Art. 1480. Lorsque plusieurs personnes ont participé à un fait collectif fautif
qui entraîne un préjudice ou qu’elles ont commis des fautes distinctes dont
chacune est susceptible d’avoir causé le préjudice, sans qu’il soit possible,
dans l’un ou l’autre cas, de déterminer laquelle l’a effectivement causé,
elles sont tenues solidairement à la réparation du préjudice.
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Art. 1480.
Where several persons have jointly participated in a wrongful act or
omission which has resulted in injury or have committed separate faults each
of which may have caused the injury, and where it is impossible to determine,
in either case, which of them actually caused the injury, they are solidarily
bound to make reparation therefor.
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O.R.C.C. (L. V, DES OBLIGATIONS)
313. Lorsque
plusieurs personnes ont commis des fautes distinctes susceptibles chacune de
causer le dommage, sans qu’il soit possible de déterminer laquelle l’a
effectivement causé, elles sont solidairement responsables.
C.c.Q. : art. 1478, 1481, 1523, 1526 et 2118.
1. Notions
générales et portée de la règle
4055. Cet
article apporte une solution qui favorise la victime quant au problème que pose
sur le plan du partage de la responsabilité, la réalisation d’un préjudice
découlant de la faute collective de plusieurs personnes ou de plusieurs fautes
dont on ne peut déterminer de façon exacte laquelle est causale, toutes ayant
pu commettre l’acte fautif. En présence de l’une
de ces situations factuelles, la règle établit uniquement la responsabilité
solidaire des auteurs du préjudice envers le demandeur et non pas le partage de
responsabilité conjointe entre eux. Il s’agit d’une
solidarité prévue pour assurer au créancier ou à la victime l’obtention de l’indemnité
entière lorsque ce dernier se trouve dans une situation que les défendeurs lui
ont imposée et qui l’empêche d’établir en preuve la part de chacun dans le
préjudice causé. Cette règle vise à protéger la victime qui se trouve dans l’impossibilité
d’établir le lien de causalité entre le préjudice qu’elle a subi et la faute
reprochée à chacun des auteurs participant au fait dommageable.
[Page 1696]
4056. L’article 1480 C.c.Q. codifie aussi la solution adoptée
par la jurisprudence sous l’ancien Code civil dans l’affaire Gauthier c.
Bérubé et al. Il s’agit d’un cas où deux chasseurs ont tiré
simultanément sur la victime avec une arme de même calibre, sans que l’on
puisse déterminer de quelle arme provient la balle reçue par la victime. Dans
ce cas, la Cour a décidé que le refus d’un recours solidaire à la victime
équivaudrait à la priver de son droit à l’indemnisation, parce qu’elle était
dans l’impossibilité d’établir le lien de causalité entre l’acte fautif et le
préjudice subi, alors que ce sont les auteurs de l’acte fautif qui l’ont mise
dans cette impossibilité.
4057. Les termes de
l’article 1480 C.c.Q. permettent de conclure que cette disposition vise les
situations qui sont régies autant par le régime de responsabilité
contractuelle, qu’extracontractuelle et crée une présomption de solidarité afin
que chacune des personnes fautives soit tenue pour le tout. Il faut cependant
analyser les questions régissant chacun des régimes de responsabilité de
manière séparée et ne pas appliquer les règles des deux régimes de
responsabilité de manière globale, en raison de la conjonction de coordination « ou », qui opère une distinction entre un contexte ou un même acte fautif,
mais collectif et celui où plusieurs fautes distinctes ont entraîné le préjudice
sans qu’il soit possible de déterminer laquelle l’a effectivement causé. Ainsi,
par cet article, le législateur a voulu assurer à la victime une responsabilité
parfaite sans distinction entre la situation où le préjudice est causé par un
seul acte fautif collectif et celle où le préjudice est causé par plusieurs
fautes distinctes sans qu’il soit possible de déterminer laquelle l’a
effectivement causé.
4058. À titre
illustratif, un pharmacien peut être tenu responsable du préjudice causé par la
faute d’un autre pharmacien qui l’a remplacé alors que ce dernier n’a pas
effectué le bon suivi auprès du client, en raison du manque de communication
entre les deux pharmaciens. Pourtant, ils savaient ou devaient savoir que le
cas du client nécessitait une attention spéciale. Ainsi, le tribunal peut
attribuer le préjudice à la
[Page 1697]
faute de deux
pharmaciens lorsque la preuve révèle que si l’une des fautes n’avait pas été
commise, il n’y aurait possiblement pas eu de préjudice. Le fait que l’un des pharmaciens
se soit fait remplacer par l’autre ne libère pas le premier de sa
responsabilité envers le client quant à l’obligation d’offrir un bon suivi,
compatible avec la conduite d’un professionnel prudent et diligent.
4059. Notons qu’il n’est pas nécessaire que les événements aient lieu
directement l’un à la suite de l’autre. Il peut arriver dans certains cas qu’il
y ait deux fautifs qui posent des actes qui bien qu’ils soient séparés dans le
temps sont tellement étroitement connectés par leur nature causant ainsi un
préjudice indivisible. Dans un tel cas, le tribunal se doit d’appliquer la
règle de la solidarité de l’article 1480 C.c.Q. aux deux fautifs puisqu’il est impossible de bien ventiler le
préjudice causé par chacun à la victime.
2. Application
A. En matière contractuelle
4060. En matière contractuelle, le recours à l’article 1480 C.c.Q. peut permettre la condamnation
solidaire de défendeurs liés au demandeur par deux contrats différents, mais
connexes. Ainsi, lorsqu’une
vente d’entreprise échoue en raison du retrait de la banque du financement
préalablement accordé et du refus du vendeur de l’entreprise de fournir ses
états financiers, l’acheteur a la possibilité d’obtenir leur condamnation
solidaire. Dans ce cas, la banque et le vendeur commettent deux fautes pouvant
être assimilées à une faute collective dans la mesure où il est difficile de
départager laquelle a empêché la réalisation de la vente de l’entreprise.
Même s’il s’agit de deux fautes pouvant être qualifiées de distinctes, la condamnation
solidaire des défendeurs ne doit pas être refusée lorsque chacune d’elles peut
être considérée comme la cause du seul et unique préjudice subi.
[Page 1698]
4061. La règle
prévue à l’article 1480 C.c.Q. doit également rencontrer son application
lorsque le demandeur est lié à chacun des défendeurs par un contrat distinct. C’est
le cas lorsque chacune des fautes commises par les défendeurs peut être la
cause du préjudice subi par le demandeur. En effet, il n’est pas nécessaire que
les défendeurs aient le même contrat et qu’ils soient tenus aux mêmes
obligations envers le demandeur pour qu’ils soient tenus solidairement
responsables envers leur contractant, soit le demandeur. Il y a tellement de
situations où une personne peut être liée par des contrats différents à des
contractants, mais que ces derniers commettent des fautes distinctes dans le
cours de l’exécution de leur contrat causant ainsi le même préjudice à cette
personne. Le fait que la responsabilité de chacun des défendeurs puise sa
source d’un contrat différent ne doit pas être un obstacle à l’application de l’article
1480 C.c.Q. pour conclure à une responsabilité in solidum entre les
défendeurs. Il faut arriver à cette conclusion lorsqu’il y a un seul préjudice
causé par les fautes commises par chaque cocontractant ou en cas de plusieurs
préjudices résultant de chacune de ces fautes, il y a alors une impossibilité
pour le demandeur d’établir le lien de causalité entre chaque faute et le
préjudice qui en résulte.
4062. Ainsi, il
arrive que l’acheteur d’un immeuble poursuive dans la même action et pour le
même préjudice deux ou trois défendeurs ayant chacun causé ce préjudice par sa
faute personnelle. L’un est le vendeur lié au demandeur par le contrat de vente
et l’autre est le notaire qui a exécuté le mandat reçu par l’acheteur afin de
vérifier le titre de propriété vendu par le vendeur. Le premier n’a pas
divulgué l’existence d’une servitude, commettant ainsi une faute par son défaut
de remplir son obligation de renseignement alors que le deuxième, le notaire, a
commis une faute dans l’exécution de son contrat de prestation de services en omettant ainsi de vérifier le
registre de l’immeuble et de divulguer à l’acheteur l’existence d’une
servitude. Bien que chacun des défendeurs ait commis une faute distincte dans
le cours de l’exécution de son contrat intervenu avec le demandeur, les deux
peuvent être condamnés solidairement à payer à ce dernier l’indemnité due pour
le seul préjudice causé par les deux fautes commises.
4063. Lorsqu’on est
en présence de deux ou plusieurs débiteurs tenus chacun à une obligation
différente, il faut déterminer la responsabilité respective de chacun pour le
préjudice causé au créancier par le
[Page 1699]
défaut de chacun d’eux
de remplir son obligation. Dans certaines
circonstances particulières, bien que l’objet des obligations assumées
séparément par les défendeurs soit différent, il implique l’exécution d’une
prestation identique, et son exécution par l’un des débiteurs aura pour effet d’éteindre
les obligations des autres débiteurs envers le créancier. Il s’agit d’une
situation qui donne lieu à l’existence simultanée de deux obligations, mais que
l’exécution de l’une d’elles donne lieu à l’extinction de l’autre.
4064. Dans cette situation et en raison de l’inexécution par les différents
débiteurs de leurs obligations respectives, le tribunal pourra conclure à une
responsabilité in solidum afin d’éviter que le créancier ne s’enrichisse
injustement en obtenant deux fois l’indemnité de chacun des défendeurs. C’est
le régime de la solidarité imparfaite qui s’applique aux débiteurs qui sont
tenus à la même dette en vertu d’actes juridiques distincts n’entraînant pas la
solidarité parfaite. Ainsi, par application du régime de responsabilité in
solidum chaque défendeur sera tenu au plein montant, plutôt qu’à une
quote-part, et que le paiement complet par l’un entraîne l’extinction des
droits du créancier à l’égard des autres et ouvre le droit du solvens à
un recours récursoire contre les autres débiteurs.
4065. La responsabilité in solidum doit cependant rencontrer son
application lorsque le demandeur est lié à chacun des défendeurs par un contrat
distinct. Il n’est pas nécessaire que les défendeurs aient le même contrat et
qu’ils soient tous tenus aux mêmes obligations envers le demandeur pour qu’ils
soient tous tenus solidairement responsables envers leur contractant, soit le
demandeur. Il faut arriver à cette conclusion lorsqu’il y a plusieurs fautes commises par chaque cocontractant ayant
causé des préjudices distincts, mais il y a alors une impossibilité pour le
demandeur d’établir le lien de causalité entre chaque faute et le préjudice qui
en résulte.
[Page 1700]
B. En matière extracontractuelle
1) Généralités
4066. En matière
extracontractuelle, deux conditions doivent être réunies pour que l’article
1480 C.c.Q. rencontre son application. Premièrement, cet article ne s’applique
que lorsqu’il est impossible de déterminer l’auteur de la faute ayant causé le
préjudice, que ce soit dans le cas de fautes distinctes ou dans le cas d’un
fait collectif fautif. Cette position
adoptée par la Cour suprême du Canada dans l’affaire Montréal (Ville de) c.
Lonardi respecte le
libellé de cet article, l’économie de la loi, son objet ainsi que l’intention
du législateur. Le demandeur doit ensuite prouver que les défendeurs ont
participé à un fait collectif fautif ayant causé un seul préjudice ou bien que
les défendeurs ont commis des fautes distinctes qui sont susceptibles d’avoir
causé le préjudice subi. Dans le cas du fait
collectif fautif, il faut prouver l’intention commune des défendeurs. Cette
intention peut être tacite et donc elle peut être prouvée par présomption en
faisant la preuve que les défendeurs étaient conscients d’être en train d’accomplir
un fait collectif fautif et qu’ils avaient l’intention d’y participer.
4067. En matière
extracontractuelle, la solidarité existe entre les auteurs des fautes
distinctes ou dans le cas d’un fait collectif fautif, ce qui justifie une
demande d’intervention forcée contre le coauteur du défendeur ou des
défendeurs. Cependant, au stade d’une demande pour permission d’appeler un
tiers en garantie, le demandeur doit en principe démontrer une apparence de
droit d’appeler en garantie ses codébiteurs solidaires, comme le prévoit l’article
1529 C.c.Q. Ce faisant, il exerce un recours récursoire anticipé. Cette
apparence de droit peut se manifester par le lien de droit entre le demandeur
et les tiers appelés en garantie, de même que par le lien de connexité entre l’appel
en garantie et l’action principale. Ainsi, il suffit que le demandeur démontre
par une preuve prima facie que l’action en garantie et l’action
principale ne pourraient être jugées par des tribunaux différents sans risque d’obtenir
des jugements contradictoires.
4068. Il importe de
mentionner que la responsabilité solidaire prévue à l’article 1480 C.c.Q. peut
être parfaite dans bien des cas. Cette
[Page 1701]
disposition donne au
tribunal un pouvoir discrétionnaire lui permettant de déterminer la nature de
la responsabilité solidaire entre les auteurs des dommages lorsque les faits
établis en preuve la justifient. Le tribunal peut aussi conclure à une responsabilité solidaire entre ces derniers
lorsque l’on se trouve devant un état de nécessité né d’une situation de faits
dans laquelle se trouve la victime, et dont la responsabilité est imputable aux
fautes des défendeurs (art. 1523 et 1526 C.c.Q.). Ainsi, lorsque les
comportements reprochés aux deux individus sont indissociables les uns des
autres de par leur nature, la condamnation à prononcer par le tribunal devra
être solidaire même s’il s’agit de fautes extracontractuelles.
4069. Il importe de
noter que l’existence d’une relation contractuelle entre les différentes
parties ne doit pas nécessairement permettre de considérer que les gestes posés
comme étant contractuels. Le juge doit analyser la teneur de ses gestes afin de
déterminer s’ils ont été commis dans le cadre du contrat, ou si, a
contrario, les comportements n’ont aucun lien avec le contrat conclu
précédemment. Quoi qu’il en soit,
lorsque la faute commise par l’un des défendeurs liés au demandeur par un
contrat constitue également une violation d’une obligation légale, le tribunal
peut conclure à une responsabilité solidaire parfaite avec l’autre défendeur
dont la faute constitue seulement une violation de la même obligation légale.
4070. En général,
les tribunaux concluent à la solidarité entre les auteurs des fautes distinctes
même lorsque chacun a causé à la victime un préjudice distinct, mais que
celle-ci se trouve dans l’impossibilité de déterminer leurs parts respectives
dans le préjudice causé et que cette impossibilité est due aux circonstances
dans lesquelles les auteurs du préjudice l’ont mise.
C’est le cas d’un client qui s’est fait installer un système d’alarme et qui se
trouve dans l’impossibilité de déterminer la cause et l’origine du mauvais
fonctionnement de ce système alors qu’en raison de ce mauvais fonctionnement un
vol est survenu dans son établissement. Le client peut alors demander une
condamnation solidaire contre le fabricant des équipements et l’entrepreneur
ayant procédé à leur installation lorsqu’il est dans l’impossibilité de
démontrer lequel des
[Page 1702]
défendeurs était, par
sa faute, à l’origine du mauvais fonctionnement.
De même, lorsqu’une bagarre est déclenchée entre trois individus et une victime
et que cette dernière est incapable d’identifier de façon précise celui qui lui
a porté les coups, les trois individus seront tenus solidairement responsables.
2) Cas particuliers
a) Responsabilité
dans le cadre d’un contrat de travail
4071. Il arrive qu’un employé cause un préjudice à une personne dans l’exercice
de ses fonctions. Dans cette hypothèse, l’employeur peut être solidairement condamné
à réparer le préjudice, même en l’absence d’une preuve démontrant sa négligence
ou son imprudence quant à l’embauche de son employé. En effet, l’article 1463 C.c.Q., établit une présomption de
responsabilité du commettant pour les actes posés par son préposé dans l’exercice
de ses fonctions. A fortiori, une telle responsabilité solidaire sera
retenue lorsque l’acte même répréhensible a été posé dans l’intérêt et au
bénéfice du commettant.
4072. Dans le même ordre d’idées, un employeur pourrait réclamer à son ancien
employé et à une société concurrente des dommages-intérêts pour le non-respect
par le salarié de son obligation de loyauté. L’employeur peut également
soutenir que le salarié a commis une faute en participant au développement d’une
entreprise concurrente, et lui a causé un préjudice. Le même raisonnement s’applique
en matière de concurrence déloyale, lorsqu’une clause de non-concurrence est
incluse dans un contrat de vente d’entreprise ou un contrat de travail. Le
débiteur de l’obligation de non-concurrence peut être poursuivi conjointement
avec le tiers qui est son complice ou qui, en toute connaissance de cause, aide
ce débiteur à contrevenir à son obligation afin de bénéficier directement ou
indirectement des retombées de cette concurrence. Bien que le tiers-complice ne
soit pas lié par cette clause de non-concurrence, il peut être tenu
solidairement responsable avec le débiteur pour toutes les pertes et les
dommages résultant de la violation de la clause de non-concurrence.
4073. L’absence de lien contractuel entre le tiers et le créancier de l’obligation
ne constitue pas un moyen de défense valable à l’action en dommages-intérêts de
ce dernier. Le créancier peut également faire
[Page 1703]
respecter par le
tiers l’obligation de non-concurrence par le biais d’une demande en injonction.
La responsabilité du débiteur est fondée sur le contrat, alors que la responsabilité du tiers-complice découle de l’article 1457 C.c.Q. Il n’est pas nécessaire
de prouver la malice ou la mauvaise foi du tiers pour engager sa responsabilité. Il suffit de démontrer que
malgré sa connaissance de l’existence de la clause de non-concurrence, il a
accepté d’engager le débiteur ou de s’associer à lui en permettant ainsi la
violation de l’obligation contenue dans cette clause.
4074. Il est possible pour une entreprise de poursuivre un employé en
fonction et un ex-employé dans un même recours en diffamation lorsque ces
derniers ont diffusé des propos en ligne séparément mais portant sur le même
sujet. Ainsi, la formulation des critiques visant l’organisation de l’entreprise
dans le but de décourager les gens à travailler pour celle-ci constitue un acte
diffamatoire et répréhensible. Si le tribunal arrive à la conclusion que les
propos diffusés par chacun étaient effectivement diffamatoires et visaient le
même objectif, il pourra condamner solidairement les deux défendeurs à payer à
la partie demanderesse le montant de l’indemnité. Dans le cas où l’employeur
poursuit seulement l’un des auteurs des propos diffamatoires, il pourra en
cours d’instance amender sa demande en dommages-intérêts afin d’ajouter comme
défendeur l’autre auteur. En cas de contestation de la demande relative à l’amendement
par le défendeur poursuivi, celui-ci risque, si sa contestation est maintenue,
de ne plus pouvoir exercer un recours récursoire à l’encontre de son coauteur
pour sa participation aux propos diffamatoires diffusés aussi par ce dernier.
Son opposition à l’amendement visant d’ajouter son coauteur comme défendeur
peut être présumé comme une renonciation à son recours contre son codébiteur
solidaire potentiel.
b) Responsabilité
du propriétaire de l’animal
4075. Le tribunal
pourra également conclure à la responsabilité solidaire du propriétaire de l’animal
et de son usager en cas d’un préjudice causé à un tiers. La responsabilité du
propriétaire demeure envers
[Page 1704]
la victime et sa
qualité de gardien juridique subsiste même si l’animal s’est trouvé sous la
garde matérielle d’une autre personne. Il s’agit cependant d’une responsabilité
in solidum, même lorsqu’il est possible de déterminer la part de
responsabilité de chaque défendeur dans le préjudice causé à la victime. Ainsi,
le tribunal pourrait retenir une plus grande part de responsabilité de l’usager
lorsque ce dernier a décidé d’aller promener l’animal sans en avoir le contrôle
et sans en avertir le propriétaire. Ce dernier ne pourra cependant se libérer
de sa responsabilité envers la victime, même lorsque
le tribunal attribue à l’usager l’entière responsabilité pour le dommage subi
par celle-ci. En un tel cas, il dispose cependant d’un recours subrogatoire
contre l’usager.
4076. Il importe cependant de ne pas confondre le cas de l’usager avec le
tiers qui, par sa faute, provoque l’acte préjudiciable commis par l’animal.
Ainsi, le propriétaire de l’animal et son usager peuvent repousser la
présomption de responsabilité établie par l’article 1466
C.c.Q., même si cette disposition s’applique sans égard à
la faute, en faisant la preuve que le dommage résulte d’une force majeure, de
la faute de la victime ou encore de la faute d’un tiers.
c) Diffamation sur
les réseaux sociaux
4077. L’ère des réseaux sociaux oblige les tribunaux à adapter certaines
règles de droit à ce contexte particulier, mais la portée de l’article 1480 C.c.Q. demeure la même. Les personnes
impliquées dans la diffamation peuvent être solidairement tenues à la
réparation des dommages moraux à condition qu’il soit impossible de distinguer
la faute de chacun dans le fait collectif ou de déterminer la part dans le
préjudice causé par les propos tenus par chaque auteur. Ainsi, il se fera de
plus en plus courant que des usagers propagent sur Facebook des propos
mensongers nuisant à la réputation d’une entreprise et à ses ventes ou encore à
un individu. Ces usagers seront tenus solidairement responsables de l’unique
dommage causé, lorsqu’il s’avère complexe de déterminer quelle est la part de
responsabilité de chaque utilisateur dans le préjudice causé au demandeur bien
qu’ils aient agi chacun à partir d’un compte d’usager personnel et distinct.
4078. Notons également qu’en raison du phénomène des réseaux sociaux, il s’avère
de plus en plus accessible aux usagers de propager des propos diffamatoires
pouvant prendre rapidement de l’ampleur et causer des torts importants à une ou plusieurs personnes ciblées. Dès lors,
[Page 1705]
les tribunaux n’hésitent
pas à dénoncer ces comportements dans leurs jugements en condamnant chacun des
défendeurs à payer des dommages-intérêts punitifs pour sa faute individuelle
dans le but de le dissuader de répéter son geste.
C. En matière d’actions mixtes
4079. Il faut
également conclure à la solidarité parfaite entre les défendeurs lorsque la
faute commise par eux est la même, et cela malgré le fait que cette faute
puisse être qualifiée de contractuelle pour l’un et d’extracontractuelle pour l’autre.
Par exemple, lorsqu’un dol est commis par le représentant ou l’administrateur d’une
compagnie, la victime du dol peut non seulement poursuivre en dommages-intérêts
la compagnie, mais aussi son administrateur qui a engagé sa responsabilité
extracontractuelle comme auteur du dol. La règle prévue à l’article 1458 in
fine C.c.Q., qui interdit au demandeur d’opter entre les règles du régime
de responsabilité civile contractuelle et celles du régime de responsabilité
extracontractuelle, en raison du lien contractuel avec l’un des auteurs des
dommages, ne doit pas être un obstacle à l’existence d’une solidarité parfaite
entre deux défendeurs ayant causé les mêmes dommages, même s’ils sont
poursuivis en vertu des règles des deux régimes de responsabilité civile. D’ailleurs,
certaines corporations, en tant qu’organismes de contrôle et de surveillance de
leurs membres ou filiales, sont tenues à des obligations légales qui visent non
seulement la protection du public, mais aussi celle des clients ayant conclu un
contrat avec ces derniers.
4080. La violation
d’une obligation contractuelle, qui est aussi une obligation légale, peut
constituer une faute qui sera qualifiée de contractuelle pour le membre du réseau
ou le membre de l’association lié au créancier par un contrat, mais qui sera
qualifiée d’extracontractuelle pour l’organisme de contrôle et de surveillance
ayant manqué à son devoir de veiller au respect des dispositions législatives
applicables à ce genre de relation contractuelle. Dans ce cas, bien que la
source de responsabilité soit différente, le fait que la même faute ait été
commise par chacun des défendeurs constitue une violation de la même obligation
imposée par la loi et doit donner lieu à une responsabilité solidaire parfaite
entre ces défendeurs par application de la disposition prévue à l’article 1526
C.c.Q.
4081. Il faut
également bien distinguer la situation où il y a une seule et même faute
commise par les défendeurs de celle où on est en présence de plusieurs fautes
distinctes commises par les défendeurs poursuivis, l’un selon les règles du
régime contractuel de la responsabilité
[Page 1706]
civile et l’autre
selon les règles du régime extracontractuel de la responsabilité civile. Dans ce dernier cas où il y a présence de fautes distinctes commises par deux défendeurs,
l’un lié contractuellement
au demandeur alors que l’autre est lié à ce dernier extracontractuellement, on ne peut pas conclure à une solidarité parfaite, à moins qu’un
seul préjudice ne soit causé par les deux fautes et il est difficile d’établir dans quel
pourcentage chacune des fautes a contribué dans le préjudice subi (article 1480
C.c.Q.).
4082. Dans
certains cas, une réclamation en dommages-intérêts peut être formulée dans une
même action instituée contre plusieurs défendeurs, dont l’un d’eux est lié au
demandeur par un contrat. En principe, rien n’empêche qu’une demande en justice soit dirigée contre l’un des
défendeurs sur le fondement de la responsabilité contractuelle et contre l’autre
sur le fondement de la responsabilité extracontractuelle.
Il en est ainsi en matière de plagiat d’une œuvre; l’action en dommages-intérêts instituée contre les différents
participants à ce plagiat peut ne pas être fondée uniquement sur un contrat
entre l’un des codéfendeurs et le demandeur, mais aussi sur les faits
dommageables susceptibles d’être considérés comme découlant d’une faute
extracontractuelle commune à tous
les défendeurs. C’est le cas aussi d’un
prestataire de services financiers
qui, à la suite de la violation d’une obligation contractuelle, engage sa
responsabilité contractuelle envers son client. Cette responsabilité peut être
solidaire avec celle de son mandataire ou son préposé qui peut également
engager sa responsabilité extracontractuelle envers ce client pour les pertes
résultant de la faute commise dans l’exécution de son mandat ou dans le cadre
de l’exercice de ses fonctions.
4083. Cette
solution, bien que bénéfique pour la victime, crée cependant une situation
juridique quelque peu irrégulière, car une des parties peut voir sa
responsabilité retenue même si elle n’a pas causé de dommages. De la même
façon, bien que seulement l’une des parties cause un dommage, l’autre peut être
tenue de supporter la part de responsabilité du coauteur du dommage en cas d’insolvabilité
de ce dernier.
4084. La doctrine s’est
penchée sur la responsabilité respective des parties en cas de faute
simultanée. Certains auteurs s’y sont
[Page 1707]
opposés et ont préféré appliquer
les principes ordinaires du droit. D’autres
auteurs n’ont pu, par souci d’équité, s’empêcher de voir dans la condamnation
de tous ceux qui sont susceptibles d’avoir commis une faute le seul moyen
possible pour la victime d’un préjudice d’être dédommagée.
Un auteur propose même, non sans une certaine hésitation, que dans l’exemple
ci-dessus, les deux chasseurs aient commis une faute ayant un lien direct avec
le préjudice causé à la victime. Selon ce
raisonnement, un des chasseurs aurait bel et bien causé les blessures en tirant
une balle, tandis que l’autre chasseur, en tirant une balle, aurait empêché la
victime de prouver le lien de causalité entre la faute et le préjudice qu’elle
a subi, acte qui constituerait en soi une faute.
4085. Le
législateur québécois a donc clarifié le rôle des tribunaux par l’adoption de
la règle de l’article 1480 C.c.Q.
Désormais, ils disposent d’une règle écrite pour conclure à la responsabilité
solidaire des personnes participant à un fait collectif fautif entraînant un
seul et unique préjudice. Il en est de même
lorsque plusieurs personnes ayant commis chacune une faute reliée au dommage
par un lien de causalité direct, causent un même préjudice à la victime.
4086. Il importe
de rappeler que la solidarité imparfaite peut être obtenue uniquement lorsque
la victime subit un seul et même préjudice qui découle de la responsabilité de
plusieurs codéfendeurs. Le fait que les obligations des défendeurs puissent s’établir
sous
[Page 1708]
différentes règles n’empêche
pas de conclure à leur responsabilité solidaire, soit en appliquant à chacun
des défendeurs les règles de son régime de responsabilité contractuelle ou
extracontractuelle. Ainsi, même si la responsabilité de chacun des défendeurs
ne puise pas sa source et son fondement du même régime légal, la solidarité
imparfaite pourra tout de même être déclarée afin qu’ils soient tenus ensemble
à réparer le préjudice subi par le demandeur.
La même solution doit être adoptée lorsqu’en présence de plusieurs préjudices,
le demandeur se trouve dans l’impossibilité de faire la preuve qui établit le
lien de causalité entre la faute de chaque défendeur et le préjudice qu’elle a
causé.
4087. C’est le cas aussi lorsque des fautes distinctes et successives ont été
commises par plusieurs personnes et qu’une seule d’entre elles a causé le
préjudice, sans qu’il soit possible pour la victime de déterminer laquelle est
causale. Par exemple, le
contrat d’éducation contient certainement un devoir de sécurité en vertu duquel
les autorités scolaires assurent aux parents et aux enfants que le matériel
fourni et la façon de l’utiliser seront en tout temps sécuritaires. Par
conséquent, la responsabilité des autorités scolaires résultant d’un acte
collectif causant préjudice à un enfant est solidaire.
4088. De même, la responsabilité solidaire peut être retenue à l’encontre de
plusieurs personnes en charge de l’entretien d’un lieu ou d’un bien, lorsque le
manque d’entretien est la cause du préjudice subi par la victime ou par le
créancier. Ainsi, le propriétaire d’un immeuble ou le locataire du bien loué
peut être condamné solidairement avec la municipalité et l’entrepreneur chargé
de l’entretien du sol situé en avant de l’immeuble, à indemniser la victime d’une
chute, résultant du mauvais entretien du trottoir.
Par contre, lorsqu’il est possible de déterminer
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avec certitude le
dommage causé par chaque personne, aucune condamnation solidaire ne peut être
prononcée.
4089. Notons également qu’une responsabilité solidaire sera également retenue
à l’encontre de personnes ayant commis une même faute de façon successive.
Ainsi, peuvent être tenus solidairement responsable les médecins qui ont fait
défaut d’assurer un suivi approprié à une échographie.
4090. Il importe de
souligner que la règle de l’article 1480 C.c.Q. n’a pas pour effet d’établir la
preuve quant à la responsabilité des personnes impliquées, ni de faire présumer
cette responsabilité. Elle permet seulement une fois la preuve établie, d’en
fixer les modalités.
4091. La notion de solidarité est susceptible, dans certains cas, de soulever
des interrogations d’ordre procédural. En effet, doit-on permettre d’appeler en
garantie un tiers à une action en dommages-intérêts, et, dans l’affirmative,
doit-on accorder une suspension d’instance afin de lui permettre d’appeler ce
tiers ? À moins que l’on ne
requière la suspension des procédures, l’appel en garantie ne nécessite aucune
demande d’autorisation. Le débat doit donc porter sur la pertinence de
suspendre l’instance. Le tribunal dispose cependant toujours du pouvoir de
rejeter l’appel en garantie s’il lui paraît manifestement mal fondé.
1) Prescription
4092. Dans le cas d’actions
mixtes fondées à la fois sur la responsabilité contractuelle et extracontractuelle,
le demandeur ne peut invoquer l’article 2900 C.c.Q., qui prévoit l’interruption
du délai de prescription par l’action intentée contre l’un des responsables du
préjudice, et ce, même si les autres débiteurs peuvent aussi être tenus responsables
de la même obligation de réparation. Rappelons que la solidarité ne peut être
parfaite que lorsqu’elle est stipulée expressément, ou prévue par la loi.
Ainsi, le demandeur qui intente un recours en responsabilité civile contre le
médecin traitant ne peut plaider que ce recours a suspendu la prescription à l’égard
de l’hôpital où il a été soigné. Son recours contre l’hôpital pourrait être
prescrit s’il n’avait pas été intenté dans le délai de trois ans de l’événement
préjudiciable,
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puisque la
responsabilité du médecin et de l’hôpital ne serait qu’une responsabilité in
solidum, soit une solidarité imparfaite.
4093. Il est
cependant possible de plaider la suspension de la prescription
dans le cas où les deux défendeurs ont une relation extracontractuelle
avec le demandeur et que ce dernier intente une action contre l’un avant l’autre,
alors qu’ils ont commis une faute commune au sens de l’article 1526 C.c.Q.
Cette disposition prévoit que l’obligation de réparer le préjudice causé à
autrui par la faute commune de deux personnes ou plus est solidaire, lorsque
cette faute est extracontractuelle. Ainsi, la
responsabilité d’un hôpital peut être retenue en cas de faute professionnelle
de ses médecins ou de son personnel à l’occasion de soins procurés à un
patient, s’il ne parvient pas à repousser la présomption de fait existant en
matière de responsabilité médicale et hospitalière. Rappelons à cet effet que
pour repousser cette présomption, l’hôpital doit repousser la présomption
médicale de faute et de responsabilité en démontrant que dans le déroulement
normal du traitement et de l’hospitalisation du demandeur dans son
établissement, on a fait le suivi nécessaire sans aucune négligence et en toute
compétence.
D. En matière de responsabilité sans
faute
4094. On peut se
trouver en présence d’un cas où la situation factuelle ne permet pas de
conclure à un cas visé par l’art. 1480 C.c.Q. en raison de l’absence d’une
faute commise par les coauteurs du préjudice. Pour déterminer le régime
applicable à la situation, il faut chercher si la loi prévoit un régime de
responsabilité particulier, compte tenu du fait que la responsabilité civile
contractuelle ou extracontractuelle trouve son fondement dans la faute. La
question du régime applicable peut être complexe lorsque plusieurs personnes
ont causé un préjudice sans qu’il soit possible de l’attribuer à chacune d’elles
pour une part précise. Le tribunal peut conclure à une responsabilité in
solidum afin d’assurer au demandeur l’obtention d’une indemnité entière
pour le préjudice subi. Une telle solution paraît être adéquate afin d’éviter
le rejet de la demande en dommages-intérêts vu l’impossibilité du demandeur d’établir
la part de chacun des coauteurs dans le préjudice subi.
4095. Le cas des
troubles de voisinage peut être un exemple par excellence de la responsabilité
sans faute, compte tenu du fait que le législateur a codifié, à l’article 976
C.c.Q., la position de la doctrine et de
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la jurisprudence
en matière du droit de propriété en imposant certaines limites à ce droit.
Ainsi, le propriétaire d’un fonds, bien qu’il dispose d’un droit de propriété,
ne peut imposer à ses voisins de supporter des inconvénients anormaux ou
excessifs. Son droit de propriété avec son caractère apparemment absolu ne peut
plus justifier qu’un préjudice excessif soit causé à un voisin, même en l’absence
d’une faute. Le régime de
responsabilité sans faute est fondé sur le caractère excessif des inconvénients
subis par le voisin sans exiger aucune preuve de comportement fautif de la part
du propriétaire ayant causé ces inconvénients.
4096. Il peut survenir que plusieurs personnes causent au même voisin des
inconvénients anormaux et qui excèdent les limites de la tolérance. Il faut s’interroger
sur la nature de leur responsabilité, dans la mesure où elles causent un seul
et même préjudice au même voisin, mais sans commettre de faute à son égard. Il
faut d’abord de souligner que cette responsabilité ne peut être d’une solidarité
parfaite, puisque les articles 1526 et 1480 C.c.Q. exigent
pour qu’il y ait une solidarité parfaite entre les défendeurs, la preuve d’une
faute ou d’un acte collectif. La Cour d’appel
a conclu dans l’affaire Homans c. Gestion Paroi inc. que les auteurs des
troubles devaient être tenus à une solidarité imparfaite en raison du fait qu’ils
ont causé un seul et même préjudice à leur voisin de sorte qu’ils devraient
être tenus à une seule et même obligation.
4097. La responsabilité in solidum produit les effets principaux de la
solidarité parfaite et permettra au créancier de s’adresser à l’un ou l’autre
des coauteurs des troubles pour obtenir l’entièreté de sa créance. Le coauteur
ayant ainsi dû payer l’indemnisation accordée par la Cour, pourra par la suite,
exercer un recours récursoire contre son ou ses coauteurs du préjudice. Cette
solution permet d’avantager le voisin
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créancier, en lui offrant une certaine protection en cas d’insolvabilité
actuelle ou future de l’un des coauteurs, et en lui évitant d’entreprendre plusieurs
recours afin d’obtenir sa compensation.