avec le débiteur à l’obligation d’inexécution. Ainsi, le vendeur ne peut
opposer au créancier hypothécaire l’exception d’inexécution basée sur le défaut
de son acheteur de payer le prix, afin de l’empêcher d’exercer son droit
hypothécaire.
[Page 602]