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Table des matières
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Article 8
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Charte canadienne des droits et libertés (partie I de la Loi constitutionnelle de 1982 constituant l'annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.-U.), 1982, c. 11)
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GARANTIES JURIDIQUES
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Article 8
Fouilles, perquisitions ou saisiesChacun a droit à la protection contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives.
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Section 8
Search or seizureEveryone has the right to be secure against unreasonable search or seizure.
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Annotations
Alter Ego : Chartes des droits de la personnee (2021) par Henri Brun, Pierre Brun et Fannie Lafontaine Extraits de : Henri Brun, Pierre Brun et Fannie Lafontaine, Chartes des droits de la personne : Législation, jurisprudence et doctrine, Collection Alter Ego, 34e éd., Montréal, Wilson & Lafleur, 2021 ( version intégrale dans eDOCTRINE).  L'authentification est requise pour accéder à ce contenu Traité de droit criminel. Tome IV, Les garanties juridiques (2021) par Hugues Parent Extraits de : Parent, Hugues, Traité de droit criminel. Tome IV, Les garanties juridiques, 2e éd., Montréal, Wilson & Lafleur, 2021 ( version intégrale dans eDOCTRINE).
Chapitre deuxième - L’article 8
137. Aux termes de l’article 8 de la Charte :
« Chacun a droit à la protection contre les fouilles, les perquisitions ou
les saisies abusives ». Malgré sa protection constitutionnelle, le droit à
la vie privée n’est pas absolu. Sa portée doit être évaluée en fonction du « droit
du public de ne pas être importuné par le gouvernement » et du droit de l’État
« de s’immiscer dans la vie privée des particuliers » afin d’enquêter
sur la commission d’un crime. C’est donc l’attente raisonnable
de vie privée qui est protégée. Lorsque le citoyen possède une telle
attente, l’action gouvernementale constitue une « fouille, [saisie] ou
perquisition » au sens de l’article 8.
[Page 214]
Dans le cas
contraire, la protection constitutionnelle n’est pas engagée et les autorités
peuvent procéder sans le consentement de la personne concernée ou l’obtention d’une
autorisation judiciaire préalable. L’article 8, rappelons-le, protège l’accusé
contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives. Une fouille ne
sera pas abusive si elle est autorisée par la loi ou la common law. La fouille
qui ne porte pas atteinte à l’attente raisonnable de vie privée ou qui est
autorisée pas la loi ou la common law ne contrevient donc pas à l’article 8 de
la Charte.
138. En ce qui concerne la définition des
mots « fouille, saisie ou perquisition », celle-ci mérite certaines
précisions. Du latin fodicare, qui signifie « percer », « creuser »,
la fouille consiste généralement à chercher dans un lieu, un objet ou
sur une personne quelque chose qui n’est pas immédiatement accessible au sens.
[Page 215]
Le policier qui
fouille le contenu d’un ordinateur, d’une voiture, d’un sac à dos ou des poches
du suspect sont des exemples de fouilles visées à l’article 8 de la Charte. Du
latin perquisitio « recherche attentive, examen » et perquirere
« chercher partout, rechercher avec soin », une perquisition
désigne habituellement l’action d’investir un lieu dans le but de chercher
quelque chose. Le policier qui pénètre sur le terrain d’un particulier afin de
découvrir des indices d’activités criminelles ou qui entre dans le domicile d’un
suspect pour récupérer des objets liés à la commission d’un crime procède à une
perquisition au sens de la Charte. Comme on peut le constater, la fouille et la
perquisition peuvent se confondre aisément. L’utilisation sans distinction des
termes « fouille périphérique » et « perquisition
périphérique » par la Cour
suprême confirme cette observation. Les recoupements entre la fouille et la
perquisition se concrétisent notamment dans la version anglaise de l’article 8
de la Charte qui étend sa protection constitutionnelle uniquement à la fouille
(« search ») et à la saisie (« seizure »). La
fouille ou la perquisition, conformément à la version française, ou la fouille,
selon la version anglaise, n’est donc pas définie uniquement en fonction de la
nature ou du type de mesure entreprise, mais également de l’objet poursuivi. En
effet, une fouille, selon la Cour d’appel de l’Ontario dans R. c. Rutledge,
[Traduction] « consiste à
chercher quelque chose qui pourra être utilisée ou obtenue comme élément de
preuve ». Enfin, il y a
saisie « chaque fois que l’État
[Page 216]
prend, sans le
consentement d’un citoyen, quelque chose qui lui appartient et au sujet duquel
il peut raisonnablement s’attendre à ce qu’on préserve le caractère
confidentiel ». Comme l’emploi
de la conjonction « ou » indique une alternative entre deux
possibilités, « les mots “fouilles, perquisitions ou saisies” doivent être
lus de façon disjonctive ». La protection s’étend
donc non seulement
[Page 217]
à la fouille et à la
perquisition, mais également à la saisie effectuée à la suite d’une fouille ou
d’une perquisition, ou sans lien avec elles (per se).
139. Comme l’attente raisonnable de vie
privée est au cœur de la protection constitutionnelle, c’est de ce côté que
nous allons commencer notre étude de l’article 8. À l’analyse des aspects du
droit à la vie privée touchant notamment la personne, les lieux et l’information
pouvant s’y trouver, succédera un examen des fouilles sans mandat permises par
la common law et des autorisations judiciaires prévues dans la loi.
Première
section : L’attente raisonnable de vie privée
140. Pour invoquer la protection garantie à
l’article 8, « l’accusé doit démontrer qu’il pouvait subjectivement, et de
façon objectivement raisonnable, s’attendre au respect de sa vie privée à l’égard
de l’objet de la prétendue fouille, saisie ou perquisition ».
Le critère est à la fois subjectif et objectif. Subjectif, tout d’abord,
puisqu’une personne qui revendique son droit à la vie privée doit avoir – ou
présumée avoir – une attente en matière de vie privée relativement à l’objet de
la fouille. L’attente subjective de vie privée à l’égard du contenu du domicile
et de ce qui se passe à l’intérieur de la résidence est présumée en droit.
Quant à l’attente
[Page 218]
relative aux autres
aspects de la vie privée, sa présence peut être établie grâce à la déposition
de la personne visée ou des circonstances de l’affaire.
141. Bien que pertinente, la croyance
subjective de l’individu au respect de sa vie privée doit être objectivement
raisonnable dans les circonstances. Fidèle à l’approche contextuelle
énoncée par le juge Cory dans R. c. Edwards,
puis reprise et développée par le juge Binnie dans R. c. Tessling
et R. c. Patrick, le
caractère raisonnable de l’attente de vie privée doit s’ancrer dans « l’ensemble
des circonstances », dont notamment :
« La nature ou l’objet des éléments de
preuve recueillis par la police; la présence [de l’accusé] au moment de la
perquisition; l’endroit où la prétendue « perquisition » a eu lieu;
la possession ou le contrôle du bien ou du lieu faisant l’objet de la fouille
ou de la perquisition; la propriété du bien ou du lieu; l’usage historique du
bien ou de l’article; l’habilité à régir l’accès au lieu, y compris le droit d’y
recevoir ou d’en exclure autrui; si l’objet était à la vue du public; si l’objet
avait été abandonné; si des tiers possédaient déjà les renseignements; dans l’affirmative,
ces renseignements étaient-ils visés par une obligation de
confidentialité ? si la technique policière a porté atteinte au droit à la
vie privée; la technique de fouille ou de surveillance elle-même était-elle
envahissante ou déraisonnable d’un point de vue objectif et si oui, quelle est
son incidence sur le droit au respect de la vie privée ? »
[Page 219]
142. En somme, pour déterminer si l’individu
possédait une attente raisonnable de vie privée, le tribunal « peut s’inspirer
des quatre questions suivantes : (a) Quel était l’objet de la prétendue fouille ?;
(b) Le demandeur avait-il un intérêt direct dans l’objet de la fouille ?;
(c) Le demandeur avait-il une attente subjective au respect de sa vie privée à
l’égard de l’objet de la fouille ?; (d) Dans l’affirmative, cette attente
subjective du demandeur au respect de sa vie privée était-elle objectivement
raisonnable ? » a) Quel était l’objet de la « fouille
ou de la perquisition » contestée ?
143. La première question se rapporte à l’objet
de la fouille. Elle vise, au-delà des actes commis, du lieu de l’investigation
et des endroits où peuvent être stockées ou entreposées les informations, à
déterminer ce que les policiers « cherchaient vraiment ».
La découverte, par exemple, de messages textes incriminants dans l’appareil d’un
complice ne vise pas la fouille de son téléphone cellulaire, ni de son contenu,
mais bien de la conversation électronique entre le suspect et ce dernier.
Dans le même ordre d’idées, l’objet de la fouille effectuée à l’aide d’un chien
renifleur n’est pas « l’espace public entourant le sac d’un voyageur »,
mais le contenu du sac et, plus précisément, la présence possible de
stupéfiants. Quant à la fouille de
sacs de poubelles, celle-ci ne vise pas les ordures en tant que telles, mais
les informations incriminantes
[Page 220]
pouvant s’y trouver.
Bien que simple à première vue, la détermination de l’objet de l’action
policière peut se compliquer rapidement lorsque les policiers cherchent
notamment « à obtenir des renseignements pour permettre d’en tirer des
inférences au sujet d’autres renseignements qui, eux, sont de nature
personnelle ». La demande d’informations
formulée à un fournisseur Internet afin d’obtenir des renseignements relatifs à
l’abonné qui utilisait une adresse IP illustre bien cette situation. Comme la
demande ne visait pas seulement à obtenir son nom, son adresse et son numéro de
téléphone, mais bien à identifier l’abonné dont la connexion à Internet « correspondait
à une activité informatique particulière sous surveillance »,
l’accusé possédait une attente raisonnable de vie privée relativement à ces
renseignements. b) Le demandeur avait-il un intérêt
direct dans l’objet de la fouille ?
144. La seconde question vise à déterminer
si le demandeur avait un droit ou un intérêt direct dans l’objet de la fouille,
saisie ou perquisition. L’individu qui est soumis à une fouille à nu ou à des
prélèvements forcés de substances corporelles possède un intérêt direct dans l’objet
de la fouille ou de la saisie contestée. Il en va également des fouilles
effectuées dans le domicile du suspect, dans son sac de sport, dans un casier
qu’il a loué, dans sa chambre d’hôtel ou dans son bureau. L’attente n’étant pas
liée aux lieux ou aux objets, mais à la personne, la propriété du bien fouillé
ou de l’endroit perquisitionné peut être pertinente, sans toutefois être
déterminante. Résultat : Le locataire d’un appartement et la conductrice d’une
voiture louée possèdent un droit direct dans la fouille qui y est effectuée.
Quant au copain de la locataire qui fréquente le logement à l’occasion, qui ne
paie pas de loyer et qui ne peut régir son accès, il ne possède pas de droit
personnel à l’égard de
[Page 221]
l’objet de la
fouille. Il en va également de
la passagère d’une voiture que son amie avait empruntée à son propriétaire.
En ce qui concerne l’identité d’une personne relativement à son utilisation d’Internet;
la participation d’un individu à une conversation électronique en tant qu’auteur
ou co-auteur des messages et le
stockage de renseignements personnels sur le disque dur d’un ordinateur partagé,
ces éléments procurent à l’accusé un intérêt ou un droit direct à l’égard de l’objet
de la fouille. c) Le demandeur avait-il une
attente subjective au respect de sa vie privée à l’égard de l’objet de la
fouille ?
145. La troisième question se rapporte à l’existence
d’une attente subjective de vie privée relativement à l’objet de la
fouille. Est-ce que l’accusé « avait ou était présumé avoir » une
attente de vie privée à l’égard de l’objet de la fouille ?
Le critère, précise la Cour suprême dans R. c. Patrick, puis dans
R. c. Jones, n’est pas « très exigeant ».
Sa présence, comme nous l’avons dit, peut découler du témoignage de l’accusé ou
de l’ensemble du dossier.
[Page 222]
C’est que l’attente
en matière de vie privée possède un caractère normatif et non descriptif.
Ainsi, « en l’absence de témoignage ou d’aveu du demandeur lors du
voir-dire, une telle attente subjective peut être présumée ou inférée eu égard
aux circonstances ». L’individu qui
place ses effets personnels dans son sac à dos ou dans un casier fermé à clé;
qui contourne délibérément le compteur d’électricité afin de dissimuler sa
consommation d’énergie; qui utilise un
ordinateur partagé protégé par un mot de passe dans lequel il stocke des
informations personnelles; qui communique à l’aide
de son téléphone cellulaire avec un tiers sous des noms d’emprunts pour “éviter
d’être repéré ou d’être associé” aux messages textes; qui demande au
destinataire de garder leurs conversations secrètes, de supprimer les messages
textes et de vider
son dossier d’éléments supprimés; qui utilise une
connexion Internet pour télécharger et partager des informations sensibles,
s’attend au respect de sa vie privée relativement à l’objet de la fouille,
saisie ou perquisition. À ce stade, l’analyse est subjective. Une personne
peut, par exemple, déposer ses sacs d’ordures à la rue, tout en conservant une
attente de vie privée à l’égard du contenu informationnel qui s’y trouve. d) Dans l’affirmative, cette
attente subjective du demandeur au respect de sa vie privée était-elle
objectivement raisonnable ?
146. Pour bénéficier de la protection
offerte à l’article 8, l’attente de vie privée de l’accusé doit être
objectivement raisonnable
[Page 223]
dans les
circonstances. Parmi les facteurs les plus souvent cités à l’appui d’une telle
attente, mentionnons l’endroit de la fouille, la vocation du lieu, la capacité
d’en régir l’accès, la propriété du bien en question, son contrôle, son
utilisation, la nature des informations qu’il contient ou peut révéler, le
cadre législatif et contractuel, la relation entre les parties visées par l’intervention
de l’État et la nature de la technique d’enquête utilisée. À cette liste déjà
longue s’ajoutent d’autres facteurs pertinents, comme la question de savoir si
l’objet était à la vue du public ou si le bien avait été abandonné.
Sans être déterminants à tout coup, ces facteurs font partie de l’« ensemble
des circonstances » permettant de déterminer le caractère raisonnable de l’attente
de l’accusé à l’égard du respect de sa vie privée. En plus d’être contextuelle,
l’attente raisonnable de vie privée possède une composante normative très
importante qui s’incarne dans la prise en compte « de jugements de valeur
énoncés du point de vue indépendant de la personne raisonnable et bien
informée, qui se soucie des conséquences à long terme des actions
gouvernementales sur la protection du droit au respect de la vie privée ».
147. Conforme à l’approche holistique
proposée par la Cour suprême dans R. c. Edwards, l’article 8 de
la Charte recouvre différents aspects du droit à la vie privée touchant
notamment la personne, les lieux et l’information pouvant s’y trouver.
Les aspects qui ont trait à la personne protègent l’intégrité physique de l’individu
contre l’empiètement injustifié de l’État. D’après le juge Binnie, dans R. c.
Tessling :
[Page 224]
« La vie privée qui a trait à la
personne peut le plus fortement prétendre à une protection constitutionnelle
parce qu’elle protège l’intégrité corporelle et plus particulièrement le droit
de refuser toute palpation ou exploration corporelle qui dévoilerait des objets
ou des matières qu’une personne veut dissimuler. »
148. L’attente raisonnable de vie privée à l’égard
des lieux a pris naissance dans la maison du citoyen pour ensuite s’étendre au
terrain bordant sa résidence, puis aux endroits pouvant être fréquentés à des
fins professionnelles ou récréatives. Sans procurer une attente aussi forte qu’en
matière d’intégrité corporelle, la maison demeure un lieu fortement protégé contre
l’intrusion injustifiée de l’État. En effet :
« La notion initiale de la vie privée
qui a trait aux lieux ([Traduction] “la
maison de chacun est pour lui son château et sa forteresse” : Semayne’s
Case, [1558-1774] All E.R. Rep. 62 (1604), p. 63) a évolué pour faire place
à une hiérarchie plus nuancée visant d’abord la vie privée dans la résidence,
le lieu où nos activités les plus intimes et privées sont le plus susceptibles
de se dérouler (Evans, précité, par. 42; R. c. Silveira, 1995 CanLII 89 (CSC), [1995]
2 R.C.S. 297, par. 140, le juge Cory : “[i]l n’existe aucun endroit au
monde où une personne possède une attente plus grande en matière de vie privée
que dans sa ‘maison d’habitation’”; R. c. Feeney, 1997 CanLII 342 (CSC), [1997] 2 R.C.S.
13, par. 43), puis, dans une moindre mesure, dans le périmètre entourant la
résidence (R. c. Kokesch, 1990 CanLII 55 (CSC), [1990] 3 R.C.S. 3; R. c. Grant,
1993 CanLII 68 (CSC), [1993] 3 R.C.S. 223, p. 237 et 241; R. c. Wiley, 1993 CanLII 69 (CSC), [1993] 3
R.C.S. 263, p. 273), dans les locaux commerciaux (Thomson Newspapers Ltd. c.
Canada (Directeur des enquêtes et recherches, Commission sur les pratiques
restrictives du commerce), 1990 CanLII 135 (CSC), [1990] 1 R.C.S. 425, p. 517-519; R. c. McKinlay
Transport Ltd., 1990 CanLII 137 (CSC), [1990] 1 R.C.S. 627, p. 641 et suiv.), dans les véhicules
privés (Wise, précité, p. 533; R. c. Mellenthin, 1992 CanLII 50 (CSC), [1992] 3
R.C.S. 615), dans les écoles (R. c. M. (M.R.), 1998 CanLII 770 (CSC), [1998] 3 R.C.S.
393, par. 32), et même, au bas de l’échelle, dans les prisons (Weatherall c.
Canada (Procureur général), 1993 CanLII 112 (CSC), [1993] 2 R.C.S. 872, p. 877). Cette
hiérarchie des lieux n’est pas contraire au principe sous-jacent selon lequel
[Page 225]
l’art. 8 protège “les personnes et non les
lieux”, mais elle emploie la notion de lieu comme instrument d’évaluation du
caractère raisonnable de l’attente en matière de vie privée. »
149. En ce qui concerne la protection des
renseignements personnels, celle-ci se rapporte généralement, mais non
exclusivement, aux « renseignements biographiques d’ordre personnel ».
Il est normal, en effet, qu’une personne puisse vouloir préserver la
confidentialité de certaines informations « tendant à révéler des détails
intimes sur [son] mode de vie et [ses] choix personnels ».
Bien que les renseignements qu’une personne souhaite soustraire au regard de l’État
ne bénéficient pas tous de la protection constitutionnelle, les données ou
relevés contenant des renseignements personnels sont généralement protégés par
la Charte. Ces renseignements, précise le juge Cromwell dans R. c. Spencer,
présentent des enjeux qui se rapportent à la confidentialité, au contrôle
et à l’anonymat touchant les différents aspects de la vie privée.
Il sera question de ces trois facettes lors de notre étude du droit à la vie
privée en matière informatique.
150. Une fois l’attente raisonnable de vie
privée constatée, la cour doit se demander si la fouille, saisie ou perquisition
effectuée est abusive au sens de la Charte. Une fouille ou une perquisition n’est
pas abusive (1) si elle est autorisée par la loi ou la common law, (2) si la
loi qui confère le pouvoir de fouille n’est pas abusive et (3) si la fouille ou
la perquisition n’est pas effectuée d’une manière abusive. De façon générale,
une fouille n’est pas abusive si les policiers obtiennent une autorisation
judiciaire préalable délivrée à la suite d’une dénonciation faite sous serment
qu’il existe des motifs raisonnables de croire qu’une infraction a été commise
et que la perquisition permettra de recueillir des éléments de preuve de cette
infraction. Une fouille, sans mandat, accessoire à l’arrestation est également
permise en vertu de la
[Page 226]
common law lorsque l’arrestation
est légale et que le policier poursuit un objectif valable lié à l’arrestation
du suspect. En ce qui concerne la fouille accessoire à une détention à des fins
d’enquête, celle-ci est permise lorsque les policiers ont des motifs
raisonnables de croire que leur sécurité ou celle du public est menacée et qu’il
est nécessaire de procéder à une fouille. La loi qui confère le pouvoir de
fouille n’est pas abusive lorsqu’elle respecte les critères reconnus dans l’arrêt
Hunter c. Southam Inc..
Il en va de même du pouvoir de common law qui opère un juste équilibre entre, d’une
part, le droit de l’accusé à la vie privée et, d’autre part, le devoir de l’État
de maintenir la paix, de prévenir le crime et de protéger la vie des personnes
et les biens. La troisième question se rapporte à la conduite des policiers, à
la manière dont ils ont exercé les pouvoirs qui leur sont conférés par la loi
ou la common law. « Une fouille à nu, par exemple, sera toujours abusive
si elle est effectuée de façon excessive ou afin d’humilier ou de punir la
personne arrêtée. Une fouille à nu “systématique” même effectuée de bonne foi
et sans violence contreviendra elle aussi à l’art. 8 s’il n’existe aucune
raison impérieuse d’y procéder dans les circonstances de l’arrestation. »
Deuxième
section : Le droit à la vie privée considéré dans ses rapports avec la
personne, les lieux et l’information
151. Ayant défini les notions de fouille,
perquisition et saisie, vu en quoi elles étaient tributaires d’une attente
raisonnable de vie privée, il convient maintenant de s’attarder aux limites de
ce concept et, plus particulièrement, aux aspects qui ont trait à la personne,
aux lieux et à l’information pouvant s’y trouver.
[Page 227] a) Le corps humain
152. L’intégrité corporelle figure au
premier rang des matières protégées par la Charte.
Son importance, qui ne fait plus aucun doute, fut confirmée à plusieurs
reprises par les tribunaux. En effet, « [l]es Canadiens considèrent leur
corps comme étant la manifestation extérieure de leur être. Ils considèrent qu’il
a une importance exceptionnelle et qu’il leur appartient exclusivement. Toute
atteinte au corps d’un individu est une atteinte à sa personne. En fait, il s’agit
de l’atteinte la plus grave à la dignité personnelle et à la vie privée. [...]
La notion d’équité exige que l’on reconnaisse l’importance du corps lors des
fouilles effectuées au cours d’enquêtes policières ».
Bien que le droit à l’intégrité corporelle et à l’inviolabilité de la personne
soit reconnu et protégé par la Charte, la gravité de l’atteinte au droit à la
vie privée fluctue en fonction de la nature de la procédure envisagée. Sur ce
point, il est évident que le prélèvement forcé de cheveux et de poils, la prise
d’empreintes dentaires et de prélèvements faits dans la bouche du prévenu
violent son intégrité physique et constituent une « atteinte très
importante à la vie privée et à la dignité de l’accusé ».
Ainsi, à moins d’obtenir le consentement de l’accusé ou une autorisation
judiciaire préalable, les autorités ne peuvent procéder à de tels prélèvements.
Bien qu’elles portent atteinte au droit à la vie privée et à la dignité de la
personne, les fouilles à nu peuvent être effectuées dans le cadre d’une fouille
incidente à une arrestation.
[Page 228]
Pour ce faire, les
policiers doivent établir, en plus des motifs raisonnables nécessaires à l’arrestation,
qu’ils avaient des motifs raisonnables de conclure qu’une fouille à nu était
nécessaire dans les circonstances particulières de l’arrestation. La présence
de « motifs raisonnables de croire qu’un prélèvement par écouvillonnage du
pénis fournira des éléments de preuve de l’infraction pour laquelle l’accusé a
été arrêté » est également
exigée pour procéder à une telle procédure. Sans être aussi envahissante que la
prise de cheveux, de poils et d’empreintes dentaires, la prise d’échantillon d’haleine
constitue « une atteinte à la fois minimale et essentielle pour réprimer le
chaos tragique causé par la conduite en état d’ébriété ».
Bien que permise, la prise d’échantillon d’haleine exige la présence de motifs
raisonnables de soupçonner qu’une personne a dans son organisme de l’alcool
afin de procéder à l’analyse à l’aide d’un appareil de détection approuvé (ADA),
et des « motifs raisonnables de croire qu’une personne a conduit un moyen
de transport alors que sa capacité de conduire était affaiblie à un quelconque
degré par l’effet de l’alcool ou qu’elle a commis l’infraction prévue à l’alinéa
320.14(1)b) », à l’étape de l’éthylométrie.
Quant à la prise d’empreintes digitales, il s’agit d’une procédure peu
intrusive à laquelle doit se soumettre la personne
[Page 229]
qui vient d’être
arrêtée ou de recevoir une citation à comparaître ou une sommation. Comme l’a
fait remarquer le juge Laforest dans R. c. Beare :
« Il me semble que, lorsqu’une personne
est arrêtée parce qu’il y a des motifs raisonnables et probables de croire qu’elle
a commis un crime grave ou lorsqu’il a été démontré qu’il y a lieu de délivrer
une sommation ou un mandat d’arrestation ou de confirmer une citation à
comparaître, l’intéressé doit s’attendre à une atteinte importante à sa vie
privée. Il doit s’attendre à ce qu’en corollaire à sa mise sous garde, il sera
mis sous observation et devra se soumettre à la prise de mensurations, etc. La
prise des empreintes digitales est de cette nature. Certains peuvent évidemment
trouver le procédé déplaisant, mais il est anodin, ne prend que très peu de
temps et ne laisse aucune séquelle durable. Rien n’est introduit dans le corps
et il n’en est prélevé aucune substance. »
153. Comme une personne peut disposer de son
corps librement, la police peut obtenir le consentement de l’accusé à des
prélèvements de substances corporelles. Pour être valide, le consentement de l’accusé
doit être libre et éclairé. Libre, tout d’abord,
car une personne qui est soumise, contre son gré, à des prélèvements de
substances corporelles ne renonce pas à son droit à la vie privée. Les policiers
ne peuvent donc recourir à la force, aux menaces ou à la contrainte pour
prélever des échantillons de
[Page 230]
substances
corporelles. Quant à la connaissance nécessaire à un consentement éclairé, la
personne sollicitée doit « être informée de l’objectif visé et déjà connu
des policiers lorsqu’ils lui demandent son consentement ».
Cette situation fut examinée par la Cour
[Page 231]
suprême dans l’arrêt
R. c. Borden. Les
faits peuvent être résumés brièvement. Le 11 octobre 1989, une femme âgée fut
agressée sexuellement à son domicile. Comme il faisait noir et que l’intrus lui
avait recouvert le visage, la victime était incapable d’identifier son
agresseur. Des taches de sperme furent retrouvées sur l’édredon du lit où eut
lieu l’agression. Deux mois plus tard, l’accusé fut arrêté relativement à une
seconde agression, sans pénétration ni éjaculation, commise contre une autre
femme dans un motel de la région. L’accusé ayant été identifié par la victime,
la police a également prélevé un cheveu sur la porte de la salle de bain ainsi
que dans le lit. À la suite d’un entretien au cours duquel il a été informé qu’il
était soupçonné d’avoir commis l’agression sexuelle au Sundowner Motel, l’accusé
a fait une déclaration disculpatoire qu’il a consignée par écrit. Après avoir
obtenu cette déclaration, les policiers ont demandé à l’accusé de fournir des
échantillons de cheveux et de poils pubiens. Un échantillon de sang fut
également requis quinze minutes plus tard. Cette demande, qui avait peu ou pas
d’incidences sur l’enquête relativement à l’agression commise au Sundowner
Motel, fut faite dans le but inavoué de relier l’accusé à l’agression commise
sur la personne âgée (grâce à la comparaison de son ADN et de la tache de
sperme recueillie sur les lieux de la première agression). L’accusé ayant
accepté, une formule de consentement fut préparée conformément aux instructions
données par un procureur. Cette formule était rédigée ainsi : « [Traduction] Je, soussigné, Josh Randall
Borden, de la rue Frederick à New Glasgow, comté de Pictou, autorise par les
présentes le service de police de New Glasgow à prélever un échantillon de mon
sang aux fins de ses enquêtes. » Ignorant que l’échantillon
de sang devait servir également dans l’enquête sur la première agression, l’accusé
signa la formule puis se soumit au prélèvement en question. Le résultat de l’analyse
génétique s’étant avéré positif, l’accusé fut reconnu coupable d’agression
sexuelle sur la personne
[Page 232]
âgée. Discutant de
la légalité du consentement obtenu à l’égard de l’échantillon de sang, le juge
Iacobucci déclara que « le degré de conscience qu’un accusé doit avoir des
conséquences d’une renonciation au droit qui lui est garanti par l’art. 8
dépend des faits particuliers de chaque cas. Évidemment, il ne sera pas
nécessaire que l’accusé ait une compréhension approfondie de chacune des
répercussions possibles de son consentement. Toutefois, il devrait comprendre
notamment que les policiers comptent utiliser le produit de la saisie dans une
enquête portant sur une infraction différente de celle pour laquelle il est
détenu. Tel n’était pas le cas en l’espèce ». D’où
l’absence de consentement éclairé et la violation du droit à la vie privée.
Cette règle, évidemment, ne s’applique pas aux enquêtes qui n’étaient pas
prévues au moment de la demande de consentement. Ainsi, sous réserve des
restrictions apportées par les enquêteurs ou l’accusé, les policiers peuvent
conserver les échantillons obtenus dans une affaire donnée afin de les utiliser
dans une enquête subséquente. Sur ce point, la Cour suprême est catégorique :
le suspect qui fournit volontairement des échantillons de cheveux et de poils
pubiens dans une affaire de
[Page 233]
meurtre peut être
confronté à la preuve découlant de la prise de ces échantillons dans le cadre d’une
autre enquête menée pour un meurtre qui n’avait pas encore été commis au moment
de la demande de prélèvements. D’après le juge Cory, dans R. c. Arp,
« les policiers ne pouvaient pas vraiment prévoir que, 30 mois après avoir
obtenu légalement les échantillons de poils et de cheveux de l’appelant, ce
dernier serait de nouveau un suspect dans une autre affaire d’homicide. De
plus, au moment du prélèvement des échantillons, l’appelant a été clairement
informé que, si les policiers recueillaient [Traduction]
“quelque élément de preuve grâce à cet échantillon de cheveux et de
poils, [cet élément serait utilisé] devant les tribunaux“ ».
Le consentement de l’accusé n’étant assorti d’aucune limite ou restriction, « la
saisie des échantillons de cheveux et de poils en 1990 était légale et
raisonnable ».
154. En plus de la renonciation formelle
découlant de la demande expresse d’un policier, une personne peut abandonner
son attente raisonnable de vie privée à l’égard de ses substances corporelles.
Cette situation fut examinée avec attention par la Cour suprême, dans R. c.
Stillman. Soupçonné
du meurtre d’une jeune adolescente âgée de 14 ans, l’accusé fut amené au
quartier général de la GRC pour être interrogé par des enquêteurs. Ses avocats
ayant signifié par écrit que ce dernier refusait de fournir quelque échantillon
de substance corporelle que ce soit, les policiers ont néanmoins procédé à la
saisie forcée de cheveux et de poils pubiens appartenant à l’appelant. Des
empreintes de sa dentition furent également prélevées contre son gré. Après un
interrogatoire d’une heure, l’appelant, qui était bouleversé, a demandé aux
policiers la permission d’aller aux toilettes. Le policier qui l’escortait
ayant saisi le papier mouchoir dans lequel l’accusé s’était mouché, ce dernier
fut utilisé pour effectuer une analyse de sa signature génétique. La défense s’étant
objectée à l’admissibilité de la preuve, le juge Cory proposa l’analyse
suivante : « Lorsqu’un accusé qui n’est
[Page 234]
pas détenu jette un
papier-mouchoir ou un mégot de cigarette, la police peut normalement recueillir
ces objets et les faire analyser, sans avoir à se soucier d’obtenir un
consentement. La situation est différente lorsqu’un accusé qui est détenu jette
des objets contenant des substances corporelles. Il est évident qu’un accusé en
détention ne peut pas empêcher les autorités de s’emparer de ces objets. La
question de savoir si la situation était telle que l’accusé a abandonné les
objets et renoncé à tout droit à ce qu’ils demeurent confidentiels devra être
tranchée en fonction des faits particuliers de chaque affaire. »
Ainsi, lorsque le suspect n’est pas détenu, l’abandon se concrétise et l’accusé
n’a plus d’attente raisonnable de vie privée. On n’a qu’à penser à l’individu
soupçonné d’avoir tué un ancien collègue de travail qui était devenu son
principal concurrent. Comme l’accusé avait perdu le capuchon de son manteau
lors de l’agression et que ce dernier contenait des traces d’ADN, les policiers
ont demandé à un employé d’un restaurant que fréquentait le suspect de prélever
le verre et la paille qu’avait utilisés l’appelant lors d’un diner avec un
compagnon. L’analyse s’étant avérée positive, les policiers avaient alors les
motifs nécessaires pour obtenir un mandat autorisant le prélèvement de
substances corporelles conformément aux articles 497.04 et suivants. Si l’appelant
pouvait subjectivement avoir une attente de vie privée à l’égard du
verre et de la paille utilisés, cette attente n’était pas raisonnable dans
les circonstances. Permise en l’absence
de détention, la saisie d’une substance abandonnée s’effectue habituellement
dans le cadre d’une enquête ordinaire, d’une filature
[Page 235]
ou d’une opération
secrète ne constituant pas une ruse, un artifice ou une autre forme de
supercherie pouvant choquer la collectivité (« dirty tricks »).
Les policiers qui soupçonnent un individu d’agressions sexuelles peuvent donc l’inviter
à participer à un sondage fictif sur la gomme à mâcher. Le suspect ayant craché
sa gomme dans le gobelet d’un agent double, la preuve fut utilisée pour
effectuer une analyse d’empreintes génétiques. Les principes dégagés par la
Cour d’appel dans l’arrêt Usereau furent repris récemment par la juge
Thibault dans D’Amico c. R..
Dans le cadre d’une enquête sur la commission d’agressions sexuelles sur des
prostituées, des agents ont mis sur pied une opération policière déguisée au
cours de laquelle une policière devait rencontrer le suspect dans un café. La
policière et l’accusé ayant commandé chacun un café, un autre agent double a
récupéré la tasse que l’appelant avait utilisée afin d’obtenir son profil
génétique. D’après la juge Thibault, la décision du juge du procès d’accepter
la preuve est irréprochable. Comme la technique policière utilisée n’était pas
[Page 236]
objectivement
condamnable, qu’elle a été employée dans le cadre d’une enquête pour meurtre
dont l’accusé était soupçonné, que ce dernier a librement accepté de prendre un
café et acquiescé à ce que la policière « débarrasse la table », l’appelant
avait abandonné son attente raisonnable de vie privée. Malgré certaines
précisions, le juge Ruel partage la conclusion de la juge Thibault sur l’absence
de violation de l’article 8 de la Charte. Quant au juge Vauclair, il est d’opinion
que la police ne peut cibler une personne et la piéger ensuite pour obtenir son
ADN. Procéder de la sorte équivaut, selon lui, à saisir des substances
corporelles lorsqu’un accusé est détenu, ce qui est
contraire à l’article 8 de la Charte, avons-nous dit. Discutant de la légalité
de la saisie d’un papier-mouchoir jeté par le suspect dans la poubelle du poste
de police, le juge Cory, dans R. c. Stillman, écrit : « je
suis d’avis qu’en l’espèce l’attente de l’appelant en matière de vie privée,
bien qu’elle ait diminué à la suite de son arrestation, n’était pas faible au
point de permettre la saisie du papier-mouchoir. Cette attente ne devrait pas
être réduite au point de justifier les saisies d’échantillons de substances
corporelles effectuées sans consentement, particulièrement dans le cas des
personnes qui sont détenues alors qu’elles sont encore présumées innocentes ».
Ce principe, une fois compris, n’empêche pas la saisie d’un objet abandonné par
un suspect au cours d’une détention à des fins d’enquête. Bien que sa liberté d’aller
et venir soit contrainte par l’intervention policière, l’individu ne se trouve
pas dans une situation qui, tôt ou tard, l’amènera à s’auto-incriminer. La
détention étant brève, rien ne s’oppose généralement au prélèvement de l’objet
abandonné.
[Page 237]
155. En ce qui concerne l’obtention d’une
substance organique légalement prélevée sur une personne soupçonnée d’avoir
commis un acte criminel, les policiers doivent obtenir l’autorisation préalable
de la cour avant de saisir les échantillons en question. Ce principe s’applique
même si les médecins qui ont procédé aux prélèvements, à la demande
ou non des policiers, remettent
volontairement les échantillons à la police. Il en va également lorsqu’un
médecin, technicien ou coroner, confie les échantillons de sang et d’urine à la
garde d’un policer pour qu’il puisse les transporter au Centre des sciences
judiciaires à des fins d’analyse, sans avoir l’intention de lui remettre les
substances en question. b) La maison d’habitation
156. Sans établir de hiérarchie prédéfinie,
et tout en gardant à l’esprit que l’article 8 « protège les personnes et
non les lieux », la maison
figure au premier rang des endroits protégés par la
[Page 238]
Charte.
Déjà, en 1604, dans l’affaire Semayne, la Cour du banc du Roi proclamait
le caractère sacré du foyer dans les termes suivants : « la maison de
chacun est pour lui son château et sa forteresse, tant pour se défendre contre
l’injure et la violence que pour son repos ». Ce
principe, qui s’exprime aujourd’hui sous la maxime bien connue : « la
maison d’une personne est son château », fut consacré par la jurisprudence
ultérieure. Discutant de la légalité de la présence, sans mandat, de policiers
dans une maison d’habitation afin de préserver la preuve matérielle jusqu’à la
délivrance d’un mandat de perquisition, le juge Laforest, dans R. c. Silveira,
réitère la primauté du droit au respect de la vie privée de l’occupant à l’égard
de son domicile. D’après ce dernier :
« La police est entrée, sans mandat ni
autorisation, dans une maison d’habitation. Il est difficile d’imaginer une
violation plus grave d’un droit à la vie privée d’un particulier. La demeure
est l’endroit où les gens peuvent s’attendre à s’exprimer librement, à s’habiller
comme ils le désirent et, dans les limites de la loi, à y vivre comme ils l’entendent.
La présence non autorisée de mandataires de l’État dans une demeure constitue l’ultime
atteinte à la vie privée. C’est la violation de l’un des droits fondamentaux de
toute personne qui vit dans une société libre et démocratique. La tolérer sans
réserve évoquerait des images d’entrée de nuit dans des demeures par des
mandataires de l’État dans le but d’en arrêter les occupants au moindre soupçon
qu’ils peuvent être des ennemis de l’État. C’est pourquoi l’on reconnaît,
depuis des siècles, que la maison
[Page 239]
d’une personne est son château. C’est pour
ce motif que la Loi sur les stupéfiants interdit de pénétrer sans mandat
dans une maison privée et qu’il faut obtenir un mandat de perquisition d’un
juge sur la foi de motifs raisonnables et appropriés. »
157. En l’absence de consentement valide ou
d’autorisation judiciaire préalable, les policiers ne peuvent entrer dans une
maison d’habitation pour fouiller ou saisir son contenu. Cette protection, qui
n’est pas subordonnée à l’existence d’un droit de propriété,
s’applique autant à un appartement loué dans un immeuble à logements qu’à la
pièce privée se trouvant dans une maison de chambres.
Le locataire d’un appartement a droit au même respect de sa vie privée que le
propriétaire d’une maison ou d’une unité de condominiums,
même si le locateur ou le concierge possède la clé de l’appartement et peut y
pénétrer sous certaines conditions. Si le propriétaire et le signataire du bail
possèdent une attente raisonnable de vie privée à l’égard de leur maison ou
appartement, il en va également des occupants habituels – famille ou
colocataires. Quant aux personnes qui, sans habiter l’immeuble en question,
sont autorisées à y entrer ou à y demeurer temporairement, peuvent-elles
revendiquer la protection offerte par l’art. 8 ? La question est
intéressante. Elle fut abordée par la Cour suprême dans l’arrêt R. c. Edwards.
Dans le cadre d’une enquête concernant la vente de stupéfiants, des
policiers ont pénétré dans l’appartement de l’amie de l’accusé dans le but d’y
chercher de la drogue appartenant à ce dernier. Après avoir obtenu de manière
plutôt malhonnête la collaboration de l’amie de l’accusé, celle-ci indiqua aux
policiers la présence d’un canapé dans le salon où elle avait
[Page 240]
aperçu l’appelant
replacer un coussin quelques jours auparavant. Les policiers ayant déplacé le
coussin, ils trouvèrent un sac de plastique contenant des sachets de crack d’une
valeur approximative de 11 000 $ à 23 000 $. Accusé de
possession de drogue en vue d’en faire le trafic, l’accusé souleva la violation
de son droit à la protection contre les fouilles, les perquisitions ou les
saisies abusives. Examinant l’attente raisonnable de vie privée de l’accusé
relativement à l’appartement de Mme Evers, le juge Cory proposa une analyse
fondée sur « l’ensemble des circonstances ». En effet :
« “L’existence d’une attente
raisonnable en matière de vie privée doit être déterminée eu égard à l’ensemble
des circonstances.” Voir Colarusso, précité, à la p. 54, et Wong, précité,
à la p. 62.
Les facteurs qui peuvent être pris en
considération dans l’appréciation de l’ensemble des circonstances incluent
notamment :
(i)
la présence au moment de la perquisition;
(ii)
la possession ou le contrôle du bien ou du lieu faisant l’objet de la fouille
ou de la perquisition;
(iii)
la propriété du bien ou du lieu;
(iv)
l’usage historique du bien ou de l’article;
(v)
l’habilité à régir l’accès au lieu, y compris le droit d’y recevoir ou d’en exclure
autrui;
(vi)
l’existence d’une attente subjective en matière de vie privée;
(vii)
le caractère raisonnable de l’attente, sur le plan objectif. »
158. Bien qu’elle ne soit pas exhaustive,
cette liste nous renseigne sur les facteurs à considérer lorsqu’il s’agit de
déterminer si l’accusé pouvait s’attendre raisonnablement au respect de sa vie
privée à l’égard du bien ou du lieu faisant l’objet de la fouille ou de la
perquisition. Comme Mme Evers a reconnu que l’appelant « “n’était qu’un
visiteur” qui restait chez elle à l’occasion », que
[Page 241]
ce dernier ne
contribuait pas au paiement du loyer ou des dépenses courantes et qu’il
possédait la clé de l’appartement sans toutefois en régir l’accès, la Cour
conclut à l’absence d’attente raisonnable de vie privée à l’égard de l’appartement
de Mme Evers. En somme, pour reprendre les mots du juge McKinlay, l’accusé n’était
qu’un « invité privilégié ». D’où l’absence
de violation de l’article 8 de la Charte.
159. Même si elles se rapportent à l’aspect informationnel
du droit à la vie privée, certaines techniques d’enquête s’intéressent aux
activités qui se déroulent à l’intérieur d’une maison d’habitation. La
vérification faite auprès d’une entreprise de services publics des données
informatisées de consommation d’électricité dans une résidence privée illustre
bien cette situation. D’après le juge Sopinka, dans R. c. Plant,
les relevés consultés ne révèlent aucun « renseignement biographique d’ordre
personnel » ou « détail
intime sur le mode de vie et les choix personnels de l’individu ».
Ces dossiers, facilement accessibles au public, s’inscrivent dans le cadre d’une
relation commerciale ne comportant pas de clause de confidentialité. De plus,
comme leur consultation ne nécessite aucune intrusion dans des endroits privés,
la Cour conclut à l’absence d’attente raisonnable de vie privée à l’égard des
dossiers consultés. Cette décision n’est pas sans analogie avec celle rendue
dans R. c. Gomboc. À
la suite d’informations fournies par un membre de l’unité des drogues de la
GRC, l’agente McCallum et son partenaire se sont rendus à la résidence du
suspect afin de procéder à une reconnaissance visuelle des lieux. Postés à l’extérieur
du terrain, les agents ont observé la présence de condensation dans certaines
fenêtres de la maison, de glaçons à la sortie d’une cheminée du toit et de
vapeur s’échappant de la terrasse. Les stores de quatre ou cinq fenêtres
étaient fermés et une odeur de marijuana était perceptible du sentier public
situé à environ 15 pieds
[Page 242]
de la résidence. L’agente
McCallum a également interrogé des voisins de la demeure qui lui ont signifié
la présence d’indices laissant présager l’existence d’une culture de marijuana.
Possédant plusieurs éléments de preuve, mais souhaitant obtenir un complément d’enquête,
la police a demandé au fournisseur public d’électricité d’utiliser un
ampèremètre numérique équipé d’un enregistreur (« AN »). Cet
appareil, qui fut installé sur la ligne du suspect en le fixant au
transformateur aérien qui se trouvait à l’extérieur de sa propriété, sert à
mesurer le courant électrique consommé dans la résidence faisant l’objet de la
demande d’installation. Une fois recueillies, les données enregistrées par l’AN
sont consignées dans un graphique permettant aux enquêteurs de repérer la
présence de cycles de consommation d’électricité compatibles avec la culture de
marijuana. Après avoir procédé à une seconde reconnaissance des lieux, l’agent
McCallum a observé d’autres indices se rapportant à la production de marijuana.
Se fondant sur les renseignements recueillis au cours de l’enquête et sur les
données enregistrées par l’« AN », la police a obtenu un mandat de
perquisition qui lui a permis de saisir une quantité importante de marijuana et
d’autres articles reliés à la production de cannabis. La défense ayant contesté
la validité du mandat de perquisition obtenu à la suite de l’installation de l’« AN »,
la Cour devait déterminer si l’accusé possédait une attente raisonnable de vie
privée à l’égard des renseignements obtenus à l’aide de cet appareil. D’après
les juges Deschamps, Charron, Rothstein et Cromwell, les données enregistrées à
l’aide de l’AN ne révèlent aucune information de nature biographique ni aucun
détail intime sur le mode de vie et les choix personnels des occupants. Seule
la consommation d’électricité est visée. La présence d’un règlement permettant
au fournisseur d’électricité de communiquer des renseignements sur un client « à
un agent de la paix pour les besoins d’une enquête relative à une infraction si
la communication ne contrevient pas à une demande expresse du client »,
jumelée à l’absence d’une telle clause de confidentialité s’avèrent également
pertinentes, voire concluantes, pour les juges Binnie, LeBel et Abella.
C’est que contrairement à l’opinion de la juge Deschamps, la juge Abella
considère que les données enregistrées par l’AN permettent
[Page 243]
d’obtenir des
renseignements plus personnels que la consultation de factures d’électricité
dans Plant et l’utilisation de la technique FLIR dans Tessling. Loin
de se limiter à la consommation d’électricité, les données enregistrées par l’AN
révèlent des renseignements permettant de tirer des « inférences
généralement fiables relativement à la tenue d’une activité particulière à une
adresse : la culture de marijuana ».
Compte tenu de l’attente élevée de vie privée à l’égard des activités qui se
déroulent dans une maison d’habitation, la décision des juges Abella, Binnie et
LeBel aurait de toute évidence été différente n’eût été du cadre législatif et
contractuel régissant la relation entre M. Gomboc et son fournisseur d’électricité.
160. L’attente raisonnable de vie privée à l’égard
de la consommation d’électricité fut examinée de nouveau par la Cour d’appel de
l’Ontario, dans R. c. Orlandis-Habsburgo.
Sur la base de relevés fournis par l’employé d’une entreprise d’électricité
qui soupçonnait l’un de ses clients d’activités illégales, les policiers ont
conclu que les données en question étaient conformes à une opération de
production de cannabis. La police ayant procédé à une surveillance de la maison
du suspect, elle demanda à l’entreprise de lui fournir des relevés
supplémentaires sur sa consommation continue d’électricité et sur celle d’autres
propriétés comparables. Forts des renseignements recueillis au cours de leur
enquête, les policiers ont obtenu un mandat de perquisition de la demeure qui
permit la découverte de plusieurs plans de marijuana. La légalité du mandat
ayant été contestée par la défense, la Cour devait déterminer si l’individu
possédait une attente raisonnable de vie privée relativement aux données se
rapportant à sa consommation d’électricité. Après avoir examiné les arrêts Plant
et Gomboc, le juge Doherty applique l’analyse proposée par le juge
Cromwell dans R. c. Spencer. Tout d’abord, la demande des
policiers a pour objet l’accès aux données concernant la consommation d’électricité
de l’accusé. En soi, ces données en disent peu sur les activités qui se
déroulent à l’intérieur de la maison. Cependant, les données
[Page 244]
fournies sur une
base horaire permettent de tirer des inférences fiables qu’une plantation de
cannabis s’y trouve. Envisagée du point de
vue de l’accusé, il est évident que ce dernier possède une attente en matière
de respect de sa vie privée. Bien que le fournisseur d’électricité puisse
adopter une politique qui lui permettrait, conformément à l’al. 7(3)(d) de la Loi
sur la protection des informations personnelles et des documents électroniques,
de divulguer, de sa propre initiative, les données de consommation d’électricité
qui l’amènent à croire raisonnablement que son client utilise sa maison pour
cultiver du cannabis, rien n’avait été fait en l’espèce.
Compte tenu des circonstances, le juge conclut donc à la présence d’une attente
raisonnable de vie privée et à la violation de l’article 8 de la Charte.
161. En plus de mesurer le courant
électrique consommé dans une maison à l’aide d’un ampèremètre numérique muni d’un
enregistreur « AN », les policiers peuvent obtenir, grâce à un
appareil FLIR, des relevés thermiques des murs extérieurs de la maison. L’utilisation,
sans mandat, de cette technique d’enquête fut
[Page 245]
examinée par la Cour
suprême, dans R. c. Tessling. À
la suite de renseignements obtenus de deux informateurs, la GRC a ouvert une
enquête sur l’accusé concernant la production de cannabis. Comme l’un des
informateurs n’était pas connu des policiers et que l’autre, plus fiable, avait
fourni des renseignements moins probants, la police a utilisé un avion de la
GRC muni d’une caméra utilisant un système d’infrarouge à vision frontale
(FLIR), pour survoler la résidence de l’accusé. Cette caméra permet de prendre
des images de la chaleur qui se dégage des murs de la résidence de l’accusé,
sans toutefois identifier la source de la chaleur ou la nature de l’activité
qui la produit. Sur la base des images prélevées grâce à la technique FLIR et
des renseignements fournis par les deux informateurs, la police a obtenu un
mandat de perquisition de la résidence de l’accusé qui leur a permis d’y
trouver une quantité importante de marijuana, du matériel servant à la vente de
stupéfiants et plusieurs armes à feu. La défense ayant soulevé la présence d’une
attente raisonnable de vie privée à l’égard des activités qui se déroulaient à
l’intérieur de la maison de l’accusé, la Cour devait déterminer si l’utilisation,
sans mandat, de l’appareil FLIR allait à l’encontre de la protection conférée
par l’article 8. D’après le juge Binnie, qui rédigea le jugement au nom de la
Cour, « la façon dont la chaleur est distribuée sur les surfaces externes
d’une maison n’est pas un renseignement à l’égard duquel l’intimé avait une
attente raisonnable en matière de vie privée. Ce renseignement, comme je l’ai
dit, ne révèle rien sur la vie privée de l’intimé ni sur “un ensemble de
renseignements biographiques d’ordre personnel” le concernant. Sa divulgation n’influe
guère sur la “dignité, [l]’intégrité et [l]’autonomie” de la personne dont la
maison figure sur l’image FLIR ». L’utilisation sans
mandat d’un appareil FLIR ne constitue donc pas, au stade actuel de son
développement, une violation de l’article 8 de la Charte.
162. Malgré son importance, la protection du
droit à la vie privée n’est pas absolue. Dans la poursuite de leur enquête, les
policiers peuvent recourir à différentes méthodes, différentes
[Page 246]
techniques, leur
permettant de se renseigner sur les activités qui se déroulent à l’intérieur de
la propriété. Des observations faites par un patrouilleur se déplaçant à pied à
l’extérieur de la résidence ou se trouvant dans une voiture stationnée dans la
rue ou dans un autre lieu public permettent effectivement de recueillir des
renseignements sans violer le droit à la vie privée. Ce faisant, le policier
peut surveiller les allées et venues des occupants de la maison et des
personnes qui fréquentent les lieux. Il peut détecter des traces de fumée, des
odeurs suspectes ou remarquer la présence de forte condensation ou d’autres
indices liés à la production de cannabis (rideaux fermés, feuille de
contre-plaqué clouée au mur, bourdonnement, etc.). Les policiers peuvent
également interroger des voisins de la résidence sur la présence d’activités
suspectes. Des techniques plus poussées telles que la consultation de factures
ou de relevés de consommation d’électricité auprès d’entreprises de services
publics, de graphiques produits à l’aide de l’AN ou d’images thermiques
prélevées grâce à un appareil utilisant un système FLIR peuvent alors être
utilisées comme complément d’enquête afin d’obtenir un mandat général ou un
mandat de perquisition.
[Page 247]
163. À l’image des aspects de la vie privée
se rapportant à la personne et à l’information, le propriétaire ou l’occupant d’une
maison peut consentir à l’entrée dans sa résidence. Pour être valide, le
consentement doit être libre et éclairé. Libre, tout
d’abord, car le consentement arraché à la suite de l’emploi de la force, de la
menace d’emploi de la force ou de toute autre forme de contrainte prive le
suspect du choix de consentir ou non à l’entrée des policiers. Quant au
consentement éclairé, celui-ci suppose la connaissance de la nature de la
conduite policière faisant l’objet de la demande, du droit de refuser l’entrée
des policiers et des conséquences résultant d’un tel consentement. La
renonciation peut découler des mots ou de la conduite du propriétaire. L’absence
d’objections ou le simple acquiescement ne doit pas, en raison du déséquilibre
des forces en présence, mener inexorablement à la conclusion que l’occupant a
donné son consentement en l’absence d’autres indices laissant présager la
présence d’une renonciation valide.
[Page 248]
164. Malgré l’attente raisonnable de vie
privée à l’égard de la propriété, les policiers peuvent entrer dans une maison
ou dans un appartement sans consentement et sans mandat, à la suite d’un appel
au 911 qui a été coupé. Comme « le devoir de protéger la vie qu’ont les
agents de police entre en jeu chaque fois que l’on peut déduire que la personne
qui a composé le 911 est en difficulté ou peut l’être »,
ce pouvoir s’applique autant aux situations où la nature du danger est
identifiée, qu’à celles « où la communication est coupée avant que la
nature de l’urgence puisse être déterminée ». Une
fois dans la propriété, les policiers doivent s’efforcer d’identifier la source
du danger, de trouver l’auteur de l’appel si ce dernier provient de la
résidence et de protéger les personnes en difficulté.
Si, en ce faisant, ils tombent par hasard sur des éléments de preuve, ils
peuvent les saisir en vertu de la règle des objets
[Page 249]
« bien en vue ».
Par exemple, le policier qui découvre la victime recroquevillée sur le plancher
de sa chambre à coucher peut saisir la cocaïne qui se trouve sur la table de
chevet, près de la victime ou dans le couloir menant à la chambre à coucher. Il
en va autrement de la drogue qui serait cachée dans le tiroir de la commode,
car la fouille ne serait plus effectuée dans le but de répondre à l’appel au
911. L’intervention, selon la Cour suprême dans R. c. Godoy, doit
viser à assurer la sécurité des personnes. Ainsi, « même
en l’absence d’un pouvoir législatif spécifique, les tribunaux ont reconnu que
les policiers peuvent entrer sans mandat dans une maison d’habitation dans des
situations urgentes où la sécurité d’une personne est en jeu ».
L’entrée des policiers est subordonnée à la présence de soupçons raisonnables,
de faits appuyant leur croyance que la sécurité d’une personne se trouvant dans
la maison est compromise. Chaque cas est unique,
précise la Cour d’appel du Québec, dans Poirier c. R..
Si l’on peut s’attendre à ce que les policiers agissent autrement lorsque d’autres
avenues raisonnables et moins intrusives s’offrent à eux, la sécurité demeure l’objectif
priorisé.
[Page 250]
165. Le droit d’entrer sans mandat et sans
consentement dans une maison d’habitation afin d’assurer la sécurité de ses
occupants fut confirmé récemment par la Cour d’appel dans Cases c. R..
À la suite d’un appel au 911 dont la communication avait été coupée après que
son auteur ait prononcé le mot « police », le répartiteur a réussi à
retracer le lieu de l’appel et à parler avec une personne, un dénommé Robin
Lamoureux, qui prétendait se trouver seul dans la maison en question afin de la
protéger des vols en raison de l’absence de son propriétaire. Quelques minutes
plus tard, trois policiers arrivent sur les lieux. L’un des policiers discute
avec le propriétaire, M. Lemieux, qui s’enquiert des raisons de la présence des
policiers chez lui. L’individu qui semble confus et qui a une contusion à l’œil,
prétend ne pas connaître l’auteur de l’appel. Après avoir fait le tour du
rez-de-chaussée pour sécuriser les lieux, l’agente Larouche descend, en
compagnie de l’agent Parenteau, au sous-sol pour y trouver l’auteur de l’appel.
C’est alors que l’agent Parenteau entre dans une chambre où se trouve un grand
congélateur horizontal qu’il ouvre afin de vérifier si personne ne s’y trouve.
À sa grande surprise, le policier découvre des sacs de plastique contenant du
cannabis. Quant à l’agente Larouche, elle ouvre la porte de la garde-robe pour
y trouver deux grands bacs de plastique superposés contenant du cannabis. Un
télémandat ayant été obtenu par la suite, son exécution permit la saisie de la
drogue découverte suite à la fouille du congélateur et de la garde-robe, ainsi
que d’autres stupéfiants se trouvant dans la maison. Le fils de Lemieux qui
habite au sous-sol de la résidence ayant été déclaré coupable de possession de
méthamphétamine, de possession de cannabis en vue d’en faire le trafic et de
possession de psilocybine, son avocat porte la cause en appel et s’attaque à la
légalité de la fouille effectuée à la suite de l’entrée sans mandat des
policiers. D’après la Cour, les policiers se trouvaient légalement sur place,
car ils répondaient à un appel d’urgence au 911 qui avait été coupé. Cette
intervention, poursuit la Cour, est justifiée puisque les policiers cherchaient
« à s’assurer de la sécurité du public et des personnes pouvant se trouver
en danger dans la résidence et particulièrement la personne ayant logé l’appel
au 911
[Page 251]
qui s’y disait
présente ». Comme l’auteur
de l’appel au 911 avait mentionné qu’il était seul et que le propriétaire des
lieux prétendait ne pas le connaître, les policiers pouvaient fouiller dans le
congélateur et dans la garde-robe dans le but de retrouver M. Lamoureux. La
drogue ayant été découverte par inadvertance, à la suite d’une fouille
effectuée dans le but de trouver l’auteur de l’appel, il s’agissait d’objets « bien
en vue ». En plus de
confirmer le droit des policiers d’entrer sans mandat et sans consentement dans
une maison d’habitation afin d’assurer la sécurité de ses occupants, la Cour
reconnaît la possibilité de fouiller les objets et autres endroits pouvant
raisonnablement permettre l’atteinte de ces objectifs. Cette décision confirme
également le pouvoir des policiers de sécuriser les lieux afin d’accomplir leur
travail. Si, en ce faisant, ils trouvent de la drogue ou d’autres objets liés à
la commission d’un acte criminel, ils peuvent saisir les objets « bien en
vue ». En d’autres
[Page 252]
termes, nous croyons
que la policière qui a fait le tour du rez-de-chaussée afin de s’assurer de la
sécurité des lieux pouvait saisir tous les objets liés à la commission d’un
acte criminel qu’elle aurait pu trouver par inadvertance alors qu’elle se
trouvait légalement sur place. Cette conclusion s’applique, à notre avis, même
dans les cas où la victime qui a logé l’appel au 911 est retrouvée dans la
cuisine où le suspect est arrêté. C’est que la présence de motifs raisonnables
de soupçonner l’existence d’une autre source de danger dans l’appartement (p.
ex. : un complice armé), ou d’une autre personne pouvant être en difficulté,
peut permettre aux policiers de continuer leurs recherches et de saisir, par
exemple, la drogue se trouvant sur la table du salon dans lequel on craignait
la présence d’un complice armé. c) Le terrain
166. Il existe une attente raisonnable de
vie privée à l’égard du terrain de la maison ou d’un autre terrain appartenant
à l’accusé. En l’absence d’un consentement ou d’une autorisation judiciaire
préalable, les policiers ne peuvent empiéter sur le terrain d’un suspect afin d’enquêter
sur la commission d’un acte criminel. Ce principe, qui ne fait plus aucun
doute, fut reconnu par la Cour suprême dans l’arrêt R. c. Kokesch.
À la suite de renseignements reçus du détachement de la GRC à Surrey, des
membres de la section des stupéfiants ont mis sur pied une opération de
filature qui leur a permis de suivre une camionnette jusqu’à une résidence
occupée par l’appelant. Quelques jours plus tard, vers 2 heures du matin, l’agent
Povarchook et un collègue se sont rendus sur place afin d’effectuer une
perquisition périphérique de la résidence. Alors qu’il se trouvait à proximité
de la maison, l’agent Povarchook a remarqué la présence d’une forte
condensation sur la porte patio de la résidence, un bourdonnement électrique
venant du sous-sol et une feuille de contre-plaqué qui semblait cacher un évent
à lames. Une forte odeur de cannabis et de la chaleur se dégageaient également
de cet endroit. Forts de ces constatations, les policiers
[Page 253]
ont obtenu un mandat
de perquisition de la résidence leur permettant de saisir plusieurs plants de
cannabis. L’autorisation judiciaire ayant été obtenue à la suite d’une fouille
sans mandat, la poursuite devait prouver que la perquisition périphérique de la
résidence de l’accusé n’était pas abusive. En effet, d’après l’arrêt Collins,
« une fouille ne sera pas abusive si elle est autorisée par la loi, si
la loi elle-même n’a rien d’abusif et si la fouille n’a pas été effectuée d’une
manière abusive ». À l’époque des
événements en question, l’alinéa 10(1)a) de la Loi sur les stupéfiants
autorisait un agent de la paix à entrer et perquisitionner sans mandat dans
un « endroit » autre qu’une maison d’habitation lorsqu’il croyait,
sur la base de motifs raisonnables, qu’il s’y trouvait un stupéfiant au moyen
ou à l’égard duquel une infraction à la présente loi a été commise. Comme les
policiers n’avaient pas de motifs raisonnables de croire que l’endroit en
question contenait de la drogue, la perquisition périphérique sans mandat de la
résidence de l’accusé devenait abusive et les éléments de preuve découverts à
la suite de son exécution furent écartés en vertu du par. 24(2). Sans ces
éléments de preuve, le mandat de perquisition ayant mené à la découverte des
plants de cannabis ne reposait plus sur la présence de motifs raisonnables
justifiant son émission. Le pourvoi fut donc accueilli et l’acquittement
rétabli par la Cour suprême.
167. Si le propriétaire d’un terrain possède
une attente raisonnable de vie privée à l’égard de celui-ci, il en va autrement
de la personne qui cultive du cannabis, à la vue de tous, sur une terre
publique ou dans les champs d’une
ferme abandonnée qui ne
[Page 254]
lui appartient pas.
Cette conclusion s’applique également au hall d’entrée d’un immeuble à
logements faisant l’objet d’une surveillance policière.
D’après le juge Fish, dans R. c. Joyal,
« le hall d’entrée d’un tel immeuble, accessible à tous sans clé et
sur lequel aucun des locataires n’a d’exclusivité, ne peut être assimilable à
un terrain privé à l’usage exclusif du propriétaire de la maison d’habitation
qui y est érigée ». Il en va de
même des corridors communs ouvertement accessibles au public
et du stationnement extérieur d’un immeuble à logements dont l’accès n’est pas
restreint par une porte ou une barrière de sécurité.
[Page 255]
Quant aux aires
communes d’un petit immeuble à logements ou d’un condominium dont l’entrée est
régie par un code d’accès ou une clé, il est possible, selon les circonstances,
de conclure à la présence d’une attente raisonnable de vie privée.
L’analyse est
[Page 256]
contextuelle et
tient compte des facteurs suivants : « l’habilité
à régir l’accès au lieu, y compris le droit d’y recevoir ou d’en exclure autrui »,
la grandeur de l’immeuble, le consentement ou non
de son administrateur ou du conseil d’administration à la présence des
policiers, la nature des observations faites par ces derniers et le degré de
fréquentation de la partie de l’immeuble en question.
En ce qui concerne l’interpellation ou la détention qui se produit dans l’entrée
privée d’une résidence, celle-ci ne constitue pas une intrusion suffisante pour
engager la garantie constitutionnelle. En effet, les policiers qui obtiennent
des renseignements fiables à l’égard d’une personne soupçonnée de conduite avec
les facultés affaiblies peuvent interpeller le suspect dans l’entrée de sa
résidence
[Page 257]
sans excéder les
limites de « l’invitation implicite ».
Comme l’indique le juge Rosenberg, dans R. c. Lotozky :
« Despite the breadth of the notion of
search and seizure, merely walking on to a driveway, even with an intent to
conduct an investigation involving the owner, does not, in my view, constitute
a sufficient intrusion to be considered a search. There must be something more,
as in the perimeter search cases, peering in windows of the home and trying to
detect odours from within. Put another way, not every trespass on to private
property by police can constitute a search. I would not place a possible
trespass on to a driveway open to public view in the category of a search or
seizure.
[...]
A driveway is not a dwelling house; it is a
place where people drive and park their vehicles. It is an open area that is
visible to the public. The scope of the implied invitation must be analyzed in
that context. »
168. Si l’autorisation implicite, qui n’est
pas retirée expressément, permet à un policier qui poursuit un objectif valable
de pénétrer dans l’entrée d’une résidence privée, qu’en est-il des policiers
qui cognent à la porte d’une maison dans le but de détecter une odeur
suspecte ? Sur ce point, le juge Sopinka, dans R. c. Evans, est
catégorique : l’autorisation implicite de frapper à la porte permet aux
policiers de se rendre jusqu’à la résidence afin de communiquer convenablement
avec son occupant. Lorsque des policiers frappent à la porte d’une résidence
dans le but de « recueillir des éléments de preuve », ils poursuivent
un objectif qui va au-delà de la simple communication.
On n’a qu’à penser aux policiers qui
[Page 258]
s’approchent d’une
résidence afin de discuter avec des personnes qu’ils soupçonnent de cultiver de
la marijuana. Comme les policiers souhaitaient profiter de l’occasion pour
tenter de sentir la marijuana, ils ont outrepassé les limites de l’autorisation
implicite. L’autorisation implicite de frapper à la porte qui est utilisée dans
[Page 259]
le but non pas de
communiquer convenablement avec son occupant, mais de « recueillir des
éléments de preuve » constitue donc une fouille ou une perquisition
abusive au sens de l’article 8 de la Charte. Ce qui n’est
pas le cas lorsque des agents se présentent à la porte d’une résidence privée
devant laquelle se trouve un véhicule qui circulait quelques minutes auparavant
à une vitesse de 178 km/h dans une zone de 100 km/h. Le policier ayant frappé à
la porte de la résidence afin d’identifier le propriétaire du véhicule, l’agent
perçut alors une forte odeur de marijuana provenant de l’intérieur de la
maison. Une fois le suspect mis en état d’arrestation, les policiers ont obtenu
un mandat de perquisition leur permettant de saisir une quantité importante de
plants de cannabis. D’après le juge Gagnon, de la Cour d’appel du Québec, les
policiers qui procèdent à une enquête sur la commission d’infractions aux lois
et règlements peuvent « frapper à la porte de la résidence et demander des
informations pour identifier le conducteur du véhicule ».
Le but n’étant pas d’enquêter sur la production de cannabis, mais de
communiquer avec l’occupant afin d’identifier le propriétaire du véhicule, les
policiers n’ont pas franchi les limites de l’autorisation implicite.
[Page 260]
169. Bien que la théorie de l’invitation
implicite ne permette pas aux policiers de « s’approche[r] d’une maison
dans le but de recueillir des éléments de preuve contre l’occupant »,
rien ne les empêche « de s’approcher d’une maison afin de poser des
questions au propriétaire ou à l’occupant dans le but de faire avancer une
enquête légitime ». Cette situation
fut examinée récemment par la Cour d’appel du Québec dans Tremblay c. R..
À la suite d’une demande infructueuse visant l’obtention d’un mandat de
perquisition d’une résidence fréquentée par des vendeurs de drogues, des
policiers ont planifié une opération secrète leur permettant d’obtenir de
nouveaux motifs à l’appui de leur demande. Conformément au plan mis en place,
un agent d’infiltration s’est présenté à la demeure, puis a cogné à la porte
afin d’informer son occupant que « tout le monde venait de se faire
arrêter » et que « le patron faisait dire de se débarrasser du stock ».
Après avoir discuté avec l’occupant de la demeure, ce dernier contacta le
propriétaire qui lui indiqua la présence de drogues dans le sous-sol de la
résidence. D’après le juge Healy, « le droit de s’approcher et de
communiquer n’exclut pas un questionnement qui vise à faire avancer une enquête
policière légitime (“investigative questioning”). C’est
[Page 261]
plutôt l’intention
de recueillir des informations ou des éléments incriminants par un moyen autre
que la communication avec l’occupant qui outrepasse les limites de cette
invitation implicite ». Pour être
permises par les tribunaux, les questions doivent donc s’inscrire dans la
poursuite d’une enquête « légitime » et non dans le cadre d’une « expédition
de pêche » ou d’une recherche dénuée de tout fondement.
Une enquête est « légitime » lorsque les agents sont « en
possession d’informations permettant de faire un lien entre les occupants de la
résidence et une conduite criminelle réelle ou soupçonnée ».
Comme les policiers étaient en possession d’éléments de preuve leur « permettant
de faire un lien entre les occupants de la résidence et une conduite criminelle
[Page 262]
soupçonnée »
et que « l’agent d’infiltration espérait que l’accusé, suite à la
conversation, donne des informations ou adopte un comportement qui lui permette
d’obtenir des éléments qui puissent transformer les soupçons en motifs
raisonnables de croire qu’il se trouvait dans cette résidence des stupéfiants »,
le Tribunal conclut que l’intervention de l’agent d’infiltration s’inscrivait
dans le cadre de l’invitation implicite et n’équivalait donc pas à une fouille
de la propriété.
170. Quant à l’étendue de l’invitation
implicite, celle-ci « permet au policier de parler ou de crier à travers
la porte, ou même d’y frapper, mais pas de la pousser pour l’ouvrir ».
On n’a qu’à penser aux policiers qui pénètrent dans la maison d’un individu qui
avait laissé la porte ouverte et qui leur tournait le dos.
Comme aucune situation d’urgence ne justifiait une telle intervention, l’entrée
des policiers dans la résidence de l’appelant était illégale.
171. En raison de leur nature particulière,
les fouilles périphériques ne comportent pas toujours le même degré d’intrusion.
[Page 263]
En effet, il y a une
différence entre le policier qui pénètre sur la propriété d’autrui pour
procéder à une inspection visuelle de la demeure et celui qui met le pied sur
le terrain des appelants pour installer des caméras sur des poteaux d’utilité
publique. « Comme l’empiètement
était temporaire et superficiel, c’est à bon droit que la juge a conclu qu’il
était “sans incidence”. » d) Les hôtels, bureaux et casiers
172. L’existence d’une attente raisonnable
de vie privée à l’égard d’une chambre d’hôtel fut confirmée par la Cour
suprême,
[Page 264]
dans R. c. Wong.
À la suite d’une enquête qui avait révélé l’existence d’une maison de jeu
flottante dans un grand hôtel de la région de Toronto, des agents de police ont
installé, sans autorisation judiciaire préalable mais avec la permission de la
direction de l’hôtel, une caméra vidéo dans la chambre retenue par M. Wong.
Cette caméra, qui était fixée à la bande de tissus qui cache la tête des
rideaux de la fenêtre, leur permettait de suivre en simultané les activités
illégales qui s’y déroulaient. Accusés d’avoir tenu une maison de jeu, M. Wong
et dix autres personnes ont été acquittés des accusations qui pesaient contre
eux. La décision ayant été cassée en appel, la Cour suprême devait déterminer
si l’enregistrement magnétoscopique effectué sans autorisation préalable dans
la chambre d’hôtel de l’appelant empiétait sur son attente raisonnable de vie
privée. La question, précise le juge LaForest, au nom de la majorité, n’est pas
de savoir si des personnes qui se livrent à des activités illégales dans une
chambre d’hôtel possèdent une attente raisonnable de vie privée, mais si des
personnes qui se réunissent dans l’intimité d’une chambre d’hôtel, la porte
fermée et les rideaux tirés, peuvent raisonnablement s’attendre au respect de
leur vie privée. La distinction est
importante. La nature de l’activité qui se déroule derrière des portes closes n’a
pas d’impact sur l’analyse de l’attente raisonnable de vie privée.
La protection offerte par l’article 8 s’applique aux chambres d’hôtel. « Normalement,
si nous louons de telles chambres, c’est que nous voulons obtenir un endroit
privé où poursuivre nos activités à l’abri de toute observation. Par
conséquent, je ne puis concevoir de raison pour laquelle nous serions privés de
notre droit à la protection contre les perquisitions et les fouilles abusives
en de tels endroits qui peuvent justement être considérés comme notre foyer
hors du
[Page 265]
foyer. »
Cette conclusion s’applique même si l’appelant avait convié des étrangers à se
réunir dans sa chambre d’hôtel ou lancé des invitations à des membres du
public. La surveillance magnétoscopique sans mandat effectuée à l’aide d’une
caméra vidéo installée dans une chambre d’hôtel contrevient donc à l’article 8
de la Charte.
173. Formulés dans le cadre d’activités
organisées auxquelles furent conviés des membres du public, les principes
développés dans l’arrêt Wong s’appliquent également aux fouilles
effectuées dans une chambre d’hôtel louée par des particuliers. En effet, la
protection conférée par l’article 8 ne pourrait convenablement être sauvegardée
« si l’attente de vie privée à l’égard du bureau ou d’une chambre d’hôtel
cessait d’être raisonnable parce qu’on a conscience de la possibilité que le
personnel d’entretien fouine dans ce qui n’est pas mis sous clé ».
Certes, l’attente peut être diminuée, mais pas au point de ne plus être
raisonnable au sens de l’article 8. Cela est d’autant plus vrai lorsque les
occupants de la chambre ont pris la peine de placer à la porte une affiche « Ne
pas déranger ».
[Page 266]
174. Malgré des vocations fort différentes,
les bureaux font intervenir des considérations similaires à celles qui s’appliquent
aux chambres d’hôtels. Comme le client d’un hôtel, l’employé d’un bureau n’est
pas le propriétaire ni le locataire des lieux. S’il possède une clé, il doit s’attendre
à ce que des membres du personnel d’entretien ou des agents de sécurité entrent
dans son bureau afin de faire le ménage ou d’assurer l’intégrité des lieux. Mis
à part ces quelques visites occasionnelles, l’employé de bureau peut
raisonnablement s’attendre au respect de sa vie privée. En plus d’être une
extension de la maison au travail (photos de famille sur le bureau ou les murs,
souvenirs ou objets personnels), le bureau contient une foule d’informations
sur le mode de vie de l’employé, sur sa relation avec son travail, ses
collègues et son employeur. Même s’il n’est pas le seul détenteur de la clé de
son bureau, l’employé possède une attente raisonnable de vie privée à l’égard
de son lieu de travail.
175. Comme le client d’un hôtel ou l’employé
d’un bureau, la personne qui loue un casier dans un lieu public possède une
attente raisonnable de vie privée. C’est la conclusion à laquelle arrive la
Cour suprême, dans R. c. Buhay. Après
avoir senti une odeur de marijuana provenant d’un sac de sport qui se trouvait
dans un casier loué à la gare routière de Winnipeg, des agents de sécurité ont
demandé au responsable des messageries express de la compagnie Greyhound d’ouvrir
le casier avec son passe-partout. Ayant trouvé de la marijuana enroulée dans un
sac de couchage, les agents de sécurité ont replacé le sac de sport contenant
la drogue dans le casier de M. Buhay pour ensuite appeler les policiers. Une
fois sur place, les agents de police Barker et Riddell se sont approchés du
casier où ils ont perçu à leur tour l’odeur de marijuana. L’employé de
Greyhound ayant procédé à l’ouverture du casier, les policiers ont saisi le sac
de marijuana, sans mandat. L’appelant ayant été acquitté en première instance
de possession de marijuana en vue d’en faire le trafic, mais déclaré coupable à
la suite du pourvoi logé par le ministère public, la Cour suprême devait
déterminer si une personne qui place ses affaires sous clé dans un casier
[Page 267]
loué d’une gare
routière possède une attente raisonnable de vie privée. D’après la juge Arbour,
qui rédigea le jugement au nom de la Cour, l’appelant détenait effectivement
une telle attente. Bien que ce dernier ne soit pas le propriétaire du casier et
que le responsable de la compagnie Greyhound possédait une clé lui permettant d’ouvrir
tous les casiers, la croyance de l’accusé en la présence d’une attente de vie
privée était raisonnable dans les circonstances. En effet, « l’existence d’un
passe-partout ne supprime pas en soi l’attente de vie privée. Si cela était le
cas, une telle attente n’existerait pas, par exemple, dans [une chambre d’hôtel],
un immeuble d’habitation, un complexe de bureaux ou une résidence
universitaire. Sauf urgence ou autres circonstances pressantes, le locataire d’un
casier peut raisonnablement s’attendre à ce que les agents de sécurité de la
gare ou les policiers ne fouillent pas son casier sans autorisation ».
L’accusé ayant une attente raisonnable de vie privée relativement au contenu de
son casier, les policiers ne pouvaient saisir le sac qui s’y trouvait sans autorisation
judiciaire préalable. e) Les ordinateurs et téléphones
cellulaires
176. La protection contre la fouille non
autorisée d’ordinateurs personnels fut examinée par la Cour suprême dans l’arrêt
R. c. Morelli. À
la suite d’une visite, sans préavis, d’un technicien en informatique qui
désirait installer le service Internet que l’accusé avait demandé, l’employé a
remarqué, dans le navigateur Web de l’ordinateur personnel de l’appelant, la
présence de plusieurs liens vers des sites pornographiques dont certains
semblaient associés à des enfants. Des vidéos amateurs et une webcaméra dont la
lentille était braquée en direction des jouets de l’enfant de l’accusé ont
également attiré son attention. Le technicien n’ayant pu terminer son travail
le jour même, ce dernier est revenu le lendemain matin pour constater que les
jouets avaient été rangés dans une boîte, que les bandes-vidéo avaient été
retirées des étagères,
[Page 268]
que la webcaméra
avait été orientée dans une autre direction et que le disque dur de l’ordinateur
avait été formaté. Préoccupé par la situation, le technicien contacta la
police. Celle-ci ayant obtenu un mandat sur la base d’informations incomplètes,
de demi-vérités et de suppositions, la Cour suprême s’interrogea sur l’attente
raisonnable de vie privée de l’accusé à l’égard de son ordinateur personnel. D’après
le juge Fish, « il est difficile d’imaginer une atteinte plus grave à la
vie privée d’une personne que la perquisition de son domicile et la fouille de
son ordinateur personnel. En effet, nos ordinateurs contiennent souvent notre
correspondance la plus intime. Ils renferment les détails de notre situation
financière, médicale et personnelle. Ils révèlent même nos intérêts
particuliers, préférences et propensions, enregistrant dans l’historique et la
mémoire cache tout ce que nous recherchons, lisons, regardons ou écoutons dans
l’Internet ». Comme l’ordinateur
renferme des informations personnelles de nature biographique, qu’il donne
accès à des détails intimes de notre vie privée, son contenu doit être protégé
contre les intrusions injustifiées de l’État.
177. La protection contre la fouille et la
saisie non autorisée d’ordinateurs personnels fut étendue par la Cour suprême,
dans R. c. Cole, aux
appareils utilisés à des fins professionnelles et personnelles. L’accusé, qui
était enseignant dans une école secondaire, s’était vu confier par son
employeur un ordinateur portatif qu’il pouvait utiliser également à des fins
personnelles. Alors qu’il effectuait des travaux de maintenance, le technicien
informatique a trouvé dans l’ordinateur de l’accusé un fichier contenant des
photographies d’une élève nue et partiellement nue. Après avoir informé le
directeur de l’école de la situation, le technicien a copié les photographies
sur un disque compact. Le directeur a confisqué l’ordinateur portatif de l’accusé
et des copies des images explicites ont été effectuées une seconde fois. Ayant
remis l’ordinateur portatif et les deux disques contenant des copies des
fichiers à la police, des agents ont examiné, sans le consentement de M. Cole
et sans autorisation judiciaire préalable, leur contenu. L’enseignant
[Page 269]
ayant été accusé de
possession de pornographie juvénile et d’utilisation non autorisée d’un
ordinateur, la défense s’opposa à l’admission de la preuve obtenue à la suite
de la fouille de l’ordinateur portatif. D’après le juge Fish, qui rédigea
encore une fois le jugement pour la majorité, c’est le « contenu
informationnel » du disque dur qui fait l’objet de la fouille et non l’ordinateur
lui-même. « Plus les renseignements sont personnels et confidentiels, plus
les Canadiens raisonnables et bien informés seront disposés à reconnaître l’existence
d’un droit au respect de la vie privée garanti par la Constitution. »
Bien que la vocation professionnelle de l’ordinateur portatif et les politiques
du Conseil scolaire régissant son utilisation diminuaient l’attente raisonnable
de vie privée, celle-ci demeurait suffisante, en l’espèce, pour engager la
protection constitutionnelle. Les données recueillies
ayant été obtenues en violation de l’article 8, la preuve fut admise en raison
de l’absence de négligence ou de mauvaise foi de l’enquêteur, de l’incertitude
juridique entourant le statut des ordinateurs utilisés à des fins
professionnelles et personnelles, de la nature réduite de l’attente raisonnable
de vie privée et de l’importance de la preuve au regard de sa fiabilité et de
sa valeur probante.
178. Rendu en 2013, l’arrêt R. c. Vu
est la troisième décision de la Cour suprême consacrée à la fouille des
ordinateurs. Après avoir reçu des informations d’un sous-traitant de British
Columbia Hydro voulant que de l’électricité ait été détournée
[Page 270]
illégalement d’une
propriété privée, un policier de la GRC a effectué différentes vérifications
qui lui ont permis d’obtenir un mandat de perquisition autorisant la saisie de « [Traduction] “[t]out équipement ou
composant utilisé pour détourner l’électricité, y compris les socles, les
compteurs d’électricité, les fils électriques, les dispositifs de détournement
d’électricité [ainsi que] [l]es documents identifiant les propriétaires et/ou
occupants de la propriété” pertinents pour les besoins d’une enquête sur l’infraction. »
Ayant trouvé deux ordinateurs et un téléphone cellulaire dans le salon de l’appelant,
l’agent Carter a fouillé les appareils afin de confirmer l’identité des
propriétaires et occupants de la propriété. Développées à une époque dominée
par la matérialité des preuves recherchées, les dispositions régissant les
mandats de perquisition ne sont pas adaptées à la nature et à la quantité des
données pouvant être révélées suite à la fouille d’un ordinateur. En effet, « les
intérêts en matière de respect de la vie privée que met en jeu la fouille des
ordinateurs diffèrent nettement de ceux en cause lors de la fouille de
contenants tels des placards et des classeurs. [...] Les ordinateurs sont
susceptibles de donner aux policiers accès à de vastes quantités de données sur
lesquelles les utilisateurs n’ont aucune maîtrise, dont ils ne connaissent
peut-être même pas l’existence ou dont ils peuvent avoir choisi de se départir,
et qui d’ailleurs pourraient fort bien ne pas se trouver concrètement dans le
lieu fouillé. » Ces
considérations, une fois comprises, amènent la Cour suprême à modifier le cadre
juridique traditionnel afin d’obliger les policiers à obtenir une autorisation
expresse préalable afin de fouiller des ordinateurs susceptibles d’être
découverts dans le lieu faisant l’objet de la perquisition :
« Concrètement, une telle autorisation
expresse préalable signifie que, si des policiers entendent fouiller tout
ordinateur trouvé dans le lieu qu’ils souhaitent perquisitionner, ils doivent d’abord
convaincre le juge de paix saisi de la demande d’autorisation qu’ils possèdent
des motifs raisonnables de croire que les ordinateurs qu’ils pourraient
découvrir contiendront les choses qu’ils recherchent. Les policiers ne sont
toutefois pas tenus de démontrer
[Page 271]
qu’ils ont des motifs raisonnables de croire
que des ordinateurs seront découverts dans le lieu concerné, mais ils devraient
clairement dévoiler ce fait si c’est le cas. J’ajouterais ici que les policiers
qui ont obtenu un mandat autorisant la fouille d’ordinateurs peuvent ensuite se
prévaloir des par. 487(2.1) et (2.2) du Code, dispositions qui les autorisent à
fouiller, à reproduire et à imprimer les données qu’ils trouvent. »
[Page 272]
179. En l’absence d’une telle autorisation
préalable, les policiers qui trouvent un ordinateur lors d’une perquisition
peuvent saisir l’appareil, mais doivent obtenir un mandat distinct s’ils
désirent consulter les données qu’il contient. Des mesures visant à préserver l’intégrité
des données peuvent également être entreprises entretemps afin d’en conserver
le contenu. Sans exiger la présence d’un protocole de perquisition, les
policiers doivent respecter les règles reconnues par les tribunaux et éviter de
procéder à une fouille abusive. Des conditions spécifiques limitant la façon de
procéder à la fouille peuvent également être prescrites par les juges de paix
saisis d’une telle demande. En ce qui concerne l’étendue
de la fouille, celle-ci varie en fonction des circonstances
[Page 273]
de l’affaire. Ainsi,
lorsqu’une personne possède des images de pornographie juvénile dans son
ordinateur, qui ont été découvertes à la suite d’une fouille sommaire effectuée
sur les lieux de la perquisition, le policier qui procède par la suite à l’examen
exhaustif du contenu de l’ordinateur n’est pas limité à l’analyse des fichiers
déjà catégorisés ou à la méthode de recherche utilisée.
Une fouille qui se borne, par exemple, à la même fonction de hachage ou au nom
du fichier peut s’avérer incomplète en raison des risques de changements apportés
à la signature numérique ou de la présence d’un nom n’indiquant pas le contenu
du dossier. En effet, d’après le
juge Pardu, dans R. c. John, la police pouvait fouiller les
autres images et fichiers-vidéo contenus dans l’ordinateur alors qu’elle cherchait
de la pornographie juvénile. Elle pouvait également
consulter « l’historique de navigation et vérifier les dates et la période
d’accès au compte Internet du suspect » afin d’identifier la personne en
quête de pornographie juvénile. La fouille ayant été
soigneusement organisée en fonction de la nature de la preuve se rapportant à l’infraction
reprochée, rien n’indique que le policier a consulté « des documents, des
relevés bancaires ou
[Page 274]
autres programmes et
fichiers » ne se rapportant pas à la pornographie juvénile et à l’identité
de la personne concernée.
180. Nécessaire lorsqu’une perquisition est
effectuée dans un lieu « où les policiers souhaitent pouvoir fouiller les
ordinateurs qu’ils pourraient y trouver, parce qu’ils croient raisonnablement
que ceux-ci contiendront les choses pour lesquelles la perquisition a été
autorisée », l’obtention d’un
mandat permettant la fouille d’ordinateurs ou de téléphones cellulaires ne s’applique
pas aux fouilles incidentes à une arrestation ni aux situations d’urgence
permettant une fouille sans mandat. Une entrée dynamique
pour exécuter le mandat de perquisition peut être utilisée par les policiers
lorsqu’il existe un risque que les données contenues dans l’ordinateur soient
effacées.
181. En raison de sa finalité et de sa
capacité de stockage extrêmement élevée, la saisie d’un téléphone cellulaire
obéit aux mêmes principes et aux mêmes considérations que les ordinateurs.
L’accès à l’appareil cellulaire étant fréquemment protégé
[Page 275]
par un mot de passe,
les autorités policières devront recourir à une entreprise spécialisée afin de
contourner la barrière de sécurité. Quant à la fouille du téléphone cellulaire
accessoire à une arrestation, son traitement fait l’objet de développements
particuliers dans la section consacrée aux fouilles sans mandat permises par la
common law.
182. La renonciation aux droits à la vie
privée de l’accusé découlant du consentement d’un tiers partageant son
ordinateur fut examinée plus en profondeur par la Cour suprême dans l’arrêt R.
c. Reeves. Informés
de la présence possible de pornographie juvénile dans l’ordinateur personnel
que l’accusé partageait avec sa conjointe, des policiers se sont présentés,
sans mandat, au domicile familial pour s’enquérir de la situation. La conjointe
de M. Reaves ayant permis au policier d’entrer, elle signa « un formulaire
de consentement autorisant le policier à prendre l’ordinateur personnel qui se
trouvait au sous-sol du domicile ». Après avoir
conservé l’ordinateur sans mandat pendant plus de quatre
[Page 276]
mois, la police
obtient finalement l’autorisation de fouiller l’appareil. En tout 140 images et
22 vidéos de pornographie juvénile furent retrouvés dans l’ordinateur. La
preuve ayant été écartée au procès en raison de la violation de l’article 8,
puis admise en appel, la Cour suprême devait déterminer si la police avait
violé les droits à la vie privée de M. Reeves en entrant sans mandat dans le
domicile familial et en prenant l’ordinateur qu’il partageait avec sa conjointe.
Comme la légalité de l’entrée dans la maison avait été reconnue par l’avocat de
M. Reeves, et que celle-ci n’avait pas, selon la plupart des juges, d’incidence
réelle sur la question à trancher, le Tribunal s’attarda à la saisie de l’ordinateur
partagé effectuée sans mandat, mais avec la permission de la conjointe de l’accusé.
D’après la juge Karakatsanis, l’accusé possédait une attente raisonnable de vie
privée à l’égard de l’appareil. Même si son attente pouvait être diminuée en
raison du fait qu’il partageait son ordinateur avec sa conjointe, elle
demeurait suffisante pour engager la protection constitutionnelle. Quant à la
renonciation aux droits à la vie privée résultant du consentement donné par sa
conjointe, « la Cour reconnaît depuis longtemps que seule la personne
qui invoque un droit garanti par l’art. 8 de la Charte peut y renoncer en
consentant à une fouille, perquisition ou saisie (Borden, p. 162) ».
S’il est vrai que la conjointe de l’accusé possédait un droit à la vie privée à
l’égard du contenu de l’ordinateur qu’elle partageait avec l’accusé, « cela
ne lui permettait pas de renoncer au droit constitutionnel de M. Reeves de ne
pas être importuné par l’État ». Seul le
consentement libre et éclairé du principal intéressé pouvait lui être opposé et
valoir à titre de renonciation à ses droits garantis par l’article 8. Comme l’accusé
possédait une attente raisonnable de vie privée à l’égard de l’ordinateur
partagé et qu’il n’avait pas renoncé à ses droits, la prise de l’appareil
constituait une saisie au sens de l’article 8 de la Charte. Les saisies sans
mandat étant présumées abusives, la poursuite n’a pas réussi à réfuter cette
présomption, d’où la violation du droit en question. Malgré le sérieux des
infractions reprochées et l’importance de la preuve obtenue à la suite de la
saisie et de la fouille de l’ordinateur, la gravité de la conduite des
policiers jumelée à l’incidence de la
[Page 277]
violation sur les
droits de l’accusé militaient en faveur de l’exclusion de la preuve.
183. L’attente raisonnable de vie privée en
matière informatique s’étend également aux renseignements relatifs à l’abonné
qui utilise une adresse Internet. C’est ce que confirme la Cour suprême dans
R. c. Spencer. Dans le cadre d’une
enquête sur la commission d’infractions relatives à de la pornographie
juvénile, un agent de police de Saskatoon a utilisé un logiciel de partage de
fichiers ouvert au public qui lui a permis de découvrir des échanges de
fichiers contenant de la pornographie juvénile. Comme l’adresse IP « correspondant
à la connexion Internet établie par un ordinateur »
est accessible à tous ceux qui partagent les fichiers, l’agent de police a
procédé à certains recoupements avec une base de données lui permettant de
localiser de manière approximative les foyers d’activités illégales. Sachant
que l’ordinateur de M. Spencer était connecté à Internet ainsi qu’à LimeWire,
le policier remarqua la présence de plusieurs fichiers de pornographie juvénile
dans le répertoire partagé du suspect. Ignorant l’emplacement exact de l’ordinateur
et l’identité de son utilisateur, l’agent a contacté le fournisseur de services
d’Internet (FSI) afin d’obtenir, dans le cadre de son enquête, le nom, l’adresse
et le numéro de téléphone de l’abonné à qui appartenait l’adresse suspecte. Le
fournisseur de services d’Internet ayant obtempéré à la demande, les policiers
ont recueilli suffisamment d’informations pour obtenir un mandat leur
permettant de perquisitionner la résidence où habitait le suspect, de saisir
son ordinateur et de fouiller son contenu. Plusieurs images et vidéos de
pornographie juvénile ayant été découverts à la suite de cette perquisition, M.
Spencer fut accusé de possession de pornographie juvénile et d’avoir rendu
accessible de la pornographie juvénile sur Internet. D’après le juge Cromwell,
qui rédigea le jugement au nom de la Cour, la demande de renseignements faite
par la police au fournisseur de services d’Internet ne se limite pas simplement
à l’obtention du nom, de l’adresse ou du numéro de téléphone de l’abonné, mais
vise à identifier l’abonné dont la
[Page 278]
connexion à Internet
correspond à une activité informatique sous enquête.
La personne qui utilise Internet s’attend généralement au respect de sa vie
privée. Cette attente, toujours selon la Cour, est raisonnable dans les
circonstances de l’affaire. En effet, la communication de renseignements
relatifs à un abonné « permettra souvent d’identifier l’utilisateur qui
mène des activités intimes ou confidentielles en ligne en tenant normalement
pour acquis que ces activités demeurent anonymes. La demande faite par un
policier visant la communication volontaire par le FSI de renseignements de
cette nature constitue donc une fouille ». La
demande de renseignements ayant été formulée directement au fournisseur de
services d’Internet, sans consentement de l’abonné ni autorisation judiciaire
préalable, celle-ci devenait abusive au sens de l’article 8 de la Charte. Comme
le mandat n’aurait pu être obtenu sans l’existence des renseignements
recueillis illégalement, sa délivrance contrevenait à la Charte, mais l’admission
de la preuve fut justifiée en vertu du par. 24(2).
184. Sans être identique, la divulgation de
renseignements relatifs au détenteur d’un téléphone cellulaire pose également
des difficultés aux tribunaux. Malgré certaines décisions à l’effet contraire,
nous croyons, conformément à l’analyse de « l’ensemble des circonstances »
développée dans Edwards et reprise dans Spencer, qu’il existe,
dans la plupart des cas, une attente raisonnable de vie privée à l’égard des
renseignements relatifs aux abonnés. Cette
[Page 279]
attente s’impose
généralement lorsque la demande visant l’accusé « donne naissance à un
intérêt en matière de vie privée qui a une portée plus grande que celui
inhérent à son nom, à son adresse et à son numéro de téléphone qui figurent
parmi les renseignements relatifs à l’abonné ». Ces
informations, selon le juge Henderson, dans Re Subscriber Information, ne
constituent pas des « données de transmission » ou des « données
de localisation » pouvant faire l’objet d’une ordonnance de communication
au sens des articles 487.016 et 487.017 du Code criminel, mais peuvent
être obtenues grâce à une ordonnance générale de communication prévue à l’article
487.014 du Code. Contrairement aux ordonnances
permettant de communiquer un document comportant des données de transmission ou
de localisation, l’ordonnance générale de communication n’est pas subordonnée à
l’existence de « soupçons raisonnables », mais à la présence de « motifs
raisonnables de croire ».
185. Le détenteur d’un ordinateur ou d’un
téléphone cellulaire ne peut être forcé à divulguer son mot de passe. C’est du
moins ce qu’indique le juge Doyon, au nom de la Cour d’appel du
[Page 280]
Québec, dans R. c.
Boudreau-Fontaine. Vers
20 h 04, le 19 septembre 2007, un appel fut logé au 911 concernant la présence
d’une personne louche dans une voiture stationnée sur la rue Berri. Comme l’individu
était en possession d’un ordinateur portable, le plaignant craignait qu’il soit
connecté à un réseau sans fil lui permettant de subtiliser des données
personnelles. Constatant que l’individu était en possession d’un ordinateur,
deux patrouilleurs se sont approchés de la voiture puis ont interpellé son
conducteur. Après une brève conversation au cours de laquelle le suspect a
mentionné qu’il regardait des fichiers se rapportant à des placements, l’agente
Robitaille lui demanda de s’identifier à l’aide de son permis de conduire.
Ayant procédé à des vérifications au Centre de renseignements policiers du
Québec (CRPQ), la policière apprit que l’individu était sous le coup d’une
ordonnance de probation relativement à la commission d’infractions sexuelles
sur des mineurs, lui interdisant notamment d’accéder à Internet. L’accusé ayant
été arrêté pour bris de probation, les policiers ont fouillé sa voiture puis
saisi son portable. Un mandat de perquisition autorisant la saisie, au poste de
police, de l’ordinateur de l’intimé en vue d’en vérifier le contenu et de
démontrer son accès à Internet fut obtenu quelques jours plus tard. Le mandat
ordonnait notamment à l’accusé « de fournir à un policier du service de
police de la ville de Montréal tous les mots de passe et modalités pour pouvoir
accéder au contenu de son [ordinateur] ». L’accusé
s’étant présenté au poste de police de son propre gré, ce dernier s’est plié à
l’ordre de la Cour et a fourni le mot de passe permettant d’avoir accès à son
ordinateur. Discutant de la légalité de l’arrestation initiale de l’accusé, la
Cour d’appel confirme l’absence de motifs raisonnables de croire que le suspect
était branché à Internet. L’arrestation étant illégale, la fouille de la
voiture et la saisie de son contenu devenaient par conséquent abusives. En ce
qui concerne l’ordre intimant à l’accusé de fournir au policier son mot de
passe, il oblige l’individu à s’incriminer en permettant de démontrer que ce
dernier était connecté à Internet. « Contraint de participer à l’enquête
policière et de donner une information cruciale, contrairement à ses droits
constitutionnels, l’intimé a fait une déclaration (l’identification de
[Page 281]
son mot de passe)
qui est irrecevable et qui rend abusive la saisie des données qui a suivi.
Bref, même si cette saisie a été précédée d’une autorisation judiciaire, la loi
ne permettait pas d’y adjoindre une ordonnance forçant l’intimé à s’incriminer. »
Quant à l’argument voulant que les policiers auraient pu avoir accès au contenu
de l’ordinateur grâce au concours d’une firme spécialisée en informatique,
celui-ci fut jugé trop théorique. En effet, est-ce que les policiers ont tenté
d’avoir recours à de tels services ? Est-ce que la firme spécialisée
aurait pu avoir accès aux données contenues dans l’ordinateur de l’accusé ?
Quelles étaient les chances de succès ? Voilà des questions qui demeurent
sans réponse. Comme l’accusé fut contraint de s’incriminer en fournissant une
information essentielle à la poursuite, la fouille fut jugée abusive et la
preuve écartée conformément au par. 24(2) de la Charte. Bien que l’accusé ne
soit pas forcé de divulguer son mot de passe, rien n’empêche les policiers de
le demander. Dans ce cas, les policiers doivent fournir au détenu la
possibilité de parler à son avocat avant de choisir de divulguer ou non son mot
de passe.
186. L’existence d’une attente raisonnable
de vie privée à l’égard des messages textes envoyés à partir d’un téléphone
cellulaire fut confirmée récemment par la Cour suprême dans l’arrêt R.
c. Marakah. À
la suite d’une enquête concernant l’achat de plusieurs armes à feu, des agents
de police de Toronto ont saisi puis fouillé le contenu de l’iPhone du complice
de M. Marakah, un dénommé Andrew Winchester. La fouille ayant permis la
découverte de messages textes incriminants, la Cour devait déterminer si l’accusé
pouvait raisonnablement s’attendre à ce que les messages envoyés à M.
Winchester demeurent privés. S’inspirant des
[Page 282]
quatre questions
énoncées par le juge Fish dans R. c. Cole,
la juge en chef McLachlin conclut en l’existence d’une attente raisonnable
de vie privée à l’égard des messages textes récupérés par la police. D’après la
juge en chef, l’objet de la fouille était la « conversation électronique »
qu’avait eue M. Marakah avec M. Winchester. En tant qu’auteur
du message et participant à la conversation, l’appelant avait un intérêt direct
dans l’objet de la fouille. M. Marakah possédait également une attente
subjective de vie privée à l’égard des messages envoyés et récupérés dans l’appareil
du destinataire : il a affirmé, en effet, qu’il s’attendait à ce que les
messages textes demeurent confidentiels et a mentionné avoir demandé à
plusieurs reprises à M. Winchester de supprimer les messages qu’il avait reçus.
En ce qui touche le caractère raisonnable de l’attente en question, l’analyse
du lieu de la fouille, de la nature des renseignements personnels pouvant être
révélés et du contrôle de l’information transmise par message texte milite en
faveur de son caractère objectivement raisonnable. Sur ce point, « la
jurisprudence est claire : une personne ne perd pas le contrôle de renseignements
pour l’application de l’art. 8 uniquement parce que quelqu’un d’autre les
possède ou peut les consulter. Même lorsque “la réalité technologique” l’empêche
d’exercer un contrôle exclusif sur ses renseignements personnels, une personne
peut malgré tout s’attendre raisonnablement à ce que ces renseignements soient
à l’abri du regard scrutateur de l’État. M. Marakah a communiqué des
renseignements à M. Winchester; ce faisant, il a accepté de courir le risque
que M. Winchester les divulgue à des tiers. Toutefois, en acceptant de courir
ce risque, M. Marakah n’a
[Page 283]
pas renoncé au
contrôle sur les renseignements ni à son droit à la protection de l’art. 8 ».
Cette conclusion ne s’applique pas automatiquement à toutes les communications
électroniques. Les « messages publiés sur les médias sociaux », les « conversations
tenues dans des salons de cyberbavardage bondés » et les « commentaires
publiés sur des babillards en ligne » comportent des
considérations différentes. Quant à la personne qui utilise la messagerie
privée d’un site web fréquenté par des adolescents pour communiquer avec une
jeune fille de treize (13) ans, elle possède une attente raisonnable de vie
privée à l’égard du contenu des messages envoyés.
En effet, l’accusé croyait subjectivement que ses messages demeureraient
confidentiels : l’information ne se trouvait pas sur la partie accessible
au public et l’individu redirigeait les questions ou commentaires qu’il recevait
dans sa messagerie privée. Comme l’explique la juge Bennett, de la Cour d’appel
de la Colombie-Britannique, dans R. c. Craig, l’accusé est l’auteur
des messages qu’il a envoyés. Ces messages révèlent des détails intimes de sa
vie privée et non pas été créés dans le but d’être révélés à d’autres personnes
que la destinataire. Il en va de même des
conversations privées sur Facebook et des autres informations
[Page 284]
partagées sur le mur
et rendues accessibles uniquement aux invités (amis). Cette situation doit être
distinguée des communications en ligne entre un individu et un policier qui se
fait passer pour une jeune fille de 14 ans dans le but de repérer des
cyberprédateurs. L’accusé ayant envoyé
plusieurs messages sexuellement explicites à la personne fictive en utilisant
Facebook et Hotmail, ce dernier fut arrêté alors qu’il s’était présenté dans un
parc pour rencontrer l’enfant. Accusé de leurre par Internet en vertu de l’art.
172.1 du Code criminel, M. Mills s’opposa à l’admission des relevés de
ses communications en ligne obtenus sans autorisation préalable. Bien que les
communications électroniques sur Facebook et par courriel ne peuvent être
distinguées des messages textes envoyés à l’aide d’un téléphone cellulaire, que
l’accusé possédait en tant que coauteur des messages un droit sur ces derniers
et qu’il s’attendait subjectivement à ce que les conversations demeurent
confidentielles, son attente à l’égard du respect de sa vie privée n’était pas
objectivement raisonnable dans les circonstances. Cette conclusion, précise le
juge Brown, se limite aux faits de l’espèce et plus précisément à la personne
qui s’est « entretenue en ligne avec une enfant qui était une
inconnue pour lui et où, élément le plus important, les policiers
savaient qu’un tel entretien aurait lieu au moment où ils ont créé l’enfant en
question ». La situation
pourrait donc être différente en présence de personnes qui se connaissent ou d’enquêtes
exigeant de « passer en revue diverses communications avant d’être en
mesure d’établir la relation ». Comme l’accusé
ne pouvait s’attendre au respect de sa vie privée à l’égard des conversations
visées, les dispositions du Code criminel régissant l’interception de
communications privées ne s’appliquaient pas en l’espèce. La conclusion de la
juge Karakatsanis, à laquelle souscrit le juge en chef Wagner, est plus
générale. À l’instar d’un suspect qui s’entretient de vive voix avec un agent d’infiltration,
celui qui communique par courriel ou Facebook Messenger avec un policier qui se
fait passer pour quelqu’un d’autre « ne peut raisonnablement
[Page 285]
s’attendre à ce que
la personne avec laquelle il communique ne prenne pas connaissance de ses
propos ». En l’absence d’une
telle attente et sous réserve d’avancées technologiques pouvant élargir le
spectre de la surveillance, les policiers n’ont pas besoin « de mandat
avant d’utiliser des moyens de communication modernes, tels les messages textes
ou les courriels, au cours d’opérations d’infiltration ».
Enfin, mentionnons que la protection des données personnelles de l’accusé ne s’étend
pas aux souvenirs d’une personne relativement à ce qu’elle a vu sur le
téléphone cellulaire de son ex-copain. En effet, les policiers peuvent
interroger la mère d’une jeune fille qui a trouvé des photos de son enfant nu
dans le téléphone cellulaire de son petit ami. Certes, l’accusé peut espérer
que cette dernière ne partage pas ses souvenirs, mais il ne possède pas d’attente
raisonnable à ce qu’elle garde pour elle-même ce qu’elle a vu dans son
téléphone cellulaire.
187. En ce qui concerne les messages, photos
ou autres « informations publiques », ces
renseignements étant accessibles
[Page 286]
à tous, leur contenu
peut être consulté sans porter atteinte au droit à la vie privée. On n’a qu’à
penser aux policiers qui ont obtenu un mandat de perquisition dans le but de
retrouver des armes prohibées qui avaient été mises en vente sur la page
Facebook du fils de l’appelant. L’annonce étant accessible au public, les
policiers pouvaient utiliser cette information afin de recueillir les motifs
nécessaires à l’obtention de l’autorisation judiciaire.
Quant à l’accès à certaines informations se rapportant ou contenues dans les
médias sociaux, les policiers peuvent demander une ordonnance de communication
leur permettant d’obtenir les logs de connexion sur Facebook d’un
suspect afin de déterminer le lieu à partir duquel ce dernier s’est connecté à
son compte. Ce faisant, les policiers ont pu obtenir l’adresse IP utilisée pour
les connexions et localiser l’endroit où se trouvait l’ordinateur en question.
Les policiers peuvent donc recourir à des ordonnances de communication afin d’obtenir
des informations se rapportant ou contenues dans les médias sociaux.
188. En raison de leur capacité de stockage
extrêmement élevée et des informations personnelles qu’elles peuvent contenir,
[Page 287]
les clés USB font
également l’objet d’une protection accrue en matière de vie privée. f) Les automobiles
189. L’existence d’une attente raisonnable
de vie privée à l’égard d’une automobile fut abordée par la Cour suprême dans
R. c. Belnavis. Alors
qu’il se trouvait dans son auto-patrouille, un agent de la Police provinciale
de l’Ontario (O.P.P.) a intercepté pour excès de vitesse un véhicule muni de
plaques minéralogiques de l’État de New York. Trois passagères se trouvaient à
bord de la voiture. La conductrice n’étant pas en possession de son permis de
conduire, ni de ses papiers d’assurance et d’immatriculation,
[Page 288]
l’agent Boyce lui
demanda de l’accompagner à la voiture de patrouille. Soupçonnant que l’auto
dans laquelle prenaient place les trois jeunes femmes pouvait avoir été volée,
l’agent effectua une vérification des plaques de la voiture. Le policier ayant
demandé à l’appelante à qui appartenait le véhicule, celle-ci répondit qu’il
lui avait été prêté par un ami. Après être retourné à la voiture afin de
chercher des papiers concernant sa propriété, le policier ouvrit la portière
arrière et se pencha vers l’avant pour parler à la passagère. C’est à ce moment
que l’agent remarqua la présence de trois sacs à ordures sur le siège arrière
du côté du conducteur. Des étiquettes de prix dépassaient à l’extérieur des
sacs remplis de vêtements neufs. Questionnée sur la propriété des sacs, la
passagère arrière répondit à l’agent Boyce que chacune d’elles en possédait un
sans préciser toutefois lequel lui appartenait. De retour à l’auto-patrouille,
l’agent Boyce posa les mêmes questions à Mme Belnavis qui nia la propriété des
sacs, affirmant qu’ils se trouvaient déjà dans la voiture lors de sa prise de
possession. Des chefs d’accusation de possession de biens volés ayant été
portés contre les appelantes, la Cour devait déterminer si la conductrice et la
passagère possédaient une attente raisonnable de vie privée à l’égard de la
voiture faisant l’objet de l’interception. En ce qui concerne l’appelante
Belnavis, les deux parties s’entendent pour reconnaître que la conductrice, qui
avait obtenu du propriétaire la permission d’utiliser sa voiture, pouvait s’attendre
raisonnablement au respect de sa vie privée à l’égard du véhicule. Quant à la
passagère, comme la jeune femme était à bord d’un véhicule qui appartenait à un
ami de la conductrice, qu’elle n’exerçait aucun contrôle sur l’automobile ni n’était
en mesure d’en régir l’accès, elle n’avait aucune attente quant au respect de
sa vie privée. Cette conclusion, une fois admise, ne signifie pas que la
passagère d’une automobile ne peut jamais revendiquer la présence d’une telle
attente. Encore une fois, tout dépend des circonstances. La conjointe du
propriétaire du véhicule qui prend place dans sa voiture
ou les passagers qui effectuent avec le conducteur un
[Page 289]
long voyage au cours
duquel ils partagent les dépenses peuvent s’attendre au respect de leur privée
quant au véhicule. Il en serait de même du jeune homme qui conduit la voiture
de ses parents avec la permission de ces derniers ou de l’individu qui utilise
la voiture de son ami pour reconduire ses enfants à la garderie. Sans être
propriétaire du véhicule, le conducteur peut s’attendre au respect de sa privée
relativement au contenu de la voiture.
[Page 290]
190. Une fois l’attente raisonnable de vie
privée constatée, les policiers qui souhaitent fouiller la voiture du suspect
devront obtenir son consentement libre et éclairé
ou une autorisation judiciaire préalable. Une fouille accessoire à une
arrestation peut également être effectuée lorsque les conditions précédant son
exécution sont réunies.
191. En raison de sa finalité, des normes
qui régissent son utilisation et des inspections qui peuvent y être faites, l’attente
raisonnable de vie privée à l’égard d’une automobile est inférieure à celle qui
existe à l’intérieur d’une maison, d’un garage ou sur le terrain attenant à la
résidence. Bien que l’attente en
matière de
[Page 291]
vie privée soit
moindre lorsqu’une personne se trouve dans son véhicule, celle-ci demeure
suffisante pour engager la protection constitutionnelle. Ainsi, contrairement à
l’inspection visuelle d’un véhicule stationné sur le chemin public,
le prélèvement par écouvillonnage (« swabbing ») de la voiture ne
peut être effectué sans autorisation judiciaire,
même lorsqu’elle se trouve dans un lieu
[Page 292]
public.
Enfin, mentionnons que la Cour d’appel de la Colombie-Britannique est arrivée à
la conclusion que la saisie légale d’une voiture conformément au par. 489(2) du
Code supprimait l’attente raisonnable de vie privée du conducteur à l’égard du
module de détection et de diagnostic qui se trouve dans sa voiture (aspect de
la vie privée touchant les lieux). Cet
appareil ne révélant aucun renseignement de nature personnelle ou biographique,
la Cour d’appel confirme également l’absence d’attente raisonnable de vie
privée à l’égard des données pouvant s’y trouver (aspect de la vie privée
touchant les informations).
[Page 293] g) Les objets abandonnés
192. Bien que simple à première vue, l’abandon
pose parfois des difficultés aux tribunaux. Cette question fut abordée par la
Cour suprême, dans R. c. Patrick. À
la suite d’une enquête sur l’exploitation d’un laboratoire d’ecstasy dans une
maison du sud-est de Calgary, des policiers ont saisi des sacs qui se
trouvaient dans des poubelles, sans couvercles, déposées sur un support
installé près d’une clôture se situant à la limite de la propriété de l’appelant.
Cette clôture, qui se trouvait à 17 mètres de l’arrière de sa maison, était
bornée par une ruelle accessible au public. Ayant allongé les bras afin de s’emparer
des sacs à ordures, les policiers ont trouvé plusieurs objets utilisés dans la
production d’ecstasy dont notamment « des papiers contenant des recettes
chimiques, des gants de caoutchouc, l’emballage d’une balance numérique, un
ballon de laboratoire, le reçu d’achat d’acide muriatique et un sac en
plastique transparent vide comportant des résidus à l’intérieur. On pouvait
déceler une odeur d’essence de sassafras sur certains de ces articles et on a
constaté la présence d’ecstasy sur quelques-uns d’entre eux ».
Ces objets ayant permis aux policiers de recueillir les motifs nécessaires afin
d’obtenir un mandat de perquisition, l’accusé invoque la violation de son droit
à la vie privée et l’inadmissibilité des éléments de preuve obtenus à la suite
de l’exécution du mandat. Fidèle à l’analyse développée par le juge Harlan,
dans Katz c. United States, et
reprise par le juge Lamer, dans Hunter c. Southam Inc.,
le juge Binnie procède à un examen de la croyance subjective de l’accusé en
la présence d’une attente de vie privée à l’égard du contenu des sacs à
ordures, et de
[Page 294]
son caractère
raisonnable dans les circonstances. D’après le juge
Binnie, une personne peut vouloir se départir physiquement d’un objet tout en
continuant à revendiquer une attente de vie privée quant à son contenu
informationnel. Cette attente persiste
tant et aussi longtemps que l’individu exerce un contrôle sur l’objet en
question et sur la manière dont « il en sera disposé ».
Le propriétaire qui dépose ses ordures quotidiennement dans un bac situé près
de sa maison, de sa galerie ou de son garage n’a donc pas encore renoncé à son
attente de vie privée à l’égard du contenu des sacs. Il en va autrement de l’individu
qui a placé ses ordures à
[Page 295]
l’extrémité de son
terrain de manière à les rendre accessibles aux passants et à toutes autres
personnes qui seraient intéressées à leur contenu. L’analyse est contextuelle,
rappelle la Cour. Il ne s’agit pas de mesurer le nombre de pouces qui sépare
les poubelles de la ruelle, mais bien de déterminer si les circonstances, une
fois analysées dans leur ensemble, trahissent l’intention de son auteur de
renoncer à son attente de vie privée. « En l’espèce,
l’abandon a eu lieu au moment où l’appelant a placé ses sacs d’ordures, en vue
de leur ramassage, dans le contenant ouvert situé à l’arrière de sa propriété
et adjacent à la limite du terrain. Il avait alors fait tout ce qu’il fallait
pour confier ses ordures au système municipal de ramassage. Les sacs n’étaient
pas protégés et ils se trouvaient à la portée de quiconque circulait dans la
ruelle, notamment les sans-abri, les ramasseurs de bouteilles, les fouilleurs
de poubelles, les voisins fouineurs et les galopins, sans oublier les chiens et
autres animaux, ainsi que les éboueurs et les policiers. Cette conclusion est,
d’une manière générale, conforme à la jurisprudence. »
En plaçant les ordures à l’extrémité de sa cour arrière, près de la ruelle, à
la portée des passants, l’individu a renoncé à son attente de vie privée et
manifesté son intention d’abandonner les objets ainsi exposés. Les policiers
pouvaient donc fouiller sans permission les sacs se trouvant dans les poubelles
et utiliser les objets saisis à l’appui de l’obtention du mandat de
perquisition.
193. Loin d’être limité aux ordures, l’abandon
s’applique à tous les objets qui se trouvent en la possession ou sous le
contrôle de l’accusé. C’est d’ailleurs ce qu’indique le juge Rosenberg, de la
Cour d’appel de l’Ontario, dans R. c. Nesbeth.
Alors qu’ils patrouillaient dans un immeuble reconnu pour abriter de
[Page 296]
nombreuses activités
criminelles, des policiers ont senti une odeur de marijuana fraîchement brûlée,
puis rencontré un individu qui venait d’ouvrir la porte donnant accès au palier
de l’escalier. Surpris par la présence des policiers, le suspect serra les
sangles de son sac à dos, prit la fuite, puis laissa tomber son sac qui fut
récupéré par un policier. La fouille du sac à dos ayant permis la découverte de
680 grammes de cocaïne, de deux balances digitales et de trois téléphones
cellulaires, l’individu fut accusé de possession de cocaïne dans le but d’en
faire le trafic, de possession de produits de la criminalité et d’avoir omis de
se conformer à une condition d’un engagement. Acquitté en première instance, la
Cour d’appel renversa la décision et conclut à l’absence d’attente raisonnable
de vie privée à l’égard du sac à dos. En effet, « far
from having possession or control of the knapsack, the respondent attempted to
divest himself of possession and control. He gave up the ability to regulate
access to the property when he threw it away. Finally, he offered no evidence
of any subjective expectation of privacy; to the contrary, the trial judge
accepted that the respondent intentionally threw the knapsack away, which
suggests that he was no longer interested in exercising any privacy interest in
the knapsack ». Au même effet, citons l’exemple de
la personne qui avait lancé par la fenêtre un bas contenant un revolver qui fut
retrouvé sur le terrain du voisin, et celui du jeune
homme qui affirma ne pas savoir à qui appartenait le sac qui avait été retrouvé
par un policier à l’endroit où le suspect fut aperçu pour la première fois.
Comme l’accusé a nié la possession du sac, il ne pouvait subjectivement croire
en la présence d’une attente de vie privée à l’égard de son contenu.
En sens contraire, ne constitue pas un abandon le
[Page 297]
simple fait pour un
étudiant de laisser son sac à dos dans le gymnase d’une école après avoir été
sommé de demeurer dans sa classe en raison d’une fouille à l’aide d’un chien
renifleur. L’animal ayant signalé au maître-chien la présence de drogue dans un
sac aligné, avec d’autres, près du mur, sa fouille a permis de retrouver de la
drogue et du matériel permettant sa consommation. Discutant de l’attente
raisonnable de vie privée de l’accusé à l’égard du contenu de son sac, le juge
Bastarache écrit :
« [L]’attente raisonnable de A.M. quant
au respect de sa vie privée concernant le contenu de son sac à dos n’a pas
disparu parce que A.M. ne portait pas son sac au moment où la fouille a été
effectuée. Il n’est pas nécessaire qu’une personne ait la possession physique d’un
objet pour qu’il soit possible de conclure à l’existence d’une attente
raisonnable en matière de vie privée (R. c. Buhay, [2003] 1
R.C.S. 631, 2003 CSC 30, et R. c. Law, [2002] 1 R.C.S. 227, 2002
CSC 10); et rien n’indique en l’espèce que A.M. avait abandonné son sac à dos.
Au contraire, il ressort de la preuve que les responsables de l’école ont
vraisemblablement obligé A.M. et ses camarades de classe à laisser leurs
sacs sans surveillance dans le gymnase au moment où la fouille a commencé
[...]. De plus, je considère que l’élève d’une école secondaire qui, comme ses
camarades de classe, laisse son sac sans surveillance continue d’avoir une
attente raisonnable en matière de vie privée à l’égard du contenu de son sac.
Par conséquent, l’existence d’une attente à la fois objective et subjective en
matière de vie privée a été établie. »
194. En ce qui concerne les biens perdus ou
volés, l’individu conserve une attente raisonnable de vie privée relativement
au contenu des objets retrouvés.
[Page 298] h) Les douanes
195. L’arrêt de principe en matière de
fouilles exécutées à la douane est R. c. Simmons.
Alors qu’elle revenait d’un voyage en Jamaïque, l’appelante s’est présentée
à l’inspection primaire des douanes où un agent lui a posé quelques questions.
L’appelante étant particulièrement nerveuse et agitée, l’agent des douanes lui
a remis une carte portant le numéro 86. Le chiffre 8 indique que le voyageur
doit être soumis à une inspection secondaire, tandis que le chiffre 6 atteste
des doutes qu’entretient le douanier à l’égard de la déclaration faite par le
passager au sujet des effets rapportés au pays. La préposée à l’inspection
secondaire ayant demandé à l’appelante de s’identifier, celle-ci a montré son
baptistaire, puis déclaré que ses autres papiers d’identité avaient été volés à
Montréal. Soupçonnant l’accusée en raison des doutes exprimés par le préposé à
l’inspection primaire, des difficultés à s’identifier correctement et du fait
que l’appelante, qui était selon toute vraisemblance très mince, semblait « un
peu forte et bombée dans la partie supérieure de l’abdomen »,
la préposée à l’inspection secondaire a obtenu du surintendant des douanes l’autorisation
de la fouiller.
[Page 299]
Après avoir informé
l’accusée qu’elle serait fouillée conformément aux pouvoirs que lui conférait
la Loi sur les douanes, l’agente a conduit l’appelante dans la salle des
fouilles qui se situait à l’écart de l’aire d’inspection secondaire. Une fois
dans la salle, la préposée a demandé à l’accusée si elle dissimulait quelque
chose sur elle, ce à quoi elle répondit que non. Après avoir indiqué la
présence d’une affiche sur le mur qui décrivait les pouvoirs découlant des
articles 143 et 144 [auj. 98] de la Loi sur les douanes, la préposée
ordonna à l’appelante de se dévêtir. L’accusée ayant retiré sa veste, sa robe
et sa blouse, l’agente constata quelque chose d’inusité sous la gaine de l’appelante.
La préposée lui ayant demandé d’enlever sa gaine, les douaniers découvrirent
1,98 kilogrammes de résine de cannabis dissimulés derrière des bandes adhésives
qu’elle portait à la hauteur de son estomac. D’après l’ancien juge en chef
Dickson, l’appelante était détenue lorsque l’agente l’a avisée qu’elle allait
subir une fouille à nu conformément à l’article 143 de la Loi sur les
douanes. Sa liberté d’aller et venir, de coopérer ou non avec les
autorités, étant contrainte par une sommation qui comportait des conséquences
sérieuses au point de vue juridique, l’appelante avait droit d’avoir recours,
sans délai, à l’assistance d’un avocat. Quant à la
légalité des fouilles exécutées à la frontière, celles-ci peuvent être classées
en trois catégories :
« Premièrement, il y a l’interrogatoire
de routine auquel est soumis chaque voyageur à un port d’entrée, lequel est
suivi dans certains
[Page 300]
cas d’une fouille des bagages et peut-être
même d’une fouille par palpation des vêtements extérieurs. Il n’y a rien d’infamant
à être l’un des milliers de voyageurs qui font, chaque jour, l’objet de ce type
de contrôle de routine à leur entrée au Canada et aucune question
constitutionnelle n’est soulevée à cet égard. Il serait absurde de laisser
entendre qu’une personne qui se trouve dans une telle situation est détenue au
sens constitutionnel du terme et a le droit, en conséquence, d’être informée de
son droit à l’assistance d’un avocat. Le second type de fouille effectuée à la
frontière est la fouille à nu comme celle à laquelle a été soumise l’appelante
en l’espèce. Cette fouille est effectuée dans une pièce fermée, après un examen
secondaire et avec la permission d’un agent des douanes occupant un poste d’autorité.
Le troisième type de fouille, celui qui comporte l’empiétement le plus poussé,
est parfois appelé examen des cavités corporelles; pour ce genre de fouille,
les agents des douanes ont recours à des médecins, à des rayons X, à des
émétiques, ainsi qu’à d’autres moyens comportant un empiétement des plus
poussés. »
196. Compte tenu des impératifs de sécurité,
de fiscalité et de contrôle des marchandises, les voyageurs qui cherchent à
traverser les frontières s’attendent à faire l’objet d’un processus d’examen.
Cet examen comporte l’interrogatoire de routine,
la production du passeport et des documents de voyage, la déclaration
[Page 301]
des effets apportés
et le passage dans le portique de détection des métaux standards (lorsque le
voyageur s’apprête à prendre l’avion). Une fouille par palpation des vêtements
extérieurs (fouille manuelle ou sommaire) s’impose parfois « lorsqu’un
voyageur déclenche l’alarme de l’équipement de contrôle » ou fait l’objet
d’un contrôle supplémentaire. L’agent peut également
demander au voyageur de vider le contenu de ses poches.
« Le scanner corporel permet de détecter des objets tels que les armes de
céramique, les liquides, les explosifs plastiques ou d’autres objets dissimulés
qui échappent au portique de détection des métaux standards. »
Cet appareil, d’une précision remarquable, utilise un logiciel qui permet d’obtenir
une image schématique du corps qui limite les inquiétudes quant au respect de
la vie privée. Une fouille sans mandat des bagages, sacs à dos, sacs à main
ou autres sacs peut être
[Page 302]
effectuée, au hasard
ou non, sans motifs ni raisons préalables (grounds to search).
Une fouille des autres appareils en possession du voyageur peut également être
faite au point de contrôle. Comme les ordinateurs portatifs et téléphones
cellulaires soulèvent des préoccupations particulières en matière de protection
de la vie privée, la politique de l’Agence des services frontaliers du Canada
(ASFC) prévoit que les examens des appareils « ne doivent être menés que s’il
y a des motifs ou des indications que les appareils ou les supports numériques
pourraient contenir des preuves de contraventions ».
De façon générale, l’examen se limite au
[Page 303]
contenu de l’appareil.
L’agent peut donc consulter les photos, messages textes et autres fichiers ou
documents se trouvant dans l’appareil. Toujours selon la politique, « [i]l
est conseillé aux agents de désactiver la connectivité Internet et sans fil,
limitant l’accès à toute donnée stockée à l’extérieur de l’appareil, par
exemple, dans des médias sociaux ou le nuage ». En
cas de refus, « les agents de contrôle pourront conserver l’appareil pour
une inspection plus poussée ». La personne qui
refuse de fournir son mot de passe peut être reconnue coupable d’entrave au
travail des douaniers, une infraction passible d’une amende de 25 000 $
et d’un an de
[Page 304]
prison.
En ce qui concerne les fouilles personnelles ou plus envahissantes du voyageur,
celles-ci nécessitent, aux termes de l’article 98 de la Loi sur les douanes,
la présence de motifs raisonnables de soupçonner qu’un voyageur dissimule
sur lui ou près de lui un bien infractionnel ou des marchandises prohibées.
La personne faisant l’objet de la fouille peut être conduite devant l’agent
principal du lieu de la fouille pour en faire vérifier la légalité. Ainsi, tout
dépendant s’il existe ou non des motifs suffisants pour procéder à la fouille,
l’agent principal peut faire fouiller ou relâcher la personne faisant l’objet
de la demande. C’est la fouille de la personne qui nécessite la présence de
soupçons raisonnables et non son renvoi au point d’inspection secondaire,
lequel peut être effectué au hasard ou sur la base de simples soupçons
découlant, par exemple, de la nervosité, de l’hésitation ou de la mention d’un
voyageur sur une base de données. Il en va également de
la fouille des voitures effectuée en vertu de l’article 99 de la Loi sur les
douanes. Si
la décision de diriger le véhicule à un point
[Page 305]
secondaire d’inspection
n’exige aucun motif particulier dans les cas de voyageurs étrangers, celle
prise à l’égard des conducteurs canadiens peut se faire sur la base d’un avertissement
de type « Lookout » apparaissant à la lecture de la plaque.
197. Bien que les fouilles sans mandat de
personnes, fondées sur la présence de motifs raisonnables de soupçonner, ne
contreviennent pas à l’article 8 de la Charte, la fouille doit être effectuée
de manière raisonnable. Comme l’appelante, dans R. c. Simmons, ignorait
son droit de faire réviser la décision de procéder à sa fouille, qu’elle n’a
pas été informée de son droit à l’assistance d’un avocat et qu’elle n’a pu
bénéficier des conseils d’un procureur, la fouille pratiquée par les douaniers
fut jugée abusive au sens de l’article 8 de la Charte. Cette conclusion s’applique
également à la plupart des fouilles des cavités corporelles comportant l’application
intentionnelle de la force. Ainsi, à moins qu’il soit « urgent, ou même
nécessaire dans l’immédiat, de procéder à la fouille rectale pour éviter la
perte ou la destruction de la preuve », l’exécution
d’une telle fouille doit être écartée au profit de procédures moins intrusives.
En l’absence de circonstances justifiant le recours à des techniques plus
agressives telles que l’administration d’émétiques, « il s’avère plus
raisonnable de détenir l’appelant dans le but de récupérer la drogue en
attendant que la nature fasse son (œ)uvre ». D’après
le juge Iacobucci, dans R. c. Monney, la détention du voyageur
dans une salle d’évacuation des drogues pour y récupérer des stupéfiants dans
ses excréments à la suite d’une « veille aux haricots » passive
relève de la seconde catégorie
[Page 306]
de fouille.
Certes, la situation peut être embarrassante, mais le détenu n’est pas soumis à
l’application intentionnelle de la force. i) Les vêtements, sacs à dos, sacs
de sport et autres sacs
198. Les poches situées sur les vêtements
d’une personne sont souvent utilisées pour dissimuler des armes, de la drogue,
des objets de contrebande ou d’autres éléments de preuve se rapportant à la
perpétration d’actes criminels. Il n’est donc pas étonnant de constater
qu’elles figurent parmi les objets, espaces ou contenants les plus fréquemment
fouillés par les policiers. Mise de l’avant afin d’assurer leur propre sécurité
ou celle du public, d’empêcher la destruction d’éléments de preuve ou d’en
découvrir de nouveaux, la fouille accessoire à une arrestation permet aux
policiers de fouiller les poches de la personne arrêtée ou de lui demander de
vider ses poches, lorsque les circonstances le justifient. Qu’il s’agisse d’un
manteau, d’un pantalon, d’une chemise ou d’un gilet
[Page 307]
kangourou, la
fouille doit être permise par la loi ou la common law. Quant à la fouille par
palpation du suspect effectuée dans le cadre d’une détention à des fins
d’enquête, celle-ci se limite à la fouille extérieure des vêtements. Ainsi, à
moins de détecter la présence d’un objet dur, les policiers ne peuvent glisser
leur main dans la poche du suspect afin d’y découvrir de la drogue ou d’autres
objets liés à la commission d’une infraction criminelle. Les sacs d’école, les
sacs de sport, les sacs à dos, les sacs à main, les
sacs en bandoulière et autres sacs conçus pour transporter des effets
personnels sont également l’objet de fouilles fréquentes par les policiers.
Accessoire à l’arrestation du suspect, la fouille de la personne sous arrêt
doit se limiter au sac qui se trouve en sa possession ou dans son environnement
immédiat. Quant au sac situé dans un casier ou dans un endroit public, à moins
de consentement valide, d’autorisation judiciaire ou d’une autre technique
d’enquête reconnue par les tribunaux, les policiers ne peuvent avoir accès à
son contenu. La personne n’a donc pas à transporter son sac à dos au moment de
la fouille pour bénéficier de la protection de l’article 8. j) Les écoles et autres
institutions d’enseignement
199. Les fouilles, saisies ou perquisitions
effectuées en milieu scolaire peuvent être envisagées selon qu’elles sont
exécutées par un policier, ou un représentant de l’autorité scolaire. Dans le
premier cas, les fouilles sont soumises aux mêmes règles et aux mêmes exigences
qu’à l’extérieur de l’établissement scolaire. Bien
[Page 308]
que l’attente
raisonnable de vie privée à l’école soit réduite, elle demeure suffisante pour
engager la protection constitutionnelle. En l’absence de consentement valide ou
d’autorisation judiciaire préalable, les policiers ne peuvent donc fouiller un
élève qui n’est pas détenu ou en état d’arrestation. Il en va également de la
fouille de son sac d’école ou de son casier.
L’utilisation de chiens renifleurs n’est pas assujettie à l’obtention préalable
d’une autorisation judiciaire. Son recours est permis lorsque « les
policiers ont des soupçons raisonnables, fondés sur des faits objectivement
discernables, que des éléments de preuve établissant la perpétration d’une
infraction seront découverts ». Quant à la
fouille d’un élève et de ses effets personnels par un enseignant ou un
directeur d’école, celle-ci n’exige pas l’obtention préalable d’un mandat, à
moins qu’ils agissent en tant que mandataires de la police.
En
[Page 309]
effet, « [l]’enseignant
ou le directeur qui a des motifs raisonnables de croire qu’une règle de l’école
a été violée et que la preuve de cette violation peut être découverte sur
l’élève même peut procéder légitimement à la fouille de ce dernier ».
Ces motifs peuvent provenir d’un élève jugé crédible, de renseignements
rapportés par plusieurs élèves, des observations faites par un employé, un
enseignant ou un directeur, ou de la combinaison de ces différents éléments.
Parmi les facteurs invoqués à l’appui de tels motifs, mentionnons la présence
d’une forte odeur de marijuana se dégageant d’un casier;
de deux jeunes garçons en train de manipuler des pilules dont la forme étrange
s’apparentait à des drogues que le surveillant avait déjà saisies;
d’une jeune fille qui a déposé un objet dans la poche de son manteau qui se
trouvait dans son casier
[Page 310]
après être sortie
cinq minutes après le début des classes pour rencontrer un inconnu à
l’extérieur avec de l’argent, et enfin de deux
jeunes hommes qui se sont absentés sur l’heure du dîner pour revenir avec les
yeux rougis et une forte odeur de marijuana. La présence
de simples soupçons n’est pas suffisante en semblable matière. Le surveillant
qui demande à un élève, qui a une réputation de « consommateur de drogues »,
de vider ses poches parce qu’il se trouvait à la cafétéria après la pause du
dîner avec un individu qui ne fréquentait pas l’école et qu’il avait tenté de
fuir après avoir été aperçu, procède à une fouille abusive au sens de l’article
8 de la Charte. Il en va également du
surveillant qui examine le contenu d’une boîte de métal qui vient de tomber de
la poche du manteau d’un jeune homme reconnu comme un « consommateur de
stupéfiants ». Encore une
fois, la fouille doit être fondée sur des « motifs raisonnables de croire »
et non sur des préjugés, de simples rumeurs ou des racontars.
« L’existence d’une menace immédiate à la sécurité des élèves justifie le
recours à des fouilles rapides, complètes et approfondies. »
En effet, la présence de motifs raisonnables de croire qu’un étudiant a apporté
une arme à l’école permet à la directrice « de fouiller son casier, son
sac à dos, son pupitre et ses poches », car le risque de danger pour la
sécurité
[Page 311]
des autres élèves
est très élevé. En raison de leur
nature « fondamentalement humiliante et avilissante »,
les fouilles à nu doivent être évitées, comme étant abusives. Une fouille par
palpation suffit pour détecter la présence d’une arme à feu ou d’un couteau sur
la personne faisant l’objet de la fouille. L’enseignant qui a des motifs raisonnables
de croire qu’un étudiant transporte de la drogue peut demander à l’élève de
vider ses poches ou le faire lui-même s’il considère cette procédure nécessaire.
La fouille, rappelons-le, doit être proportionnelle à la gravité du manquement
reproché et la moins envahissante possible. Il est donc
préférable que la fouille soit effectuée par une personne du même sexe
lorsqu’elle implique une fouille corporelle de l’étudiant. Bien qu’elle
n’exclue pas la présence d’un policier, le directeur qui fouille un étudiant ne
doit pas agir en tant que mandataire de l’État. Sur ce point, « il faut se
demander si la fouille de l’appelant aurait eu lieu, sous la même forme et de
la même manière, n’eût été la participation de la police ».
Si la réponse est oui, le directeur peut procéder à la fouille de l’étudiant.
Dans le cas contraire, la fouille exigera l’obtention préalable d’une
autorisation judiciaire. Bien que l’attente raisonnable de vie privée soit
moins grande à l’égard d’un casier
[Page 312]
que de la personne,
les autorités scolaires doivent éviter d’ouvrir les casiers des élèves sans
l’obtention préalable des motifs raisonnables de croire.
Il en va également des sacs à dos, sacs à mains et autres sacs. En effet,
l’attente raisonnable de vie privée à l’égard des casiers ne disparaît pas
parce qu’ils sont la propriété des écoles. Même lorsque les autorités scolaires
informent les élèves et les parents que les casiers peuvent être ouverts en
tout temps, les élèves conservent une attente suffisante en matière de vie
privée à l’égard du contenu de leur casier. Comme l’indique le juge Binnie,
dans R. c. A.M., « les personnes
en cause voulaient préserver le caractère privé de leurs effets personnels dans
toute la mesure que le permettaient les circonstances et leurs activités ».
D’où l’attente raisonnable de vie privée à l’égard du contenu du casier.
Troisième
section : La surveillance policière ne constituant pas une fouille au sens
de l’article 8 de la Charte
200. La surveillance visuelle d’un suspect,
à l’aide ou non d’un appareil permettant d’améliorer la vue, est permise
lorsque l’individu se trouve dans un lieu public (rue, trottoir, parc, etc.),
[Page 313]
ouvert au public
(commerce, station de métro, gare, etc.) ou visible du
public (automobile). Les policiers ne
peuvent surveiller, sans mandat, les activités qui se déroulent à l’intérieur
d’une maison, logement, chambre d’hôtel ou autres lieux comportant une
[Page 314]
attente suffisante
de vie privée. La surveillance physique peut s’effectuer à partir d’un lieu
public ou privé auquel ils ont accès légitimement ou sur invitation. La
surveillance continue, intensive et prolongée est permise à l’égard des
voitures. En effet, « [t]ous conviennent que c’est tout à fait à bon droit
que la police ait surveillé l’appelant et son automobile sans arrêt, jour et
nuit. On convient également que cette surveillance pouvait être améliorée à
l’aide de jumelles ». Quant à
l’utilisation d’une caméra, celle-ci ne pose pas de difficultés lorsqu’elle est
pointée sur l’extérieur d’un immeuble commercial ouvert au public.
Comme l’appareil est dirigé sur la porte d’entrée, qu’il enregistre les allées
et venues des employés et des visiteurs sans cibler une personne en
particulier, aucun mandat ou autorisation préalable n’est nécessaire dans les
circonstances. D’après le juge Chevalier, de la Cour d’appel du Québec, dans
R. c. Elzein, « la prise des scènes par appareil
magnétoscopique et de photos par caméra a été faite à l’extérieur des endroits
où certaines activités impliquant l’appelant se déroulaient, lesquels lieux
étaient de surplus des endroits commerciaux, donc à tout venant. La personne
qui entre ou qui sort d’un établissement ne peut s’attendre raisonnablement à
ce que son geste bénéficie de la protection découlant du principe du respect de
la vie privée et je ne puis concevoir que le fait qu’un quidam, fut-il
policier, le photographie en train de se livrer à cette activité viole le droit
qu’il a de jouir de l’intimité des lieux ». La
surveillance électronique, à l’aide de caméras magnétoscopiques, de l’entrée
d’une maison nous semble beaucoup plus problématique. Même si l’on s’expose à
la vue des voisins et des passants, l’on ne peut s’attendre à être l’objet
d’une surveillance électronique intensive, continue et prolongée de la part de
l’État. Il en va également de la prise de photos
[Page 315]
ou d’une vidéo d’une
personne ciblée. S’interrogeant sur la
légalité d’une vidéo montrant des scènes captées lors d’un barrage policier et
d’activités se déroulant sur le terrain du local des Hells Angels à Québec, le
juge Brunton écrit : « Si un citoyen ou résident ne peut se plaindre
que les autorités le surveillent alors qu’il est à la vue du public, la
situation n’est pas la même lorsqu’il est sciemment ciblé et qu’il est l’objet
de photos ou de vidéos que l’État peut conserver pour toujours. »
La prise de photos et d’une vidéo de personnes ciblées dans le but de
recueillir des renseignements généraux contrevient donc à l’article 8 de la
Charte. Cela n’inclut pas les
images captées par l’entremise de caméras de surveillance ou de sécurité que
l’on retrouve fréquemment dans les lieux publics ainsi que les images prises
par des caméras installées dans une auto-patrouille. Si la personne est
soupçonnée d’activités criminelles au moment de la captation des images, la
prise de photos ou d’une vidéo constitue une saisie abusive qui nécessite
l’obtention préalable d’un mandat général au sens de l’article 487.01 du Code.
201. La surveillance visuelle, à partir du
terrain d’un voisin, des activités qui se déroulent dans la cour arrière d’un
suspect fut abordée par le juge Cournoyer dans la décision Daoust c. R..
À la suite d’un appel du voisin de l’accusé les informant que ce
[Page 316]
dernier éprouvait de
la difficulté à accoster son bateau en raison probablement de son état
d’ébriété, des policiers ce sont rendus sur les lieux afin de s’enquérir de la
situation. Après avoir été accueillis par le plaignant, les policiers furent
invités à se rendre à l’arrière de sa propriété d’où ils ont pu observer
l’accusé tenter à plusieurs reprises d’accoster son bateau au quai situé à
l’extrémité de sa résidence. Au cours de la surveillance, les policiers remarquèrent
la démarche chancelante de l’accusé et ses nombreuses pertes d’équilibre.
Soupçonnant la présence d’alcool dans l’organisme de l’accusé, les policiers se
rendirent chez ce dernier afin de procéder à son interpellation. Des symptômes
habituels d’intoxication ayant été observés chez le suspect (yeux rougis et
semi-fermés, forte odeur d’alcool provenant de son haleine), les policiers
procédèrent à son arrestation pour conduite avec les facultés affaiblies. La
défense s’étant opposée à l’admission de la preuve, le tribunal devait
déterminer si les policiers avaient porté atteinte à l’attente raisonnable de
vie privée de l’appelant en observant sa conduite à partir du terrain de son
voisin à la suite de l’invitation de ce dernier. Fidèle à l’analyse contextuelle
énoncée dans l’arrêt Edwards, puis reprise et développée dans Tessling,
le juge Cournoyer conclut en l’absence de violation de l’article 8. En
effet, l’observation visuelle en l’espèce « n’est pas très envahissante ».
Aucun dispositif technologique ou appareil pour améliorer la vue ou enregistrer
électroniquement le suspect ne fut utilisé lors de la surveillance. Bien que
l’observation visuelle de la cour arrière d’une maison puisse révéler des
détails intimes sur le mode de vie d’une personne, « les citoyens n’ont
pas la même attente de vie privée à l’égard du terrain situé à l’arrière de
leur domicile, et qui est à la vue de leurs voisins, qu’à l’intérieur de leur
domicile ». Malgré les
clôtures et autres objets limitant ou obstruant la vue, les personnes qui
habitent en ville ne peuvent s’attendre à se dérober complètement de la vue des
passants ou des voisins. En effet, les terrains et différents lots sont faits
de manière à partager un espace visuel qui permet aux voisins de voir, de
l’arrière de leur maison, de leur balcon ou de leur fenêtre, ce qui se passe
dans la cour ou sur le terrain d’une résidence. « La
[Page 317]
surveillance de
l’appelant à partir du terrain de son voisin n’était donc pas déraisonnable
dans les circonstances pour les policiers appelés sur les lieux par le voisin
de l’appelant et invités par celui-ci à procéder à la surveillance visuelle de
ce point de vue. » Cette
conclusion s’applique également à la surveillance effectuée par des policiers
se trouvant dans le champ d’un agriculteur, situé à plus d’une centaine de
mètres de la résidence de l’accusé. Les policiers ayant entendu des coups de
feu à deux reprises, ces derniers ont aperçu l’accusé avec un fusil et une
femme qui avait tiré à l’aide d’une arme à feu à l’arrière de la résidence. Ces
constatations ayant mené à la délivrance d’un mandat de perquisition, les
policiers découvrirent, en plus des armes recherchées, une quantité importante
de champignons magiques et de cannabis. Appliquant les principes retenus dans
l’arrêt Tessling, la Cour d’appel de l’Ontario conclut à l’absence
d’attente raisonnable de vie privée. Bien que l’appelant pouvait croire qu’il
ne serait pas observé, personne n’était soumis à l’obligation de ne pas
l’observer, à plus de 140 mètres de distance, tirer un coup de feu à partir du
porche de sa résidence.
202. Les policiers peuvent surveiller les
activités d’une personne dans sa cour arrière si ces activités se déroulent à
la vue du public. On n’a qu’à penser au policier qui stationne sa voiture derrière
une ruelle afin de surveiller les allées et venues de ses occupants. Il en va
de même lorsque la cour arrière n’est pas clôturée ou lorsqu’elle l’est par une
clôture qui permet aux policiers de voir à travers à partir de leur voiture ou
d’un autre endroit situé à proximité. En ce qui concerne la maison entourée
d’une clôture opaque ou d’une haie de cèdre, les policiers peuvent, à la suite
de
[Page 318]
l’invitation d’un
voisin, monter au deuxième étage de la résidence de ce dernier afin d’observer
la personne dans sa cour arrière. L’utilisation de jumelles de rapprochement
n’est pas interdite si le policier ne tente pas d’avoir accès aux activités se
déroulant dans la maison. Encore une fois, l’analyse est contextuelle et
s’oppose à l’adoption d’une règle destinée à s’appliquer à tous les cas. Une
surveillance continue de longue durée peut donc poser des problèmes dans la
mesure où elle accroît le risque d’avoir accès à des activités plus intimes. En
ce qui concerne l’installation d’une caméra dans la cour arrière du voisin,
celle-ci n’est pas permise sans l’obtention préalable d’une autorisation
judiciaire. Contrairement aux
observations visuelles de courte et même de longue durée, la surveillance
continue et prolongée de la cour arrière d’une personne à l’aide d’une caméra
vidéo révèle des « détails intimes sur le mode de vie de l’accusé ou des
renseignements d’ordre biographique le concernant »
qui dépassent largement les observations spécifiques et ponctuelles pouvant
être effectuées à la suite d’informations reçues d’un voisin.
203. La légalité de la surveillance vidéo de
l’extérieur d’un commerce fut examinée par la Cour d’appel du Québec, dans Gignac
c. R..
Dans le cadre d’une enquête concernant des infractions à la Loi de 2001 sur
l’Accise et à la Loi sur la taxe d’accise, un policier de la GRC,
assisté d’un employé d’Hydro-Québec, ont procédé à l’installation de trois
caméras devant la manufacture de tabac des appelants afin de surveiller les
activités se déroulant aux portes d’expédition de la manufacture. Les trois
caméras étaient fixées à des poteaux de téléphone situés en bordure de la Route
157. Les images étaient transmises 24 heures sur 24, 7 jours sur 7.
[Page 319]
Deux caméras
permettaient de voir ce qu’une personne placée au même endroit aurait pu
observer à l’œil nu. La troisième permettait d’obtenir des images équivalentes
à celles pouvant être captées à l’aide d’une jumelle de rapprochement. Les
policiers ont eu recours à l’installation de caméras vidéo, car l’endroit ne
permettait pas d’effectuer une surveillance visuelle de longue durée sans
risquer de se faire repérer. Les images ayant révélé des sorties de produits de
tabac supérieures à la quantité déclarée, un mandat de perquisition fut obtenu
sur la base de ces informations. Les appelants ayant été déclarés coupables de
172 infractions, la Cour d’appel devait déterminer si la preuve obtenue à la
suite de la surveillance vidéo était compatible avec l’article 8 de la Charte.
D’après le juge Rochette, qui rédigea le jugement au nom de la Cour, la
surveillance vidéo ne contrevenait pas à l’article 8. Bien qu’il s’agisse d’une
propriété privée, la manufacture de tabac est un endroit commercial accessible
au public. Le commerce du tabac est une activité fortement réglementée soumise
à des obligations de divulgation des ventes. Beaucoup plus envahissante qu’une
surveillance visuelle, l’installation de caméras vidéo permettait de capter des
images en continu ce qui, manifestement, aurait été impossible pour un policier
stationné dans sa voiture à proximité. Malgré sa nature envahissante, la
surveillance vidéo se concentrait sur les portes de livraison de la
manufacture. Le chargement des livraisons se faisant à la vue du public, les
images captées ne permettaient pas de révéler des renseignements personnels sur
les appelants, mais d’obtenir des informations sur la quantité de tabac
transigée. Comme la surveillance par caméras était nécessaire compte tenu de la
nature des infractions reprochées et de la complexité de la preuve à charge, les
appelants n’avaient pas d’attente raisonnable de vie privée relativement aux
ventes et livraisons de tabac. Quant à la surveillance aérienne à l’aide d’un
avion ou d’un hélicoptère, il est préférable de ne pas survoler le terrain du
suspect. Des
[Page 320]
observations faites
autour de la résidence de l’accusé, à une altitude réglementaire à l’aide ou
non de jumelles ou d’un appareil photographique muni d’une lentille
grandissante, sont permises lorsque la surveillance aérienne a pour objet le
terrain du suspect et non sa maison. Discutant de l’attente raisonnable de vie
privée à l’égard d’une serre située à l’extrémité du terrain de l’accusé, le
juge Kirkpatrick, de la Cour d’appel de la Colombie-Britannique, écrit dans
R. c. Kwiatkowski :
« The greenhouses were visible from the
air and anyone in an airplane, helicopter, or other aerial device would have
been able to see what the police observed and photographed. Anyone using
binoculars would have seen what the police saw and the zoom lens employed by the
police is readily available at retail stores. It is not advanced or unique
technology and did not permit the police to determine what activities were
taking place inside the greenhouses that were not otherwise observable given
the translucent walls of the structures. Additionally, the police were able to
see
[Page 321]
a marihuana plant through a greenhouse door
left open. Obviously, the plant was thus in public view. »
204. Bien que le policier disposait d’un
dispositif technologique servant à améliorer la surveillance visuelle, la
lentille utilisée ne permettait pas de voir à travers les murs de la serre, ni
à l’intérieur de la maison du suspect. Comme l’hélicoptère a survolé autour du
terrain de l’appelant, que la serre était située loin de sa maison et que la
surveillance s’était limitée à l’extrémité du terrain où se trouvait la serre,
la surveillance aérienne ne violait pas l’attente raisonnable de vie privée de
l’appelant. Les policiers n’avaient donc pas besoin de mandat en l’espèce pour
effectuer leurs observations.
Quatrième
section : Les fouilles et les saisies sans mandat permises par la common
law
205. D’après la Cour suprême, dans R. c.
Nolet, « [u]ne fouille sans mandat est présumée abusive et
contraire à l’art. 8 de la Charte ». Pour écarter
cette présomption, le ministère public doit démontrer, selon la prépondérance
des probabilités, (1) que la fouille ou perquisition était autorisée par la loi
ou la common law, (2) que la loi ou le
principe reconnu par la common law
[Page 322]
n’avait rien
d’abusif et (3) que la fouille ou perquisition a été effectuée d’une manière
raisonnable. Cette section est
consacrée aux fouilles et saisies sans mandat autorisées par la common law. À
l’analyse de la doctrine des objets « bien en vue » (plain view) et
de son dérivé, la fouille olfactive (plain smell), succédera un examen
de la fouille effectuée à l’aide de chiens renifleurs, des fouilles accessoires
à une arrestation ou à une détention à des fins d’enquête et des fouilles de
sécurité. Comme elle permet
parfois la saisie d’éléments de preuve contre l’accusé, la fouille à des fins
d’inventaire fait l’objet d’une rubrique particulière visant à délimiter son
contenu. Première sous-section : Les
objets « bien en vue » ou plain view
206. Développée par les tribunaux, la
doctrine des objets « bien en vue » ou plain view permet au
policier qui se trouve légalement sur place, de saisir, sans mandat, tous les
éléments de preuve immédiatement apparents aux yeux de l’agent et découverts
par inadvertance. Bien qu’elle s’exprime
parfois différemment,
[Page 323]
la doctrine des
objets « bien en vue » est assujettie aux quatre conditions suivantes :
1) Le policier qui effectue la saisie doit
se trouver légalement sur place. Il doit agir dans l’exercice d’un pouvoir
reconnu par la loi ou la common law au moment de la découverte de la preuve en
question;
2) La preuve doit être découverte par
inadvertance;
3) La preuve doit être découverte grâce à « l’usage
ordinaire » de ses sens;
4) La nature criminelle de la preuve doit
être immédiatement apparente aux yeux de l’officier.
[Page 324]
207. La première condition est impérative.
L’intervention à l’origine des observations du policier doit être légale.
À l’image d’une chaîne dont les actions policières constituent les maillons,
chaque intervention doit être scrutée à la loupe. Une intervention non fondée
brisera la « chaîne de légalité » et contaminera la validité de la
preuve ainsi recueillie. On n’a qu’à penser au
policier qui remarque la présence de cannabis dans un gobelet situé près de la
console du conducteur à la suite d’une détention illégale. L’intervention
initiale n’étant pas permise par la loi ou la common law, la preuve qui en
découle ne peut donc s’appuyer sur la doctrine
[Page 325]
des objets « bien
en vue ». Sur ce point, nous sommes d’accord avec
James A. Fontana, pour dire que la doctrine des objets « bien en vue »
s’applique « when evidence falls into the view of an officer who has a
right to be in the position he is in to have the view he has had; such items
have been held to be subject to seizure ».
208. S’appuyant sur la légalité de
l’intervention initiale, la doctrine des objets « bien en vue »
s’applique à tous les types d’actions policières, qu’il s’agisse d’une interpellation
avec ou sans détention, de l’interception d’un véhicule, d’un appel d’urgence,
d’une détention à des fins d’enquête, d’une arrestation ou d’une perquisition.
En effet, l’officier qui se trouve légalement sur place en vertu d’une
autorisation de la Cour peut, dans le cadre de l’exécution du mandat, saisir
les biens qui sont mentionnés ainsi que tous les objets se rapportant à une
autre infraction criminelle. L’exemple du policier qui obtient un mandat
l’autorisant à pénétrer dans la maison d’une personne soupçonnée de fraude et
qui trouve un sac de plastique transparent contenant de la cocaïne sur la table
du salon illustre bien cette situation. La drogue étant apparente aux yeux de
l’agent et découverte par inadvertance, le policier peut saisir la drogue
conformément à la doctrine des objets « bien en vue ».
Il en va également lorsque le policier fouille un contenant (p. ex. : le
tiroir d’une commode) dans le but de trouver un objet spécifiquement décrit
dans le mandat (p. ex. : un chargeur). Si, ce faisant, il découvre de la
cocaïne, il peut saisir la drogue sans crainte de voir la preuve écartée. Comme
l’indique la Cour suprême, dans R. c. Vu, « l’autorisation
de perquisitionner dans un lieu emporte celle de fouiller les espaces et
contenants se trouvant dans ce lieu ». La doctrine des
objets « bien en vue » ne confère
[Page 326]
pas au policier un
pourvoir de fouille, mais de saisie. Résultat : le
policier doit agir dans le cadre de l’exécution du mandat. C’est d’ailleurs ce
que reconnaît le par. 489(1) du Code criminel. D’après cette disposition :
« 489 (1) Saisie de choses non
spécifiées – Quiconque exécute un mandat peut saisir, outre ce qui est
mentionné dans le mandat, toute chose qu’il croit, pour des motifs raisonnables :
a)
avoir été obtenue au moyen d’une infraction à la présente loi ou à toute autre
loi fédérale;
b)
avoir été employée à la perpétration d’une infraction à la présente loi ou à
toute autre loi fédérale;
c)
pouvoir servir de preuve touchant la perpétration d’une infraction à la
présente loi ou à toute autre loi fédérale. »
209. Pour être valide, la saisie doit être
effectuée dans le cadre de l’exécution du mandat.
C’est l’exemple des policiers qui obtiennent un mandat leur permettant de
fouiller l’ordinateur d’une personne soupçonnée de fraude. Les policiers ayant
découvert des images de pornographie juvénile, la saisie des images se
justifiait à la fois en vertu de la doctrine des objets « bien en vue »
[Page 327]
et du par. 489(1)
C.cr. D’après le juge Blair, de la Cour d’appel de l’Ontario : « Sgt
Rimnyak was lawfully examining the image files under the warrant when he
unexpectedly saw images that were immediately recognizable as images of child
pornography. Thus, his detection of the child pornography images in those files
met all the requirements of both the plain view doctrine and s. 489 of the Criminal
Code. He was entitled to seize them. »
Une fois les images découvertes, le policier se devait d’obtenir un mandat se
rapportant aux nouvelles infractions. Comme il a poursuivi sa recherche dans le
but de trouver d’autres éléments de preuve concernant la pornographie juvénile,
la découverte subséquente des images et vidéos ne s’était pas produite par
inadvertance. La saisie ne relevait donc pas de la doctrine des objets « bien
en vue » ou de l’article 489 du Code criminel.
Cette conclusion s’applique également « lorsque la personne qui
exécute le mandat a trouvé et saisi la ou les choses spécifiquement décrites
dans le mandat ». La fouille qui
se poursuit au-delà du mandat initial ne peut donner lieu à la découverte
d’objets « bien en vue ». Il en va de même lorsque le policier
cherche dans des endroits où les objets décrits spécifiquement au mandat ne
peuvent raisonnablement se trouver. Quant au policier qui pénètre légalement
dans un appartement dont la porte est déverrouillée afin de vérifier la
présence d’un suspect ou de blessés, il peut saisir la
drogue qu’il aperçoit
[Page 328]
dans une armoire
vitrée située à l’intérieur de la chambre du suspect dans laquelle il n’était
pas entré. La découverte par
inadvertance de la drogue ayant mené à une enquête plus invasive permettant la
saisie de « tout ce que les agents pouvaient voir du regard », la
doctrine du « plain view » ne pouvait plus être invoquée au soutien
de la légalité de l’intervention subséquente. Encore une
fois, la preuve doit avoir été découverte par inadvertance. Le
[Page 329]
policier qui
soupçonne la présence d’une plantation de cannabis en raison de l’odeur de
marijuana humide qui se trouve dans la maison, ne peut descendre au sous-sol
pour confirmer ses soupçons. Les plants de cannabis et les boutures n’ayant pas
été découverts par inadvertance, les motifs à l’appui de l’arrestation des
suspects découlaient d’une fouille abusive.
210. S’agissant de la doctrine des objets « bien
en vue », les policiers doivent découvrir la preuve grâce à « l’usage
ordinaire de leur sens ». On n’a qu’à
penser au policier qui intercepte le
[Page 330]
conducteur d’un
véhicule automobile et qui remarque la présence de drogues
ou de biens volés sur la banquette arrière de la voiture. Les objets étant
manifestement à la vue du policier, la saisie de la drogue et des biens volés
pouvait s’effectuer en vertu de la théorie des objets « bien en vue ».
En effet, « when an officer finds such evidence –
contraband, stolen property or crime evidence – unexpectedly in the course of
his duties, in circumstances where it is at once obvious and visible without
positive action on the officer’s part to make it observable, he has the right
to seize ». La preuve saisie par le policier
doit donc être découverte par le seul usage de ses sens.
211. Pour que la doctrine des objets « bien
en vue » s’applique, il faut également que la nature incriminante de
la preuve
[Page 331]
soit immédiatement
apparente aux yeux de l’officier. Sur ce point, le
juge Griffin, dans R. c. Gill, est catégorique : « it
must be immediately apparent to the officer that there are reasonable and
probable grounds to believe the item is evidence of criminal conduct ». Le critère d’« immédiateté » exige que la nature
incriminante de la preuve soit apparente aux yeux de l’officier, sans enquête
ni mesures supplémentaires. C’est l’exemple du
policier qui a saisi, sans mandat et sans la permission de leur propriétaire,
des documents se trouvant dans un coffre-fort volé. Comme plusieurs documents
contenaient des chiffres et des caractères chinois, que le policier n’avait pas
les compétences nécessaires en comptabilité et en chinois pour les analyser, ce
dernier a fait traduire et examiner les documents par des spécialistes qui ont
révélé les irrégularités permettant de perquisitionner le restaurant des
appelants. « N’ayant détecté aucun élément incriminant par le seul usage
de ses sens, le caporal Desroches ne peut pas se fonder sur la théorie des
objets bien en vue pour établir l’existence de motifs de fouille raisonnables
et probables ou pour éviter l’obligation d’avoir des motifs raisonnables et
probables. » Quant à
l’exigence des « motifs raisonnables et probables », celle-ci
signifie que la présence de soupçons n’est pas suffisante, « mais que la
certitude n’est pas requise ». Le policier qui
voit apparaître plusieurs messages
[Page 332]
texte dans le
téléphone cellulaire d’un suspect qu’il avait confisqué puis placé à côté de
lui sur le siège avant du passager, ne peut ouvrir le téléphone en appuyant sur
un bouton, pour ensuite consulter les messages afin de confirmer ses soupçons
concernant la possession d’amphétamines en vue d’en faire le trafic. D’après le
juge Caldwell, dans R. c. Kossick, le policier n’avait pas de
motifs raisonnables et probables lui permettant d’associer les messages textes
reçus dans la voiture de patrouille avec la perpétration d’un acte criminel.
Comme il n’était pas immédiatement apparent aux yeux du policier que les
observations faites dans la voiture étaient probablement liées à une activité
criminelle, la théorie des objets « bien en vue » ne pouvait
s’appliquer. Cette interprétation est conforme aux exigences de l’article 489
du Code criminel. D’après la Cour d’appel du Québec, dans R. c. Boudreau-Fontaine
et L’Espérance c. R.,
l’article 489 C.cr. est une codification de la règle des objets « bien en
vue ». Si le premier
paragraphe s’applique lorsque les policiers exécutent un mandat, le second
s’adresse au policier « qui se trouve légalement en un endroit en vertu
d’un mandat ou pour l’accomplissement de ses
[Page 333]
fonctions ».
Dans ce cas, le policier peut saisir, sans mandat, « toute chose qu’il
croit, pour des motifs raisonnables » être associée à la commission d’un
acte criminel. La saisie peut donc se justifier autant en vertu de la théorie
des objets « bien en vue », que du par. 489(2) C.cr..
212. Comme l’article 489 C.cr. codifie la
règle du « plain view », la nature incriminante de la preuve doit
être « immédiatement apparente » aux yeux de la personne qui exécute
le mandat. Si la règle ne pose
pas trop de difficultés aux tribunaux lorsque l’objet saisi est clairement
associé à la commission d’un acte
[Page 334]
criminel, comme une
arme ou de la drogue, son application s’avère beaucoup plus compliquée en
matière de preuve documentaire. Dans ce cas, une
lecture rapide qui ne va pas plus loin que ce qui est nécessaire pour
déterminer si le document rencontre les paramètres du mandat en cours
d’exécution est permise. S’il devient alors
apparent aux yeux de l’officier que le document est relié à une autre
infraction criminelle, la règle s’applique et le document peut être saisi. Par
contre, si les enquêteurs doivent analyser et comparer des documents pour en
découvrir le lien avec une infraction criminelle, la règle ne s’applique pas et
la saisie devient illégale. Deuxième sous-section : La
fouille olfactive ou plain smell
213. À l’image de la doctrine des objets « bien
en vue », la fouille olfactive fait appel aux sens du policer, à la
présence d’éléments de preuve immédiatement apparents à la suite d’une
[Page 335]
intervention légale.
Malgré de nombreuses similitudes, le « plain view » et le « plain
smell » se distinguent par la fiabilité des observations faites par les
policiers. En effet, l’odorat est beaucoup moins précis que la vue.
Contrairement aux objets visibles à l’œil nu, les odeurs sont volatiles et
éphémères. Elles naissent, se dissipent et s’évaporent sans laisser de traces.
Le recours à l’odorat est donc hautement subjectif : la perception d’une
odeur permet difficilement de retracer la nature exacte de la substance en question,
le lieu d’où provient l’odeur, la personne à son origine et le moment de sa
production. Bien que l’idée soit séduisante, il faut se garder d’assimiler trop
rapidement le « plain smell » au « plain view ». Comme l’a
fait remarquer le juge Grenier, dans R. c. Bélanger :
« La jurisprudence et la doctrine ont
développé la théorie du “plain smell”, parallèlement à la théorie du “plain
view”. L’odorat est moins précis que la vue. Le fait de sentir un stupéfiant ne
signifie pas nécessairement que la substance est toujours présente à l’endroit
d’où l’odeur se dégage. Il se peut qu’elle ait été consommée ou brûlée bien
avant qu’il la hume. En revanche, il n’y a pas de raison de douter de la
présence réelle d’un objet qu’on voit. »
214. En raison de son odeur persistante, la
marijuana occupe la majeure partie du contentieux en matière de fouille
olfactive. Sur ce point, la jurisprudence distingue selon que l’odeur perçue
provient de la marijuana brûlée ou fraîchement coupée.
215. L’odeur de la marijuana brûlée n’est
généralement pas suffisante, à elle seule, pour conférer des motifs
raisonnables de croire qu’une infraction a été commise. C’est du moins ce
qu’indique le juge Jackson, au nom de la Cour d’appel de la Saskatchewan, dans
R. c. Janvier. Après
avoir aperçu l’intimé rouler au volant d’une camionnette dont l’un des phares
était
[Page 336]
endommagé, un
policier procéda à son interpellation. Alors qu’il se trouvait à proximité du
véhicule, le policier sentit une forte odeur de marijuana brûlée. Cette odeur
l’ayant amené à conclure que le conducteur avait fumé du cannabis dans les
vingt dernières minutes, l’agent procéda à son arrestation, puis à la fouille
du suspect et de sa voiture. En tout, un peu plus de huit grammes de marijuana
furent retrouvés dans les poches de l’individu, dans l’une de ses bottes et
dans la console de la voiture. L’accusé ayant été acquitté en première
instance, la Cour d’appel devait déterminer si l’odeur de la marijuana brûlée
pouvait, à elle seule, conférer au policier des motifs raisonnables de croire
que l’accusé était « en train de commettre une infraction criminelle »
au sens de l’article 495(1) b) du Code. La
réponse est non. Selon le juge Jackson, « [a]n officer smelling burned
marihuana does not find a person committing the offence of possession of
marihuana ». Compte tenu des nombreuses
inférences pouvant être tirées de la présence d’une odeur résiduelle de
marijuana brûlée, le policier n’avait pas de motifs raisonnables de croire que
le conducteur avait commis une infraction.
216. Cette conclusion peut être différente
lorsque d’autres éléments de preuve s’ajoutent aux constatations olfactives du
policier. L’odeur de marijuana récemment brûlée combinée à la vue d’un sac de
plastique contenant une substance végétale verte confèrent aux policiers des
motifs raisonnables et probables de croire qu’une infraction a été commise.
L’analyse est contextuelle et s’enracine dans les circonstances de l’affaire.
C’est ainsi qu’il faut envisager la décision de la Cour d’appel de l’Ontario,
dans R. c. Polashek. À
la suite d’une interception pour une infraction au Code de la route, un agent
de police a senti une odeur de marijuana provenant de la voiture du suspect.
Bien que le policier
[Page 337]
n’ait pas été en
mesure d’identifier s’il s’agissait de marijuana brûlée ou fraîchement coupée,
l’agent procéda à l’arrestation du conducteur pour possession de marijuana.
D’après le juge Rosenberg, qui s’exprimait au nom de la Cour, l’odeur à elle
seule ne confère pas de motifs raisonnables de croire que le conducteur a
commis une infraction. Il s’agit, par contre, d’un élément qui, une fois
combiné à d’autres indices ou observations, peut permettre au policier de
procéder à l’arrestation du suspect. En l’espèce, le
policier a senti une forte odeur de marijuana. Questionné sur la présence de
drogue dans sa voiture, le conducteur a pris la peine de vérifier autour de lui
s’il n’y avait pas de marijuana avant de nier la présence de la drogue.
L’accusé se trouvant dans un endroit reconnu pour le trafic de stupéfiants, ces
indices, une fois réunis, permettaient à un policier expérimenté de conclure
qu’il possédait des motifs suffisants pour procéder à l’arrestation du suspect.
217. Contrairement à l’odeur de marijuana
brûlée, les émanations de marijuana fraîchement coupée peuvent fournir à un
[Page 338]
policier expérimenté
des motifs raisonnables de croire qu’une infraction a été commise. C’est
d’ailleurs ce que confirme la Cour d’appel de l’Alberta, dans R. c. Harding.
Après avoir intercepté un véhicule dont la plaque d’immatriculation et la
vignette d’enregistrement étaient cachées par de la boue, le sergent Topham de
la GRC nota une forte odeur de marijuana fraîchement coupée provenant de
l’habitacle de la camionnette du suspect. Ayant procédé à l’arrestation de M.
Harding pour possession de marijuana, l’agent remarqua la présence de deux sacs
de hockey à l’arrière de la voiture. Une fois la porte du véhicule ouverte, le
policier sentit une odeur encore plus prononcée. Le sergent Topham demanda à
son collègue d’arrêter le suspect également pour possession en vue d’en faire
le trafic. La fouille des deux sacs de hockey permit la découverte de plus de
56 livres de marijuana en vrac. D’après la Cour d’appel :
« This present case is clearly distinguishable from Janvier. Here,
Sgt. Topham smelled the very strong odour of raw marijuana, not burnt
marijuana. The smell of raw marijuana, given Sgt. Topham’s experience with
marijuana, constituted the observation that a crime, namely, possession of
marijuana, was being committed. No inference was necessary. The possession of
marijuana was not a past event and the officer did not need to infer that he
could find more marijuana by searching the appellant or his vehicle. The smell
of raw marijuana alone was sufficient to conclude that the appellant was at
that time in possession of marijuana. » Comme l’indique cette décision, et
avec elle l’ensemble des jugements sur la question, l’expérience du policier
est un facteur important dans l’évaluation des motifs suffisants pour procéder
à l’arrestation du suspect.
218. Si l’odeur de marijuana fraîchement
coupée peut parfois conférer à un policier expérimenté des motifs
raisonnables de croire qu’une infraction a été commise, il est préférable
d’obtenir d’autres indices pouvant appuyer la croyance du policier. On n’a qu’à
penser aux patrouilleurs qui ont intercepté une voiture après que deux
individus qui se trouvaient à proximité du véhicule, tard
[Page 339]
la nuit, dans un
endroit reconnu pour le trafic de stupéfiants, se soient enfuis à la vue des
policiers. Le conducteur s’étant
engagé dans une voie interdite, les policiers procédèrent à son interpellation
pour une infraction à la sécurité routière. Après s’être approché de la voiture
dans laquelle prenaient place trois individus, le sergent Hamel nota la
présence d’une forte odeur de marijuana fraîchement coupée. Questionné sur la
provenance de l’odeur, un des passagers remit à l’agent une boîte à films
contenant un petit bourgeon de marijuana (cocotte). Le policier procéda à
l’arrestation du suspect, puis fouilla son sac à dos dans lequel se trouvaient
plus de 447.2 grammes de marijuana. D’après le juge Daniel, l’odeur de
marijuana, combinée à la grande expérience des policiers, à l’endroit et à
l’heure de l’intervention, à la fuite des deux personnes se trouvant à
proximité du véhicule et au départ précipité de la voiture à la vue des
policiers conféraient des motifs raisonnables de croire à la commission d’une
infraction. En somme, si l’odeur
de la marijuana fraîchement coupée peut permettre l’arrestation du suspect, sa
nature hautement subjective exige que l’expérience du policier et les
circonstances de l’affaire soient scrutées attentivement.
219. L’odeur de marijuana ne permet pas aux
policiers qui se trouvent légalement dans une maison d’habitation de fouiller
la résidence à la recherche de l’origine de l’odeur suspecte. Comme nous
l’avons déjà expliqué, la théorie des objets « bien en vue » ne
procure pas aux policiers un pouvoir de fouille, mais de saisie. Dès
[Page 340]
lors, « if an
unique smell causes an officer to believe that drugs are present in another
part of a private dwelling, absent consent, a search warrant will be required
to find those items ». Bien que l’odeur de marijuana ne
soit pas suffisante, à elle seule, pour obtenir un mandat, sa présence, une
fois combinée à d’autres facteurs tels que l’expérience des policiers, peuvent
satisfaire les conditions qui précèdent sa délivrance.
220. Envisagée sous l’angle de la conduite
avec les facultés affaiblies, l’odeur de marijuana peut constituer, avec
d’autres symptômes habituels d’intoxication, tels que les yeux rougis,
les pupilles dilatées et la démarche
chancelante, des faits objectivement discernables à la source des motifs
raisonnables de soupçonner que le conducteur a de la drogue dans son organisme.
Une
[Page 341]
fois ces
constatations effectuées, l’agent de la paix peut ordonner au conducteur de
subir les épreuves de coordination de mouvements (ECM) ou de lui « fournir
immédiatement les échantillons d’une substance corporelle que celui-ci estime
nécessaires à la réalisation d’une analyse convenable à l’aide du matériel de
détection des drogues approuvé ». Troisième sous-section : Les
fouilles effectuées à l’aide de chiens renifleurs
221. Les fouilles effectuées à l’aide de
chiens renifleurs sont permises au Canada lorsqu’elles sont exécutées dans des
endroits comportant une attente raisonnable de vie privée réduite, mais bel et
bien réelle. Qu’il s’agisse d’une gare d’autobus, d’une école, d’un aéroport ou
d’une automobile circulant sur la voie publique, les policiers peuvent utiliser
un chien renifleur dans le cadre d’opérations de prévention du crime.
Son emploi est, par contre, interdit dans une résidence, stationnement privé,
garage attenant à une
[Page 342]
propriété et terrain
bordant la demeure du suspect. S’agissant d’une mesure peu envahissante,
étroitement ciblée et d’une grande fiabilité,
l’utilisation de chiens renifleurs n’est pas soumise à l’obtention préalable
d’une autorisation judiciaire. Son recours est permis lorsque « les
policiers ont des soupçons raisonnables, fondés sur des faits objectivement
discernables, que des éléments de preuve établissant la perpétration d’une
infraction seront découverts ». Contrairement
aux motifs raisonnables et probables de croire, les soupçons raisonnables
évoquent la possibilité d’une infraction liée à la drogue et non la probabilité
d’une telle infraction. Les policiers peuvent
donc recourir aux chiens renifleurs chaque fois qu’ils ont des « motifs
raisonnables de croire qu’une personne pourrait être impliquée dans une
infraction donnée, et
[Page 343]
non qu’elle l’est ». L’approche
est contextuelle et exige un examen approfondi de l’ensemble des circonstances
à l’origine des soupçons du policier. En effet, il faut se garder d’isoler
indûment ou d’interpréter séparément les paroles, les gestes ou le comportement
du suspect. L’appréciation des soupçons raisonnables doit tenir compte des
faits, du bon sens et de l’expérience des policiers. Pour donner lieu à la
fouille, les circonstances doivent révéler la possibilité d’une « activité
liée à la drogue que l’animal est dressé pour détecter ».
En raison des risques de faux positifs, les fouilles effectuées à l’aide de
chiens renifleurs peuvent mener à l’arrestation de plusieurs personnes
innocentes et devenir par le fait même abusives au sens de l’arrêt Collins. La
capacité olfactive du chien et le risque de faux positifs lorsque ce dernier se
trouve dans un environnement propice à une contamination croisée doivent donc
être pris en considération dans l’analyse de la fiabilité. Une fois l’odeur
détectée, les policiers peuvent demander au suspect la permission de fouiller
son sac, sa valise ou tout autre contenant faisant l’objet de l’indication
(fouille aux fins de vérification). Si le suspect donne son consentement à la
fouille, celle-ci ne viole pas l’article 8 de la Charte. Dans les cas plus
fréquents où les policiers estiment qu’ils ont des motifs raisonnables et
probables de croire qu’une infraction a été commise, ces derniers peuvent
procéder à l’arrestation sans mandat du suspect. Une fouille accessoire à
l’arrestation sera alors possible dans les circonstances pour empêcher la
destruction de la preuve ou découvrir de nouveaux éléments de preuve.
222. En raison de l’attente moins élevée de
vie privée, l’utilisation des chiens renifleurs est permise dans les grands
aéroports, ports et frontières terrestres afin de détecter les objets soumis à
des
[Page 344]
restrictions ou des
interdictions d’entrée, comme les fruits, la viande, les fromages, les armes à
feu, certaines quantités d’argent et les drogues. Quatrième sous-section : La
fouille accessoire à l’arrestation
223. L’arrêt de principe en matière de
fouille accessoire à l’arrestation est Cloutier c. Langlois.
Après avoir intercepté le véhicule du plaignant en raison d’une infraction
à un règlement municipal, un agent de la SPCUM a été informé par la centrale de
police que le conducteur faisait l’objet d’un mandat d’emprisonnement pour
amendes impayées. Ayant procédé à son arrestation, les policiers ont demandé au
conducteur de les accompagner au poste de police. L’individu étant
particulièrement agité et grossier, les policiers ont procédé à une fouille
sommaire de M. Cloutier afin de s’assurer qu’il n’était pas armé.
Discutant de la légalité de la
[Page 345]
fouille effectuée
par les policiers, la juge L’Heureux-Dubé écrit : « il me semble indubitable
que la common law telle qu’elle a été reçue et a évolué au Canada reconnaît aux
policiers le pouvoir de fouiller la personne légalement mise en état
d’arrestation et de saisir les objets en sa possession ou dans son entourage
immédiat dans le but d’assurer la sécurité des policiers et du prévenu,
d’empêcher l’évasion du prisonnier ou encore de constituer une preuve contre ce
dernier ». S’agissant
d’une fouille incidente à une arrestation, la validité de la fouille dépend de
la légalité de l’arrestation. Comme l’indique fort
justement le juge Cory dans R. c. Stillman, « [a]ucune
fouille, si raisonnable soit-elle, ne peut être validée par ce pouvoir de
common law si l’arrestation qui y a donné lieu a été arbitraire ou par ailleurs
illégale ». Pour procéder à
une fouille accessoire à une arrestation, les policiers n’ont pas besoin de
mandat ni de motifs raisonnables et probables de croire autres que ceux exigés
pour procéder à l’arrestation du suspect. Cette
fouille, qui n’est pas automatique, accorde aux policiers une discrétion dont
l’exercice doit s’appuyer sur les faits de chaque affaire.
Accessoire à l’arrestation, la fouille doit être
[Page 346]
effectuée dans la
poursuite d’un objectif valable lié à l’arrestation.
Ces objectifs, formulés brièvement, consistent (1) à assurer la sécurité des
policiers et du public, (2) à empêcher la destruction d’éléments de preuve par
le suspect ou d’autres personnes et (3) à découvrir de nouveaux éléments de
preuve contre l’accusé. Quelle était
l’intention du policier au moment de procéder à la fouille du suspect ?
Souhaitait-il assurer sa sécurité en vérifiant si l’individu était armé ?
Voulait-il empêcher la destruction de la preuve ou trouver de nouveaux éléments
de preuve ? Il s’agit là de questions se rapportant directement à
l’objectif poursuivi par le policier. La fouille sera accessoire à
l’arrestation lorsque le policier « tente de réaliser un objectif valable
lié à l’arrestation » et que la poursuite de cet objectif était
raisonnable dans les circonstances. Il s’agit donc d’un
critère à la fois subjectif et objectif.
En effet,
[Page 347]
le policier qui
souhaite fouiller une personne arrêtée pour des raisons de sécurité peut le
faire s’il est raisonnable, en l’espèce, de vérifier si elle est armée.
La norme des motifs raisonnables et probables n’est pas nécessaire. « Par
exemple, si l’objectif de la fouille est de trouver des éléments de preuve, il
doit y avoir des chances raisonnables de trouver des éléments de preuve de
l’infraction pour laquelle l’accusé est arrêté. »
Par contre, si « l’arrestation a trait à une infraction au code de la
route, dès que les policiers ont fait ce qu’il faut pour assurer leur propre
sécurité, rien ne peut justifier de fouiller davantage ».
L’existence et les fondements de la fouille accessoire à l’arrestation ayant
été reconnus par les tribunaux, il nous faut maintenant étudier la portée et
les limites d’un tel pouvoir.
224. L’étendue de la fouille accessoire à
une arrestation fut examinée par la Cour suprême dans l’arrêt R. c. Stillman.
Arrêté pour le meurtre sordide d’une adolescente, l’appelant, un jeune
homme de 17 ans, fut transporté au poste de police où il fut soumis, contre son
gré, à des prélèvements de substances corporelles. Comme l’accusé et les
avocats de l’adolescent s’étaient fermement opposés à tout prélèvement et
qu’aucune loi ne permettait, à l’époque, aux policiers d’obtenir un mandat
autorisant le prélèvement de substances corporelles, le Tribunal devait
déterminer si la
[Page 348]
saisie des échantillons
de cheveux et de poils, la prise d’empreintes dentaires et les prélèvements
effectués dans la bouche de l’accusé étaient « accessoires » à
l’arrestation. Sur ce point, la Cour suprême est catégorique : la fouille
et la saisie effectuées, en l’espèce, violent l’intégrité physique de la
personne et constituent une atteinte extrêmement grave à la dignité humaine.
Compte tenu de sa nature et de son caractère particulièrement envahissant, la
saisie d’échantillons corporels et de certaines empreintes de l’accusé se situe
à l’extrémité supérieure du spectre de la violation de la vie privée et, par
conséquent, à l’extérieur des limites de la fouille accessoire à l’arrestation.
La saisie d’échantillons de substances corporelles n’est donc pas autorisée par
« le pouvoir de common law de procéder à une fouille accessoire à une
arrestation » puisqu’elle
constitue une « atteinte très importante à la vie privée et à la dignité
de l’accusé ».
225. Le pouvoir d’effectuer une fouille à nu
accessoirement à une arrestation fut abordé, quelques années plus tard, par la
Cour suprême dans l’arrêt R. c. Golden.
Après avoir procédé à l’arrestation d’un trafiquant de drogues dans un
restaurant de la région de Toronto, des policiers ont effectué une fouille
sommaire de l’individu. N’ayant trouvé ni armes ni drogues, un policier a
[Page 349]
dégrafé le pantalon
du suspect puis tiré son caleçon vers l’arrière afin de regarder à l’intérieur
de ses sous-vêtements. Ayant constaté la présence d’un emballage de plastique
qui contenait une substance blanche, l’agent de police a tenté de retirer le
sachet qui dépassait des fesses de l’accusé. Ce dernier ayant répliqué en
frappant de la hanche le policier, il fut rapidement maitrisé, puis conduit à
l’arrière du restaurant où ses pantalons et caleçons furent baissés jusqu’aux
genoux. L’accusé ayant déféqué par accident alors que des agents tentaient sans
succès de retirer le sachet, un policier a emprunté des gants de vaisselle en
caoutchouc et exhorté l’accusé de relâcher ses muscles afin de lui retirer
l’emballage en question. En tout, le sachet contenait 10,1 grammes de crack,
dont la valeur sur la rue est estimée entre 500 $ et 2 000 $. La
preuve ayant été admise au procès, l’accusé a été reconnu coupable de
possession de stupéfiants en vue d’en faire le trafic. L’appel de ce verdict
ayant été rejeté, la Cour suprême devait déterminer si le pouvoir de procéder à
une fouille accessoire à une arrestation permettait d’effectuer une fouille à
nu et, si oui, dans quelle mesure ce pouvoir était raisonnable. D’après les
juges Iacobucci et Arbour, une fouille à nu désigne « l’action d’enlever
ou de déplacer en totalité ou en partie les vêtements d’une personne afin de
permettre l’inspection visuelle de ses parties intimes, à savoir ses organes
génitaux externes, ses fesses, ses seins (dans le cas d’une femme) ou ses
sous-vêtements ». Plus
envahissantes qu’une fouille sommaire ou par palpation, les fouilles à nu
exigent des garanties supplémentaires qui tiennent compte de la gravité de
l’atteinte à la vie privée et à la dignité de la personne.
Ainsi pour procéder à une fouille à nu accessoire à une arrestation, « les
agents de police doivent établir qu’ils avaient des motifs raisonnables de
conclure qu’une fouille à nu était nécessaire dans les circonstances
particulières de l’arrestation ». La fouille à nu
exige donc des motifs raisonnables supplémentaires à ceux requis pour procéder
à l’arrestation. En ce qui concerne la conformité d’un tel pouvoir avec les
exigences de l’article 8 de la Charte, la Cour propose le cadre d’analyse
suivant :
[Page 350]
« 1. La fouille à nu peut-elle être
effectuée au poste de police et, dans la négative, pourquoi ? 2. La
fouille à nu sera-t-elle effectuée d’une façon qui protège la santé et la
sécurité de toutes les personnes en jeu ? 3. La fouille à nu sera-t-elle
autorisée par un agent de police agissant à titre d’officier supérieur ?
4. A-t-on fait en sorte que le ou les agents de police chargés d’effectuer la
fouille à nu soient du même sexe que la personne qui y est soumise ? 5. Le
nombre de policiers chargés de la fouille à nu se limitera-t-il à ce qui est
raisonnablement nécessaire dans les circonstances ? 6. Quelle est la force
minimale nécessaire pour effectuer la fouille à nu ? 7. La fouille à nu
sera-t-elle effectuée dans un endroit privé où personne ne pourra l’observer,
sauf les personnes chargées d’y procéder ? 8. La fouille à nu sera-t-elle
effectuée de la façon la plus expéditive possible et d’une manière qui fera en
sorte que la personne ne soit jamais totalement nue ? 9. La fouille à nu
comportera-t-elle seulement une inspection visuelle des régions génitale et
anale de la personne, sans contact physique ? 10. Si l’inspection visuelle
révèle la présence d’une arme ou d’un élément de preuve dans une cavité
corporelle (à l’exception de la bouche), la personne détenue aura-t-elle le
choix d’enlever elle-même l’objet ou de le faire enlever par un professionnel
qualifié des services de santé ? 11. Un procès-verbal des motifs et des
modalités d’exécution de la fouille à nu sera-t-il dressé ? »
226. Comme il n’y avait pas d’urgence de
procéder à la fouille à nu, que les policiers n’ont pas donné à l’appelant le
choix de retirer lui-même ses vêtements et qu’ils ont procédé à la fouille sans
l’autorisation d’un supérieur dans des conditions qui la rendait plus
dangereuse, « la manière dont la fouille à nu a été effectuée en l’espèce
était abusive et portait atteinte aux droits constitutionnels garantis par
l’art. 8 de la Charte ».
227. L’étendue du pouvoir de fouille
accessoire à une arrestation fut étudiée, de nouveau, par la Cour suprême dans
l’arrêt R. c. Saeed.
L’accusé, qui était soupçonné d’avoir agressé
[Page 351]
sexuellement une
jeune fille dans la cour d’entrée d’un immeuble à la suite d’une fête entre
amies, fut arrêté puis conduit au poste de police où des agents ont procédé à
un prélèvement par écouvillonnage de son pénis afin de préserver les traces
d’ADN de la victime qui pouvaient encore s’y trouver. Les policiers ayant agi
sans obtenir de consentement du suspect ni d’autorisation judiciaire préalable,
la Cour devait déterminer si le pouvoir de fouille accessoire à une arrestation
permettait d’avoir recours à une telle mesure et, si oui, dans quelles
conditions. D’après le juge Moldaver, qui s’exprimait alors au nom de la
majorité, il faut distinguer le prélèvement par écouvillonnage du pénis, des
saisies de substances corporelles et de certaines empreintes de l’accusé.
L’écouvillonnage du pénis ne vise pas à saisir des substances corporelles de
l’accusé, mais bien à prélever celles du plaignant.
Sans écarter complètement la possibilité d’obtenir des substances corporelles
de l’accusé menant à la découverte de son ADN, ce risque peut être encadré par
l’interdiction de recourir éventuellement à de tels résultats.
De plus, contrairement aux substances corporelles ou aux empreintes de
l’accusé, l’ADN de la victime qui se trouve sur le pénis de l’accusé se dégrade
avec le temps ou peut-être détruit intentionnellement ou par accident.
Même si le prélèvement par écouvillonnage du pénis peut représenter une « expérience
humiliante, avilissante et traumatisante », il
ne s’agit pas d’une procédure envahissante. Le prélèvement, qui peut être
effectué rapidement par l’accusé ou un policier à l’aide d’un coton tige
appliqué à la surface de la peau, est sans douleur et ne comporte aucun risque
pour la santé. S’agissant d’une atteinte importante mais limitée à la vie
privée, le prélèvement par écouvillonnage du pénis permet
[Page 352]
de préserver des éléments
de preuve dont la pertinence et la fiabilité ne font aucun doute. Afin de
réduire le nombre de personnes soumises à ce type de procédure et l’incidence
qu’un tel prélèvement peut avoir sur l’accusé, la Cour exige la présence de « motifs
raisonnables de croire qu’un prélèvement par écouvillonnage du pénis fournira
des éléments de preuve de l’infraction pour laquelle l’accusé a été arrêté ».
Il ne faut pas confondre ici les motifs raisonnables et probables de croire que
l’accusé a commis une infraction avec ceux requis pour procéder aux
prélèvements par écouvillonnage. Des allégations de
rapports sexuels complets menant à une arrestation contemporaine à la
commission de l’infraction permettront aux policiers de croire raisonnablement
que des traces d’ADN de la plaignante peuvent se retrouver sur le pénis de
l’accusé. À l’inverse, une
arrestation effectuée plusieurs jours après l’agression ne permettra pas aux
policiers d’obtenir les motifs raisonnables nécessaires au prélèvement en
question. En effet, « plus il se sera écoulé de temps entre l’infraction
reprochée et le prélèvement, plus il sera difficile pour les policiers
d’établir qu’ils ont des motifs raisonnables de croire que le prélèvement
fournira des éléments de preuve de l’infraction pour laquelle l’accusé a été
arrêté ». Quant aux
lignes directrices visant à respecter la vie
[Page 353]
privée de l’accusé
et à limiter les risques d’abus, celles-ci comportent les éléments suivants :
« 1. Le prélèvement par écouvillonnage
du pénis devrait, en règle générale, être effectué au poste de police. 2. Le
prélèvement devrait être effectué d’une façon qui protège la santé et la
sécurité de toutes les personnes en jeu. 3. Le prélèvement devrait être
autorisé par un agent de police agissant en qualité d’officier supérieur. 4.
L’accusé devrait, peu de temps avant le prélèvement, être informé de la nature
de la procédure employée pour le recueillir, du but de celui-ci et du pouvoir
autorisant les policiers à l’exiger. 5. L’accusé devrait avoir la possibilité d’enlever
ses vêtements et d’effectuer le prélèvement lui-même, et, s’il ne choisit pas
cette solution, le prélèvement devrait être effectué ou supervisé par un agent
ou un professionnel de la santé qualifié, en ne faisant usage que de la force
minimale nécessaire. 6. Le ou les agents de police chargés du prélèvement
devraient être du même sexe que la personne qui y est soumise, à moins que les
circonstances ne le permettent absolument pas. 7. Le nombre de policiers
participant au prélèvement devrait se limiter à ce qui est raisonnablement
nécessaire dans les circonstances. 8. Le prélèvement devrait être effectué dans
un endroit privé où personne ne pourra l’observer, sauf les personnes chargées
d’y procéder. 9. Le prélèvement devrait être effectué le plus rapidement
possible et de telle manière que la personne ne soit jamais complètement nue. »
228. Si un policier peut, dans la poursuite
d’un objectif valable lié à une arrestation, procéder à la fouille des poches
de la personne arrêtée, de son sac ou d’autres objets en sa possession, qu’en
est-il du téléphone cellulaire saisi à la suite de la fouille sommaire du
prévenu ? La question est importante. Elle fut examinée par la Cour
suprême dans R. c. Fearon. À
la suite d’un vol qualifié, deux hommes, dont un armé d’une arme de poing, se
sont emparés d’une quantité importante de bijoux pour ensuite prendre la fuite
au volant d’une voiture noire. Les deux suspects ayant été arrêtés quelques
heures plus tard sans les bijoux et l’arme
[Page 354]
du crime, le sergent
Hicks procéda à une fouille sommaire des individus qui permit de saisir un
téléphone cellulaire dans la poche avant droite du pantalon de M. Fearon. Comme
les policiers croyaient que le téléphone pourrait contenir des éléments de
preuve concernant le vol à main armée, ils ont fouillé sur place l’appareil de
M. Fearon, puis une seconde fois moins de deux heures plus tard. La fouille a
permis de trouver « un projet de message texte concernant des bijoux et
débutant par la phrase : “On l’a fait” », ainsi
que des photos d’un revolver et d’hommes pouvant être reliés au crime. La Cour
d’appel ayant confirmé la déclaration de culpabilité de M. Fearon, la Cour
suprême devait déterminer si la fouille accessoire de son téléphone cellulaire
contrevenait à l’article 8 de la Charte. Dans une décision fort éclairée, la
Cour suprême autorise la fouille accessoire des téléphones cellulaires
lorsqu’elle est effectuée rapidement dans certaines circonstances et à
certaines conditions. S’agissant d’une
fouille accessoire à une arrestation, la Cour réitère les principes qui
surplombent son utilisation en droit pénal canadien et plus particulièrement
l’importance de la poursuite d’un objectif valable lié à l’arrestation. « Les
policiers doivent avoir à l’esprit l’un des objectifs d’une fouille valide
effectuée accessoirement à l’arrestation lorsqu’ils procèdent à la fouille, et
le policier qui procède à la fouille doit raisonnablement croire que celle-ci
permettra de réaliser cet objectif. » Sans exiger la
présence de motifs raisonnables de croire que la fouille du téléphone
cellulaire permettra de trouver des éléments de preuve se rapportant à
l’infraction, « il doit y avoir des chances raisonnables de trouver des
éléments de preuve de l’infraction pour laquelle l’accusé est arrêté ».
Il en va de même lorsque le but de la fouille est d’assurer la sécurité des
policiers ou du public par la recherche d’armes utilisées dans la commission du
crime. Ce pouvoir de fouille,
[Page 355]
rappelons-le, n’est
pas lié à l’urgence de la situation, mais bien à la nature de l’infraction pour
laquelle le suspect a été arrêté et à la poursuite d’un objectif valable lié à
l’arrestation. En effet :
« Le dossier démontre qu’une fouille du
téléphone cellulaire d’un suspect effectuée rapidement peut permettre de
réaliser des objectifs importants d’application de la loi. Les policiers sont
arrivés très rapidement sur le lieu d’un crime violent – le vol à main armée.
Ils étaient confrontés à une situation où il y avait peu de renseignements sur
l’identité des auteurs, où l’objet du crime – les bijoux volés – pouvait
facilement être caché ou autrement disparaître, où des indices laissaient
croire que des personnes autres que les deux individus observés au lieu du
crime pouvaient être impliquées et où on avait signalé qu’une arme à feu avait
été utilisée – et cette arme restait introuvable. Les policiers avaient raison
de croire que le téléphone cellulaire pouvait contenir des éléments de preuve
se rapportant au vol à main armée. Le dossier permet également de conclure que
la fouille servait à assurer la sécurité publique et à empêcher la perte
d’éléments de preuve parce qu’elle pouvait mener les policiers à l’arme à feu
et aux bijoux. »
229. Comme les téléphones cellulaires sont
fréquemment utilisés par les trafiquants de drogues pour conclure des
transactions ou avertir des complices de la présence de policiers, la fouille
rapide du contenu des cellulaires permettra dans plusieurs cas d’identifier des
complices, d’empêcher la destruction de la preuve ou d’appeler d’autres
policiers en renfort. S’il est vrai que la
fouille d’un téléphone cellulaire peut donner accès à des renseignements
personnels qui dépassent largement ceux qui se trouvent dans un sac ou un autre
objet, les risques accrus d’atteinte à la vie privée peuvent être contenus en
s’assurant que la nature et l’étendue de la fouille soient véritablement accessoires
à l’arrestation. De façon générale, « seuls les courriels envoyés ou
rédigés récemment, les photos et messages texte récents, ainsi que le registre
des appels, pourront être examinés puisque dans la plupart des cas,
[Page 356]
seuls les éléments
de ce genre auront le lien nécessaire aux objectifs pour lesquels une
inspection rapide de l’appareil est permise ».
Cette règle, précise la Cour, n’est pas absolue, mais soumise aux principes qui
encadrent les fouilles accessoires à une arrestation. Comme la poursuite des
objectifs énoncés dans Cloutier c. Langlois est généralement plus
pressante dans les cas de crimes contre la personne, d’infractions graves
commises sur des biens susceptibles de disparaître rapidement et de trafic de
drogues, il faut s’attendre à ce que ce genre de fouille soit plus fréquente
pour ces types de crimes. Quant aux infractions
mineures, les policiers doivent normalement s’abstenir de procéder à la fouille
du téléphone cellulaire. Comme il s’agit d’une
fouille sans mandat ni motifs raisonnables et probables de croire, les
policiers doivent consigner par écrit le « contenu fouillé et la façon
dont il a été fouillé ». Cette exigence
est impérative. Elle se rapporte tant au contenu de la fouille, qu’à la raison
et à la manière de l’effectuer. À cet égard, « il
faudrait généralement consigner
[Page 357]
les applications
ayant fait l’objet d’une fouille ainsi que l’étendue, l’heure, les objectifs et
la durée de la fouille ». S’agissant
d’une exigence constitutionnelle, le simple témoignage du policier au procès
n’est pas suffisant dans la mesure où il ne permet pas une « véritable »
révision judiciaire de la légalité de la fouille effectuée sans mandat.
230. En plus de fouiller la personne
légalement mise en état d’arrestation et de saisir les objets en sa possession,
les policiers peuvent, dans la poursuite d’un objectif valable lié à
l’arrestation, procéder à la fouille de son véhicule. Ce pouvoir, qui ne fait
plus aucun doute, fut reconnu par la Cour suprême dans R. c. Caslake.
Après avoir aperçu l’appelant dans un champ à 30 ou 40 pieds de la route où
était stationnée sa voiture, un agent des ressources naturelles a trouvé près
de l’endroit où se tenait l’individu un sac à ordures contenant environ neuf
livres de marijuana emballée dans des feuilles de plastique transparent. Ayant
rattrapé le véhicule du suspect, l’agent procéda à son arrestation pour
possession de stupéfiants. Un policier, qui avait été appelé en renfort, pris
le prévenu sous sa garde, puis le transporta au poste de la GRC à Gimli. Quant
au véhicule du suspect, il fut remorqué jusqu’à un garage situé de l’autre côté
de la rue. Six heures après l’arrestation de l’accusé, un agent a fouillé la
voiture afin d’inventorier son contenu. À la suite de cette fouille, 1 400 $
en espèces et deux paquets contenant chacun environ 0,25 gramme de cocaïne
furent découverts. La fouille, reconnaît le policier, n’a pas été effectuée
dans le but de trouver de nouveaux éléments de preuve, mais conformément à une
politique de la GRC demandant aux agents de constater l’état de la voiture et
de dresser un inventaire de son contenu. Discutant de la légalité de la fouille
du véhicule du suspect, la Cour suprême souligne que « les automobiles
peuvent légitimement faire l’objet d’une fouille accessoire à une arrestation
étant donné qu’elles ne suscitent aucune attente accrue en matière de vie
privée qui justifierait une exception aux principes habituels de common law
[Page 358]
mentionnés
précédemment ». Pour être
valide, la fouille doit vraiment être accessoire à l’arrestation.
Le policier qui cherche à assurer sa sécurité ou celle du public, qui tente de
découvrir de nouveaux éléments de preuve, peut fouiller la personne arrêtée ou
sa voiture si, dans les circonstances, « il semblait raisonnable de
vérifier si la personne était armée », ou s’il y avait
« des chances raisonnables de trouver des éléments de preuve de
l’infraction pour laquelle l’accusé était arrêté ».
Le test, rappelons-le, est subjectif et objectif. Comme l’agent a
reconnu avoir fouillé la voiture du suspect pour vérifier l’état du véhicule et
dresser l’inventaire de son contenu, aucun objectif valable lié à l’arrestation
n’était poursuivi en l’espèce. La fouille n’étant pas accessoire à
l’arrestation, celle-ci contrevenait à l’article 8 de la Charte. Quant à la
période qui sépare l’arrestation du suspect de la fouille accessoire de son
véhicule, aucun délai n’est prévu par la Cour. « En règle générale, les
fouilles qui sont vraiment accessoires à une arrestation seront habituellement
effectuées dans un délai raisonnable après l’arrestation. »
Sans être problématique, un délai de six heures mérite une « explication
raisonnable du délai écoulé avant la fouille de l’automobile ».
Ce qui n’est pas le cas d’un délai de deux heures et demie après que le prévenu
fut placé sous garde et que sa voiture fut remorquée au détachement de la GRC,
quoiqu’une
[Page 359]
explication des
délais soit généralement fournie par les policiers.
Enfin, mentionnons que la fouille d’un véhicule récréatif circulant sur la voie
publique est justifiée si le policier poursuit un objectif valable lié à
l’arrestation. Aucune situation d’urgence n’est requise en semblable matière.
231. D’après le juge Lamer, dans R. c.
Caslake, « le droit de fouiller une automobile accessoirement à une
arrestation et l’étendue de la fouille effectuée dépendront d’un certain nombre
de facteurs tels que le motif de l’arrestation, l’endroit où se trouve
[Page 360]
le véhicule à moteur
par rapport au lieu de l’arrestation, et d’autres circonstances pertinentes ».
Sur ce point, il convient de distinguer l’endroit où se trouve le véhicule à
moteur lors de l’arrestation, de l’endroit où s’effectue la fouille du véhicule
en question. Si une distance d’environ 50 mètres entre la voiture et le lieu de
l’arrestation peut parfois être jugée trop grande pour être accessoire à
l’arrestation, rien n’empêche les
policiers de poursuivre leur fouille, en toute sécurité, dans un garage éclairé
du poste de police, ou d’ordonner aux
appelants « de conduire le camion une dizaine de kilomètres plus loin,
jusqu’au détachement de la GRC le plus proche » afin de fouiller la
remorque des accusés. En somme, si la
fouille de la voiture peut s’effectuer à distance du lieu de l’arrestation, le
véhicule du suspect doit, pour sa part, se trouver dans l’entourage immédiat de
l’arrestation.
[Page 361]
232. La nécessité d’assurer la sécurité des
policiers et du public figure parmi les principaux objectifs associés à une
fouille accessoire à une arrestation. La fouille
du véhicule qui en découle est donc permise lorsqu’il existe des chances
raisonnables d’y trouver des armes. C’est d’ailleurs ce qu’indique la Cour
d’appel de l’Ontario, dans R. c. Alkins, au moment d’écarter la
décision du juge du procès de ne pas admettre en preuve le fusil tronçonné qui
avait été trouvé dans un sac à dos placé dans la valise d’une voiture dans
laquelle prenaient place quatre individus armés.
Lorsque plusieurs armes et couteaux sont trouvés en possession des personnes
arrêtées ainsi que dans leur véhicule, il est normal, écrit le juge MacPherson,
d’étendre la fouille au coffre arrière de la voiture.
Comme la fouille a été effectuée dans le but d’assurer la sécurité des
policiers et du public et qu’il y avait des chances raisonnables que des armes
s’y trouvent, la fouille de la valise devenait vraiment accessoire à
l’arrestation des suspects. Cette conclusion, de toute évidence, serait
différente si l’accusé était arrêté en vertu d’un mandat délivré pour défaut de
comparaître en cours pour une violation au Code de la route.
Le policier ayant remarqué la présence d’un petit couteau de deux pouces et
demi attaché à l’intérieur de la ceinture du pantalon du suspect, l’agent lui
retira le couteau, procéda à une fouille sommaire de l’individu, puis le plaça
à l’arrière de l’auto-patrouille. Une fois à proximité de la voiture du
suspect, le policier aperçu, à travers la fenêtre, ce qu’il croyait être le
fourreau noir en tissus du couteau qu’il venait de saisir. Ayant ouvert la porte
du véhicule pour récupérer l’objet en question, le policier sentit une forte
odeur de marijuana fraîchement coupée. Le policier fouilla l’intérieur du
véhicule sans succès, mais trouva dans le coffre arrière de la voiture un sac à
dos contenant environ 2,4 kilos de marijuana d’une valeur se situant entre
[Page 362]
15 000 $
et 45 000 $. Le juge du procès ayant confirmé la légalité de la
saisie effectuée, le jeune homme fut déclaré coupable de possession de
marijuana en vue d’en faire le trafic. La décision ayant été portée en appel,
la Cour, après avoir rappelé le jeune âge du suspect, son absence d’antécédents
judiciaires, sa pleine collaboration à son arrestation, son confinement à
l’arrière de l’auto-patrouille, le fait qu’il s’agissait d’un petit couteau et
la présence de deux policiers dans un autre véhicule, conclut qu’il n’y avait
pas lieu de craindre pour la sécurité du policier ni de croire que d’autres
armes pouvaient s’y trouver. De façon générale, la
personne qui a été fouillée, puis menottée ne pose plus de risque pour les
policiers. Le suspect ayant été placé à l’écart, la décision de fouiller ses
effets personnels pour des raisons de sécurité ne sera pas justifiée dans les
circonstances.
233. La conservation et la découverte de
nouveaux éléments de preuve pouvant être utilisés contre l’accusé constituent
également des objectifs valables liés à l’arrestation.
La découverte
[Page 363]
de nouveaux éléments
de preuve, tout d’abord, puisqu’un policier qui procède à l’arrestation d’un
individu pour possession de stupéfiants et qui le soumet à une fouille par
palpation qui lui permet de trouver dans la poche avant de ses pantalons trois
morceaux de résine de cannabis emballés dans de la cellophane et dans une autre
poche 4 000 $ en espèce, peut fouiller le véhicule et le coffre
arrière de la voiture. La fouille ayant
permis de trouver des boîtes de souliers dans lesquelles se trouvaient des sacs
en plastique contenant de la marijuana, une balance, du tabac à rouler ainsi
qu’une petite quantité de LSD, le prévenu fut accusé de possession de cannabis
en vue d’en faire le trafic et de possession de LSD. D’après le juge Rosenberg,
de la Cour d’appel de l’Ontario, la fouille de la valise était permise en
l’espèce. En effet, l’accusé fut arrêté peu de temps après avoir été sommé de
sortir de la voiture. Une fouille sommaire de l’individu a permis de découvrir
une certaine quantité de résine de cannabis et une somme d’argent considérable.
S’agissant d’un endroit reconnu pour le trafic de stupéfiants, les policiers
avaient, dans les circonstances, des chances raisonnables de trouver de
nouveaux éléments de preuve dans la
[Page 364]
voiture.
La fouille d’un véhicule dans le but de trouver de nouveaux éléments de preuve
fut également examinée par la Cour suprême dans R. c. Nolet.
Après avoir procédé à l’interception d’un semi-remorque commercial dans le
cadre d’un contrôle routier aléatoire effectué en vertu du Highway Traffic
Act, un agent de la GRC a remarqué plusieurs irrégularités concernant les
permis, vignettes, documents et autres allées et venues des trois passagers.
Dans la poursuite de son enquête, le policier a informé les passagers qu’il
allait inspecter l’intérieur du tracteur afin d’y chercher des documents et
autres pièces se rapportant au transport routier. Le policier ayant trouvé un
petit sac contenant des papiers dans la couchette située derrière le siège du
conducteur, il ouvrit le sac à la recherche des documents et autres papiers,
mais y trouva plutôt 115 000 $ majoritairement en petites coupures de
20 $ enroulées en paquets au moyen d’un élastique. S’agissant d’une
technique fréquemment utilisée par les trafiquants de drogues pour transporter
de l’argent liquide, le policier procéda à l’arrestation des trois occupants
pour possession de produits de la criminalité. Des agents appelés en renfort
ayant remarqué que l’intérieur de la remorque était plus petit que l’extérieur,
les appelants ont reçu l’ordre de conduire leur camion jusqu’au détachement de
la GRC le plus proche, à environ 10 km des lieux de l’arrestation. Une heure et
demie plus tard, les agents ont fouillé le compartiment caché qui renfermait
392 livres de marijuana emballée. D’après le juge Binnie, qui s’exprima au nom
de la Cour, le pouvoir de fouille accessoire à une arrestation ne découle pas
de l’urgence de la situation, mais de la poursuite d’un objectif valable lié à
l’arrestation. Comme la fouille de la
remorque a été effectuée dans le but de trouver des éléments de preuve de
l’infraction et que cette croyance était raisonnable compte tenu des
divergences observées quant à
[Page 365]
la grandeur de la
remorque, « la saisie des 392 livres de marijuana ne portait pas atteinte
à la Charte puisque la drogue a été découverte au cours d’une fouille valide,
effectuée accessoirement à une arrestation valide, en vue de trouver des
éléments de preuve ». Le policier qui
cherche des éléments de preuve relativement à la commission d’une infraction
doit limiter sa fouille aux endroits et objets qui présentent des chances
raisonnables que des preuves de l’infraction s’y trouvent. C’est d’ailleurs ce
qu’explique la juge Lachance, dans R. c. Barrette Goulet.
À la suite d’une arrestation pour conduite d’un véhicule à moteur avec
capacités affaiblies, la policière procéda à une fouille sommaire du
conducteur. N’ayant pas récupéré la clé du véhicule, la policière fouilla
l’habitacle, puis le coffre arrière de la voiture dans lequel se trouvaient
trois sacs à dos, dont un était entrouvert. Après avoir saisi le sac, la
policière y trouva un thermos contenant du cannabis. Les deux autres sacs
contenant des thermos furent également fouillés avec le même résultat. Fort de
ces constatations, l’accusé fut placé en état d’arrestation pour possession de
stupéfiants aux fins d’en faire le trafic. Discutant de la légalité de la
fouille des thermos, la juge Lachance écrit : « Un observateur
objectif aurait peut-être pu conclure, après avoir vu ces sacs à dos, que la
clé de la voiture s’y trouvait. Néanmoins, sans approfondir l’enquête
davantage, une personne raisonnable n’aurait pu avoir des raisons de croire que
le thermos fermé, trouvé à l’intérieur du premier sac à dos partiellement
fermé, pouvait contenir la clé du véhicule de l’accusé. Le Tribunal conclut à
l’absence de motifs objectifs pour fouiller le thermos trouvé dans le premier
sac à dos. » Nous sommes
tout à fait d’accord avec cette décision. En l’absence de chances raisonnables
de trouver des éléments de preuve de l’infraction pour laquelle l’individu a
été arrêté, la fouille ne peut plus être qualifiée d’accessoire à une
arrestation.
[Page 366]
234. En ce qui concerne, par ailleurs, la
nécessité d’empêcher la destruction de la preuve, les policiers peuvent
fouiller le véhicule du suspect lorsqu’il existe des chances raisonnables que
des éléments de preuve disparaissent. Cela est particulièrement vrai dans les
situations d’urgence, lorsque l’accusé risque de s’enfuir
ou que des complices peuvent intervenir en ayant accès au véhicule ou à
d’autres preuves se rapportant à l’infraction pour laquelle l’accusé a été
arrêté.
235. L’interaction entre la fouille
accessoire à l’arrestation et le droit d’avoir recours à l’assistance d’un
avocat fut abordée par la Cour suprême dans l’arrêt R. c. Debot.
Sur la base de renseignements fiables et détaillés provenant d’un
informateur connu des policiers, deux agents ont intercepté le véhicule du
suspect, puis informé ce dernier qu’ils avaient « des motifs raisonnables
et probables de croire qu’il avait des d’amphétamines sur
[Page 367]
lui et l’ont fouillé ».
Ayant découvert une once d’amphétamine emballée dans un sac de plastique qui se
trouvait dans un étui à lunettes, l’agent Birs procéda à l’arrestation du
suspect puis l’informa de son droit d’avoir recours à l’assistance d’un avocat.
D’après le juge Lamer, qui rédigea les motifs au nom de la majorité, le droit
de procéder à une fouille accessoire à une arrestation découle de l’arrestation
du suspect. Quant au droit à l’assistance d’un avocat, celui-ci prend naissance
au moment de la détention du prévenu ou de son arrestation. Accessoire à
l’arrestation, la validité de la fouille du suspect ou de son véhicule ne
dépend pas du consentement de la personne détenue, mais de la poursuite d’un
objectif valable lié à l’arrestation. Les policiers ne sont donc « pas
tenus de suspendre la fouille accessoire à l’arrestation jusqu’à ce que la
personne ait eu la possibilité d’avoir recours à l’assistance d’un avocat ».
236. Bien qu’elle soit généralement
effectuée à la suite de l’arrestation, la fouille peut précéder la prise en
charge du suspect. Comme l’indique le
juge Beard, dans R. c. Frieburg, la question n’est pas de savoir
si la fouille précède ou suit l’arrestation, mais si celle-ci est véritablement
« accessoire » à l’arrestation. La fouille précédant l’arrestation
est autorisée lorsque le policier a des motifs raisonnables et probables de
croire suffisants pour procéder à l’arrestation du suspect au moment de la
fouille.
[Page 368]
Pour être valide,
l’intervention policière doit cependant répondre aux autres conditions
d’ouverture de la fouille accessoire à l’arrestation.
[Page 369] Cinquième sous-section : La
fouille accessoire à la détention aux fins d’enquête
237. L’existence d’un pouvoir de fouille
accessoire à la détention aux fins d’enquête fut reconnue par la Cour suprême
dans l’arrêt R. c. Mann. Mis
de l’avant afin de protéger la vie et la sécurité, ce pouvoir permet aux
policiers de fouiller une personne détenue lorsqu’ils ont des « motifs
raisonnables de croire que leur sécurité [ou celle du public] est menacée et
qu’il est donc nécessaire de procéder à une fouille ».
Contrairement à la fouille accessoire à l’arrestation, qui vise à assurer la
sécurité des policiers et du public, à empêcher la destruction d’éléments de
preuve et à découvrir de nouveaux éléments de preuve contre l’accusé, la
fouille accessoire à la détention à des fins d’enquête est strictement
[Page 370]
limitée à la
protection des policiers et du public. Cette
fouille, qui n’est pas automatique, doit être « raisonnablement nécessaire
pour éliminer une menace imminente à leur sécurité ou à celle du public ».
Des craintes futiles ou imaginées, des inquiétudes fondées sur une intuition ou
de simples soupçons ne sont donc pas suffisantes, faute de motifs raisonnables
de croire que la sécurité du policier ou du public est menacée et qu’il est
nécessaire de procéder à la fouille.
238. En plus de reposer sur des motifs
raisonnables, la fouille ne doit pas être effectuée de manière abusive. Pour
déterminer si l’exécution de la fouille était raisonnable dans les
circonstances,
[Page 371]
le tribunal doit
tenir compte de « l’ampleur de l’atteinte et de la façon dont la fouille a
été effectuée ». Celle-ci ne
sera pas abusive « si la façon dont elle a été effectuée est
raisonnablement nécessaire pour éliminer la menace de sécurité qui plane sur
les policiers ou autrui ». La détention
d’une personne soupçonnée de monter la garde pour des individus qui viennent
d’être arrêtés en possession d’armes à feu, permet de fouiller le prévenu
lorsque son attitude jumelée à sa réaction au moment de l’intervention amènent
les policiers à croire raisonnablement qu’il est armé et qu’il constitue un
danger pour leur sécurité et celle d’autrui. L’appelant ayant dû être menotté
en raison de son absence de coopération, la force utilisée afin d’effectuer la
fouille n’était pas déraisonnable ou abusive dans les circonstances.
239. Comme la fouille incidente à une
détention doit se limiter à ce qui est raisonnablement nécessaire dans les
circonstances pour découvrir la présence d’armes, une fouille par palpation
suffira dans la plupart des cas. Cette fouille peut
parfois
[Page 372]
s’étendre aux sacs à
dos, sacs à main,
sacs à la taille, sacoches ou autres
objets à proximité de la personne détenue pouvant contenir une arme à feu ou un
objet dangereux. Le policier
[Page 373]
peut également
demander au suspect d’ouvrir sa main ou lui
poser des questions concernant la présence d’armes ou d’objets dangereux sur
lui ou à sa portée. Ces questions ne
doivent pas être posées dans le but de découvrir des éléments de preuve, mais
d’assurer sa sécurité et celle du public.
240. En ce qui concerne la voiture de la
personne détenue, nous croyons, conformément à la décision de la Cour d’appel
de l’Ontario dans R. c. Plummer, que
les policiers peuvent parfois fouiller le véhicule du suspect afin d’assurer
leur sécurité et celle du public. Alors qu’ils
patrouillaient dans un secteur reconnu
[Page 374]
pour son taux élevé
de criminalité, deux policiers ont aperçu un individu qui prenait place sur le
siège avant du passager d’une voiture garée illégalement devant un immeuble
fréquenté par des revendeurs de drogues. En passant près de la voiture, les
policiers ont remarqué la surprise sur le visage de l’accusé qui s’est aussitôt
penché vers l’avant comme s’il tentait de dissimuler un objet. Croyant qu’il
s’agissait de stupéfiants, les policiers ont fait demi-tour pour enquêter sur
les occupants de la voiture. Le suspect s’étant identifié, l’un des policiers
l’a reconnu en raison d’un avertissement lancé à tous les policiers les
prévenant qu’il s’agissait d’un individu armé et dangereux. Après avoir demandé
à l’accusé de sortir du véhicule, le policier a procédé à une fouille sommaire du
suspect qui révéla la présence d’un gilet pare-balles. Craignant la présence
d’une arme à feu dans la voiture, le policier fouilla sous le banc du siège
avant du passager où prenait place l’accusé et trouva une arme dissimulée dans
le sac à main de sa copine. Après avoir écarté
l’argument voulant qu’une fouille accessoire à une détention à des fins
d’enquête doive se limiter à la personne du détenu, le juge Laskin cite, avec
approbation, un passage du jugement de première instance dans lequel le juge
Durno écrit : « [W]here the police see conduct consistent with
concealing something in the area of the front passenger seat, have information
the person may be carrying a gun and wearing a bullet proof vest, and confirm
he is wearing a bullet proof vest, to find that the police had to stop their
search once they found he was not carrying a gun on him, flies in the face of
concerns for officer safety. » La fouille accessoire à la
détention « ne sera justifiée que dans la mesure où elle est nécessaire
pour vérifier la présence d’armes ». Les policiers
qui sont appelés à intervenir auprès d’un groupe d’individus armés occupant
plus d’une voiture, peuvent aller au-delà
[Page 375]
de la fouille
sommaire des suspects pour assurer leur sécurité. En effet, une fouille des
voitures peut s’avérer raisonnablement nécessaire dans les circonstances pour
éliminer une menace imminente à leur sécurité ou à celle du public. Ce n’est
pas la nature de l’objet fouillé qui détermine la légalité de la fouille, mais
sa « fonction protectrice ». Comme la
fouille effectuée par les policiers doit être fondée sur la présence de motifs
raisonnables de croire que leur sécurité ou celle du public est menacée, le
fondement de la fouille disparaît avec le risque imminent de danger pour les policiers
ou autrui. Résultat : Les policiers qui fouillent sans succès une personne
soupçonnée de trafic d’armes ne peuvent procéder par la suite à une fouille de
sa voiture, si le suspect est menotté et placé à l’écart du véhicule. Cette
conclusion s’applique également, à notre avis, aux sacs se trouvant par terre.
Les policiers n’ayant plus de motifs raisonnables de croire que leur sécurité
est menacée, la fouille n’est plus justifiée dans les circonstances.
241. Bien que la fouille accessoire à une
détention aux fins d’enquête n’ait pas encore été élargie par la Cour suprême
aux sacs
[Page 376]
et autres objets à
proximité du suspect, rien ne s’oppose à
une telle extension si, en ce faisant, les policiers ont des motifs
raisonnables de croire que leur sécurité ou celle du public est menacée.
L’analyse est contextuelle et tient compte des faits de chaque affaire. Quant
au fondement à l’appui du pouvoir de fouille, la Cour suprême parle de « motifs
raisonnables de croire » et non simplement de « soupçons raisonnables »
ou autres critères intermédiaires.
242. En ce qui concerne la volonté des
policiers de préserver des éléments de preuve, celle-ci ne peut justifier la
fouille du prévenu. En plus d’être étrangère au devoir de protéger la vie et la
sécurité, la conservation de la preuve se confond très facilement avec la
découverte de nouveaux éléments de preuve. Permettre la poursuite de cet
objectif dans le cadre d’une fouille accessoire à une détention à des fins
d’enquête aurait pour effet de brouiller la distinction traditionnelle qui
existe entre ce type de fouille et celle accessoire à une arrestation, ce
qu’interdit catégoriquement la Cour suprême dans l’arrêt Mann et avec
elle tout l’édifice théorique qui supporte le droit applicable en semblable
matière. Sixième sous-section : La
fouille de sécurité
243. Souvent confondue avec la fouille
accessoire à une détention à des fins d’enquête,
la fouille de sécurité s’inscrit
[Page 377]
également dans le
cadre du devoir général des policiers de protéger la vie et la sécurité.
Son existence fut reconnue par la Cour suprême, dans R. c. MacDonald.
Appelé en renfort par une collègue ayant maille à partir avec le
propriétaire d’une unité de condominium qui avait fait l’objet d’une plainte
pour bruit, le sergent Boyd a frappé à la porte de l’appartement, puis a
informé le propriétaire de la présence des policiers. Quelques minutes plus
tard, M. MacDonald a entrouvert la porte laissant paraître ainsi le côté droit
de son corps et de son visage. Ayant remarqué la présence d’un objet « noir
et brillant » dissimulé derrière sa jambe, le sergent Boyd a demandé à
deux reprises à l’accusé ce qu’il tenait derrière son dos. N’ayant obtenu
aucune réponse et croyant qu’il s’agissait d’un couteau, l’agent Boyd a poussé
la porte de quelques pouces afin de vérifier ce que l’accusé cachait dans sa
main. Bénéficiant d’un meilleur éclairage, l’agent a pu constater qu’il
s’agissait d’une arme de poing. Après avoir averti sa collègue de la présence
d’une arme, le sergent s’est précipité sur le suspect afin de la désarmer. M.
MacDonald ayant été accusé de diverses infractions liées à la possession et à
l’usage d’une arme à feu, la défense contesta la validité de la fouille
effectuée par le policier. D’après le juge LeBel, les fouilles de sécurité ne
sont pas rattachées à un type d’intervention en particulier, mais à l’existence
d’une situation urgente découlant d’une menace imminente et évidente à la
sécurité des policiers ou à celle du public. S’agissant d’un pouvoir
extraordinaire, le recours à cette fouille doit être strictement limité à sa
raison d’être fondamentale : la sécurité des policiers et celle du public.
Comme la fouille doit être raisonnablement nécessaire dans les
circonstances, celle-ci sera permise uniquement lorsque les policiers ont des
motifs raisonnables de croire à l’existence d’une menace imminente pour leur
sécurité. Ce qui était le cas
en l’espèce, compte tenu du fait que l’accusé cachait un objet noir et
[Page 378]
brillant derrière sa
jambe et qu’on lui avait demandé à deux reprises ce qu’il tenait dans sa main.
Comme le policier « avait des motifs raisonnables de croire à l’existence
d’une menace imminente pour la sécurité du public et celle des policiers et que
la fouille était nécessaire pour éliminer cette menace »,
il pouvait pousser la porte et désarmer le prévenu. Cette fouille n’ayant pas
été effectuée de manière abusive, elle ne portait pas atteinte aux droits
garantis par l’article 8 de la Charte. Septième sous-section : Les
fouilles à des fins d’inventaire
244. Dans la mesure où elle s’applique à une
personne qui vient d’être arrêtée, la fouille à des fins d’inventaire se
confond parfois avec la fouille accessoire à une arrestation. Et pourtant, la
distinction est importante. Les fouilles à des fins d’inventaire ne visent pas
à empêcher la destruction de la preuve ou à découvrir de nouveaux éléments de
preuve, mais à protéger les effets personnels du détenu et à se prémunir contre
des poursuites éventuelles pour la perte ou la destruction de ces biens. « Son
objectif a [donc] trait à des préoccupations étrangères au droit criminel. »
Pour s’en convaincre, citons la décision de la Cour suprême dans R. c. Caslake.
À la suite de son arrestation pour possession de stupéfiants, le suspect
fut transporté au détachement de la GRC, à Gimli. Quant à sa voiture, elle fut
remorquée jusqu’à un garage se situant de l’autre côté de la rue. Environ six
heures après l’arrestation, l’agent Boyle procéda à une fouille sans mandat du
véhicule de l’appelant qui lui a permis de découvrir 1 400 $ en
espèces et de la cocaïne. Cette fouille, selon l’agent Boyle, a été effectuée
conformément à une politique de la GRC qui demande aux agents de dresser un
inventaire du contenu de la voiture afin de préserver les objets de valeur qui
s’y trouvent et de constater l’état général du véhicule. La défense s’étant
opposée à l’admission
[Page 379]
de la preuve, le
juge Lamer confirma l’absence de justification juridique à la base de la saisie
des éléments de preuve contestés. D’après l’ancien juge en chef, l’agent Boyle
n’a pas fouillé la voiture du suspect dans le but d’y trouver des éléments de
preuve contre lui, mais de dresser l’inventaire de son contenu. Comme « la
fouille à des fins d’inventaire ne vise pas en soi un “objectif valable” lié à
une arrestation », elle ne pouvait se
justifier ici en vertu du pouvoir de fouille accessoire à une arrestation.
245. La fouille à des fins d’inventaire est
souvent invoquée en matière de sécurité routière, lorsque la loi autorise les
policiers à prendre la possession et la garde du véhicule.
Dans ce cas, la police a le droit, voire le devoir, de fouiller le véhicule à
des fins d’inventaire. La fouille ne se
limite pas à répertorier les objets se trouvant dans la voiture, mais s’étend à
leur contenu. Les
[Page 380]
policiers peuvent
donc fouiller et dresser l’inventaire d’objets tels que des sacs à main,
portefeuilles et autres sacs. Il en va également
d’un coffret de CD ou d’un étui à
portable. Si, en ce faisant,
ils découvrent des objets liés à la commission d’actes criminels, ils peuvent
procéder à leur saisie. Les policiers doivent
être autorisés en vertu de la loi à prendre possession de la voiture.
La fouille ne doit pas être effectuée dans le cadre d’une procédure routinière
précédant le remorquage de la voiture, ou
[Page 381]
pour des raisons
purement administratives. Sans nier le droit
des policiers de procéder à l’inventaire des objets contenus dans un véhicule
confié à leur garde, nous croyons que ce pouvoir ne devrait pas être utilisé à
des fins détournées, ni pour permettre aux policiers de fouiller l’intérieur
d’objets tels qu’un étui à portable ou un boitier de CD, lorsqu’il existe d’autres
moyens raisonnables de préserver les effets personnels du conducteur sans
enfreindre son droit à la vie privée. D’après la Cour d’appel de l’Ontario,
dans R. c. Wint et R. c. Cuff,
le simple fait de soupçonner la présence d’une arme ou de drogues ne contamine
pas la légalité de la fouille si celle-ci est effectuée à des fins
d’inventaire.
[Page 382]
246. Loin d’être réservée aux voitures, la
fouille à des fins d’inventaire s’étend également à tous les objets se trouvant
en possession du détenu. Pour s’en convaincre, citons la décision de la Cour
d’appel du Québec, dans R. c. Garcia.
Après s’être endormi dans une petite pièce d’un immeuble où il était entré
sans permission, l’appelant fut arrêté pour le bris d’une condition de son
ordonnance de probation qui l’obligeait à demeurer chez lui de onze (11) heures
le soir à sept (7) heures le matin. L’appelant n’ayant offert aucune
résistance, une fouille sommaire de sa personne fut effectuée sur les lieux de
l’arrestation. Une fois conduit au poste de police, l’appelant fut fouillé à
nouveau. Comme cette fouille s’inscrivait dans le cadre de la procédure
d’écrou, on a demandé à l’appelant de vider ses poches afin de vérifier s’il
n’avait pas d’armes ou d’objets dangereux. Cette fouille avait pour but également
de dresser un inventaire de ses effets personnels. À la suite de cette fouille,
un paquet de cigarettes fut trouvé dans la poche droite de son manteau. Sans
obtenir le consentement de l’appelant, le policier Sylvestre a ouvert le paquet
pour y découvrir une petite quantité de haschisch enveloppée dans du papier
d’aluminium. S’interrogeant sur la légalité de la preuve obtenue à la suite de
la fouille du paquet de cigarettes, la juge Rousseau-Houle conclut à l’absence
d’objets valables liés à l’arrestation. L’accusé, rappelons-le, a été arrêté
pour bris de probation. Comme aucun élément de preuve se rapportant à l’objet
de l’arrestation ne pouvait être retrouvé en possession de l’individu, plus
rien ne permettait aux policiers de fouiller l’intérieur du paquet de
cigarettes. Quant à l’argument voulant qu’un objet dangereux puisse s’y
trouver, comme une allumette ou une lame de rasoir, les policiers n’avaient
qu’à placer le paquet de cigarettes dans une enveloppe scellée avec les autres
effets personnels du détenu. En effet, « [s]’il
paraît
[Page 383]
nécessaire que les
policiers fassent un inventaire des biens trouvés en possession du prévenu au
moment de son incarcération afin de garantir qu’ils rendront ce qu’ils ont reçu
et seront ainsi protégés contre d’éventuelles poursuites civiles, il existe des
moyens moins intrusifs qu’une fouille sans mandat à l’intérieur d’un paquet de
cigarettes. La remise des biens dans une enveloppe scellée et la signature par
le prévenu d’un écrit attestant l’exactitude de la liste des objets scellés et
dégageant l’institution de toute responsabilité peuvent convenablement assurer
cette fin ». S’agissant
d’une fouille routinière, qui a été effectuée sans raison ni but précis se
rapportant à un objet valable lié à l’arrestation, la fouille du paquet de
cigarettes n’était pas autorisée par la common law et contrevenait à l’article
8 de la Charte. Nous sommes tout à
fait d’accord
[Page 384]
avec cette décision.
Une fouille à des fins d’inventaire ne doit pas être envisagée comme un substitut
à une fouille accessoire à une arrestation qui ne serait pas valide ou
autrement autorisée en l’espèce.
247. Comme les éléments de preuve recueillis
lors d’une fouille à des fins d’inventaire peuvent parfois contrevenir à l’article
8 de la Charte, ces derniers seront écartés s’il est établi que leur
utilisation est susceptible de déconsidérer l’administration de la justice. Sur
ce point, le juge Binnie, dans R. c. Nolet,
est catégorique : la fouille à des fins d’inventaire d’une voiture ou
d’un camion ayant déjà fait l’objet d’une fouille accessoire à une arrestation
constitue une « violation technique » dont l’incidence sur les droits
de l’accusé est minime. En effet, les policiers avaient le droit de fouiller la
cabine du semi-remorque dans le cadre de leur pouvoir de fouille accessoire à
l’arrestation des suspects. La poursuite de la
fouille ou une fouille plus minutieuse aurait permis de découvrir les éléments
de preuve incriminants. « [L]es éléments de preuve devraient [donc]
pouvoir être utilisés en fonction de la pertinence qu’ils sont susceptibles
d’avoir dans le cadre de la décision sur le fond relative aux accusations en
instance. »
Cinquième
section : Les perquisitions, fouilles et saisies autorisées par la loi
248. L’étude des perquisitions, fouilles et
saisies autorisées par la loi comprend deux considérations : celle de la
constitutionnalité de la loi autorisant de telles procédures et celle du
contenu
[Page 385]
des dispositions
légales prévues dans le Code criminel et la Loi réglementant
certaines drogues et autres substances. Première sous-section : Les
exigences constitutionnelles
249. Les exigences constitutionnelles en
matière de perquisition, de fouille et de saisie furent abordées par la Cour
suprême dans l’arrêt Hunter c. Southam Inc..
D’après le juge Dickson, qui rédigea le jugement au nom de la Cour, la
validité constitutionnelle d’une loi autorisant une fouille, une perquisition
ou une saisie est subordonnée à la présence d’un mécanisme d’autorisation
préalable s’exprimant généralement sous la forme d’un mandat. Cette exigence,
qui est de nature préventive, vise à empêcher l’ingérence injustifiée de l’État
dans la sphère de vie privée du particulier avant qu’elle ne se produise.
L’obtention d’une autorisation préalable est donc nécessaire lorsqu’elle peut
être obtenue à temps.
250. Si l’exigence d’une autorisation
préalable, sous la forme d’un mandat, permet de s’assurer que les conditions
qui précèdent sa délivrance soient respectées, encore faut-il que la personne
qui autorise la fouille ou la perquisition soit neutre et impartiale. Au
Canada, le pouvoir de décerner un mandat est attribué au juge (p. ex. :
juge, juge de paix, juge de la cour provinciale,
[Page 386]
juge de la cour
supérieure, tout dépendant de la nature du mandat recherché). Pour satisfaire
aux exigences de l’article 8 de la Charte, le mandat doit donc être décerné par
une personne étrangère au litige, capable de soupeser les intérêts en jeu et
d’agir judiciairement.
251. En plus de prévoir l’existence d’un
mécanisme d’autorisation préalable, délivrée par un arbitre neutre et
impartial, la loi qui autorise la perquisition oblige les policiers à démontrer
« l’existence de motifs raisonnables et probables, établis sous serment,
de croire qu’une infraction a été commise et que des éléments de preuve se
trouvent à l’endroit de la perquisition ». Il
s’agit du minimum requis par la Charte. D’autres conditions peuvent donc
s’avérer nécessaires compte tenu de la nature de l’autorisation demandée, de la
technique d’enquête utilisée ou du degré d’empiètement sur l’attente
raisonnable de vie privée. Voyons brièvement en quoi consistent ces
autorisations ou mandats. Deuxième sous-section : Les
perquisitions, fouilles et saisies avec mandat autorisées par la loi
252. Le Code criminel contient
plusieurs dispositions permettant aux policiers de perquisitionner dans un
endroit afin d’y chercher et de recueillir des éléments de preuve se rapportant
à une infraction. Comme il n’est pas possible, ni souhaitable, dans le cadre de
cet ouvrage, de procéder à un inventaire complet de tous les mandats prévus
dans la loi, nous allons nous concentrer sur les autorisations les plus connues
que sont : (1) le mandat de perquisition normal ou traditionnel
(487(1)), (2) le mandat général
[Page 387]
(487.01), (3) le
mandat relatif aux analyses génétiques (487.05) et, enfin, (4) le mandat de
surveillance électronique (183 et suiv.). 1) Le mandat de perquisition normal
ou traditionnel (par. 487(1))
253. Aux termes du par. 487(1) du Code
criminel, un juge de paix peut décerner un mandat autorisant un agent de la
paix ou un fonctionnaire public nommé ou désigné par la loi à perquisitionner
dans un bâtiment, contenant ou lieu pour « rechercher » et « saisir »
une chose ou un bien lié à la commission d’une infraction et à l’apporter
devant lui pour qu’il en dispose conformément à la loi.
Avant d’autoriser la perquisition, le juge de paix doit être convaincu de
l’existence de motifs raisonnables de croire qu’une infraction a été commise et
que des éléments de preuve touchant sa perpétration pourront se trouver dans
l’endroit à perquisitionner. En plus de satisfaire aux exigences
constitutionnelles établies dans l’arrêt Hunter c. Southam Inc., le
mandat prévu au par. 487(1) s’applique à toutes les procédures engagées en
vertu d’une loi fédérale, qu’elle soit dotée ou non de mécanismes de
perquisition ou de saisie spécifiques. Des
policiers qui souhaitent perquisitionner dans une maison d’habitation afin d’y
découvrir des
[Page 388]
stupéfiants peuvent
donc demander un mandat décerné en application du par. 487(1) du Code
criminel, ou du par. 11(1) de la Loi réglementant certaines drogues et
autres substances. Ce faisant, les policiers devront respecter les
exigences relatives aux dispositions invoquées et « agir conformément aux
pouvoirs » qui leur sont conférés.
254. Subordonnée à l’exigence des « motifs
raisonnables de croire », la norme de preuve applicable en matière de
perquisition est la « probabilité raisonnable ».
La simple « possibilité de découvrir des éléments de preuve » n’est
donc pas suffisante à ce stade. La dénonciation,
conformément aux exigences de l’arrêt Hunter c. Southam Inc., doit
révéler l’existence de motifs raisonnables de croire qu’une infraction a été
commise et que des éléments de preuve touchant sa perpétration pourront se
trouver dans l’endroit à perquisitionner. La « probabilité
fondée sur la
[Page 389]
crédibilité »
exige plus que de simples soupçons, mais moins qu’une preuve selon la
prépondérance des probabilités ou hors de tout doute raisonnable.
En effet, « if the inferences of criminal conduct
and recovery of evidence are reasonable on the facts disclosed in the ITO, the
warrant could be issued ». L’analyse est contextuelle.
Elle tient compte de l’« ensemble des circonstances »
et non seulement de certains faits qui, pris
[Page 390]
isolément,
pourraient suggérer d’autres inférences possibles.
La décision d’accorder ou non le mandat fait appel au bon sens, à une analyse
pragmatique de la totalité des renseignements qui s’oppose à un examen trop
technique du contenu de la dénonciation. À l’instar du juge du procès, le juge
qui statue sur la demande peut tirer des inférences raisonnables à partir des
allégations contenues au dossier.
255. L’existence de motifs raisonnables de
croire qu’une infraction a été commise et que des éléments de preuve touchant
sa perpétration pourront se trouver à l’endroit de la perquisition peut
provenir de différentes sources. Des observations faites par un policier se
déplaçant à pied à proximité du terrain de la résidence (p. ex. : forte
odeur de cannabis perceptible à partir de la voie publique), ou se trouvant
dans une voiture stationnée dans la rue ou dans un autre lieu public (p. ex. :
surveillance physique) permettent de recueillir des renseignements sans
empiéter sur le droit à la vie privée. Les policiers peuvent également
interroger des témoins de l’infraction, des voisins ou d’autres personnes ayant
[Page 391]
été en contact avec
le suspect ou procéder à des vérifications auprès d’organismes publics (SAAQ,
Hydro-Québec (nom de l’abonné résidant à telle adresse), CIDREQ, MRC, etc.) ou
de banques de données policières. Des techniques plus
poussées, telles que la consultation de factures ou de relevés de consommation
d’électricité auprès d’entreprises de services publics,
de graphiques produits à l’aide de l’AN ou d’images thermiques prélevées grâce
à un appareil utilisant un système FLIR, peuvent alors être utilisées comme
complément d’enquête afin d’obtenir un mandat général permettant aux policiers,
par exemple, de procéder à une fouille périphérique ou d’obtenir un mandat de
perquisition. Les policiers peuvent
également recourir à des informateurs de police et à des délateurs. Comme nous
l’avons déjà expliqué lors de notre analyse des « motifs raisonnables et
probables de croire » requis en matière d’arrestation, les renseignements
fournis par des informateurs peuvent parfois être suffisants pour permettre la
délivrance d’un mandat de perquisition. Dans ce cas, il s’agira de vérifier,
[Page 392]
conformément aux
enseignements de la Cour suprême dans Debot, Greffe et Garofoli,
si la qualité des renseignements obtenus,
la fiabilité de la source et la confirmation des renseignements préalablement à
la perquisition s’avèrent suffisantes
pour justifier l’émission du mandat. La faiblesse des renseignements sous un
aspect n’est pas fatale à la poursuite lorsqu’elle est compensée par la qualité
des deux autres aspects. Il en va également de
la
[Page 393]
qualité de la source
lorsque les vérifications effectuées par la police permettent de corroborer les
renseignements obtenus. Ainsi, « la
tâche du magistrat qui accorde l’autorisation est simplement de rendre une
décision pratique et logique quant à savoir si, compte tenu de toutes les
circonstances établies dans l’affidavit qui lui est présenté, y compris la
“fiabilité” et “les sources” des personnes qui présentent des renseignements
par ouï-dire, il existe une probabilité raisonnable que des preuves relatives à
la contrebande ou à un crime seront trouvées en un lieu particulier ».
Comme l’indique ce passage emprunté à l’arrêt Illinois v. Gates, l’existence
des motifs raisonnables de croire est subordonnée à une analyse de l’« ensemble
des circonstances » telles que perçues à travers le prisme de la « probabilité
raisonnable ». La question, précise la Cour d’appel dans Gauthier c.
R., n’est pas de savoir si d’autres
[Page 394]
techniques d’enquête
auraient pu être utilisées, mais si la preuve est suffisante dans les faits
pour justifier la délivrance du mandat.
256. Dans sa déclaration sous serment au
soutien du mandat, le dénonciateur a l’obligation d’exposer les faits « de
manière claire, concise, complète et sincère ».
Tous les faits pertinents doivent être divulgués,
qu’ils soient favorables ou non à la thèse des policiers.
Ce faisant, le dénonciateur doit éviter de sélectionner des faits, de passer
sous silence certaines informations ou de présenter des éléments de manière à
dresser un tableau qui ne correspond pas à la réalité. Sur ce point, citons les
commentaires du juge Fish, dans R. c. Morelli :
« Lorsqu’il demande une autorisation ex
parte, comme dans le cas d’un mandat de perquisition, un policier – en
fait, tout dénonciateur – doit faire particulièrement attention de ne pas faire
un tri
[Page 395]
des faits pertinents dans le but d’obtenir
le résultat souhaité. Le dénonciateur est tenu de présenter tous les faits
pertinents, favorables ou non. Il peut omettre des détails non pertinents
ou sans importance au nom de l’objectif louable de la concision, mais il ne
peut pas taire des faits essentiels. Le policier dénonciateur doit donc éviter
de présenter un exposé incomplet des faits connus et veiller à ne pas orienter
le juge vers une inférence ou une conclusion à laquelle ce dernier ne serait
pas parvenu si les faits omis lui avaient été divulgués. »
257. Soumis à l’obligation d’exposer les
faits « de manière sincère et complète »,
le déclarant doit fournir toutes les informations pouvant (1) diminuer la
probabilité que l’infraction reprochée ait été commise, (2) diminuer la
probabilité que des éléments de preuve touchant sa perpétration puissent se
trouver sur les lieux de la perquisition et (3) miner la fiabilité et la
crédibilité des renseignements sur lesquels il s’appuie pour établir les motifs
à la base du mandat. Cette obligation,
précise la Cour d’appel, « ne va pas toutefois jusqu’à devoir mentionner
tout ce qui aurait pu être fait et ne l’a pas été, ou tout ce qui n’a pas été
constaté ». Le déclarant
doit faire preuve de jugement et présenter les éléments pertinents qui se
rapportent à la question à trancher par le juge autorisateur.
258. Le délai entre les informations
obtenues et la demande de mandat est un autre facteur pertinent dans l’analyse
des motifs raisonnables. Cette question fut examinée récemment par la Cour
[Page 396]
d’appel, dans Nadeau
c. R.. À
la suite de l’exécution de deux mandats de perquisition visant la résidence de
l’appelant, les policiers ont saisi plusieurs armes à feu, ainsi qu’un couteau
et des dispositifs prohibés. L’accusé ayant été déclaré coupable d’entreposage
négligent d’armes à feu, de possession d’armes et de dispositifs prohibés ainsi
que de possession d’une arme à feu prohibée chargée ou avec des munitions
facilement accessibles, la défense contesta la validité des deux mandats de
perquisition. D’après l’appelant, l’existence de motifs raisonnables et
probables de trouver des armes illégales chez lui ne pouvait être établie « en
l’absence de preuve contemporaine qu’il en possédait ou en gardait chez lui ».
La Cour rejeta l’appel des déclarations de culpabilité. En effet, ce n’est pas
parce qu’une information n’est pas contemporaine à la dénonciation, qu’elle est
nécessairement périmée. « L’écoulement
du temps est un facteur à considérer, certes, mais le seul fait que les
renseignements contenus dans la dénonciation ne soient pas récents ne signifie
pas qu’ils sont périmés, surtout dans le cas d’infractions de possession
d’armes à feu et de dispositifs prohibés, des biens qui ne sont ni consommables
ni périssables. » Chaque cas est
unique et doit être tranché en fonction des faits de l’affaire.
Comme l’accusé possédait plusieurs armes
[Page 397]
à feu chez lui et
qu’il avait, selon un courriel envoyé 8 mois avant l’obtention des mandats,
manifesté son intention d’essayer le silencieux avec l’une de ses armes, le
juge pouvait conclure à l’existence de motifs raisonnables et probables de
croire que des éléments de preuve seraient découverts dans sa résidence.
259. En plus des motifs raisonnables de
croire qu’un crime a été commis et que des éléments de preuve touchant sa
perpétration pourront se trouver à l’endroit de la perquisition, le mandat doit
décrire suffisamment l’infraction visée par la dénonciation,
les biens recherchés et l’endroit à perquisitionner.
Comme l’indique le juge LeBel dans Lefebvre c. Morin, l’objet de
la perquisition
[Page 398]
doit être
suffisamment précis pour ne pas laisser au policier chargé de son exécution la
discrétion de « définir lui-même » ses limites.
Une description erronée, ambiguë ou imprécise du lieu de la perquisition peut
invalider le mandat, à moins que l’endroit
soit suffisamment décrit pour éviter qu’une autre maison soit fouillée.
[Page 399]
260. Comme nous l’avons déjà expliqué, « un
mandat autorisant une perquisition dans un lieu précis pour chercher des choses
précises confère aux personnes qui exécutent ce mandat le pouvoir de procéder à
un examen raisonnable de tout élément se trouvant à cet endroit et dans lequel
les choses précisées pourraient être découvertes ».
L’exemple du policier qui se trouve légalement dans une résidence à la suite de
l’obtention d’un mandat de perquisition pour une affaire de fraude, illustre
bien cette situation. Le policier étant à la recherche de factures ou autres
relevés pouvant fournir des éléments de preuve relativement à l’infraction sous
enquête, il peut fouiller dans les classeurs ou les tiroirs d’un bureau sans
obtenir d’autorisation judiciaire distincte.
Ce qui n’est pas le cas, bien entendu, de la fouille des ordinateurs et des
téléphones cellulaires. En ce qui concerne l’étendue
géographique de la perquisition, « it can safely be said that in Canada, a
warrant for premises identified by a civic address includes, at the very least,
the curtilage or grounds around the primary or main building on the property ». La délivrance d’un mandat autorisant les policiers à perquisitionner
la résidence du 39 Southlawn Stroll, permettra donc à l’agent qui exécute le
mandat de saisir légalement l’arme du crime qu’il a retrouvée sous une pierre
de la plate-bande de fleurs située dans la cour arrière de la résidence. Comme
les policiers qui souhaitent fouiller les bâtiments adjacents à la demeure
visée par la perquisition ne peuvent le faire qu’après avoir « fourni les
informations nécessaires au juge autorisateur, il est alors préférable de ne
pas se limiter au terme général “dépendance”, mais là aussi, de fournir une
description desdits bâtiments (garage,
[Page 400]
cabanon, serre,
tente roulotte, etc.) ». Un mandat qui
autorise, par exemple, une perquisition au 1532 chemin Beaulac, peut permettre
aux policiers de fouiller non seulement l’intérieur de la résidence, mais
également les dépendances et les terres agricoles si la demande décrite à
l’annexe vise à rechercher des éléments de preuve se trouvant à ces endroits.
L’autorisation de perquisitionner la propriété visée par le mandat ne s’étend
pas à l’automobile stationnée dans la cour arrière de la propriété.
Évidemment, les motifs vont circonscrire le lieu de la perquisition.
L’existence de motifs raisonnables de croire qu’un véhicule volé se trouve chez
le suspect permet aux policiers de fouiller le garage ainsi que tout bâtiment
pouvant abriter le véhicule. Ce faisant, le policier peut, conformément au par.
489(1), saisir toute chose qu’il croit, pour des motifs raisonnables, avoir été
obtenue grâce à la perpétration d’une infraction ou avoir été employée à cette
fin. Il en va de même pour toute chose pouvant servir de preuve relativement à
la perpétration d’une infraction à une loi fédérale. Pour se prévaloir du
pouvoir prévu au par. 489(1), le policier doit agir dans le cadre de l’exécution
du mandat. L’agent qui pénètre légalement dans un
[Page 401]
appartement pour
effectuer une perquisition et qui trouve un sachet de cocaïne sur la table du
salon peut saisir la drogue. Il en serait de même si la drogue était découverte
dans le tiroir d’une commode que l’agent est autorisé à fouiller dans le cours
normal de la perquisition.
261. Aux termes de l’article 488 du Code
criminel, le mandat de perquisition doit être exécuté de jour, c’est-à-dire
entre six heures et vingt et une heures le même jour.
Une perquisition peut être effectuée de nuit lorsque le juge de paix est
convaincu qu’il existe des motifs raisonnables de l’exécuter pendant cette
période. Avant d’autoriser une telle perquisition, le juge de paix doit
s’assurer que la dénonciation énonce les motifs raisonnables au soutien de la
demande. La règle est donc
l’exécution de jour
[Page 402]
et l’exception de
nuit. Bien
qu’exceptionnelles, les perquisitions de
nuit ne sont pas subordonnées à un critère de « nécessité », mais à
la présence de « motifs raisonnables de les exécuter la nuit ».
Encore une fois, l’analyse est contextuelle et tient compte des circonstances.
Parmi les facteurs à considérer, mentionnons l’objet de l’enquête, la présence
ou non d’occupants au moment de la perquisition, le degré d’atteinte à la vie
privée, la sécurité du public, la nature des objets
à saisir, le risque que des éléments
[Page 403]
de preuve
disparaissent, soient détruits ou altérés et les
besoins particuliers de la perquisition. Le sérieux
des infractions conjugué à la facilité avec laquelle une personne peut disposer
des objets recherchés et à la remise en liberté imminente du suspect qui se
trouvait alors en détention provisoire peuvent, par exemple, justifier
l’exécution d’un mandat au cours de la nuit.
[Page 404]
262. De façon générale, les policiers qui
procèdent à une perquisition dans une maison d’habitation doivent donner « (i)
avis de leur présence en frappant ou en sonnant, (ii) avis de leur autorité, en
s’identifiant comme agents chargés d’exécuter la loi et (iii) avis du but de
leur visite, en déclarant un motif légitime d’entrer ».
La présence de « motifs raisonnables de craindre pour leur sécurité ou
pour celle des occupants de la maison ou de craindre que des éléments de preuve
ne soient détruits » permet aux
policiers de s’écarter de la règle applicable. Comme les policiers bénéficient
d’« une certaine latitude » quant à la manière d’entrer dans un
endroit visé par la perquisition, les tribunaux doivent faire preuve d’indulgence
à l’égard de la décision des policiers. En effet, « l’article
8 de la Charte n’exige pas que les policiers mettent leur vie ou leur sécurité
en péril même s’il n’existe qu’un faible risque qu’il y ait des armes ».
Le policier qui exécute un mandat de
[Page 405]
perquisition doit
l’avoir sur lui, si c’est possible, et le montrer sur demande. Le refus de
produire le mandat, sans motifs suffisants, contrevient à l’article 8 de la
Charte.
263. Comme les mandats de perquisition sont
présumés valides, c’est à l’accusé de démontrer que la dénonciation ne
justifiait pas la délivrance du mandat. Lorsqu’il
procède à la révision de la dénonciation, le tribunal doit se demander « s’il
existait suffisamment d’éléments de preuve crédibles et fiables pour permettre au
juge de paix de conclure à l’existence de motifs raisonnables et probables de
croire qu’une infraction avait été commise et que des éléments de preuve
touchant la commission de cette infraction seraient découverts aux moment et
lieu précisés ». La question
n’est donc pas de savoir si le tribunal siégeant en révision « aurait
lui-même délivré le mandat », mais plutôt
s’il existait
[Page 406]
des éléments de
preuve suffisamment crédibles et fiables pour faire droit à la demande.
Pour déterminer si la dénonciation justifiait la délivrance du mandat de
perquisition, le tribunal doit écarter tous les renseignements inexacts se
trouvant dans la dénonciation, ainsi que les informations obtenues à la suite
d’une violation de la Charte. Des éléments de
preuve supplémentaires peuvent également être présentés lors du voir-dire afin
de corriger des erreurs « mineures » ou « techniques »
commises de bonne foi ou
[Page 407]
par inadvertance.
On parle alors d’amplification de la preuve. Cette technique, qui vise à faire
passer le fond avant la forme, ne devrait pas être
utilisée afin de permettre aux policiers de justifier rétroactivement une
demande qui n’était pas fondée à l’origine ou d’échapper aux exigences de
l’autorisation préalable. Ce sont donc les
renseignements que possédaient les policiers au moment de la demande qui
comptent et non ceux obtenus après la délivrance du mandat initial.
Sont considérées comme des erreurs « mineures ou techniques » pouvant
faire l’objet d’amplification, (1) l’attribution d’observations à la mauvaise
personne; (2) l’inscription de dates erronées ou la présence d’erreurs
typographiques; (3) le fait de ne pas avoir rapporté correctement que la
couleur de la voiture des suspects était grise charcoal et non simplement
grise, et (4) la description erronée mais sans importance de la source
d’information. En ce qui concerne
les erreurs qui ne sont pas « mineures et techniques », la Cour
d’appel de l’Ontario, dans R. c. Booth, retient les exemples
suivants : (1) le défaut d’identifier convenablement l’appartement ciblé
dans une unité commerciale et résidentielle; (2) les nombreuses variations et
contradictions entourant l’identification du numéro d’une plaque
d’immatriculation; (3) l’absence d’information établissant l’expertise ou la
compétence particulière d’un agent de police et (4) le
[Page 408]
défaut de fournir
des éléments de preuve attestant de l’origine et de la fiabilité d’un document
dont l’authencité est contestée. La mauvaise foi des
policiers ou l’intention de tromper le juge saisi de la demande d’autorisation,
interdit le recours à l’amplification. En ce qui concerne les manquements à « l’obligation
juridique d’exposer de manière complète et sincère les faits considérés »,
le tribunal doit tenir compte de la preuve présentée lors du voir-dire pour
suppléer les omissions de la police et compléter les renseignements à la base
de la dénonciation. Si après avoir « épuré
et complété » la
dénonciation, il demeure suffisamment de preuves crédibles et fiables pour
justifier la délivrance du mandat, l’autorisation doit être accordée.
[Page 409]
264. Conformément aux enseignements des
arrêts Garofoli et
Pires,
l’accusé qui souhaite contre-interroger le déclarant doit démontrer « [...]
qu’il existe une probabilité raisonnable que le contre-interrogatoire du
déposant apporte un témoignage probant à l’égard de la question soumise à
l’appréciation du juge siégeant en révision ».
L’autorisation peut donc être accordée par le juge réviseur lorsque la demande
se rapporte à des « éléments susceptibles d’ébranler le fondement de la
dénonciation et de l’amener à conclure que la déclaration ne comportait pas
d’éléments fiables et suffisants justifiant l’émission du mandat ».
Dans le cas contraire, elle sera refusée.
[Page 410] 2) Le mandat général (par. 487.01)
265. Le mandat général est une autorisation
préalable, décernée par un juge de la cour provinciale ou de la cour
supérieure, permettant à un agent de la paix d’« utiliser un dispositif ou
une technique ou une méthode d’enquête, ou d’accomplir tout acte qui y est
mentionné, qui constituerait sans cette autorisation une fouille, une
perquisition ou une saisie abusive à l’égard d’une personne ou d’un bien ».
Avant d’autoriser le mandat, le juge doit être convaincu, à la suite d’une
dénonciation faite sous serment, des éléments suivants :
266. a) Il existe des motifs raisonnables
de croire qu’une infraction à la présente loi, ou à toute autre loi fédérale, a
été ou sera commise et que des renseignements relatifs à l’infraction seront
obtenus grâce à l’utilisation du dispositif, de la technique ou de la méthode
d’enquête sollicitée ou à l’accomplissement de tout acte qui y est mentionné :
Cette première condition est essentielle et répond aux exigences
constitutionnelles établies dans l’arrêt Hunter c. Southam Inc. En
effet, les policiers ne peuvent agir sur la base de simples soupçons ou de
soupçons raisonnables. Sans la présence de motifs raisonnables de croire qu’une
infraction a été ou sera commise, aucune autorisation ne peut être accordée. Il
faut éviter, prévient le juge Brunton, dans Beaulieu c. R., de
transformer la demande de mandat « en expédition de pêche » servant
simplement à recueillir des renseignements sur une organisation criminelle ou à
permettre l’accès à un endroit privé. En ce qui
concerne la description de l’infraction sous enquête, celle-ci
[Page 411]
doit être « suffisamment
précise pour permettre au juge à qui la demande est présentée et, par la suite,
au juge réviseur, le cas échéant, de décider si les conditions énoncées à
l’article 487.01 du Code criminel sont réunies ».
Encore une fois, le fond doit l’emporter sur la forme.
Si la description de l’infraction reprochée est claire, il « n’est pas
nécessaire de reproduire le texte en entier » de manière à faire ressortir
toutes les exceptions applicables. Subordonné à
l’existence de motifs raisonnables de croire qu’une infraction a été ou sera
commise, le mandat général s’applique non seulement à l’égard des infractions
déjà perpétrées, mais également de celles à venir.
267. b) La délivrance du mandat servirait
au mieux l’administration de la justice : Il s’agit ici de déterminer
si l’intérêt du particulier de ne pas être importuné par l’État doit céder le
pas à l’intérêt du public dans la répression du crime.
La nature de
[Page 412]
l’infraction
reprochée, le degré de participation du suspect, le caractère intrusif de la
méthode ou de la technique d’enquête utilisée, sa fréquence, sa durée et ses
modalités d’application sont des facteurs pertinents dans la mise en balance
des intérêts opposés. D’après le juge Lemoine, dans R. c. Boulianne, « [l]’existence
de motifs raisonnables qu’une infraction a été commise ou sera commise,
conjuguée à la preuve que le mandat servira à recueillir des éléments de preuve
de cette infraction, peut être de nature à convaincre le juge que le mandat
général servira au mieux l’administration de la justice. Évidemment, une telle
conclusion tiendra également compte de la méthode d’enquête ou de la technique
proposée. Le caractère intrusif de la démarche proposée sera nécessairement
considéré ». Des garanties
visant à contenir les risques de débordement ou à réduire l’empiètement sur la
vie privée peuvent donc s’avérer nécessaires pour convaincre le juge que la
délivrance du mandat servirait au mieux l’administration de la justice.
268. c) Il n’y a aucune disposition dans
la présente loi, ou toute autre loi fédérale, qui prévoit un mandat, une
autorisation ou une ordonnance permettant une telle utilisation ou
l’accomplissement d’un tel acte : Cette troisième condition souligne
le caractère résiduel du mandat général. Compte tenu de sa généralité, le
mandat prévu à l’article 487.01 peut empiéter sur d’autres autorisations plus
spécifiques contenues dans le Code criminel ou d’autres lois fédérales.
La tentation d’échapper aux exigences plus sévères de ces dispositions étant
grande, le législateur interdit alors
[Page 413]
de recourir au
mandat général. On n’a qu’à penser à
l’autorisation permettant aux policiers d’obtenir d’un fournisseur de services
de télécommunications, la production prospective de futurs messages textes.
Comme la procédure d’autorisation d’écoute électronique s’appliquait à la
communication prospective des messages textes faisant l’objet de
l’interception, la police ne pouvait contourner les mécanismes de protection
contenus dans la partie VI du Code au moyen de l’obtention d’un mandat général.
[Page 414]
Quant au mandat
général permettant la saisie « d’objets pertinents au dossier » dans
le cadre de l’analyse d’une scène de crime, il demeure valide malgré que la
saisie de ces objets pouvait être obtenue au moyen d’un mandat de perquisition
décerné en vertu des articles 487 C.cr. ou 11 de la LRCDAS. D’après le
juge Cournoyer, dans R. c. Parisiris, « [l]orsque les
conditions d’émission d’un mandat général sont réunies, le fait que ces choses
aient pu être saisies en vertu d’un mandat traditionnel ne rend pas la
perquisition autorisée par le mandat général abusive à moins qu’on établisse
l’existence d’un motif oblique ou d’une volonté de contourner le mécanisme
traditionnel d’autorisation en vertu de l’article 487 C.cr ».
En plus de respecter l’objet du mandat général, la saisie des armes et des
munitions découvertes dans le domicile de l’accusé pouvait également se
justifier en vertu de la doctrine des objets « bien en vue » (plain
view). Rendue
en 2008, la décision du juge Cournoyer doit être lue à la lumière des
enseignements récents de la Cour suprême dans R. c. Société TELUS
Communications et plus précisément des principes proclamant le caractère
résiduel du mandat général et l’interdiction de recourir à cette autorisation
lorsqu’une autre disposition du Code ou d’une loi fédérale est disponible.
Résultat : les policiers qui demandent un mandat général pour copier et
fouiller le contenu du disque dur de l’ordinateur d’une personne soupçonnée de
possession et de distribution de pornographie juvénile, n’agissent pas en
fonction d’une autorisation valide compte tenu de la disponibilité d’un mandat
de perquisition traditionnel. S’agissant d’une violation technique qui n’avait
pas pour effet de contourner des
[Page 415]
exigences plus
sévères, le Tribunal, après avoir rappelé que les policiers possédaient les
motifs raisonnables nécessaires à son obtention, refuse d’écarter les éléments
de preuve en question. Dans R. c. Smith,
la Cour d’appel de la Saskatchewan conclut que l’utilisation de procédures,
techniques et logiciels permettant d’extraire les informations et les données
d’un téléphone cellulaire pouvait se faire au moyen d’un mandat général, mais
que la fouille du sac à main ayant permis la saisie de l’appareil relevait
plutôt du mandat de perquisition traditionnel.
L’obtention d’un mandat général n’autorisait donc pas implicitement les
policiers à fouiller les effets personnels de l’accusée afin d’y trouver le
téléphone. Enfin, mentionnons que la possibilité d’obtenir un mandat de
perquisition n’empêche pas les policiers de poursuivre leur enquête et
d’obtenir un mandat général afin de recueillir d’autres éléments de preuve.
[Page 416]
269. En plus des conditions prévues aux
alinéas 487.01(1) a), b) et c), la loi interdit de porter
atteinte à l’« intégrité physique » d’une personne.
Bien que ce concept ne soit pas défini dans le Code, la Cour d’appel de
l’Ontario a confirmé la validité d’un mandat général permettant aux policiers
d’examiner et de photographier la région anale d’une personne soupçonnée
d’avoir commis plusieurs infractions de nature sexuelle à l’endroit de son beau-fils
et de sa belle-fille. Comme les policiers étaient à la recherche d’un excès de
peau près de l’anus, la policière a demandé au suspect de se pencher vers
l’avant tout en écartant ses fesses afin de procéder à l’exécution du mandat.
Certes, la procédure pouvait être humiliante, mais elle ne comportait pas
d’atteinte à l’intégrité physique de la personne. En
effet, « this warrant authorized the police to view and photograph the
“anal area”. An area cannot be viewed or photographed if it cannot be seen.
Setting aside intrusive measures that could compromise bodily integrity and,
therefore, exceed the scope of a general warrant, I regard the authority to
view a part of a person’s body as necessarily including positioning or bodily
movements so as to allow a full viewing ». Cette décision n’est pas sans
analogie avec celle rendue par la Cour d’appel du Québec, dans R. c. R.H.-G..
La victime ayant indiqué que le pénis de
[Page 417]
l’accusé présentait
un signe distinctif, il existait des motifs raisonnables de croire que la
photographie de son pénis fournirait des renseignements relatifs à l’infraction
reprochée. Bien que gênante, la prise de photos ne portait pas atteinte à
l’intégrité physique du suspect. De plus, le juge a prévu des modalités
d’exécution sévères permettant de préserver, dans la mesure du possible, la
pudeur et la dignité de l’accusé : photographies séparées du pénis et du
visage de l’appelant prises par un homme dans un endroit fermé échappant à tous
regards. La confidentialité des photographies était également assurée et aucune
publication n’était permise.
270. Réservé à l’utilisation d’un
dispositif, d’une technique ou d’une méthode d’enquête qui autrement constituerait
une fouille, une perquisition ou une saisie abusive, le mandat général peut
être délivré « en vue d’analyser la scène de crime, de découvrir et
possiblement saisir des éléments de preuve matérielle (sang, ADN, vêtements,
etc.) ». Parmi les
méthodes et techniques utilisées afin de déterminer les causes, l’endroit et
les circonstances du crime, mentionnons
l’utilisation de la lumière judiciaire (p. ex. : luminol), du polilight
(appareil servant à la détection des empreintes digitales, de fluides corporels
et d’autres éléments de preuve se trouvant sur les lieux du crime), la
confection d’un croquis ou d’un vidéo, le prélèvement d’empreintes digitales,
l’établissement d’un angle de tir, le prélèvement électrostatique, le moulage
de traces de pas, l’analyse de patrons sanguins et la saisie d’autres objets
pertinents au dossier. Utilisé comme
complément d’enquête, le mandat général peut permettre l’obtention de motifs
raisonnables justifiant la délivrance d’un mandat de perquisition. Comme les
policiers ne peuvent pénétrer sur un terrain privé sans avoir obtenu au
préalable le consentement du propriétaire ou de son occupant, les agents
peuvent demander la délivrance d’un
[Page 418]
mandat général pour
y effectuer une perquisition périphérique. Ce faisant,
ils pourront confirmer les renseignements obtenus d’informateurs anonymes ou
codés. Utilisée en combinaison avec d’autres techniques d’enquête (surveillance
visuelle, conversations avec les voisins, consultations des registres publics,
vérifications auprès du fournisseur d’électricité, recours à l’imagerie
thermique FLIR), la perquisition périphérique constitue un instrument d’enquête
souvent indispensable en matière de production de stupéfiants.
En plus de permettre la fouille périphérique de l’endroit visé par le mandat,
des observations peuvent être faites à partir des fenêtres des bâtiments ou des
véhicules automobiles (p. ex. : présence de sacs à ordures contenant des
résidus de plantes vertes s’apparentant à du cannabis et de pots horticoles de
plastique observés dans un bâtiment de ferme, sous un abri tempo ou dans un
garage). La prise de photos et de vidéos de personnes, d’objets et de lieux et
la copie de documents sont des techniques d’enquête ou des actes découlant de
telles techniques qui portent atteinte au droit à la vie privée et qui doivent
être autorisés par la délivrance d’un mandat général.
Il en va ainsi de l’entrée secrète dans un endroit dans le but de le fouiller,
de surveiller les activités qui s’y
[Page 419]
déroulent, de
photographier et copier des documents, de prélever des empreintes et des
échantillons à des fins d’analyse, etc.
271. Aux termes du par. 487.01(3), « le
mandat général doit également énoncer les modalités que le juge estime
opportunes pour que la fouille, la perquisition ou la saisie soit raisonnable
dans les circonstances ». Des conditions
limitant la durée du mandat et obligeant les policiers à s’identifier en cas de
danger, à demeurer dans des édifices commerciaux et à préserver au maximum
l’intimité de la personne faisant l’objet de la technique d’enquête, permettent
d’empêcher que la perquisition, fouille ou saisie devienne abusive. Pour
contenir les risques de débordements, le
[Page 420]
mandat doit prévoir
des modalités « claires, explicites et soigneusement rédigées ». 3) Le mandat relatif aux analyses
génétiques (art. 487.04 à 487.09)
272. En plus des mandats traditionnels, les
policiers peuvent obtenir une autorisation leur permettant de prélever sur le
suspect des substances corporelles pour fins d’analyse génétique. Les
conditions qui surplombent cette autorisation se trouvent au par. 487.05(1) du
Code. D’après cette disposition, un juge de la cour provinciale peut décerner
un mandat « autorisant le prélèvement, pour analyse génétique, du nombre
d’échantillons de substances corporelles d’une personne jugé nécessaire à cette
fin, s’il est convaincu, à la suite d’une dénonciation faite sous serment, que
cela servirait au mieux l’administration de la justice et qu’il existe des
motifs raisonnables de croire :
« a) qu’une infraction désignée a été
perpétrée;
b) qu’une substance corporelle a été trouvée
ou recueillie;
(i)
sur le lieu de l’infraction,
(ii)
sur la victime ou à l’intérieur du corps de celle-ci,
(iii)
sur ce qu’elle portait ou transportait lors de la perpétration de l’infraction,
(iv)
sur une personne ou à l’intérieur du corps d’une personne, sur une chose ou à
l’intérieur d’une chose ou en des lieux, liés à la perpétration de
l’infraction;
[Page 421]
c) que la personne a participé à l’infraction;
d) que l’analyse génétique de la substance
corporelle prélevée apportera des preuves selon lesquelles la substance
corporelle visée à l’alinéa b) provient ou non de cette personne. »
273. Les mandats autorisant le prélèvement
de substances corporelles permettent de confirmer ou d’écarter un suspect en
comparant son ADN à celui prélevé « sur le lieu de l’infraction » (p.
ex. : cheveux dans la douche du domicile où se sont produits les meurtres);
« sur la victime ou à l’intérieur du corps de celle-ci » (p. ex. :
sperme retrouvé dans le vagin de la victime); « sur ce qu’elle portait ou
transportait lors de la perpétration de l’infraction » (p. ex :
salive ou taches séminales sur les sous-vêtements de la victime) et « sur
une personne ou à l’intérieur du corps d’une personne, sur une chose ou à
l’intérieur d’une chose ou en des lieux, liés à la perpétration de l’infraction ».
274. La constitutionnalité des dispositions
applicables en matière de prélèvements de substances corporelles pour fins
d’analyse génétique fut examinée par la Cour suprême dans R. c. S.A.B..
Après avoir appris qu’elle était enceinte, la victime a informé sa mère que
l’appelant, qui habitait avec la famille de la plaignante au moment des
événements reprochés, l’avait agressée sexuellement. La jeune fille s’étant
fait avorter, la police a saisi le
[Page 422]
tissu fœtal à des
fins d’analyse génétique. Ayant obtenu la délivrance d’un mandat en vertu des
articles 487.04 à 487.09, la police a prélevé un échantillon de sang de
l’accusé pour comparer son ADN avec celui provenant du tissu fœtal. Les
résultats du test de paternité s’étant avérés concluants, l’appelant fut arrêté
et accusé d’agression sexuelle. La défense ayant contesté la constitutionnalité
des dispositions relatives aux mandats ADN, la Cour conclut à l’absence de
violation de l’article 8 de la Charte. D’après la juge Arbour, qui rédigea les
motifs au nom de la Cour, le régime applicable en matière de prélèvements de
substances corporelles « établit un juste équilibre » entre la
protection des droits individuels et la recherche de la vérité. Conformément
aux exigences établies dans Hunter c. Southam Inc., le
prélèvement de substances corporelles pour fins d’analyse génétique exige
l’obtention d’une autorisation préalable, sous la forme d’un mandat délivré par
un juge de la cour provinciale, suite à une demande ex parte présentée
dans le cadre d’une dénonciation établissant sous serment l’existence de motifs
raisonnables de croire qu’une infraction désignée (généralement une infraction
grave ou de nature sexuelle) a été perpétrée et que l’analyse de la substance
corporelle prélevée sur le suspect apportera des preuves de sa participation à
l’infraction reprochée. Avant d’autoriser les prélèvements, le juge doit
également être convaincu que la délivrance du mandat servirait au mieux
l’administration de la justice. En raison de sa nature particulière, le
prélèvement de substances corporelles met en jeu des aspects de la vie privée
qui se rapportent à la personne et au contexte informationnel. En effet, le
prélèvement d’échantillons de substances corporelles porte atteinte à
l’intégrité physique de la personne. L’agent de la paix ayant recours à des
moyens rapides et peu envahissants (prélèvements de cellules épithéliales par
écouvillonnage des lèvres, de la langue ou de l’intérieur des joues; de sang au
moyen d’une piqûre à la surface de la peau avec une lancette stérilisée; de
cheveux ou de poils comportant la gaine épithéliale), l’atteinte à l’intégrité
physique demeure relativement faible. Quant au contexte informationnel, l’usage
du profil génétique de la personne visée se limite uniquement à des fins
médicolégales. Son utilisation ne permet pas d’obtenir de renseignements se
rapportant à des caractéristiques médicales, physiques ou psychologiques. De
fait, il est interdit en vertu des par. 487.08(1) et 487.08(2) d’utiliser les
substances corporelles prélevées sur le suspect à des fins étrangères
[Page 423]
à l’enquête en
cours. En plus de tenir compte du droit à la vie privée, le mandat relatif aux
analyses génétiques participe d’une manière efficace à la recherche de la
vérité. Compte tenu de sa grande fiabilité, la preuve d’ADN permet, peut-être
plus que toute autre technique, de condamner les coupables et de disculper les
innocents. En effet, « un test d’empreintes génétiques concluant permet
dans de nombreux cas, avec quasi-certitude, d’éliminer une personne de la liste
des suspects [...] [ou] de prouver que ce sont ses substances corporelles qui
ont été retrouvées à l’un ou plusieurs des endroits énumérés à l’al. 487.05(1)b)
(Brighteyes, précité, par. 110) ». En
somme, il s’agit d’un instrument d’enquête extrêmement efficace dont la valeur
probante milite en faveur de son utilisation dans des circonstances contrôlées. 4) La surveillance électronique
275. En permettant d’enregistrer nos
conversations, la surveillance électronique porte atteinte à la vie privée des
citoyens. Comme l’indique le juge Douglas, dans United States v. White,
« [Traduction] la
surveillance électronique est le pire destructeur de la vie privée. »
Malgré son caractère extrêmement envahissant, la surveillance électronique
demeure un instrument d’enquête indispensable. Son utilisation s’avère
particulièrement efficace en matière de trafic de stupéfiants ou d’enquête sur
les activités de groupes criminels. S’agissant d’une fouille, d’une
perquisition ou d’une saisie au sens de l’article 8, la surveillance
électronique obéit à des conditions sévères visant à rétablir l’équilibre entre
les droits des citoyens contre l’ingérence injustifiée de l’État dans leur vie
[Page 424]
privée et le devoir
de l’État d’enquêter sur la commission d’infractions criminelles. Dans la
poursuite de cet objectif, le législateur a mis sur pied un système de
réglementation visant à protéger les communications privées tout en permettant « aux
autorités compétentes, sous réserve de certaines restrictions précises, d’intercepter
des communications privées dans le cadre d’une enquête sur un crime grave ».
Aux termes de l’article 183, le verbe « intercepter » s’entend
notamment « du fait d’écouter, d’enregistrer ou de prendre volontairement
connaissance d’une communication ou de sa substance, son sens ou son objet ».
Quant à l’expression « communication privée » prévue à l’article 183,
celle-ci s’étend à toute « communication orale ou télécommunication dont
l’auteur se trouve au Canada, ou destinée par celui-ci à une personne qui s’y
trouve, et qui est faite dans des circonstances telles que son auteur peut
raisonnablement s’attendre à ce qu’elle ne soit pas interceptée par un tiers.
La présente définition vise également la communication radiotéléphonique
traitée électroniquement ou autrement en vue d’empêcher sa réception en clair
par une personne autre que celle à laquelle son auteur la destine ». Si
l’enregistrement de conversations téléphoniques correspond assurément à cette
définition, il en va également de la communication prospective de futurs
messages textes. En ce qui concerne
les types
[Page 425]
de surveillance
électronique reconnus par la loi, le Code distingue entre la surveillance participative
ou consensuelle et la surveillance traditionnelle ou sans
consentement.
276. La surveillance participative est
définie par le juge LaForest, dans R. c. Duarte, comme « la
surveillance électronique dans un cas où l’un des participants à une
conversation, généralement un agent d’infiltration ou un indicateur,
l’enregistre subrepticement ». Autrefois
laissée à la discrétion des policiers, la surveillance participative est
désormais strictement réglementée à
[Page 426]
l’article 184 du
Code. D’après le par. 184.2(1) : un policier peut utiliser un dispositif
d’enregistrement pour intercepter les communications privées « si l’auteur
de la communication ou la personne à laquelle il la destine a consenti »
et s’il a obtenu l’autorisation à cet effet. La demande d’autorisation est
présentée ex parte et par écrit à un juge de la cour provinciale, à un
juge de la cour supérieure ou à un juge au sens de l’article 552 (Cour du
Québec). Cette demande doit être accompagnée d’un affidavit démontrant
l’existence de motifs raisonnables de croire qu’une infraction au Code ou à
toute autre loi fédérale a été ou sera commise et que l’autorisation permettra
d’obtenir des renseignements ou des éléments de preuve quant à sa perpétration.
L’affidavit doit également indiquer les détails entourant la commission de
l’infraction, le nom de la personne qui a consenti à l’interception, qu’il
s’agisse de l’auteur de la communication privée ou de la personne à laquelle il
la destine et la durée de la période d’écoute. Quant à l’autorisation en tant
que telle, celle-ci doit mentionner l’infraction pour laquelle l’autorisation
est délivrée, le type de communication privée faisant l’objet de
l’interception, et, s’il est possible, l’identité des personnes visées par
l’autorisation, le lieu où les communications peuvent être interceptées et une
description générale des moyens utilisés à cette fin. Le juge peut également
énoncer des modalités qu’il juge appropriées dans l’intérêt public. La période
d’écoute doit être précisée dans l’autorisation sans dépasser toutefois 60
jours.
277. La surveillance électronique de
communications privées sans consentement préalable d’une partie est
prévue à l’article 186 du Code criminel. Avant d’accorder une telle
autorisation, le juge doit être convaincu que l’octroi de cette mesure « servirait
au mieux l’administration de la justice » et « que d’autres méthodes
d’enquête ont été essayées et ont échoué, ou ont peu de chance de succès, ou
que l’urgence de l’affaire est telle qu’il ne serait pas pratique de mener l’enquête
relative à l’infraction en n’utilisant que les autres méthodes d’enquête ».
278. L’exigence que l’autorisation « serve
au mieux l’administration de la justice » fut abordée par la Cour suprême,
dans
[Page 427]
R. c. Duarte. D’après
le juge LaForest, qui rédigea le jugement au nom de la majorité, ce critère
requiert que « le juge donnant l’autorisation soit convaincu de
l’existence de motifs raisonnables et probables de croire qu’une infraction a
été commise ou est en voie de l’être et que l’autorisation sollicitée permettra
d’obtenir une preuve de sa perpétration ». La
présence de simples soupçons ou de motifs raisonnables de soupçonner n’est pas
suffisante à ce stade. Le critère prévu à
l’alinéa 186a) reflète donc les exigences constitutionnelles minimales
développées par la Cour suprême dans Hunter c. Southam Inc.
279. En ce qui concerne l’exigence de
nécessité pour l’enquête que prévoit le par. 186(1), l’autorisation peut être
accordée lorsque le juge est convaincu que « d’autres méthodes d’enquête
ont été essayées et ont échoué, ou ont peu de chance de succès, ou que
l’urgence de l’affaire est telle qu’il ne serait pas pratique de
[Page 428]
mener l’enquête
relative à l’infraction en n’utilisant que les autres méthodes d’enquête ».
L’utilisation de la conjonction « ou » indique que l’écoute
électronique peut être nécessaire pour l’une des trois raisons mentionnées.
Pour satisfaire la première portion du critère, les policiers doivent démontrer
que l’utilisation d’autres méthodes d’enquête s’est avérée infructueuse.
Envisagée comme une mesure de « dernier recours », l’écoute
électronique devient nécessaire dans les cas ou d’autres méthodes d’enquête « ont
été essayées et ont échoué ». Le second volet de l’alinéa oblige les
policiers à convaincre le juge qu’il n’y a « aucune autre méthode
d’enquête raisonnable dans les circonstances de l’enquête criminelle considérée ».
Il ne faut pas assimiler le peu de chance de succès des autres méthodes
d’enquête et l’absence totale d’autres méthodes d’enquête. En effet, « l’article
186 C.cr. n’exige pas l’épuisement de toutes les méthodes alternatives. Il ne
représente pas simplement un ultime recours. Il joue le rôle d’un instrument
qui ne doit pas être utilisé sans motifs sérieux, probables, mais qui peut être
employé non seulement lorsque les autres méthodes ont échoué, mais aussi
lorsqu’elles paraissent avoir peu de chances de succès ».
Des méthodes de contre-surveillance efficaces mises sur pied afin de nuire à
l’enquête en cours peuvent amener, par exemple, les tribunaux à conclure aux
faibles chances de succès des méthodes plus traditionnelles et à la nécessité,
dans les circonstances, de recourir à l’écoute électronique.
Le troisième volet du critère renvoie à l’urgence de la situation et aux
difficultés, dans les circonstances, de recourir uniquement aux autres méthodes
d’enquête. Pour satisfaire à ce volet, l’urgence de l’affaire doit être telle « qu’il
ne serait pas pratique de mener l’enquête relative à l’infraction en
n’utilisant que les autres méthodes d’enquête ».
280. La demande d’autorisation pour
intercepter des communications privées aux termes de l’article 185 C.cr. est
présentée ex parte et par écrit à un juge d’une cour supérieure ou à un
juge
[Page 429]
de la Cour du Québec.
Un affidavit rédigé par un agent de la paix doit être déposé au soutien de la
demande d’autorisation. Dans cet affidavit, on retrouve une description de la
nature de l’enquête en cours, des techniques utilisées, des éléments de preuve
recueillis et « des faits sur lesquels le déclarant se fonde pour
justifier qu’à son avis il y a lieu d’accorder une autorisation ».
L’affidavit contient également une description du genre de communication privée
faisant l’objet de l’interception (p. ex. : toute communication orale ou
toute autre télécommunication que pourront faire les personnes mentionnées et
dont les communications pourront être interceptées à l’occasion de l’exécution
de l’autorisation), des noms, adresses et professions, s’ils sont connus, de
toutes les personnes dont les communications privées devraient être
interceptées, des lieux visés par l’interception (p. ex. : domicile,
voiture, etc.) et des moyens utilisés à cette fin (p. ex. : « room
bug », « car bug »). La période couverte par l’autorisation doit
être précisée dans l’affidavit et lorsqu’il ne s’agit pas d’une infraction
visée au par. 185 (1.1) (p. ex. : participation aux activités d’une
organisation criminelle; infraction commise au profit ou sous la direction
d’une organisation criminelle, ou en association avec elle; terrorisme), une
description des facteurs se rapportant à l’exigence de nécessité pour l’enquête
que prévoit le par. 186(1) (p. ex. : méthodes utilisées s’étant avérées
infructueuses ou présentant peu de chance de succès).
[Page 430]
281. Dans R. c. Thompsen,
la Cour suprême s’interroge sur la validité des clauses se rapportant « aux
endroits fréquentés ». D’après le juge Sopinka, qui s’exprima alors au nom
de la majorité, la présence de motifs raisonnables de croire que les
communications seront utiles à l’enquête ne permettent pas d’autoriser
l’interception au hasard des communications de « n’importe qui, n’importe
où ». Comme l’alinéa
c) des autorisations contestées permettait, en l’espèce, d’intercepter
les communications de cinq personnes nommées (cibles) à l’adresse mentionnée et
dans les autres lieux de la province de la Colombie-Britannique fréquentés par
ces personnes; que l’aliéna d) se limitait aux individus qui fréquentent
ou utilisent les lieux décrits à c) ou qui communiquent avec les
personnes qui y sont nommées relativement aux infractions reprochées, les
autorisations sollicitées étaient valides puisqu’elles étaient limitées aux
lieux fréquentés par les cinq individus nommés.
Avant de procéder à l’interception en vertu d’une clause des « endroits
fréquentés », les policiers doivent avoir des motifs raisonnables et
probables de croire, à la lumière de la preuve, que l’endroit « a été ou
sera fréquenté par la cible ». Si la présence
d’un code indiquant un endroit précis où la personne peut être rejointe
constitue une preuve suffisante « de l’endroit fréquenté », il en va
autrement de la simple proximité d’un endroit avec la demeure d’une personne
ciblée dans la demande d’autorisation.
L’interception de communications fondée sur une intuition
ou un pressentiment n’est donc pas
suffisante à ce stade.
[Page 431]
282. Des commentaires qui précèdent, nous
sommes d’accord avec le juge LeBel, dans R. c. Araujo, pour dire
que « l’interception des communications privées est une mesure grave, qui
ne doit être envisagée que pour des infractions graves, que s’il existe des
motifs probables et que s’il est véritablement nécessaire de recourir à
l’écoute électronique compte tenu de l’enquête en cause et de ses objectifs ». 5) Le mandat de perquisition émis
en vertu de la Loi réglementant certaines
drogues et autres substances (LRCDAS)
283. La Loi réglementant certaines
drogues et autres substances (LRCDAS) prévoit un mécanisme d’autorisation
préalable sous la forme d’un mandat, permettant à un agent de la paix de
perquisitionner dans un lieu afin d’y trouver de la drogue et d’autres biens
associés à une substance désignée. Avant d’autoriser la perquisition, le juge
de paix doit être convaincu, conformément aux exigences établies dans l’arrêt Hunter
c. Southam Inc., de l’existence de motifs raisonnables de croire
qu’une infraction à la présente loi a été commise et que des éléments de preuve
se rapportant à l’infraction se trouvent dans le lieu de la perquisition. Aux
termes du par. 11(1) de la LRCDAS :
« 11 (1) Le juge de paix qui,
sur demande ex parte, est convaincu sur la foi d’une dénonciation faite
sous serment qu’il existe des motifs raisonnables de croire à la présence, en
un lieu, d’un ou de plusieurs des articles énumérés ci-dessous peut délivrer à
un agent
[Page 432]
de la paix un mandat l’autorisant, à tout
moment, à perquisitionner en ce lieu et à les y saisir :
a)
une substance désignée ou un précurseur ayant donné lieu à une infraction à la
présente loi;
b)
une chose qui contient ou recèle une substance désignée ou un précurseur visé à
l’alinéa a);
c)
un bien infractionnel;
d)
une chose qui servira de preuve relativement à une infraction à la présente loi
ou, dans les cas où elle découle en tout ou en partie d’une contravention à la
présente loi, à une infraction prévue aux articles 354 ou 462.31 du Code
criminel. »
284. Mis à part la spécificité de la
substance recherchée, il y a peu de différences entre le mandat de perquisition
prévu au par. 487(1) et celui obtenu en application du par. 11(1) de la LRCDAS.
Comme l’article 487 du Code criminel s’applique à toute infraction à
une loi fédérale, cette disposition peut également être utilisée en matière de
stupéfiants. En effet, « ces deux dispositions s’appliquent simultanément
et offrent aux policiers des mécanismes distincts d’autorisation préalable aux
fins de fouilles, perquisitions et saisies en matière de stupéfiants. Le choix
du mécanisme est laissé aux policiers. Toutefois, quel que soit le fondement
législatif de la demande de mandat de perquisition, les policiers devront agir
conformément aux pouvoirs que leur confère le texte législatif invoqué ».
Si les policiers décident d’agir en vertu des pouvoirs prévus dans le Code
criminel, ils devront respecter les exigences qui se rapportent au mandat
de perquisition traditionnel, dont notamment le fait qu’un tel mandat doit être
exécuté de jour, sous réserve de la présence de motifs raisonnables de
l’exécuter la
[Page 433]
nuit (art. 488). Le
par. 11(1) de la LRCDAS prévoit que la perquisition peut être effectuée « à
tout moment ». L’article 488 ne s’applique donc pas au mandat décerné en
application du par. 11(1) de la LRCDAS.
Cela ne signifie pas nécessairement que le moment de l’exécution du mandat
n’est pas pertinent dans l’examen du caractère raisonnable de la fouille en
question, mais
[Page 434]
que le juge de paix
n’a pas à être convaincu qu’une entrée de nuit est raisonnablement nécessaire.
De plus, le juge qui autorise la perquisition conserve sa discrétion
d’autoriser ou non le mandat. Ce faisant, il doit veiller à protéger les
intérêts de l’individu tout en permettant à l’État d’enquêter sur la commission
d’actes criminels. Bien que l’article 488 ne s’applique pas aux mandats décernés en
vertu du par. 11(1), « there must at the very least be something in the
information to obtain from which the justice can draw an inference that the
request to search at night has a reasonable basis ».
[Page 435]
285. À l’image du mandat traditionnel,
l’autorisation prévue au par. 11(1) de la LRCDAS est subordonnée à la
norme des motifs raisonnables de croire, qui suppose elle-même une « probabilité
raisonnable » se rapportant à une preuve « crédible et fiable ».
Les policiers qui souhaitent perquisitionner dans la maison d’une personne
soupçonnée d’être impliquée dans un réseau de trafiquants de cocaïne-base,
doivent établir un lien suffisamment étroit entre ce réseau et la résidence
visée par la demande. La dénonciation, précise la Cour d’appel dans R.
c. Audigé, « devait permettre d’établir qu’il était raisonnablement
probable, et non seulement possible, que ces éléments de preuve se trouvent à
cette résidence ». Résultat :
La simple existence du réseau n’est pas suffisante, s’il n’est pas « raisonnablement
probable que des éléments de preuve liés à ce réseau se trouvent dans le lieu
visé par la
[Page 436]
perquisition, soit
le domicile de l’intimé ». Certes, les
policiers pouvaient avoir des soupçons à l’égard des activités se déroulant à
l’intérieur de la résidence de l’accusé, mais une perquisition n’est pas un
outil permettant de valider des soupçons. Sans « motifs raisonnables de
croire que des éléments de preuve liés au trafic de stupéfiants pouvaient s’y
trouver », la perquisition du domicile en question n’était pas justifiée
et contrevenait à l’article 8 de la Charte.
286. Contrairement à l’ancienne Loi sur
les aliments et drogues ou à la Loi sur les stupéfiants, l’article
11 de la LRCDAS n’oblige pas le juge de paix à désigner nommément
l’agent ou les agents de la paix autorisés à effectuer la perquisition.
« Un mandat de perquisition dûment signé que l’on prétend être décerné
conformément à l’article 11 de la Loi réglementant certaines drogues et
autres substances sera [donc] généralement valide en apparence s’il :
(1) est adressé à des agents de la paix, nommés ou non, du ressort du juge qui
délivre le mandat; (2) identifie “une infraction avec une précision suffisante
pour instruire toute personne concernée de la nature de l’infraction”; (3)
décrit les choses [Traduction] “à
saisir d’une façon suffisamment exacte pour permettre aux agents qui exécutent
le mandat de les identifier et d’établir un lien entre ces choses et
l’infraction”; et (4) décrit le lieu qui doit faire l’objet de la perquisition [Traduction] “avec une précision
suffisante pour permettre au lecteur de savoir [à l’égard de] quels lieux la
perquisition est autorisée”. » Le par. 11(6)
de la LRCDAS permet à l’exécutant du mandat qui a des motifs raisonnables
de croire en la présence d’une substance qui n’y est pas mentionnée, mais qui
contrevient à la présente loi, de saisir la drogue, la chose ou les biens en
question. Les policiers
[Page 437]
qui exécutent un
mandat leur permettant de perquisitionner dans une résidence afin de fouiller
et de saisir de la marijuana et de la cocaïne peuvent donc saisir la résine de
cannabis qui se trouve sur la chaise qui a été placée sous la table de la
cuisine. Troisième sous-section : Les
fouilles, perquisitions et saisies sans mandat autorisées par la loi
287. Le par. 11(7) de la LRCDAS permet
à un agent de la paix de perquisitionner sans mandat « dans un lieu
lorsque les conditions présidant à sa délivrance sont réunies et que l’urgence
de la situation rend son obtention difficilement réalisable ».
S’agissant de la mise en œuvre des pouvoirs prévus aux par. (1), (5) ou (6), la
perquisition est subordonnée à l’existence de motifs raisonnables de croire
qu’une substance désignée, un bien ou une chose visé au par. 11(1) se trouve
dans l’endroit à perquisitionner. Quant à l’urgence de
la situation, celle-ci doit, conformément
[Page 438]
aux recommandations
du juge Sopinka dans R. c. Grant, rendre « pratiquement
impossible l’obtention d’un mandat ».
L’urgence de la situation s’applique autant à la préservation de la preuve qu’à
la sécurité des policiers et celle du public. Pour qu’il y ait urgence, il doit
y avoir « un risque imminent que les éléments de preuve soient perdus,
enlevés, détruits ou qu’ils disparaissent si la fouille, la perquisition ou la
saisie est retardée aux fins de l’obtention d’un mandat ».
Sans être immédiat, le risque de perte ou de destruction de la preuve
doit être suffisamment proche pour créer dans l’esprit du policier une
incitation immédiate à agir. Comme l’indique James A Fontana, dans son
ouvrage The Law of Search and Seizure in Canada, « il y a
habituellement situation d’urgence quand une action immédiate est requise pour
assurer la sécurité des policiers ou préserver des éléments de preuve
concernant un crime ». Le risque de
perte ou de destruction de la preuve qui était clairement prévisible pour les
policiers ne permet généralement pas de perquisitionner sans mandat. En effet,
si l’agent de la paix a prévu ou aurait dû prévoir que ses actes pourraient
manifestement donner lieu à une situation périlleuse, celui-ci ne pourra
raisonnablement prétendre qu’il a fait face à une situation d’urgence découlant
d’un risque imminent. Comme l’indique le
[Page 439]
juge Doherty, dans
R. c. Phoummasak, « the police cannot orchestrate exigent
circumstances by creating the requisite urgency through a preplanned course of
conduct ». Cette situation ne s’applique pas
au policier qui pénètre sans mandat dans l’appartement d’un fournisseur de
drogues à la suite de l’arrestation de l’un de ses revendeurs. Comme le
policier craignait que le fournisseur soit au courant de l’arrestation, son
entrée, sans mandat, dans son appartement était justifié afin d’empêcher la
perte ou la destruction de la drogue. Toujours selon le
juge Doherty : « I do not agree that the evidence in this case can
reasonably support the claim that the police anticipated that the investigative
steps they took would
[Page 440]
create the urgency
relied on by the police to justify the entry into the apartment without a
warrant ». Le policier n’ayant pas anticipé
l’arrestation du revendeur devant l’immeuble à appartement du fournisseur et
les appels répétés de l’accusé afin de s’enquérir de la situation, l’agent se
trouvait dans une situation d’urgence qui lui permettait d’entrer sans mandat
dans l’appartement de l’accusé afin de surveiller l’endroit en attendant
l’émission du mandat de perquisition.
288. D’après le juge Brown, dans R.
c. Paterson, « l’”urgence de la situation” dont il est fait mention
au par. 11(7) ne renvoie pas seulement à la commodité, à l’opportunité ou à
l’économie de temps, mais bien à l’existence de circonstances pressantes propres
à une situation qui requiert l’intervention immédiate des policiers soit pour
préserver la preuve, soit pour assurer la sécurité des policiers ou celle du
public ». Ce qui n’est
pas le
[Page 441]
cas lorsque le
risque de destruction de la preuve est lointain ou hypothétique.
289. En plus d’être subjectivement honnête,
la croyance du policier en l’existence d’une « situation urgente »
doit être objectivement raisonnable. C’est ce
que confirme la Cour d’appel du Québec dans Blais c. R..
S’interrogeant sur la légalité de l’entrée, sans mandat, de policiers dans le
logement d’un présumé trafiquant de drogues afin de sécuriser l’endroit en
attendant l’obtention d’un télémandat, la Cour mentionne que « l’urgence
de la situation nécessitait, en l’espèce, la preuve que les policiers avaient
des motifs raisonnables de croire qu’une personne se trouvait dans le logement
de l’appelant après son départ et à l’existence d’un risque que, sans une
intervention immédiate, celle-ci détruise des éléments de preuve s’y trouvant ».
Comme la filature des policiers n’avait révélé aucune preuve concluante de la
présence d’une personne à l’intérieur du logement, la croyance des policiers
[Page 442]
relevait de la « spéculation
ou du simple soupçon ». De plus, même
si la croyance en la présence d’une femme inconnue dans le logement de
l’appelant pouvait s’avérer raisonnable, rien n’indiquait que celle-ci était au
courant de l’arrestation du suspect et qu’elle était suffisamment liée ou
proche de l’accusé pour nuire au travail des policiers.
290. Pour satisfaire aux conditions prévues
au par. 11(7) de la LRCDAS, l’« urgence de la situation » doit
rendre l’obtention du mandat « difficilement réalisable ». Cette
exigence, selon le juge Brown dans R. c. Paterson, signifie que « l’obtention
d’un mandat soit impossible dans les faits ou inenvisageable ».
Il s’agit d’un critère à mi-chemin entre l’impossibilité absolue et le fait que
son obtention soit « peu pratique » ou « inconvéniente »
dans les circonstances. En somme, la
situation doit être à ce point urgente pour amener une personne raisonnable à
conclure que de « prendre le temps d’obtenir un mandat compromettrait
sérieusement l’objectif de l’intervention policière, qu’il s’agisse soit de
préserver la preuve, soit d’assurer la sécurité des policiers ou celle du
public ».
291. Le pouvoir de perquisitionner sans
mandat dans un lieu en raison d’une situation d’urgence rendant difficilement
réalisable son obtention, se retrouve également dans le Code criminel à
l’article 487.11. Comme ce pouvoir s’applique notamment aux situations visées
au par. 487(1), les policiers doivent avoir des motifs raisonnables de croire
qu’une infraction a été commise et que des éléments de preuve se trouvent dans
le lieu de la
[Page 443]
perquisition.
La situation est urgente lorsque les policiers doivent intervenir immédiatement
afin d’empêcher la perte ou la destruction imminente d’éléments de preuve ou
pour assurer la sécurité des policiers ou celle du public.
Discutant de la légalité d’une perquisition sans mandat effectuée par des
policiers dans le garage du suspect à la suite d’un accident mortel, le juge
Morin, de la Cour d’appel du Québec, souligne, dans R. c. Pichette, qu’« en
l’absence d’une intervention rapide des policiers, ceux-ci pouvaient
raisonnablement craindre que le conducteur du véhicule impliqué dans le délit
de fuite ne tente d’en faire disparaître les traces de sang ou de matière
humaine appartenant à la victime ».
Sixième
section : Les ordonnances de préservation ou de communication
292. Les articles 487.013 et suivants
prévoient plusieurs ordonnances visant la préservation, la localisation et la
communication de différentes données numériques ou financières.
L’ordonnance générale de communication prévue à l’article 487.014
[Page 444]
suppose l’existence
de « motifs raisonnables de croire », alors que les ordonnances
spécifiques sont subordonnées à la norme moins sévère des « soupçons
raisonnables ». L’ordonnance générale de communication ne devrait pas être
utilisée lorsque les données recherchées sont prévues dans le cadre
d’ordonnances de communication plus spécifiques, mais demeure pleinement
applicable à l’égard de celles qui n’y sont pas énumérées. Voyons brièvement en
quoi consistent ces ordonnances. 1) L’ordonnance de préservation :
données informatiques (art. 487.013)
293. L’article 487.013 permet à un juge de
paix ou à un juge, sur demande ex parte présentée par un agent de la
paix ou un fonctionnaire public, d’obliger une personne (p. ex. : un
télécommunicateur) à sauvegarder des données informatiques qui sont en sa
possession ou à sa disposition au moment de la réception de l’ordonnance de
préservation. L’émission d’une
telle ordonnance suppose l’existence de motifs raisonnables de soupçonner
qu’une infraction au Code criminel ou « à toute autre loi fédérale
[Page 445]
a été ou sera
commise » ou qu’une infraction à une loi étrangère « a été commise et
que les données informatiques sont en la possession de la personne » visée
par l’ordonnance ou « à sa disposition » et seront utiles aux fins de
l’enquête en cours. Pour rendre
l’ordonnance, le juge doit également être convaincu « qu’un agent de la
paix ou un fonctionnaire public a l’intention de demander ou a demandé la
délivrance d’un mandat ou d’une ordonnance en vue d’obtenir un document
comportant les données informatiques relativement à cette enquête ».
Comme il s’agit d’un ordre de préservation et non de communication, aucune
donnée informatique ne peut être obtenue aux termes de cette disposition. Dans
le cas d’une infraction à une loi étrangère, le juge de paix ou le juge doit
être convaincu qu’une enquête sur l’infraction reprochée est menée par une
personne ou par un organisme étranger habilité à ce faire.
L’ordre expire 90 jours après avoir été rendu à moins d’être révoqué avant
cette date. Il s’agit donc d’une
mesure temporaire visant à conserver les données assez longtemps pour permettre
à l’organisme d’enquête d’obtenir un mandat de perquisition ou une ordonnance
de communication. Enfin, mentionnons que l’ordonnance de préservation ne peut
s’adresser à la personne faisant l’objet de l’enquête en question. 2) L’ordonnance générale de
communication (art. 487.014)
294. Le par. 487.014(1) permet à un juge de
paix ou à un juge « d’ordonner à toute personne de communiquer un document
qui est la copie d’un document qui est en sa possession ou à sa disposition au
moment où elle reçoit l’ordonnance ou d’établir et de communiquer un document
comportant des données qui sont en sa possession ou à sa disposition à ce moment ».
Avant d’ordonner
[Page 446]
la communication du
document ou des données recherchées, le juge de paix ou le juge doit être
convaincu de l’existence de motifs raisonnables de croire « qu’une
infraction [au Code criminel] ou à toute autre loi fédérale a été ou
sera commise et que le document ou les données sont en la possession de la
personne ou à sa disposition et fourniront une preuve concernant la
perpétration de l’infraction ». L’ordonnance de communication est
subordonnée à la présence de « motifs raisonnables de croire » et non
de « motifs raisonnables de soupçonner ».
Les conditions prévues à l’article 487.014 reflètent donc les exigences
constitutionnelles énoncées dans Hunter c. Southam Inc..
Le juge peut, mais n’est pas obligé d’ordonner la communication des
documents (pouvoir
[Page 447]
discrétionnaire). En effet, il appartient au juge de mettre
en balance les droits protégés de la personne visée et l’intérêt du public dans
la recherche de la vérité. Plus l’impact de l’ordonnance sur les droits
constitutionnels de la partie concernée est important, plus les motifs au
soutien de la demande doivent être convaincants.
Les conditions régissant l’obtention d’une ordonnance de communication prévue
au par. 497.014(1) furent étudiées récemment par la Cour d’appel de l’Ontario
dans R. c. Kanthasamy. À
la suite d’une enquête concernant le vol de plusieurs remorques de camion, la
police croyait que le chauffeur d’un camion victime des malfaiteurs avait été
suivi par au moins deux véhicules et cinq personnes impliquées dans le vol.
Comme les policiers étaient convaincus que les suspects communiquaient entre
eux à l’aide de téléphones cellulaires afin de suivre les déplacements du
camion, ils ont demandé la délivrance d’une ordonnance de communication visant
les relevés de téléphone enregistrés par certaines tours de téléphonie
cellulaire se trouvant sur le passage du camion.
L’ordonnance ayant permis d’identifier les suspects, ces derniers contestèrent
sa
[Page 448]
légalité. En ce qui
concerne, tout d’abord, la présence des motifs raisonnables et probables de
croire, la Cour rejette la prétention des appelants voulant que la demande de
la police reposait uniquement sur des spéculations, de simples hypothèses selon
lesquelles des téléphones cellulaires avaient été utilisés par les voleurs afin
de suivre le camion. En effet, la poursuite du camion afin de déterminer le
trajet emprunté par le chauffeur nécessitait un effort concerté de la part des
malfaiteurs pour demeurer en contact entre eux. Sans écarter d’autres moyens de
communication possibles, comme l’utilisation d’appareils de radio
émetteurs-récepteurs, la Cour conclut que l’utilisation vraisemblable de
téléphones cellulaires constituait, en l’espèce, une « déduction conforme
au bons sens » qui permettait, avec d’autres éléments de preuve, la
délivrance de l’ordonnance de communication.
Quant à l’étendue de l’ordonnance, la Cour souligne sa portée limitée tant au
point de vue du nombre de tours visées (6 tours), que des dates couvertes par
la demande (deux jours), et de la durée de la période des relevés (40, 10, 15
et 20 minutes). « La demande n’étant pas plus intrusive que ce qui était
raisonnablement nécessaire pour atteindre l’objectif recherché », la Cour
rejette donc l’argument des appelants et confirme la légalité de l’ordonnance.
[Page 449]
295. Comme elles permettent d’identifier
l’abonné dont les activités informatiques sont sous enquête, les demandes
formulées à des fournisseurs de services Internet dans le but de recueillir des
renseignements à l’égard de l’utilisateur d’une adresse IP (p. ex. : nom,
adresse et numéro de téléphone) exigent l’obtention préalable d’une ordonnance
générale de communication délivrée en vertu du par. 487.014 (1) du Code.
Cette conclusion s’applique également aux demandes enjoignant à un fournisseur
de services de télécommunication de fournir les « relevés contenant tous
les messages textes entrants et sortants d’un compte d’abonné ».
Comme la demande ne s’adresse pas à « la communication prospective de
futurs messages textes », mais à la
production de relevés contenant des messages textes déjà existants, les
policiers n’ont pas à obtenir l’autorisation d’écoute électronique prévue à la
partie VI du Code. Sur ce point, la juge Côté, dans R. c. Jones, est
catégorique :
« Une ordonnance de communication ne
doit pas autoriser concrètement, ni potentiellement, la communication de tout
message
[Page 450]
texte qui n’existe pas encore ou dont la
transmission est encore possible au moment où l’ordonnance est délivrée. Cela
devrait ressortir clairement du texte même de l’ordonnance. Lorsque la
technique en cause constitue une interception visée au par. 184(1), la demande
doit à juste titre être rejetée et une autorisation visée à la partie VI doit
être obtenue. Une ordonnance de communication ne devrait pas être utilisée pour
éluder les exigences plus sévères qui s’appliquent à l’égard des autorisations
fondées sur la partie VI. »
296. En plus des renseignements relatifs à
une adresse IP et des relevés contenant des « messages textes conservés »,
l’ordonnance générale de communication prévue au par. 487.014(1) permet
d’obtenir le nom, l’adresse et les informations de facturation de l’abonné, le
plan des données de transmission et d’autres détails se rapportant aux appels
entrants et sortants. L’ordonnance générale
de communication n’est pas limitée à des renseignements spécifiques et peut
être adressée à toute personne qui ne fait pas l’objet de l’enquête en cours et
qui se trouve en la possession du document ou des données recherchées.
Contrairement au mandat général prévu à l’alinéa 487.01 du Code, l’ordonnance
générale de communication n’a pas un caractère résiduel, mais demeure
assujettie aux ordonnances plus spécifiques des articles 487.015 à 487.018. 3) L’ordonnance de communication :
données de transmission (art. 487.016) et données de localisation (art.
487.017)
297. Aux termes du par. 487.016 (1), le juge
de paix ou le juge peut « ordonner à toute personne d’établir et de communiquer
[Page 451]
un document
comportant des données de transmission qui sont en sa possession ou à sa
disposition au moment où elle reçoit l’ordonnance ».
Cette mesure est subordonnée à l’existence de « motifs raisonnables de
soupçonner (1) qu’une infraction au Code criminel ou à toute autre loi
fédérale a été ou sera commise et (2) que les données de transmission sont en
la possession de la personne ou à sa disposition et seront utiles à l’enquête
relative à l’infraction ». Encore une
fois, la personne visée par l’enquête ne peut être assujettie à l’ordonnance de
communication. Parmi les données
visées, mentionnons « l’adresse IP, les domaines et pages de sites Web
visitées, les protocoles de partage de fichiers et autres, les numéros de
paquets, les termes de recherche dans les moteurs de recherche et adresse de
courriel ». Quant au par.
487.017 (1),
[Page 452]
le juge de paix ou
le juge peut « ordonner à toute personne d’établir et de communiquer un
document comportant des données de localisation qui sont en sa possession ».
Les données de localisation sont définies, à l’article 487.011, comme des « données
qui concernent le lieu d’une opération ou d’une chose ou le lieu où est située
une personne physique (tracking data) ». Les coordonnées GPS constituent
des données de localisation pouvant être obtenues au moyen d’une telle
autorisation. La localisation d’un téléphone cellulaire au moyen d’informations
provenant d’antennes-relais ou de tours de transmission peut donc se faire à
l’aide d’une ordonnance de localisation. Le nom et l’adresse du détenteur d’un
téléphone cellulaire (renseignements relatifs à l’abonné « Subscriber
Information ») ne constituent pas des données de transmission ou de
localisation aux fins des articles 487.016 et 487.017. En
effet, « nothing in the scheme of the new Production Order provisions
suggests that Parliament intended Subscriber Information to be
[Page 453]
included in the
definitions of “Transmission Data” or “Tracking Data” or that it could be
obtained by satisfying the lower “reasonable grounds to suspect” standard.
Furthermore, nothing in the new Production Order provisions denies police the
opportunity to apply for Subscriber Information using the general Production
Order provisions contained in s. 487.014 of the Criminal Code ». Les
renseignements relatifs à l’abonné ne peuvent donc être obtenus au moyen d’une
ordonnance de transmission ou de localisation, mais à l’aide d’une ordonnance
générale de communication prévue à l’article 487.014. Pour ce faire, le juge de
paix ou le juge doit être convaincu de l’existence de « motifs
raisonnables de croire » et non seulement de « motifs raisonnables de
soupçonner ». Il en va
également des relevés d’utilisation (« detailed cellular telephone records »)
et de facturation (« billable or non-billable records »). 4) L’ordonnance de communication :
données financières (art. 487.018)
298. Soumise à la norme des « soupçons
raisonnables », l’ordonnance de communication prévue au par. 487.018(1)
permet à un agent de la paix ou à un fonctionnaire public d’obtenir d’une
institution financière ou de « toute personne ou entité visée à
[Page 454]
l’article 5 de la Loi
sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités
terroristes » un document énonçant les données suivantes : « le
numéro de compte de la personne nommée dans l’ordonnance ou le nom de celle
dont le numéro de compte y est mentionné, la catégorie du compte, son état et
la date à laquelle il a été ouvert ou fermé ». Dans le but de confirmer
l’identité de la personne sous enquête, la loi permet également de fournir « la
date de naissance de la personne qui y est nommée ou dont le numéro de compte y
est mentionné, son adresse actuelle et toutes ses adresses antérieures ».
L’ordonnance de communication de données financières permet donc l’obtention de
données spécifiques d’identification d’une institution financière. Comme
l’ordonnance générale de communication prévue au par. 487.014(1) s’applique
sous réserve des articles 487.015 à 487.018, les policiers doivent recourir aux
ordonnances plus spécifiques lorsque les données qu’ils souhaitent obtenir sont
contenues dans ces dispositions. Si les données financières recherchées ne sont
pas prévues au par. 487.018(1), l’ordonnance générale de communication demeure
toujours possible lorsque les policiers ont des motifs raisonnables de croire
qu’une infraction a été ou sera commise et que le document ou les données en possession
de l’institution financière fournira une preuve relativement à l’infraction
sous enquête. Un policier peut donc demander la délivrance à la fois d’une
ordonnance générale de communication (487.014) et d’une ordonnance de
communication de données financières (487.018) s’il respecte les exigences des
deux dispositions. En effet :
[Page 455]
« There is a good, practical reason for
this. It reminds both judicial officers and the applying police officer that
certain information such as that in a section 487.018 production order for
financial data can be authorized on reasonable suspicion. This is basic
identifying information that has little impact on a reasonable expectation of
privacy. But additional information, such as surveillance videos or photographs
like those requested in this case, attract a
[Page 456]
higher expectation of privacy and therefore
a higher threshold of reasonable grounds to believe must be met before the
order is granted. »
299. Le policier qui souhaite obtenir le nom
du titulaire du compte, sa date de naissance, son adresse, son numéro de
téléphone ainsi que d’autres documents tels qu’un relevé des transactions
effectuées, de la surveillance vidéo et des copies des documents d’ouverture de
compte, devrait donc demander
une ordonnance générale de communication pour les informations qui ne sont pas
spécifiquement décrites au par. 487.018 (ce qui inclut le numéro de téléphone),
et une ordonnance de communication de données financières pour les
renseignements qui y figurent expressément. L’ordonnance de communication de
données financières prévue à l’article 487.018 et l’ordonnance générale de
communication énoncée à l’article 487.014 du Code visent donc différents types
d’information. En effet, « section 487.018 may be
described as a precursor order, in the sense that it allows investigators to
obtain necessary account particulars in order to subsequently apply for
production of account-specific financial information ».
[Page 457]
Cette distinction,
une fois comprise, se reflète sur la nature des informations demandées et les
conditions qui précèdent l’application des deux dispositions.
Conclusion
300. L’article 8 protège la personne contre
les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives. Une fouille autorisée
par la loi ou la common law n’est pas abusive si la loi qui l’autorise, ou le
principe qui la reconnaît, respecte les exigences constitutionnelles et que son
exécution est raisonnable dans les circonstances.
301. Si l’article 8 protège la liberté de
l’accusé contre les ingérences injustifiées de l’État dans sa vie privée,
l’article 9 fait un pas de plus en garantissant au citoyen la liberté de
circuler librement et de ne pas être importuné par l’État sans juste cause.
[Page 459]
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