Art. 1437. La clause abusive d’un contrat de consommation ou d’adhésion est
nulle ou l’obligation qui en découle, réductible.
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Art. 1437. An abusive clause in a consumer
contract or contract of adhesion is null, or the obligation arising from it
may be reduced.
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Est abusive toute clause qui désavantage
le consommateur ou l’adhérent d’une manière excessive et déraisonnable,
allant ainsi à l’encontre de ce qu’exige la bonne foi; est abusive,
notamment, la clause si éloignée des obligations essentielles qui découlent
des règles gouvernant habituellement le contrat qu’elle dénature celui-ci.
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An abusive clause is a clause which is
excessively and unreasonably detrimental to the consumer or the adhering
party and is therefore contrary to the requirements of good faith; in
particular, a clause which so departs from the fundamental obligations
arising from the rules normally governing the contract that it changes the
nature of the contract is an abusive clause.
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O.R.C.C. (L. V, DES OBLIGATIONS)
76. La
clause abusive d’un contrat est annulable ou réductible.
C.c.Q. : art. 1379, 1384 et 1623.
Loi sur l’application de la réforme du
Code civil : art.
82.
1. Généralités
2218. Le
consentement donné par une personne à un contrat d’adhésion comporte des
risques évidents, qu’il soit un simple consommateur ou une personne ayant déjà
une expérience dans le domaine contractuel. Ces risques
consistent dans le fait que ce type de contrat contient bien souvent des
clauses déraisonnables et abusives qui favorisent l’intérêt de la partie qui l’impose
au détriment de l’intérêt de l’adhérent. En fait, le contractant en position de
force cherche souvent à inclure dans le contrat des stipulations qui lui
procurent des avantages excessifs et sans le moindre équilibre avec ce qui est
prévu en termes de droits ou de protections pour l’autre partie qui se trouve
dans une position de faiblesse.
2219. C’est en
réponse à cette nouvelle réalité que le législateur a introduit dans le Code
civil du Québec des nouvelles dispositions visant
[Page 911]
à réprimer l’usage des clauses abusives dans les contrats d’adhésion
et de consommation. Par ces dispositions, il a voulu tempérer le principe de la liberté contractuelle tel que conçu et connu sous le règne
de l’ancien Code civil du Bas-Canada. Pour
pouvoir rétablir l’équité et la
justice contractuelle, il fallait donc donner aux tribunaux un large pouvoir
leur permettant d’annuler les clauses abusives ou de réviser
les clauses déraisonnables incluses dans ces contrats imposés par l’une des parties à l’autre. Ainsi, par l’adoption
de l’article 1437 C.c.Q., le
tribunal peut intervenir afin de résoudre un problème moral et d’injustice
contractuelle résultant d’une exploitation inappropriée par l’une des parties
du principe de la liberté contractuelle. Désormais, il est incontestable que
les tribunaux ont la possibilité d’intervenir directement au niveau du contrôle
des clauses abusives.
2220. Cet article s’inspire
en outre de certaines dispositions législatives édictées afin de contrer l’exploitation
par l’une des parties contractantes de l’autre en raison de son inexpérience ou
de sa position de faiblesse dans les négociations. La règle de l’article 1437
C.c.Q. est d’autant plus justifiée lorsque l’on considère que ces clauses sont
souvent rédigées par un cocontractant en position de supériorité et sans qu’il
soit possible pour l’autre contractant d’en négocier le contenu. Il est donc
normal que le cocontractant qui a rédigé la clause déraisonnable ou abusive, supporte les conséquences de son abus.
2221. Les
tribunaux ont donc un rôle important à jouer afin de s’attaquer à ce problème d’injustice
contractuelle en annulant certaines clauses jugées abusives ou en réduisant l’obligation
qui en découle. En effet, l’article 1437 C.c.Q. est une disposition permettant
au tribunal de déclarer nulle ou de réduire l’obligation découlant de toute
clause déraisonnable ou abusive contenue dans un contrat d’adhésion ou de
consommation. Cependant, il ne
suffit pas que l’on soit en présence d’un contrat d’adhésion ou de consommation
pour que cette règle s’applique à la clause contestée. Celle-ci doit aussi
remplir certaines conditions qu’il importe d’examiner de façon plus
approfondie.
2222. Enfin, il
convient de rappeler que la règle prévue à l’article 1437
C.c.Q. ne vise pas la nullité d’un contrat qualifié d’adhésion
mais
[Page 912]
seulement celle des
clauses abusives qui y sont incluses. Ainsi, le contrat ne sera pas annulé en
entier à moins que les clauses en question ne soient indivisibles du reste du
contrat, tel que le prévoit l’article 1438 C.c.Q. Cela dit, le Tribunal ne doit pas donner à l’article 1379 C.c.Q. une interprétation restrictive
puisque cet article n’affecte en rien la validité du contrat ni les clauses qui
y sont contenues. Il donne seulement lieu à l’application de la disposition de
l’article 1437 C.c.Q. qui permet au tribunal de réduire les obligations prévues dans une clause déraisonnable ou d’annuler
celle-ci lorsque la preuve démontre son caractère abusif.
2. Conditions
d’application
2223. Lorsque le
tribunal est saisi d’une demande en nullité ou en réduction des obligations en
vertu de l’article 1437 C.c.Q., il
doit d’abord décider si le contrat est d’adhésion et ensuite si la clause que l’on
cherche à annuler est abusive. Si le tribunal constate lors de son appréciation
qu’il y a un doute sur le caractère abusif de la clause ou sur sa portée, il
doit dans ce cas appliquer les principes prévus aux articles 1425 et 1427 C.c.Q.. En effet, lorsque la
portée de la clause et des obligations qui en découlent ne soulèvent qu’un
doute apparent quant à leur caractère excessif et déraisonnable, le tribunal
doit faire application des règles applicables en matière d’interprétation des
contrats, qui doivent avoir préséance sur l’article 1437 C.c.Q.
2224. La demande
en nullité d’une clause que l’un des contractants qualifie d’abusive doit être
rejetée lorsque son caractère excessif n’est pas établi par une preuve
prépondérante. En décider autrement
reviendrait à dénaturer le contrat, et à contrevenir aux règles d’interprétation.
Pour que le tribunal puisse exercer son pouvoir discrétionnaire conformément à
l’article 1437 C.c.Q., le caractère excessif et déraisonnable de la clause doit
être certain et évident. Un doute apparent ne pourrait justifier l’intervention
du tribunal.
[Page 913]
A. La nécessité d’être en présence
d’un contrat d’adhésion ou de consommation
2225. La notion
de contrat d’adhésion ou de consommation revêt une importance particulière, car
la règle prévue à l’article 1437 C.c.Q.
ne rencontre son application que dans les cas où l’on est en présence d’un
contrat d’adhésion ou de consommation. L’importance de déterminer la nature du
contrat en question et sa qualification s’avère donc essentielle puisque la
protection prévue par cette règle ne s’applique pas si le contrat est un
contrat négocié de gré à gré. On voit donc l’importance que l’on doit apporter
à cette qualification.
2226. Par
ailleurs, qu’en est-il des contrats conclus entre particuliers ? Il semble que cette question soulève une
controverse au sein de la doctrine. Certains estiment que si le contrat entre
deux particuliers répond aux critères du contrat d’adhésion, la protection de l’article
1437 C.c.Q. devrait alors s’appliquer afin d’assurer la sanction de la
violation du principe de la bonne foi et de l’équité dans les contrats. D’autres
auteurs pensent plutôt que cet
article ne devrait pas recevoir application lorsqu’il est question d’un contrat intervenu entre particuliers en
raison de l’absence d’inégalité entre les deux parties. Il nous semble que
cette règle de protection en matière de clauses abusives s’applique dans la
mesure où le tribunal qualifie le contrat en question d’adhésion, peu importe
que l’un des contractants ayant imposé sa volonté soit une personne morale ou
physique. Dès lors, si la clause que l’on cherche à annuler ou dont on cherche
à réduire l’obligation qui en découle remplit aussi les conditions propres à l’article
1437 C.c.Q., la règle prévue à cette disposition doit recevoir application.
2227. Les contrats
d’adhésion et de consommation sont respectivement définis par le législateur
aux articles 1379 C.c.Q. et 1384 C.c.Q. Le législateur ne s’est pas limité
à définir le contrat d’adhésion, mais il a également établi les conditions
devant essentiellement être remplies pour que l’on puisse qualifier le contrat
en question d’un contrat d’adhésion. La disposition prévue à l’article 1437
C.c.Q. exige pour son
[Page 914]
application que l’on
soit en présence d’un contrat d’adhésion ou de consommation. Il appartient donc
au contractant qui demande la nullité d’une clause contractuelle ou la
réduction de l’obligation qui en découle de faire d’abord la preuve que cette
clause se trouve dans un contrat d’adhésion ou de consommation et ensuite de
démontrer son caractère abusif ou déraisonnable.
Le tribunal n’hésitera pas à refuser d’appliquer la règle prévue à l’article
1437 C.c.Q. dans les cas où le demandeur n’arrive pas à établir l’existence du
contrat d’adhésion. Il dispose d’un large pouvoir discrétionnaire pour décider
de la qualification du contrat selon les critères mentionnés à l’article 1379
C.c.Q. et en tenant compte des circonstances entourant sa conclusion.
2228. Bien que l’existence
d’un contrat d’adhésion soit nécessaire pour que l’article 1437 C.c.Q. s’applique,
les critères permettant de déterminer le caractère acceptable ou abusif d’une
clause incluse dans un contrat d’adhésion peuvent aussi s’appliquer
exceptionnellement à une clause contenue dans un contrat de gré à gré. À titre
d’illustration, une clause pénale incluse dans un contrat de gré à gré pourrait
faire l’objet d’une révision par le tribunal selon les critères développés par
la jurisprudence et la doctrine quant à l’application de l’article 1437 C.c.Q.
Ainsi, le montant prévu par une clause pénale pourrait être réduit par le
tribunal si le débiteur démontre le caractère déraisonnable ou abusif du montant
de la pénalité par rapport à l’importance du défaut du débiteur ou bien encore,
à la valeur des dommages réellement subis par le créancier.
B. Clause abusive : notions et
critères
1) Notions
générales
2229. La partie qui
souhaite faire annuler une ou plusieurs clauses de son contrat doit non
seulement faire la preuve que le contrat la liant à l’autre partie est un
contrat d’adhésion mais elle doit également démontrer le caractère abusif des
clauses. Cette deuxième condition est
d’une grande importance puisqu’il ne suffit pas que le demandeur établisse qu’il
s’agit bien d’un contrat d’adhésion afin de faire déclarer une ou plusieurs
clauses inopposables à son égard mais il doit également démontrer le caractère
déraisonnable ou abusif de ces clauses en question. Ainsi, une clause de
non-concurrence ou de non-sollicitation incluse dans un contrat de travail ne
pourra être valablement déclarée
[Page 915]
inopposable à l’employé
si la preuve ne démontre pas à la fois, l’existence d’un contrat d’adhésion et
le caractère abusif de cette clause.
2230. À l’examen
de la jurisprudence, on constate que les tribunaux ont fait preuve d’ouverture
en favorisant une approche pragmatique visant à procéder à une analyse
factuelle de l’ensemble des circonstances ayant entouré la conclusion du
contrat et celles qui existaient lors de la mise en application de la clause en
question. Ils ont rarement procédé seulement à une analyse textuelle du contenu
des clauses contractuelles, mais ils ont démontré qu’ils peuvent exercer leurs
pouvoirs sans mettre en péril la stabilité des relations contractuelles. Ainsi,
le nouveau pouvoir d’intervention conféré aux tribunaux ne semble pas avoir
ébranlé le principe de la stabilité des relations contractuelles ni avoir remis
en question celui de la liberté contractuelle.
2231. Désormais,
il devient essentiel lors de l’évaluation du caractère acceptable ou abusif d’une
clause contractuelle de prendre en considération certains événements
particuliers survenus au cours de l’exécution du contrat. Cette manière de
procéder permet entre autres d’éviter qu’un adhérent subisse un préjudice lié
aux effets découlant d’une clause contractuelle, alors qu’il n’était pas en
mesure de les éviter ou les connaître au moment de la conclusion du contrat. Il
est de plus en plus évident que la détermination de l’existence d’une clause
abusive ne peut être efficace ni concluante par une analyse limitée à son
caractère, tel que rédigé lors de la conclusion du contrat. À l’inverse, bien
souvent, ce sont les circonstances ayant entouré sa mise en application qui
permettent d’évaluer son caractère acceptable ou, au contraire, abusif. Il ne
faut pas cependant confondre cette situation avec un cas où la façon dont le
contractant se sert de la clause prévue pour son bénéfice est abusive et
déraisonnable allant à l’encontre des exigences de la bonne foi.
Dans ce dernier cas, on se trouve en présence d’un abus de droit alors que la
clause n’est pas abusive en soi.
2232. Il n’existe
pas de définition claire et précise de ce que constitue le caractère abusif d’une
clause. Cette expression permet uniquement de délimiter une « sphère de risque »,
illustrant ainsi l’étendue du débat judiciaire qui pourrait avoir lieu. Ainsi,
nous n’avons pas à déterminer ce qui peut être considéré comme abusif
comparativement à ce qui ne l’est
[Page 916]
pas. Il s’agit plutôt d’une
mesure générale de contrôle des abus qui nous permet d’établir certaines
limites.
a) Distinctions
préliminaires
i) Distinction avec une clause ambiguë
2233. Une
distinction s’impose entre une clause déraisonnable ou abusive et une clause
incompréhensible. Le Tribunal peut conclure au caractère abusif d’une clause
même si celle-ci n’est entachée d’aucune ambiguïté. Cela dit, il ne faut pas
confondre une clause incompréhensible ou illisible avec une clause
déraisonnable ou abusive. Dans le premier cas, le problème sera réglé selon les
critères établis à l’article 1436 C.c.Q.,
le tribunal devant interpréter la clause selon les règles d’interprétation des
contrats alors que dans le
deuxième cas, ce sont les critères prévus à l’article 1437
C.c.Q. qui doivent être appliqués pour résoudre cette
question.
ii) Distinction avec une clause contraire à l’ordre
public
2234. Il ne faut
pas non plus confondre une clause abusive avec une clause qui serait contraire
à l’ordre public. Il s’agit là aussi de deux situations complètement
différentes, car une clause peut être déclarée nulle en raison de sa violation
d’une disposition d’ordre public sans qu’elle ne soit nécessairement
déraisonnable ou abusive. Dans ce cas, la cause de nullité de la clause
consiste en la violation d’une règle impérative sans égard à son caractère déraisonnable ou abusif.
2235. Il n’est
pas nécessaire qu’une clause contrevienne à l’ordre public pour qu’elle soit
déclarée déraisonnable ou abusive. Cependant, une clause insérée dans un
contrat dans le but de permettre à une partie de se soustraire à une obligation
imposée par une disposition législative ou un règlement qui est d’ordre public
constitue en soi une clause déraisonnable et abusive. Il suffit à cet effet de
mentionner que le législateur dans certains contrats, notamment les contrats de
consommation et de bail résidentiel, cherche à protéger le consommateur et le
locataire contre certains abus de la part des commerçants ou des locateurs. Le
tribunal qui constate une tentative de la part de ces derniers de se
[Page 917]
soustraire à leurs
obligations essentielles imposées par une loi ou un règlement, pourra non
seulement déclarer la clause en question nulle mais aussi sanctionner leurs
comportements et conduites par une condamnation à payer des dommages-punitifs.
2236. Par
ailleurs, l’article 1437 C.c.Q. ne
doit toutefois pas être appliqué lorsqu’une disposition impérative traite de la
validité de la clause contractuelle en question. En effet, lorsqu’une règle d’ordre
public prévoit un droit ou une obligation entre les parties à un contrat, le tribunal doit faire application de cette règle
sans tenir compte de la nature du contrat ou de la clause faisant l’objet du
litige. Cet article ne doit rencontrer son application qu’en l’absence d’une
solution imposée par une disposition d’ordre public. Il ne peut non plus être utilisé pour atténuer la
portée d’une telle disposition ou pour chercher le sens à lui donner. Il en est
ainsi lorsqu’une disposition de la Loi sur la protection du consommateur exige
du vendeur qu’il accorde à l’acheteur une garantie pour le bien vendu. La
validité d’une clause insérée dans le contrat dans le but de subordonner à des
conditions le transfert de cette garantie à un tiers par l’acheteur, doit être
décidée à la lumière des dispositions de la Loi sur la protection du
consommateur qui sont d’ordre public.
2237. La doctrine
et la jurisprudence enseignent que la clause de non-concurrence qui ne prévoit
pas une limite raisonnable quant au territoire visé par l’interdiction peut
être considérée contraire à l’ordre public. Il en est de même lorsqu’elle ne
prévoit pas une durée limitée ou une activité précise visée par l’interdiction
compte tenu des circonstances particulières du cas d’espèce. Dans ce cas, l’annulation
de la clause se justifie par les effets qu’elle produise notamment la violation
du principe de la liberté de travail, ce qui ne peut être toléré que dans des
circonstances exceptionnelles.
iii) Distinction avec une clause
compromissoire
2238. Dans le
même ordre d’idée, la validité d’une clause compromissoire contenue dans un
contrat d’adhésion prévoyant que tout litige résultant du contrat sera soumis à
l’arbitrage, doit être évaluée dans un premier temps selon les dispositions
régissant l’arbitrage. Cependant, en l’absence d’une disposition d’ordre public
en matière d’arbitrage mettant la validité de la clause en question, la Cour
peut, en présence d’un
[Page 918]
contrat d’adhésion
appliquer les critères de l’article 1437 C.c.Q. pour déterminer si la clause
doit être considérée abusive ou non. Même si le contrat en question est de gré
à gré, la Cour peut appliquer l’article 622 al. 3 C.p.c. Cette disposition est impérative
et prévoit entre autres que le recours à l’arbitrage doit respecter le principe
de proportionnalité. Ainsi, lorsque les coûts relatifs à une audience d’arbitrage
sont largement supérieurs au montant en litige, la clause compromissoire peut
être considérée abusive et déclarée nulle par l’application de cette disposition, et ce, même si les conditions
requises pour l’application de l’article 1437 C.c.Q. ne sont pas remplies.
2) Critères d’évaluation
2239. Le caractère
excessif d’une clause dans un contrat d’adhésion doit être examiné en fonction
de critères objectifs et subjectifs. Le tribunal doit donc analyser la nature
intrinsèque de la disposition dont la validité est mise en question, de même,
que ses effets sur chacune des parties. Il doit également prendre en
considération le statut des parties contractantes et leur rapport de force lors
de la formation du contrat, la nature des échanges qui ont eu lieu entre elles
avant la formation du contrat et leur conduite depuis la signature du contrat.
Il doit aussi vérifier s’il s’agit d’une clause conforme à l’usage et aux
normes commerciales qui existent dans ce domaine et déterminer si l’application
de cette clause pourrait entraîner des conséquences tellement déraisonnables qu’elles
ne peuvent logiquement être souhaitées par les parties, sans que les règles de
la bonne foi soient enfreintes.
2240. Dans l’arrêt Québec
(Procureur général) c. Kabakian-Kechichian, 2000, la Cour d’appel a
considéré que le caractère excessif d’une clause peut être évalué, soit à
partir d’un critère objectif ne tenant pas compte des circonstances
particulières en l’espèce, soit selon un critère subjectif qui tient compte des
circonstances propres au cas d’espèce et des difficultés auxquelles l’adhérent
peut faire face lors de l’exécution de cette clause. Notons toutefois que l’application
du critère subjectif pourrait donner lieu à des résultats différents, car ce
qui pourrait être excessif pour l’un ne le serait pas nécessairement pour un
autre contractant adhérent. Rien n’empêche cependant le tribunal d’apprécier le
caractère excessif d’une clause selon une norme mixte, c’est-à-dire qui
comporte à la fois une approche objective et subjective. Il doit toujours
analyser les prestations et les avantages découlant du contrat pour les
[Page 919]
deux parties. Le
respect de la règle de la bonne
foi doit guider le tribunal qui jouit d’un grand pouvoir
de discrétion.
2241. Il importe
cependant de noter que l’application d’une norme subjective ne doit pas
nécessairement aboutir à la conclusion que la clause est abusive lorsque la
preuve se limite à une démonstration des inconvénients que cette clause
entraîne pour la partie adhérente. Pour que la clause soit considérée abusive,
la preuve doit également démontrer son caractère abusif par l’application d’une
norme objective. En d’autres termes,
la preuve des éléments à caractère abusif mais propres à la situation
personnelle de l’adhérent est insuffisante pour déclarer abusive une clause
incluse dans un contrat d’adhésion en l’absence d’une preuve démontrant aussi
les caractères abusifs de cette clause selon une norme objective.
2242. En résumé, l’élaboration
de critères précis permettant de déterminer le caractère acceptable ou abusif d’une
clause prévue dans un contrat d’adhésion est essentielle, car les notions d’équité
et de la bonne foi introduisent des concepts flous qui doivent constamment être
redéfinis par les tribunaux en fonction de chaque cas d’espèce. Dans ce
contexte, les diverses ramifications de ces notions ne sont pas encore toutes
connues et restent donc à être découvertes.
a) Critère de la
bonne foi
2243. L’article 1437 al. 2 C.c.Q. offre une définition de la notion de clause abusive. Aux termes
de cette disposition, est abusive la clause qui désavantage l’adhérent ou le
consommateur d’une manière excessive et déraisonnable contrairement aux
exigences de la bonne foi qui doivent être remplies lors de la formation de
tout contrat. Il convient donc de
[Page 920]
faire un lien entre
la notion de clause abusive et celle de la mauvaise foi qui se manifeste, lors
de la conclusion du contrat, par l’inclusion de stipulations rendant les
obligations de l’adhérent ou du
consommateur disproportionnées par
rapport à celles du stipulant.
2244. Dans sa
définition, le législateur donne comme exemple d’une clause abusive celle qui
déroge anormalement à la nature du contrat ou à sa réglementation légale, en
imposant à l’adhérent ou au consommateur des obligations si éloignées des
obligations essentielles qui découlent des règles gouvernant le type du contrat
en question, de sorte qu’elle le dénature. Ainsi, la partie qui impose des
clauses déraisonnables ou abusives à son cocontractant ne se conforme pas à son
obligation d’agir de bonne foi,
mais au contraire, démontre une volonté de sa part d’exploiter la situation
résultant d’un rapport de force qui lui est profitable. Il faut rappeler que le
contractant qui impose ce genre de clauses déraisonnables ou abusives possède
habituellement une expérience dans l’industrie faisant l’objet du contrat et il
est souvent conseillé par des professionnels expérimentés qui sont, sans doute,
conscients que ces clauses ne sont pas des clauses standards ou usuelles compte
tenu de la nature ou du type de contrat.
2245. Une
question se pose à savoir si l’introduction de l’exigence de la bonne foi dans
la définition prévue à l’article 1437 C.c.Q. augmente le degré de preuve requise pour qu’une clause soit
considérée abusive au sens de cet article. Notons d’abord que cette
introduction n’ajoute pas un second critère devant être nécessairement rempli
pour que la clause en question soit qualifiée d’une clause abusive. En effet,
la bonne foi constitue un facteur important puisqu’il s’agit d’une règle
omniprésente en matière contractuelle et d’un élément à toujours prendre en
considération, même en l’absence d’une mention à cet effet dans une disposition
législative. Une partie qui impose à son cocontractant des conditions qui sont
considérées abusives au sens de l’article 1437 C.c.Q., agit de manière contraire aux exigences de la bonne foi
justifiant ainsi l’application d’une sanction.
2246. Pour bien
saisir la notion et la définition à donner à l’expression « se conforme aux exigences de la bonne
foi », il faut se référer à
la jurisprudence en matière de responsabilité civile. Ainsi, la clause abusive
est celle qu’une personne diligente et raisonnable n’aurait pas
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incluse au contrat.
La notion de la personne diligente et raisonnable, bien qu’elle soit abstraite,
doit toujours être appliquée à la lumière des faits du cas d’espèce
et dans certains cas en considération
de l’intérêt public. Ainsi, il est
difficile de conclure à la nullité d’une clause comme découlant d’un « comportement fautif »,
lorsque cette clause est justifiée par l’intérêt public ou par les valeurs
sociales de notre société. À titre d’illustration, la clause incluse au contrat
de parrainage, selon laquelle le garant s’engage à subvenir aux besoins de la
personne parrainée et à rembourser les prestations d’aide sociale reçues par
cette dernière durant une période de dix ans, n’est pas une clause
déraisonnable ou excessive qui serait contraire aux exigences de la bonne foi.
Bien qu’il s’agisse d’une obligation lourde à supporter pour le garant,
celle-ci procure de nombreux
avantages pour le parrainé et vise à empêcher que ce soit le gouvernement et
les citoyens qui assument les coûts.
2247. Lorsqu’une
personne rédige une clause qui est déraisonnable et excessive afin de l’imposer
à l’autre partie, le tribunal ne doit pas hésiter à sanctionner sa conduite qui
va à l’encontre du devoir d’agir de bonne foi. Pour ce faire, il doit alors se
contenter de vérifier si une personne prudente et diligente aurait introduit
dans son contrat une telle clause, sans toutefois exiger une preuve des faits démontrant
sa mauvaise foi. L’imposition à son contractant d’une clause abusive constitue
une faute si une personne raisonnable n’aurait pas imposé une telle
stipulation. L’article 1437 C.c.Q. permet donc de sévir contre un tel
comportement fautif en permettant aux tribunaux d’intervenir et de rendre nulle
une telle clause. La bonne foi n’est pas un critère qui permet de déterminer si
une clause est abusive, mais elle justifie la nullité de celle-ci par la
consécration de ce principe à l’article 1375 C.c.Q..
i) Défaut de l’adhérent de se renseigner
2248. Il
convient de mentionner que, lors de la conclusion du contrat, l’adhérent a
également l’obligation de se renseigner sur les clauses dont la portée lui
semble incertaine. Ainsi, s’il néglige de s’informer, il ne pourra pas, par la
suite, invoquer sa propre turpitude en
[Page 922]
plaidant qu’il n’a pas
reçu toutes les informations nécessaires relatives au contenu du contrat. Cette
obligation de s’informer trouve sa source dans la notion de bonne foi (art. 1375
C.c.Q.) qui doit gouverner la conduite des parties lors de la conclusion, de l’exécution
et de l’extinction d’un contrat. S’il est vrai que le débiteur de l’obligation
doit renseigner l’adhérent, il est également vrai que ce dernier doit
participer à son information. L’aveuglement volontaire ne peut donc être toléré
ni devenir un moyen pour l’adhérent, a posteriori, de faire annuler une
clause qui ne lui convient pas. L’adhérent, face à une clause qu’il ne comprend
pas, a une obligation de s’informer et de poser des questions.
2249. Les tribunaux
ont traité à maintes reprises de ce devoir de se renseigner et ont conclu que
le défaut de se renseigner constitue une fin de non-recevoir pour celui qui
devait se renseigner et négligeait de le faire. Cette obligation de se
renseigner peut également être traitée sous l’angle de l’aveuglement
volontaire. C’est le cas de la partie qui, doutant de la portée abusive d’une
clause, signe néanmoins le contrat sans se renseigner davantage sur les termes
et conditions de cette clause. Ainsi, l’obligation de se renseigner oblige le
tribunal à appliquer de nouveaux critères lors de l’appréciation des
circonstances de la conclusion du contrat. Il faut en premier lieu s’interroger
sur le comportement de l’adhérent, et surtout vérifier si ce dernier s’est
acquitté de son obligation de se renseigner. En effet, lorsqu’il est possible
pour une partie d’obtenir des précisions ou des explications supplémentaires
quant à la portée et l’étendue d’une clause, elle pourra difficilement
reprocher à l’autre partie un manquement à son obligation de renseignement pour
faire annuler une clause du contrat qu’elle prétend être abusive.
Si l’adhérent a fait défaut de se renseigner, il convient alors de se demander
si dans le cas contraire, l’adhérent aurait néanmoins été victime de cette
clause abusive.
2250. Quoi qu’il en
soit, le tribunal, dans son appréciation des faits, doit toujours tenir compte
de la possibilité pour l’adhérent de proposer, avant d’adhérer au contrat, des modifications à la clause abusive ou
encore de la refuser. Il serait illogique de sanctionner le défaut de l’adhérent
de se renseigner, alors qu’il n’était pas en mesure de changer ou de modifier
quoi que ce soit au contrat qu’il s’est vu imposer. Enfin, il
[Page 923]
faut garder à l’esprit que l’existence d’un contrat d’adhésion ne fait pas présumer
le caractère abusif d’une clause, car des clauses peuvent être
considérées comme non abusives dans le contexte du
contrat d’adhésion.
ii) Notion d’équité
2251. La
disposition prévue à l’article
1437 C.c.Q. constitue une notion particulière dont le fondement repose sur le principe d’équité.
Cependant, l’application de ce concept dépend de règles qui lui sont propres. Ainsi, la détermination
du caractère abusif d’une clause oblige à tenir compte de la situation des
parties afin de rétablir une certaine égalité. Autrement dit, le juge doit
procéder à une appréciation du contexte contractuel existant entre les parties,
en prenant en considération l’inégalité des forces de chacune des parties, dans
le but de vérifier si la partie disposant du rapport de force a profité de la
faiblesse de son cocontractant pour lui imposer une clause qui, objectivement,
dépasse largement les obligations habituellement assumées dans ce type de
contrat. Cette évaluation doit aussi tenir compte des critères propres à la
clause en question que l’on trouve dans le même type de contrat.
Il n’est pas nécessaire que la preuve démontre une exploitation de l’adhérent
ou du consommateur par le contractant qui a rédigé le contrat.
Il suffit que la preuve démontre un déséquilibre ou une disproportion
importante entre les prestations assumées par l’adhérent ou le consommateur et
la contrepartie qu’il retire de ce contrat.
2252. L’objectif
visé par le législateur est donc d’éliminer l’exploitation de la partie faible
qui adhère à un contrat imposé par l’autre partie. Celle-ci, en raison de sa
position forte, profite de la situation pour introduire dans son contrat des
clauses qui ne reflètent pas l’équité et désavantagent l’adhérent d’une manière
excessive et
[Page 924]
déraisonnable.
C’est l’idée d’exploitation qui est donc à la base de l’article 1437 C.c.Q. et qui a motivé
le législateur à introduire dans notre droit cette règle qui confère aux
tribunaux un droit de contrôle en matière d’abus contractuels.
2253. Plusieurs
dispositions du droit antérieur sanctionnant
le caractère abusif de certaines
clauses contractuelles se retrouvent dans le Code civil
du Québec. Dans certains
cas, la sanction de ces clauses abusives vise à protéger la partie la plus
vulnérable, dans d’autres cas,
elle veut empêcher la violation du régime contractuel prévu par la loi ou
escompté par cette partie au contrat. L’article 1437 C.c.Q. se veut le cadre
général à l’application des diverses dispositions du Code civil qui s’attachent
à la sanction des clauses abusives et accorde au
tribunal un large pouvoir discrétionnaire à cet effet.
2254. Par ailleurs,
dans ses commentaires sur le Projet de loi 125, le Barreau du Québec avait
exprimé certaines réticences vis-à-vis de la protection offerte au
cocontractant le plus faible, surtout dans les contrats entre commerçants. L’application
des sanctions des clauses abusives risque, selon le Barreau, de menacer la
stabilité contractuelle
[Page 925]
dans les contrats
commerciaux. Mais, comme l’exprime
un auteur, l’exploitation d’un
rapport de force est condamnable, et sanctionner la clause abusive ne peut que
corriger le déséquilibre dans ce
rapport de force.
2255. En
somme, l’adhérent ne doit pas se
contenter uniquement de prouver des éléments démontrant le caractère excessif
et déraisonnable de la clause par
rapport à sa situation
personnelle, car une telle preuve sera insuffisante pour
faire déclarer abusive la clause en question en l’absence d’une preuve illustrant, selon une norme objective, son
caractère abusif.
b) L’approche
pragmatique
i) Généralités
2256. Depuis l’entrée
en vigueur du Code civil du Québec, les tribunaux ont été souvent saisis
des demandes en vertu de l’article 1437 C.c.Q. et confrontés à des situations
factuelles différentes. Ils ont dû élaborer plusieurs critères d’évaluation
dont certains sont d’application générale alors que d’autres peuvent être
propres à des cas particuliers.
2257. L’approche
pragmatique consiste à analyser le contexte factuel ayant entouré la mise en
application de la clause en question afin de déterminer si elle est
déraisonnable ou abusive et ainsi de se prononcer sur sa validité. Il est
possible qu’une clause puisse avoir l’apparence d’une clause raisonnable lors
de la conclusion du contrat, mais que son caractère abusif devienne évident
lors de sa mise en application. En effet, une clause peut s’avérer non abusive
si on l’examine d’une manière abstraite avant son application et lors de la
formation du contrat, mais son caractère abusif devient évident une fois mise
en application, compte tenu des circonstances et des conséquences qui ont
découlé de cette application.
[Page 926]
ii) Différence entre l’approche pragmatique et
l’abus de droit
2258. Lorsqu’un
droit prévu dans le contrat fait l’objet d’un exercice déraisonnable ou abusif
de la part d’une des parties, cela ne doit généralement pas être sanctionné par
la disposition prévue à l’article 1437 C.c.Q., mais devrait plutôt être considéré comme un abus de droit. En
effet, il est possible qu’une partie abuse d’un droit sans que la clause qui
lui confère ce droit soit pour autant considérée comme abusive.
Cet exercice d’un droit contractuel est contraire à la bonne foi et peut être
sanctionné selon les dispositions prévues aux articles 6,
7 et 1375 C.c.Q.,
et ce, peu importe la nature du contrat en question, qu’il soit d’adhésion, de
consommation ou de gré à gré.
2259. L’approche
pragmatique se distingue donc du concept de l’abus de droit, car elle vise à
sanctionner le caractère excessif ou déraisonnable d’une clause, produisant un
effet abusif, contraire à la bonne foi. Il importe
donc de ne pas confondre la façon adoptée lors de la mise en application de la
clause par la partie qui l’a rédigée et l’effet excessif que cette mise en
application produit sans égard à la conduite de cette partie. Lors de son
appréciation, le tribunal doit cependant analyser les circonstances entourant l’application de la clause qui pourraient
contribuer à rendre clair son caractère abusif. En d’autres termes, la règle
prévue à l’article 1437 C.c.Q. cherche à sanctionner la mauvaise foi qui se
manifeste, lors de la conclusion du contrat, par le caractère excessif et
déraisonnable de l’obligation imposée à l’adhérent. Le caractère abusif de la
clause que l’on cherche à faire annuler doit donc résulter de la nature de l’obligation
et de son caractère excessif et déraisonnable, et non pas de la façon dont elle
est mise en application par la partie ayant rédigé le contrat. Dans le cas
contraire, l’utilisation abusive d’une clause ou l’exercice déraisonnable ou
abusif d’un droit qui y est prévu relèverait davantage des règles régissant la
violation de la règle de la bonne foi ou l’abus de droit plutôt que de la
sanction de l’article 1437 C.c.Q..
2260. Certains
contrats de travail contiennent une clause prévoyant qu’en cas d’une faute
commise par l’employé dans des transactions
[Page 927]
effectuées pour le compte d’un client, ce dernier doit rembourser toutes les
sommes perdues. Une telle clause peut être jugée non abusive, et ce, même si elle a pour effet de priver l’employé de certains moyens de défense, car elle n’entraîne pas
un déséquilibre disproportionné entre
les parties. Il s’agit toutefois d’une clause qui pourrait facilement mener à une violation de la règle
de la bonne foi ou à un abus de droit si l’employeur ne l’utilise pas de manière raisonnable et diligente en effectuant une enquête
approfondie sur les événements avant de procéder à sa
mise en application. En d’autres mots,
bien qu’elle ne soit pas abusive et que sa mise en application, compte tenu des
circonstances, n’aura pas pour effet de la rendre abusive, une clause risque
dans certains cas de donner lieu à un abus de droit si le contractant qui cherche à
s’en prévaloir n’agit pas avec prudence et diligence.
2261. Le législateur a pris soin de fournir certaines
indications sur ce qui pourrait constituer une clause abusive. Par l’utilisation
du terme « notamment » au deuxième
alinéa de l’article 1437 C.c.Q.,
il faut comprendre que le législateur n’a voulu donner qu’un exemple afin d’indiquer
quels types de clauses peuvent être considérées comme étant abusives.
Précisons que la partie qui entend invoquer le caractère abusif d’une clause
doit prouver que la clause est déraisonnable par rapport
à une clause standard ou usuelle dans un contrat de même
nature. À titre d’exemple, la clause par laquelle une institution financière
impose un taux d’intérêt élevé à un emprunteur constitue une clause abusive.
Elle désavantage ce dernier de manière excessive, lorsque le taux d’intérêt est
supérieur au taux du marché au moment de la conclusion du prêt alors qu’elle n’encourt
aucun risque relatif au remboursement du prêt.
De plus, le caractère excessif des obligations financières du débiteur devient
évident lorsque le taux d’intérêt prévu dans le contrat est supérieur à celui
imposé par les institutions financières dans le cas de prêts à risques élevés.
2262. Dans le cadre
du contrat d’assurance, l’application non arbitraire d’une clause d’exclusion n’a
pas pour effet de rendre l’exécution de
[Page 928]
cette clause abusive
lorsqu’elle se fait dans le contexte de l’objet de la police d’assurance.
2263. La
détermination du caractère abusif d’une clause de résiliation doit se faire en
regard des raisons et des gestes qui entraînent la résiliation du contrat.
Ainsi, le recours à la clause de résiliation d’un contrat de franchise dans le
délai prévu ne sera pas considéré abusif ou de mauvaise foi quand cette clause
prévoit ce droit à la résiliation en cas de fausses déclarations ou de la
fraude alors que ces conditions sont remplies en l’espèce. En d’autres termes,
une résiliation sur la base de fausses déclarations frauduleuses ne sera pas
abusive et ne représente pas un abus de droit, surtout lorsqu’elle est prévue
dans une stipulation incluse dans le contrat.
2264. Notons que
cette distinction est la source d’une controverse en droit. Certains auteurs
critiquent l’utilisation de l’approche pragmatique en insistant sur le fait qu’un
tel procédé risque de confondre la notion de clause abusive avec les notions d’abus
de droit ou d’imprévision. Ainsi, la Cour d’appel dans une décision relative à
un contrat de parrainage s’est interrogée sur la question à savoir si, en
matière de clauses abusives, il faut évaluer le caractère acceptable ou abusif
de la clause au moment de la conclusion de contrat, ou bien, au moment de sa
mise en exécution afin de tenir compte de la capacité de payer et des moyens
financiers du parrain. En l’espèce, il s’agit d’une clause prévoyant l’obligation
du parrain à subvenir aux besoins de la personne parrainée qui n’a pas été
respectée sous prétexte que son application aggrave la situation financière du
parrain débiteur. La Cour a conclu que de tenir compte de ces facteurs lors de
l’exécution de l’engagement reviendrait pour le tribunal à réviser le contrat
pour imprévision, une notion qui n’est pas acceptée dans notre droit.
À tout égard, cette décision doit être considérée comme un cas particulier vu l’intérêt
public qui était en question et, par conséquent, ne constitue pas une règle
générale devant être suivie. Au contraire, il ne faut pas rejeter de façon
systématique l’idée voulant qu’une clause puisse apparaître abusive lorsque le
contexte de son application facilite l’évaluation de son caractère abusif. En
effet, le raisonnement adopté par la Cour d’appel dans cette affaire pourra
difficilement être appliqué à bien des cas.
[Page 929]
iii) Importance de l’application de l’approche
pragmatique
2265. L’analyse
factuelle et pragmatique de l’ensemble des faits et des circonstances permet au
juge de déterminer si la clause en
question a un caractère acceptable
ou abusif. Cette analyse ne doit pas se limiter aux circonstances et aux faits
ayant entouré la conclusion du
contrat, mais doit s’étendre aussi
au contexte factuel ayant entouré sa
mise en application et ainsi tenir compte des conséquences
néfastes qui en découlent.
2266. Par l’utilisation
de cette approche, le juge se donne l’opportunité d’analyser la clause au moment de son application car le caractère abusif d’une clause pourrait se révéler uniquement à cette étape. En effet, dans certains cas, il pourrait être difficile de discerner le
caractère acceptable ou abusif de la clause en question au moment de la
conclusion du contrat. En retenant cette
approche, le tribunal sera en mesure de remédier au préjudice qu’un adhérent
pourrait subir lors de l’application d’une clause, alors que ce préjudice n’était
pas envisageable à la simple lecture de la clause lors de la conclusion du
contrat.
2267. Conscients de
cette réalité, les tribunaux ont, au cours des dernières années, souvent eu
recours à l’approche pragmatique. Ils ont cependant utilisé différents critères
afin de pouvoir déterminer si en l’espèce l’application de la clause a mis en
évidence son caractère abusif. Une revue de la jurisprudence permettra ainsi d’établir
les méthodes et les critères utilisés par les tribunaux lors de leur analyse.
c) Différents
critères élaborés par la jurisprudence
i) Critère tenant compte des circonstances
particulières de l’affaire
2268. Dans bien des
cas, on peut se trouver en présence d’une situation qui oblige à procéder à une
appréciation des circonstances ayant entouré la mise en application de la
clause, car ces circonstances peuvent permettre de révéler le caractère abusif
d’une clause. L’importance de tenir compte de ces circonstances consiste dans
le fait que des éléments particuliers peuvent être mis en évidence afin de
dissiper tout doute quant au caractère abusif d’une clause. Ainsi, il arrive qu’il
soit impossible pour l’adhérent, lors de la conclusion du contrat, d’envisager
ou de prévoir une situation particulière où la clause prévue au contrat
deviendrait abusive. En effet, il est parfois difficile pour l’adhérent au
moment de la conclusion du contrat de penser à tous les problèmes pouvant
résulter de l’application d’une clause en particulier,
[Page 930]
surtout lorsque les
conséquences néfastes de celle-ci résultent en partie de sa mise en
application.
2269. Il est
donc essentiel de tenir compte, lors de l’évaluation d’une clause, des
circonstances particulières de l’affaire pour déterminer l’effet abusif de
cette clause et ainsi éviter que l’adhérent subisse un préjudice. À titre d’illustration,
la clause d’un contrat d’assurance stipulant que les frais des soins dentaires
ne peuvent être remboursés à moins qu’ils ne soient prodigués dans les 12 mois suivant l’accident, peut être abusive
lorsqu’il est impossible pour l’adhérent de prévoir qu’un accident pourrait
nécessiter des soins en plusieurs phases. Le tribunal peut aussi tenir compte
de l’expérience de l’assuré en matière d’assurance lors de son évaluation du
caractère acceptable ou abusif de la clause.
Tel est également le cas, pour une clause incluse dans un contrat d’assurance
qui prévoit que pour être indemnisée, une personne qui souffre de dépression
doit être suivie régulièrement par un psychiatre. Cette clause a été jugée
abusive par le tribunal, compte tenu des circonstances particulières à l’affaire,
car la preuve a démontré que dans la région où habitait l’assuré, il était
impossible d’obtenir un suivi régulier par un psychiatre. Ainsi, l’utilisation
de l’approche pragmatique en tenant compte des circonstances entourant la mise
en application de la clause en
question, permet au tribunal d’épargner à l’adhérent un préjudice important,
mais qui était difficile à envisager lors de la conclusion du contrat.
2270. De même,
une clause interdisant la présence d’animaux incluse dans un règlement d’immeuble
peut être jugée abusive et déraisonnable, compte tenu des circonstances,
notamment du fait que l’animal en question ne pose aucun problème alors que sa
présence est nécessaire à la santé de l’enfant du locataire. Conséquemment,
cette clause peut être déclarée abusive, car son application aurait eu pour
effet de priver l’enfant de son animal, ce qui reviendrait à le priver de soins.
Ce sont donc les circonstances particulières de chaque affaire qui peuvent
amener le tribunal à conclure que la clause, en l’espèce, est abusive.
Rappelons toutefois qu’une clause qui prévoit l’interdiction de la présence d’animaux
est généralement considérée valide et dans l’intérêt commun de tous ceux qui
occupent l’immeuble. C’est ainsi, lorsque les
[Page 931]
circonstances
propres au cas d’espèce ne
permettent pas de conclure à son caractère déraisonnable, ce type de clause est généralement considéré comme étant non abusif.
2271. Les
circonstances particulières entourant l’application d’une clause incluse dans
un contrat d’assurance peuvent aussi amener le tribunal à conclure que celle-ci
est abusive lorsqu’elle exige que durant l’absence des occupants de la maison,
une personne soit désignée pour faire des visites quotidiennes alors que le
climat pour la période de sa mise en application ne justifie pas la nécessité
de visites aussi fréquentes. Il en est également
ainsi pour une clause incluse dans un contrat de voyage qui stipule que le
voyage ne peut être annulé sous aucun prétexte. Cette clause peut être jugée
abusive lorsque le client est hospitalisé et ne peut voyager en raison de sa
condition physique qui constitue un motif sérieux alors que le délai d’annulation
ne cause aucun préjudice à l’agence qui peut d’ailleurs revendre les places
laissées vacantes à d’autres voyageurs.
2272. En somme, l’évaluation
du caractère acceptable ou abusif de la clause doit prendre en compte des
circonstances ayant entouré sa mise en application et ne doit pas se limiter au
contexte existant au moment de la conclusion du contrat. C’est cette évaluation
globale qui permet de rétablir un équilibre et une équité dans les relations
contractuelles comme le prescrivent les articles 6, 7 et 1375 C.c.Q.
ii) Critère tenant compte des effets de la
clause et des comportements des parties
2273. Le
tribunal peut également utiliser l’approche pragmatique en tenant compte du
critère relatif aux effets que peuvent entraîner l’application d’une clause
ainsi que des exigences de la bonne foi, notamment en examinant les
comportements des parties contractantes. En effet, le
caractère acceptable ou abusif d’une clause peut s’apprécier non seulement en
évaluant les termes qui y sont prévus, mais également en prenant en
considération ses effets. Ainsi, une clause
incluse dans un contrat d’adhésion ou de consommation n’est pas abusive en soi,
mais peut le devenir par son application. À titre d’illustration, une clause de
résiliation incluse dans un bail forestier aux termes duquel
[Page 932]
le locataire s’engage à
entretenir la forêt louée afin d’exploiter une érablière, peut être abusive et
déraisonnable compte tenu des circonstances et des motifs invoqués par le
locateur pour justifier sa mise en application. Ainsi, le fait de constater que des arbres ont été coupés sans son
autorisation alors que le locataire s’est limité en toute bonne foi à couper
des arbres morts et malades afin de se conformer à son obligation d’entretien
de la forêt, ne constitue pas un motif valable rendant ainsi par son
application la clause de résiliation abusive. Le tribunal peut lors de son
appréciation prendre en considération les conséquences sérieuses pour le
locataire par rapport à l’exploitation de son entreprise. Il peut aussi prendre
en considération la bonne foi du locataire qui croit interpréter le contrat de
la bonne manière et respecter son obligation.
2274. Il en est
de même pour un contrat de crédit-bail qui contient une clause permettant au
crédit-bailleur si le locataire fait défaut de payer un versement, de mettre
fin au crédit-bail et de reprendre l’équipement loué, sans être obligé de le
vendre, alors que le prix pouvant être obtenu par la vente permet de compenser
au moins en partie les montants dus par le locataire. Dans ce cas, le tribunal
peut tenir compte des effets déraisonnables qu’entraîne cette clause qui permet
au crédit-bailleur d’exiger du locataire le remboursement de toutes les sommes
dues, sans être tenu de vendre l’équipement afin de diminuer la dette à
rembourser.
2275. Afin de
déterminer si une clause est abusive ou non, le tribunal peut donc se servir de
l’approche pragmatique en utilisant un critère qui tient compte des effets de
la clause et des comportements du stipulant et de l’adhérent, notamment par
rapport à leur obligation d’agir de bonne foi.
Il convient toutefois de mentionner que l’existence d’un consensus social ne
constitue pas un critère permettant d’établir le caractère abusif d’une clause,
puisque ce consensus ne fait pas partie des critères mentionnés aux articles 8 L.p.c. et 1437 C.c.Q.. Par contre, une
clause sera jugée abusive si elle constitue une dérogation très importante aux
standards de comportement généralement reconnus dans la rédaction des
conventions ou une déviation
claire par rapport aux normes
habituellement admises par la société.
[Page 933]
iii) Critère de la méthode comparative
2276. L’utilisation
d’une méthode comparative par les tribunaux consiste à faire une analyse
complète des obligations à être exécutées sans l’application de la clause en
question par rapport à celles que l’adhérent doit exécuter lorsqu’on applique
cette clause. Cette manière de procéder permet à la Cour de vérifier le
caractère abusif qui peut résulter de l’application de la clause qu’une partie
cherche à déclarer abusive.
2277. À titre d’illustration,
cette méthode comparative a été utilisée par le tribunal dans une affaire
portant sur un contrat de location de véhicule afin d’évaluer le caractère d’une
clause prévoyant un calcul mathématique de la valeur résiduelle du véhicule à payer
par le locataire suite à un vol. Le tribunal a conclu que cette clause était
abusive, car elle désavantage indûment le locataire qui, suite au vol, aurait
dû payer un montant presque équivalent au coût total de la location qui était d’une
durée de 48 mois, alors qu’il n’a
utilisé le véhicule que pour 23 mois.
Cela est excessif et ne reflète surtout pas le principe de l’équité
contractuelle. L’importance de l’approche
pragmatique et de l’utilisation du critère de la méthode comparative permet
donc au tribunal de faire une comparaison entre les obligations en fonction des
différentes circonstances et ainsi déterminer si la clause en question n’est
pas équitable et désavantage de manière excessive l’adhérent ou le
consommateur.
iv) Critère tenant compte de la clause
standard
2278. Il importe
de noter que l’utilisation d’une clause usuelle ou standard ne permet pas de
conclure systématiquement que nous sommes en présence d’une clause raisonnable.
Le fait qu’une clause soit devenue standard n’en fait pas pour autant une
clause juste et équitable. En d’autres mots, l’utilisation fréquente d’une
clause standard dans un certain type de contrat n’a pas pour effet de rendre
cette clause non abusive.
2279. Le critère
de la clause standard permet cependant au tribunal d’apprécier le caractère
acceptable ou abusif d’une clause, à condition que la partie qui prétend qu’une
clause est abusive démontre le caractère déraisonnable de celle-ci par rapport
aux clauses standards
[Page 934]
que l’on retrouve
habituellement dans le type du contrat en question.
Ce critère a été
utilisé par la Cour d’appel dans une décision concernant un contrat de travail liant
une compagnie d’assurance à ses
agents. Le problème soulevé portait
sur une clause stipulant que la commission pour des renouvellements éventuels de polices par les clients n’était plus payable à compter de la date de la résiliation du contrat de travail. La Cour a conclu que cette clause n’était pas déraisonnable,
car on retrouve ce genre de clauses dans ce type de
contrat et que, par conséquent, elle était justifiée par
les pratiques commerciales et les usages dans ce domaine.
Il en est de même pour une clause incluse dans une convention de crédit qui
prévoyait des frais de retard advenant le défaut par le client de payer les
versements dus à échéance, cette clause peut être raisonnable, car elle
représente une pratique commerciale généralement acceptée et ne désavantage pas
l’adhérent de manière déraisonnable.
2280. Il faut
admettre que certaines clauses standards ou usuelles que l’on retrouve
fréquemment dans les contrats types adoptés par certains commerçants et
entreprises ne peuvent être un critère déterminant pour décider de leur
caractère abusif. En effet, il est difficile dans certains cas de parler des clauses usuelles permettant de s’assurer
d’une certaine équité dans les relations contractuelles, telles que celles
adoptées par les concessionnaires de voitures, les assureurs, les courtiers
immobiliers. Le fait qu’une clause se répète dans des contrats imposés par ces
commerçants ou professionnels ne doit pas nécessairement mener à la conclusion
qu’il s’agit d’une clause usuelle et par conséquent équitable.
Le tribunal appelé à qualifier la clause litigieuse peut tenir compte de ce qui
est normalement connu et accepté comme des obligations et des droits à la
charge ou en faveur de l’une ou l’autre des parties dans ce genre de contrat.
2281. Ainsi, en
appliquant ce critère fondé sur une approche pragmatique, il sera possible de
voir si la clause standard ou usuelle incluse dans des contrats types ou des
contrats utilisés par des commerçants ou des entreprises exerçant les mêmes
activités est une clause déraisonnable et excessive, à condition de démontrer
qu’elle impose à
[Page 935]
l’adhérent ou au consommateur une obligation qui, selon l’équité
et la justice contractuelle, s’éloigne
des obligations qui doivent normalement être assumées dans ce type de contrat. Il en est de même lorsqu’une
telle clause vise à restreindre ou à enlever un droit à l’adhérent ou au
consommateur alors qu’un tel droit aurait normalement existé si le contrat
avait été négocié entre des parties disposant de la même force dans les
négociations.
2282. Afin de
réussir dans sa demande, l’adhérent doit prouver que l’application des clauses
incluses dans le contrat type aurait pour conséquence d’entraîner des effets
excessifs et déraisonnables. En l’absence de cette preuve par la partie qui
invoque le caractère abusif d’une clause, il devient difficile pour le tribunal
de conclure au caractère abusif à la simple lecture d’une clause standard ou
usuelle.
2283. La
jurisprudence a déjà reconnu que la clause de non-concurrence contenue dans un
contrat type peut tout de même être considérée comme abusive. Pour déterminer
si la clause est abusive ou non, le tribunal procède à l’examen de l’étendue
territoriale pour déterminer si celle-ci est nécessaire pour protéger les
intérêts légitimes de l’employeur. Le tribunal doit faire une analyse des
circonstances particulières de l’affaire soumise devant lui et ne doit pas se
limiter à se demander si objectivement l’étendue territoriale est nécessaire
pour la protection des intérêts de l’employeur dans les contrats types de ce
secteur d’activité. En effet, les tribunaux ont adopté une approche in
concreto et non in abstracto afin de déterminer le caractère abusif d’une clause de non-concurrence
compte tenu de la situation factuelle du cas d’espèce.
2284. Dans le
cadre d’un contrat-type, l’introduction de clauses limitant la responsabilité
financière du contractant ayant rédigé le contrat est une pratique qui ne
constitue pas en soi une faute ou une contravention à une disposition
législative. Le fait que le créancier voit son droit à une indemnité restreint
à certains chefs de dommage ne peut être considéré comme un exercice abusif par
le débiteur tenu à l’obligation d’indemnisation. Il importe cependant d’établir
une distinction entre l’inclusion
d’une clause restrictive de responsabilité et sa mise en application, qui elle
peut être considérée abusive et pouvant
[Page 936]
justifier l’intervention
du tribunal pour rétablir l’équilibre entre les prestations des parties.
v) Critère tenant compte des pratiques
contractuelles acceptées
2285. Enfin, il
importe de noter qu’une clause qui ne s’écarte pas de pratiques contractuelles
généralement acceptées, dans le domaine du contrat en question, ne peut être
déclarée déraisonnable ou abusive même si la situation laisse penser qu’il s’agit
d’une clause déraisonnable. Ainsi, une clause insérée dans un contrat de
mariage ayant pour objet la renonciation au régime matrimonial de la société d’acquêts
ne peut être déclarée déraisonnable ou abusive même si les conséquences qui en
découlent pour l’une des parties peuvent être néfastes. En effet, la
renonciation au régime matrimonial est une pratique contractuelle légale
permise par la loi. Autrement dit, la doctrine et la jurisprudence enseignent
que la clause qui ne contrevient pas à l’ordre public ne peut être annulée par
le tribunal et celui-ci ne peut aussi se donner la tâche de l’interpréter pour
rétablir l’équilibre contractuel lorsqu’elle est claire et précise. L’intervention
du tribunal est limitée aux cas prévus par la loi, notamment lorsque la clause
est incluse dans un contrat d’adhésion et le consentement de la partie lésée a
été donné dans des circonstances particulières justifiant l’application de l’article
1437 C.c.Q..
vi) Critère tenant compte de l’effet du temps
2286. Ce critère
est rarement utilisé puisqu’en matière contractuelle, le principe qui préconise
la stabilité des contrats demeure la règle et reflète la volonté des parties.
Cette stabilité doit être maintenue à moins que l’on se trouve en présence d’une
exception permettant de l’écarter. Ainsi, ce critère a déjà été retenu
exceptionnellement dans le cadre d’une approche pragmatique.
Il s’agit, en l’espèce, d’un contrat de prêt conclu une vingtaine d’années plus
tôt entre deux parties. Le tribunal a pris en compte l’effet du temps ainsi que
les circonstances actuelles et contextuelles afin de conclure au caractère
abusif d’une clause, qui par l’effet du temps, avait créé un déséquilibre et
une iniquité entre les prestations des parties. La clause en question, qui
prévoyait un taux d’intérêt acceptable à l’époque, était devenue déraisonnable
avec le temps, car bien que l’emprunteur n’ait remboursé aucun montant du
capital prêté, la somme totale des intérêts payés représentait le double de ce
capital. Bien que cette clause fût sanctionnée pour cause de lésion,
[Page 937]
il convient tout de même de noter que le tribunal a retenu dans son
analyse les notions relatives aux clauses abusives.
Le critère de l’effet du temps, bien qu’il ne doive trouver application qu’exceptionnellement,
permet d’évaluer le caractère abusif d’une clause ayant eu pour conséquence de
créer une disproportion entre les obligations des parties pouvant être synonyme
de désavantage excessif ou déraisonnable.
vii) Critère entourant l’objet du contrat et
des intérêts en jeu
2287. Afin de
déterminer si une clause est abusive, il arrive que le tribunal procède à une
analyse de la situation factuelle selon une approche pragmatique en prenant en
considération les intérêts en jeu ayant été les motifs et la cause de la
conclusion du contrat en question. Il peut même utiliser un critère de
modulation entre la clause et les intérêts en jeu de chacune des parties au
contrat. À titre d’illustration, l’inclusion dans un contrat portant sur l’hébergement
de personnes atteintes de déficience intellectuelle, d’une clause permettant au
client de mettre fin au contrat en tout temps si le meilleur intérêt des
usagers le commande, aurait pu être jugée abusive par son application si on ne
tient pas compte de l’importance accordée à la protection des usagers.
2288. Les intérêts
en jeu peuvent donc être un critère intéressant permettant d’évaluer le
caractère acceptable ou abusif de la clause en question. Ainsi, un intérêt
légitime justifiant la présence de la clause dans le contrat peut rendre
celle-ci non abusive alors qu’elle aurait pu l’être par son exécution et sa
mise en application. Par ailleurs, la prise en considération de l’objet du
contrat ainsi que les intérêts en jeu peuvent cependant amener la Cour à
conclure que la clause en question est abusive, lorsqu’elle contrevient à cet objet ou met en question l’obligation d’une
partie, alors que celle-ci était une considération principale pour l’autre
partie sans laquelle elle n’aurait pas contracté. À titre d’illustration, une
clause d’exclusion de responsabilité prévue à un contrat de location d’espace, invoquée par le
propriétaire, peut être déclarée abusive, alors que celui-ci s’était engagé à
une obligation de résultat relative à la sécurité des lieux. Cette clause d’exclusion
va à l’encontre de l’objet même du contrat et constitue une violation de l’obligation
essentielle du contrat qui était une considération principale pour le locataire
qui cherche par la conclusion d’un contrat de location pour fins d’entreposage
un endroit sécuritaire.
[Page 938]
C. Moment de l’évaluation du
caractère acceptable ou abusif de la clause
2289. L’évaluation
du caractère acceptable ou abusif de la clause doit se faire, selon certains
auteurs, lors de l’engagement
des parties, afin d’éviter de confondre la clause déraisonnable ou abusive avec
les conséquences résultant des changements économiques ou des conditions de
marché et, par conséquent, appliquer la règle bien connue par la théorie de l’imprévision.
Selon les auteurs de cette thèse, le législateur réfère par la disposition de l’article
1437 C.c.Q. au moment de la conclusion du contrat plutôt qu’au moment de son
exécution pour faire l’évaluation du caractère abusif ou acceptable d’une
clause.
2290. Cette
thèse est valable dans la mesure où les conséquences de l’application de la
clause résultent seulement des changements survenus dans les conditions du
marché après la conclusion du contrat. Elle ne doit cependant pas englober une
situation dont les conséquences inacceptables découlent des circonstances ayant
entouré la mise en application d’une
clause contractuelle, contrairement à ce qui était prévu lors de la conclusion
du contrat. Dans ce dernier cas, il ne faut pas exclure l’application des
critères d’une clause abusive uniquement par crainte d’admettre indirectement l’application
de la théorie de l’imprévision alors que ce n’est pas le cas.
2291. Il importe
donc de distinguer le cas où les conséquences résultent d’un changement dans
les conditions de marché notamment les conditions économiques et financières et
le cas où les conséquences résultent de circonstances ayant entouré la mise en
application de la clause en question par son bénéficiaire. Dans ce dernier cas,
les conséquences sont le résultat du fait de l’autre contractant et le tribunal
peut sanctionner l’acte de ce dernier sans aucun risque d’appliquer la théorie
de l’imprévision. Cependant, dans le premier cas, la révision du contrat peut
être une application de la théorie de l’imprévision qui n’est pas encore
acceptée dans notre droit. À titre d’exemple,
dans un contrat intervenu entre des entreprises de déneigement et la ville, le
tribunal a refusé de réviser le contrat en question afin d’ajuster le prix en
raison d’une hausse importante du carburant, qui selon les entreprises de
[Page 939]
déneigement était
imprévisible. Cette demande d’ajustement aurait pour
effet d’appliquer la théorie de l’imprévision.
2292. Il ne
faut pas toujours imputer le résultat de l’application d’une clause incluse dans un contrat d’adhésion aux changements dans les conditions économiques, car le caractère
abusif de cette clause peut devenir évident suite aux comportements et à la conduite de la partie contractante qui l’a
imposé au départ
et a cherché, dans des circonstances particulières, à en tirer un avantage. Le comportement du contractant
ayant mis en application la clause contractuelle reflète souvent son intention
qui était à l’origine de l’inclusion de cette clause dans le contrat. Son
attitude déraisonnable et non conforme aux exigences de la bonne foi en
choisissant le moment de la mise en application d’une clause contractuelle
avantageuse pour lui, doit être prise en considération lors de l’évaluation du
caractère acceptable ou abusif de cette clause. C’est seulement lorsque les
conséquences néfastes n’auraient pu avoir lieu sans la mise en application de
la clause en question, que le tribunal peut conclure au caractère abusif de
celle-ci.
2293. La loi
sanctionne un comportement non conforme aux exigences de la bonne foi même en présence d’une clause usuelle, mais les
conséquences qui en résultent peuvent être dues en partie à la nature et au
caractère déraisonnable de la clause qui en est la source principale. C’est le
cas notamment, lorsqu’une clause incluse dans un contrat de travail auquel a adhéré un employé, stipule que
si celui-ci quitte son emploi avant une période de cinq ans, il perdra ses
droits dans les épargnes qu’il a accumulées en travaillant pour l’entreprise.
Cette dernière devient abusive lorsque son application est due à la démission
forcée de l’employé pour cause de maladie.
2294. À la lumière
de la jurisprudence rendue en matière de clauses abusives, on note une tendance
à appliquer une approche pragmatique, afin de pouvoir faire une évaluation
objective du caractère de la clause en question. Par le recours à cette
méthode, le tribunal peut tenir compte aussi des circonstances ayant entouré sa
mise en application et qui peuvent contribuer à rendre la clause abusive, tout
comme l’analyse de celle-ci en relation avec l’ensemble du contrat.
2295. Il est
donc important que le tribunal prenne en considération les circonstances dans
lesquelles le contrat d’adhésion a été conclu afin de vérifier si l’adhérent
pouvait prévoir les conséquences de l’application de la clause en question. Si
la preuve révèle que ces conséquences
[Page 940]
étaient prévisibles,
cela confirme que l’adhérent n’avait pas le choix que d’adhérer au contrat
malgré les risques pouvant découler de la clause en question. La partie ayant
imposé le contrat d’adhésion aura alors intérêt à démontrer que les effets
résultant de la mise en application de la clause étaient imprévisibles pour les
deux parties, afin d’éviter l’application indirecte de la théorie de l’imprévision.
2296. Le tribunal
doit cependant garder à l’esprit qu’en présence d’un contrat d’adhésion, la
partie faible ne pourrait refuser ou proposer des modifications à une clause
même si elle doutait des conséquences néfastes pouvant résulter de son
application. Ainsi, la thèse voulant éviter l’établissement de la théorie de l’imprévision
indirectement, ne doit jamais prévaloir sur le travail d’appréciation du
tribunal et ainsi, être un obstacle à l’application de la règle de protection
prévue à l’article 1437 C.c.Q.
2297. Il
convient de souligner que bien que le contenu d’une clause ne soit pas abusif,
l’endroit où elle figure au contrat peut avoir pour effet d’induire en erreur l’adhérent
ou le consommateur. C’est le cas notamment, d’une clause inscrite sous un
mauvais titre, rendant aussi moins évidentes son importance et sa portée quant
aux droits et obligations des parties. Cette clause peut être annulée puisqu’elle
est abusive en raison de son emplacement. Les tribunaux tiendront également
compte des obligations respectives des parties pour déterminer le caractère
abusif d’une clause.
2298. L’examen
du caractère abusif de la clause doit donc se faire en tenant compte des
conséquences qui résultent de sa mise en application. Il importe toutefois de mentionner que cette méthode d’analyse du
caractère abusif de la clause en question est encore une pratique controversée
en droit. En effet, la jurisprudence et la doctrine demeurent partagées quant
au moment où le caractère abusif d’une clause devrait être examiné. Ainsi,
certains auteurs croient que l’analyse du caractère abusif d’une clause doit se
faire de manière restrictive au moment de la conclusion du contrat, alors que d’autres
préconisent une évaluation objective plus large afin de prendre aussi en
considération les effets de la clause et les circonstances précises qui
surviennent lors de sa mise en application. En découle ainsi l’importance de
présenter les différents critères élaborés par la jurisprudence.
[Page 941]
3. Conséquence
de la qualification d’une clause abusive ou déraisonnable
2299. Il
convient de mentionner qu’un contrat qualifié d’un contrat d’adhésion demeure
valable et ce sont les clauses abusives seulement qui sont susceptibles d’être
annulées en vertu de l’article 1437 C.c.Q. Ainsi, le contrat ne sera pas annulé en entier à moins que les
clauses qui y sont prévues ne soient indivisibles, tel que le prévoit l’article
1438 C.c.Q. Il importe donc de ne
pas restreindre l’application de l’article 1379 C.c.Q., qui n’affecte en rien la validité du contrat et les autres
clauses qui y sont prévues.
2300. L’article 1437 C.c.Q. confère un pouvoir discrétionnaire
au juge qui peut annuler une clause abusive ou encore réduire les obligations
qui en découlent. En présence d’une clause qui est uniquement déraisonnable, il
est préférable d’accorder une réduction des obligations qui en découlent à l’adhérent
ou au consommateur, plutôt que de conclure à la nullité de cette clause.
2301. Quant à la
clause abusive, une question se pose à savoir si le tribunal doit opter
systématiquement pour sa nullité ou s’il doit, au contraire, réduire les
obligations qui en découlent. Il s’agit d’une question qui doit être déterminée selon certains facteurs propres au cas d’espèce.
Bien souvent, ce qui influence le juge, ce sont les conséquences de sa
décision, notamment la possibilité de créer une injustice à l’égard de l’une
des parties s’il conclut à la nullité complète d’une clause, ou encore, si la
nullité de cette clause pourrait procurer à l’adhérent un avantage injustifié.
Le juge doit donc user de sa discrétion et identifier soigneusement les
conséquences pouvant résulter de chacune des solutions alternatives
afin de ne pas maintenir le déséquilibre contractuel entre
les parties en déplaçant uniquement le désavantage de l’adhérent sur les épaules
de l’autre partie.
A. Nullité de la clause abusive
2302. La nullité d’une
clause abusive peut être prononcée par le tribunal, à sa discrétion, suite à
son appréciation des faits en vue de rétablir l’ordre contractuel qui doit
prévaloir à l’intérieur d’une relation contractuelle. Ainsi, une clause de
non-concurrence incluse dans un contrat de travail peut être déclarée abusive
et, par conséquent, annulée par le tribunal lorsqu’elle protège de manière plus
que nécessaire les
[Page 942]
intérêts légitimes de l’employeur en empêchant directement l’employé de
se trouver un emploi dans son domaine d’expertise ou de compétence.
Lors de la prise de sa décision, le tribunal peut prendre en considération l’existence d’autres clauses permettant à l’employeur de trouver une certaine protection. Ainsi, une clause
de confidentialité pourra procurer à l’employeur une
protection relativement à son droit de confidentialité sur ses recettes, ce qui
encourage le tribunal à déclarer nulle la clause de non-concurrence excessive
qui empêche l’employé de travailler dans son domaine de spécialité.
2303. En somme,
bien qu’il soit possible pour le tribunal d’annuler la clause abusive prévue
dans un contrat d’adhésion, il s’ensuit que ce n’est pas toujours la solution
la plus équitable et appropriée à la situation. Dans sa recherche d’une solution équitable, le juge ne doit pas hésiter
à opter pour une réduction des obligations découlant de la clause considérée
abusive au lieu de la déclarer nulle et ainsi déplacer les désavantages sur l’autre
partie. Cette solution doit s’imposer lorsque la preuve ne révèle pas de
mauvaise foi de la part du bénéficiaire de cette clause.
B. Réduction des obligations qui en
découlent
2304. Il
convient de rappeler que la stabilité des relations contractuelles, l’équité et
la liberté contractuelle sont des principes bien établis dans notre droit. Afin
de concilier ces principes fondamentaux, le juge peut user de sa discrétion en
décidant de réduire les obligations qui découlent d’une clause abusive plutôt
que de l’annuler complètement lorsque cela pourrait créer des injustices
sérieuses pour l’autre partie. Ainsi, en accordant à l’adhérent une réduction
de ses obligations, le tribunal vient
rétablir l’équité contractuelle qui pouvait être brimée par l’application d’une
clause considérée déraisonnable ou abusive.
2305. Il en est
ainsi lorsqu’une clause incluse dans un contrat de services empêche l’une des
parties de résilier son contrat sous peine de payer une pénalité excessive,
alors que son cocontractant, de toute évidence, ne répond pas à ses obligations
contractuelles. Cette clause abusive à laquelle se rattache une clause pénale qui impose un montant excessif
en cas de résiliation du contrat, doit inciter le juge à chercher une solution
permettant de concilier le principe de la stabilité des relations
contractuelles avec celui qui préconise l’équité et la justice contractuelle.
Cette conciliation se concrétise par une réduction du
[Page 943]
montant de la pénalité à payer par la partie qui décide de résilier son contrat, alors qu’une clause lui interdit de le faire.
4. La
clause abusive dans le contrat de gré à gré
2306. L’article 1623 C.c.Q., qui permet aux tribunaux de
réduire le montant de la pénalité, ne laisse aucune ambiguïté quant à son application. En effet, toute clause pénale
jugée abusive pourrait désormais être réduite par le tribunal indépendamment de
la nature du contrat dans lequel elle se trouve, qu’il s’agisse d’un contrat d’adhésion
ou d’un contrat conclu de gré à gré.
2307. On peut se
servir de la notion de la clause abusive telle que définie à l’article 1437 C.c.Q. même dans des cas où le contrat est
de gré à gré. Ainsi, pour déterminer si une clause pénale contenue dans un
contrat de bail commercial est abusive le tribunal peut appliquer les critères
de l’article 1437 C.c.Q. afin de
réduire en conséquence le montant de la pénalité.
Le montant obtenu après réduction de l’obligation correspondait davantage aux
taux de perception des créances découlant des baux. L’article 1623 C.c.Q.
prévoit la réduction d’une obligation contenue dans une clause pénale lorsque
celle-ci est abusive. Puisqu’il n’y a pas de définition de la clause abusive
dans le Code civil autre que celle qui figure à l’article 1437 C.c.Q., il est possible de s’y référer
afin de déterminer le caractère abusif ou non d’une clause pénale dans un
contrat de gré à gré. Toutefois, dans l’éventualité
où la clause est jugée abusive par le tribunal, le remède approprié sera la
réduction des obligations qui en découlent et non pas la nullité de la clause
puisqu’il est préférable de privilégier la stabilité des contrats.
De plus, contrairement à l’article
[Page 944]
1437 C.c.Q., l’article 1623 C.c.Q. ne confère pas au tribunal le pouvoir d’annuler la clause pénale.
En effet, dans le contexte des contrats commerciaux, le respect du
consensualisme sera mis à l’avant-plan, de sorte que le tribunal doit refuser d’intervenir
en présence d’une clause qui, bien qu’elle stipule une pénalité élevée, ne va
pas à l’encontre de l’ordre public économique. Ainsi, en l’absence d’un
déséquilibre entre les parties lors des négociations comme c’est le cas dans un
contrat d’adhésion, la stabilité de la relation contractuelle prévaudra.
2308. Par
ailleurs, la jurisprudence a admis qu’une clause compromissoire ne constitue
pas une clause abusive, même si elle a pour effet de nier aux parties le droit
de recourir à la justice. Si elle ne désavantage pas l’adhérent de manière
excessive ou déraisonnable, ce n’est pas une clause abusive.
5. La
clause pénale dans un contrat d’adhésion ou de consommation
2309. Plusieurs
jugements contradictoires portant sur la validité d’une clause pénale dans les
contrats d’adhésion ont été rendus par les Tribunaux. Le débat porte
essentiellement sur l’application de la même clause pénale contenue dans ce
contrat type, clause qui prévoit un montant à payer en cas de non-respect de l’obligation
d’approvisionnement. Certains jugements ont déclaré la clause pénale abusive
alors que d’autres jugements ont conclu qu’elle n’était pas abusive et l’ont
déclaré
[Page 945]
opposable au
contractant adhérent. Dans cette deuxième
catégorie de jugements, on peut noter que dans la plupart des cas, la preuve
était révélatrice et justifiait l’application de la clause pénale. On peut
aussi noter que certains juges ont conclu que la résiliation du contrat était
justifiée, alors qu’il s’agissait seulement d’une simple et unique
contravention à l’obligation d’approvisionnement.
2310. Il faut
cependant souligner que ce raisonnement a pour effet de permettre à la partie
ayant rédigé et imposé le contrat d’adhésion d’être partie et arbitre en même
temps. Le tribunal qui refuse de discuter de la nature de ce contrat d’adhésion,
de la validité de cette clause pénale et de son caractère abusif, ou qui refuse
de réduire les montants de pénalité, limite volontairement l’étendue de son
autorité. Au lieu d’exercer son pouvoir discrétionnaire, comme le prévoit l’article
1437 C.c.Q., il transforme son
rôle et le limite à constater un état de droit et à rendre un jugement
déclaratoire. Dans certaines décisions, l’attitude de la partie ayant imposé le
contrat était abusive lors de sa résiliation. Comment peut-on permettre à la
partie qui a rédigé ce contrat de le résilier immédiatement, sans avis ni mise
en demeure préalable ? C’est
pourquoi le tribunal, lors de son analyse des clauses pouvant être qualifiées d’abusives
dans le contrat d’adhésion ou de consommation, doit conserver un large pouvoir
discrétionnaire.
2311. Il faut
rappeler que la définition du contrat d’adhésion est très large et qu’en
conséquence, les cas d’application de l’article 1437 C.c.Q. seront très
nombreux. Notons que l’article 82 de la Loi sur l’application de la réforme
du Code civil prévoit que l’article 1437 C.c.Q.
[Page 946]
s’applique même aux
contrats passés avant l’entrée en vigueur du Code civil du Québec.
Il faut toutefois souligner que ce même article ne confie pas un effet
rétroactif à l’article 1437 C.c.Q.
Les dispositions du Code civil du Bas-Canada doivent s’appliquer lorsque
la situation qui a donné naissance au litige s’est produite avant l’entrée en
vigueur du Code civil du Québec. Le
tribunal ne peut donc revenir sur les effets produits par un contrat
entièrement exécuté avant le 1er janvier 1994
puisque le principe général de l’effet immédiat de la
nouvelle loi ne permet d’appliquer l’article 1437 C.c.Q. qu’aux effets produits après son entrée en vigueur, même s’ils
découlent d’un contrat conclu antérieurement.
2312. Par
ailleurs, la question se pose à savoir si le législateur a voulu, par cet
article, introduire indirectement la notion de lésion entre majeurs. La réponse
devrait être négative, puisque l’article 1405 C.c.Q. stipule clairement que la lésion entre majeurs n’est pas une
cause de nullité du contrat. Ainsi, bien que certaines conditions de mise en application de la notion de lésion et de la
protection contre les clauses abusives, telles que l’exploitation d’une partie
par l’autre, et les conséquences de leur application (nullité ou réduction de l’obligation)
soient semblables, ces deux concepts demeurent différents. Affirmer que l’article
1437 C.c.Q. introduit la notion de
lésion entre majeurs viderait l’article 1405 C.c.Q. de sa substance.
6. Cas
particuliers d’application de l’art. 1437 C.c.Q.
2313. Les
tribunaux ont généralement tendance à qualifier d’abusive une clause ayant pour
effet de soumettre l’obligation qu’elle prévoit à l’exercice d’un pouvoir
discrétionnaire et unilatéral par la partie ayant imposé le contrat d’adhésion.
[Page 947]
2314. Les
tribunaux ont aussi déclaré que les clauses d’élection de for, souvent
contenues dans les contrats résultant d’appel d’offres public, n’étaient
généralement pas abusives. Ces clauses sont fréquentes dans les contrats
conclus avec des entreprises publiques, telle Hydro-Québec, qui œuvrent sur l’ensemble
du territoire québécois et pouvant donc être poursuivies dans plusieurs
districts judiciaires différents, alors que son siège social se trouve dans une
ville particulière. Cela est d’autant plus vrai lorsque l’autre contractant a,
lui aussi, son siège social dans la même ville, même si l’exécution du contrat
doit avoir lieu dans un district judiciaire éloigné et différent. Ainsi, dans
un contrat du genre, le contexte ne permet pas d’établir la déraisonnabilité de
la clause et de la qualifier d’abusive. On ne dénature généralement pas le
contrat conclu et on ne dévie pas des obligations du contrat par une clause d’élection
de domicile.
A. Clause d’exonération de
responsabilité
2315. Est abusive
la clause limitative de responsabilité incluse dans un contrat de consommation
qui vise à restreindre ou à libérer le vendeur de son obligation de garantir la
qualité du bien vendu, notamment contre un vice qui le rend impropre à l’usage
auquel il est destiné. Elle doit donc être déclarée nulle en raison de son
caractère inéquitable et abusif qui dénature le contrat de vente.
Même en cas de doute sur son caractère abusif, la clause doit être interprétée
en faveur de l’adhérent ou du consommateur et les tribunaux doivent y accorder
une attention particulière.
2316. D’ailleurs,
la clause d’exonération de responsabilité incluse dans un contrat d’adhésion
auquel un créancier a adhéré doit être interprétée en sa faveur. Cette solution
est conforme à la règle prévue à l’article 1432 C.c.Q. Elle affirme également la règle voulant qu’en cas de doute, il
faut privilégier l’interprétation qui est la plus favorable au plein exercice d’un
droit. Ainsi, lorsque la non-responsabilité du débiteur de l’obligation n’est
pas expressément stipulée, la clause d’exonération visant des cas précis ne
peut avoir le même effet que la clause d’exclusion de responsabilité.
Au contraire, elle doit recevoir une interprétation restreinte afin de limiter
son application aux cas visés lors de la conclusion du contrat.
[Page 948]
2317. Il est
fréquent de retrouver ce type de clause d’exonération de responsabilité dans
les contrats d’entreprises. Bien qu’en général ce contrat fasse l’objet de
négociations entre les parties, l’entrepreneur peut tout de même introduire
dans le contrat certains textes tirés du contrat type, notamment des clauses
restrictives ou limitatives de responsabilité. Dans ce cas, l’intervention du
tribunal peut être jugée nécessaire lorsque l’application d’une clause
limitative de responsabilité a pour effet d’enlever au client une garantie
prévue dans les dispositions régissant ce genre de contrat.
En effet, une clause exonératoire de responsabilité peut être considérée comme
abusive lorsqu’elle prive le créancier d’un bénéfice fondamental à tel point qu’elle
dénature le contrat permettant ainsi au tribunal de l’invalider.
Il suffit de se référer à la règle prévue à l’article 2118
C.c.Q., considérée par la doctrine et la jurisprudence
comme étant d’ordre public, rendant ainsi toute clause d’exonération ou d’exclusion
de responsabilité nulle et inopérante.
2318. La Cour
suprême a d’ailleurs entériné ce principe en statuant qu’on ne peut envisager,
dans un contrat avec un agent immobilier, une clause prévoyant une rétribution
autre que celle assujettie à la vente de la propriété, comme le prévoit la loi.
Agir autrement irait à l’encontre de la réglementation en place et la
protection du consommateur d’autant plus qu’une telle clause ne peut être
justifiée par la liberté contractuelle.
2319. De même, la
clause d’exonération de responsabilité dans un contrat de consommation par
laquelle le commerçant cherche à se dégager des conséquences de son fait
personnel doit être examinée à la lumière des dispositions contenues dans la Loi
sur la protection du consommateur et non pas sous l’angle de l’article 1437 C.c.Q.. En d’autres
termes, la règle prévue à cet article sera prise en compte en l’absence d’une
disposition impérative traitant la question soulevée par le consommateur ou l’adhérent
quant à la validité d’une clause incluse dans un contrat d’adhésion ou de
consommation.
[Page 949]
B. Clause relative au prix
2320. Il convient d’apporter
quelques précisions quant aux clauses relevant de l’article 1437 C.c.Q. Cet
article s’applique aux clauses abusives portant sur des stipulations
accessoires au contrat. Cependant, qu’en
est-il de son application aux clauses portant sur des stipulations
essentielles, telle une clause relative au
prix ? Les auteurs s’entendent
majoritairement pour dire que cet article ne peut s’appliquer à une clause
relative au prix, car ceci aurait pour
effet d’introduire indirectement la notion de lésion entre majeurs comme cause
de nullité du contrat. Ainsi, une partie pourrait, en faisant annuler une
clause relative au prix, d’obtenir du même coup l’annulation de tout contrat
conformément à l’article 1438 C.c.Q. On peut cependant envisager certains cas où un cocontractant tirerait
avantage de la situation de l’adhérent en incluant une clause de prix
exorbitant justifiant ainsi la sanction prévue à 1437 C.c.Q. En fait, il s’agit
de voir si cet article s’applique à un contrat contenant une clause de prix
abusive, contrat conclu alors que l’adhérent était dans un état de nécessité.
2321. Un tribunal
ne devrait pas refuser d’appliquer la protection prévue à l’article 1437 C.c.Q. à une clause relative au prix lorsque
cette clause a été imposée par la partie qui a rédigé le contrat et lorsqu’il
était impossible pour l’adhérent d’obtenir le même bien ou le même service ailleurs. Il en est ainsi, par exemple,
lors du renouvellement d’un bail commercial entre un locateur et une entreprise
bien établie, et dont le montant du loyer est abusif. L’entreprise locataire
qui s’est vue imposer un loyer exorbitant n’a pas la possibilité de refuser
cette clause ou d’aller contracter ailleurs puisqu’elle risque, entre autres,
de perdre sa clientèle et de subir un préjudice énorme. L’article 1437 C.c.Q.
devrait donc s’appliquer et le locataire pourrait alors demander l’annulation
ou la réduction du prix. Nous ne sommes pas en présence d’un cas où la notion
de lésion dans un contrat entre majeurs est introduite indirectement puisqu’il
s’agit plutôt de sanctionner une clause abusive dans un contrat d’adhésion. De
plus, la sanction qui devrait être appliquée préférablement est la réduction de
l’obligation contenue dans la clause de prix abusive. En effet, il ne peut être
dans l’intérêt des parties que la clause soit annulée, car cette annulation
pourrait avoir comme conséquence l’annulation du contrat par l’application de l’article
1438 C.c.Q. Ainsi, une fois l’obligation réduite, la clause abusive disparaît
et le contrat devient
[Page 950]
tout à fait valable. La
notion de lésion n’est donc pas introduite et les principes de bonne foi de
stabilité des contrats sont sauvegardés.
2322. D’ailleurs,
la Cour d’appel a privilégié une interprétation large de la notion de clause
abusive. Elle a aussi reconnu un large pouvoir discrétionnaire et d’appréciation
aux juges lors de l’interprétation de ces clauses. Suivant cette logique, on
peut conclure qu’une clause relative au prix, insérée dans un contrat, peut
être qualifiée d’abusive, lorsque cette clause rend disproportionnées les
obligations principales découlant du contrat entre les parties.
C. Clause de restriction du
transfert des actions
2323. Étant
donné que le droit corporatif, à savoir la Loi sur les compagnies du Québec et
la Loi canadienne sur les sociétés par actions, permet d’insérer dans le
statut constitutif de la compagnie ou de la société par actions des
restrictions sur le transfert des actions par leurs détenteurs (art. 123.12 (8) LCQ; art. 6 (1) d) LCSA),
il serait difficile de soulever l’illégalité de la présence d’une telle clause
dans le statut de la compagnie. Ces restrictions peuvent aussi être insérées
dans une clause contenue dans une convention entre actionnaires. Elles peuvent
en plus faire l’objet de stipulations incluses dans les règlements de la
compagnie ou de la société par actions adoptées à la majorité par les
actionnaires et les administrateurs.
1) Distinction entre la clause générale de restriction et la clause de
premier refus
2324. Il importe
de faire la distinction entre une clause de restriction
qui assujettit le transfert des actions à l’approbation
des administrateurs et une clause de restriction appelée « droit de premier refus ». La validité, la portée, l’application et l’interprétation
de chacune de ces clauses peuvent être différentes ainsi que les effets qui en
découlent, plus particulièrement quant à la sanction qui s’impose en cas d’un
exercice déraisonnable ou abusif de la part de la personne ou des personnes qui
se prévalent de ladite clause.
2325. En effet,
dans le cas d’une clause de droit de premier refus, le droit de l’actionnaire
qui désire vendre ses actions pourra être moins menacé étant donné que le refus
de l’autre ou des autres actionnaires de
[Page 951]
se porter acquéreurs des actions faisant l’objet de l’offre
de vente ne pourra pas, en principe, empêcher l’actionnaire
vendeur de procéder à la vente selon les termes et les conditions de l’offre
faite par un tiers et qui a été soumise aux autres actionnaires pour exercer
leur droit de premier refus. Par la suite, tout refus des administrateurs d’adopter
la résolution qui autorise la vente ou le transfert au tiers offrant sera
considéré comme un refus déraisonnable et abusif pouvant être sanctionné par
les tribunaux, non seulement en vertu du droit corporatif, mais aussi en vertu
des règles de droit civil, notamment les articles 6, 7 et 1457 C.c.Q. Dans ce
cas, la conduite des administrateurs, que leur refus soit exprimé par écrit ou
verbalement ou par un simple refus de répondre à la demande de l’actionnaire
vendeur, constitue au moins une faute au sens de ces articles, soit une
conduite qui n’est pas conforme aux exigences de la bonne foi dans l’exercice
de leur pouvoir en tant qu’administrateurs. Dans certains cas, et si les
circonstances qui entourent un tel exercice le permettent, le comportement et
la conduite des administrateurs peuvent être qualifiés d’abus de droit.
2326. Par
contre, lorsqu’il s’agit d’une clause restrictive au droit de transfert des
actions autre qu’une clause appelée « droit de premier refus », la validité, la portée, l’application et l’interprétation d’une telle
clause peuvent être régies par des règles différentes dont la sanction ou les
sanctions pourraient varier d’un cas à un autre. Notons toutefois la
possibilité d’établir les parallèles avec une clause de premier refus.
2) Validité de la clause
2327. La
validité de la clause de restriction dépend de la nature du document dans
lequel elle se trouve, de son acceptation ou non par l’actionnaire ainsi que du
moment où cet actionnaire l’a acceptée.
a) Clause se
trouvant dans le statut constitutif de la compagnie ou de la société par
actions
2328. Le statut
constitutif de la compagnie ou de la société par actions peut être considéré
comme un contrat d’adhésion, article 1379 C.c.Q..
Lorsque l’actionnaire concerné par la vente ou le transfert de ses actions, n’est
pas signataire de ce statut en tant que fondateur et n’est pas non plus sur le
premier conseil d’administration qui a adopté le règlement de la compagnie ou
de la société en conformité avec le statut constitutif. Cet actionnaire peut s’adresser
à la Cour pour faire déclarer la clause restrictive nulle lorsque, après avoir
soumis sa demande aux administrateurs, ces derniers ne lui donnent pas une
réponse ou lorsque
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cette réponse est un
refus sans motif ou lorsque le motif invoqué pour justifier ce refus n’est pas
un motif valable ou raisonnable. Soulignons que pour que le motif soit valable
ou raisonnable, il doit servir aux intérêts de la compagnie ou de la société
par actions.
2329. Pour
réussir dans son recours, l’actionnaire doit faire la preuve de la mauvaise
application de la clause de restriction par les administrateurs alors que sa
demande remplit les critères applicables ou lorsque les motifs invoqués par les
administrateurs ne correspondent pas à ceux qui y ont été prévus. Notons que la
clause de restriction doit recevoir une interprétation et une application
restrictive, de sorte que les administrateurs ne peuvent ajouter d’autres
critères ou d’autres motifs à ceux qui sont déjà prévus dans la clause. Ainsi,
ils ne peuvent accorder à cette clause une application générale lorsqu’elle
prévoit les cas où le transfert des actions ne serait pas autorisé.
2330. Notons
que lorsque la clause de restriction prévoit les critères à appliquer par les
administrateurs ainsi que les motifs pouvant justifier le refus du transfert
des actions envisagé, le recours de l’actionnaire pour invalider la clause de
restriction peut avoir un résultat mince, même s’il n’était pas partie à l’élaboration
de cette clause ou à son adoption. De même, peut être considérée comme un motif valable l’interdiction de
transfert des actions par un actionnaire dans le but de permettre à la
compagnie de garder son statut d’émetteur fermé ou dans le but d’empêcher un
employé de la compagnie de devenir son actionnaire
ou afin d’empêcher une compagnie concurrente ou une personne qui la contrôle de
devenir actionnaire ou afin de conserver la nature familiale de la compagnie,
etc. Rien dans ces restrictions n’est abusif ou ne peut justifier l’intervention
du Tribunal dans une question de gérance qui relève en principe de la seule
volonté des personnes ayant fondé la compagnie ou la société par actions.
En effet, une compagnie peut légalement poser certaines conditions quant aux
qualités requises par la personne pour en devenir actionnaire.
2331. La
clause de restriction vise, particulièrement dans un contexte d’entreprise
familiale, à exercer un contrôle sur les actionnaires, de façon à assurer la
cohésion essentielle à la gestion efficace de la société, qui passe par la
confiance et la collaboration. Il s’agit là d’un objectif légitime,
parfaitement conciliable avec le
devoir des administrateurs dans la mesure où il vise l’intérêt de la compagnie.
[Page 953]
2332. Généralement,
les restrictions sont maintenues lorsque la preuve est faite que les
administrateurs de la société agissaient de bonne foi plutôt que de façon
arbitraire. En effet, « [l]’approbation d’un transfert par les
actionnaires ou les administrateurs constitue également un mode de contrôle sur
l’accès de tiers au capital-actions de la compagnie ou un changement interne de
majorité à l’intérieur de la compagnie. Le transfert des actions devient
conditionnel à l’acceptation de l’acquéreur proposé. Un refus d’approbation d’un
cessionnaire éventuel est légitime si les membres de la compagnie désirent
maintenir le caractère personnel de leur entreprise. Lorsque les
administrateurs sont chargés de l’approbation d’un transfert d’actions, ils
doivent prendre en considération les intérêts de la compagnie et ils peuvent
déterminer ce qui constitue cet intérêt ».
2333. Or, dans l’hypothèse
d’un conflit mettant fin à cet esprit de collaboration et que l’un des
actionnaires souhaiterait se départir de ses actions, tout en se voyant opposer
le refus du conseil d’administration, il s’agirait là d’une application abusive
de cette clause puisque deviendrait dès lors impossible de justifier ce refus
par un esprit d’équipe inexistant et que la conduite du conseil s’assimilerait
alors à une vengeance et ne répond pas aux exigences de la bonne foi.
2334. En cas de
litige découlant du refus des administrateurs d’autoriser un transfert d’actions
d’un actionnaire vers un tiers, le tribunal peut tenir compte non seulement de l’application de la clause restrictive par les administrateurs, mais aussi
de la conduite des parties avant la demande du transfert. Il peut ainsi prendre
en considération les motifs qui sont à l’origine de la décision de l’actionnaire
de se départir de ses actions. Le comportement fautif des actionnaires à l’égard
de l’actionnaire vendeur peut être un facteur qui justifie la non-application
de la clause restrictive au droit de transfert d’actions. C’est le cas lorsqu’un
actionnaire refuse à son coactionnaire l’accès à l’information et aux livres de
la compagnie. Un tel refus peut avoir pour effet de lever la restriction
relative au transfert d’actions. Le comportement qualifié d’abusif et la
mauvaise foi du conseil d’administration ou des autres actionnaires rendent
inopérante la restriction au transfert des actions et dispensent l’actionnaire
lésé d’obtenir l’autorisation du conseil d’administration.
[Page 954]
b) Clause de
restriction insérée dans le règlement de la compagnie ou de la société par
actions
2335. Les
articles 46 et 91 de la Loi sur les compagnies permettent
aux administrateurs d’une compagnie de restreindre par voie de règlement le
droit des actionnaires de vendre leurs actions à des tiers. Ces pouvoirs ne
sont pas toutefois absolus. L’actionnaire qui n’a pas participé à l’adoption de
ce règlement pourra attaquer la validité de cette disposition dans la mesure où
il prouvera son caractère déraisonnable ou abusif.
2336. Les
administrateurs ne peuvent adopter des règlements qui restreignent le droit
même de disposition, soit en le soumettant à la discrétion des administrateurs,
soit en imposant un prix différent de celui qu’on peut obtenir par ailleurs. En
d’autres termes, la Loi ne permet pas aux administrateurs d’imposer par voie de
règlement l’obligation pour un actionnaire d’offrir ses actions à ses
coactionnaires à un prix déterminé, soit par exemple à un prix égal à leur
valeur aux livres.
2337. Lorsque le
règlement de la compagnie ou de la société par actions a été adopté par l’ensemble
des membres de la personne morale, il devient difficile pour le tribunal de
conclure à la mauvaise foi de l’ensemble des membres ou de conclure que ces
derniers avaient comme objectif d’imposer des clauses abusives à eux-mêmes.
Ainsi, leurs propositions, en
incluant ces clauses, peuvent avoir plutôt pour but d’agir dans le meilleur
intérêt de la personne morale. Par contre, l’adoption d’une clause qui oblige
les membres à payer la cotisation et les frais se rattachant aux actions non
vendues jusqu’au moment où une autre personne se porte acquéreur de ces
dernières peut être abusive, à moins qu’un délai raisonnable ne soit prévu pour
permettre à l’actionnaire de trouver un nouvel actionnaire.
2338. Les
règlements qui ont été adoptés avant l’arrivée d’un nouvel actionnaire par les administrateurs
et les autres actionnaires peuvent être considérés comme un contrat d’adhésion
à son égard. Ainsi, l’actionnaire
qui est sous l’impression que les administrateurs allaient lui refuser un tel
transfert peut s’adresser directement à la Cour pour obtenir un jugement
déclarant nulle ou mettant de côté l’application de la clause restrictive en
tant que clause déraisonnable ou abusive.
[Page 955]
2339. Si la
disposition restrictive a fait l’objet d’une modification de règlement, adoptée
à la majorité par les administrateurs et les actionnaires,
l’actionnaire qui n’approuve pas la restriction a le droit de dissidence à l’occasion
de cette modification. Dans ce cas, il
pourra s’adresser au tribunal dans le cadre d’un recours pour oppression
si la modification portant sur la restriction est abusive ou injuste à son
égard.
2340. En l’absence
d’une dissidence notée dans le procès-verbal lors de l’adoption des
modifications aux règlements, l’actionnaire dissident pourra difficilement
remettre en question la validité des restrictions insérées dans les règlements
par voie modificatrice. Au contraire, son silence sera interprété comme une
acceptation tacite. Cependant, l’acceptation des restrictions ou la présomption
de cette acceptation ne pourrait enlever à l’actionnaire ses recours contre la
compagnie et ses administrateurs en cas de mauvaise application ou d’une
application abusive des restrictions adoptées par règlement. Force est de noter
que la situation devient très délicate lorsqu’il s’agit de créer des
restrictions par voie de règlement, puisque la majorité des administrateurs et
des actionnaires pourra imposer sa volonté à la minorité et restreindre contre
son gré le libre exercice de son droit de propriété sur les actions.
c) Clause restrictive
dans une convention entre actionnaires
2341. Une clause
restrictive au droit de transfert des actions pour un actionnaire peut être
insérée dans une convention entre actionnaires. La validité de cette clause
peut être difficilement remise en question par un actionnaire ayant donné son
consentement à cette convention.
2342. Une clause
restrictive contenue dans cette convention ne peut être annulée ou être
déclarée inopposable à un actionnaire, même si elle est déraisonnable ou
abusive, à moins qu’elle n’impose une prohibition totale du transfert des actions. Dans ce cas, il ne s’agit pas d’une
restriction au droit de disposer par l’actionnaire de ses actions mais plutôt d’une
prohibition totale, ce que la Loi sur les compagnies interdit notamment
à l’article 46, qui prévoit clairement que les actions sont transférables aux
conditions prescrites par la loi, la charte et les règlements.
[Page 956]
2343. Il importe
de noter que le conseil d’administration d’une compagnie ou d’une société par
actions ne peut imposer par résolution aux actionnaires ou aux futurs
actionnaires l’adhésion à la convention d’actionnaires ni l’adhésion à une
convention d’actionnaires amendée.
2344. L’actionnaire
qui se voit obligé d’adhérer à une convention d’actionnaires existante ou à une
convention d’actionnaires amendée, pourra faire déclarer la clause restrictive
au transfert d’actions nulle en vertu de l’article 1437
C.c.Q., dans la mesure où il réussit à faire la preuve de
son caractère déraisonnable ou abusif. Une telle convention d’actionnaires
constitue un contrat d’adhésion au sens de l’article 1379 C.c.Q. lorsqu’un
actionnaire est obligé d’y adhérer après l’adoption d’une résolution par le
conseil d’administration ou lorsqu’il n’avait pas d’autre choix que d’y
adhérer, à la suite d’une menace formulée par les actionnaires majoritaires et
pouvant mettre en péril ses intérêts dans la compagnie ou dans la société.
3) Invalidité de la clause en raison de son application
2345. Il est
possible qu’une clause, pourtant valide lors de son adoption, soit déclarée
nulle en raison de son application abusive ou déraisonnable par les
administrateurs. En effet, un conseil d’administration ignorant la demande de
transfert de l’actionnaire et l’empêchant de se dissocier véritablement de la
compagnie priverait celui-ci de son droit de se départir de ses actions
transférables de nature. Ce faisant, il y aura lieu de considérer la clause
invalide, non pas en raison de sa nature, mais plutôt en raison de l’application
abusive qu’en ferait le conseil d’administration. En effet, lorsqu’une telle
restriction est utilisée de mauvaise foi par les administrateurs qui retiennent
leur consentement par intérêt personnel, la restriction peut être levée et la
compagnie forcée de procéder au transfert des actions.
Ainsi, l’absence d’une réponse par les administrateurs à une demande de
transfert d’actions formulée par un actionnaire sera considérée comme une application abusive de la clause qui leur donne
le pouvoir d’approuver ou non ce transfert.
2346. De même,
une réponse non motivée sera aussi considérée comme étant une mauvaise
application de cette clause. Soulignons que même si la clause n’exige pas un
exposé des motifs du conseil d’administration en cas de refus, une telle
obligation est implicitement incluse dans la clause (art. 1434 C.c.Q.).
[Page 957]
2347. Lorsque la
preuve révèle que c’est par intérêt personnel que les administrateurs ont
refusé d’approuver le transfert des actions, leur mauvaise foi quant au motif
invoqué sera évidente. C’est le cas lorsqu’un actionnaire majoritaire place un
actionnaire minoritaire dans une situation où il est contraint de se départir
de ses actions pour ensuite en subir le reproche.
2348. Il n’est
pas nécessaire que la mauvaise application de la clause restrictive soit
évidente selon toute apparence. Il suffit que la restriction
au transfert d’actions soit invoquée par les
administrateurs de manière déraisonnable pour que cela ait un impact sur la
décision du Tribunal, l’amenant ainsi à invalider la clause contenant la
restriction.
4) Cas où la clause restrictive devient inopérante
2349. La clause de
restriction qui assujettit le droit de transfert d’actions à l’approbation des
administrateurs devient inopérante en cas de faillite de l’un des actionnaires
ou d’une saisie exécutoire suivie par une vente sous contrôle de justice de ses
actions.
2350. Par
ailleurs, le refus du conseil d’administration de consentir à tout transfert
des actions du failli demandé par le syndic à la faillite pourra être déclaré
illégal et le tribunal pourra ordonner la vente des actions sans le
consentement du conseil d’administration. Le tribunal pourra aussi dispenser le
syndic de l’obtention du consentement du conseil d’administration de la
compagnie et aussi considérer comme abusive la résolution adoptée par le conseil d’administration en vertu d’une
clause restrictive au droit de transfert des actions.
2351. De même, en
cas d’une saisie exécutoire pratiquée sur les actions d’un actionnaire suite à
un jugement qui condamne ce dernier à payer une somme d’argent à son créancier,
l’approbation du conseil d’administration de la vente de ses actions par le
huissier ou à l’acceptation du tiers ayant acquis ces actions lors de la vente
sous contrôle de justice ne sera pas nécessaire. Toute décision du conseil d’administration
fondée sur une clause de restriction au transfert d’actions sera mal fondée et
ne peut produire ses effets à l’égard du tiers devenu détenteur des actions
saisies.
2352. Il importe de
noter que les restrictions au transfert d’actions créées par les statuts
constitutifs ou par une clause contenue dans une convention entre actionnaires
ne s’appliquent qu’au transfert
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volontaire fait par un
actionnaire. Dans l’hypothèse d’une vente forcée, sur laquelle l’actionnaire n’exerce
aucun pouvoir, l’opposition des administrateurs sera mal fondée.