Art. 1623. Le créancier qui se prévaut de la clause pénale a droit au montant
de la peine stipulée sans avoir à prouver le préjudice qu’il a subi.
|
|
Art. 1623. A creditor who avails himself of a
penal clause is entitled to the amount of the stipulated penalty without having
to prove the injury he has suffered.
|
Cependant, le montant de la peine stipulée
peut être réduit si l’exécution partielle de l’obligation a profité au
créancier ou si la clause est abusive.
|
|
However, the amount of the stipulated
penalty may be reduced if the creditor has benefited from partial performance
of the obligation or if the clause is abusive.
|
[Page 1033]
C.C.B.-C.
1135. Le
montant de la peine ne peut être réduit par le tribunal.
Mais si l’obligation principale a été
exécutée en partie à l’avantage du créancier, et que le temps fixé pour l’exécution
complète soit de peu d’importance, la peine peut être réduite, à moins qu’il n’y
ait une convention spéciale au contraire.
O.R.C.C. (L. V, DES OBLIGATIONS)
305. La
peine est due sans que le créancier soit tenu de prouver le préjudice que l’inexécution
lui a causé.
306. La
clause pénale est soumise aux dispositions de l’article 76.
308. La
peine stipulée peut être réduite si l’exécution partielle de l’obligation a
profité au créancier.
C.c.B.-C. : art. 1019.
C.c.Q. : art. 758, 1216, 1432, 1623 à 1625, 1901, 2129, 2332 et 2762.
Loi sur la protection du
consommateur, RLRQ, c. P-40.1 : art. 12,
13, 73, 124, 195b et 203.
Loi sur le recouvrement de certaines
créances, RLRQ, c. R-2.2 : art. 3(5).
Loi sur la faillite, L.R.C. (1985), ch. B-3.
1. Notions
générales
A. Validité
de la clause pénale
2668. Cet
article reprend partiellement le contenu de l’article 1135 C.c.B.-C. en y
ajoutant toutefois des précisions relatives aux droits du créancier quant à la
portée de la clause pénale. La règle du premier alinéa, selon laquelle le
créancier n’a pas à prouver les dommages résultant du défaut du débiteur lorsqu’il
entend se prévaloir de la pénale, a pour but de donner
effet à la volonté exprimée par les parties, dans la mesure où elle reflète
leur consentement donné librement, après des discussions ayant suivi un échange
de renseignements pertinents.
2669. Celui
qui met en doute l’application d’une clause pénale pour motif de vice de
consentement doit démontrer par une preuve prépondérante que son consentement a
été vicié, notamment par un dol. Tel est le cas lorsque la partie tenue à la
clause pénale invoque le dol
[Page 1034]
pratiqué par l’autre
partie ayant insérée une telle clause à son insu dans une nouvelle entente tout
en laissant croire à la victime qu’il s’agit de la même entente. Il en est de
même lorsque le bénéficiaire de la clause a, par ses comportements dolosifs, exercé
des pressions sur le défendeur afin d’obtenir sa signature sur une nouvelle
entente en le laissant croire qu’elle était conforme en tous points à l’entente
précédente. La partie qui signe cette entente en se fiant aux propos de son
cocontractant, ne pourra pas se voir opposer la clause pénale qui y a été
insérée à son insu et à laquelle il n’a pas donné un consentement libre et
éclairé.
B.
Application de l’article 1623 C.c.Q.
2670. À l’instar
de l’article 1135 C.c.B.-C., le deuxième alinéa de l’article 1623 C.c.Q. permet
la réduction judiciaire de la peine stipulée, tout en augmentant
substantiellement le pouvoir du tribunal de réduire
le montant de la peine lorsque l’exécution partielle de l’obligation a profité
au créancier. Le tribunal peut également
intervenir et réduire le montant de la pénalité en cas d’inexécution totale
lorsque la clause pénale est abusive. Cette mise
au rancart de l’intangibilité de la clause pénale est importante : elle a
pour effet d’étendre la portée d’un des pouvoirs discrétionnaires prévus à l’article
1437 C.c.Q. à des contrats qui ne sont pas de consommation ou d’adhésion (art.
1379 C.c.Q.).
[Page 1035]
2671. La
règle de l’article 1623 C.c.Q. s’applique à toutes les clauses pénales, sans
égard à la nature du contrat et même lorsqu’il s’agit d’un contrat de gré à gré.
Dans ce dernier cas, la clause pénale ne peut être déclarée nulle ou sans
effet. En effet, l’article 1623 C.c.Q. ne confère au tribunal que le pouvoir de
réduire le montant prévu dans la clause, et ce même s’il arrive à la conclusion
que celle-ci est abusive. Le pouvoir discrétionnaire édicté à l’article 1437
C.c.Q. n’est pas étendu aux clauses pénales incluses dans des contrats de gré à
gré : l’article 1623 C.c.Q. ne permet pas d’obtenir la nullité de ces
clauses, mais tout simplement une réduction du montant de la pénalité lorsque
son caractère déraisonnable ou abusif est établi en preuve.
2672. Le
caractère abusif d’une clause pénale s’apprécie en fonction de son but et de sa
portée, en tenant compte du contexte dans lequel est intervenu l’engagement
contractuel des parties. C’est au tribunal que
revient la tâche d’évaluer le caractère déraisonnable ou abusif de la clause
pénale, ainsi que sa
validité, en fonction des divers critères
[Page 1036]
établis par la
doctrine et la jurisprudence. Lors de son
évaluation, le tribunal se base sur la preuve soumise par les deux parties.
Il peut prendre en considération des facteurs liés directement aux parties,
ainsi que la disproportion importante entre les dommages réellement subis par
le créancier et le montant prévu dans la clause à titre de dommages liquidés.
Il peut également prendre en compte l’effet cumulatif d’une clause comportant
un taux d’intérêt élevé et une pénalité quotidienne, et réduire le tout à un
montant forfaitaire moindre s’il juge déraisonnable le résultat prévu.
Il ne peut, à l’inverse, augmenter le quantum d’une clause pénale, même lorsque
les dommages subis par le créancier dépassent de loin le montant de la
pénalité. En cas d’imprécision ou d’incertitude quant à la clause pénale, elle
s’interprète en faveur du débiteur, et donc contre le bénéficiaire.
2673. Il
importe cependant de noter que la clause pénale peut être déclarée nulle et
sans effet lorsque les dommages subis par le créancier sont le résultat de la
faute intentionnelle ou lourde du débiteur. En un tel cas, l’article 1474
C.c.Q. permet au créancier de faire déclarer inopposable à son égard la clause
de non-responsabilité ou limitative de responsabilité. La clause pénale, en
effet, peut être assimilée à une clause restrictive de responsabilité
financière du débiteur et ainsi être assujettie à l’application de cette
disposition à la demande du créancier ayant subi des dommages dont la valeur
excède le montant de la pénalité.
2674. Enfin,
il importe de mentionner qu’une créance découlant d’une clause pénale demeure
certaine et ce, malgré le pouvoir discrétionnaire que possède le tribunal d’annuler
dans certains cas la clause en question ou d’en réduire le montant. Ainsi,
pourrait s’opérer compensation entre une créance découlant d’une clause pénale
et une autre créance répondant aux critères de l’article 1673 C.c.Q..
[Page 1037]
2. Objectifs de
la clause pénale et révision du montant
A. Fardeau
de la preuve
2675. Les
tenants de la thèse de l’intégralité de la clause pénale prétendent que le but
de celle-ci est de dispenser le créancier de faire la preuve de sa perte ou des
gains manqués. Bien que cette thèse soit valable, le créancier doit avoir
néanmoins subi un préjudice pour pouvoir réclamer le montant prévu à la clause
pénale, de sorte que la preuve de ce préjudice est essentielle à la
réclamation. Il s’agit d’une condition implicite qui a toujours été retenue et
reconnue par la jurisprudence et la doctrine puisqu’en absence d’un préjudice,
le créancier s’enrichit injustement. Cela dit, la preuve des détails de l’inexécution
ou de la mauvaise exécution ayant causé ce préjudice n’est pas à faire par le
créancier : ce fardeau est à la charge du débiteur qui cherche à obtenir
une réduction du montant prévu dans la clause.
2676. Pour
que le tribunal se permette une révision de la clause pénale, en effet, le
débiteur doit non seulement alléguer tous les faits qui justifient une telle
intervention, mais aussi en faire la preuve.
Il doit ainsi démontrer que la perte du créancier ou les gains manqués sont
bien inférieurs au montant de la pénalité, rendant celle-ci disproportionnée
par rapport au préjudice subi, ou que malgré l’inexécution de son obligation,
le créancier n’a pas subi de préjudice. En l’absence
de preuve du caractère déraisonnable ou abusif du montant de la pénalité, le
tribunal ne peut exercer son pouvoir de révision de façon abstraite et doit
condamner le débiteur à payer le montant prévu. Notons aussi que le créancier
qui tient à l’application de la clause pénale sera contraint de faire une
contre-preuve de sa perte ou de ses gains manqués.
En d’autres termes, il appartient au débiteur de faire la preuve que l’indemnité
à laquelle a droit le créancier est inférieure au montant de la clause pénale,
puisque l’usage de ce mécanisme inverse les règles applicables en matière de
compensation judiciaire, qui imposent au créancier le fardeau de preuve quant
au montant auquel il a droit.
[Page 1038]
3. Analyse de
la clause pénale
A.
Qualification du contrat
2677. La
distinction entre les contrats d’adhésion ou de consommation et les contrats
négociés de gré à gré est essentielle lorsque le tribunal en vient à la
conclusion que la clause pénale est abusive.
Dans un contrat de consommation ou d’adhésion, la clause pénale jugée abusive
pourra, selon les circonstances, être déclarée nulle,
donner lieu à la réduction de l’obligation qui en découle,
ou encore à la réduction de l’une de plusieurs obligations qui y sont contenues.
À l’inverse, dans un contrat négocié de gré à gré, une telle clause ne pourra
qu’être réduite. Conséquemment, dans le cas d’un débat sur la nature abusive d’une
clause pénale, le tribunal détermine
d’abord si le contrat est ou non un contrat d’adhésion. Pour ce faire, il se
réfère à la définition qui en est donnée à l’article 1379 C.c.Q. et aux
circonstances propres à la cause. Si le tribunal en
vient à la conclusion que le contrat en question n’est pas un contrat d’adhésion
mais bien un contrat négocié de gré à gré, il ne peut annuler la clause pénale,
mais il peut en réduire le montant.
2678. Le fait
que le tribunal conclue à l’existence d’un contrat d’adhésion ne signifie pas
cependant que la clause pénale sera déclarée nulle puisque l’article 1623
C.c.Q. s’applique à toutes les clauses pénales, qu’elles soient prévues dans un
contrat de gré à gré, de
[Page 1039]
consommation ou d’adhésion.
Le tribunal dispose d’un pouvoir discrétionnaire lui permettant d’opter plutôt
pour la réduction du montant de la pénalité lorsque la nullité de la clause
pénale n’est pas justifiée ou ne constitue pas une solution appropriée en
regard de la situation des deux parties.
2679. Dans
ses démarches relatives à la détermination de la nature du contrat, le tribunal
doit porter attention aux stipulations contractuelles et à leurs effets et à la
volonté des parties. Autrement dit, il doit procéder à l’analyse de son contenu
et n’est pas lié par la qualification que les parties donnent à leur contrat.
B. Méthodes
et critères d’évaluation
2680.
Contrairement à la disposition prévue à l’article 1622 C.c.Q., celle de l’article
1623 C.c.Q. n’est pas d’ordre public. Le
tribunal ne peut pas invoquer d’office le caractère déraisonnable ou abusif d’une
clause pénale, ni réduire le montant qui y est stipulé.
Il appartient au débiteur de soulever ce point et d’en faire la preuve.
Advenant son échec, la liberté contractuelle des parties doit prévaloir et, par
conséquent, la clause pénale sera jugée valide.
2681. Une
clause pénale n’est pas nécessairement abusive lorsqu’elle a été librement
consentie par le débiteur, après discussions
[Page 1040]
avec le créancier.
Pour déterminer si la clause pénale est abusive,
le tribunal peut appliquer les critères établis à l’article 1437 C.c.Q., et ce
même si le contrat est de libre discussion et la clause, par conséquent, non
annulable sauf force majeure. Ces critères peuvent
néanmoins lui servir de guides dans l’évaluation du caractère abusif de la
clause pénale et la détermination du montant à réclamer.
1) Point de
référence : la formation du contrat
2682. L’évaluation
du caractère abusif d’une clause contractuelle peut être faite
rétrospectivement, en prenant pour référence le moment la formation du contrat.
Cette évaluation se fait par une analyse du contenu du contrat, des
circonstances ayant entouré sa conclusion et des objectifs qui ont motivé
chacune des parties à le conclure et à accepter la clause pénale. Cette
approche comporte deux étapes : d’abord, il s’agit d’évaluer le contenu du
contrat et ensuite, les circonstances relatives à sa conclusion. On procède en
premier à une évaluation de la proportionnalité entre la peine imposée dans la
clause et la valeur de l’obligation dont elle sanctionne l’inexécution. Cela
permet d’évaluer l’importance de cette obligation et de vérifier si elle est
essentielle dans le contexte du domaine d’activités concerné.
2683. La
deuxième étape requiert une analyse qualitative des négociations menées avant
la formation du contrat. Cette étape est importante, car elle permet d’évaluer
si le consentement nécessaire à l’inclusion de la clause pénale dans le contrat
était effectivement libre et éclairé. Dans ce dessein, il faut vérifier si les
parties étaient en position égales lors de la formation du contrat si elles en
étaient ou non à leur première relation contractuelle. L’existence d’une
relation contractuelle préalable, ainsi que le renouvellement d’un ou plusieurs
contrats précédents entre les parties est à prendre en considération. Sont autant
de facteurs importants à considérer la durée, la nature, la fréquence et la
portée des négociations.
[Page 1041]
2) Point de
référence : la mise en application
2684. Le
caractère abusif d’une clause pénale s’évalue également au moment de l’inexécution
de l’obligation qu’elle sanctionne. Cette
approche permet d’évaluer la situation ayant donné lieu à l’application de la
clause pénale et les conséquences qui en découlent. Elle exige de prendre en
considération plusieurs facteurs, notamment la peine imposée, afin de vérifier
si celle-ci est proportionnelle au préjudice subi par le créancier. Il faut
aussi tenir compte de la faute qui est à l’origine de l’inexécution de l’obligation,
de sa gravité et de son caractère répétitif. Le tribunal, en exerçant son pouvoir
discrétionnaire, peut prendre en considération les répercussions de l’application
de la clause sur le débiteur et de ses moyens de payer la somme due. Pris de
concerts, ces facteurs révèlent parfois que la conduite du créancier
contrevient aux exigences de la bonne foi.
C.
Caractéristiques de la clause pénale abusive
2685.
Quelques indices établis par les tribunaux permettent d’identifier les clauses
pénales déraisonnables, qu’elles le soient au moment de la conclusion du
contrat ou se révèlent l’être au stade de l’inexécution. En effet, plusieurs
critères ont été développés par la jurisprudence pour évaluer la notion d’abus
dans le contexte de la clause pénale. Il s’agit
notamment de la disproportion importante entre les dommages réellement subis et
les dommages liquidés, le caractère déraisonnable de la clause que fait
apparaître la comparaison défavorable entre le montant prévu dans la clause et
la valeur du contrat, l’expérience respective des personnes impliquées et leurs
forces économiques, l’existence de
négociations et les répercussions concrètes qu’aurait la pénalité sur le
débiteur, l’étendue et la durée de la clause pénale.
Tous ces éléments d’analyse permettent de déterminer si la clause pénale est
abusive ou non.
[Page 1042]
2686. Le
tribunal peut également tenir compte des comportements du débiteur et des
conséquences qui en résultent pour le créancier pour déterminer si la clause
pénale constitue une sanction justifiée. Autrement dit, lors de l’évaluation du
caractère déraisonnable d’une clause pénale, le tribunal peut prendre en
considération non seulement les dommages et les pertes subis, mais aussi d’autres
types inconvénients causés au créancier par le défaut du débiteur. À titre d’illustration,
en cas d’une résolution ou résiliation unilatérale par l’acheteur de son
contrat, le tribunal apprécie le caractère déraisonnable de la clause pénale en
tenant compte des comportements de ce dernier. Le fait que le vendeur doit
alors assurer la garde du bien en plus de faire les démarches nécessaires pour
le vendre à autrui pendant la garde s’ajoute ainsi, dans l’évaluation du
préjudice global qu’il subit, au défaut de l’acheteur de prendre livraison du
bien et d’en payer le prix conformément à l’article 1734 C.c.Q. Il appartient
alors à l’acheteur qui refuse de payer la pénalité d’établir le caractère
déraisonnable du montant par rapport aux conséquences qui découlent de son
défaut de se conformer à son engagement.
2687. Il est
bien admis qu’en l’absence de clause pénale, le vendeur qui, à situation
semblable, se voit forcé de vendre le même bien à un tiers peut obtenir non
seulement la perte résultant de la différence entre le prix de vente et le prix
convenu avec l’acheteur fautif, mais aussi tous les frais encourus en raison de
l’inexécution. Dans la mesure où le montant prévu dans la clause pénale
représente une compensation plus ou moins égale à la valeur des pertes, des
frais et des inconvénients résultant du défaut de l’acheteur, il sera donc
difficile de conclure au caractère déraisonnable ou abusif de la clause pénale.
Décider autrement reviendrait à faire supporter par le vendeur les conséquences
de l’inexécution fautive de l’acheteur.
2688. En
général, le tribunal peut prendre en considération le fait que la partie qui
impose un contrat d’adhésion à une autre lui fait supporter tous les
inconvénients de la relation contractuelle et n’en conserve pour elle-même que
les avantages. Conséquemment, il peut procéder à la réduction de l’obligation
de l’adhérent. Une stipulation procurant des avantages à la partie qui l’a
rédigée ne donne pas lieu nécessairement à la nullité de la clause pénale, car
le tribunal doit aussi tenir compte de la règle relative à la stabilité des
contrats.
[Page 1043]
2689. Les
effets de la clause pénale doivent être examinés eu égard à l’ensemble du
contrat. Ainsi, une clause de
non-concurrence jugée valide peut prévoir une pénalité considérée abusive :
son montant sera réduit à celui qui est jugé raisonnable selon les circonstances.
2690. De la
même manière, un bail commercial peut valablement contenir une clause pénale,
notamment pour garantir le remboursement par le locataire des honoraires
extrajudiciaires qui seront encourus par le locateur dans l’éventualité d’un
litige portant sur l’exécution des obligations assumées. Lors de l’appréciation
de la portée de cette clause, le tribunal prendra en considération l’ensemble
des sanctions prévues dans le bail, notamment le taux d’intérêt à appliquer aux
arrérages des loyers qui, s’il est supérieur au taux légal, peut représenter un
aspect compensatoire à ne pas négliger dans la détermination de la validité de
la clause. Une clause prévoyant
le paiement d’une pénalité pour les loyers échus lors de la résiliation du bail
ne peut toutefois être jugée abusive si le montant réclamé correspond au loyer
mensuel prévu dans le bail. Le locataire qui s’efforce de démontrer le
caractère abusif de la pénalité pourra difficilement convaincre le tribunal qu’un
local vide est moins dispendieux en frais d’entretien.
Par ailleurs, lorsqu’une clause pénale est attachée à une clause de
non-concurrence ou de non-sollicitation qui a été jugée et déclarée invalide en
raison de son caractère déraisonnable, la clause pénale étant un accessoire à
la clause de non-concurrence ou de non-sollicitation, doit donc en suivra le
sort.
2691. En
somme, il faut établir en preuve tous les éléments pouvant être utiles à la
Cour pour déterminer le caractère abusif ou non de la clause pénale. Cette
preuve peut être requise de l’une ou l’autre des parties concernées. Dans
certains cas, il peut être de l’intérêt du créancier de démontrer le préjudice
réellement subi, afin d’établir que la pénalité prévue n’est pas excessive ou
déraisonnable. Lorsque le montant de la pénalité est supérieur au préjudice
subi, il peut être justifié, à la lumière des circonstances, par sa fonction
dissuasive, c’est-à-dire par
[Page 1044]
son caractère. Dans
ce cas la Cour appréciera le caractère abusif de la clause selon les critères
de la raisonnabilité et de la proportionnalité au regard de l’objectif de
dissuasion poursuivie. Ainsi, une clause ne doit pas aller au-delà de ce qui
est nécessaire pour sanctionner l’usage prohibé.
Finalement, il faut tenir compte, selon les cas, de la gravité ou du caractère
délibéré de la faute et des répercussions financières sur le créancier. Ces
facteurs circonstanciels permettent à la Cour de déterminer le caractère
raisonnable ou non de la pénalité et d’exercer, le cas échéant, son pouvoir discrétionnaire.
4. Pouvoir
discrétionnaire des tribunaux : étendue et limites
A. Principes
suivis
2692. Les
tribunaux ont un large pouvoir discrétionnaire quant à l’appréciation du
caractère déraisonnable ou abusif de la clause pénale.
La nécessité de tenir compte des circonstances propres à chaque cas d’espèce
rend difficile l’élaboration de critères stricts. Le tribunal doit donc exercer
son pouvoir d’appréciation avec discernement en tenant compte de la bonne et
mauvaise foi des parties ainsi que des principes d’équité et de justice
contractuelle. À titre d’exemple, en évaluant le caractère déraisonnable d’une
clause pénale rattachée à une obligation de non-concurrence assumée par le
débiteur, le tribunal peut arriver à la conclusion que le montant est abusif
dans les circonstances et le réduire en conséquence.
Si au contraire la pénalité journalière est raisonnable, mais le calcul du
montant total est abusif parce qu’il ne soustrait pas les jours chômés, le
tribunal peut confirmer la validité de la clause mais revoir son application.
2693. L’étude
de la jurisprudence ne permet pas d’établir une méthode de calcul précise ou
particulière. Elle révèle cependant une tendance chez les juges à trouver un
équilibre entre les dommages réellement subis par le créancier et l’injustice
pour un débiteur de payer une somme bien supérieure à ce qu’il aurait payé en l’absence
de clause
[Page 1045]
pénale.
Pour y parvenir, ils prennent garde aussi d’éviter que la clause pénale ne
procure au créancier un bénéfice largement supérieur à celui qu’il aurait
retiré s’il y avait eu exécution du contrat. Cela dit, le montant de la
pénalité ne doit pas permettre au créancier de s’enrichir injustement.
2694. Le rôle
des tribunaux est pourtant loin de consister en une réduction automatique du
montant de la peine à celui des dommages réels : un tel exercice priverait
la clause pénale de son caractère comminatoire et, par conséquent, de son
utilité principale. Ainsi, le principe de
l’équité contractuelle peut en effet militer, selon les cas, en faveur de la
réduction ou du maintien du montant de la pénalité, aussi élevé qu’il
puisse paraître de prime abord. Ainsi, le caractère
abusif d’une clause pénale s’apprécie en fonction de ce qui apparaît
raisonnable ou acceptable dans les circonstances.
Le tribunal vérifie également si les parties se sont retrouvées en situation de
déséquilibre lors de la conclusion du contrat.
Il peut prendre en considération la relation d’affaires entre les parties, le
fait qu’elles ont été ou non assistées de conseillers juridiques, etc.
2695. Bien
que le but de la clause pénale est d’éviter au créancier d’avoir à prouver les
dommages subis, son insertion dans le contrat ne signifie pas que le créancier
a le droit d’en réclamer le montant sans que le défaut du débiteur ne lui cause
préjudice. Cela reviendrait à
[Page 1046]
avaliser l’enrichissement
d’une partie au détriment de l’autre et le déséquilibre qui en résulte entre
les parties. De plus, la clause
pénale est à replacer dans le contexte de la responsabilité civile, lequel
interdit de sanctionner une faute en l’absence d’un préjudice.
2696. Par
ailleurs, lors de l’appréciation du caractère abusif ou déraisonnable d’une
pénalité stipulée dans un contrat de gré à gré seulement pour le retard dans le
paiement, le tribunal peut prendre en considération le montant prévu et les
intérêts chargés sur le retard afin de déterminer si cette combinaison
représente une sanction de nature abusive. Dans ce cas, le tribunal peut
conclure que la clause pénale est abusive ou déraisonnable et ainsi réduire, en
conséquence, le montant prévu.
2697. L’emploi
des termes « peut être réduit » permet de croire que la réduction de
l’obligation ne doit pas toujours être proportionnelle à l’exécution, le
tribunal gardant une latitude d’appréciation en la matière.
Une clause pénale qui limite la liberté de travail d’un employé en cas de
cessation de ses fonctions et qui n’indique pas le temps et l’espace de cette
limitation peut être jugée abusive. Il existe
aussi des limites législatives permettant d’invalider des clauses pénales
jugées abusives ou excessives, telle que la Loi
sur
[Page 1047]
la protection du
consommateur, qui s’applique à un litige entre un
commerçant et un consommateur.
2698. Il est
à craindre que la reconnaissance du vaste pouvoir judiciaire qui vient d’être
décrit ne détourne la clause pénale de son objectif. Par sa révision du montant
de la pénalité, le tribunal refuse d’appliquer la manifestation de la volonté
des parties et, par le fait même, récuse le principe du consensualisme. Ce
refus se concrétise souvent par l’acceptation de la preuve qui démontre que le
montant prévu dans la clause est déraisonnable et excessif par rapport aux
dommages et aux pertes subis par le créancier.
2699. Si l’interprétation
d’une clause contractuelle peut être considérée comme une question mixte de
fait et de droit, l’évaluation circonstancielle du caractère raisonnable du
montant d’une pénalité est essentiellement une question de fait. Par conséquent,
une intervention de la Cour d’appel n’est justifiée qu’en présence d’une erreur
manifeste et dominante commise par le juge de première instance.
Une telle erreur peut être relative à l’analyse des critères objectifs
susmentionnés, ou encore à la prise en compte de l’ensemble des
caractéristiques des relations contractuelles des parties.
B. Montant
jugé excessif ou déraisonnable allant à l’encontre de la bonne foi
2700. Lorsque
le montant de la pénalité apparaît déraisonnable par rapport à la valeur du
contrat, les tribunaux ont tendance à le déclarer déraisonnable et à le réduire
en conséquence. Il en est ainsi
lorsqu’une clause pénale, insérée dans un contrat de services, stipule le
paiement de dommages-intérêts valant la moitié du prix de la partie restante du
contrat advenant sa résiliation par le prestataire de services. Il est douteux
que le client aurait réalisé un profit net de 50 % du prix du contrat si le débiteur
l’avait exécuté en entier. Il en est de même
lorsque la clause pénale prévoit le droit du créancier de réclamer des
dommages-intérêts supérieurs à la valeur de l’objet en litige ou de réclamer la
valeur du bien à neuf.
[Page 1048]
2701. Est
également abusive la clause pénale d’un contrat d’entreprise qui sanctionne la
résiliation du contrat par le client par une pénalité de 20 % du coût total du
contrat et prévoit, en sus, la compensation de « tout autre préjudice
que l’entrepreneur peut subir ». En effet,
en permettre l’application désavantagerait d’une manière excessive et
déraisonnable le client puisque la clause bafoue son droit à la résiliation du
contrat sans justification (art. 2125 C.c.Q.). Notons par ailleurs que la
clause pénale pourrait être invalide si elle permet à l’entrepreneur d’obtenir
une indemnité supérieure à celle qu’il aurait pu obtenir par l’application de
la règle prévue à l’article 2129 C.c.Q..
2702.
Pareillement, dans le cadre d’un contrat d’adhésion, la clause pénale qui prescrit
qu’en cas de résiliation l’adhérent aura à payer une somme équivalente à la
moyenne des revenus bruts pendant la durée restante du contrat désavantage
beaucoup trop l’adhérent. Cependant, ne sera
pas considérée abusive la pénalité de 3000 $ réclamée à un employé qui a
démissionné sans donner le préavis de six semaines prévu dans le contrat de
travail, lorsque ce montant représente le gain perdu par l’employeur pendant la
recherche d’un nouveau salarié et qu’il y a pénurie de main-d’œuvre dans ce secteur
d’activités.
2703. Lors de
l’appréciation du caractère abusif du montant de la pénalité, le tribunal tient
cependant compte de l’obligation du créancier de minimiser ses dommages.
Par exemple, une clause pénale prévoyant des dommages-intérêts liquidés de 20 %
de toute facture en souffrance, en plus d’un taux d’intérêt annuel de 27 % sur
un compte impayé, est une clause déraisonnable dont le montant doit être réduit
en conséquence. Également, une clause
pénale qui prévoit des frais pour perception de chèque sans provision ne peut
être justifiée si le
[Page 1049]
montant prévu n’est
pas comparable aux frais facturés par les établissements financiers en de
pareilles circonstances.
2704. Une
clause pénale prévoyant le paiement de frais de recouvrement en plus des
intérêts peut avoir un double emploi et être en conséquence déclarée abusive.
Il en sera de même pour une clause prévoyant à la fois le paiement d’intérêts
en cas de retard dans l’exécution de l’obligation et les frais et honoraires extrajudiciaires
en cas de litige devant les tribunaux. Il n’est
donc pas possible de prévoir une double pénalité dans une clause pénale. Il
importe cependant de souligner qu’une clause stipulant seulement le
remboursement de frais et d’honoraires extrajudiciaires en cas de litige devant
les tribunaux ne sera pas nécessairement considérée comme déraisonnable.
Le tribunal devra évaluer certains facteurs afin de déterminer si la clause
pénale portant sur ce type de dépenses est raisonnable, notamment la portée et
la difficulté du litige en l’espèce, le temps qu’il a été nécessaire d’y
dédier, les agissements du débiteur dès le début des procédures et lors de l’audition,
le taux horaire envisagé et la proportionnalité entre les honoraires demandés
et le montant de la clause.
2705. Afin d’évaluer
si le montant de la pénalité est excessif, le tribunal peut également prendre
en considération le montant de la transaction à laquelle la clause pénale est
rattachée. Dans un contrat de franchise concernant la construction d’un hôtel d’une
valeur de 5 millions $, une pénalité de 40 000 $ prévue en cas
de résiliation du contrat sera jugée raisonnable vu la valeur de la transaction.
De même, n’est pas abusive la clause pénale qui permet de réclamer une pénalité
représentant le bénéfice qu’une partie aurait pu tirer d’un
[Page 1050]
contrat si celui-ci
n’avait pas été résilié. En contrepartie, une
disproportion importante entre la valeur du contrat et le montant de la
pénalité signale le caractère abusif de cette dernière.
Par exemple, le montant d’une pénalité qui excède largement la valeur de la
transaction envisagée sera réduit, à moins que l’article 1437 C.c.Q. ne s’applique
et que la clause ne soit déclarée abusive.
2706. Par
conséquent, la pénalité assortie d’un montant très élevé ne sera pas déclarée
abusive lorsqu’elle est reliée à un contrat d’une grande importance. Il faut
ainsi prendre en considération l’utilité de cette clause en fonction des
rapports contractuels qui existent entre les parties. Cette utilité est avérée
lorsque le montant de la pénalité a été exigé par le créancier pour décourager
son contractant de contrevenir à une obligation essentielle telle que l’obligation
de ne pas faire la concurrence, l’obligation de confidentialité ou bien le
respect du droit de premier refus. Dans ces cas, un
montant élevé peut être justifié par la nature dissuasive de la clause, qui n’a
pas un caractère purement compensatoire pour le préjudice subi par le créancier
à la suite de l’inexécution d’une obligation importante.
2707. Le fait
que le montant prévu à titre de pénalité est élevé ne peut être, en soi, un
critère déterminant pour que le tribunal procède à sa réduction. Rappelons qu’il
suffit que le créancier fasse la preuve de l’inexécution de l’obligation pour avoir
droit au montant prévu dans la clause pénale, sans avoir à prouver le préjudice
subi. Il appartient au
débiteur-défendeur de démontrer que ce montant ne correspond pas au préjudice
réellement subi par le créancier et qu’il est supérieur à sa valeur. En d’autres
mots, il incombe au débiteur de démontrer le caractère excessif et abusif de la
clause pénale afin de permettre au tribunal d’user de son pouvoir
discrétionnaire de réduire le montant prévu.
C.
Éloignement des obligations essentielles et usuelles d’un contrat de même
nature
2708. Doit
être déclarée abusive et les obligations qui en découlent, réduites, la clause
pénale qui est trop éloignée des obligations
[Page 1051]
essentielles et
usuelles d’un contrat de même nature. C’est
ainsi qu’une clause pénale prévoyant des frais élevés en cas d’annulation d’un
contrat d’affrètement peut être déclarée abusive parce que l’annulation de
vols, dans ce secteur de l’industrie du voyage, est chose courante.
Pour évaluer le caractère abusif du montant de la pénalité, le tribunal peut
prendre en considération la nature et l’importance de la contravention que
sanctionne la clause pénale. Ainsi, une pénalité de 200 $ par jour imposée
à une cuisinière qui contrevient à son obligation de non-concurrence est déraisonnable.
2709. Même s’il
est d’une pratique courante d’inclure une clause de non-concurrence dans l’acte
de vente d’une entreprise, cette clause peut être considérée déraisonnable ou
abusive en raison de sa durée ou du montant de la pénalité prévue pour sanctionner
sa violation. C’est le cas lorsque la clause de non-concurrence est d’une durée
de plus de deux ans, qu’elle prévoit une
pénalité qui dépasse la valeur du contrat de vente
ou que l’espace visé par l’interdiction est excessif, ce qui a pour effet d’empêcher
le débiteur de gagner sa vie en travaillant dans son domaine.
Par contre, est valide la clause de non-concurrence d’une durée de 12 à 24 mois
si les autres conditions requises semblent être raisonnables, notamment celles
concernant l’espace visée et la pénalité envisagée en guise de sanction.
2710. La
validité de la clause pénale doit être déterminée en tenant compte de l’ensemble
des circonstances : une durée plus longue peut être jugée valide compte
tenu des faits et des relations des parties. Il appartient cependant à la
partie qui cherche à se prévaloir de la clause d’établir en preuve les motifs
qui justifient qu’elle s’éloigne des clauses standards. Par exemple, la
nécessité de protéger l’acheteur dans un domaine où la concurrence est féroce
peut justifier qu’un vaste territoire soit visé par la clause. À titre d’illustration,
une clause de
[Page 1052]
non-concurrence peut
être déclarée valide même si elle vise tout le territoire québécois, tout
dépendant du domaine particulier d’activités.
Au contraire, la clause qui vise un territoire indéfini ou trop large viole les
droits constitutionnels de l’employé et sera déclarée illégale.
2711. À l’inverse,
il arrive qu’une clause pénale qui sanctionne la violation d’une obligation
essentielle au contrat soit assortie d’un montant dérisoire en regard du
préjudice subi par le créancier. Une telle stipulation permet au débiteur de se
libérer, à peu de frais, de sa responsabilité contractuelle, ou encore de la
limiter au point d’enlever tout sérieux à son engagement. Il s’agit pour les
tribunaux de déterminer si la clause a pour effet de permettre au débiteur de
ne pas effectuer une obligation fondamentale, principale ou essentielle de son
contrat tout en s’exonérant de
sa responsabilité ou en payant un montant dérisoire. En un tel cas, la clause
sera déclarée inopérante et inopposable au créancier, même en l’absence d’une
preuve de faute intentionnelle ou lourde commise par le débiteur.
Cette solution est préconisée par la majorité de la doctrine
et adoptée par un courant jurisprudentiel
notamment, par la Cour d’appel.
D.
Disproportion entre la pénalité et le préjudice subi
2712. Les
principes d’équité et de justice contractuelle obligent à déclarer abusive
toute clause pénale qui désavantage le débiteur d’une manière excessive et
déraisonnable, eu égard aux circonstances de
[Page 1053]
chaque cas d’espèce.
La pénalité ne doit pas servir à enrichir sans cause le créancier,
ni lui permettre de récupérer le prix qu’il a payé à son cocontractant. Afin de
déterminer si le montant prévu dans une clause pénale est excessif, le tribunal
devra évaluer la valeur du préjudice subi par le demandeur au jour où celui-ci
décide d’appliquer la clause et ensuite la comparer avec le montant prévu.
2713. Dans un
contrat d’entreprise, la pénalité prévue pour sanctionner le retard dans la
livraison de l’ouvrage ne doit pas permettre au client de récupérer le prix qu’il
a payé ou une bonne partie de ce prix, de sorte que l’application d’une telle
pénalité revient à transformer le contrat en un contrat à titre gratuit.
Également, une clause pénale prévoyant le droit pour l’entrepreneur de
réclamer, en cas de résiliation du contrat par le client, un montant
représentant un profit beaucoup plus élevé que celui qu’il aurait pu réaliser s’il
n’y avait pas eu résiliation doit être déclarée abusive. Le montant peut être
réduit à celui qu’il aurait pu obtenir selon l’article 2129 C.c.Q. De plus, le
tribunal peut déclarer la clause nulle parce qu’elle contrevient aux
dispositions des articles 2125 et 2129 C.c.Q.
2714. Le
tribunal doit donc exercer son pouvoir discrétionnaire lorsque le montant de la
pénalité est exorbitant et hors de proportion avec le préjudice subi par le
créancier. Ainsi, une pénalité
qui équivaudrait à plusieurs fois la perte de profit subie par le créancier
doit être réduite à une perte équivalant au profit qu’il aurait réalisé si
aucune faute n’avait été commise par le débiteur.
Cependant, la
[Page 1054]
fonction
comminatoire de la clause pénale qui a été insérée dans le contrat pour inciter
le débiteur à exécuter sans faute une obligation essentielle pour le créancier
permet de mitiger ce principe de proportionnalité. En un tel cas, le tribunal
peut refuser de réduire le montant prévu même s’il est plus élevé que le
préjudice subi par le créancier. Le tribunal doit donc
évaluer non seulement la proportionnalité du montant prévu mais aussi l’objectif
et l’effet voulu par la clause. Dans le cas où la clause pénale a été stipulée
pour le retard dans l’exécution d’une obligation contractuelle, il ne sera pas
non plus possible d’écarter son application pour la seule raison que le
créancier n’a subi aucun préjudice.
2715. Enfin,
il est fréquent de constater, dans le cadre d’un bail résidentiel, une clause
interdisant au locataire de posséder un animal de compagnie. La validité d’une
telle clause a souvent été contestée devant les tribunaux, qui ont confirmé que
l’obligation en elle-même était tout à fait raisonnable et en conformité avec
le droit en vigueur. Cependant, le document annexé au bail qui autorise
expressément le locateur à entrer dans le logement où se trouve un animal s’en
emparer et le faire euthanasier au frais du locataire, en plus d’exiger une
pénalité forfaitaire et injustifiée de ce dernier, est complètement
déraisonnable et abusif. Une telle clause pénale, dont la teneur et la portée
vont à l’encontre de l’article 1901 C.c.Q., permet au locateur de se faire
justice lui-même. Le fait d’y ajouter
une stipulation de non-responsabilité à l’égard du locataire pour les
conséquences de l’intervention du locateur renforce le caractère abusif de la
clause.
[Page 1055]
E. Cas
particuliers
1) Le
contrat de vente d’entreprise
2716. L’engagement
de non-concurrence est soumis à des règles moins strictes dans un contrat d’entreprise
que dans un contrat de travail individuel : le premier contexte exclut la
présomption de déséquilibre entre les parties qui caractérise le premier. L’intervention
du tribunal dépendra donc de la démonstration de l’existence exceptionnelle d’un
tel déséquilibre, d’un caractère nettement déraisonnable de la clause, ou
encore d’une contravention à l’ordre public. En l’absence d’une telle preuve,
la stabilité des ententes commerciales requiert l’application de la clause
pénale telle quelle.
2717. Même
lorsque le débiteur de l’obligation fait la preuve du caractère abusif de la
clause de non-concurrence, le tribunal qui la révise doit garder à l’esprit que
cette clause vise un effet dissuasif. Pour
conserver ce caractère comminatoire, le tribunal doit fixer la pénalité à un
montant au moins égal aux dommages-intérêts qu’aurait pu obtenir le créancier
en l’absence de la clause. L’exercice de son pouvoir discrétionnaire est
également tributaire des circonstances propres à l’affaire. Ainsi, bien qu’il
soit tenu au respect du principe de la liberté contractuelle des parties, le
juge pourrait réduire la pénalité exigée lorsque la preuve démontre que le
créancier a tardé à agir et que le préjudice qu’il a subi justifie difficilement
le montant prévu à titre de pénalité.
2) La
transaction de règlement hors Cour
2718. Une
question se pose : une clause pénale introduite dans une transaction
intervenue entre les parties conformément aux articles 2631 et suivants C.c.Q.
peut-elle être révisée par le tribunal en vertu de l’article 1623 C.c.Q. ?
Une transaction de règlement hors Cour est assujettie, en principe, aux règles
qui régissent les contrats. Par conséquent, le fait que les parties ont voulu
éviter les inconvénients et les dépenses qui découlent d’un litige ne doit pas
être un obstacle à l’exercice par le tribunal de son pouvoir discrétionnaire
lorsque l’entente contient une clause pénale prévoyant le paiement d’un montant
à titre de dommages-intérêts advenant le cas où une partie ne s’y conforme pas.
L’insertion
[Page 1056]
d’une clause pénale
dans la transaction, afin de sanctionner le défaut du débiteur de payer le
montant convenu, ne crée pas une situation qui échappe à l’application de la
règle prévue à l’article 1623 C.c.Q. Le tribunal saisi d’une demande d’homologation
peut ainsi refuser d’accorder le montant prévu dans la clause pénale et limiter
l’homologation au montant prévu par les parties à titre de dommages-intérêts.
2719. Le
tribunal, qui doit être guidé par le principe d’équité et par la justice
naturelle, peut également réduire le montant prévu dans la clause pénale
lorsque le montant convenu par les parties pour régler leur litige ne reflète
pas équitablement le préjudice ou les dommages réellement subis par le
créancier. De plus, ce genre de
clause pénale est souvent introduit dans les transactions pour faire pression
et contraindre le débiteur à payer le montant de l’indemnité convenu. Le
tribunal ne doit toutefois pas se laisser influencer par l’objectif dissuasif
que le créancier cherche à réaliser par l’inclusion dans la transaction d’une
clause pénale, car les moyens contraignants qu’elle emprunte peuvent être, dans
bien des cas, injustifiés eu égard aux dommages ou aux pertes réellement subis.
5. Controverses
jurisprudentielles
2720. Au
tournant des années 2000, des jugements contradictoires portant sur le même
type de contrat et soulevant les mêmes questions de droit ont été rendus par
les tribunaux. Il s’agit de contrats d’adhésion aux termes desquels la même
compagnie fournit aux commerçants des équipements utilisés pour transformer
certains produits en boissons destinées aux consommateurs. Dans ces différents
jugements, le contrat en question était un contrat-type, préparé à l’avance par
la compagnie, et imposé aux commerçants sans aucune possibilité de négocier ou
modifier son contenu. En contrepartie de la fourniture des équipements, les
commerçants s’engageaient à s’approvisionner exclusivement auprès d’un
fournisseur désigné par la compagnie. Le débat soulevé par les tribunaux
portait essentiellement sur l’application de la clause pénale contenue dans ces
contrats, qui prévoyait le paiement d’un montant fixe en cas de non-respect de
l’obligation d’approvisionnement. Certains jugements ont déclaré cette clause
pénale abusive. Par contre, d’autres
jugements ont
[Page 1057]
déclaré que cette
même clause pénale n’était pas abusive et était opposable au commerçant
adhérent. Dans cette deuxième
catégorie de jugements, il est indéniable que dans deux ou trois cas, la preuve
était révélatrice et justifiait l’application de la clause pénale. Le fait que
les adhérents aient admis avoir acheté, à plusieurs reprises, une quantité
importante de produits auprès d’autres fournisseurs ne laisse pas une grande
marge de manœuvre au juge pour refuser l’application de la clause pénale :
la contravention à l’obligation d’approvisionnement est avérée.
2721. D’autres
jugements ont cependant suivi un raisonnement juridique qui ne peut être à l’abri
des critiques en raison de leur qualification de l’obligation d’approvisionnement
comme étant une obligation de ne pas faire. Une obligation d’approvisionnement
devrait pourtant être qualifiée d’obligation de faire, bien que son exécution
oblige le débiteur à s’abstenir de faire des achats de mêmes produits (objet de
l’obligation) ailleurs. Ce double aspect de l’obligation d’approvisionnement ne
permet pas de conclure qu’il s’agit d’une obligation de ne pas faire. C’est
cette qualification qui a permis de conclure qu’une seule et unique
contravention à cette obligation justifie la résiliation du contrat par la
compagnie qui l’a rédigé. Or, l’obligation d’approvisionnement auprès d’un
fournisseur est une obligation positive. Si elle contient un élément explicite
ou implicite obligeant le débiteur à s’abstenir de tout approvisionnement
auprès d’un autre fournisseur, cet élément ne peut prévaloir sur l’élément
positif qui caractérise son exécution effective. En effet, s’abstenir de s’approvisionner
ailleurs, sans cependant faire des achats auprès du fournisseur désigné, ne
constitue pas une exécution de l’obligation.
2722. Le
raisonnement suivi dans ces jugements a pour effet de permettre à la partie
ayant rédigé et imposé le contrat d’adhésion d’être à la fois arbitre et
partie. Le tribunal qui refuse de discuter de la nature de ce contrat d’adhésion,
de la validité de la clause pénale et de son caractère abusif, ou qui refuse de
réduire le montant de la pénalité, limite volontairement l’étendue de son
autorité. Au lieu d’exercer son pouvoir discrétionnaire comme les articles 1437
et 1623 C.c.Q. le prévoient, le tribunal se contente d’entériner une situation
par voie de jugement déclaratoire. Comment peut-on permettre à la partie qui a
rédigé ce contrat de le résilier immédiatement sur simple constatation, sans
avis ni mise en demeure préalable au débiteur ? L’usage unique
[Page 1058]
d’un produit
étranger par l’adhérent peut difficilement justifier une décision aussi
importante que celle de mettre fin unilatéralement au contrat. Au contraire,
une telle attitude pourrait être arbitraire, déraisonnable, voire même abusive.
2723. En
vertu des articles 1590 et 1605 C.c.Q., le créancier, avant de résilier le
contrat, doit mettre son débiteur en demeure de se conformer à son engagement
dans un délai raisonnable. Ce n’est qu’une fois ce délai expiré que le
créancier qui constate la persistance du défaut sera en droit de mettre fin au
contrat. En décider autrement reviendrait à permettre à un créancier de
mauvaise foi de se faire justice lui-même. Cette justice individuelle devient
évidente si l’on tient compte du fait que ce même créancier rédige et impose
son contrat au débiteur et décide plus tard, sur simple constatation de sa
transgression, d’y mettre fin et de réclamer le montant de la clause pénale
imposée pour son propre bénéfice. Or, la résolution ou la résiliation du
contrat de plein droit constituent un droit strict, qui doit être interprété de
façon restrictive et de manière à ne pas permettre à une partie d’adopter une
conduite contraire aux exigences de la bonne foi. L’article 1375 C.c.Q. impose
à toute partie une conduite conforme à ces exigences, lors de l’exécution du
contrat et de son extinction. L’article 1595 C.c.Q., quant à lui, exige que le
créancier donne à son débiteur un délai raisonnable pour lui accorder une
dernière chance d’exécuter son contrat. L’article 1597 C.c.Q., qui prévoit
certaines situations pouvant donner lieu à une demeure de plein droit, traite
de l’obligation à exécution successive : son débiteur est en demeure de
plein droit lorsque son défaut d’exécuter son obligation est répétitif. Quant à
l’exception relative à la demeure de plein droit dans le cas d’une obligation
de ne pas faire, elle vise les obligations légales et s’applique rarement en
matière contractuelle. Autrement dit, les exigences de la bonne foi codifiées
aux articles 6, 7 et 1375 C.c.Q. rendent très difficile, en pratique, l’exercice
par le créancier de son droit à demeure de plein droit. Avant de s’en prévaloir
en mettant fin à son contrat sans avis préalable,
le créancier devra se conformer aux exigences de bonne foi.
2724. Les
tribunaux ne peuvent restreindre leur rôle à une application systématique de
clauses contractuelles incluses dans des contrats-types ou des contrats d’adhésion,
quel que soit le prétexte
[Page 1059]
invoqué à l’encontre
du débiteur. Ils doivent refuser cette application en l’absence d’un débat sur
le préjudice subi par la partie bénéficiaire de la clause pénale. Sauf si une
preuve démontre qu’une perte a été causée au créancier par la transgression de
l’obligation, laquelle justifie la réclamation de la somme prévue par la clause
pénale, la demande doit être rejetée. De plus, le tribunal doit conclure à une
résiliation abusive du contrat lorsque les circonstances permettent de croire
que la décision à cet effet du créancier est motivée par l’absence de gains
importants ou le peu de profit, alors que la durée restante du contrat ne l’encourage
pas à patienter pour en tirer avantage.