SECTION II - DE CERTAINS CAS D’EXONÉRATION
DE RESPONSABILITÉ
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SECTION II - CERTAIN CASES OF EXEMPTION FROM LIABILITY
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Art. 1470. Toute personne peut se dégager de sa responsabilité pour le préjudice
causé à autrui si elle prouve que le préjudice résulte d’une force majeure, à
moins qu’elle ne se soit engagée à le réparer.
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Art. 1470.
A person may free himself from his liability for injury caused to another
by proving that the injury results from superior force, unless he has
undertaken to make reparation for it.
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La force majeure est un événement
imprévisible et irrésistible; y est
assimilée la cause étrangère qui présente ces mêmes caractères.
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Superior force is an unforeseeable and irresistible event,
including external causes with the same characteristics.
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C.C.B.-C.
17. (24) Le « cas fortuit » est un événement imprévu causé par une force
majeure à laquelle il était impossible de résister.
1071. Le débiteur est tenu des dommages-intérêts, toutes les fois qu’il ne
justifie pas que l’inexécution de l’obligation provient d’une cause qui ne peut
lui être imputée, encore qu’il n’y ait aucune mauvaise foi de sa part.
1072. Le débiteur
n’est pas tenu de payer les dommages-intérêts lorsque l’inexécution de l’obligation
est causée par cas fortuit ou force majeure, sans aucune faute de sa part, à
moins qu’il ne s’y soit obligé spécialement par le contrat.
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C.c.B.-C. : art. 17, par. 24, 1071 et 1072.
C.c.Q. : art. 876, 1160, 1474, 1562, 1600 al. 2, 1693, 1727, 2029, 2034, 2100 et 2739.
1. Portée
générale de la règle
3764. Cet article est le premier d’une
série édictant les règles relatives à certains cas d’exonération de
responsabilité. Ces cas d’exonération de responsabilité sont parfois légaux,
parfois conventionnels.
3765. Le premier alinéa pose comme principe qu’une personne peut toujours s’exonérer
de la responsabilité qui lui incombe en démontrant que le préjudice causé à
autrui est le résultat d’une force majeure.
3766. La défense de
force majeure s’applique tant en matière extracontractuelle que contractuelle.
Elle sert de moyen de défense aussi bien au débiteur tenu à une obligation de
résultat qu’à celui tenu à une obligation de moyens.
Ainsi, dans le cadre d’un contrat de dépôt à titre onéreux, le dépositaire ne
pourrait dégager de sa responsabilité que s’il prouve la force majeure.
De même, une agence ou un organisateur de voyages ne peut s’exonérer pour le
préjudice subi par le client que si la preuve de la présence d’une force
majeure est faite. La
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personne qui s’engage
à libérer une caution ne peut s’exonérer qu’en prouvant l’existence d’une
force majeure, son insolvabilité ne
constituant pas une cause d’exonération.
3767. Par contre, si une personne s’engage à exécuter une obligation advenant la survenance d’un cas de
force majeure, elle ne peut pas par la suite l’invoquer pour justifier son
refus d’acquitter son obligation et ainsi tirer profit de cette cause d’exonération.
Il s’agit d’une obligation de garantie au terme de laquelle le débiteur assure
le créancier de son exécution en renonçant à invoquer la force majeure. À titre
d’illustration, la compagnie d’assurance qui assure le locataire contre le vol
devra indemniser le locateur-propriétaire du véhicule, à moins de faire la
preuve que le locataire en est l’auteur. De la même
façon, un contractant qui s’engage à indemniser son cocontractant pour les
dépenses supplémentaires encourues par ce dernier advenant un cas de force
majeure sera tenu de respecter son obligation. Ainsi, le ministère de l’Environnement
doit rembourser les frais de transport additionnel engagés par une compagnie
chargée de transporter des déchets dangereux alors qu’une crise a forcé le
transporteur à modifier et à allonger le trajet.
2. Notion
de force majeure
A. Définition et notions
3768. Selon l’article 1470 C.c.Q.,
il faut entendre par force majeure un événement imprévisible par une personne raisonnablement
prudente et diligente placée dans les mêmes circonstances que le débiteur
contractant lors de la formation du contrat. De plus, cette personne
raisonnable ne pouvait s’opposer ou résister à cet événement lors de sa
survenance qui a entraîné une impossibilité absolue d’exécuter l’obligation.
À titre illustratif, afin de s’exonérer, le défendeur ou le débiteur doit
démontrer qu’une personne raisonnable et prudente se trouvant dans les mêmes
circonstances, n’aurait pas été en position d’exécuter, elle non plus, l’obligation
à laquelle il était tenue. Il ne peut
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pas uniquement prouver
que son obligation ne pouvait être remplie à titre individuel et personnel.
3769. Bien que l’article
1470 C.c.Q. ne prévoie pas
expressément le caractère d’extériorité de l’événement, il s’agit d’une
condition essentielle pour emporter la qualification de force majeure, au même
titre que l’imprévisibilité et l’irrésistibilité.
En effet, le débiteur ne peut se libérer de sa responsabilité envers la victime
ou son créancier lorsque l’événement ayant causé le dommage ou l’ayant empêché
d’exécuter son obligation est dû à une faute ou à un acte qui lui est imputable.
3770. Le demandeur
ne peut non plus se libérer lorsque la faute est commise par son mandataire ou
par une personne qui agit sous sa surveillance ou son contrôle. Il serait
injuste de permettre à une personne de bénéficier de l’exonération pour force
majeure en raison de l’erreur commise par son représentant.
3771. Le fait qu’un
événement soit imprévisible et irrésistible ne suffit donc pas à exonérer le
débiteur de sa responsabilité. Ainsi, une municipalité ne peut invoquer les
fortes pluies comme cause d’exonération si elle a omis de faire les
aménagements nécessaires en dépit des avertissements reçus
ou si ses installations étaient insuffisantes.
De la même façon, le locateur ne pourra invoquer la force majeure en
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raison de pluies
torrentielles s’il n’a pas fait installer une soupape de sécurité comme l’imposait
la réglementation municipale.
B. Critères de la force majeure
3772. Pour
réussir dans sa défense fondée sur une cause d’exonération de responsabilité
pour cas de force majeure, le défendeur doit démontrer les conditions d’extériorité,
d’imprévisibilité, d’irrésistibilité et d’impossibilité
absolue d’exécuter l’obligation, telles qu’elles sont
présentement imposées par les tribunaux québécois.
En plus de prouver qu’il n’a pu prévoir la survenance de l’événement, le
défendeur doit aussi prouver qu’il n’a pu l’empêcher. Ainsi une ville qui n’a
pas modifié son plan d’entretien après le bris de tuyaux semblables ne peut
prétendre à la force majeure. De même, le vol d’une
voiture laissée dans un terrain de stationnement sous la surveillance d’un
gardien ne constitue pas automatiquement une force majeure lorsque le gardien
commet une faute pendant sa surveillance. Le débiteur d’une
obligation ne peut pas non plus
invoquer le vol comme cas de force majeure alors qu’il n’a pas adopté les
mesures de sécurité appropriées afin de l’éviter, notamment, l’emploi d’un
gardien, l’installation d’un système d’alarme ou même le recours à des chiens
de garde. Par ailleurs, il
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est reconnu que le vol simple n’est pas une force majeure, à moins que
le débiteur ne prouve que toutes les mesures appropriées ont été prises pour l’éviter.
3773. De la même
façon, l’événement survenu et qui rend l’exécution d’une obligation plus
difficile ou plus onéreuse n’équivaut pas nécessairement à un cas de force
majeure. L’événement ne peut
être une cause d’exonération de responsabilité que lorsqu’il rend absolument
impossible l’exécution de l’obligation par le débiteur. C’est d’ailleurs ce
raisonnement qui a été suivi dans une décision impliquant la société
Hydro-Québec et où cette dernière avait tenté de s’exonérer de toute
responsabilité pour les dommages causés par une interruption de service en
prétextant, entre autres, que de fortes pluies avaient constitué une force
majeure, mais sans pour autant réussir à démontrer ce caractère.
1) Imprévisibilité
3774. Le caractère d’imprévisibilité doit être apprécié non pas au moment où
l’événement est survenu, mais au moment où l’obligation a été contractée par le
débiteur. On utilise le critère
de la personne raisonnable placée au lieu et place du débiteur. Le juge s’interroge
alors afin de tenter de déterminer si l’événement était normalement prévisible
pour une personne placée dans les mêmes circonstances. Ainsi, le contractant « raisonnable » qui aurait pu prévoir la survenance de l’événement ne peut en aucun cas
s’en plaindre, puisqu’il aurait dû prendre toute précaution afin de l’éviter,
ou tout simplement refuser de contracter.
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3775. Un débiteur
ne peut invoquer comme cas de force majeure, la résiliation d’un autre contrat
par un partenaire pour réduire ses obligations envers son créancier puisque ce genre de résiliations survient
régulièrement. Ces résiliations ne constituent donc pas un élément imprévisible.
De même, une personne morale qui a pris des engagements
contractuels ne peut évoquer, comme cause d’exonération,
des événements tels que le changement des dirigeants ou de l’ingénieur en
charge du projet, une rencontre d’ingénieurs,
des délais de nature technique ou juridique, etc. Ces événements sont
normalement prévisibles lors de la conclusion du contrat et le débiteur doit s’attendre
à ce qu’ils surviennent. Conséquemment, toute prétention à l’existence d’un cas
de force majeure doit être rejetée puisqu’elle est présumée avoir accepté d’assumer
ses obligations envers le créancier en toute connaissance de cause.
3776. Les bris de
tuyau d’aqueduc se produisent fréquemment, ce qui ne les rend donc pas
imprévisibles. Une ville, gardienne
du réseau d’égouts et d’évacuation des eaux de pluie, ne s’exonère pas de sa
responsabilité pour le fait des biens dont elle est responsable en invoquant le
caractère exceptionnel d’une pluie. Elle doit plutôt prouver qu’elle n’a commis
aucune faute dans l’exécution de son obligation de gardienne. En effet, en
dépit de leur nature exceptionnelle, les fortes pluies qui causent des dommages
aux résidents d’une ville ne présentent pas un caractère d’imprévisibilité en
raison du climat de la région propice à de tels phénomènes.
De même, un propriétaire ne peut dégager sa responsabilité relativement aux
dommages subis par ses voisins en raison de l’état de son immeuble. Le fait que
ces dommages surviennent après des pluies et des inondations récurrentes ne
permet pas de conclure à un cas de force majeure.
3777. La condition
d’imprévisibilité s’applique aussi à une tempête de neige si elle n’était pas
prévue par les analyses météorologiques. Par contre,
un ouragan ne rencontre pas ce critère
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d’imprévisibilité
lorsque des données météorologiques précises le prévoyaient, et le débiteur
avait suffisamment de temps pour agir en conséquence. Ainsi, à titre d’exemple,
le grossiste en voyages qui maintient le départ des voyageurs malgré les
avertissements des responsables météorologiques sera tenu d’indemniser les vacanciers
pour les frais encourus ainsi que le préjudice, les inconvénients et les
troubles subis.
3778. Le
concessionnaire qui s’engage à vendre une voiture fabriquée en quantité limitée
et qui ne respecte pas les délais prévus dans le contrat pour la livraison ne
peut invoquer la difficulté d’obtenir du fabricant le nombre suffisant de
voitures comme cas de force majeure, car il était prévisible que la voiture
promise ne soit plus disponible. De même, l’application
d’un règlement municipal qui rend exigible l’exécution de travaux par le
propriétaire en vue de rendre un immeuble conforme aux normes de sécurité n’a
rien d’imprévisible. Par contre, la
responsabilité d’une commission scolaire ne peut être retenue dans le cadre d’un
accident survenu lors des cours d’éducation physique si cet événement n’était
en effet pas prévisible. Également, l’annulation
d’une autorisation par une autorité supérieure alors qu’elle avait été
préalablement accordée présente un caractère d’imprévisibilité.
2) Caractère irrésistible
3779. L’événement est « irrésistible » lorsqu’il s’agit d’une force à laquelle une
personne prudente et diligente, placée dans une situation semblable, n’est pas
capable de résister, par exemple une catastrophe naturelle ou une décision
prise par les autorités gouvernementales. En d’autres
termes, toute résistance par le débiteur à l’événement doit être inefficace,
inutile et futile en raison de son caractère irrésistible de sorte qu’il lui
est impossible de manière absolue et permanente d’exécuter l’obligation.
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3780. Rappelons encore une fois que même si l’événement rend l’exécution de l’obligation
plus onéreuse, il ne doit pas automatiquement être assimilé au critère d’irrésistibilité
permettant de conclure à la force majeure. Le caractère
d’irrésistibilité dont il est question ici implique une impossibilité absolue.
3781. Il faut cependant souligner que le débiteur doit adopter une attitude
positive et qui correspond à la situation provoquée par l’événement. Ainsi, un
incident pouvant être valablement qualifié de force majeure peut perdre son
caractère imprévisible et irrésistible lorsque le débiteur ne cherche pas à
minimiser les conséquences qui en résultent. C’est notamment le cas lorsque le
débiteur par son comportement fait preuve d’insouciance ou d’incurie aggravant
ainsi le préjudice. Dans une telle situation, en raison de ses agissements, le
débiteur ne pourra valablement prétendre à une force majeure puisque son
comportement sera assimilable à une omission volontaire,
ce qui rend difficile pour lui, au
moins pour une partie des préjudices, de se prévaloir de la défense de
non-responsabilité pour cause de force majeure puisque l’événement ayant perdu
au moins ou en partie son caractère imprévisible et irrésistible ne répondra
plus aux conditions de validité permettant l’introduction d’une telle défense.
3) Extériorité
3782. L’extériorité signifie que l’événement doit se situer en dehors du
domaine d’activités dont le débiteur est normalement responsable.
Il en est ainsi d’un transporteur qui ne peut se libérer en
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prouvant simplement
que l’accident a été causé par une
défaillance mécanique imprévisible et irrésistible. Pour
qu’elle constitue un cas de force majeure, il faut prouver, en outre, que cette
défaillance résulte d’une cause étrangère présentant elle-même les
caractéristiques de la force majeure. Les prévisions météorologiques peuvent s’apparenter
à l’élément d’extériorité pour une entreprise dans la mesure où elles correspondent pour elle à une circonstance en
dehors de sa volonté comme le prévoit la convention collective. Cependant,
lorsqu’elles servent de base à la décision de mise à pied des salariés, l’employeur
doit prouver l’incompatibilité entre ces prévisions météorologiques et le
travail effectué. Ainsi, la chute de neige qui n’entrave pas la réalisation des
tâches par les employés ne justifie pas leur mise à pied.
3783. Lorsque l’événement
n’est pas extérieur à la volonté du débiteur, même s’il remplit les
caractéristiques d’imprévisibilité et d’irrésistibilité, il ne sera pas
considéré comme une force majeure. Ainsi, le débiteur
négligent dans la manipulation de matières explosives ne peut invoquer la force
majeure si une explosion imprévisible ou irrésistible se produit, car sa faute
en sera la cause réelle. Lorsque le débiteur ne prend pas toutes les mesures
nécessaires pour éviter qu’un dommage se produise et qu’il contribue ainsi à ce
dommage, il ne peut invoquer la force majeure pour se dégager de sa
responsabilité envers le créancier ou la victime. Sa contribution au dommage
par sa faute fait de l’explosion un événement qui ne répond pas au critère d’extériorité.
Il pourra toutefois invoquer une responsabilité partagée.
C. Cas de force majeure
1) Fait de la nature
3784. Une force majeure peut résulter du fait de la nature,
comme un tremblement de terre, une inondation, du gel, une tempête
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de verglas,
de la pluie, une tempête de neige,
des vents violents ou un incendie.
3785. Ces
phénomènes naturels ne sont pas en principe considérés comme des cas de force
majeure, ils ne le deviennent que dans certaines circonstances.
Ainsi, un ouragan peut constituer un cas de force majeure lorsqu’il se produit,
mais ses conséquences qui se prolongent plusieurs années plus tard ne s’interprètent
pas comme une force majeure lorsque le débiteur n’a pas pris les mesures
appropriées pour y mettre fin. Aussi, l’incendie n’est
pas un cas de force majeure lorsque toutes les précautions n’ont pas été prises
afin de l’éviter. Ainsi, l’incendie provoqué par des installations électriques
défectueuses n’exonère pas le propriétaire de l’immeuble.
De même, un incendie dont l’origine est inconnue ne constitue pas en lui-même
un cas de force majeure qui libère le débiteur d’une obligation de résultat dans
le cadre d’un contrat de dépôt. Par contre, un
chevreuil qui se retrouve sur une piste de décollage, malgré la connaissance
des pilotes que des chevreuils sont présents dans la région, a été considéré
comme un cas de
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force majeure compte tenu du fait que de hautes clôtures ont été installées aux
abords de l’aéroport.
3786. On note
aussi qu’en plus de leur degré d’irrésistibilité et d’imprévisibilité, la
récurrence à laquelle se produisent ces phénomènes résultant du fait de la
nature est un élément déterminant quant à la qualification de force majeure.
Il semble que plus la période de récurrence est étendue, plus ces phénomènes
sont qualifiés de force majeure. Ainsi, les pluies torrentielles qui déversent
de 40 à 50
mm d’eau ne constituent pas une force majeure même si
elles se produisent une fois tous les dix ans.
Ne constituent pas non plus une force majeure, des vents, même d’intensité
exceptionnelle, qui se produisent tous les un à cinq ans.
Par contre, des pluies torrentielles qui ne surviennent qu’une fois tous les
cinquante ans exonèrent de sa responsabilité le gardien des biens pour les
dégâts causés par ses biens lorsque la faute qu’il aurait commise, dans le
contexte de conditions exceptionnelles et anormales provoquées par le fait de
la nature, n’aurait rien changé aux dommages subis.
3787. Même si l’événement
de la nature constitue un cas de force majeure, il ne sera pas considéré comme
une cause d’exonération de responsabilité lorsque les dommages subis sont dus à
une faute commise par une personne déterminée. Il en est ainsi lorsque des
pluies torrentielles, même si elles constituaient un événement imprévisible et
irrésistible, ne seraient pas la cause directe des dommages subis parce que l’inondation
a été causée par un refoulement des égouts de la municipalité. Dans
cette hypothèse, la responsabilité du fait des biens prévue à l’article 1465 C.c.Q., résiste à la présence d’une cause
de force majeure.
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2) Fait de l’être humain
3788. La force
majeure peut aussi être le résultat du fait de l’être humain comme la guerre,
l’émeute ou l’état d’urgence déclaré par le gouvernement, le vol,
la grève, l’embargo, etc.
Ainsi, les attentats du 11 septembre 2001 peuvent être considérés comme un cas
de force majeure en raison de leur caractère imprévisible et irrésistible qui
ne relève pas du contrôle ou de la volonté des personnes de droit privé.
Cependant, même s’ils représentent une force majeure, les décisions d’affaires
prises en relation avec ces attentats n’exonèrent pas le débiteur de sa
responsabilité envers le créancier. Ainsi, le transporteur qui retarde le
départ d’une croisière pour accommoder certains clients à la suite des
événements du 11 septembre 2001 ne peut invoquer la force majeure.
3789. Les
tribunaux ont considéré la mort et la maladie comme des cas de force majeure.
Ainsi, on a refusé à un locateur le droit de réclamer aux héritiers du
locataire le remboursement des dépenses encourues en raison de la présence
prolongée du cadavre du locataire dans le logement puisque la mort est un
événement imprévisible dont on ne peut connaître la date et les circonstances à
l’avance. Il en est de
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même lorsqu’un
locataire est, en raison de sa maladie, admis dans un centre d’hébergement et
de soins de longue durée. L’état de santé du locataire et la nécessité de le
soigner ailleurs constituent un cas de force majeure permettant la résiliation
du bail conformément à l’article 1874 C.c.Q..
3790. La maladie d’un
employé peut représenter un cas de force majeure pour l’employeur dans la
mesure où elle l’empêche de remplir une obligation ou d’obtenir les
informations nécessaires à la prise de décisions appropriées.
Néanmoins, lorsque le malade, en dépit de son hospitalisation, peut donner une
procuration à une personne pouvant exécuter l’obligation à sa place, la maladie
ne peut être considérée comme un cas de force majeure.
Une personne ne peut invoquer la maladie comme une circonstance hors de son
contrôle, qui l’aurait empêchée de remplir ses obligations lorsqu’elle n’avait
rien mis en œuvre pour les exécuter. Ainsi, un médecin ne peut prétexter de la
maladie qui l’aurait empêché de se présenter à un examen nécessaire à son
embauche si, pendant plusieurs années, il n’a pas essayé de le passer.
3791. Une crise
économique n’est généralement pas reconnue comme une force majeure par la
jurisprudence, en raison du fait qu’il s’agit d’un événement pouvant dans bien
des cas être prévisible et que les parties peuvent prendre à l’avance des
mesures anticipées pour éviter le préjudice ou atténuer les effets qui en
résultent advenant sa survenance. Par contre, dans certains cas, et compte tenu
des particularités du marché et des relations contractuelles, la crise qui
affecte le marché peut être d’une ampleur inattendue, de sorte que les
conséquences subies dépassent de loin ce qu’une personne raisonnable, prudente
et diligente avait pu prévoir ou envisager lors de la conclusion du contrat. Il
s’agit d’une situation factuelle qui peut être considérée comme un élément de
preuve pertinent. C’est le cas d’un courtier en valeur mobilière, qui n’est
habituellement pas tenu responsable des fluctuations du marché lorsqu’un
courtier raisonnable, prudent et diligent placé dans les mêmes circonstances n’aurait
pu envisager l’étendue ou l’ampleur d’une telle fluctuation. Par contre, la
responsabilité du courtier pourrait être
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retenue s’il commet une
faute qui provoque la réalisation des risques que son client aurait pu éviter
autrement.
3792. Le tribunal appelé à se prononcer sur l’existence d’une cause d’exonération
de responsabilité utilise son pouvoir discrétionnaire. Il procède d’abord à l’appréciation
des faits établis en preuve et, ensuite, à l’interprétation des critères requis
par la loi, à la lumière des faits et des circonstances. Le tribunal peut ainsi
tenir compte, d’une part, des principes de droit civil applicables en matière
contractuelle et, d’autre part, de l’équité et de la justice contractuelle.
a) Le fait du
tiers ou du créancier
3793. Le fait du tiers ou du créancier peut
aussi être assimilé à une force majeure. En effet, l’acte d’un tiers qui
empêche l’exécution de l’obligation par son débiteur peut constituer une force
majeure s’il comporte toutes les mêmes caractéristiques telles que l’imprévisibilité,
l’irrésistibilité, l’extériorité et l’impossibilité absolue d’exécuter.
Ainsi, l’annulation d’une autorisation accordée par une autorité pour l’organisation
d’une activité sociale, culturelle ou sportive est un fait du tiers et
constitue un cas de force majeure. Cette annulation peut être imprévisible
lorsque l’autorisation a déjà été accordée. Elle peut être également
irrésistible lorsque, à cause de l’annulation de l’autorisation,
[Page 1584]
les organisateurs de
l’activité n’ont d’autres choix
que de l’annuler. Le retrait de l’autorisation doit être le résultat d’une décision prise par l’autorité
compétente et extérieure à la volonté des
organisateurs de l’activité. L’entrepreneur paysagé qui
installe une entrée de pierre chez son client en demandant l’avis d’un expert
de la ville pour s’assurer qu’elle soit conforme aux travaux réalisés par la
municipalité ne peut voir sa responsabilité engagée pour les dommages matériels
causés aux pierres par les employés de la ville en raison des mauvaises
indications données à l’entrepreneur paysagé par l’expert.
C’est seulement dans le cas où ces conditions sont réunies que la
responsabilité de ces derniers ne peut être retenue envers leurs clients.
3794. Le
débiteur ne doit donc pas être négligent ou de mauvaise foi, pour être en
mesure d’invoquer le fait du tiers comme cause d’exonération de responsabilité.
Dans le cas contraire, il ne pourrait s’exonérer de sa responsabilité envers le
créancier, même s’il était empêché dans l’exécution de son obligation par le
fait d’un tiers. Chaque cas constitue un cas d’espèce et le tribunal peut, lors
de l’évaluation de la cause d’exonération, tenir compte de l’ensemble des faits
qui portent sur l’événement survenu ou sur l’attitude et la conduite du
débiteur avant et lors de la survenance du fait du tiers. Ainsi, l’avis d’expropriation
émis par une ville et qui empêche l’exécution de la vente à terme d’un immeuble
a été reconnu comme cas de force majeure. De même, un
employeur peut être déchargé du paiement de ses salariés en raison de la
fermeture de ses locaux à la suite d’une condamnation du réseau d’aqueduc
décidée par la municipalité ce qui constitue pour lui un cas de force majeure.
Le branchement défectueux du système de renvoi d’une maison effectué par un
tiers exonère l’installateur d’une lessiveuse des dégâts causés par son
intervention. De même, une
défaillance dans le câblage exonère l’entrepreneur chargé de l’installation d’un
réseau électrique.
3795. La force majeure
peut faire échec à une présomption de responsabilité. Ainsi, une présomption de
responsabilité pèse sur le propriétaire d’un animal en vertu de l’article 1466 C.c.Q..
Ce dernier peut cependant s’exonérer s’il prouve la faute d’un tiers
intervenant dans les faits constitutifs de l’événement dommageable telle que,
par
[Page 1585]
exemple, celle du
gardien de l’enfant. Cette intervention du tiers constitue
pour le propriétaire de l’animal un cas de force majeure.
3796. L’article 1465 C.c.Q. établit une présomption de faute à
l’égard du gardien d’un bien qui peut être renversée par simple preuve d’absence
de faute. Ainsi, constitue une preuve permettant de renverser la présomption de
faute, la présence d’une obstruction dans un système d’égout desservant un
immeuble. Cependant, la preuve doit démontrer aussi que cette obstruction ne
peut être imputée à une faute commise par le propriétaire, ni à celle du
gardien du bien et qu’elle ne peut être envisagée ou découverte par une
personne raisonnable. Il s’agit d’une présomption simple qui ne permet pas de
reprocher au propriétaire ou au gardien du bien d’avoir la responsabilité d’une
situation qui n’est pas prévisible, ni imputable à sa faute.
Ainsi, l’inondation d’un logement qui résulte de la faute d’un tiers à laquelle
le propriétaire n’a pas contribué constitue un cas de force majeure qui
renverse la présomption de faute prévue à l’article 1465 C.c.Q.
3797. Il n’est pas
nécessaire que l’intervention du tiers soit intentionnelle ou faite de mauvaise
foi pour qu’elle soit considérée comme un cas de force majeure. Ainsi, une
intervention non intentionnelle du tiers notamment une bousculade, qui projette
la victime d’une morsure de chien sur l’animal, constitue aussi une force
majeure qui exonère le propriétaire.
3798. L’intervention
du tiers ne peut être assimilée à un cas de force majeure que lorsqu’elle est
la seule cause de l’événement dommageable. Le débiteur ne peut être exonéré de
toute responsabilité qu’en l’absence de faute de sa part. Ainsi, la responsabilité
d’un intermédiaire intervenant dans le cadre de l’organisation de croisière ne
peut pas être retenue lorsqu’en raison d’un surplus de réservations décidé par
le transporteur, sans la moindre implication de l’intermédiaire, les voyageurs
subissent certains dommages. L’acte du transporteur constitue pour ce dernier,
un cas de force majeure. Cependant, lorsque l’agence
de voyages effectue des réservations pour ses clients, le transporteur n’est
pas considéré comme un tiers à son égard. Au contraire, l’agence est
responsable envers ses clients de toutes les conséquences qui résultent d’une
faute commise par le transporteur. Elle peut être ainsi
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tenue d’indemniser ses
clients pour l’annulation du vol en raison du non-acquittement par le
transporteur de ses frais d’atterrissage. Rappelons aussi que l’insolvabilité
du transporteur ne constitue pas une force majeure pouvant être invoquée par l’agence
de voyages pour se dégager de toute responsabilité envers ses clients.
3799. De la même façon,
l’acte du créancier qui rend l’exécution impossible implique que ce dernier en
supporte les conséquences sans qu’il lui soit possible de se plaindre de la
défaillance du débiteur. C’est le cas, par exemple, lorsqu’un immeuble s’effondre
parce que le matériel utilisé était de mauvaise qualité et que l’entrepreneur
chargé de l’exécution des travaux en avait préalablement informé le client
ayant pris à sa charge la fourniture de ce matériel. En effet, l’article 2104
C.c.Q. fait peser sur l’entrepreneur une obligation d’information quant à la
qualité des matériaux utilisés. Il ne peut normalement invoquer l’imposition du
matériel par le client pour s’exonérer, car il devait refuser de réaliser l’ouvrage
avec des matériaux inappropriés. La simple information du client ne suffit pas
à dégager sa responsabilité, seule une acceptation écrite des risques par le
client aurait pu l’exonérer (art. 2119 C.c.Q.).
D. Causes d’exonération
conventionnelles
3800. Il importe d’abord
de noter que la notion de « force majeure », telle que codifiée à l’article
1470 al. 2 C.c.Q., n’est pas d’ordre public et rien n’empêche que l’on puisse y
retrancher ou y ajouter des éléments par une clause à cet effet dans un
contrat. Les parties peuvent donc y déroger et ainsi assouplir les critères de
cette définition en stipulant, par exemple, que certains événements constituent
des causes d’exonération de responsabilité, même si les trois critères ne s’y
trouvent pas réunis. À titre d’illustration, une convention collective peut
prévoir que l’employeur pourra décider de la mise à pied des salariés pour une
durée inférieure à cinq jours en raison de toute circonstance en dehors de la
volonté de la compagnie. Cette clause a pour effet d’étendre l’application de
la cause d’exonération à un plus grand nombre de situations.
Il importe cependant de ne pas confondre le cas où le contrat contient une
clause qui élargit l’application de la notion de cause d’exonération du cas où
il se produit un événement qui remplit les critères prévus à l’article
[Page 1587]
1470 C.c.Q. Dans ce dernier cas, la force majeure peut produire ses effets même si elle n’est
pas prévue par la convention collective. Ainsi, un employeur peut être dispensé
de payer les salariés même si la clause qui garantit le paiement des salaires
ne prévoit pas l’hypothèse de la force majeure.
3801. On retrouve souvent dans les contrats des clauses d’exonération de
responsabilité. À titre d’illustration,
bien que les grèves entamées par les employés d’une entreprise ne soient pas toujours
considérées comme des cas de force majeure par les tribunaux,
elles sont souvent assimilées à une force majeure dans les contrats. Certaines
conditions doivent être remplies afin de rendre valides ces clauses d’exonération.
3802. Premièrement, elles doivent avoir été négociées (art. 1475 C.c.Q.) ou portées à la connaissance de
celui contre qui on veut les invoquer. Ainsi, l’avis
d’exclusion de la responsabilité pour vol dans les vestiaires d’un restaurateur
doit être porté à la connaissance de la clientèle.
La connaissance de cette clause ne se présume pas et doit être prouvée. D’ailleurs,
la clause d’exonération devient opposable une fois lue et acceptée par le
contractant bénéficiaire d’une obligation. Le débiteur qui veut invoquer cette
clause d’exonération doit être de bonne foi. Il ne doit donc pas avoir commis
de faute lourde ou intentionnelle (art. 1474 C.c.Q.). Ainsi, une clause qui
limite la responsabilité pour des dommages matériels est valide lorsque le
débiteur n’a commis qu’une faute simple ou légère.
Toutefois, en vertu de la Loi sur la protection du consommateur, le
débiteur d’une obligation de résultat ne pourra nuancer sa responsabilité au
moyen d’une clause limitative de responsabilité.
3803. Par ailleurs,
une clause qui limite la responsabilité du débiteur pour des dommages corporels
ou moraux qu’il causerait dans l’exécution de son obligation est nulle et sans
effet. Cette clause est jugée
[Page 1588]
illégale (art. 1474 al. 2 C.c.Q.) et ne libère pas le débiteur même s’il
n’a pas commis de faute lourde ou intentionnelle.
3. Preuve
de la force majeure
3804. Le fardeau de la preuve de la force majeure repose sur le débiteur
qui doit démontrer non seulement l’existence d’une cause qui l’a empêché d’exécuter
son obligation, mais aussi que cette cause remplit tous les critères énoncés à
l’article 1470 al. 2 C.c.Q., notamment qu’elle est l’unique cause des dommages
subis. Il ne peut donc se
contenter de l’invoquer, mais il doit aussi établir en preuve des éléments qui
rencontrent les critères de la force majeure. En l’absence d’une telle preuve,
l’événement invoqué ne peut l’exonérer de sa responsabilité.
Tel est le cas, d’un vendeur de véhicules qui souhaite bénéficier de l’effet de
la force majeure en vue de repousser sa responsabilité pour le retard lors de
la livraison du véhicule alors qu’il ne présente pas la preuve de tous les
éléments requis pour démontrer l’existence d’une force majeure.
3805. Dans le cas
des contrats portant sur des travaux spécialisés, le débiteur qui prétend que l’élément
ayant causé les dommages est imputable à une faute commise par un autre
intervenant doit, de plus, faire la preuve que ce dernier n’a pas respecté les
règles de l’art lors de l’exécution de ses travaux et qu’un tel défaut ne lui
était pas connu lors de l’exécution de ses travaux ou que le tiers est
intervenu après cette exécution. Dans le même ordre d’idées,
la preuve apportée par le propriétaire d’un immeuble dont la membrane
recouvrant le toit s’est effondrée sur le toit du voisin en raison du vent est
insuffisante s’il se limite à fournir la vitesse maximale du vent sans
démontrer le caractère imprévisible et irrésistible de ce vent. La preuve est
également insuffisante si le propriétaire n’établit aucune preuve quant à la
résistance de la
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membrane du toit au
vent ni la norme de résistance prévue par le Code du bâtiment.
3806. Le
débiteur doit également faire la preuve que le créancier n’aurait pu bénéficier
de cette exécution en raison de la force majeure. Si l’une ou l’autre de ces
deux conditions n’est pas rencontrée, le débiteur assume la responsabilité
découlant de l’inexécution de son obligation et, par conséquent, il doit
réparer le dommage causé au créancier.
3807. Enfin,
même si le fardeau de preuve est fort exigeant, il appartient au juge du procès
qui dispose d’un grand pouvoir d’apprécier les faits afin de déterminer l’imprévisibilité
et l’irrésistibilité d’un événement. L’attribution à l’événement des caractères
imprévisible et irrésistible est une question de fait que la Cour d’appel ne
peut substituer à son interprétation, ni intervenir en l’absence d’une
démonstration par l’appelant d’une erreur manifeste et dominante dans l’appréciation
des faits.
4. Effets
de la force majeure
3808. La survenance d’une force majeure entraîne principalement deux effets.
Premièrement, elle permet au débiteur de s’exonérer de toute responsabilité
pour l’inexécution de l’obligation. Cette exonération peut profiter au
fabricant, du distributeur ou du fournisseur d’un bien affecté d’un défaut de
sécurité qui réussit à démontrer que le préjudice résulte d’une force majeure.
Celle-ci a donc pour effet, en principe, de relever le débiteur de son
obligation. Deuxièmement,
certains cas de force majeure ont seulement comme effet de retarder l’exécution
de l’obligation, le débiteur demeurant alors toujours lié par celle-ci. Il est
donc important de faire une distinction entre une impossibilité temporaire et
une impossibilité définitive et absolue d’exécution d’une obligation. L’impossibilité temporaire suspend
l’exécution de l’obligation et libère le débiteur de sa responsabilité face au
retard dans l’exécution, mais non quant à l’exécution de l’obligation. Une fois
que l’événement prend fin, le débiteur doit donc reprendre l’exécution de l’obligation.
Dans ces cas, la force majeure a un effet suspensif et justifie le retard dans
l’exécution de l’obligation sans qu’il soit possible d’exiger des
[Page 1590]
dommages-intérêts à cause de ce retard. De son côté, l’impossibilité définitive et absolue équivaut à une force
majeure et libère complètement le débiteur de l’exécution de l’obligation (art.
1693 C.c.Q.).
3809. Il existe cependant deux exceptions. Premièrement, si le débiteur de l’obligation
s’était engagé de façon conventionnelle à assumer les risques ou pertes en cas
de force majeure, il ne pourra pas par la suite invoquer la cause d’exonération
de l’article 1470 C.c.Q.. Deuxièmement, si la
force majeure survient alors que le débiteur est en demeure d’exécuter son
obligation, il ne sera pas libéré de son obligation (art. 1562, 1600 al. 2 et
1693 C.c.Q.). Le créancier pourra alors réclamer l’exécution en nature de son
obligation ou, si celle-ci est rendue impossible, l’exécution par équivalence. Cette
exception est aussi sujette à une exception. En effet, l’article 1693 C.c.Q.
indique que le débiteur sera libéré, bien qu’en demeure d’exécuter son
obligation, s’il prouve que le créancier n’aurait pu, de toute façon,
bénéficier de l’exécution de l’obligation en raison de cette force majeure.
3810. La force
majeure ne libère pas le débiteur de toute responsabilité envers le créancier,
à moins qu’il ne soit de bonne foi ou en l’absence de toute faute commise de sa
part. Lorsque le débiteur est de mauvaise foi ou lorsqu’il a, par sa faute,
contribué aux dommages subis par le créancier ou rendu l’exécution de l’obligation
impossible de façon définitive ou absolue, il ne sera pas libéré de son
obligation.
3811. Enfin, rappelons que le débiteur libéré de son obligation pour force
majeure ne peut, selon l’article 1694 C.c.Q., exiger l’exécution de l’obligation
corrélative du créancier. Si ce dernier a exécuté son obligation,
le débiteur doit restituer en nature le bien ou la somme d’argent
qu’il a déjà perçue. Par contre, le débiteur qui a exécuté son obligation en
partie avant la survenance de la force majeure peut exiger du créancier d’exécuter
la sienne jusqu’à concurrence de son enrichissement.
5. La
théorie de l’imprévision
3812. La force majeure constitue un moyen de se dégager de la responsabilité
en cas d’événement imprévisible, irrésistible et hors du contrôle du débiteur.
Il s’agit d’un moyen exceptionnel, dont le fardeau
[Page 1591]
de preuve est lourd
pour ce dernier. Mais qu’advient-il lorsqu’un événement imprévisible et
étranger aux parties modifie l’économie du contrat et provoque un déséquilibre
dans les relations contractuelles de sorte que l’étendue des obligations du
débiteur devient plus imposante que prévu, sans pour autant l’empêcher
totalement de les exécuter ?
3813. La théorie de l’imprévision n’était pas reconnue dans l’ancien Code
civil du Bas-Canada et la jurisprudence a toujours refusé d’intervenir pour
imprévision par crainte de mettre en question la stabilité contractuelle. Lors
de la réforme du Code civil, le législateur n’a pas retenu la recommandation de
l’office de révision du Code civil d’introduire une règle générale permettant
au tribunal de réviser le contrat lorsque, à la suite des changements et des
circonstances survenus après sa conclusion, un déséquilibre dans le rapport
contractuel s’installe alors que les parties n’arrivent pas à le régler à l’amiable.
Le législateur a accepté cependant dans des cas particuliers, notamment en
matière de donation avec charge d’autoriser le donataire de révoquer son acceptation ou de demander à la Cour de
modifier sa charge lorsqu’elle est devenue impossible ou trop onéreuse en
raison des circonstances imprévisibles lors de son acceptation.
3814. La jurisprudence récente maintient la position qui rejette systématiquement
la théorie de l’imprévision. Elle confirme sans
équivoque que cette théorie n’existe pas en droit québécois en s’appuyant,
notamment sur une décision de la Cour d’appel H. Cardinal construction inc. c.
Dollard-des-Ormeaux (Ville de). Ainsi, les parties à un contrat qui souhaitent se protéger
contre des situations possibles dans
le futur doivent alors prévoir une clause expresse à cet effet dans leur
contrat.
3815. Dès lors, on peut se demander si la règle de la bonne foi et le
principe d’équité et de justice contractuelle ne peuvent constituer une base
juridique permettant à la Cour d’accueillir une demande de révision du contrat
à la suite d’un changement majeur survenu après sa conclusion. Cette question
devient de plus en plus sérieuse et il est temps de s’y pencher afin d’élaborer
des critères et d’établir des conditions
[Page 1592]
applicables lorsqu’on
se trouve en présence d’un cas
exceptionnel qui nécessite la révision de certaines clauses contractuelles
devenues une source d’injustice évidente. Il importe
toutefois de souligner qu’une telle exception, en cas de son acceptation, doit
être appliquée de façon restreinte afin de ne pas permettre à un contractant de
se soustraire à ses obligations dès la survenance d’un changement.
3816. Cette réflexion a déjà été entamée depuis certaines années en droit
français. La Cour d’appel française de Colmar,
par une décision rendue le 12 juin
2001, a rejeté l’action basée sur
la théorie de l’imprévision en motivant sa décision par le fait que le débiteur
ne peut se soustraire à ses obligations au simple motif qu’il n’est pas
responsable de l’inexécution de son contrat. Faisant référence à la Convention
de Vienne et au droit suisse, la Cour d’appel française souligne que le
champ d’application de l’imprévision est très restreint, qui selon elle ne
recouvre en fait que celui de la force majeure. Par contre, la Cour de
cassation, par un arrêt rendu le 1er juillet 2010, laisse entendre
que la théorie de l’imprévision devait être consacrée par la jurisprudence de
la Cour de cassation et permettre aux juges de déclarer un contrat caduc en cas
d’un changement de circonstances intervenu après la conclusion du contrat. Ce
changement étant indépendant de la volonté des parties, la révision du contrat
par le juge est justifiée.
3817. Tel que précédemment mentionné dans cet ouvrage, à l’article 1439,
contrairement au législateur québécois, le législateur français a quant à lui
adopté certaines dispositions permettant aux tribunaux français d’intervenir dans
le but de trouver une solution afin de remédier et de pallier aux changements
survenus à la suite de la conclusion d’un contrat. Par exemple, le législateur
français a notamment adopté l’article 1195 du Code civil français. Cet article, qui est entré en vigueur le
1er octobre 2016, énonce
ce qui suit :
3818. « Si un
changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat rend
l’exécution excessivement onéreuse pour une partie qui n’avait pas accepté d’en
assumer le risque, celle-ci peut demander une renégociation du contrat à son
cocontractant. Elle continue à exécuter ses obligations durant la renégociation
3819. « En cas de refus ou d’échec de la renégociation, les parties peuvent
convenir de la résolution du contrat, à la date et aux conditions qu’elles
déterminent, ou demander d’un commun accord au juge de procéder à son
adaptation. À défaut d’accord dans un délai raisonnable, le
[Page 1593]
juge peut, à la demande
d’une partie, réviser le contrat ou y mettre fin, à la date et aux conditions
qu’il fixe ».
3820. Il importe
toutefois de préciser que la disposition de l’article 1195 adoptée par le
législateur français impose en premier temps, trois conditions qui justifient
la renégociation du contrat par les cocontractants. La première condition est
relative au caractère du changement des circonstances qui doit être
imprévisible lors de la conclusion du contrat. Quant à la deuxième condition,
il faut que ces changements rendent l’exécution du contrat excessivement
onéreuse pour l’une des parties, sans qu’il soit nécessaire que cette exécution
devienne impossible. Quant à la
troisième condition, l’exécution devenue excessivement onéreuse doit être à la
charge d’une partie contractante qui n’avait pas accepté d’en assumer le
risque. Par cette dernière condition, le législateur français a voulu empêcher
la partie, pour qui le contrat englobe des risques inhérents à son exécution qu’elle
avait acceptés dès le départ et lors de sa conclusion, de pouvoir demander la
réouverture des négociations. Autrement dit, par cette nouvelle disposition, on
cherche seulement à permettre à une partie contractante de se prévaloir du
droit à la renégociation du contrat lorsque celle-ci n’avait assumé aucun
risque quant à l’éventuel changement des circonstances.
3821. La nouvelle
disposition de droit français représente un changement important et offre
différentes options aux parties contractantes qui doivent, en premier temps,
renégocier leur contrat afin de trouver la réadaptation nécessaire qui convient
aux deux parties. Ce n’est qu’advenant l’échec d’une telle renégociation que l’une
des parties pourra s’adresser à la Cour en lui demandant de réviser le contrat
ou d’y mettre fin. Dans tous les cas, elle exige que l’exécution du contrat continue pendant le processus de renégociation
et même après la demande soumise à la Cour pour obtenir la réadaptation du
contrat ou pour y mettre fin.
3822. De son côté,
la doctrine québécoise invite les tribunaux à
s’ouvrir à l’idée d’une intervention judiciaire, car il est temps d’appliquer
le principe de la stabilité contractuelle avec une certaine souplesse pour le
faire souffrir d’une exception dans des cas particuliers, lorsque la règle de
bonne foi et d’équité l’exige à la suite des changements majeurs dans les
conditions relatives à l’exécution du contrat. Les circonstances particulières
doivent, d’une part, être imprévisibles pour une personne raisonnable, prudente
et diligente lors de la conclusion du contrat et, d’autre part, provoquer d’importants
changements créant
[Page 1594]
un bris dans l’équilibre
économique du contrat tel qu’il a été négocié et convenu au départ par les
parties. Ces circonstances et changements particuliers ne doivent cependant pas
être les conséquences d’une faute imputable à la partie qui demande la révision
ou l’adaptation du contrat. En d’autres termes, la nouvelle situation factuelle
doit remplir les deux premières conditions requises pour que l’on soit en
présence d’un cas de force majeure, soit l’imprévisibilité et l’extériorité des
changements à la volonté des parties, à l’exception de la troisième condition
relative à l’impossibilité d’exécution du contrat par le débiteur.
3823. La règle de
bonne foi et les principes de l’équité et de la justice contractuelle tels que
conçus dans le Code civil du Québec, doivent être considérés comme des
assises juridiques à l’admission de l’imprévision dans des cas exceptionnels. C’est
le cas lorsque l’exécution du contrat par le débiteur, qui n’est pas
responsable du changement, devient excessivement coûteuse, à tel point que, s’il
était forcé à remplir ses obligations, il pourrait mettre en péril sa situation
financière. Cette application devient nécessaire lorsque le débiteur est
confronté à une situation où il doit choisir entre deux risques, soit l’exécution
du contrat avec perte considérable ou le refus avec la possibilité d’engager sa
responsabilité, ce qui aboutirait au même résultat. Il faut admettre que
certains changements dans les conditions relatives à l’exécution du contrat
après sa conclusion peuvent être d’une certaine importance de sorte que les
objectifs communs, tels que conçus lors de cette conclusion, ne peuvent plus se
réaliser ou seront réalisés au détriment d’une partie. Comme l’ont exprimé des
auteurs, le refus d’appliquer
l’imprévision peut donner lieu à une situation d’enrichissement injustifié
alors qu’en raison du contrat, les règles applicables en cette matière n’offrent
pas une solution puisque la partie enrichie pourra invoquer le contrat comme
cause justifiant son enrichissement. L’exemple par excellence sera un contrat d’approvisionnement
à durée déterminée où les parties ont fixé le prix de fourniture des produits
sans introduire dans leur contrat une clause de révision du prix advenant un
changement dans les conditions du marché, notamment une augmentation
considérable du prix.
3824. La bonne foi
oblige les parties à renégocier leur contrat en cas de changements majeurs
rendant l’exécution du contrat par l’une d’elles excessivement coûteuse, à tel
point que la solvabilité de celle-ci sera remise en question. Le refus du
créancier de négocier avec son partenaire l’adaptation ou la révision de leur
entente pour tenir compte
[Page 1595]
des changements
survenus depuis sa conclusion, pourrait constituer une conduite allant à l’encontre
des exigences de bonne foi et par conséquent un exercice déraisonnable de son
droit de se prévaloir du principe de la force obligatoire du contrat et de sa
stabilité.
3825. Le refus, de
la part d’une partie contractante, de renégocier avec son partenaire les
modifications à apporter au contrat à la suite des changements importants et
imprévisibles survenus après sa conclusion, dénote un manquement à l’obligation de collaboration, de coopération et
de loyauté à laquelle est tenu tout contractant durant l’exécution du contrat.
Rappelons que l’obligation de collaboration, de coopération et de loyauté
découle de la règle de bonne foi prévue à l’article 1375 C.c.Q. Même les
dispositions prévues aux articles 6 et 7 C.c.Q. ne permettent pas à un
contractant l’exercice de son droit d’obtenir l’exécution du contrat lorsque
cet exercice apparaît déraisonnable, allant à l’encontre des exigences de bonne
foi. Par contre, lorsque le partenaire du débiteur refuse une renégociation du
contrat, mais propose d’autres alternatives telles que la résiliation ou la
résolution du contrat, sa bonne foi peut être difficilement mise en question.
Toute demande d’exécution d’un contrat tel que convenu lors de sa conclusion,
malgré le changement majeur sans la moindre ouverture à la révision ou à la
modification, constitue une conduite pouvant être considérée déraisonnable et
contraire aux exigences de bonne
foi.
3826. Enfin, en
attendant que le législateur adopte des nouvelles dispositions pour remédier à
certaines lacunes dans le Code civil du Québec, les tribunaux sont
appelés à élaborer certains critères inspirés du concept de bonne foi et du
principe d’équité et de justice contractuelle afin d’imposer une solution
lorsque l’équilibre contractuel est rompu à la suite d’un changement
imprévisible dans les circonstances et les conditions relatives à l’exécution du contrat.
3827. En effet, il
est légitime de se questionner à savoir si la notion de bonne foi peut avoir
pour effet de contraindre les parties à renégocier leur contrat lorsque des
changements majeurs rendent l’exécution du contrat pour l’une d’elles
excessivement coûteuse à tel point que la solvabilité de celle-ci pourrait être
remise en question. Il est permis de croire que le refus du créancier de
renégocier avec son partenaire l’adaptation de leur entente ou de la réviser
pour tenir compte des changements survenus depuis sa conclusion, pourrait
constituer une conduite allant à l’encontre des exigences de bonne foi, et par
conséquent, un exercice déraisonnable de son droit de se prévaloir du principe
de la stabilité et de la non-modification du contrat.
[Page 1596]
3828. La Cour
suprême s’est prononcée récemment sur cette question dans la décision Churchill
Falls (Labrador) Corp. c. Hydro-Québec.
Dans cette affaire, la Cour a refusé de contraindre Hydro-Québec à
renégocier son contrat avec Churchill Falls (Labrador) Corp. en se basant sur
le principe de la force obligatoire du contrat et de l’autonomie de la volonté
des parties. En effet, selon la Cour, l’obligation de bonne foi et de
collaboration n’impose pas à une partie à un contrat de sacrifier ses intérêts
personnels afin de partager équitablement avec son cocontractant les profits
qui découlent de leur contrat. La Cour n’exclut cependant pas totalement la
possibilité d’utiliser le principe de bonne foi afin de forcer une partie à
modifier son contrat dans certaines circonstances, notamment un changement
important, mais imprévisible dans certaines conditions d’exécution. Dans ce
cas, le refus catégorique de modifier le contrat constitue un comportement
déraisonnable au regard des circonstances. Ainsi, le devoir de collaboration
pourrait exiger d’une partie qu’elle agisse de manière proactive dans le but d’accommoder
les intérêts légitimes de son cocontractant.