§ 2. — Des
effets du contrat à l’égard des tiers
|
|
§ 2. — Effects of contracts with respect to third persons
|
I — DISPOSITIONS GÉNÉRALES
|
|
I — GENERAL PROVISIONS
|
Art. 1440. Le contrat n’a d’effet qu’entre les parties contractantes; il n’en
a point quant aux tiers, excepté dans les cas prévus par la loi.
|
|
Art. 1440. A contract has effect only between
the contracting parties; it does not affect third persons, except where
provided by law.
|
C.C.B.-C.
1023. Les
contrats n’ont d’effet qu’entre les parties contractantes;
ils n’en ont point quant aux tiers, excepté dans les cas
auxquels il est pourvu dans la cinquième section de ce chapitre.
C.c.B.-C. : art. 1023, 1028 à 1031, 1778 et 2097.
C.c.Q. : art. 1442, 1443, 1444, 1452, 1555, 1627, 1631,
2157, 2160 et 2162.
Code du travail : art. 45.
Loi sur les normes du travail : art. 96
Loi sur la protection du consommateur : art. 53 et 54.
1. Notions et portée de la règle
2426. On
retrouve à l’article 1440 C.c.Q.
la codification de la règle res inter alios acta, soit le principe général selon lequel les contrats lient les parties
contractantes et produisent des effets juridiques à leur
[Page 987]
égard.
Cet article découle du principe général de la force obligatoire des contrats
établi par l’article 1434 C.c.Q.,
qui laisse entendre que le contrat est la loi des parties contractantes.
2427. On peut
noter que l’article 1440 C.c.Q. ne
renvoie pas, comme le faisait son prédécesseur l’article 1023 C.c.B.-C., aux articles 1028 à 1031 C.c.B.-C., mais il indique expressément que le principe général de l’effet
relatif des contrats souffre d’une exception chaque fois que la loi le prévoit.
2428. Le
principe de l’effet relatif des contrats signifie que nul ne peut être tenu à l’exécution
forcée d’une obligation prévue dans un contrat auquel il n’est pas partie.
C’est la traduction de la locution latine : Res inter alios acta aliis neque nocere
neque prodesse potest. Il
est alors impossible pour une personne de se voir attribuer un engagement envers une autre sans que cette personne n’y donne son consentement de façon
claire et précise.
2429. La règle
prévue à l’article 1440 C.c.Q.
vient affirmer la portée restreinte du contrat puisque contrairement à la loi
qui est
[Page 988]
d’application
universelle, le contrat concerne en premier lieu les parties contractantes et,
le cas échéant, leurs héritiers. Cependant, le contrat concerne aussi
les tiers en tant que fait juridique pour eux car une situation de faits ou de droit peut naître en raison de ses stipulations ou bien
à l’occasion de son exécution, laquelle situation peut générer des effets
juridiques entre ces tiers et l’une ou les deux parties à ce contrat.
2430. Il faut
donc prêter au principe de l’effet relatif des contrats une interprétation
restreinte pour limiter sa portée au fait que le tiers ne peut être tenu à
exécuter une obligation prévue dans un contrat auquel il n’a pas donné son
consentement. Il s’agit d’une conséquence logique du principe fondamental de
notre droit contractuel qui préconise que toute personne est libre de s’engager
elle-même mais nulle autre personne ne peut le faire à sa place
à moins d’être son mandataire ou son représentant.
2431. Le tiers
est toutefois tenu à laisser le contrat produire ses effets juridiques entre
les contractants qui eux sont tenus seuls aux obligations qui en découlent et
bénéficieront des droits créés par ce contrat.
Il faut donc faire la nuance et éviter toute affirmation négative voulant
anéantir la valeur juridique du contrat, car même si les tiers sont entièrement
étrangers à sa formation, le contrat demeure néanmoins une réalité sociale qui
s’impose également aux tiers qui doivent le respecter et le laisser produire
ses effets juridiques entre les parties contractantes.
2432. Un
contractant peut ainsi exiger du tiers de respecter ses droits contractuels ou
de s’abstenir de poser des gestes ou d’accomplir des actes en violation de ces
droits. De même, le tiers peut aussi subir un préjudice en raison de la
conclusion du contrat qui constitue une violation de ses droits déjà acquis. Il
peut aussi subir un préjudice lors de son exécution par l’une des parties
contractantes ou bien en raison du défaut ou de la mauvaise exécution par
celle-ci de ses obligations contractuelles.
A. Les tiers au
sens de l’article 1440 C.c.Q.
2433. Il est
loisible, à juste titre, de s’interroger sur l’identité des tiers auxquels l’article
1440 C.c.Q. fait référence. Les tiers, que l’on appelle aussi les penitus
extranei, sont des personnes étrangères au
[Page 989]
contrat.
Il ne peut donc pas s’agir de ceux qui continuent la personnalité juridique de
la partie contractante, tels que les héritiers qui reçoivent, à la suite du
décès du contractant, la totalité ou une quote-part de son patrimoine (ayant
cause universel ou à titre universel). De même, la personne représentée par un
représentant conventionnel légal ou judiciaire (mandataire, tuteur, curateur ou
syndic à la faillite) n’est pas un tiers au contrat puisque le représentant la
remplace dans les négociations et la conclusion du contrat. Il manifeste sa
volonté de s’engager à travers le pouvoir de représentation confié à ce
représentant. C’est donc la
personne représentée qui s’engage contractuellement et non son représentant,
celui-ci étant le plus souvent un tiers au contrat. Quant aux ayants cause à
titre particulier, ce sont des tiers au
contrat mais ils peuvent tout de même être liés par le contrat de leur auteur,
dans la mesure où les conditions prévues à l’article 1442
C.c.Q. sont remplies.
2434. La Chambre
des notaires, dans son Mémoire sur le Projet de loi 125, a tenu à souligner que l’expression « ne lie que » est préférable à l’expression « n’a d’effet », car
tout contrat est susceptible d’avoir un effet sur les tiers, ne serait-ce qu’en
tant que fait juridique.
2435. Le contrat,
sauf exception, ne lie pas les tiers. Le libellé de l’article 1440 C.c.Q. semble confondre la notion d’« opposabilité » avec celle de « relativité » des
contrats. En effet, le contrat est une réalité sociale qui s’impose tant aux
parties contractantes qu’aux tiers. Ces derniers doivent respecter le contrat
et le laisser produire ses effets entre les parties contractantes.
Ce concept peut toutefois rencontrer
[Page 990]
des difficultés d’application
lorsqu’on est en présence d’un contrat apparent. Dans cette circonstance, le
tiers de bonne foi pourra, selon son intérêt, se prévaloir du contrat apparent
ou de la contre-lettre.
2436. Le
principe de la relativité des contrats ne permet donc pas aux copropriétaires d’un
immeuble d’ignorer un contrat intervenu en faveur de l’un d’eux avant la
signature de la déclaration de copropriété, même s’ils n’en avaient pas
connaissance. Pour que ce contrat
ne leur soit pas opposable, la déclaration de copropriété doit exclure
expressément l’exercice de tout droit provenant d’une autre source.
2437. Aussi, la
clause d’exclusivité d’exploitation d’une activité commerciale contenue dans
les baux commerciaux accorde un droit strictement personnel au bénéficiaire à l’encontre
de son cocontractant. La violation de ce droit par un tiers ne permet pas à ce
dernier de poursuivre le contrevenant sur la base de la responsabilité
contractuelle étant donné que ce dernier n’est pas lié par le contrat qui ne
produit donc pas d’effets juridiques à son égard. Le seul moyen de faire valoir
son droit prévu dans la clause d’exclusivité à l’égard du tiers se fait par le
biais d’une action en responsabilité extracontractuelle, à condition que l’acte
reproché constitue une faute délictuelle ou quasi délictuelle pouvant engager
sa responsabilité. En effet, un tiers commet une faute civile lorsque, en toute
connaissance des dispositions de la clause d’exclusivité ou de non-concurrence,
décide d’y contrevenir ou d’aider le débiteur à y contrevenir.
Ainsi, un locataire engage sa responsabilité lorsqu’il viole sciemment les
droits d’un autre locataire bénéficiaire d’une clause d’exclusivité.
B. L’opposabilité
du contrat aux tiers
2438. La vie
juridique crée une interaction entre les rapports individuels et collectifs. C’est-à-dire
que les droits et obligations de l’un
[Page 991]
peuvent dépendre de
ceux des autres, car ils s’exercent dans une même société où il est inévitable
que les individus entrent en relation. Ainsi, la
relativité des contrats veut qu’un acte juridique puisse seulement créer des
droits et des obligations entre des parties ayant volontairement pris part au
contrat. Ce principe doit cependant être tempéré par la réalité que le contrat
demeure un fait juridique, dont les tiers ne peuvent ignorer l’existence.
Cette réalité impose nécessairement le besoin de rendre les contrats opposables
aux tiers à moins d’une exception prévue à la loi. Le contrat qui s’inscrit
dans une réalité sociale ne peut s’interpréter en tenant uniquement compte de l’effet
relatif des contrats en fermant alors les yeux sur une situation juridique
devant s’imposer à tous. Il est donc inévitable que le contrat, en tant que
fait juridique, produise certains effets à l’égard des tiers.
2439. Cette
question soulève une certaine controverse quant à l’opposabilité du contrat aux
tiers. Le principe de l’effet relatif du contrat voulant qu’un tiers ne soit
pas tenu à l’exécution des obligations contractuelles, n’empêche pas que
celles-ci lui soient néanmoins opposables. Il ne peut les ignorer ni, a
priori, s’associer au débiteur dans le cadre de leur violation. Si les
obligations prévues dans un contrat ne sont valables qu’à l’égard des parties
contractantes, il reste néanmoins que le tiers doit respecter le contrat et s’abstenir
d’accomplir un acte ou de poser un geste pouvant constituer un obstacle à son
exécution par les cocontractants. Autrement dit, le
manquement par un tiers de respecter les engagements pris entre deux parties
contractantes peut engager sa responsabilité extracontractuelle. Il faut adopter
le même raisonnement afin de tenir responsable un contractant qui, à l’occasion
de l’exécution de son contrat, contrevient aux droits d’un tiers.
2440. Le contrat
en tant que réalité sociale est donc opposable au tiers, comme tout fait
juridique. D’ailleurs, le principe de l’effet relatif du contrat est loin d’être
absolu : le législateur lui a
déjà reconnu certaines exceptions, notamment aux articles 1441 à 1450 C.c.Q.
Ainsi, le Code civil contient certaines exceptions pouvant permettre un recours
même en l’absence de lien direct, tel que la transmission des droits
accessoires au bien transmis à un ayant cause à titre particulier
[Page 992]
énoncé à l’article 1442 C.c.Q. ou encore la stipulation pour
autrui prévue à l’article 1444 C.c.Q..
2441. Lorsqu’un
tiers viole des obligations contractuelles et ce en toute connaissance de
cause, il commet une faute qui doit être sanctionnée par les tribunaux. C’est
le cas lorsqu’un tiers se rend complice avec le débiteur de la violation d’une
clause de non-concurrence, d’une clause de confidentialité ou encore du secret
commercial. Le fait qu’il ne soit pas lié au contrat ni tenu aux obligations
qui en découlent ne peut constituer un moyen de défense valable à une action en
responsabilité dirigée contre lui par le bénéficiaire de ces obligations. Toute
participation visant à empêcher un contrat valide de produire ses effets
juridiques entre les parties contractantes entraîne la responsabilité
extracontractuelle du tiers qui accomplit ses actes en toute connaissance des
clauses du contrat. Une telle violation peut justifier non seulement une
condamnation du tiers à des dommages-intérêts mais également l’émission d’une
injonction afin de faire cesser sa violation pour l’avenir.
1) Cas d’illustration
a) Vente d’entreprise
2442. Il est
une pratique courante d’inclure dans les contrats de vente d’entreprise une
clause de non-concurrence qui interdit au vendeur de faire concurrence à l’acheteur
ou tout simplement d’opérer une entreprise identique à celle vendue et ce,
pendant une certaine période de temps et sur un territoire géographique
déterminé. Cette clause peut être jugée nécessaire pour l’acheteur afin de
protéger et de maintenir la clientèle de l’entreprise vendue. Lorsque le
vendeur est une personne morale, les négociations de vente se déroulent entre
les administrateurs de celle-ci et l’acheteur. Dans la majorité des cas, l’administrateur
est également actionnaire unique ou majoritaire du vendeur. Sous prétexte de ne
pas être lié personnellement par la clause de non-concurrence, l’administrateur
ne tarde pas à débuter sa concurrence en opérant lui-même une nouvelle
entreprise par l’entremise d’une nouvelle compagnie incorporée à cette fin, ou
encore par personnes interposées. Or, une telle concurrence ou sollicitation de
la clientèle est illégale, même en l’absence d’une clause expresse interdisant
à l’actionnaire ou à l’administrateur cette activité. Il est tout à fait
légitime et conforme à l’enseignement doctrinal et jurisprudentiel de tenir
responsables les dirigeants de la
[Page 993]
personne morale au même
engagement de non-concurrence ou d’exclusivité.
Sinon, il serait trop facile pour eux de se cacher derrière le voile corporatif
afin de tirer bénéfice du prix de vente et de récupérer la clientèle de l’entreprise
vendue.
2443. De même,
lorsqu’une personne agit de manière contraire aux exigences de la bonne foi
dans le contexte d’un contrat de vente et fait ainsi perdre à l’agent
immobilier sa commission, cette personne même si elle était un tiers par rapport
au contrat de courtage peut être tenue à verser la somme de cette commission. L’article
1440 C.c.Q. ne constitue pas une immunité pour le tiers qui doit en tout temps
agir de bonne foi. Si le
promettant-acheteur met malicieusement fin au processus d’achat, il devra payer
la somme qui aurait été versée à l’agent par le vendeur selon le mandat
intervenu entre ces derniers comme si la transaction avait suivi son cours.
b) Dirigeant d’une
personne morale
2444. L’administrateur
d’une personne morale qui négocie les termes et conditions du contrat de vente
peut être tenu responsable envers l’acheteur, au moins pour ses actes
personnels. En tant que dirigeant d’une personne morale, la bonne foi doit
gouverner sa conduite tant lors de la naissance des obligations de cette
personne que durant leur exécution (art. 1375 C.c.Q.). La compagnie devient
souvent, à la suite de la vente de ses actifs, une compagnie bidon et par ce
fait même, ses dirigeants doivent être tenus responsables de la violation de l’obligation
de non-concurrence contractée par la compagnie à défaut de quoi, le recours de
l’acheteur serait illusoire, surtout lorsque la violation ne vient pas de la
compagnie vendeuse, mais uniquement de ses dirigeants.
2445. Lorsque le
dirigeant du vendeur est également son actionnaire, il y a lieu d’appliquer la
théorie de l’alter ego selon la disposition prévue à l’article 317
C.c.Q. Le principe voulant que la personne morale soit une entité complètement
distincte de ses actionnaires et de ses dirigeants ne doit pas rencontrer son
application que dans la mesure où la conduite de ces derniers est irréprochable
et conforme aux exigences de la bonne foi.
[Page 994]
c) Cas du professionnel
2446. Les actes
posés délibérément par le tiers en violation d’un contrat constituent une faute
extracontractuelle au sens de l’article 1457 C.c.Q. Ce dernier a une obligation
légale de ne pas nuire, obligation indépendante du contrat, mais qui découle de
la simple connaissance de celui-ci. Ainsi, le
professionnel qui prépare et rédige un contrat peut engager sa responsabilité
lorsque, par ses conseils donnés au débiteur d’une obligation contractuelle ou
à son représentant, il cherche à ignorer les droits découlant du contrat. Il en
est de même lorsqu’un professionnel met en place avec le débiteur un stratagème
qui facilite la violation des droits de l’autre contractant, et permet ainsi de
contourner l’application des stipulations contractuelles ou des dispositions
législatives. Par ses conseils, il contrevient à son devoir de respecter les
règles de conduite de bonne foi, l’éthique et la loi qui l’obligent à ne pas
violer les droits de l’autre contractant. Il peut donc être tenu responsable,
avec le débiteur, des dommages et préjudices causés au créancier, et ce, même s’il
n’est pas lié au contrat et n’est ni administrateur ni actionnaire de la
personne morale ayant contracté l’obligation violée. Cette responsabilité
extracontractuelle peut être solidaire, conformément à l’article 1526 C.c.Q.,
ou in solidum, selon l’article 1480 C.c.Q. lorsque la situation factuelle le justifie.
2447. Dans le
même ordre d’idées, un tiers qui n’est pas signataire d’une convention entre
actionnaires et qui n’est pas le cessionnaire des droits prévus dans cette
convention peut, par ailleurs, engager sa responsabilité extracontractuelle s’il
participe à des actes en violation aux dispositions de cette convention.
Il faut cependant souligner que dans certains cas, le créancier doit d’abord
épuiser les droits dont il dispose contre son contractant avant de chercher la responsabilité
extracontractuelle du tiers.
C. Influence du
concept de bonne foi et d’équité
2448. Le
législateur dans le but de promouvoir la justice naturelle a introduit dans le
Code civil du Québec certaines règles notamment celle relative à la bonne foi
qui doit guider le comportement et la conduite de l’individu dans ses relations
avec les membres de la société. Par l’adoption de ce concept, le législateur
vient aussi d’affirmer non
[Page 995]
seulement la relativité des droits mais aussi la nécessité de les exercer de
façon raisonnable et selon les normes applicables.
2449. Le respect de
la règle de bonne foi est une condition inhérente à toute activité que la
personne exerce, soit dans le cadre de ses relations contractuelles avec son
partenaire ou lorsqu’elle entre en contact avec une tierce personne à l’occasion
de l’exercice d’un droit contractuel ou lors de l’exécution d’une obligation
contractuelle.
2450. On note l’absence
d’une définition du concept de bonne foi dans le Code civil du Québec mais cet
absence s’explique par le fait que ce concept ne peut être qu’une notion
évolutive que les tribunaux doivent adapter aux circonstances et au contexte
factuel propre au cas d’espèce. Ils peuvent évaluer la portée et les limites de
cette notion en tenant aussi compte des compétences et du degré d’éducation des
personnes concernées.
2451. À l’examen
de la jurisprudence récente, on constate une tendance qui affirme que la bonne
foi est une norme sociale qui permet de déterminer et d’identifier les
comportements acceptables en matière d’exercice des droits civils. Ainsi, il n’est
pas nécessaire que le défendeur soit de mauvaise foi lors de l’exercice de son
droit ni qu’il ait l’intention de nuire à autrui pour que sa responsabilité
soit engagée. Il suffit que l’exercice de son droit soit déraisonnable, allant
à l’encontre des exigences de la bonne foi.
2452. Cette
nouvelle moralité impose donc à toute personne, que ce soit dans ses relations
contractuelles ou lors de ses
contacts avec les membres de la société, d’agir avec prudence et diligence
ainsi que de façon raisonnable pour éviter que son comportement cause un
préjudice à autrui. Cela dit, l’exigence de la conduite de bonne foi constitue
désormais une source de droits et d’obligations non seulement entre des
personnes liées par un contrat mais aussi à l’égard des tiers.
2453. Elle est
devenue l’éthique de comportement exigée non seulement en matière contractuelle
mais aussi envers les tiers pouvant être affectés par une relation contractuelle
existante entre deux parties. Il s’agit d’un devoir général qui suppose un
comportement loyal et honnête devant être rempli autant envers le partenaire qu’à
l’égard des tiers. Ainsi, lors de l’exécution de son contrat, les parties
doivent se donner une conduite conforme aux exigences de la bonne foi.
Autrement,
[Page 996]
une conduite non
conforme constitue, en tant que fait juridique, la base d’une action en responsabilité extracontractuelle par un tiers
ayant subi un préjudice résultant de
cette conduite fautive.
2454. Le respect
de la bonne foi s’impose non seulement à une partie contractante envers son
partenaire mais également envers les tiers. La
consécration de la règle de la bonne foi a donc pour effet de tenir le
contrevenant responsable envers toute personne qui subit un préjudice en raison
de la contravention à cette règle.
2455. C’est
pourquoi le principe de l’effet relatif du contrat et la règle de bonne foi
sont souvent opposés l’un à l’autre de sorte qu’ils posent de nouveaux défis
aux juristes et praticiens, qui doivent comprendre et tempérer la relation
entre ces deux concepts prévus au Code civil du Québec. Notons cependant
qu’il n’est pas toujours facile de voir avec évidence et clarté les
conséquences pouvant résulter à l’égard du tiers de la conclusion d’un contrat
ou à l’occasion de son exécution.
2. La responsabilité du tiers envers le contractant
2456. Suivant le
principe de la relativité des contrats, le tiers a indubitablement le devoir de
respecter le contrat auquel il n’est pas parti. Ce devoir découle du fait que
le contrat valablement formé doit être considéré comme une réalité qui s’impose
autant aux contractants
[Page 997]
qu’aux tiers. Autrement
dit, un contrat est un fait juridique dont personne ne peut ignorer l’existence.
A. Recours
offerts aux contractants contre le tiers
1) Le recours en responsabilité extracontractuelle : conditions et critères
2457. Une tierce
personne qui en toute connaissance de cause, participe à la violation d’un
contrat en brimant ainsi les droits d’une partie contractante, commet une faute
extracontractuelle. L’interférence
contractuelle peut donc être la source de responsabilité extracontractuelle
pour les tiers. Ainsi, la situation peut donner lieu à deux responsabilités,
soit une contractuelle pour le débiteur contractant et une autre
extracontractuelle selon l’article 1457 C.c.Q. pour le tiers. Il importe cependant de mentionner que la
connaissance par le tiers des obligations ou des droits prévus dans le contrat
est nécessaire pour engager sa responsabilité, laquelle connaissance doit avoir
lieu avant l’acte commis en violation de ces stipulations.
Il s’agit d’une condition essentielle
et d’un élément constitutif de la faute extracontractuelle, sans quoi le
recours du créancier contre le tiers ne pourra pas réussir.
2458. La
connaissance de l’obligation assumée par le débiteur à elle seule, ne sera
cependant pas suffisante pour engager la responsabilité d’une tierce personne,
mais la preuve doit aussi révéler une conduite fautive de sa part allant à l’encontre
de l’obligation générale de bonne foi.
[Page 998]
Il faut rappeler que la
bonne foi doit guider la conduite de chaque individu dans ses rapports
juridiques avec les membres de la société. Il doit ainsi s’abstenir de nuire à
l’exécution des obligations et aux droits prévus dans un contrat et dans
certains cas prendre l’initiative de se conformer aux exigences prévues aux
articles 6, 7 et 1375 C.c.Q. Ainsi, la responsabilité du tiers
peut être fondée sur la faute résultant de son incitation du cocontractant pour
qu’il contrevienne à ses obligations contractuelles ou encore de sa
participation directe dans la violation des obligations contractuelles de ce
dernier.
2459. Une
troisième condition doit être nécessairement remplie pour pouvoir conclure à la
commission d’une faute par un tiers, soit la preuve de l’intention du tiers de
causer un préjudice à l’autre contractant. Cependant, cette intention peut être
établie par la preuve des faits démontrant que le tiers était conscient que son
comportement et son agissement sont susceptibles de causer un préjudice
à l’autre contractant ou par la preuve d’« un mépris caractérisé des
intérêts » de celui-ci. Ainsi, la
preuve de la faute requiert une démonstration quant à la conscience du tiers
que son incitation ou sa participation à la violation du contrat causera
probablement un préjudice au contractant.
2460. À titre d’exemple,
un nouvel employeur qui embauche un employé ayant assumé des obligations de
confidentialité et de non-concurrence dans un contrat conclu préalablement avec
son ancien employeur, est tenu de respecter les dispositions contractuelles
dont bénéficie ce dernier. Il ne doit pas encourager ni inciter son nouvel
employé à contrevenir à ses obligations envers son ancien employeur. Ainsi, à
partir du moment où il prend connaissance de ces obligations, il doit s’abstenir
et cesser tout acte en violation de celles-ci tout en avertissant son employé
et en l’incitant à respecter ses obligations. Dans le cas contraire, il engage
sa responsabilité extracontractuelle envers l’ex-employeur bénéficiaire des
obligations.
2461. En
principe le tiers n’a pas une obligation de se renseigner et de rechercher si
la personne qui se propose d’entrer en relation contractuelle avec lui est déjà
liée par un autre contrat interférant avec le contrat projeté. Il faut
cependant rappeler que l’obligation de renseigner et de se renseigner découlant
de l’obligation de bonne foi peuvent également exister en dehors des relations
contractuelles. Cela étant dit,
[Page 999]
une personne qui est au
courant de certains renseignements ne peut volontairement fermer les yeux sur
les circonstances et les faits qui soulèvent des points d’interrogation ou des
soupçons quant à l’existence de droits ou d’obligations envers une tierce
personne, alors que le contrat proposé pourrait contrevenir à ces droits et
obligations.
2462. Par ailleurs,
un tiers ayant connaissance d’une clause contractuelle peut y déroger sans
contrevenir à son obligation de bonne foi, lorsque cette clause donne lieu à
des interprétations différentes. Dans ce cas, on ne
peut pas blâmer une tierce personne d’avoir interprété de bonne foi une clause
en sa faveur alors qu’elle n’était pas impliquée dans la conclusion du contrat.
Il est donc indispensable que toutes les conditions nécessaires à l’existence d’une
faute extracontractuelle soient réunies pour donner ouverture à un recours en
responsabilité extracontractuelle par un contractant bénéficiaire d’un droit à
l’encontre d’un tiers
2463. Un tiers de
bonne foi ne pourra être tenu responsable pour avoir conclu une transaction
avec un contractant alors qu’il ignorait les relations contractuelles de
celui-ci avec d’autres personnes. Seule une conduite allant à l’encontre du
devoir d’agir de bonne foi devra être sanctionnée et permettre l’ouverture d’un
recours en responsabilité extracontractuelle par un contractant à l’encontre d’un
tiers. Ainsi, un tiers qui s’associe
avec un débiteur sans connaître les obligations de ce dernier envers une autre
personne ne peut être tenu plus tard responsable pour avoir commis une faute à
son égard.
[Page 1000]
2464. Il
importe de noter que l’article 1440 C.c.Q. ne constitue en aucun cas une immunité pour le tiers lui permettant d’exclure
sa responsabilité à la suite de la
violation d’une clause contractuelle. Le principe de l’effet relatif des
contrats doit être adapté et interprété en harmonie avec le devoir d’agir de
bonne foi. Ainsi, le tiers qui ne respecte pas l’éthique et la conduite de la personne raisonnable ne peut invoquer l’article 1440 C.c.Q. comme moyen de défense à l’action intentée
contre lui par un
contractant-bénéficiaire des obligations ou des droits prévus dans son contrat.
2) La demande en injonction
2465. Une partie
peut présenter une demande en injonction à l’encontre de son débiteur qui ne
respecte pas l’une de ses obligations contractuelles. Elle peut également
demander l’émission d’une ordonnance à l’encontre d’un tiers qui a incité ou
participé à la violation de l’obligation contractuelle par son débiteur.
Le demandeur doit cependant démontrer que certaines conditions sont remplies,
soient qu’il y a apparence de droit ou une question sérieuse à juger, qu’il y a
une urgence à émettre l’ordonnance demandée afin de lui épargner un préjudice
sérieux ou irréparable (art. 511 C.p.c.). Il doit aussi démontrer que la
balance des inconvénients à l’égard de chacune des parties impliquées dans le
litige joue en faveur de l’émission de l’ordonnance.
2466. Ces
conditions doivent être rigoureusement satisfaites puisque l’injonction, bien
qu’elle soit un remède discrétionnaire appartenant à la cour, a pour effet de
contraindre judiciairement une partie de se conformer à un jugement rendu
souvent ex-parte alors que les droits respectifs des parties n’ont pas
encore été examinés de manière complète et définitive. Il s’agit d’une mesure
exceptionnelle qui ne peut être accordée que dans le cas où ces conditions sont
strictement respectées.
[Page 1001]
2467. Une
ordonnance peut être émise à l’égard d’un tiers qui contrevient à une clause de
non-concurrence avec le débiteur tenu à celle-ci dans la mesure où il a eu
connaissance de cette clause, agissant ainsi de mauvaise foi.
Une ordonnance interlocutoire pourra donc être émise autant à l’encontre du
débiteur qu’à l’encontre du tiers et peut selon les circonstances avoir pour
but d’empêcher le tiers de devenir complice de la violation de l’obligation de
non-concurrence à laquelle le débiteur est tenu ou bien de faire cesser cette
violation en mettant fin à toute relation entre ce dernier et le tiers.
2468. Notons que
même sans une ordonnance interlocutoire prononcée à l’encontre du nouvel
employeur, celui-ci pourrait être déclaré coupable d’outrage au tribunal selon
l’article 58 al. 2 du Code de procédure civile si celui-ci contrevient
sciemment à une injonction interlocutoire émise par la Cour à l’égard de son
employé qui a violé une obligation de non-concurrence assumée à l’égard de son
ex-employeur.
2469. Lorsque le
contractant se plaint du comportement ou de la conduite d’un tiers qui l’empêche
de bénéficier des droits qui découlent de son contrat, ce contractant ne peut
pas s’adresser à la Cour pour obtenir une ordonnance enjoignant au tiers à
mettre fin à son comportement ou à ses actes sans impliquer son cocontractant
dans les procédures. En effet, il arrive que le tiers soit aussi lié par un
autre contrat avec le contractant du demandeur. Le défaut par le demandeur d’impliquer
ce dernier dans la procédure dirigée contre le tiers pourrait causer à ce
dernier un préjudice, notamment le priver des effets de son contrat avec le
tiers. Afin que le débat soit objectif et vise à rendre justice à l’égard de
toutes les parties concernées, incluant le tiers, il faut que ces parties
soient toutes présentes lors de ce débat devant le tribunal afin de permettre à
chacune d’elles de faire valoir ses arguments et ainsi protéger, le cas échéant
ses droits.
2470. Par
ailleurs, l’émission d’une injonction interlocutoire ou de sauvegarde contre un
tiers lié à un cocontractant par un autre contrat peut remettre en cause le
principe audi alteram partem dont bénéficie ce dernier. En effet, une ordonnance émise en l’absence
de ce cocontractant peut affecter ses droits découlant de son rapport avec le
tiers. À
[Page 1002]
titre d’illustration,
une compagnie d’affichage publicitaire qui avait conclu avec un établissement
un contrat pour afficher ses panneaux publicitaires contenant une clause d’exclusivité,
ne peut intenter un recours en injonction contre une autre compagnie
publicitaire, qui est un tiers au contrat, pour la violation de cette clause,
sans avoir impliqué dans sa procédure cet établissement (son cocontractant) ou
le mettre en cause. Une telle ordonnance pourrait priver ce dernier des
avantages qui découlent de son second contrat intervenu avec le tiers, et ce,
sans qu’il puisse être entendu.
3) La demande en préservation de la preuve
2471. Dans le
cas d’une demande de préservation de la preuve en vertu des articles 20 et 251 C.p.c., les critères de l’ordonnance de sauvegarde ou de l’injonction
interlocutoire ne sont pas applicables. Il suffit que le demandeur démontre la
nécessité d’une telle ordonnance, afin de préserver certains éléments de preuve
pouvant être détruits avant de se rendre au procès. Il ne faut pas confondre
cette ordonnance avec la demande d’autorisation de fouiller les équipements et
les dossiers du tiers. On note au sein de la jurisprudence une réticence à
accorder le droit de fouiller les équipements du tiers notamment, les ordinateurs
de celui-ci, puisque la mise en exécution d’une telle ordonnance porte atteinte
à la vie privée et au droit de propriété du tiers. Une telle demande peut être
rejetée lorsque la preuve soumise à sa justification est insuffisante. Ainsi,
même si une preuve prima facie éveille des soupçons quant à la participation d’un employeur à la
violation de l’obligation de non-concurrence de son employé, cette preuve peut
être insuffisante pour autoriser la fouille des équipements et des dossiers de
cet employeur par l’entreprise concurrente.
2472. Il importe
ici de faire aussi la distinction entre le débiteur et le tiers. Ainsi, une
preuve prima facie d’une
violation des obligations de non-concurrence par un employé peut être
suffisante pour justifier l’atteinte à sa vie privée, ce qui s’explique par l’importance
du lien contractuel et des obligations qu’il a assumées volontairement envers
son ancien employeur. Par contre, bien que
le nouvel employeur ait une obligation de s’abstenir à une participation ou association avec le débiteur dans
la violation de la clause de non-concurrence, sa responsabilité est
généralement moindre que l’employé lié directement par la clause.
[Page 1003]
4) Nature de la solidarité entre les défendeurs
2473. En matière
d’indemnisation, la solidarité qui pourra être retenue dépend de la nature de l’obligation
en l’espèce. La jurisprudence conclut systématiquement à une responsabilité in
solidum lorsque les sources de responsabilité des défendeurs sont
différentes. Il est temps,
cependant, de reconsidérer cette position lorsque la faute commise peut être
qualifiée d’une faute extracontractuelle pour le contractant s’il n’y avait pas
de contrat avec le demandeur. Dans ce cas, la responsabilité du contractant
avec le tiers codéfendeur peut être solidaire conformément au régime prévu à l’article
1526 C.c.Q., soit la solidarité parfaite. Par contre,
il serait plutôt question de solidarité imparfaite dans la situation où le
contractant aurait contrevenu seulement à une obligation contractuelle et non
pas à une obligation légale. En effet, lorsque la faute du débiteur contractant
se limite à la violation d’une obligation prévue à son contrat, sans aucune
désobéissance à une obligation légale, alors que le tiers, en raison de la
violation de son devoir général, engage sa responsabilité extracontractuelle en
vertu de l’article 1457 C.c.Q., la solidarité entre les défendeurs doit alors
être imparfaite. Il faut donc se
questionner à savoir si la faute commune pourrait aussi être qualifiée d’extracontractuelle
s’il n’y avait pas de contrat entre le débiteur tenu à une obligation
contractuelle et le créancier, afin de déterminer le régime de la solidarité
applicable, soit la solidarité parfaite ou imparfaite.
5) Application de la clause pénale aux tiers
2474. La
responsabilité du tiers pour son implication dans la violation
des obligations contractuelles assumées par l’un des
contractants soulève cependant une autre question controversée, soit celle de l’application
de la clause pénale au tiers. En effet, l’obligation contractuelle peut être
assortie d’une clause pénale qui est définie à l’article 1622 C.c.Q. comme étant une évaluation
anticipée des dommages-intérêts à payer par le débiteur dans le cas où, sans
justification, il n’exécuterait
[Page 1004]
pas son obligation en
nature. Peut-on alors imposer ce montant en tant que pénalité au tiers
responsable aussi de la violation de l’obligation ou doit-on appliquer le
régime général en matière d’indemnisation qui oblige le créancier à faire la
preuve des dommages causés par la faute reprochée à ce dernier ?
2475. Il peut
être difficile de concevoir qu’une personne n’ayant pas pris part au contrat,
et donc, n’ayant pas eu la possibilité de discuter et de consentir à la clause
pénale incluse dans ce contrat puisse y être tenue. Une décision contraire
constitue une dérogation à la logique civiliste et pourrait remettre en
question l’enseignement doctrinal et jurisprudentiel en matière de contrats.
Cette dérogation pourrait aussi remettre en question le principe du
consensualisme qui reconnaît un rôle important et essentiel à la volonté de la
personne dans la création des droits et des obligations contractuels.
2476. Les juges
de la Cour d’appel ont tranché la question de l’application de la clause pénale
au tiers dans l’affaire Dostie c. Sabourin
où les juges majoritaires ont conclu que la clause pénale est inopposable
au tiers et ne s’applique qu’à la partie contractante l’ayant acceptée comme
sanction à la violation de son obligation.
2477. Il est
maintenant établi que le tribunal qui conclut à la responsabilité
extracontractuelle du tiers doit s’en remettre aux règles de droit commun
applicables en matière de dommages compensatoires pour déterminer à quelle
réparation le bénéficiaire de l’obligation a droit.
Cependant, lorsque les dommages découlant de l’application de la clause pénale
sont purement compensatoires, la clause peut être utilisée comme élément d’appréciation
du préjudice. Par contre, lorsque
la clause pénale est de nature comminatoire et vise plus que la simple
compensation du préjudice, elle ne peut être utilisée pour évaluer l’indemnité
à être accordée. Ainsi, la clause pénale qui vise également à punir le
contractant qui manque à l’une de ses obligations contractuelles doit être
exclue de toute application dans le cas du tiers, puisqu’elle n’aide pas à l’appréciation
du préjudice devant être compensé par ce tiers.
2478. L’opinion
majoritaire dans l’affaire Dostie c. Sabourin fut reprise à
maintes reprises dans les dernières années par la Cour
[Page 1005]
supérieure
et la Cour du Québec. La Cour d’appel a
aussi récemment confirmé la possibilité d’utiliser la clause pénale lorsqu’elle
est purement de nature compensatoire. Compte tenu
de cette confirmation, la clause pénale peut désormais être utilisée lors de l’évaluation
des dommages causés par le tiers au contractant à condition que la clause ne
soit pas de nature comminatoire. Ainsi, la clause pénale peut servir comme
indice au tribunal et même faciliter la preuve des dommages devant être compensés
par le tiers.
2479. Dans le
cas où un contractant devrait payer une pénalité prévue dans une clause pénale
en raison de la faute d’un tiers, le contractant ne peut obtenir de ce dernier
des dommages-intérêts équivalant au montant payé par lui et découlant de l’application
de la clause pénale. Cependant, une telle réclamation peut être possible, à
condition de prouver que la faute du tiers a causé un préjudice à ce
contractant, dont la réparation équivaut à la pénalité prévue dans la clause
pénale qui est de nature purement compensatoire.
2480. Dans tous
les cas, le contractant doit prouver ses propres dommages et non pas se
contenter de réclamer le montant de la clause pénale, faute de quoi sa
réclamation risque d’être rejetée pour le motif qu’il tente d’obtenir
indirectement ce qu’il ne peut obtenir directement.
Le principe de l’effet relatif des contrats ne permet pas à un contractant de
réclamer l’application d’une clause pénale à un tiers.
3. La responsabilité du contractant envers un tiers
2481. Un tiers
qui subit un préjudice causé par l’inexécution ou la mauvaise exécution d’un
contrat intervenu entre deux autres personnes, peut réclamer des
dommages-intérêts pour le préjudice qui en résulte
dans la mesure où la mauvaise exécution ou l’inexécution constitue à
[Page 1006]
son égard une faute
extracontractuelle. Soulignons que, dans certains cas, la même faute commise
par le débiteur, peut être à la fois contractuelle à l’égard de son
contractant-créancier et extracontractuelle à l’égard du tiers.
A. Conditions
2482. Une partie
contractante peut causer un préjudice à une tierce personne lors de l’exécution
de ses obligations contractuelles. Ce tiers pourra alors tenir responsable à
son égard la partie qui a mal exécuté ses obligations ou a simplement omis de
les exécuter si les conditions requises
par le régime de la responsabilité extracontractuelle sont rencontrées. La
jurisprudence et la doctrine reconnaissent au tiers le droit d’invoquer l’inexécution
ou la mauvaise exécution du contrat comme un fait juridique qui constitue une
faute extracontractuelle et non pas un simple manquement à une obligation
contractuelle. Cela dit, une mauvaise exécution d’une obligation peut
constituer une faute extracontractuelle lorsqu’elle remplit les critères de
cette faute et cause un préjudice à une tierce personne. Une partie
contractante doit toujours se conduire raisonnablement et agir de bonne foi à l’égard
de tous, sans quoi elle pourrait engager non seulement sa responsabilité
contractuelle envers l’autre partie, mais également sa responsabilité
extracontractuelle à l’égard du tiers. À titre d’illustration, la mauvaise
exécution par l’entrepreneur de son obligation d’entretenir les routes durant l’hiver,
engage sa responsabilité extracontractuelle envers les usagers des routes pour
le préjudice résultant de cette mauvaise exécution bien que ces derniers soient
des tiers au contrat intervenu entre lui et le gouvernement.
2483. Il importe
cependant de noter qu’une faute contractuelle ne constitue pas nécessairement
une faute à l’égard du tiers pouvant donner lieu à un recours en responsabilité
extracontractuelle. L’existence d’une
faute extracontractuelle commise par l’un ou les contractants à l’égard du
tiers est une question devant être déterminée par l’application du critère de
la personne raisonnable placée dans les mêmes
[Page 1007]
circonstances. Il ne suffit
pas d’établir qu’une faute a été commise lors de l’exécution du contrat, mais
il faut démontrer que cette faute constitue aussi une faute entraînant la
responsabilité extracontractuelle de son auteur envers le tiers.
C’est la conduite qu’un contractant raisonnable aurait adoptée lors de la
conclusion ou de l’exécution de son contrat, face aux tiers qui pourraient être
affectés dans leurs droits à une étape de son existence. Ainsi, pour un tiers,
l’existence d’une obligation contractuelle de même que le manquement à cette
obligation sont des faits juridiques, qui ne génèrent en soi aucun droit de
créance, à moins que ces faits juridiques ne remplissent les conditions de la
faute extracontractuelle donnant ouverture à un recours contre le contractant.
À titre d’illustration, le promettant-acheteur qui engage sa responsabilité
contractuelle à l’égard du promettant-vendeur en raison de son refus de donner
suite à la signature de l’acte de vente, son comportement ne constitue pas
nécessairement et de façon systématique une faute extracontractuelle à l’égard
du courtier pour la perte de sa commission.
2484. Il n’est,
cependant, pas nécessaire qu’une faute soit commise à l’occasion de l’exécution
d’un contrat pour que la responsabilité extracontractuelle des parties
contractantes ou de l’une d’elles soit engagée à l’égard du tiers. En effet, il
se peut qu’une simple exécution d’une obligation contractuelle même conforme au
contrat, produise des effets néfastes pour une tierce personne. Celle-ci pourra
alors poursuivre l’un ou les deux contractants, si la conclusion du contrat ou
son exécution constitue une violation de ses droits ou bien un manquement à un
devoir général de bonne foi et à une conduite raisonnable.
2485. Dans
certains cas, la conclusion du contrat constitue en soi une violation des
droits du tiers, ce qui engage la responsabilité extracontractuelle de l’un ou
de deux contractants envers ce tiers. Il faudra alors se demander, dans chacun
des cas, si une personne raisonnable placée dans les mêmes circonstances aurait
agi de la même façon que les parties contractantes afin de vérifier s’il y a
une faute de leur part.
[Page 1008]
2486. L’article 1440 C.c.Q. ne constitue pas une immunité pour
les parties contractantes qui leur permettrait d’agir de façon déraisonnable
envers les tiers sous prétexte du principe de la relativité des contrats ou de
la liberté contractuelle. Au contraire les
personnes qui cherchent à conclure entre elles un contrat doivent agir avec
prudence et diligence pour que la conclusion de ce contrat ou son contenu ne
constitue pas une violation aux droits légitimes des tiers. Le respect de ces
droits doit être omniprésent dans leur esprit lors de la conclusion du contrat
et la détermination de son contenu.
2487. À titre d’illustration,
n’agit pas de manière prudente et diligente, une institution financière et
créancière hypothécaire qui, suite à un sinistre sur la résidence de son
client, perçoit de manière prioritaire les prestations d’assurances destinées à
payer les coûts des travaux de réparation. Alors que cette institution savait
qu’un entrepreneur a été mandaté pour effectuer les travaux de construction et
bénéficie d’une cession de créance sur les prestations d’assurance jusqu’à
concurrence des coûts de ces travaux. Sa conduite doit donc être déclarée
fautive lorsqu’elle verse les montants de l’indemnité reçue de l’assureur
directement à son client, et ce, sans en aviser l’entrepreneur. Par son
agissement, elle a manqué à son obligation générale de ne pas nuire à autrui,
en l’occurrence l’entrepreneur, d’autant plus qu’elle savait que l’indemnité
versée était la contrepartie de la remise en état du bien hypothéqué en sa
faveur. Ainsi, elle ne pouvait pas ignorer les droits de l’entrepreneur à
recevoir les montants versés par l’assureur, alors qu’elle tirait un avantage
évident de l’exécution de ses travaux de reconstruction.
2488. Tel est
également le cas d’une banque qui, au courant des activités frauduleuses de son
client, lui permet en toute connaissance de cause de continuer ses opérations
en sachant ou devant savoir que cela pourrait entraîner des conséquences
négatives pour un tiers, que ce soit une autre institution financière ou encore
un particulier. En d’autres termes, il est du devoir d’une institution financière
qui est au courant ou découvre les activités frauduleuses d’un de ses clients
de les faire cesser
[Page 1009]
immédiatement et
surtout de ne pas s’associer à ces activités dans le but d’obtenir un profit au
détriment d’une tierce personne.
2489. D’ailleurs,
un contractant qui exécute ses obligations contractuelles peut aussi engager sa
responsabilité extracontractuelle si le contenu obligationnel du contrat ou son
exécution constitue une faute extracontractuelle à l’égard du tiers.
Le devoir de conduite raisonnable commandé par la règle de la bonne foi, doit
transparaître non seulement dans les relations contractuelles, mais aussi
vis-à-vis les personnes qui n’ont pas pris part au contrat. Le défaut de se
conformer à ce devoir par les parties contractantes peut engager leur
responsabilité extracontractuelle pour des dommages causés à une tierce
personne. Chaque cas est un cas
d’espèce et devra faire l’objet d’une analyse indépendante pour déterminer s’il
y a bel et bien eu conduite déraisonnable de la partie contractante, permettant
de conclure à une faute extracontractuelle de cette dernière à l’égard du tiers.
1) Les recours disponibles pour le tiers
2490. Il peut
arriver que des obligations prévues au contrat présentent des avantages
implicites ou explicites pour des tierces personnes. Dans un tel cas, la partie
contractante tenue à ces obligations doit s’y conformer afin d’éviter qu’un
préjudice soit causé au tiers. Il est à noter qu’un
simple manquement contractuel préjudiciable à un tiers ne donne pas
nécessairement ouverture à un recours en dommage-intérêt pour ce dernier. En l’absence
de lien contractuel et d’une stipulation en sa faveur, le tiers, même s’il
possède un intérêt certain à ce qu’une partie au contrat respecte ses
obligations, ne dispose pas d’un recours en exécution forcée contre le débiteur
afin de faire respecter les termes du contrat.
Même si cela peut paraître contradictoire avec le devoir
[Page 1010]
d’agir de manière raisonnable à l’égard
de toutes personnes, incluant le tiers,
il y a lieu cependant de distinguer le recours en dommages-intérêts et le
recours en exécution en nature du contrat, dont seul le premier de ces deux
recours peut être intenté par le tiers lésé.
2491. En effet,
à moins que l’obligation contractuelle soit stipulée au bénéfice d’un tiers,
seule une partie contractante peut s’en prévaloir pour contraindre le débiteur
à l’exécuter. Les parties contractantes doivent toutefois s’abstenir de nuire à
une tierce personne ou prévenir la survenance de tout préjudice,
car il est possible que l’exécution d’une obligation contractuelle cause des
dommages à une tierce personne, devenant ainsi une faute extracontractuelle à
son égard.
2492. Il convient
de noter que même si le tiers ne peut pas intenter un recours en exécution en
nature à l’encontre d’une des parties contractantes pour qu’elle soit forcée d’exécuter
ses obligations prévues au contrat, cela n’a pas pour effet d’empêcher le tiers
d’intenter une demande en injonction pour obtenir une ordonnance interlocutoire
ou permanente lorsque l’exécution de ce contrat aurait pour effet de lui causer un préjudice. En effet, le tiers doit
avoir le droit au recours en injonction pour empêcher l’exécution d’un contrat
qui pourrait lui causer un préjudice irréparable.
2493. Enfin, il
faut souligner qu’une personne ayant subi un préjudice du fait que son
cocontractant se soit lié avec une autre personne par un autre contrat, ne peut
pas demander la nullité de ce contrat auquel elle n’est pas partie en invoquant
l’abus de droit. Il ne lui est pas non plus possible de demander que ce contrat
conclu ultérieurement lui soit inopposable, à moins qu’elle
ne remplisse les conditions requises pour une action en inopposabilité prévue
aux articles 1631 à 1635 C.c.Q.
2) La responsabilité du contractant envers le tiers-actionnaire
2494. La Cour
suprême a décidé dans l’arrêt Banque nationale c. Houle
que les actionnaires ne peuvent pas intenter une poursuite relativement aux
fautes commises par un contractant à l’endroit de leur
[Page 1011]
société, car ce droit d’action
appartient à la société elle-même en tant que personne morale distincte. La
Cour explique cependant que les actionnaires peuvent, dans des cas
particuliers, avoir un recours en leur propre nom si le défendeur a manqué à
une obligation qui constitue une faute distincte envers eux et si ce manquement
leur a occasionné un préjudice direct et indépendant de celui causé à la
société.
2495. Dans son
arrêt récent Brunette c. Legault
Thiffault, s.e.n.c.r.l., la Cour suprême
a réaffirmé que la responsabilité extracontractuelle du contractant d’une
société à l’égard de ses actionnaires ne peut être engagée à moins que ces
derniers ne prouvent que le contractant a commis à leur égard une faute
distincte causant ainsi un préjudice indépendant et distinct de celui subi par
la société.
2496. Rappelons qu’un
préjudice indirect ne peut être indemnisé selon l’art 1607 C.c.Q. Il est
généralement reconnu qu’un préjudice subi directement par une société est un
préjudice subi indirectement par ses actionnaires. Dans l’affaire Brunette c. Legault Thiffault, s.e.n.c.r.l.,
le contractant avait commis une faute qui avait eu comme conséquence la
faillite de la société. Il fut donc jugé que le préjudice causé à la société
qui consiste dans la perte de ses actifs est un préjudice qui fut subi
indirectement par ses actionnaires. En conséquence, les actionnaires ne furent
donc pas indemnisés pour ce préjudice, puisqu’il n’était pas à leur égard un
préjudice indépendant et distinct de celui subi par la société.
2497. Notons
cependant que Madame la Juge Suzanne Côté, dans son opinion dissidente,
explique que contrairement à ce que laisse entendre l’opinion majoritaire,
seule une faute distincte doit être commise à l’égard des actionnaires, mais le
préjudice subi par ces derniers peut être le même que celui subi par la
société.
B. L’obligation
de renseignement en dehors des relations contractuelles
2498. Il est
reconnu par la jurisprudence que le manquement à l’obligation de renseignement
en dehors d’une relation contractuelle peut être considéré une faute
extracontractuelle, à condition que certaines conditions soient remplies.
D’abord, il faut que l’information soit connue par l’auteur de la faute à qui
on reproche un manquement à l’obligation de renseignement. Il faut également
que ce manquement constitue avant tout un manquement à l’obligation de
renseignement envers son contractant
[Page 1012]
afin que ce manquement
constitue en même temps une faute extracontractuelle envers un tiers qui est
lié à ce dernier par un autre contrat. Finalement, il faut que l’information en
question ne soit pas disponible pour la partie qui invoque le manquement à l’obligation
de renseignement. Cette question doit être évaluée selon le critère d’une
personne prudente, diligente et raisonnable afin de déterminer si la partie qui
invoque le manquement à l’obligation de renseignement aurait pu obtenir la même
information ailleurs.
2499. La Cour d’appel
dans l’affaire Camions Daimler Canada ltée v. Camions Sterling de Lévis
inc. est allée
encore plus loin en confirmant que l’obligation de renseignement d’un
contractant envers un tiers peut exister en dehors d’une relation
contractuelle. En fait, la Cour d’appel a traité du manquement à l’obligation
de renseignement d’un contractant à l’égard d’une tierce personne qui s’est
proposé de faire l’acquisition des intérêts de l’autre contractant. La Cour a
conclu qu’en raison du manquement à l’obligation de renseignement du
contractant, le consentement de la tierce personne à un contrat d’acquisition d’actions
n’était pas éclairé, ce qui engage la responsabilité de ce contractant devenu
débiteur de l’obligation de renseignement par les circonstances ayant entouré
la conclusion d’un autre contrat même s’il est un tiers à ce contrat.
4. Responsabilité du professionnel envers le tiers
2500. Le
professionnel peut engager sa responsabilité personnelle pour le préjudice
économique subi par un tiers en raison d’une faute commise lors de l’exécution
d’un contrat conclu avec son client. Cette responsabilité peut être aussi
retenue lorsqu’il fait défaut de renseigner un tiers ou de lui fournir des
informations complètes et exactes en rapport avec un contrat exécuté pour le
compte de son client. Ainsi, un
professionnel (avocat, notaire, comptable, courtier ou conseiller) peut engager
sa responsabilité envers un tiers en raison d’un manquement à un devoir général
lors de l’exécution de son contrat avec son client ou d’un manquement au
respect des lois et des règles régissant l’exercice de sa profession.
2501. Une
question légitime se pose, à savoir si le professionnel a un devoir de conseil
envers le contractant de son client qui est en fait un tiers pour lui ? En principe, tout contractant doit se donner lors
de
[Page 1013]
l’exécution de son contrat une conduite conforme aux exigences de bonne foi. Pour ce faire, elle doit se conformer non seulement aux normes
généralement reconnues et acceptées par la société, mais aussi aux règles et
aux usages en vigueur dans le domaine du contrat en question.
2502. Ce principe
général rencontre son application aux professionnels qui à l’occasion de l’exécution
de leurs prestations sont appelés non seulement à faire de leur mieux pour
servir l’intérêt de leurs clients, mais aussi à fournir des prestations en
toute conformité à la loi et aux règles régissant l’exercice de leur
profession. Cela dit, le professionnel lors de l’exécution de son contrat doit
agir avec prudence afin que l’exécution de son contrat ne soit pas un acte
dommageable pour le tiers.
2503. Les
professionnels doivent ainsi agir avec rigueur et avec professionnalisme pour
que leur ouvrage, qu’il soit intellectuel ou matériel ne cause aucun préjudice
aux tiers ni dans l’immédiat ni à l’avenir. On peut citer à titre d’exemple,
les notaires, les comptables, les vérificateurs externes, les avocats, les
courtiers immobiliers, les évaluateurs agréés, les arpenteurs-géomètres, etc.
qui par les prestations fournies à leurs clients pourraient induire en erreur
les tiers qui auront à consulter le résultat de leur travail.
A.
Responsabilité du notaire envers le tiers
2504. Le notaire
qui prépare un contrat doit s’assurer que celui-ci est représentatif des
intentions des parties et non uniquement des intentions et intérêts du
contractant qui est son client. En effet, le notaire, en tant que professionnel
et en raison de la confiance que le public peut légitimement avoir en lui, ne
peut agir seulement dans l’intérêt de son client et ainsi préparer le contrat
ou le document demandé sans tenir compte également de l’intérêt de l’autre
partie contractante qui est un tiers par rapport au mandat confié par son
client. Au contraire, il est
tenu à une obligation de renseignement envers ce tiers quant au contenu du
document qu’il a préparé, même lorsque cette préparation a eu lieu à la demande
de son client.
2505. Le notaire
peut dans certains cas, compte tenu de la nature de la transaction et des
circonstances particulières, être tenu à un devoir de conseil envers le
contractant de son client. Ce devoir de conseil est important lorsque l’autre
partie n’est pas représentée par un conseiller
[Page 1014]
juridique
ou lorsque la tierce personne est vulnérable.
Soulignons à cet effet que les
tribunaux tiennent compte de l’expertise, de la personnalité et du support dont
bénéficie la tierce partie pour évaluer la portée de l’obligation de
renseignement et du devoir de conseil du notaire.
2506. Il importe
de noter que l’obligation de renseignement du notaire envers le tiers est une
obligation positive qui consiste à fournir tous les renseignements pertinents
et nécessaires à la compréhension du contrat et la prise de décision quant à
son acceptation. Cette obligation doit
être remplie même si les parties et particulièrement le contractant du client
du notaire ne lui posent aucune question sur les stipulations du contrat et
leurs conséquences. Il doit lui donner
des explications sur la nature de l’acte, les conditions de celui-ci, son
contenu, ses effets ainsi que les conséquences qui résultent des droits et des
obligations qui y sont prévus.
2507. Le défaut
du notaire de remplir son obligation de renseignement envers le tiers constitue
une faute extracontractuelle qui engage sa responsabilité pour le préjudice qui
en résulte. Ainsi, à titre d’illustration, le notaire engage sa responsabilité,
lorsqu’il omet de conseiller et d’informer un acheteur qui fait l’acquisition d’un
immeuble des faits pertinents à la transaction alors qu’il a été révélé plus
tard que le vendeur a commis des fraudes en multipliant les transactions
portant sur le même immeuble devant le même notaire. L’acheteur bien qu’il ne
soit pas le client du notaire, doit être informé de toutes les circonstances
entourant la vente. Le défaut par le notaire d’informer et d’aviser l’acheteur
adéquatement de l’ensemble des faits relatifs à la transaction, constitue une
faute extracontractuelle qui engage sa responsabilité pour les dommages subis
par ce dernier.
B.
Responsabilité de l’avocat envers le tiers
2508. Les règles
régissant le mandat de l’avocat l’obligent, en tant que mandataire, non
seulement à agir avec prudence et diligence envers son client, mais aussi en
toute bonne foi et loyauté. Cependant, l’avocat doit concilier les obligations
auxquelles il est tenu envers son
[Page 1015]
client avec son devoir
général en tant qu’officier de la justice. Ainsi, il ne peut chercher à
protéger ou à faire valoir l’intérêt de son client allant ainsi à l’encontre de
la règle générale de bonne foi et du principe de la justice naturelle causant
par sa conduite préjudice à un tiers.
2509. Contrairement
au notaire, l’avocat n’est tenu, en général, à un devoir de conseil qu’envers
son client. Il n’est normalement pas tenu d’informer l’autre partie que la
proposition envisagée lui est défavorable, puisque les
obligations auxquelles il est tenu envers son client ne lui permettent pas de
conseiller l’autre partie. Par conséquent, l’avocat est rarement tenu à un
devoir de conseil envers l’autre partie.
2510. L’avocat
ne doit cependant pas tenter d’influencer l’autre partie ou de l’induire en
erreur ni de lui cacher une information pertinente à la transaction. Il doit
aussi s’abstenir de faire des déclarations qu’il sait fausses. Il doit se
comporter en toute conformité à ses devoirs de dignité, d’intégrité, de respect,
de modération et de courtoisie envers les tiers. Finalement, l’avocat doit s’assurer
qu’il ne se trouve pas dans une situation de conflit d’intérêts.
2511. Sa
responsabilité extracontractuelle peut être retenue s’il agit avec négligence à
l’égard d’une tierce personne avec laquelle il a contracté une obligation de
prudence et de diligence en raison des faits ou de sa conduite dans le dossier.
En dehors d’une situation particulière, ne constitue pas une faute le fait pour
un avocat de représenter un contractant dans le cadre de ses affaires avec une
autre personne qui n’est pas représentée, à moins d’agir de manière malhonnête
ou abusive ou encore, si cette tierce personne se trouve dans une situation
vulnérable ou dans une position de faiblesse qui nécessiterait davantage de
précautions et de conseils de la part de l’avocat.
2512. De même, l’avocat
doit de sa propre initiative aviser le tiers qu’il ne peut veiller à ses
intérêts et qu’il doit retenir les services d’un autre conseiller à cette fin.
Cette obligation devient un devoir de conseil lorsque l’avocat constate que le
partenaire de son client est sous l’impression qu’il est en tant que
professionnel, en mesure d’agir dans l’intérêt de toutes les parties et de
préparer le contrat demandé en toute objectivité et neutralité.
[Page 1016]
2513. Il
importe de noter que le rejet d’une action ne peut être
une cause qui justifie une poursuite en dommages-intérêts pour le défendeur
contre l’avocat qui a institué l’action même lorsque l’action rejetée est
qualifiée par le juge comme une demande abusive ou déraisonnable. Une telle
qualification ne fait pas présumer une faute extracontractuelle commise par l’avocat
du demandeur à l’égard du défendeur.
C.
Responsabilité du courtier immobilier envers le tiers
2514. Le
courtier-inscripteur, même s’il est lié par un contrat seulement au vendeur,
est aussi tenu à une obligation de renseignement et de vérification envers le
tiers-acheteur. Le courtier engage sa responsabilité extracontractuelle à l’égard
du tiers, lorsqu’il manque à l’une de ses obligations et que cette faute cause
un préjudice au tiers-acheteur. L’étendue de l’obligation de renseignement et
de vérification doit être analysée en fonction d’un courtier prudent et
diligent placé dans les mêmes circonstances.
2515. Le courtier
doit divulguer au tiers-acheteur toutes les informations pertinentes sur l’objet
de la vente dans la mesure où ces informations étaient à sa disposition, ou qu’il
aurait pu les obtenir s’il avait rempli son obligation de vérification. Le
courtier doit aussi vérifier les informations fournies par le vendeur et
procéder, le cas échéant, à leur rectification afin qu’elles soient conformes à
la réalité, et ce avant la conclusion de la vente. Même en cas d’ignorance du
courtier que les informations fournies par le vendeur et transmises à l’acheteur
sont erronées, le courtier pourra engager sa responsabilité in solidum avec
le vendeur pour le préjudice subi alors qu’il a manqué à son obligation de
vérifier leur exactitude. Cela dit, l’obligation de vérification du courtier
doit être remplie avec vigilance, particulièrement lors de la préparation de la
fiche de vente de l’immeuble et suite à la réception de la déclaration du
vendeur.
2516. Or, il y a
tout de même plusieurs situations où le courtier n’engage pas sa responsabilité
envers le tiers-acheteur, notamment lorsque l’acheteur fait défaut de respecter
son obligation de se renseigner ou lorsque l’acheteur a connaissance des
informations manquantes ou erronées avant la conclusion du contrat ou lorsque
le vendeur a un comportement fautif ou lorsque l’acheteur refuse de suivre les
conseils du courtier ou finalement lorsque les informations à vérifier sont en
dehors de son propre champ d’expertise.
[Page 1017]
2517. Notons
finalement qu’une clause de vente sans garantie ne s’applique qu’entre l’acheteur
et le vendeur et donc ne peut empêcher le tiers-acheteur d’intenter un recours
en responsabilité extracontractuelle à l’égard du courtier-inscripteur.
Il en est ainsi, lorsque le vendeur ne dévoile pas à l’acheteur l’existence d’un
vice de titre ou d’un vice caché affectant le bien vendu. Le fait que la clause
de non-garantie est déclarée opposable à l’acheteur n’empêche pas celui-ci de
poursuivre en responsabilité extracontractuelle le courtier qui en a eu
connaissance, mais qui s’est abstenu d’informer l’acheteur de son existence.
D.
Responsabilité du comptable et du vérificateur externe envers le tiers
2518. Le
comptable et le vérificateur externe peuvent également non seulement engager
leur responsabilité contractuelle à l’égard de leurs clients pour lesquels ils
préparent et vérifient des états financiers, mais aussi à l’égard des tiers,
tels que des actionnaires et des créanciers présents ou futurs qui pourraient
se fier à ces états financiers pour faire des transactions.
Cette responsabilité découle du fait que les comptables ont la connaissance de
l’usage potentiel qui peut être fait des états financiers qu’ils préparent par
des tiers et de la confiance du public envers leur profession.
E.
Responsabilité de l’arpenteur-géomètre envers le tiers
2519. L’arpenteur-géomètre
est généralement tenu à une obligation de moyens qu’il doit remplir avec prudence et diligence en usant de
tous les moyens raisonnables mis à sa disposition. Celui-ci peut également
engager sa responsabilité envers un tiers, bien que ce dernier n’était pas son
client advenant l’utilisation par le tiers du certificat de localisation qu’il
a préparé alors que sa confection n’a pas été faite de manière prudente et
diligente, ce qui a causé au tiers un préjudice.
Également, l’arpenteur peut engager sa responsabilité extracontractuelle envers
le futur acheteur de l’immeuble qui s’est fié au certificat ou
[Page 1018]
au document qu’il a préparé. Or, la Cour d’appel dans l’affaire Robinson c. Barbe
explique que la responsabilité extracontractuelle de l’arpenteur-géomètre ne peut être engagée que
s’il savait ou qu’il devait savoir que le document qu’il prépare
pourrait être consulté ou utilisé par un tiers.
5. Exceptions législatives au principe de l’effet relatif des contrats
2520. L’article 1440 C.c.Q. connaît certaines exceptions
prévues dans la loi ou qui découlent de certains actes ou faits accomplis par
les parties au contrat. Ces dérogations au principe de l’effet relatif des
contrats impliquent que certains tiers sont tout de même liés par certains contrats auxquels ils n’ont pas pris
part.
A. Le recours
du sous-locataire
1) Évolution jurisprudentielle
2521. Avant l’entrée
en vigueur du Code civil du Québec, l’absence de lien contractuel entre
le sous-locataire et le locateur soulevait de nombreuses difficultés, notamment
lorsque le locataire omettait ou négligeait d’exiger de son locateur l’exécution
de ses obligations découlant du bail. Le véhicule
procédural du sous-locataire était effectivement très long pour parvenir à
forcer l’exécution par le locateur de ses obligations, car ce dernier devait d’abord
agir contre le locataire et c’est celui-ci qui devait par la suite poursuivre
le locateur principal. Heureusement, par l’adoption
de la règle prévue à l’article 1876 C.c.Q., le législateur a grandement fait évoluer le régime général du
contrat de louage.
2522. Cette
nouvelle disposition vient désormais clairement édicter le droit du sous-locataire
d’exercer un recours direct contre le locateur principal lorsque ce dernier
fait défaut d’exécuter ses obligations. Bien qu’il n’y ait aucun lien
contractuel direct entre ces deux acteurs, surtout en l’absence d’une
stipulation dans le sous-bail ou dans le bail principal en faveur du locateur
principal ou du sous-locataire, celui-ci
[Page 1019]
par l’application de
cette disposition, peut contraindre le locateur principal à l’exécution de
toutes ses obligations prévues dans le bail principal.
2523. Il
convient de noter que, déjà avant la réforme du Code civil du Québec, les
tribunaux semblaient reconnaître l’idée selon laquelle le sous-locataire a les
mêmes droits que le locataire principal et qu’il devait avoir la possibilité d’ester
en justice contre le locateur. Cependant, comme il n’existait
pas de disposition comparable à celle de l’article 1876
C.c.Q., les tribunaux associaient ce recours du
sous-locataire contre le locateur principal à une situation de cession de
créance.
2524. Depuis l’introduction
de l’article 1876 C.c.Q.,
certaines décisions de la Régie du logement et des tribunaux ont toutefois
restreint le droit du sous-locataire à un recours en exécution forcée en nature.
Cependant, un autre courant jurisprudentiel et doctrinal récent donne à cette
disposition une interprétation large permettant ainsi au sous-locataire d’exercer
contre le locateur principal un recours en dommage-intérêts.
a) Interprétation
restrictive : recours en exécution forcée en nature
2525. Par les
termes « pour les faire
exécuter » employés par le
législateur à l’article 1876 C.c.Q., un courant jurisprudentiel s’est au départ
questionné à savoir s’il s’agissait là d’une volonté implicite du législateur d’exclure
les recours en résiliation de bail, en réduction de loyer ou en
dommages-intérêts. Ainsi, bien qu’il
faille se réjouir de cette nouvelle disposition interventionniste du
législateur, force est de constater que cette réforme a entraîné au sein de la
jurisprudence et de la doctrine plusieurs interrogations relativement à l’application
concrète de celle-ci.
[Page 1020]
2526. En effet, l’entrée
en vigueur de cette nouvelle disposition a soulevé une controverse au sein de
la doctrine et de la jurisprudence quant à l’interprétation et la portée que l’on
doit donner à l’article 1876 C.c.Q. Certains juges ont décidé que ce nouveau
recours direct accordé aux sous-locataires doit être restreint uniquement aux
recours en exécution forcée en nature, excluant tous les recours en
dommages-intérêts. Ainsi, un recours intenté par le sous-locataire en
dommages-intérêts contre le locateur principal pour son défaut de respecter ses
droits transmis par le locataire principal a été rejeté, malgré le fait que le
locateur principal ait, de manière évidente, négligé d’exécuter ses obligations
vis-à-vis le sous-locataire.
2527. Certains
décideurs ont réaffirmé l’idée selon laquelle l’absence de lien direct entre le
locateur principal et le sous-locataire fait échec à un recours en
dommages-intérêts. Selon eux, la règle
prévue à l’article 1876 C.c.Q. ne s’applique que dans un cas bien particulier,
soit pour permettre un recours direct par le sous-locataire afin d’obtenir une
exécution forcée en nature contre un locateur qui ne remplit pas ses obligations. Par ailleurs, le recours en
dommages-intérêts du sous-locataire devra être dirigé contre le locataire
(sous-locateur) et ce dernier pourra s’adresser à son tour afin d’obtenir des
dommages-intérêts du locateur principal.
2528. La Régie du
logement est restée prudente en interprétant la volonté du législateur de façon
à limiter la portée de la nouvelle règle de droit prévue à l’article 1876
C.c.Q. Elle a mentionné à plusieurs reprises que l’inclusion d’un tel article n’est
évidemment pas une intention pour
le législateur de changer l’économie de l’ensemble des relations contractuelles
en matière de louages. Cette position témoigne que, malgré l’innovation du
législateur d’apporter une nouvelle règle en matière de contrat de louage,
certains décideurs ont eu tendance à restreindre sa portée en permettant
seulement des recours en exécution forcée en nature. À cet effet, plusieurs
réclamations en dommages-intérêts compensatoires et des demandes en réduction
du loyer ont été refusées au sous-locataire pour le motif que ces demandes, si
elles étaient accueillies, transformeraient le sous-bail en bail principal sans
que le propriétaire soit partie au sous-bail.
Selon ce courant, afin de garder la stabilité contractuelle, l’exécution en
nature par un tiers aux frais du
[Page 1021]
locateur ne pourrait
être valable qu’exceptionnellement et dans le cas où le locateur n’exécute
toujours pas ses obligations.
b) Critique :
interprétation large
2529. L’interprétation
mentionnée ci-haut a pour effet de vider de son contenu l’article 1876 C.c.Q.
en éliminant la raison d’être de son adoption par le législateur. Nous ne
pouvons pas adhérer à une interprétation aussi limitative et problématique de
cette nouvelle règle de droit, car cela a pour conséquence de mettre le
sous-locataire dans une situation où
il se trouve dépourvu de recours lorsque le locateur refuse d’exécuter ses
obligations contractuelles. En effet, le refus de
reconnaître à ce dernier son droit à un recours en dommages-intérêts revient à
encourager le locateur à ne pas se conformer à ses obligations, car celui-ci n’a
rien à craindre s’il n’accepte pas de se conformer à une demande d’exécution en
nature de ses obligations. Ainsi, le sous-locataire ne peut pas les faire
exécuter par un tiers et réclamer les coûts de cette exécution au locateur vu l’impossibilité
d’intenter un recours en dommages-intérêts, ce qui a pour conséquence d’empêcher
qu’une sanction soit prise à l’égard du locateur.
2530. Suivant les
critiques formulées par la doctrine, un courant jurisprudentiel a pris place et
ouvre désormais la voie pour le sous-locataire à la possibilité de poursuivre
en dommages-intérêts, si le locateur principal fait défaut d’exécuter ses
obligations. Il nous semble qu’une interprétation large de la disposition de l’article
1876 C.c.Q. soit plus conforme à l’esprit du législateur. Interpréter
différemment cette disposition en
restreignant les droits du sous-locataire à un recours en exécution en nature
aurait pour effet non seulement de mettre en échec les objectifs visés par
cette disposition, mais aussi, de priver celle-ci de sa raison d’être. Pour qu’il
en soit ainsi, il suffit que le locateur principal s’entête injustement et
persiste dans son défaut d’exécuter ses obligations en nature malgré la demande d’exécution faite ou le recours dirigé
contre lui par le sous-locataire. Dans ce cas, faut-il restreindre le droit de
ce dernier contre le locateur principal récalcitrant ou doit-on plutôt lui
permettre de faire exécuter les obligations par un tiers et par la suite en
réclamer le coût au locateur ? La logique et le bon sens militent pour une
interprétation large permettant au sous-locataire d’exercer un recours par
équivalence pécuniaire.
[Page 1022]
2531. D’ailleurs,
les articles 1590 et 1601 C.c.Q. prévoient
expressément que, dans le cas où l’exécution
forcée en nature de l’obligation par le débiteur ne peut
être obtenue, le créancier peut exercer un recours
en dommage-intérêts. L’article 1602 C.c.Q. confirme ces principes généraux prévoyant ainsi le droit du
créancier de réclamer les coûts de l’exécution de l’obligation par le tiers.
Ainsi, en tant que créancier aux termes de l’article 1876 C.c.Q., le
sous-locataire doit avoir droit de réclamer des dommages-intérêts du locateur
pour les travaux qu’il a fait exécuter par un tiers
suivant le défaut du locateur de les faire malgré une demande formulée à cet
effet. Ces principes fondamentaux de droit civil ont mené les tribunaux par la
suite à innover en matière de contrat de louage en autorisant le sous-locataire
à faire effectuer les travaux par un tiers et à en réclamer les coûts au
locateur.
c) Critique et
observation
2532. Bien qu’on
remarque une certaine évolution jurisprudentielle et doctrinale accordant
dorénavant au sous-locataire la possibilité d’exercer un recours en dommages-intérêts
contre le locateur principal, cette évolution n’a cependant pas atteint à notre
avis les objectifs visés par le législateur lors de l’adoption de la
disposition de l’article 1876 C.c.Q. Il ne suffit pas de permettre seulement au
sous-locataire d’exercer un recours en dommages-intérêts dans le cas où le
locateur fait défaut d’exécuter son obligation en nature. Il faut lui permettre
d’exercer tous les recours appartenant au locataire en rapport avec le bail.
2533. Par l’adoption
de l’article 1876 C.c.Q., le
législateur a mis en place une disposition permettant à un sous-locataire de
contraindre le locateur principal à exécuter toute obligation découlant du bail
principal. Dans la mesure où le locateur principal consent à une sous-location,
le principe de l’effet relatif du contrat ne peut plus produire ses pleins
effets juridiques entre ce dernier et le sous-locataire. Par l’acceptation de
la sous-location, le propriétaire reconnaît au sous-locataire non seulement les
droits prévus dans le sous-bail, mais également ceux accordés par la loi,
notamment les droits et les recours qui découlent de l’article 1876 C.c.Q. Bien
que l’acceptation de la sous-location ne crée pas de lien contractuel entre le
propriétaire et le sous-locataire, on se trouve en présence d’une situation
juridique qui crée entre ces derniers un lien de
[Page 1023]
droit. En d’autres termes, l’acceptation du propriétaire de la sous-location ne
donne pas lieu à l’existence d’un lien contractuel entre les parties, mais en
raison de l’article 1876 C.c.Q.,
un lien de droit naît entre eux.
2534. Une
stipulation dans le bail principal permettant la sous-location crée un lien de
nature obligationnel entre le sous-locataire et le locateur principal, lorsque
ce dernier accepte le sous-locataire et donne son consentement tacite ou exprès
à la sous-location. Par l’introduction de
l’article 1876 C.c.Q., le
législateur a voulu créer un lien obligationnel à l’instar d’une stipulation
pour autrui, par laquelle le promettant s’engage à exécuter une obligation au
bénéfice d’un tiers avec qui il n’a aucun lien contractuel. En effet, la
différence avec la stipulation pour autrui consiste dans le fait que l’article 1876 C.c.Q. établisse un lien obligationnel par
l’effet de la loi et non par le consentement du locateur principal. Autrement dit, c’est par la volonté
du législateur et non par le consentement et la volonté du locateur principal
qu’il existe une stipulation pour
autrui.
2535. Ainsi, on
peut donc assimiler le droit du sous-locataire d’exiger l’exécution des
obligations prévues dans le bail principal à une stipulation légale pour
autrui. Désormais, en concluant un bail avec son locataire principal, le
locateur est présumé connaître cette stipulation légale pour un sous-locataire
éventuel. Cette stipulation légale fait partie des droits et obligations
implicites qui découlent de la loi (art. 1434 C.c.Q.). Elle confère au sous-locataire le même droit dont bénéficie le
locataire, soit d’exiger du locateur principal l’exécution entière et complète
de toutes ses obligations qui découlent du bail. Ce droit à l’exécution d’une
obligation est le même que celui établi à l’article 1590
C.c.Q. qui ne fait aucune différence entre une obligation
contractuelle et une obligation légale. D’ailleurs, le deuxième alinéa de ce
même article prévoit expressément le recours en dommages-intérêts pour le
créancier qui échoue dans ses démarches pour obtenir du débiteur l’exécution en
nature de ses obligations.
2536. Enfin, il
faut souligner que la sous-location n’est pas, comme telle, une mutation de l’obligation
initiale. Elle n’est pas non plus une stipulation à l’égard d’une personne non
déterminée, elle exprime plutôt la manifestation de la volonté du
sous-locataire et le non-refus du locateur. En d’autres termes, si le locateur
principal peut se voir contraint à exécuter les obligations découlant du bail
principal ainsi que celles de la loi à la demande d’un sous-locataire, cette
contrainte ne résulte pas de sa
[Page 1024]
volonté mais de celle
du législateur. C’est celui-ci qui, en introduisant un article spécifique
reconnaissant un recours direct entre le sous-locataire et le locateur
principal, a voulu reconnaître un lien obligationnel entre ces derniers.
2) Cession légale
2537. S’il est vrai
que le sous-locataire ne détient pas un droit ou une créance résultant d’un
lien contractuel direct avec le locateur principal, il n’en demeure pas moins que ce droit ou cette créance puise sa source
et son fondement de la loi. Par l’article 1876 C.c.Q., le législateur vient imposer une obligation au locateur
principal, soit celle d’exécuter au bénéfice du sous-locataire toutes les
obligations contractuelles auxquelles il s’est volontairement engagé en vertu
du bail principal intervenu avec le locataire principal. Le droit attribué au
sous-locataire par cet article constitue en réalité une cession légale du droit
du locataire au sous-locataire à l’encontre du locateur principal. En effet, l’article
1876 C.c.Q. ne crée pas d’obligations à la charge du locateur principal, mais
transmet au sous-locataire les droits découlant du bail principal, et ce, afin
d’éviter les délais et les procédures inutiles que l’état du droit sous l’ancien
Code civil imposait au sous-locataire.
2538. Par l’introduction
de l’article 1876 C.c.Q. en
matière de sous-location, le législateur vient établir une cession légale des
droits du locataire prévus dans le bail. En d’autres termes, la disposition de
cet article doit être appliquée de la même façon qu’une cession de droit
conventionnelle. Cette cession légale de droit prévue dans la loi doit produire
ses pleins effets entre le sous-locataire et le locateur dès que ce dernier est
informé de la sous-location intervenue entre le locataire et le sous-locataire.
Par ailleurs, il est évident que la sous-location doit être faite en conformité
avec la stipulation du bail et les articles 1870 et 1871 C.c.Q.
2539. Quant à l’opposabilité
de la sous-location au locateur, il n’est pas nécessaire de remplir les
conditions requises en matière de cession de créance prévues à l’article 1641 C.c.Q. En effet, il suffit que le locateur
ait été informé de la sous-location, sans s’y être opposé dans les délais ou
alors qu’il ait été informé de la sous-location et accepte d’encaisser les
chèques émis à son ordre en paiement de loyer par le sous-locataire. Quoi qu’il
en soit, lorsque l’opposabilité de la sous-location au locateur n’est pas
remise en question ou lorsqu’elle est confirmée par le tribunal, les droits et
les recours du sous-locataire en vertu de l’article 1876 C.c.Q. à l’encontre du
locateur doivent être reconnus de la même manière que s’ils étaient exercés par
le locataire principal.
[Page 1025]
3) Harmonisation avec les règles en matière des obligations
2540. Que l’on
considère la disposition prévue à l’article 1876 C.c.Q. comme une cession légale de droit ou une stipulation légale pour
autrui, le bénéficiaire de cette disposition, en l’occurrence le
sous-locataire, ne doit pas avoir moins de droits ou moins de recours que si
nous étions en présence d’une cession de droit conventionnelle ou d’une stipulation pour autrui contractuelle.
Rappelons que le cessionnaire d’une créance et le bénéficiaire d’une
stipulation pour autrui disposent non seulement d’un droit à l’exécution forcée
en nature à l’encontre du débiteur de l’obligation, mais aussi du droit à un
recours en dommages-intérêts contre ce dernier advenant l’inexécution
volontaire de son obligation.
2541. La
jurisprudence est souvent réticente à ordonner l’exécution en nature lorsque le
débiteur est une personne physique et que l’exécution de l’obligation nécessite
son implication et sa participation personnelle. Le législateur a d’ailleurs
codifié cette règle à l’article 1601 C.c.Q., tout en permettant au créancier bénéficiaire de l’obligation
inexécutée, soit l’exécution en nature par un tiers avec le droit de réclamer
les coûts de l’exécution au débiteur fautif (art. 1602 C.c.Q.) ou tout
simplement, un recours en dommage-intérêts pour obtenir une compensation pour les pertes, les dommages et
le préjudice subis à la suite de l’inexécution de l’obligation (art. 1607, 1611 et 1613 C.c.Q.).
2542. L’interprétation
restrictive de l’article 1876 C.c.Q. ne peut puiser un fondement juridique des
règles générales en matière d’obligations. Une telle interprétation constitue
une exception particulière et spécifique à ces règles générales prévues aux
articles 1590, 1601, 1602, 1607, 1611 et 1613 C.c.Q. À tout
égard, une telle exception, si elle existe, doit être prévue expressément par
le législateur, ce qui est loin d’être le cas à l’article 1876 C.c.Q. Au contraire, cette disposition
prévoit expressément et sans la moindre exception que « le sous-locataire peut exercer les droits et recours appartenant au
locataire du bien pour le faire exécuter ». Il n’est pas inutile de rappeler que le recours en dommages-intérêts,
selon l’enseignement de la doctrine et la jurisprudence, est toujours considéré
comme une exécution par équivalent.
2543. Dans le
même ordre d’idées, les articles 1854 et 1856 C.c.Q. prévoient
respectivement l’obligation du locateur de procurer au locataire la jouissance
paisible du bien loué et l’interdiction de modifier la forme et la destination
de ce bien. Interpréter l’article 1876 C.c.Q. de façon restrictive afin de
refuser au sous-locataire un recours en dommages-intérêts revient à enlever la
possibilité pour le sous-locataire de forcer le locateur principal à se
conformer à ces deux dispositions et à
[Page 1026]
faire exécuter en nature deux obligations principales
qui sont de l’essence même du
bail. C’est pourquoi il faut permettre au sous-locataire d’exercer un recours
en dommages-intérêts lorsque le
locateur principal pose des gestes et des actes qui
modifient la forme et la destination du bien loué ou qui empêchent le sous-locataire
d’avoir la jouissance de celui-ci. En d’autres termes, l’article 1876 C.c.Q. a
été introduit dans le Code civil afin d’enlever au locateur principal le droit
de faire une défense basée sur l’absence du lien de droit entre lui et le
sous-locataire. Cet article a donc pour effet d’établir un lien de droit entre
ces derniers indépendamment de l’absence de toute stipulation dans le bail
principal ou le sous-bail au bénéfice de l’un ou de l’autre.
2544. Une
stipulation dans le bail principal permettant la sous-location crée un lien
contractuel entre le sous-locataire et le locateur principal lorsque ce dernier
accepte le sous-locataire et donne son consentement tacite ou exprès à la
sous-location. Ainsi, il y a un consentement tacite et une acceptation du
sous-locataire par le locateur principal lorsque celui-ci reçoit et accepte
directement les loyers du sous-locataire conformément à une stipulation dans le
sous-bail prévoyant l’obligation de ce dernier d’assumer toutes les obligations
du locataire prévues dans le bail principal et de payer le loyer ou tout autre
montant dû au locateur principal.
4) Autres recours possibles pour le sous-locataire contre le locateur
a) Le droit à la
jouissance paisible
2545. Par la
réforme de 1991, le législateur a voulu
mettre fin à la situation d’impuissance dont était victime le sous-locataire.
La mise en œuvre des droits du locataire à l’encontre du locateur, notamment
ceux qui sont prévus aux articles 1852 et suivants C.c.Q., permet d’assurer au
sous-locataire la pleine jouissance du bien.
2546. L’une des
obligations principales du locateur est de fournir la jouissance paisible du
bien au locataire (art. 1854 al. 1 C.c.Q.). Il s’agit d’une obligation de
résultat. Le sous-locataire
doit bénéficier du même droit et avoir le même recours en dommages-intérêts
contre le locateur principal, dans la mesure où celui-ci manque à son
obligation de lui fournir la jouissance paisible du bien. Ainsi, le locateur ne
doit pas, par son fait personnel ou par négligence, nuire au droit du
[Page 1027]
sous-locataire.
Pour s’assurer que le sous-locataire ait effectivement la jouissance du bien,
il faut lui reconnaître le droit de poursuivre en dommages-intérêts le locateur
principal, si celui-ci fait défaut de respecter cette obligation légale. La jurisprudence récente a admis qu’un
sous-locataire peut effectivement poursuivre le locateur initial pour faire
valoir son droit à la pleine jouissance du bien.
Conséquemment, il faut lui permettre d’exercer un recours en dommages-intérêts
contre le locateur qui fait défaut de remplir son obligation de procurer la
jouissance paisible des lieux. Le sous-locataire doit aussi avoir le même
recours en dommages moraux ou exemplaires en cas de diffamation ou de
discrimination à son égard par le locateur.
2547. Sous le Code
civil du Bas-Canada, l’absence de tout lien contractuel entre le locateur
et le sous-locataire était une source de difficulté pour celui-ci quand il
subissait un trouble de jouissance, alors que le locataire refusait ou négligeait
de réclamer du locateur la bonne exécution des obligations découlant du bail
principal. L’introduction de l’article 1876 C.c.Q. doit permettre de remédier à
cette situation d’injustice contractuelle où le sous-locataire ne recevait
aucune indemnité pour la perte de jouissance du bien loué. Interpréter l’article
1876 C.c.Q. de façon restrictive, afin de refuser au sous-locataire un recours
en dommages-intérêts, revient à lui enlever la possibilité de forcer le
locateur principal à se conformer à une de ses obligations légales principales,
soit la procuration de la jouissance paisible des lieux, qui est l’essence même
du bail.
b) Droit au respect de la
forme et de la destination du bien
2548. Dans un même
ordre d’idées, le droit à la jouissance paisible des lieux emporte
nécessairement celui au respect de la forme et de la destination du bien prévu
à l’article 1856 C.c.Q. Aux termes de cette disposition, le locateur principal
doit respecter la forme et la destination du bien loué, plus particulièrement l’obligation
de respecter la forme, la destination et l’espace du bien loué. Le
sous-locataire, victime d’un changement de forme et de destination des lieux,
ne doit pas se voir refuser un recours en dommages-intérêts pour le seul
prétexte qu’il n’est pas le
[Page 1028]
locataire principal. L’article
1876 C.c.Q. vient permettre la
possibilité pour celui-ci d’exercer un recours direct contre le locateur
principal.
2549. Le
sous-locataire peut exercer un recours en dommages-intérêts contre le locateur lorsque
celui-ci procède à des changements de la destination de l’immeuble pour la
clientèle lorsque, suite à ce changement de destination, il subit des dommages,
notamment une perte d’achalandage. Ainsi, la forme et la
destination du bien prévues initialement dans le contrat ne peuvent être
modifiées durant l’exécution du contrat de façon à affecter son usage par les
locataires ou les sous-locataires. La vocation de l’édifice
qui a été établie lors de la conclusion du contrat de louage ne doit pas être modifiée
en cours de route, sous peine de contrevenir à l’obligation de ne pas changer
la forme ou la destination du bien. Ainsi, le locateur qui vise par son projet
à convertir un immeuble résidentiel en édifice à vocation commerciale, brime le
droit des locataires au respect de la forme et de la destination du bien.
La destination est celle
spécifiquement prévue dans le bail ou confirmée par l’usage antérieur du bien
loué. Le fait que, lors de la conclusion du bail principal, il n’était pas
question d’une relation entre sous-locataire et locateur, ne doit avoir aucune
conséquence sur le droit de ce dernier. Nous sommes d’avis que par analogie, le
sous-locataire a droit au même type de réparations que le locataire, notamment
le droit à des dommages-intérêts ou à une diminution de loyer dont le montant
doit être équivalent à celui auquel a droit le locataire.
2550. Le droit au
respect de la forme et de la destination du bien n’est pas clairement défini
dans une des règles de notre Code civil, mais il découle de l’obligation d’assurer
la jouissance paisible du bien et du principe de la force obligatoire du
contrat. Ainsi, il est implicitement convenu que le locateur doit préserver,
depuis le jour de la conclusion du contrat jusqu’à son extinction, les
services, commodités et avantages qui s’y trouvent.
La violation de ces obligations par le locateur doit permettre au
sous-locataire d’exercer un recours en réduction de loyer on en
dommages-intérêts.
c) Droit au respect de la
durée du bail
2551. Le
sous-locataire peut poursuivre le locateur en dommages-intérêts suite à la
résiliation du bail par l’acquéreur de l’immeuble
[Page 1029]
conformément aux articles 1886 et 1887 C.c.Q. En effet, le locateur peut être tenu responsable envers le sous-locataire
de la résiliation de bail par l’acheteur
d’un immeuble lorsque l’acte de vente ne contient aucune clause qui oblige et
contraint ce dernier à respecter
le droit des locataires. Le défaut par le locateur de prendre les mesures nécessaires pour protéger les droits des locataires aux baux engage sa responsabilité
également envers le sous-locataire qui voit aussi son
sous-bail résilié suivant la résiliation du bail principal par l’acheteur de
l’immeuble. Le recours en dommages-intérêts du sous-locataire contre le locateur, vendeur de l’immeuble, pour le non-respect de la durée du bail découle de l’article
1876 C.c.Q. En effet, le locateur est tenu de respecter les obligations qui découlent du bail, notamment celle relative à la durée du bail. Un tel défaut peut
causer une perte quasi totale de l’achalandage et donc une
baisse des profits du sous-locataire due à un changement du local de l’entreprise.
Même si le vendeur agit simplement avec imprudence en ne prenant pas les
mesures légales et appropriées pour faire assumer par l’acquéreur de l’immeuble
la responsabilité du bail existant, il commet une faute permettant ainsi au
sous-locataire d’exercer, en vertu de l’article 1876 C.c.Q., un recours en
dommages-intérêts qui en principe appartient au locataire principal.
5) Double recours
2552. Enfin, il
importe de rappeler que le locataire (sous-locateur) continue de répondre de l’inexécution
des obligations prévues au bail même si celles-ci sont attribuables au locateur
principal. Ainsi, un sous-locataire peut intenter à la fois un recours contre
le sous-locateur et le locateur principal pour l’inexécution de l’obligation
relative à la destination de l’immeuble,
à celle relative à la procuration de la jouissance paisible des lieux,
etc.
B. Les autres
exceptions législatives
2553. D’autres
dispositions législatives prévoient également des exceptions au principe de l’effet
relatif des contrats. On peut énumérer à cet effet la responsabilité du
fabricant pour les vices de fabrication envers l’acheteur (art. 1730 C.c.Q.),
la vente d’entreprise (art. 1778
[Page 1030]
C.c.Q.), l’aliénation d’entreprise
(art. 2097 C.c.Q.),
le sous-traitant soumis à la responsabilité légale établie aux articles 2118 et 2120 C.c.Q., le recours de la victime directement contre l’assureur tel que
mentionné à l’article 2501 C.c.Q.,
le fait que pour être opposables aux tiers, les droits résultant d’un bail de
longue durée doivent être publiés (art. 1852 C.c.Q.), les cas prévus à l’article 45 du Code du travail, à l’article 96 de la Loi sur les normes du travail ainsi
que ceux des articles 53 et 54 de la Loi sur la protection du
consommateur. Enfin, une
autre exception à l’effet relatif des contrats se trouve à l’article 2550 C.c.Q., qui ne peut être utilisé pour
priver le bénéficiaire innocent de son indemnité lorsque l’assuré est décédé en
commettant un acte criminel; en
effet, l’assureur peut opposer au bénéficiaire toutes les causes de nullité
fondées sur l’existence du contrat, mais pas celles purement personnelles à l’assuré.
2554. Le contrat
collectif de travail (convention collective) est une autre bonne illustration d’une
exception au principe de l’effet relatif du contrat. Le contrat conclu par le
syndicat chargé de représenter les employés dans la négociation de leur contrat
de travail lie tous les employés, même ceux qui n’y consentent pas.
En effet, après des négociations, le syndicat va proposer aux employés le
contrat de travail nouvellement négocié et ils devront voter. Le vote se fait à
la majorité, ce qui implique nécessairement que certains employés qui ne font
pas partie de cette majorité et donc qui n’ont pas consenti volontairement à ce
contrat seront tout de même liés par ce contrat de travail. À l’intérieur du
régime particulier de la convention collective, l’entente entre le syndicat et
l’employeur constitue une entente spécifique qui ne lie que ces deux parties
conformément au principe de l’effet relatif des contrats. Les tribunaux
reconnaissent cependant l’existence d’une dérogation qui permet dans certaines
circonstances qu’un tiers à la convention puisse se voir imposer l’arbitrage.
Par contre, cette dérogation doit être appliquée avec prudence et de façon
restrictive.
[Page 1031]
2555. Dans un
même ordre d’idées, l’assurance en responsabilité collective imposée par une
corporation professionnelle à ses membres constitue un autre bon exemple d’une
exception au principe dégagé par l’article 1440 C.c.Q..
6. La transmission des droits patrimoniaux
2556. Le
principe de l’effet relatif des contrats n’interdit pas, en règle générale, la
transmission des droits patrimoniaux. Le créancier bénéficiaire d’une
obligation peut céder son droit par un contrat de cession
de créance ou par subrogation conventionnelle sans le
consentement du débiteur. Cette transmission
des droits peut également s’opérer par le seul effet de la loi. Toutefois, ce
principe exclut la transmissibilité de certains droits et obligations contenus
dans des contrats lorsque, d’une part, il s’agit de droits et obligations résultant
d’un contrat conclu intuitu personae ou de droits extrapatrimoniaux et, d’autre part, en présence de
certains droits patrimoniaux rattachés à la personne
qui, de par leur nature ou par une stipulation contractuelle, deviennent
intransmissibles et incessibles. En effet, les parties
contractantes sont en droit de stipuler dans leur contrat l’incessibilité de la
créance et que le contrat prendra fin advenant le décès de l’une ou de l’autre.