Chapitre premier - L’article 7
4. Aux termes de l’article 7 de la Charte :
« Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne;
il ne peut être porté atteinte à ce droit qu’en conformité avec les principes
de justice fondamentale. » Subordonné à la présence d’une atteinte au
droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne,
l’article 7 consacre « les éléments essentiels d’un système d’administration
de la justice fondé sur la foi en la dignité et la valeur de la personne
humaine et en la primauté du droit. » Comme les
articles 8 à 14 de la Charte « visent des atteintes spécifiques au “droit”
à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne qui violent les
principes de
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justice fondamentale »,
ce chapitre sera consacré à l’étude de deux principes reconnus en common law
qui, tout en étant protégés par la Charte, ne font pas l’objet d’une disposition
particulière. Le droit de garder le silence garanti par l’article 7, tout d’abord,
puisque le choix de parler ou non aux policiers est une manifestation du
principe interdisant l’auto-incrimination qui est, lui-même, un « principe
directeur général du droit criminel ». Ce principe, qui
s’incarne dans des protections plus spécifiques telles que le droit à l’assistance
d’un avocat (al. 10b)), le droit de ne pas être contraint de témoigner
contre soi-même (al. 11c)) et le droit à l’immunité contre l’utilisation
dans d’autres procédures de son propre témoignage incriminant (art. 13),
accorde également une protection résiduelle au droit de garder le silence. En
ce qui concerne l’obligation de divulgation du ministère public, celle-ci est
une composante du droit à une défense pleine et entière garanti par l’article
7. S’agissant d’un principe de justice fondamentale ne faisant pas l’objet d’une
protection spécifique, son étude sera abordée dans le cadre de ce chapitre
consacré à l’article 7. À l’analyse de la règle des confessions et du droit de
garder le silence, succédera un examen de l’obligation de divulgation de la
preuve qui incombe au ministère public en droit pénal canadien.
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Première
section : La règle des confessions et le droit de garder le silence
5. Malgré la présence de recoupements
importants, la règle des
confessions et le droit de garder le silence ne sont pas des concepts
équivalents. Si l’un et l’autre s’éclairent mutuellement en raison de leur
attachement respectif à la notion de libre arbitre, la règle des confessions et
le droit de garder le silence se distinguent quant à la portée des
droits reconnus, quant au fardeau de la preuve qui incombe à la partie
concernée ainsi qu’à la réparation consécutive à leur violation.
6. À la portée des droits reconnus,
tout d’abord, puisque le droit de garder le silence garanti par l’article 7 de
la Charte n’entre en jeu qu’après la mise en détention du suspect,
tandis que la
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règle des
confessions s’applique chaque fois que l’accusé croit raisonnablement qu’il s’adresse
à une personne en situation d’autorité. La règle des confessions a donc « une
portée plus grande » que le droit de garder le silence.
Envisagée du point de vue du fardeau de la preuve, la Charte impose à l’accusé
la charge d’établir, selon la prépondérance des probabilités, que son droit au
silence a été violé, alors que la règle des confessions exige de la poursuite
la preuve, hors de tout doute raisonnable, du caractère volontaire de la
déclaration. En ce qui concerne finalement la réparation consécutive à
la violation de la règle ou du droit en question, la déclaration obtenue en
contravention du droit de l’accusé de garder le silence est écartée s’il est
établi, eu égard aux circonstances, que son utilisation est susceptible de
déconsidérer l’administration de la justice, alors que l’aveu obtenu à la suite
d’une violation de la règle des confessions doit être exclu sur-le-champ.
7. Droit de garder le silence et règle des
confessions. Voilà donc deux façons différentes de protéger le droit du suspect
« de faire un choix libre et utile quant à la décision de parler aux
autorités ou de garder le silence ». S’il est vrai
que le droit de garder le silence doit céder le pas à la common law lorsque le
détenu s’adresse à un policier ou à un gardien de prison identifiable comme tel,
sa pertinence demeure entière lorsque la déclaration a été
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recueillie par un
agent banalisé, un codétenu ou un autre informateur « recruté par la
police ».
Première sous-section : La
règle des confessions
8. Selon le juge Dickson, dans R. c. Erven,
« il est maintenant bien établi au Canada qu’aucune déclaration
extrajudiciaire d’un accusé à une personne ayant autorité ne peut être admise
en preuve contre lui à moins que la poursuite n’établisse à la satisfaction du
juge du procès que la déclaration a été faite librement et volontairement ».
Si la première condition exige la présence d’une personne en autorité, la
seconde oblige la poursuite à démontrer le caractère volontaire de la
déclaration hors de tout doute raisonnable. Cette règle, mise de l’avant afin
de contenir le pouvoir coercitif de l’État et de protéger l’accusé contre l’auto-incrimination,
reconnaît les dangers associés à la crainte d’un préjudice, à l’espoir d’un
avantage ou à l’instauration d’un climat d’oppression favorable à l’obtention d’une
fausse déclaration.
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1) La personne en autorité
9. D’après le juge Cory, dans R. c. Hodgson,
une personne en autorité désigne, de façon générale, « toutes les
personnes qui participent officiellement à l’arrestation, à la détention, à l’interrogatoire
ou à la poursuite de l’accusé ». Comme il n’existe
pas de catégorie prédéfinie de personnes en situation d’autorité,
chaque cas est unique et doit être tranché en fonction des faits de l’affaire.
S’il est évident que les policiers et les gardiens de prison en uniforme
correspondent, à première vue, à cette définition, il est plus difficile de se
prononcer sur le cas des personnes qui, en agissant pour le compte de la police
ou en étroite collaboration avec elle, peuvent influencer les poursuites
engagées contre l’accusé. La règle ne s’applique donc pas uniquement aux
personnes en situation d’autorité au sens « classique » ou « traditionnel »
du terme, mais également à celles qui peuvent influer sur l’enquête ou les
poursuites judiciaires.
10. Selon la Cour suprême, dans les arrêts Hodgson
et Grandinetti, le critère utilisé pour déterminer si l’accusé s’adressait
à une personne en situation d’autorité est la fois subjectif et objectif.
Subjectif, tout d’abord, puisque l’accusé doit croire qu’il s’adresse à
une personne en situation d’autorité. À ce stade, c’est la perception de l’accusé
qui compte, ce qu’il a cru ou pensé au moment de sa déclaration.
En effet, « [à] qui l’accusé croyait-il
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parler ? [...]
Avait-il l’impression que s’il ne parlait pas à cette personne, qui avait le
pouvoir d’influencer les poursuites judiciaires, il en subirait un préjudice,
ou croyait-il qu’une déclaration lui permettrait d’obtenir un avantage ou une
récompense ? ». Si l’accusé ne
croyait pas s’adresser à une personne en situation d’autorité, la première
condition n’est pas remplie et la déclaration sera admise en preuve. On n’a qu’à
penser à l’individu qui confesse la commission d’un crime à un collègue de
travail. Comme l’accusé croyait s’adresser à un ami, il n’y a pas lieu de
penser que sa déclaration fut obtenue par crainte d’un préjudice ou dans l’espoir
d’un avantage.
11. Si la croyance de l’accusé est
pertinente au stade de la qualification de la personne en situation d’autorité,
encore faut-il qu’elle soit raisonnable dans les circonstances (critère objectif).
En effet, l’accusé doit croire sincèrement et pour des motifs raisonnables qu’il
s’adresse à une personne pouvant influencer le déroulement des poursuites
judiciaires. « Par exemple, si la preuve révèle l’existence d’un lien de
mandataire ou d’une collaboration étroite entre la personne recevant la
déclaration et les policiers ou le ministère public, et que ces rapports
étaient connus de l’accusé, la personne qui reçoit la déclaration peut être
considérée comme une personne en situation d’autorité. »
Quant à la croyance qui relève de la pure spéculation ou de l’imagination du
suspect, celle-ci n’est pas suffisante à ce stade.
Subjective, la croyance de
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l’accusé en la
présence d’une personne en situation d’autorité l’est certainement. Objective,
elle l’est également puisque à moins de reposer sur des motifs raisonnables, la
perception de l’accusé ne sera pas suffisante pour satisfaire au premier
critère. La croyance de l’accusé doit donc être sincère (critère subjectif) et
raisonnable dans les circonstances (critère objectif).
12. Comme la preuve se rapportant à la
présence d’une personne en situation d’autorité relève en grande partie de l’accusé,
il incombe à ce dernier « d’établir qu’il y a au dossier des éléments de
preuve à l’appui de son affirmation que la personne à qui il a fait une
déclaration est une personne en autorité ». La
plupart des déclarations incriminantes se faisant à des policiers ou à d’autres
agents de la paix identifiables comme tels, l’accusé s’acquittera de son
fardeau de présentation en démontrant qu’il connaissait le statut de la
personne en question. Dans ce cas, l’obligation de tenir un voir-dire s’impose,
sauf si l’avocat de l’accusé renonce à cette procédure et consent à l’admission
de la preuve. Lorsque celui
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qui reçoit une
déclaration n’est pas une personne en situation d’autorité au sens « classique »
ou « traditionnel » du terme, il appartient généralement à l’accusé « de
soulever la question et de demander la tenue d’un voir-dire ».
L’accusé s’acquittera de son fardeau de présentation s’il démontre l’existence
d’un lien étroit entre la personne qui a reçu la déclaration et les autorités
policières ou chargées des poursuites. À défaut de soulever la question, le
juge du procès devra tenir un voir-dire s’il est « convaincu que, si l’accusé
avait été conscient du lien entre la personne qui a reçu sa déclaration et les
autorités, il aurait raisonnablement pu croire que cette personne agissait en
tant que mandataire des policiers ou des autorités chargées des poursuites et
que, de ce fait, elle était capable d’influencer les poursuites contre lui ».
Si l’existence d’un lien étroit entre la personne qui reçoit la déclaration et
les autorités peut commander la tenue d’un voir-dire, l’examen qui s’ensuit
vise à déterminer si l’accusé croyait raisonnablement que la personne qui a
reçu la déclaration « agissait pour le compte de la police ou des
autorités chargées des poursuites ». Dans l’affirmative,
le ministère public devra prouver hors de tout doute raisonnable le caractère
volontaire de la déclaration.
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13. S’il est vrai qu’un policier ou un
gardien de prison en uniforme est une personne en situation d’autorité, que les
déclarations faites à des amis ou à d’autres personnes ordinaires ne répondent
généralement pas à cette définition, qu’en est-il des personnes qui, en raison
des liens qu’elles entretiennent avec l’accusé, la victime ou l’infraction,
peuvent influencer le cours des poursuites ? À l’analyse de la situation
des codétenus, agents banalisés et agents doubles, succédera un examen du
statut de la victime, de ses proches, des directeurs d’écoles et autres agents
de sécurité.
14. a) Codétenu agissant comme indicateur
de la police, agents banalisés et agents doubles : Subordonnée à la
croyance subjective de l’accusé qu’il s’adresse à une personne en situation d’autorité,
l’obligation de prouver le caractère volontaire de la déclaration incriminante
ne s’applique pas aux aveux faits à des compagnons de cellule, qu’il s’agisse d’un
codétenu agissant ou non pour le compte de la police ou d’un agent banalisé.
Discutant de l’admissibilité d’une déclaration faite par un suspect à un
policier habillé en civil qui fut placé dans la même cellule afin de recueillir
des renseignements compromettants, le juge Martland, dans R. c. Rothman,
réitère l’importance de la perception subjective de l’accusé. Comme l’agent
Knight se faisait passer pour un chauffeur de camion qui était en prison à
cause d’une contravention aux règles de la sécurité routière, le détenu ne
croyait pas s’adresser à une personne en situation d’autorité. La déclaration
faite à un agent banalisé ou à un codétenu agissant ou non pour la police n’est
donc pas soumise à la règle des confessions. Il en va également des
déclarations faites par un suspect dans le cadre d’opérations secrètes d’infiltration,
qu’il s’agisse d’enquêtes traditionnelles ou d’opérations de type « Monsieur
Big ». Sur ce point,
citons la décision de la Cour suprême dans R. c. Grandinetti.
Soupçonnant l’accusé d’être impliqué dans le meurtre de sa tante, la police
avait mis sur pied une opération secrète au cours de laquelle plusieurs
policiers prétendaient appartenir à une organisation criminelle
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fictive. Après avoir
gagné la confiance de l’accusé et signifié que sa participation aux activités
illégales pourrait s’accroître, des agents doubles lui ont laissé croire qu’ils
pouvaient, grâce à leurs contacts avec des policiers corrompus, faire
disparaître les soupçons que la police avait à son égard. Comme l’accusé
refusait encore de parler, les agents lui ont mentionné que la poursuite de l’enquête
sur le meurtre pourrait nuire à leurs activités criminelles et qu’il devait « se
mettre à table » afin d’éviter que les policiers s’ingèrent dans leurs
affaires. M. Grandinetti avoua la commission du meurtre. D’après la juge
Abella, qui s’exprimait au nom de la Cour, « l’appelant croyait que les
agents doubles étaient des criminels, pas des policiers, même s’il pensait que
ces criminels avaient des liens avec des policiers corrompus susceptibles d’influencer
l’enquête dont il était l’objet. Lorsque, comme en l’espèce, l’accusé avoue son
crime à un agent double qu’il croit en mesure d’influencer, grâce au concours
de policiers corrompus, l’enquête dont il fait l’objet, le pouvoir coercitif de
l’État n’est pas en cause. Les déclarations n’ont donc pas été faites à une
personne en situation d’autorité ». Encore une fois,
« la règle des confessions ne s’applique qu’à l’égard des déclarations
faites à une personne en situation d’autorité. L’agent double, dont l’accusé
ignore qu’il agit à titre d’autorité de l’État, ne fait pas partie de cette
catégorie ».
15. b) La victime et ses proches
(famille, conjoint, ami, connaissance) : Consterné par la découverte
qu’un proche a été victime d’un acte criminel, il arrive parfois – souvent même
– qu’un parent, conjoint ou ami de la victime confronte l’accusé relativement
aux actes reprochés. La présentation d’excuses ou de justifications étant
fréquente, il convient de s’interroger sur le statut des personnes qui ont reçu
de telles déclarations. Sur ce point, trois décisions retiennent
particulièrement notre attention. Il s’agit des arrêts Hodgson,
S.G.T. et Wells.
Dans R. c. Hodgson,
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l’appelant, qui
était un ami de la famille de la victime, fut accusé d’avoir agressé
sexuellement la plaignante à plusieurs reprises pendant qu’il gardait la jeune
fille avec ses frères et sœurs. Après avoir conservé le silence pendant des
années parce qu’elle craignait des représailles, la victime a finalement avoué
son terrible secret à sa mère. Mis au fait des agressions, la mère, le père et
le beau-père de la plaignante se sont rendus, avec elle, au lieu de travail de
l’accusé afin de le confronter. L’appelant, selon les personnes concernées,
aurait alors admis avoir agressé sexuellement la victime à plusieurs reprises.
Il aurait également exprimé des regrets et affirmé qu’il « savait que ça
finirait par lui retomber sur le nez ». Son avocat ne s’étant
pas opposé à l’admission de la déclaration extrajudiciaire, la Cour suprême
devait décider si le juge du procès avait commis une erreur en ne tenant pas d’office
un voir-dire afin de déterminer si les déclarations de l’accusé avaient été
faites à des personnes en situation d’autorité. Dans un jugement étoffé, le
juge Cory répond par la négative. Selon ce dernier, « rien n’indiquait que
la plaignante ou les membres de sa famille avaient parlé aux policiers ou à
quelque autre personne en situation d’autorité, ou envisageaient même de
déposer une plainte. De même, rien ne tendait à indiquer que l’appelant croyait
subjectivement que la famille de la plaignante avait quelque pouvoir à l’égard
des procédures criminelles. Dans ces circonstances, il est impossible d’affirmer
que le juge du procès a commis une erreur en ne tenant pas d’office un
voir-dire ».
16. Dans R. c. S.G.T.,
la Cour devait se prononcer sur l’admissibilité en preuve d’un courriel
adressé à la mère d’une victime d’agression sexuelle. La plaignante, qui est la
fille de l’ancienne conjointe de l’accusé, fut adoptée par ce dernier à la
suite de son mariage avec sa mère. Le couple s’étant séparé quelques années
plus tard, une entente de garde partagée fut conclue entre les deux parties. La
jeune fille devant habiter chez son père deux jours par semaine, un week-end
sur deux et un mois pendant l’été,
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celle-ci informa une
amie, puis sa mère, du comportement sexuel déplacé de son père. La mère de la
jeune fille ayant communiqué avec la police, on lui demanda de rappeler plus
tard car le service spécialisé dans les cas d’agression sexuelle n’était pas
encore ouvert au moment de l’appel. La mère de la victime préféra laisser
tomber l’affaire. Environ un an plus tard, la plaignante fit part des gestes
inappropriés de son père à sa conseillère d’orientation qui contacta aussitôt
la police. Accusé d’avoir procédé à trois reprises à des attouchements sexuels
sur la victime, l’appelant fit parvenir un courriel à la mère de la plaignante
dans lequel il s’excusa du mal qu’il avait pu causer à sa fille. L’appel du verdict
de culpabilité ayant été accueilli en raison du fait que le juge du procès n’avait
pas tenu d’office un voir-dire sur l’admissibilité du courriel, la Cour suprême
écarta la décision de la Cour d’appel de la Saskatchewan et conclut à l’absence
de personne en situation d’autorité. En effet :
« S.G.T. n’a pas témoigné qu’il croyait
que la mère de A avait pouvoir ou influence sur l’instance. Même si c’était le
cas, toute croyance subjective doit reposer sur un fondement factuel
raisonnable. Rien ne prouve que la mère pouvait exercer le moindre pouvoir sur
la poursuite en justice de S.G.T. ou qu’elle agissait pour le compte des
enquêteurs. En fait, c’est plutôt le contraire qui ressort de la preuve.
Lorsque la mère de A a appelé la police après que sa fille l’a [sic]
mise au fait des incidents en 2003, on lui a demandé de rappeler parce que le
service compétent n’était pas ouvert à ce moment-là. Elle n’a jamais rappelé
parce qu’elle redoutait les répercussions qu’une plainte pourrait avoir sur son
fils, B. La police n’a commencé à faire enquête sur S.G.T. qu’en 2004, après
les révélations faites par A aux autorités scolaires (dossier de l’appelante,
p. 80). Dans ces circonstances, rien dans la preuve n’indiquait au juge du
procès que la mère de A put avoir un autre statut que celui de témoin
ordinaire. J’en conclus donc que le juge du procès n’a pas commis d’erreur en
ne tenant pas de voir-dire pour déterminer si la mère de A était une personne
en autorité. »
[Page 18]
17. En ce qui concerne la décision de la
Cour suprême dans R. c. Wells, celle-ci
constitue un des rares cas où, malgré l’inaction de l’avocat de l’accusé, le
juge du procès se devait de tenir d’office un voir-dire pour déterminer si les
parents étaient des personnes en situation d’autorité et, dans l’affirmative,
si les déclarations avaient été faites volontairement. Informé que le fils de
S.T. avait été victime d’attouchements sexuels de la part de l’accusé, G.D. s’est
rendu avec son ami S.T. au détachement local de la GRC afin de discuter de la
situation avec un policier. À la suite de deux rencontres, G.D. et S.T. ont
décidé, d’un commun accord, de tendre un piège à l’accusé afin de l’amener à
confesser ses crimes. Ce piège consistait essentiellement à confronter l’accusé
aux allégations reprochées pour ensuite examiner sa réaction. L’accusé ayant
admis avoir accidentellement touché le pénis du fils de S.T., G.D. demanda à
son garçon et à son neveu si l’accusé les avait également touchés, ce à quoi
ils répondirent par l’affirmative. L’accusé ayant nié ces allégations, G.D. le
saisit par les cheveux et lui plaça un couteau sous la gorge. Après avoir dit à
l’accusé qu’il pourrait le tuer pour ce qu’il a fait à ses enfants, ce dernier
affirma : « J’aimerais que tu le fasses. Je ne sais pas ce qui cloche
en moi. » G.D. ayant
laissé tomber le couteau puis asséné un coup de poing à l’accusé, il obligea ce
dernier à s’excuser auprès des enfants. À ce moment, l’accusé aurait dit :
« Je n’ai jamais voulu vous faire du mal et j’ai eu tort de vous toucher.
Je suis désolé. » L’avocat de l’accusé
ne s’étant pas opposé à l’admission des déclarations incriminantes, le Tribunal
devait déterminer si le juge du procès avait commis une erreur en ne tenant pas
d’office un voir-dire. Comme G.D. et S.T. avaient rencontré des policiers au
détachement local de la GRC au sujet des événements en question et qu’ils
avaient décidé par la suite de tendre un piège à l’accusé afin de lui soutirer
un aveu, « il est raisonnable de conclure que le juge du procès aurait dû
demander à l’avocat de la défense s’il voulait ou non renoncer
[Page 19]
à la tenue d’un
voir-dire en ce qui concerne les déclarations contre intérêt faites par l’intimé
à G.D. ».
18. Cette analyse sur le statut des proches
de la victime ayant reçu un aveu ou une déclaration incriminante de la part de
l’accusé ne serait pas complète sans parler des décisions rendues par les
autres tribunaux à travers le Canada. Sur ce point, les jugements sont assez
nombreux et éloquents pour fixer le droit positif sur la question. L’individu
qui est confronté par un proche de la victime et qui admet sa participation
dans la commission d’un crime parce qu’il craint que son interlocuteur va
détruire sa réputation (« I know what you did. You have one chance to tell
the truth or I will go so public it will make your head spin »), ne s’adresse
pas à une personne en situation d’autorité s’il ne croit pas raisonnablement
que ce dernier agissait alors pour le compte de la police ou des autorités
chargées des poursuites. Il en va ainsi de la
déclaration obtenue à la suite de menaces de porter plainte à la police
s’il n’avoue pas son crime (« I will call the police if you do not tell me »)
ou de la promesse de ne pas appeler la police s’il
[Page 20]
admet son délit (« I
won’t call the police if you tell me »). S’il est vrai que l’accusé peut
croire que la plaignante ou l’un de ses proches est en mesure d’influencer la
poursuite en gardant le silence sur les événements en question, la preuve doit
indiquer la présence d’autres facteurs pouvant démontrer qu’ils agissaient
alors en tant que mandataires des policiers ou des autorités chargées des
poursuites. C’est la protection de l’accusé contre le comportement coercitif de
l’État qui compte. « Dans les cas où les parents ont été considérés comme
personnes en autorité, il y avait généralement une certaine interaction entre
la police et eux. » En effet, ce n’est
pas parce que la plaignante a le pouvoir de freiner le cours de la justice en
choisissant de ne pas porter plainte à la police, qu’elle possède
nécessairement la capacité d’influencer
[Page 21]
le déroulement de l’enquête
ou de la poursuite engagée contre l’accusé. En sens
contraire, la plaignante qui s’entend avec la police pour menacer l’accusé de
le dénoncer s’il ne parle pas agit pour le compte de l’État. Dans ce cas, « si
l’accusé parle par crainte de représailles ou dans l’espoir d’obtenir un
avantage parce qu’il croit raisonnablement que la personne qui reçoit sa
déclaration agit à titre de mandataire de la police ou des autorités chargées
des poursuites et qu’elle pourrait par conséquent avoir quelque influence ou
pouvoir sur les poursuites engagées contre lui, cette personne est alors à
juste titre considérée comme une personne en situation d’autorité ».
Quant à l’aveu arraché à la suite de l’emploi de la force ou de menaces d’emploi
de la force, le principe demeure le même : « [N]o matter how brutal
the circumstances of the extraction of these statements were, they do not, in
my view, meet or come
[Page 22]
anywhere close to
satisfying me that they were made to a person in authority. »
19. c) Directeurs d’école et agents de
sécurité : À l’image de la victime et de ses proches, les directeurs d’école
peuvent parfois être considérés comme des personnes en situation d’autorité.
Encore une fois, l’analyse est contextuelle et interdit toute catégorisation
fondée exclusivement sur la position ou la qualité de la personne qui reçoit la
confession. Statuant sur un pourvoi
logé à l’encontre d’un jugement de culpabilité relativement à des accusations
de trafic de cannabis et de possession en vue de trafic, la Cour d’appel du
Québec, dans LSJPA-165, écarte la décision de la juge de première
instance de ne pas reconnaître le directeur d’école comme une personne en
situation d’autorité. Comme il incombe à l’accusé
d’établir qu’il y a des éléments de preuve à l’appui de sa croyance que le
directeur d’école avait « quelque pouvoir ou influence sur les poursuites
qui pourraient être engagées contre lui », il
suffira, dans la plupart des cas, « que l’accusé démontre qu’il
connaissait l’existence d’un lien de mandataire ou d’une étroite collaboration
entre le directeur et la police ou les autorités chargées des poursuites ».
Le directeur d’école qui interroge un étudiant de 16 ans soupçonné d’être en
possession de stupéfiants avec la volonté de transférer le dossier à la police,
peut donc être considéré comme une personne en situation d’autorité
[Page 23]
si, à la lumière des
circonstances de l’affaire (utilisation dans le cours de l’enquête d’un
policier à la retraite comme maître chien, appel à la police dans les cas de
violations graves du code de vie de l’école, etc.),
l’étudiant croyait raisonnablement en l’existence d’un lien suffisamment étroit
entre le directeur d’école et la police. Il en va
également des déclarations recueillies par un
[Page 24]
agent de sécurité
embauché par une école ou une entreprise
privée. Si l’intervention de l’agent de sécurité ne se limite pas à l’application
d’une sanction disciplinaire ou d’une procédure alternative (p. ex. :
lettre de demande de recouvrement au civil), mais peut se traduire,
conformément à l’usage ou à une procédure habituelle, par un signalement à la
police, il y a un lien suffisamment étroit avec les autorités chargées des poursuites
pour que la personne soit en situation d’autorité.
20. Ainsi, sous réserve des policiers et des
gardiens de prison en uniforme, il n’existe pas de catégories d’individus
correspondant d’emblée à cette définition. L’analyse, rappelons-le, est
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contextuelle et
exclut toute conclusion fondée uniquement sur la qualité ou le statut de la
personne. Qu’il s’agisse d’un « parent »
[Page 26]
ou d’un « médecin »,
d’une « ambulancière » ou d’un « enseignant »,
d’un « employeur » ou d’une « travailleuse sociale »,
importe peu. Ce qui compte est la perception raisonnable de l’accusé selon
laquelle l’individu est « un allié des autorités étatiques pouvant
influencer l’enquête ou les poursuites le visant ».
Si l’accusé s’acquitte de son fardeau de présentation, le ministère public doit
alors prouver que l’accusé ne croyait pas raisonnablement que son interlocuteur
était une personne en situation d’autorité ou, s’il le croyait, que la
déclaration était volontaire au sens de la règle des confessions.
2) Le caractère volontaire de la
déclaration incriminante
21. À l’image d’une équation dont les
facteurs pertinents constituent les variables, le caractère volontaire de la
déclaration incriminante transparaît à travers les circonstances qui président
à
[Page 27]
son obtention. L’analyse
est contextuelle. Elle vise « à déterminer, en tenant compte de toutes les
circonstances, si la volonté de l’accusé a été subjuguée par les autorités au
point de vicier le caractère volontaire de sa déclaration ».
Ainsi, mis à part les cas les plus flagrants de menaces, de promesses ou d’oppression,
chaque cas est unique et doit être apprécié à la lumière des faits de l’affaire.
Plus l’action reprochée aux policiers est en mesure d’ébranler la volonté du
suspect, plus la déclaration obtenue sera susceptible d’être écartée. Une
contravention moins significative peut également justifier l’exclusion de la
confession si, une fois combinée à d’autres facteurs pertinents, la déclaration
n’était pas volontaire. De façon générale, les causes pouvant miner le
caractère volontaire de la déclaration sont a) les menaces ou promesses,
b) l’existence d’un climat d’oppression, c) l’absence d’un état d’esprit
conscient et d) l’utilisation des autres ruses policières pouvant compromettre
l’intégrité du système de justice pénale. Voyons
brièvement en quoi consistent ces facteurs d’appréciation.
22. a) Les menaces ou promesses :
Les déclarations obtenues « par crainte d’un préjudice ou dans l’espoir d’un
avantage » occupent le
premier rang des causes d’involontaire en droit pénal canadien. S’il est
évident que la torture ou les menaces de recourir à la force vicient le
caractère volontaire de la déclaration, qu’en est-il des menaces plus subtiles,
des encouragements qui, en opérant sur l’esprit de l’agent, minent également
son choix de parler ou non aux policiers. Sur ce point, les tribunaux sont
catégoriques : les déclarations obtenues « par crainte d’un préjudice
ou dans l’espoir d’un avantage » sont inadmissibles en droit pénal
canadien
[Page 28]
lorsqu’elles privent
l’individu de sa volonté de parler ou non aux policiers. La crainte d’un
préjudice, tout d’abord, puisque l’enquêteur qui explique à une femme
soupçonnée d’avoir infligé des blessures à son bébé de deux mois qu’elle
pourrait ne plus revoir son enfant en l’absence d’une explication vraisemblable
quant aux blessures subies par ce dernier agit à ses risques et périls.
Il en va de même du policier qui affirme à un suspect dans une affaire de
meurtre que s’il ne donne pas sa version de l’histoire,
le jury
[Page 29]
sera informé du fait
qu’il ne se préoccupe pas du défunt et refuse tout simplement d’en parler.
Encore une fois, l’analyse est contextuelle. La simple présence de menaces de
préjudice ou de représailles n’est pas toujours suffisante en soi pour vicier
le caractère volontaire de la déclaration. Dans ce cas, le tribunal doit
considérer l’ensemble des faits et déterminer, à la lumière des circonstances
de l’affaire, si l’effet cumulatif des facteurs pertinents ayant mené à l’obtention
de la déclaration a privé l’accusé du choix de parler ou non aux policiers.
Sans être déterminantes à tous coups, les menaces proférées à l’endroit de l’accusé
peuvent constituer une cause active (operating factor) et contributive (causally
related) dans l’obtention d’une confession. Cela est particulièrement vrai
lorsque les menaces ont joué un rôle décisif dans la décision de l’accusé de
parler au policier et sont contemporaines à l’obtention de la déclaration
incriminante.
23. En ce qui concerne les déclarations
obtenues dans « l’espoir d’un avantage », le même principe s’applique.
La perspective de clémence qui subjugue la volonté de l’agent rend sa
déclaration inadmissible. On n’a qu’à penser au policier qui promet au suspect
de réduire les accusations de meurtre à un homicide involontaire coupable s’il
confesse son crime (réduction des
accusations), à celui qui affirme au prévenu qu’il va obtenir une peine
réduite s’il parle tout de suite (diminution de la
peine) ou à l’enquêteur qui
[Page 30]
laisse entendre à
deux jeunes hommes qu’aucune accusation ne sera portée contre eux en échange de
leur collaboration (influencer le cours
de la poursuite). Dans tous ces cas, la volonté de l’accusé est ébranlée et
la perspective de clémence, à elle seule ou combinée à d’autres facteurs,
pourra miner le caractère volontaire de la déclaration. En sens contraire, le
policier qui répète à l’accusé que la responsabilité de déterminer la nature
des accusations qui seront portées contre lui revient à la poursuite ou qui
explique que la décision du ministère public de poursuivre pour un meurtre ou
[Page 31]
un homicide
involontaire coupable n’est pas encore prise, n’agit pas illégalement s’il ne
laisse pas miroiter à l’accusé la possibilité d’influencer ce choix en retour d’une
confession. Cette conclusion s’applique
également aux explications se rapportant aux différents niveaux de
responsabilité lorsqu’une personne décède. À cet égard,
il est évident que la décision de parler peut influencer le choix final du
procureur et le policier qui souligne ce fait, sans promettre quoi que ce soit
en retour, n’agit pas illégalement. En
[Page 32]
somme, « le
fait pour les policiers d’offrir explicitement au suspect de lui obtenir un
traitement clément en retour d’une confession est manifestement un
encouragement très puissant et justifiera l’exclusion de la confession, sauf
dans des circonstances exceptionnelles ».
24. Sera également considérée comme une
forme d’encouragement, l’offre d’aide ou d’assistance psychiatrique faite à un
accusé dans le cours normal d’un interrogatoire policier. Sur ce point, les
tribunaux distinguent selon que l’offre d’assistance est conditionnelle ou non
à l’obtention d’une déclaration. Le policier qui mentionne à l’accusé qu’il a « besoin
d’aide », que « vider
son sac est une étape importante de la thérapie »,
que des professionnels de la santé « pourraient l’aider »
ou qu’il est prêt à lui « fournir l’assistance nécessaire »,
ne promet rien à
[Page 33]
l’accusé.
Il en va ainsi de l’enquêteur qui, après avoir invité le suspect à « vider
son cœur », lui dit qu’il serait prêt à l’aider à régler son problème si
dans le futur il avait besoin d’aide avec sa situation.
Comme cette proposition n’implique aucune contrepartie, celle-ci ne pose pas de
difficulté aux tribunaux. Il en va autrement de l’offre du policier de fournir
de l’aide psychologique à l’accusé
[Page 34]
en retour d’une
confession. L’offre d’assistance étant conditionnelle à l’obtention de l’aveu,
le tribunal devra déterminer si l’encouragement, à lui seul ou combiné à d’autres
facteurs, a eu pour effet de subjuguer la volonté de l’accusé en jouant un rôle
décisif dans sa décision de parler aux policiers. L’offre d’assistance
conditionnelle qui amène le suspect à parler aux policiers, sans toutefois le
dérober de sa volonté, doit donc être examinée
à la lumière des autres facteurs de pondération. En effet, « bien qu’il s’agisse
clairement d’un encouragement, une telle offre n’a pas autant de poids qu’une
offre de clémence et il faut, dans un tel cas, tenir compte des circonstances ».
Il est donc plutôt rare que ce facteur entraîne à lui seul l’exclusion de la
preuve.
25. Les « menaces » ou « promesses »
qui sont dirigées à l’endroit des membres de la famille de l’accusé ou de ses
proches peuvent également vicier le caractère volontaire de la déclaration.
[Page 35]
L’agent de police
qui menace le suspect d’arrêter sa fiancée s’il ne confesse pas son crime
exerce une pression sur la volonté du sujet qui peut l’amener à s’auto-incriminer
indépendamment de la fiabilité de sa déclaration. Si la présence d’une « contrepartie
constitue un facteur important pour établir l’existence d’une menace ou d’une
promesse, c’est l’importance des encouragements offerts, eu égard à l’individu
et à la situation dans laquelle il se trouve, qu’il faut prendre en
considération dans l’analyse contextuelle globale du caractère volontaire de la
déclaration ». Plus la promesse
ou la menace visant un tiers est forte, plus les chances qu’elle subjugue la
volonté de l’accusé sont élevées. Une menace portant sur un objet moins
compromettant peut également ébranler la volonté du suspect si ce dernier se
trouve dans une situation psychologique précaire. La contrepartie est donc
importante, sans être nécessaire ou déterminante. L’agent qui promet au suspect
qu’aucune accusation ne sera portée contre sa conjointe s’il passe aux aveux (promesse),
qui laisse miroiter la perspective d’un traitement plus clément pour
celle-ci en échange d’une confession (promesse), qui mentionne à l’accusé
que sa conjointe ira en prison s’il ne collabore pas à l’enquête
(menace) ou qui affirme que sa mère sera accusée à moins qu’il admette
la possession de l’arme du crime (menace) offre une contrepartie dont la
nature et l’incidence sur la volonté de l’accusé sont sans équivoque.
Il en va autrement des « encouragements de moindre importance », de
ces
[Page 36]
promesses qui, tout
en exerçant une pression sur la volonté du sujet, ne sont généralement pas
suffisantes pour miner son choix de parler ou non aux policiers.
C’est l’exemple de l’inspecteur qui mentionne au suspect qu’il pourra
rencontrer sa petite amie qu’après avoir confessé son crime,
ou qui l’informe de l’inutilité d’enquêter plus à fond ou d’interroger sa
fiancée s’il passait aux aveux. S’agissant d’encouragements de moindre
importance, il est peu probable que leur présence soit suffisante en soi pour
écarter une déclaration. Quant aux encouragements, sans offre de
contrepartie, qui font appel aux sentiments de l’accusé pour sa famille ou
un proche, ils demeurent également soumis à l’analyse contextuelle développée
par la Cour suprême dans R. c. Spencer. On n’a qu’à penser au
policier qui mentionne à l’accusé que ses propos permettront de faire la
lumière sur l’affaire et seront pris en compte dans l’enquête menée sur sa
fiancée. Même si les policiers ont fait appel aux sentiments de l’accusé, les
encouragements n’étaient pas suffisants, en l’espèce, pour subjuguer sa volonté.
Il en va ainsi de l’enquêteur qui suggère au meurtrier de sa propre mère de
passer aux aveux afin d’aider son père à comprendre ce qui s’est passé,
du policier qui mentionne à l’accusé que lui et sa famille
[Page 37]
se porteront mieux s’il
passe aux aveux et, enfin, de l’inspecteur
qui affirme au suspect de plusieurs incendies que sa « fiancée le
respecterait pour avoir admis qu’il avait un problème ».
Bien qu’il s’agisse clairement d’encouragements à parler, les exhortations se
rapportant aux sentiments de l’accusé pour les membres de sa famille ou ses
proches ne suffisent généralement pas à le priver de sa volonté,
même s’il arrive parfois que de tels encouragements, une fois combinés à d’autres
facteurs, puissent empêcher la poursuite de s’acquitter de son fardeau de preuve.
Quant aux encouragements plus subtils, comme le fait de placer une photo de la
fille du suspect dans la salle d’interrogatoire et de faire appel à
[Page 38]
son obligation
morale d’être honnête et de faire les bonnes choses, ceux-ci ne posent aucune
difficulté aux tribunaux.
26. En laissant présager la présence de
conséquences négatives, l’emploi d’expressions telles que « il vaudrait
mieux que tu te mettes à table », « il vaut mieux tout nous dire »,
« la meilleure chose que tu puisses faire est de nous dire la vérité »
et « je te conseille de dire la vérité » peut affecter le caractère
volontaire de la déclaration incriminante. S’agissant
de menaces d’un préjudice futur non précisé, il est plutôt rare que de
telles paroles entraînent l’exclusion de la confession. Utilisées dans le cadre
d’un interrogatoire agressif, hostile et manipulateur, les
menaces voilées peuvent toutefois s’avérer dangereuses, surtout lorsque le
suspect se trouve dans un état psychologique ou émotionnel précaire. Généralement
insuffisante à elle seule pour entraîner l’exclusion de la preuve, l’utilisation
de menaces verbales non précisées peut parfois miner la volonté du sujet. Cela
est particulièrement vrai lorsque l’emploi de telles expressions, combiné à d’autres
facteurs, joue un rôle décisif dans la décision de l’accusé de parler aux
policiers. L’aveu sera par contre admis lorsque les expressions de ce genre n’ont
pas amené l’accusé à parler. Sans être explicite,
[Page 39]
l’objet de la menace
doit donc être réel pour affecter le caractère volontaire de la déclaration. En
effet, « les remarques du type “il vaudrait mieux” ne commandent l’exclusion
de la confession que dans les cas où les circonstances révèlent une menace ou
promesse implicite. »
27. Contrairement aux menaces de préjudice
futur non précisé, les commentaires voulant que le silence de l’accusé
diminuera sa crédibilité aux yeux du jury constituent à la fois une menace et
une incitation, dans la mesure où ils laissent entrevoir des conséquences négatives
s’il ne parle pas et positives s’il passe aux aveux.
Ce principe s’applique également à la personne soupçonnée d’avoir participé à
un meurtre à la suite d’un cambriolage commis lors d’une invasion de domicile.
Le policier ayant dit à
[Page 40]
l’accusé qu’il
serait déclaré coupable d’un meurtre au premier degré qu’il n’a pas commis s’il
ne parlait pas, le tribunal a tenu compte de ce facteur dans l’évaluation du
caractère volontaire de sa déclaration. En ce qui
concerne l’enquêteur qui mentionne à un accusé qui nie catégoriquement sa
participation dans le crime que sa version des faits est importante pour la
suite de l’enquête et qu’elle pourrait probablement l’exonérer de tout blâme,
aucun reproche ne peut lui être adressé, dans la mesure où sa remarque s’inscrivait
naturellement dans la version des faits soutenue par l’accusé.
[Page 41]
28. L’utilisation d’encouragements moraux ou
spirituels faisant appel à la conscience, aux sentiments ou au caractère de l’accusé
est une autre technique de persuasion policière relativement efficace. La
contrepartie offerte étant inexistante, les encouragements spirituels mènent
rarement à l’exclusion de la confession. L’enquêteur qui dit au suspect qu’il
se sentira mieux s’il passe aux aveux, qu’il serait
préférable de parler « que de vivre avec un tel secret »,
qu’il devrait dévoiler « où se trouve le corps de la victime pour que son
épouse puisse avoir un enterrement digne et que sa famille immédiate puisse
savoir ce qu’il en est », qu’il est là pour
l’aider et qu’une confession soulagerait sa conscience en lui permettant de
prendre ses responsabilités n’offre rien à l’accusé.
Il en va de même du policier qui mentionne à un
[Page 42]
suspect d’origine
autochtone qu’une confession lui ferait du bien et lui permettrait probablement
d’être pardonné plus facilement par sa communauté.
Certes, il y a un encouragement, mais celui-ci se rapporte à la personne de l’accusé
et plus précisément à la manière de se voir, de vivre avec son crime ou d’en
accepter la responsabilité. C’est ainsi qu’il faut envisager la décision des
policiers de faire jouer un enregistrement au cours duquel la mère de la
victime supplie l’accusé de confesser son crime. En faisant appel aux
sentiments de l’accusé, les policiers tentent tout simplement de le convaincre
qu’il est dans son intérêt de passer aux aveux, d’où son absence d’impact sur
le caractère volontaire de la déclaration incriminante.
29. Minimisation de la gravité du crime :
Appliquée en conjonction ou non avec l’utilisation d’encouragements moraux ou
spirituels, la minimisation de la gravité de l’infraction est un autre moyen
efficace de faire parler un suspect. Sur ce point, il convient de distinguer la
minimisation de la culpabilité morale de l’accusé en rapport avec la commission
du crime, de celle touchant les conséquences juridiques de l’infraction. Au
Canada, « le fait de minimiser la portée morale de l’infraction est un
aspect courant et habituellement acceptable des interrogatoires policiers ».
L’inspecteur qui dit à la personne soupçonnée d’avoir incendié la voiture de sa
fiancée qu’il ne s’agit pas d’un crime très grave, ou qu’il n’est pas un vrai
criminel, ne fait aucune menace, ni promesse à
[Page 43]
l’accusé.
On peut en dire autant de l’enquêteur qui mentionne au suspect d’un vol d’essence
« qu’il n’y a rien là et qu’il n’est pas le premier à faire ça ». La
présentation d’un scénario comportant une hypothèse compromettante et une autre
visant à minimiser la culpabilité morale de l’accusé est une technique efficace
de persuasion policière qui, une fois jumelée à l’existence d’une preuve solide
ou à la conviction du policier qu’il ne reste plus qu’à savoir pourquoi le
suspect a commis le crime, peut inciter ce dernier à passer aux aveux.
L’enquêteur qui mentionne à l’individu soupçonné d’avoir secoué son bébé qu’il
n’est pas un « mauvais père », mais une personne normale qui a perdu
le contrôle de ses émotions offre une porte de sortie « honorable » à
l’accusé. Il en va ainsi de l’inspecteure qui suggère à la personne soupçonnée
d’avoir agressé sexuellement une jeune fille de 13 ans qu’il n’est pas un « violeur »
ou un « prédateur sexuel », mais une personne normale qui a noué une
relation intime qui est allée trop loin. Dans la
mesure où la
[Page 44]
minimisation de la
gravité de l’infraction se limite à la culpabilité morale du délinquant, la
preuve obtenue par la police sera admissible, comme provenant de la volonté du
suspect.
30. Cette conclusion sera différente si la
minimisation reprochée se rapporte aux conséquences juridiques découlant de la
commission d’une infraction. C’est l’exemple du policier qui obtient une
déclaration incriminante après avoir mentionné à un individu soupçonné d’incitation
à des contacts sexuels sur un enfant âgé de moins de 16 ans, qu’il ne risquait
pas de faire de la prison. Comme le policier a dit au suspect « qu’en
faisant la déclaration et en lui promettant qu’il ne recommencerait plus, tout
irait bien », la cour, après avoir souligné que cette infraction
comportait une peine minimale d’emprisonnement obligatoire, « considère
que l’accusé a fait cette déclaration en recevant des promesses qui dans le
contexte l’ont incité à signer ce document ».
Certes, les policiers peuvent minimiser la portée morale des crimes reprochés,
mais il est interdit de « laisser entendre à l’accusé qu’une confession de
sa part aurait pour effet d’atténuer les conséquences juridiques de ses crimes ».
31. Bien que pertinente, la question de
savoir si l’individu est considéré comme un « témoin » ou un « suspect »
n’est pas déterminante en soi. Il en va également de la mise en garde de la
[Page 45]
part des policiers.
La véritable question étant de savoir si la déclaration était volontaire dans
les circonstances, c’est le choix de l’accusé
de parler ou non au policier qui compte. C’est ainsi qu’il faut envisager l’admissibilité
de la déclaration faite par une personne qui avait été invitée à se présenter
au poste de police pour discuter d’une affaire de fraude. Puisque l’accusée
avait librement « accepté d’accompagner les policiers pour faire une
déclaration, qu’elle a consulté un avocat, qu’elle n’était pas détenue et que
la
[Page 46]
rencontre s’est
déroulée dans un climat de coopération », la validité de la déclaration n’avait
pas été affectée par le fait qu’elle pouvait être considérée comme « suspecte »
et non simple « témoin » du crime. Sans être
déterminant à tout coup, il est évident que l’impact de l’absence de mise en
garde sur le choix de l’individu de parler ou non à la police sera moins
important lorsque l’accusé savait dans les faits qu’il n’avait pas à répondre
aux questions des policiers et que sa déclaration pouvait être utilisée contre
lui.
32. b) L’oppression : Mise en
place afin de briser les résistances de l’accusé, l’instauration d’un climat d’oppression
est à l’origine de plusieurs fausses déclarations.
Parmi les facteurs
[Page 47]
les plus souvent
cités, mentionnons l’intoxication de l’accusé, son mauvais état de santé, sa
fragilité psychologique, sa fatigue, la privation de
sommeil, de vêtements chauds, d’eau et de nourriture, l’absence de soins
médicaux et le déni systématique de son droit de garder le silence. Les
conditions de détention peuvent être minimales, sans être oppressives.
Un interrogatoire prolongé, hostile
[Page 48]
et manipulateur peut
également contribuer à créer un climat d’oppression.
Il en va autrement des questions qui, tout en étant persistantes, ne sont pas
excessivement agressives ni intimidantes. Encore une
fois, aucun facteur n’est généralement suffisant à lui seul. L’individu qui
souffre de problèmes de santé mentale et qui est soumis à un interrogatoire
agressif et prolongé peut passer aux aveux s’il croit, en raison des propos ou
du comportement des policiers, qu’il n’a pas d’autres choix que de parler. Les
options offertes à l’accusé étant claires (il peut maintenir son innocence et
demeurer en détention ou confesser son crime et être remis en liberté),
il faut distinguer la persuasion policière, de la mise
[Page 49]
en place de
conditions si désagréables qu’elles inciteront tôt ou tard l’accusé à parler.
La première confession est admissible comme provenant de la volonté du suspect,
alors que la seconde est irrecevable comme découlant de son absence de liberté.
C’est donc l’ensemble des facteurs à l’origine de la création du climat d’oppression
qu’il faut prendre en considération dans l’analyse globale du caractère
volontaire de la déclaration. Une personne vulnérable
et inexpérimentée peut s’avérer plus fragile à certains facteurs d’oppression
qu’une personne mature et en pleine possession de ses facultés.
Il en va ainsi de la personne malade,
[Page 50]
intoxiquée ou
excessivement fatiguée. Quant au suspect qui n’est pas à ses premiers démêlés
avec la justice, celui-ci peut parfois démontrer une plus grande résistance aux
facteurs d’oppression ou aux ruses des policiers.
33. La dernière source possible d’oppression
menant à l’obtention d’une déclaration incriminante est l’utilisation d’éléments
de preuve inexistants, fabriqués ou inadmissibles. Comme l’indique
l’ensemble des jugements sur la question, il s’agit d’un facteur de persuasion
extrêmement efficace qui, en forçant le suspect à s’expliquer, permet de contourner
ses barrières psychologiques. Appliquée à des personnes plus vulnérables, l’utilisation
de faux éléments de preuve peut amener un individu à croire qu’il a commis le
crime ou que ses protestations d’innocence, même si elles sont vraies,
demeureront futiles. Si le seul fait de mettre le suspect en présence d’éléments
de preuve inadmissibles, ou même fabriqués, ne constitue pas nécessairement un
facteur d’exclusion, il s’agit d’un élément qui, une fois envisagé à la lumière
d’autres facteurs pertinents, peut affecter le caractère volontaire de la
déclaration. De façon générale, les éléments de preuve pouvant participer à l’instauration
d’un climat d’oppression et miner la volonté du suspect sont regroupés en trois
catégories distinctes : (i) les éléments de preuve inexistants (mensonges,
preuves fabriquées, etc.); (ii) l’exagération de la fiabilité ou de l’importance
de la preuve à charge et (iii) l’utilisation de scénarios ou de questions
hypothétiques amenant le suspect à s’expliquer.
34. (i) Les éléments de preuve inexistants (mensonges,
preuves fabriquées, etc.) : Cette rubrique recouvre les éléments de
[Page 51]
preuve inexistants
ou fabriqués, qu’ils soient de nature matérielle ou testimoniale, soumis au
suspect afin d’obtenir une déclaration incriminante. Sans entraîner
automatiquement le rejet de la confession, cette pratique est à l’origine de
plusieurs contestations judiciaires. On distingue généralement les éléments de
preuve inexistants selon qu’ils privent ou non l’individu de sa liberté de
parler aux policiers. L’utilisation d’une preuve inexistante qui détruit le
caractère volontaire de la confession se produit lorsqu’elle persuade l’accusé
de sa culpabilité, ou l’amène à croire que toute protestation d’innocence sera
futile dans les circonstances. Lorsqu’elle persuade l’accusé de sa culpabilité,
tout d’abord, puisqu’une fausse preuve incriminante peut amener un individu
plus fragile ou se trouvant dans des conditions psychologiques précaires à
confesser un crime qu’il n’a pas commis. Sur ce point, citons la décision de la
Cour suprême du Canada, dans R. c. Evans.
Après être devenu le principal suspect d’un double meurtre, l’accusé, un
jeune déficient intellectuel léger, fut soumis à un interrogatoire serré au
cours duquel l’enquêteur prétendit faussement avoir retrouvé ses empreintes
digitales sur les lieux du crime. Ayant confessé l’assassinat brutal des deux
victimes, l’accusé fut placé dans une cellule à côté d’un agent banalisé. Au
cours d’une conversation avec le policier, l’accusé a reconnu avoir avoué la
commission des crimes, mais nié avoir tué les deux jeunes femmes. Dans
[Page 52]
un passage qui
laisse planer un doute sur sa culpabilité, l’accusé déclara : « Tu
sais, c’est étrange, je ne me rappelle pas les avoir tuées. Ouais.
Ordinairement je n’oublie pas des choses comme celles-là. »
Bien que l’arrêt Evans s’intéresse davantage au droit à l’assistance d’un
avocat, cette décision souligne les dangers associés à l’utilisation d’une
fausse preuve (p. ex. : empreintes digitales) dans un contexte
révélant la présence de facteurs subjectifs pouvant fragiliser la volonté de l’accusé
(p. ex. : déficience intellectuelle).
35. L’utilisation d’éléments de preuve
inexistants amenant l’individu à croire que toute protestation d’innocence sera
futile se produit généralement lorsque la preuve alléguée est si forte qu’elle
subjugue la volonté du suspect. Dans R. c. Hammerstrom, le
tribunal s’interrogea sur l’admissibilité d’une confession obtenue à la suite
de fausses allégations laissant croire à l’individu que le meurtre de sa petite
amie avait été capté sur bandes vidéo. En réalité,
les vidéos de surveillance ne montraient aucune image de M. Hammerstrom, ni des
lieux où le corps de la victime fut retrouvé. Convaincu que les policiers
étaient en possession d’images incriminantes, qu’une confession ne ferait
aucune différence et que l’entrevue n’était qu’une formalité, l’accusé admit la
commission du crime. L’affirmation de l’enquêteur à l’effet qu’il savait qu’il
avait commis le meurtre jumelée à sa conviction que sa participation au crime
avait été filmée l’ont persuadé qu’il était pris et que l’interrogatoire
continuerait jusqu’au moment de sa confession. Compte tenu de la nature et de
la gravité de la preuve fabriquée et de son impact significatif sur la
décision du suspect de parler aux policiers, le tribunal conclut que les
fausses allégations ont contribué, de concert avec d’autres facteurs, à la
création
[Page 53]
d’un climat d’oppression
qui aurait miné sa volonté et précipité sa confession.
D’où son inadmissibilité. Plus le lien entre les preuves inexistantes et l’obtention
de la déclaration incriminante est étroit, plus il y a de chances que la
confession soit écartée. Cela est particulièrement évident lorsque d’autres
facteurs pouvant contribuer au climat d’oppression s’ajoutent afin d’ébranler
la volonté du suspect. Sur ce point, citons la décision R. c. Ciliberto
dans laquelle l’accusé fut arrêté pour le meurtre au deuxième degré de son
ami d’enfance. Souffrant de troubles
mentaux, le suspect fut soumis à un interrogatoire agressif au cours duquel il
fut réuni avec sa famille puis confronté aux parents du défunt. Profitant des
sentiments d’affection qu’il avait envers ses parents, les policiers ont
affirmé au suspect qu’il devait parler afin de dissiper les doutes qu’ils
entretenaient à l’égard de leur participation possible au meurtre. En plus de
recourir à ces tactiques douteuses, les policiers ont menti sur la valeur et l’existence
de la preuve à charge. En effet, selon la police, (1) les agents auraient
retrouvé l’ADN de l’accusé sur l’arme du crime; (2) des témoins auraient
identifié sa camionnette au moment du meurtre; (3) l’accusé aurait regardé des
[Page 54]
personnes qui
pouvaient l’identifier et, enfin, (4) un commerçant se rappelait lui avoir
vendu un téléphone cellulaire qui aurait été utilisé lors de la commission du
meurtre. En réalité, toutes ces
allégations étaient fausses. Ainsi, compte tenu de l’état mental du suspect,
des déclarations de la police à l’effet que le silence de l’accusé pourrait
impliquer criminellement ses parents, de l’utilisation de faux éléments de
preuve et de la prétention voulant qu’une confession lui permettrait de ne plus
être considéré comme un meurtrier au sang-froid (« cold blood killer »),
le juge conclut à la présence d’un doute raisonnable sur le caractère
volontaire de la déclaration incriminante. Si l’existence d’un lien étroit
entre les facteurs d’oppression et l’obtention de la confession milite en
faveur de son exclusion, l’utilisation d’éléments de preuve inexistants qui ont
peu ou pas d’incidence sur le choix de l’accusé de parler aux policiers n’affectera
pas la validité de l’aveu. Il en
[Page 55]
va ainsi quand l’accusé
nie sa participation au crime, met en doute la
véracité de la preuve fabriquée ou conteste sa
pertinence ou sa valeur probante. Comme la police ne
peut connaître à l’avance l’impact des faux éléments de preuve sur la volonté
du suspect (est-ce que l’accusé va se sentir piégé par les faux éléments de
preuve et abandonner toute forme de résistance ou décider simplement de parler
afin de clarifier sa situation ?), l’utilisation de telles tactiques
demeure fort problématique et ne devrait pas être encouragée.
Enfin, mentionnons que la valeur et l’importance des autres éléments de preuve
peuvent parfois amener le tribunal à conclure que les faux éléments de preuve n’ont
pas subjugué la
[Page 56]
volonté du suspect,
ni joué un rôle décisif dans sa décision de parler aux policiers.
36. (ii) L’exagération de la fiabilité ou de
l’importance de la preuve : D’après le juge Iacobucci, dans l’arrêt Oickle,
les policiers peuvent exagérer la fiabilité ou l’importance de la preuve
sans nécessairement compromettre l’admissibilité de la déclaration incriminante.
Encore une fois, l’analyse est contextuelle. S’il est évident que la simple exagération
ne rend pas la confession involontaire, il est plus difficile de se prononcer
sur celle qui s’approche du mensonge ou se confond pratiquement avec
lui. Tout est une question de degré. À l’extrémité inférieure de l’échelle
de gravité se trouve la simple exagération découlant de l’amplification
naturelle de la fiabilité ou de l’importance de la preuve. L’inspecteur qui
prétend, dans une affaire d’agression sexuelle, que tous les résultats de l’enquête
tendent à démontrer la culpabilité du suspect alors qu’il n’a recueilli que la
déclaration de la victime exagère l’importance de la preuve à charge sans
mentir à l’accusé. Il en va ainsi de l’enquêteur
qui obtient une confession après avoir confronté l’employé d’un magasin
soupçonné d’y avoir allumé un
[Page 57]
incendie, à l’aide d’images
captées par une caméra de surveillance. Même si la
vidéo ne montre aucune image de l’accusé en train d’y mettre le feu (on voit le
suspect ramper vers un étalage de marchandise situé à l’avant du commerce,
regarder au plafond et autour de lui, fixer la caméra, s’affairer à faire
quelque chose près du sol pour ensuite s’en aller en rampant quelques minutes
avant l’incendie), l’inspecteur a mentionné au suspect qu’il avait visionné la
vidéo et qu’il n’y avait aucun doute sur sa culpabilité. D’après le juge Gray,
les prétentions du policier constituent, en l’espèce, une simple exagération
de l’importance de la preuve. Cette tactique, qui n’a
généralement rien de répréhensible, n’a pas pour effet de rendre les
confessions involontaires ou inadmissibles.
37. L’exagération de la preuve qui s’approche
du mensonge, sans nécessairement se confondre avec lui, est la seconde
source d’amplification de la preuve. De façon générale, plus l’exagération s’approche
du mensonge, plus il est important qu’elle s’appuie sur d’autres éléments de
preuve. Pour s’en convaincre, citons la décision du juge Rempel, dans R. c.
Swain. Soupçonné
d’avoir poignardé à mort un individu et d’en avoir blessé un autre, l’accusé
fut arrêté puis interrogé par la police. Selon l’enquêteur au dossier, les
images captées par la caméra de surveillance située à proximité des lieux du
crime montraient clairement que l’accusé avait poignardé les deux victimes. En
fait, les bandes vidéo permettaient uniquement de voir un homme brandissant un
couteau sans pouvoir distinguer clairement si c’était l’accusé. Or, comme le
détective était convaincu, à la lumière des déclarations obtenues de certains
témoins et du visionnement du vidéo, que Swain (1) était sur les lieux du crime
au moment des événements en question, (2) qu’il était intervenu afin de
protéger son cousin impliqué dans une altercation et (3) qu’il avait confessé
son crime à une amie qui avait rapporté à la police sa déclaration, le
tribunal, après avoir considéré l’ensemble des circonstances, conclut à l’absence
d’un climat
[Page 58]
d’oppression.
Il en va également du policier qui affirme au suspect d’une agression être
convaincu de sa culpabilité après avoir parlé à sa femme et à plus de 20
témoins. Comme l’épouse de l’accusé
avait affirmé ne pas savoir ce qui s’était passé et que seulement un témoin
avait fait des déclarations impliquant l’accusé, il s’agissait, en l’espèce, d’une
grossière exagération de la preuve qui s’approchait dangereusement du mensonge.
Bien que l’utilisation d’un tel stratagème fut condamnée par la cour, la durée
de l’interrogatoire et la nature des questions posées amenèrent le tribunal à
conclure à l’admissibilité de la preuve.
38. (iii) L’utilisation de scénarios et de
questions hypothétiques : L’utilisation de scénarios et de questions
hypothétiques se rapportant aux événements reprochés est une technique d’interrogatoire
très efficace qui consiste à semer le doute dans l’esprit de l’accusé quant à
la preuve à charge et à l’amener à fournir une explication ou à préciser sa
situation. De manière générale, les questions des policiers sont posées sous
forme conditionnelle. C’est l’exemple de l’individu soupçonné d’agression
sexuelle à qui on demande d’expliquer pourquoi on retrouverait des traces d’ADN
sur les petites culottes de la victime. Ici, l’enquêteur ne dit pas au suspect
qu’il a une preuve d’ADN contre lui, mais l’invite simplement à expliquer pourquoi
les policiers pourraient retrouver des traces d’ADN sur les sous-vêtements de
la victime. Bien que l’utilisation de scénarios ou de questions hypothétiques
soit répandue, sa proximité avec la fabrication d’une preuve inexistante est
souvent fort préoccupante. Ce danger est particulièrement évident lorsque la
question hypothétique s’appuie sur une preuve fabriquée, un faux scénario ou un
mensonge. Pour s’en convaincre, citons,
[Page 59]
encore une fois, l’arrêt
R. c. Evans. Discutant d’une perquisition qui avait eu lieu chez
l’appelant entre le premier et le deuxième interrogatoire, l’inspecteur Spring
a tenu les propos suivants : « Puis nous avons trouvé quelques
petites choses que je crois importantes qui peuvent aussi indiquer que c’est
peut-être toi qui a commis le crime la nuit dont on a parlé. Pourquoi ... ne
peux-tu pas expliquer ou peux-tu nous dire pourquoi on aurait tes empreintes
digitales dans la maison ? » Les policiers n’ayant
trouvé aucune empreinte digitale correspondant à celles de l’accusé, ce dernier
a fait une déclaration incriminante qu’il a par la suite niée à un agent
banalisé. Sans être fatale à tout coup, l’utilisation de cette technique peut
amener l’accusé à croire en l’existence de la preuve présentée et à la futilité
de toute prétention d’innocence. Ici, l’enquêteur agit à ses risques et périls,
car il y a peu de moyens pour lui de déterminer si la combinaison de la preuve
fabriquée et du scénario hypothétique va ébranler la volonté du suspect au
point d’abandonner toute forme de résistance.
39. En ce qui concerne la confession obtenue
suite à l’utilisation de scénarios hypothétiques qui s’inscrivent dans le cours
normal d’une enquête policière, rien ne s’oppose à son admission au procès. La
commission d’un meurtre en plein jour dans une rue achalandée d’une banlieue de
Montréal pourrait, par exemple, amener un enquêteur à demander à l’accusé s’il
est possible qu’une personne l’ait vue en train d’agresser la victime. Il en va
ainsi de l’individu qui poignarde à mort une personne dans un bar où se
trouvent plusieurs caméras de surveillance. Bien que la caméra qui était située
devant les lieux du crime ne fonctionnait pas et que les autres bandes vidéo n’étaient
pas concluantes, l’enquêteur a demandé au suspect si une personne qui lui
ressemble pourrait être vue à la caméra. Ce qui ne
constituait pas un problème en l’espèce compte tenu de la preuve recueillie et
des circonstances de l’affaire.
[Page 60]
40. Bien qu’elle soit fréquente, l’utilisation
de questions hypothétiques demeure dangereuse. Sa proximité avec la preuve
fabriquée peut parfois être si forte qu’elle se confond tout simplement avec
elle. Pour s’en convaincre, citons la décision R. c. Wiegand dans
laquelle le tribunal s’interrogea sur l’admissibilité d’une déclaration obtenue
à la suite de questions hypothétiques posées à un individu soupçonné d’incendie
criminel. Au cours de l’interrogatoire,
l’inspecteur demanda à l’accusé de lui expliquer pourquoi ses empreintes
digitales se trouveraient sur le panneau électrique de la maison (« Can
you tell me why your finger prints would be on those breaker
switches ? ») et un peu plus loin, pourquoi l’un des voisins pourrait
l’avoir vu en train de mettre des outils dans la poubelle située dans la
ruelle ? (« Okay. Can you tell me why one of
your neighbours, okay, would see you putting the tools in the garbage
can in the back alley ? How do you think we found
them ? »). Le juge ayant assimilé ces deux questions à des éléments
de preuve fabriqués, il conclut que l’utilisation de faux éléments de preuve n’est
pas suffisante en soi pour exclure les confessions, mais peut, lorsqu’elle s’ajoute
à d’autres facteurs pouvant affecter la volonté du sujet (comme la conviction
renforcée par les propos du policier que ces fausses preuves seront présentées
au tribunal), soulever un doute quant à son caractère volontaire.
[Page 61]
41. c) L’état d’esprit conscient :
S’appuyant sur le caractère volontaire de la déclaration, la règle des
confessions exige la présence d’un état d’esprit conscient. En effet, la
volonté, écrit saint Thomas d’Aquin, ne se trouve que chez les êtres doués d’un
minimum d’intelligence et de liberté. Ce principe, qui ne fait plus aucun doute
en matière de responsabilité pénale, s’incarne dans la mise en place d’un critère
fonctionnel de l’état d’esprit conscient, fondé sur la capacité de l’accusé de
savoir ce qu’il dit et qu’il s’adresse à des policiers qui pourraient s’en
servir contre lui. L’exigence est
minimale. L’état d’esprit conscient de l’accusé se limite à la connaissance du
contenu de la déclaration (comprendre ce qu’il dit) et de ses
conséquences juridiques (comprendre que sa déclaration peut servir de preuve
contre lui). « Il
n’est donc pas
[Page 62]
nécessaire de
déterminer si l’accusé est en mesure de faire un choix qui soit bon ou sage, ou
qui soit dans son intérêt. » Si la
consommation d’alcool ou de drogues ne prive pas automatiquement le suspect de
son état d’esprit conscient, certains degrés très
élevés d’intoxication peuvent miner la connaissance de l’accusé et vicier le
caractère volontaire de sa déclaration. Il en va
également d’un trouble mental affectant la cognition du suspect ou d’un état de
choc menant à un effondrement émotionnel complet. Dans tous les cas, le critère
d’incapacité est exigeant et il est plutôt rare que les déclarations obtenues
dans de telles conditions soient écartées, faute de volonté.
Voyons brièvement en quoi consistent ces trois facteurs d’incapacité.
[Page 63]
42. (i) La prise d’alcool ou de drogues :
À l’image des symptômes qui l’accompagnent, l’intoxication de l’accusé peut
être légère, avancée ou extrême.
43. L’intoxication légère se
caractérise par l’apparition d’un sentiment de bien-être, l’augmentation des
tendances instinctuelles (affectivité ou irritabilité) et « le relâchement
des inhibitions et du comportement socialement acceptable ».
Comme la prise d’alcool est un facteur influent dans la prédisposition et le
déclenchement de conduites criminogènes, il peut arriver que l’interrogatoire
qui précède ou suit l’arrestation d’un suspect se déroule malgré la faible
intoxication de ce dernier. La cognition du sujet n’étant pas affectée, l’admissibilité
d’une déclaration ne sera pas compromise. Il en va également des effets normaux
d’une intoxication aux drogues et autres substances qui, sans dérober l’accusé
de ses facultés cognitives, peuvent affecter son comportement.
44. À plus grande concentration, l’alcool
engendre de nouveaux symptômes et de nouveaux déficits. Les facultés
intellectuelles, qui jusque-là semblaient relativement intactes, commencent à s’assombrir.
Quant aux symptômes physiques qui accompagnent la détérioration progressive du
jugement de l’individu et de sa perception des conséquences naturelles de ses
actes, ceux-ci deviennent de plus en plus visibles : langage émoussé,
faible coordination, perte d’équilibre (démarche titubante), yeux rougis et
injectés de sang complètent le tableau clinique des symptômes d’une
intoxication avancée. À ce stade, la forte odeur d’alcool jumelée à l’apparence
générale du suspect et de son comportement rendent son
[Page 64]
intoxication
manifeste aux yeux de tous. Malgré les signes d’ébriété
évidents, l’individu est généralement capable de répondre à des questions.
Il interagit avec son environnement et demeure en mesure d’adopter des
comportements relativement complexes. Discutant de l’état
d’esprit d’un individu fortement intoxiqué qui avait fait une déclaration
incriminante aux policiers qui étaient venus l’interpeller, le juge Reid
déclare : « Although there was evidence of unsteadiness, there was
never a time when Mr. Maracle was “falling down drunk” or when he could not
manage to move from place to place independently, albeit when he was in police
custody they were present to assist him. His ability to walk does not indicate
a very high degree of intoxication. In the cells, he had no physical difficulty
removing his pants and handing them over
[Page 65]
as requested. »
En troublant le jugement de l’individu, l’intoxication avancée peut
empêcher ce dernier de faire un choix qui soit « bon ou sage », ou
qui soit dans son intérêt, sans affecter sa capacité cognitive de comprendre ce
qu’il dit et que sa déposition pourra être utilisée dans des procédures
engagées contre lui. Quant à sa mémoire des
événements en question, l’alcool empêche le transfert d’informations de la
mémoire à court terme à la mémoire à long terme ce qui occasionne une amnésie
consécutive à l’intoxication qui n’est pas suffisante pour priver le suspect de
son état d’esprit conscient.
45. Des niveaux d’alcool dans le sang encore
plus élevés peuvent causer une diminution de la conscience et de la cognition
nécessaires à la présence d’un état d’esprit conscient. Désormais, le sujet
éprouve de la difficulté à parler, à marcher ou à se tenir debout. Il s’endort
partout ou tombe par terre. La confusion qui
[Page 66]
accompagne la
détérioration significative des facultés intellectuelles est particulièrement à
redouter. Ainsi, à moins d’urgence, il est conseillé aux enquêteurs de reporter
à plus tard l’interrogatoire du suspect. En effet, « as
a matter of common sense, a person who is in a state of extreme intoxication
may not meet the requirement of having an operating mind. A decision on whether
because of extreme intoxication the person is not aware of what he is saying,
that he is saying it to police officers and that it can be used to his
detriment, is necessarily based on the particular circumstances of the case ». Parmi les facteurs militant en faveur d’un état d’esprit conscient,
mentionnons la nature des réponses données aux policiers ainsi que la qualité
de l’interaction entre le suspect et les enquêteurs au dossier. En sens
contraire, des paroles incompréhensibles ou incohérentes prononcées par une
personne confuse, semi-consciente ou qui n’est plus en contact avec la réalité
peuvent laisser planer un doute sur le caractère volontaire de la déclaration
incriminante. Malgré l’ampleur des
déficits physiques et neurologiques observés chez l’accusé, les tribunaux
demeurent exigeants quant au degré d’incapacité requis. Dans R. c. Peters,
le tribunal confirme l’admissibilité d’une série de déclarations faites par
un conducteur au policier à la suite d’un accident d’automobile.
Le conducteur, qui était dans un état d’ivresse très avancé, fut retrouvé
endormi au volant de sa voiture endommagée. L’accusé est décrit par les
policiers comme fortement intoxiqué, incapable de marcher seul, confus et
désorienté. Comme l’accusé savait qu’il s’adressait aux policiers et que ses
déclarations pouvaient être utilisées contre lui, celles-ci demeuraient
admissibles dans les circonstances. Des niveaux d’intoxication très élevés
peuvent empêcher l’individu de savoir ce qu’il dit ou de comprendre les
conséquences qui s’y rattachent. Dans une décision récente, le juge Fragomeni
écarte la déclaration faite par un individu complètement
[Page 67]
ivre qui venait d’être
impliqué dans un accident de voiture. Ses
difficultés à se tenir debout, ses paroles incohérentes, son comportement
erratique et l’absurdité de plusieurs réponses fournies aux policiers
soulevèrent un doute raisonnable quant à son état d’esprit conscient. Sans être
exceptionnelles, les décisions écartant les déclarations obtenues d’un individu
en état d’ivresse sont plutôt rares. Comme la règle recourt à un test cognitif,
« il faudrait un état d’ébriété très avancé pour qu’une telle déclaration
soit inadmissible ». Ce que confirme
d’ailleurs la jurisprudence subséquente.
46. En ce qui concerne l’interaction de l’alcool
avec les drogues et autres substances, la règle demeure la même.
L’intoxication qui obscurcit le jugement de la raison, sans éclipser
complètement la cognition, n’est pas suffisante pour détruire l’état d’esprit
conscient de l’accusé. La question ici n’est pas de savoir si l’alcool et les médicaments
interfèrent avec la capacité d’analyse du suspect, mais si la synergie des deux
substances altère ses fonctions cognitives au point de détruire sa connaissance
de ce qu’il dit et des conséquences qui s’ensuivent. Les médicaments ou les
drogues qui accentuent les effets de l’alcool en diminuant « la mémoire,
les émotions, la capacité d’abstraction, d’anticipation et de planification »
ne suffisent donc pas à ce stade. Il en va également de
la médication administrée dans le cadre d’une chirurgie comportant une
anesthésie générale lorsque celle-ci ne comporte pas d’effets prolongés (courte
vie).
[Page 68]
47. Cette analyse des effets de l’alcool ou
des drogues sur l’état d’esprit conscient de l’individu ne serait pas complète
sans dire un mot des troubles psychotiques induits par une substance. D’après l’Association
américaine de psychiatrie, dans sa dernière édition du Manuel diagnostique
et statistique des troubles mentaux, les troubles psychotiques induits par
une substance se caractérisent par la présence d’idées délirantes et/ou d’hallucinations
prononcées dues aux effets physiologiques d’une substance. Bien qu’elle soit
difficile à distinguer d’une intoxication par substance, la psychose toxique
entraîne une perte de contact avec la réalité dont les symptômes et les effets
sur l’état d’esprit conscient du suspect ne sont pas différents d’un délire
toxique.
48. (ii) Les troubles mentaux : S’il
est évident que les troubles de l’humeur, de la
personnalité ou des émotions ne suppriment pas l’état d’esprit conscient du
suspect, qu’en est-il des troubles psychotiques, des maladies qui altèrent le
contact avec la réalité en produisant chez l’individu des idées délirantes
et/ou des hallucinations visuelles ou auditives ? La question est
difficile. Elle fut abordée par la Cour suprême dans R. c. Whittle.
Arrêté à la suite de l’exécution d’un mandat d’incarcération pour
non-paiement
[Page 69]
d’amende, l’accusé,
qui souffrait de schizophrénie, fut amené au poste de police pour être
interrogé. Peu de temps après avoir été placé en cellule, l’accusé a admis la
commission de trois vols qualifiés et d’un meurtre. Informé de ses droits à l’avocat
et de garder le silence, l’accusé a conduit les policiers à l’endroit où il
avait caché l’arme du crime. Lors de son transport, ce dernier n’a pas cessé de
parler du meurtre, ponctuant ses nombreuses déclarations de propos bizarres. De
retour au poste de police, l’accusé a affirmé, au cours d’un entretien avec son
avocat, qu’il « entendait des voix dans sa tête, qu’il devait parler, qu’il
ressentait une douleur à la tête et qu’il pouvait voir le visage de bébés morts
dans le ciment. L’appelant a dit à Me Nuttall qu’il avait besoin de
parler à la police pour que les voix cessent ». L’admissibilité
des déclarations étant contestée, les deux psychiatres appelés à témoigner au
procès ont déclaré que l’accusé souffrait de schizophrénie. La schizophrénie
est une maladie grave dont l’une des manifestations est la présence d’hallucinations
auditives et/ou visuelles. D’après le psychiatre de la défense, l’accusé
entendait des voix dans sa tête au moment de sa déclaration incriminante. Bien
que ces voix ne l’empêchaient pas d’être conscient des conséquences de ses
déclarations, celles-ci l’ont poussé à confesser ses crimes. Statuant sur l’appel
du jugement ayant annulé le verdict d’acquittement et ordonné la tenue d’un
nouveau procès, la Cour suprême confirma l’admissibilité des déclarations
faites par l’accusé. D’après le juge Sopinka, l’exigence d’un état d’esprit
conscient « n’implique pas un degré de conscience plus élevé que la
connaissance de ce que l’accusé dit et qu’il le dit à des policiers qui peuvent
s’en servir contre lui ». En effet :
« Dans la mesure où les voix
intérieures incitaient l’appelant à parler sans tenir compte, apparemment, de
la recommandation de son avocat et à son détriment, parce qu’il ne se souciait
pas des conséquences ou qu’il estimait qu’il ne pouvait résister à ces voix,
elles ne peuvent justifier l’exclusion. La contrainte intérieure, due à la conscience
ou à un autre facteur, ne peut supplanter une conclusion à l’existence d’un
état d’esprit conscient sauf lorsqu’il
[Page 70]
est déterminé, à la lumière de la conduite d’une
personne en autorité, qu’une déclaration est involontaire. »
49. Ainsi, mis à part les maladies qui
affectent la cognition du sujet (p. ex. : démence, delirium, retard
mental, etc.), les troubles
mentaux ne sont généralement pas suffisants pour détruire son état d’esprit
conscient. Pour s’en convaincre, citons la décision R. c. Rackham dans
laquelle le tribunal confirma l’admissibilité des déclarations faites par l’accusé
quelques instants avant son arrestation pour voies de faits et autres
infractions. D’après la police, l’accusé
prétendait être Dieu et avoir frappé le Diable afin de l’expulser de sa maison.
Comme l’accusé savait ce qu’il disait et qu’il s’adressait à des policiers qui
pouvaient s’en servir contre lui, les déclarations furent admises au procès. En
effet, le ministère public n’a pas à prouver un degré plus élevé de capacité « cognitive ».
L’exposé d’un mobile tout à fait irrationnel n’affecte pas la validité de la
déclaration incriminante. Il s’agit d’une analyse portant sur la cognition de l’individu
(sur ce qu’il dit, à qui il le dit et
[Page 71]
sur les conséquences
qui s’ensuivent au point de vue juridique) et non
sur les raisons ayant précipité la confession ou le passage à l’acte (ce pourquoi
il l’a dit ou fait). Les idées délirantes de persécution
(p. ex. : l’accusée croit que des personnes entrent dans sa chambre la
nuit par un passage secret dans la garde-robe afin de l’endormir avec du
chloroforme et que sa mère, la victime, fait partie d’une opération la forçant
à se prostituer); de grandeur et de
référence (p. ex. : l’individu croit qu’il est un génie ou qu’il est voué
à un destin phénoménal) ne peuvent, malgré leur bizarrerie, empêcher l’admissibilité
d’une déclaration incriminante. Sur ce point, citons la décision R. c. Hosack
dans laquelle une personne, qui prétendait être à l’origine d’inventions
pouvant transformer le monde et valant plusieurs milliards de dollars, avait
avoué le meurtre sordide d’un individu qui avait tenté de s’emparer de l’une de
ses inventions. Dans un passage
souvent cité, le juge Schultes confirme l’admissibilité de la preuve contestée.
D’après ce dernier : « In essence his
delusions of worldly importance and creative genius seem to have been walled
off from the bulk of his other cognitive abilities which, as the interviews
clearly demonstrate, were not impaired. I am therefore satisfied beyond a
reasonable doubt that he had an operating mind when he gave the statement. » La maladie qui détruit la raison et précipite le passage
[Page 72]
à l’acte n’est pas
suffisante pour supprimer l’état d’esprit conscient de l’accusé, lorsqu’elle n’interfère
pas avec sa capacité de savoir ce qu’il dit et qu’il le dit à des policiers qui
peuvent s’en servir contre lui.
50. Si la contrainte intérieure, due à la
présence d’hallucinations auditives ordonnant à l’accusé d’avouer son crime, n’affecte
pas l’admissibilité de sa déclaration, il en va autrement des idées délirantes
qui induisent chez le malade la croyance fausse mais fixe que la police va s’en
prendre physiquement à lui s’il ne confesse pas son crime. C’est du moins ce
que reconnait le juge Kilpatrick, dans R. c. Partridge.
D’après ce dernier, la déclaration obtenue par crainte d’un préjudice
découlant de la présence d’idées délirantes doit être écartée par le tribunal.
Même si cette croyance puise sa source dans les symptômes de la maladie, son
impact sur la volonté du sujet est aussi fort que si des menaces avaient bel et
bien été proférées contre lui. Contrairement à l’arrêt Whittle, la
contrainte à l’origine de la confession de l’accusé ne provenait pas d’une voix
dans sa tête lui commandant de confesser ses crimes, mais de la peur
irrationnelle que les policiers aient
[Page 73]
recours à la force s’il
ne collaborait pas à l’enquête. Bien que l’accusé savait qu’il s’adressait à
des policiers et que ses propos pourraient être utilisés contre lui, sa
déclaration découlait essentiellement de la crainte d’un préjudice. La
confession obtenue par crainte d’un préjudice n’étant pas fiable, ni
volontaire, celle-ci fut, par conséquent, jugée inadmissible.
51. Comme la poursuite doit démontrer que
les déclarations de l’accusé proviennent d’un état d’esprit conscient et qu’elles
sont volontaires, il arrive parfois qu’une personne souffrant de déficience
intellectuelle conserve une capacité cognitive suffisante pour comprendre ce qu’elle
dit (état d’esprit conscient), tout en n’étant pas en mesure de faire une
déclaration volontaire en raison de l’incompréhension de son droit au silence
résultant de son retard mental (caractère involontaire de la déclaration). L’incapacité
de l’accusé de saisir la portée réelle de son droit au silence étant évidente,
les policiers doivent redoubler de précautions et s’assurer que ce dernier
comprenne bien son droit.
52. En ce qui concerne finalement le
traumatisme crânien subséquent à un choc à la tête, celui-ci peut priver l’accusé
de son état d’esprit conscient lorsqu’il y a des signes évidents que sa
conscience ou sa cognition est affectée. Dans le cas contraire, la déclaration
de l’accusé sera admissible même si son état l’empêche de faire un choix qui soit
bon ou sage d’un point de vue rationnel.
[Page 74]
53. (iii) L’état de choc de l’accusé :
Comme la commission d’une infraction et l’arrestation qui s’ensuit comportent
une charge émotive particulièrement élevée, il arrive parfois – souvent même – que
le suspect soit dans un état psychologique ou émotionnel précaire lors de son
interrogatoire. Dans R. c. Ward,
la Cour suprême confirme l’inadmissibilité de déclarations obtenues d’un
individu à la suite d’un accident d’automobile. Trente minutes après avoir été
réanimé, l’accusé fut interpellé par les policiers alors qu’il marchait à
proximité du véhicule accidenté. Placé dans une auto-patrouille, l’accusé a eu
une conversation avec deux policiers au cours de laquelle il fit une
déclaration incriminante. Comme l’individu venait tout juste de reprendre
conscience et qu’il était « en état de choc » au moment de sa
déclaration, celle-ci fut écartée, faute d’un « état d’esprit totalement
conscient ». Sur ce point,
il faut distinguer l’effondrement émotionnel complet du stress découlant des
événements en question. Si le premier peut dérober l’accusé de son état d’esprit
conscient, le second se situe dans le cours normal des choses.
Ce n’est donc pas parce qu’une personne
[Page 75]
pleure ou est agitée
au moment de l’intervention des policiers qu’elle n’est plus en mesure de
répondre volontairement aux questions. Il en va également du stress et de la
fatigue qui accompagnent une déclaration faite lors d’une rencontre visant à
comprendre les événements entourant le transport d’un bébé à l’hôpital.
Les émotions qui ne privent pas le suspect de son état d’esprit conscient n’affectent
pas la validité de sa déclaration.
54. d) Les autres ruses policières :
Malgré leur rattachement au caractère volontaire de la déclaration, les ruses
policières font l’objet d’une analyse visant à préserver l’intégrité du système
judiciaire. En effet, « [i]l
faut se rappeler qu’une enquête en matière
[Page 76]
criminelle et la
recherche des criminels ne sont pas un jeu qui doive obéir aux règles du
marquis de Queensbury. Les autorités, qui ont affaire à des criminels rusés et
souvent sophistiqués, doivent parfois user d’artifices et d’autres formes de
supercherie, et ne devraient pas être entravées dans leur travail par l’application
de la règle. Ce qu’il faut réprimer avec vigueur, c’est, de leur part, une
conduite qui choque la collectivité ». Une déclaration
obtenue sans menaces ni promesses de la part des policiers, dans un climat
exempt d’oppression, peut donc être exclue si son obtention découle d’une
pratique si indigne qu’elle ternirait l’image de la justice. Quant aux ruses
policières qui ne sont pas odieuses ou répugnantes, celles-ci ne choquent pas
la collectivité. Comme l’indique la Cour d’appel de l’Ontario,
dans R. c. Miller, « evidence procured by means of a mere “trick”
will be admissible, whereas evidence obtained by means of a “dirty trick” will
not be admissible ». Parmi les exemples connus de ruses
policières pouvant choquer la collectivité, mentionnons le policier qui se fait
passer pour un avocat de l’aide juridique afin d’obtenir une déclaration
incriminante, celui qui administre une injection de sodium de penthotal (sérum
de vérité) à un suspect diabétique au lieu de sa dose quotidienne d’insuline ou
qui prétend être l’aumônier d’une prison afin de recueillir la confession d’un
suspect. Dans ce dernier cas, il est important de distinguer la consultation
qui a lieu dans le cadre d’une relation spirituelle ou religieuse, de
celle qui s’inscrit dans un but purement fallacieux ou criminel. La
« communication qui serait motivée par des considérations religieuses et
faite pour satisfaire un besoin, ou répondre à [un] objectif, spirituel »
n’est pas admissible en preuve, alors que la déclaration faite pour échapper
[Page 77]
à la justice
criminelle ou tenir les autorités policières en échec est admissible. Sur ce
point, citons la décision R. c. Rowe dans laquelle la Cour d’appel
de l’Ontario s’interrogea sur l’admissibilité d’une déclaration faite par un
individu impliqué dans la commission d’un vol de banque et d’un meurtre.
Rappelant que l’accusé avait rencontré l’informateur de la police, un guide
spirituel reconnu dans la communauté jamaïcaine, dans le but d’échapper à la
justice, le Tribunal admit la déclaration incriminante. En effet, « Rowe does not go to Carty for any religious purpose
such as forgiveness for sinning. [...] Rowe does not ask for absolution, he
does not ask for forgiveness, he does not ask for spiritual cleansing. He does
not even say he is sorry. This is not a religious experience at all. [...]
Money, escape and protection are what was on Rowe’s mind . » Comme la nature spirituelle de la rencontre s’inscrivait dans la
poursuite d’un but purement criminel, la preuve fut admise au procès.
55. Souvent ingénieuses, parfois douteuses,
mais rarement odieuses, les ruses qui ne choquent pas la collectivité
constituent un instrument d’enquête très efficace. L’inspecteur qui dépose sur
la table de la salle d’interrogatoire les cassettes « vidéos de
surveillance » de la scène du crime, qui montre à l’accusé des photos de
cadavres afin de le « sensibiliser sur l’importance de retrouver le corps
avant qu’il ne soit dans l’état reproduit sur les photos »,
qui prétend écrire un rapport pour la cour afin de déterminer le degré de
dangerosité de l’accusé ou qui propose à ce
dernier
[Page 78]
d’écrire une lettre
à la famille de la victime agit de façon légitime,
sans ternir l’image de la justice. Il en va également des policiers qui placent
à la vue du suspect, qui la réclame immédiatement, une casquette de baseball
qui fut retrouvée près de la voiture utilisée pour commettre un vol. La ruse,
précise le juge Taylor de la Cour d’appel de la Colombie-Britannique, dans
R. c. Corak, « was an entirely passive one, a device of the
sort that police officers are certainly expected to employ in the normal course
of investigation ». Les tribunaux,
rappelle le juge Lamer dans R. c. Rothman, « doivent se
garder de ne pas entraver indûment le travail des policiers ».
On n’a qu’à penser à l’enquêteur qui n’informe pas le suspect de la mort de sa
principale complice, ou à celui qui affirme
que la victime, qui est en fait décédée, a repris conscience
[Page 79]
et sera en mesure de
l’identifier. Dans tous ces cas, le policier
retient des informations ou ment au suspect sans nécessairement choquer la
collectivité. D’où l’admissibilité de la preuve obtenue en conséquence.
56. Si les ruses policières qui ne « choquent
pas la collectivité » ne compromettent pas l’intégrité du système
judiciaire, elles peuvent participer, avec d’autres facteurs, à l’instauration
d’un climat d’oppression ayant pour effet de subjuguer la volonté de l’accusé
en le persuadant de sa culpabilité ou de la futilité de ses protestations d’innocence.
Comme la ruse qui ne choque pas la collectivité ne menace pas l’intégrité du
système judiciaire, sa présence ne peut miner, à elle seule, le caractère
volontaire de la déclaration, même si elle persuade la personne de parler aux
policiers.
Deuxième sous-section : Le
droit de garder le silence garanti par l’article 7 de la Charte
57. Contrairement à la règle des confessions
qui s’applique à toutes les fois qu’un suspect croit raisonnablement qu’il s’adresse
[Page 80]
à une personne en
situation d’autorité, le droit de garder le silence garanti par l’article 7 n’entre
en jeu qu’après la mise en détention du suspect.
Cette disposition, mise de l’avant afin de protéger le détenu du pouvoir
coercitif de l’État, est assujettie aux deux conditions impératives que sont :
(1) l’intervention d’un agent de l’État et (2) l’existence d’une conduite
irrégulière à l’origine de la négation du choix du détenu de parler ou non aux
autorités. Regardons brièvement en quoi consistent ces deux conditions d’ouverture.
58. Le droit de garder le silence garanti
par l’article 7 de la Charte fut étudié par la Cour suprême dans l’arrêt R. c.
Hebert. Après
avoir été arrêté pour la commission d’un vol qualifié, l’accusé fut informé de
son droit d’avoir recours à l’assistance d’un avocat puis transporté au
quartier général de la GRC pour être interrogé. Ne pouvant rien soutirer du
suspect, M. Hebert fut placé en cellule avec un policier habillé en civil.
Le policier ayant engagé la conversation avec l’accusé, ce dernier fit
différentes déclarations l’impliquant dans le vol qualifié. Les déclarations
ayant été écartées par le juge de première instance, la Cour d’appel annula l’acquittement
et ordonna la tenue d’un nouveau procès. Dans un jugement d’une importance
fondatrice, la Cour suprême
[Page 81]
accueillit le
pourvoi et rétablit l’acquittement de l’accusé. D’après la juge McLachlin, « [l]es
dispositions de la Charte qui se rapportent au droit d’une personne détenue de
garder le silence en vertu de l’art. 7 semblent indiquer que ce droit doit être
interprété de manière à garantir à la personne détenue le droit de faire un
choix libre et utile quant à la décision de parler aux autorités ou de garder
le silence. [...] Si le suspect choisit de faire une déclaration, il peut le
faire. Mais si le suspect choisit de ne pas en faire, l’État ne peut utiliser
son pouvoir supérieur pour faire fi de la volonté du suspect et nier son choix. »
C’est donc le choix de l’accusé de parler ou non aux autorités qui compte. L’appelant
ayant choisi de ne pas parler aux policiers, ces derniers ne pouvaient utiliser
un artifice pour contourner activement son choix de garder le silence. S’il
a parlé, c’est qu’il croyait s’adresser à un compagnon de cellule et non à des
policiers. En interrogeant le détenu sur ses activités, l’agent banalisé ne s’est
pas contenté d’observer le suspect, mais a joué un rôle actif dans l’obtention
des renseignements compromettants. Ce qu’interdit catégoriquement le droit de
garder le silence conféré par l’article 7 de la Charte.
59. La distinction entre le recours à des
agents banalisés pour observer le suspect et l’usage d’un artifice afin d’obtenir
activement des renseignements fut reprise et développée par la Cour
suprême dans les arrêts Broyles et Liew.
Soupçonné du meurtre de sa grand-mère, M. Broyles fut l’objet d’une enquête
policière qui piétinait. Jugeant que les preuves obtenues contre l’accusé n’étaient
pas suffisantes, les policiers ont organisé une rencontre entre l’appelant et
son ami afin que ce dernier lui soutire des renseignements concernant le décès
de la victime. Bien que l’accusé n’ait pas admis la commission du crime, il a
fourni certaines informations pouvant l’incriminer. L’appelant ayant été
[Page 82]
reconnu coupable de
meurtre au deuxième degré, la Cour suprême accueillit l’appel et ordonna la
tenue d’un nouveau procès. D’après la Cour, l’examen du droit de garder le
silence comporte deux volets. Tout d’abord, le tribunal doit déterminer si la
preuve a été obtenue par un représentant de l’État. Dans l’affirmative, le juge
devra examiner si la preuve a été obtenue de façon irrégulière, c’est-à-dire
en contravention du droit du suspect de choisir de garder le silence ou de
parler aux policiers. À la première étape, le tribunal s’intéresse au statut de
la personne qui a recueilli les renseignements compromettants, aux liens qui
existent entre elle et l’État. S’il est évident que les policiers et les
gardiens de prison constituent des représentants de l’État, qu’en est-il des « informateurs
recrutés par la police ? » Sur ce point, le
Tribunal propose le critère suivant : « L’échange entre l’accusé et l’indicateur
aurait-il eu lieu, de la même façon et sous la même forme, n’eût été l’intervention
de l’État ou de ses représentants ? » Les
compagnons de cellule, qui agissent sous les ordres ou recommandations de la
police, constituent donc généralement des représentants de l’État
[Page 83]
au sens de l’article
7. Cette conclusion s’applique, peu importe que l’indicateur soit rémunéré ou
non par les autorités, ou qu’il ait fait l’objet d’une promesse de clémence
sous la forme d’une accusation réduite ou d’une peine diminuée. Quant à l’ami
de Broyles, celui-ci était clairement un représentant de l’État. La rencontre
entre lui et l’accusé ayant été organisée par la police, celle-ci n’aurait
jamais eu lieu ou se serait déroulée différemment sans l’intervention de l’État.
La première condition remplie, le Tribunal passe à la seconde étape de l’analyse :
Est-ce que la preuve a été obtenue de façon irrégulière, en
contravention du droit du suspect de choisir de garder le silence ou de parler
aux policiers ? Pour répondre à cette question, la Cour identifie deux
groupes de facteurs à considérer. Le premier se rapporte
à « la nature de l’échange entre l’accusé et le représentant de l’État ».
En effet, « le représentant de l’État a-t-il cherché de façon active à
obtenir des renseignements de sorte que l’échange puisse être considéré comme
un interrogatoire, ou a-t-il mené sa part de la conversation comme l’aurait
fait l’interlocuteur que l’accusé croyait avoir devant lui ? ».
Le deuxième ensemble de facteurs s’intéresse aux rapports entre l’interlocuteur
et l’accusé : « Le
représentant de l’État a-t-il exploité quelque aspect de ces rapports pour arracher
la déclaration ? La confiance régnait-elle entre le représentant de l’État
et l’accusé ? L’accusé se sentait-il vulnérable face au représentant de l’État
ou obligé envers lui ? Le représentant de l’État a-t-il manipulé l’accusé
pour le rendre mentalement plus susceptible de parler ? »
Comme la conversation au cours de laquelle l’ami de Broyles lui a soutiré des
renseignements compromettants avait été menée essentiellement
[Page 84]
sous forme d’interrogatoire
et que ce dernier avait profité de ses liens d’amitié pour dénigrer le travail
de l’avocat et l’amener plus facilement à parler, la Cour conclut que les
déclarations incriminantes ont été obtenues en violation du droit de l’accusé
de garder le silence.
60. L’arrêt Liew est la troisième décision
de la Cour suprême consacrée à l’obtention d’une déclaration incriminante à la
suite d’un artifice. Dans cette affaire, l’accusé et un agent banalisé, qui
avait participé à une opération secrète de vente de stupéfiants, furent réunis
dans une salle d’interrogatoire après avoir été arrêtés à la suite d’une
descente qui avait mal tournée. L’appelant ayant amorcé la conversation en
faisant référence aux circonstances de l’arrestation, le policier lui aurait
demandé « ce qui s’était passé » pour ensuite l’informer du fait que
les policiers avaient relevé ses empreintes digitales sur la drogue saisie. L’accusé
ayant répondu « Lee et moi aussi », la défense s’est opposée à l’admission
de sa déclaration. La Cour d’appel ayant ordonné la tenue d’un nouveau procès à
la suite de l’acquittement de l’accusé, la Cour suprême confirma la décision de
la Cour d’appel et conclut à l’absence de violation du droit de garder le
silence. D’après le juge Major, qui s’exprimait alors pour la majorité, les
questions et commentaires formulés par l’agent banalisé s’inscrivaient
parfaitement dans le cours normal de la conversation initiée par l’accusé. L’arrêt
Hebert, rappelle-t-il, n’interdit pas le recours à des artifices
permettant d’obtenir des renseignements du suspect. L’usage d’un tel procédé
viole le droit de l’accusé de garder le silence uniquement lorsque les
policiers tentent activement de soutirer des informations
compromettantes. « Il importe peu,
en effet, que le policier ait usé
[Page 85]
d’artifices, qu’il
ait permis qu’on se trompe sur son identité, ou qu’il ait menti, tant que les
réponses de l’appelant n’ont pas été obtenues de façon active ou n’étaient pas
le résultat d’un interrogatoire. » Comme l’accusé
a engagé lui-même la conversation au sujet de la transaction avortée et que le
policier a poursuivi la discussion comme l’aurait fait une personne normale qui
venait de participer à un marché de vente de stupéfiants, le Tribunal conclut
que le prévenu a agi à ses risques et périls en choisissant de parler à l’agent
banalisé.
[Page 86]
61. La portée et les limites du droit de
garder le silence dans le cadre d’un interrogatoire policier furent examinées
par la Cour suprême, dans R. c. Singh.
Arrêté pour le meurtre d’un passant innocent tué par une balle perdue, l’accusé
a été informé de son droit de garder le silence et d’avoir recours à l’assistance
d’un avocat. Après avoir discuté en privé avec son avocat, l’appelant fut
interrogé par la police. Malgré « ses affirmations répétées qu’il
souhaitait garder le silence » et mettre fin à
la discussion, l’inspecteur a poursuivi l’interrogatoire après avoir mentionné
à M. Singh qu’il n’était pas obligé de parler et qu’il désirait simplement lui
exposer la preuve qu’il possédait. Même si l’accusé n’a pas confessé son crime,
il a reconnu certains faits permettant son identification. La preuve ayant été
admise par le juge du procès et la Cour d’appel de la Colombie-Britannique, la
Cour suprême s’interrogea sur la portée et les limites du droit de garder le
silence conféré par l’article 7 de la Charte. Selon la majorité de la Cour, qui
s’exprimait alors sous la plume de la juge Charron, le droit de garder le
silence est antérieur à la Charte. Ce principe, issu de la common law, donne le
droit à une personne de garder le silence et « non le droit de
ne pas se faire adresser la parole par les autorités ».
En effet, « les détenus qui ont invoqué leur droit de garder le silence
ont le droit de changer d’avis. “Un refus initial peut être suivi d’une crise
de conscience, d’une impulsion inconsciente à passer aux aveux – ou,
simplement, d’un changement d’avis sincère” : Timm c. La Reine, 1998 CanLII 12523 (QC CA), [1998]
R.J.Q. 3000 (C.A.), p. 3021. Cependant, on ne peut pas les contraindre à
changer d’avis en persistant à faire fi de leur choix ».
Comment distinguer les
[Page 87]
moyens de persuasion
légitimes, de la négation pure et simple du droit de l’accusé de garder le
silence ? Voilà la question. M. Singh ayant mentionné à plus de 18
reprises qu’il ne voulait pas parler aux policiers, la décision de l’enquêteur
de poursuivre l’interrogatoire malgré la volonté expresse de l’accusé
viole-t-elle le droit de garder le silence garanti par l’article 7 ? La
réponse est non. Fidèle à l’approche contextuelle développée dans les arrêts Hebert,
Oickle et Spencer, la Cour suprême réitère l’importance du libre
choix de l’accusé dans la décision de parler ou non aux policiers. Résultat :
« La persuasion policière qui ne prive pas le suspect de son droit de
choisir ni de son état d’esprit conscient ne viole pas le droit de garder le
silence. » Quant à l’accusé
qui invoque à plus de 22 reprises son droit au silence, il ne peut contester la
validité de la déclaration qu’il a donnée librement après avoir visionné un
vidéo qui l’incriminait directement dans la commission du crime.
Même si l’accusé prétend être passé aux aveux pour que « ça finisse »,
c’est plutôt le fait « qu’il a compris qu’il ne pouvait s’en sortir »,
qui l’a convaincu de parler au policier. Encore une
fois, l’analyse est contextuelle et tient compte des caractéristiques
personnelles de l’accusé qui affectent sa capacité de choisir de parler ou non
aux autorités, de la conduite des policiers et des circonstances menant à sa
déclaration incriminante.
[Page 88]
62. L’importance des caractéristiques personnelles
de l’accusé, tout d’abord, puisqu’une personne dont la condition psychologique
est précaire en raison d’un retard mental, d’un trouble physique, psychique ou
neuropsychique peut ne pas être en mesure d’user de son libre arbitre. C’est du
moins ce qu’indique la Cour d’appel du Québec, dans R. c. Otis.
L’accusé, qui souffrait de troubles cognitifs et d’un retard mental léger,
fut arrêté par la police à la suite du décès de la fille de sa conjointe. Bien
qu’il ait invoqué à quatre reprises son désir de garder le silence, l’enquêteur
a poursuivi ses questions en confrontant l’accusé à la déclaration de sa
conjointe et en l’invitant à lui dire ce qui s’était passé. L’intimé ayant
fourni des renseignements compromettants, la juge de première instance écarta
la déclaration incriminante, puis l’acquittement fut prononcé à la suite d’un
procès devant jury. La cause ayant été portée en appel, la Cour rejeta le
pourvoi et conclut à la violation du droit de l’accusé de garder le silence. D’après
le juge Proulx, la capacité de l’individu de résister à la persuasion policière
constitue un facteur pertinent dans l’analyse contextuelle du droit de garder
le silence. En effet, le retard
mental ou la fragilité psychologique qui n’est pas suffisant pour priver le
suspect de son état d’esprit conscient peut, une fois combiné à d’autres
éléments pertinents, empêcher ce dernier d’exercer son libre choix de parler ou
non aux policiers. Il en va également de l’épuisement et de toutes autres
conditions pouvant affecter la capacité de choix de l’accusé.
[Page 89]
63. La conduite des policiers est le second
facteur dont il faut tenir compte au moment d’apprécier le choix de l’accusé de
parler ou non aux autorités. Sur ce point, la Cour suprême est catégorique :
« l’État ne peut utiliser son pouvoir supérieur pour faire fi de la
volonté du suspect et nier son choix [de ne pas parler aux policiers] ».
Si le nombre de fois que l’accusé invoque son droit au silence n’est pas
déterminant en soi, les enquêteurs ne
peuvent ignorer complètement le choix de l’accusé ou agir comme si sa décision
n’avait aucune importance. C’est que « le droit ne permet pas aux
policiers de passer outre à la liberté du détenu de choisir de parler ou
non, comme on le prétend. Tant en vertu des règles de la common law que de
celles de la Charte, il se peut bien que la persistance des policiers à
poursuivre l’interrogatoire, malgré les affirmations répétées du détenu qu’il
souhaitait garder le silence, permette de faire valoir sérieusement que toute
déclaration obtenue par la suite ne résultait pas d’une libre volonté de parler
aux autorités ». Il ne faut pas
confondre ici la persuasion policière qui ne prive pas l’accusé de son choix de
garder le silence
[Page 90]
avec le mépris
flagrant à l’égard de l’intention de l’accusé.
Comme l’indique le juge Fish dans R. c. Timm : « Detention
until confession is an unacceptable form of persuasion. »
Le tribunal doit garantir « un juste équilibre entre le droit de l’individu
de choisir de parler ou non aux autorités et l’intérêt qu’a la société à
découvrir la vérité dans le cadre des enquêtes criminelles ».
Cette situation est d’autant plus évidente lorsque l’ignorance du choix de l’accusé
s’ajoute au dénigrement du rôle de l’avocat. En effet, la conduite qui a pour
résultat de « miner la confiance de l’accusé envers son avocat, de briser
le lien de confiance entre eux » ou de minimiser
l’importance et la valeur de ses conseils peut, une
fois combinée aux souhaits maintes fois répétés de l’accusé de garder le
silence, priver ce dernier de son choix utile de parler ou non aux policiers.
Comme la règle des confessions subsume le
[Page 91]
droit de garder le
silence dans les cas où le suspect s’adresse à une personne en situation d’autorité,
la poursuite de l’interrogatoire malgré l’intention de l’accusé de garder le
silence et le dénigrement du rôle et des conseils de l’avocat constitue un
facteur qui, une fois surajouté à d’autres circonstances pertinentes, doit
également être considéré dans l’analyse du caractère volontaire de la
déclaration de l’accusé. L’analyse,
rappelons-le, est contextuelle et s’enracine dans les faits de chaque affaire.
Troisième sous-section : La
preuve matérielle obtenue à la suite d’une déclaration involontaire ou d’une
violation du droit de garder le silence (preuve dérivée)
64. L’admissibilité d’une preuve matérielle
obtenue à la suite d’une déclaration involontaire fut abordée par la Cour
suprême
[Page 92]
dans l’arrêt R. c.
Wray. Arrêté pour le meurtre
d’un employé d’une station-service, l’accusé fut transporté au bureau de la
Sûreté, à Peterborough, où il fut interrogé par un enquêteur privé agissant
pour le compte de la police. Le suspect ayant signé une déclaration écrite dans
laquelle il indiquait l’endroit exact où se trouvait l’arme du crime, le
tribunal, après avoir refusé la déclaration involontaire signée par l’accusé,
écarta la production de la carabine et la preuve de la participation de l’accusé
dans la découverte de l’arme du crime. L’acquittement ayant été confirmé en
appel, le plus haut tribunal s’interrogea sur l’admissibilité des éléments de
preuve contestés. D’après la Cour suprême, l’exclusion automatique des
déclarations involontaires que prévoit la règle des confessions repose sur l’absence
de fiabilité de la preuve obtenue. Or, les éléments matériels découverts à la
suite d’une déclaration involontaire sont fiables.
Donc la preuve matérielle obtenue suite à une telle déclaration est recevable
en droit criminel.
65. Cette conclusion, qui fut confirmée
récemment par la Cour suprême dans R. c. Grant,
mérite d’être nuancée afin de
[Page 93]
tenir compte de l’équité
du processus d’enquête et du principe
interdisant l’auto-incrimination. Le tribunal, en effet,
conserve toujours son pouvoir discrétionnaire d’écarter les éléments de preuve
qui entraîneraient un procès inéquitable. Dans l’exercice
[Page 94]
de ce pouvoir, le
tribunal doit rechercher à établir un équilibre entre la protection des droits
individuels et le devoir de l’État d’enquêter sur les crimes.
On n’a qu’à penser au policier qui torture un suspect afin d’obtenir une
déclaration incriminante menant à la découverte de l’arme du crime. Comme la
conduite du policier est grave et que l’arme du crime n’aurait pu être obtenue
autrement, cette preuve a pour effet, à notre avis, de rendre le procès
inéquitable. Il en serait autrement d’une violation moins sérieuse menant à l’obtention
d’une preuve très probante. Malgré son bien-fondé,
[Page 95]
cette position ne
semble pas s’imposer pour l’instant, les tribunaux préférant réitérer les
principes développés dans l’arrêt Wray. En effet :
« Nous avons vu précédemment que les
confessions involontaires sont inadmissibles en common law. Cette exclusion
automatique des déclarations involontaires procède de la perception qu’il est
injuste de mobiliser une personne contre elle-même et, surtout, du doute au
sujet de la fiabilité des déclarations forcées. Toutefois, la common law n’a
pas étendu l’inadmissibilité automatique aux éléments de preuve matérielle
découverts grâce aux renseignements tirés de ces déclarations. La règle des
confessions s’étant articulé surtout autour de la notion de fiabilité, l’intérêt
du public à ce que la vérité soit établie au moyen d’une preuve fiable a, en
common law, primé sur les préoccupations relatives à l’autoincrimination :
Wray et R. c. St. Lawrence, 1949 CanLII 100 (ON SC), [1949] O.R. 215 (H.C.J.). »
66. Citée à l’appui de l’admissibilité de la
preuve matérielle découverte à la suite d’une déclaration involontaire, le
principe énoncé dans l’arrêt R. c. St. Lawrence
doit également être lu à la lumière des changements apportés à la règle des
confessions et
[Page 96]
des valeurs
véhiculées par la Charte. D’après ce principe, « [Traduction] [l]orsque la découverte du
fait confirme la confession – c’est-à-dire lorsqu’il faut conclure à la
véracité de la confession en raison de la découverte du fait – alors la partie
de la confession que confirme la découverte du fait est recevable en preuve ».
Mise de l’avant par les tribunaux à une époque où la fiabilité de la
déclaration présidait au développement de la règle des confessions,
la règle énoncée dans l’arrêt R. c. St. Lawrence doit tenir
compte également du principe interdisant l’auto-incrimination et du besoin de
préserver l’intégrité du processus judiciaire.
[Page 97]
Comme l’a fait
remarquer fort justement le Conseil privé, dans R. v. Lam Chi-ming :
« The privilege against self-incrimination is deep rooted in English law
and it would make a grave inroad upon it if the police were to believe that if
they improperly extracted admissions from an accused which were subsequently
shown to be true they could use those admissions against the accused for the
purpose of obtaining a conviction. » Sans écarter automatiquement la
portion de la déclaration contestée, nous croyons que le juge possède le
pouvoir discrétionnaire d’exclure tous les éléments de preuve dont l’admission
rendrait le procès inéquitable. En effet, « si l’État
avait la faculté de simplement corroborer des déclarations obtenues de force,
il n’y aurait pas grand-chose qui l’inciterait à s’abstenir d’appliquer des
moyens d’enquête répréhensibles. Voilà pourquoi la règle des confessions écarte
automatiquement les déclarations involontaires, indépendamment de leur véracité ».
[Page 98]
Bien que nous sommes
entièrement d’accord avec les propos du juge Cory, dans R. c. Hodgson,
cette décision ne se prononce pas sur la validité de la règle énoncée dans
l’arrêt R. c. St. Lawrence, mais sur l’admissibilité d’une
déclaration faite par un suspect à la victime et aux autres membres de sa
famille.
67. Comme l’obtention d’une déclaration
involontaire faite par une personne détenue viole également le droit de garder
le silence, et que la règle développée dans R. c. St. Lawrence n’a
pas encore été écartée par le plus haut tribunal du pays, nous croyons, à la
suite du juge Rosenberg dans R. c. Sweeney, qu’il s’agit d’une
situation où le droit de garder le silence garanti par l’article 7 vient
compléter la common law. L’admissibilité en
common law d’une confession involontaire dont la fiabilité a été établie par l’obtention
d’une preuve dérivée n’ayant pas pour effet de limiter la protection garantie
par l’article 7, le sort de la déclaration incriminante obtenue en violation du
droit en question devra être déterminé en vertu du par. 24(2) de la Charte.
En effet :
« Les mécanismes d’application dont
disposent les juges en common law ne sont pas comparables à ceux prévus par l’art.
24 de la Charte, particulièrement le pouvoir d’écarter une preuve en
application du par. 24(2). On ne règle donc pas le problème de la violation du
droit de garder le silence en affirmant que la confession qui en résulte ou la
preuve dérivée aurait été admise en
[Page 99]
common law : nous n’appliquons pas ici
la common law. L’admissibilité est maintenant régie par le par. 24(2) de la
Charte. Ne définir les droits reconnus par la Charte qu’en conformité avec l’efficacité
ultime de ceux qui les ont précédés en common law ou dans les lois écrites
serait nier la suprématie de la Constitution. »
68. Si la preuve matérielle découverte à la
suite d’une déclaration involontaire est admissible en common law, il en va
autrement de celle obtenue en contravention du droit de garder le silence.
Conformément au par. 24(2), le juge appelé à se prononcer sur la recevabilité
de la preuve dérivée se demandera si son utilisation est susceptible de
déconsidérer l’administration de la justice. Pour ce
faire, il devra, tout d’abord, se pencher sur la gravité de la conduite des
agents de l’État. Plus les gestes reprochés aux policiers sont graves, plus le
besoin de se dissocier d’une telle conduite sera grand. L’admission d’éléments
de preuve obtenus à la suite d’une violation flagrante et délibérée de la
Charte (p. ex. : emploi de la force physique ou menaces d’y recourir) aura
pour effet d’ébranler sérieusement la confiance du public envers l’administration
de la justice et militera en faveur de l’exclusion de la preuve matérielle.
Quant à l’incidence de la violation sur les droits en question, il convient de
distinguer la preuve matérielle qui aurait été obtenue sans la déclaration
incriminante de celle qui n’aurait pas été découverte de manière indépendante.
La première étant moins susceptible de porter atteinte aux droits de l’accusé
garantis par la Charte que la seconde. S’agissant d’une preuve matérielle
découverte à la suite d’une violation du droit de garder le silence, « sa
fiabilité est généralement moins problématique, et l’intérêt du
[Page 100]
public à ce qu’un
procès soit instruit sur le fond favorisera donc habituellement son utilisation ».
La preuve matérielle découverte grâce à une déclaration obtenue à la suite d’une
violation flagrante et délibérée du droit de l’accusé de garder le silence sera
généralement écartée lorsque la preuve n’aurait pu être découverte autrement.
69. Comme la preuve matérielle découverte
grâce aux renseignements tirés d’une confession involontaire est admissible en common
law, le tribunal devra s’enquérir de la violation du droit de garder le
silence (qui s’impose naturellement à l’esprit en raison de la conclusion
antérieure du juge selon laquelle la déclaration du détenu n’était pas
volontaire), puis de la recevabilité des éléments de preuve obtenus à la suite
d’une telle violation. Si la common law offre
une « meilleure protection » contre l’admission de déclarations
involontaires, l’article 7 possède, pour sa part, une « utilité
supplémentaire » à l’égard de l’utilisation de la preuve dérivée et de la
validité de la portion de la déclaration irrecevable qui fut confirmée par la
découverte d’un élément matériel. Une analyse en deux étapes (règle des
confessions/droit de garder le silence) serait donc généralement appropriée
dans les circonstances.
[Page 101]
Quatrième sous-section : La
règle des confessions dérivées
70. Contrairement à la preuve matérielle
découlant d’une déclaration involontaire, la règle des confessions dérivées
permet de déterminer l’admissibilité d’une déclaration subséquente à une
déclaration involontaire. D’après la Cour
suprême, dans R. c. I.
[Page 102]
(L.R.) et T.
(E.), l’obtention d’une confession involontaire ne
contamine pas automatiquement la seconde déclaration recueillie par la police
ou par d’autres personnes en situation d’autorité.
C’est le degré de connexité entre les deux déclarations qui compte. Plus le
lien qui existe entre la première et la seconde déclaration est étroit, plus le
risque de contamination est grand. En sens contraire, des
déclarations qui auraient peu ou pas de rapports entre elles risquent moins de
s’influencer mutuellement. Parmi les facteurs permettant de déterminer le degré
de connexité entre les deux déclarations, mentionnons la période de temps qui
sépare l’obtention des aveux, « la présence des
mêmes policiers au cours des deux interrogatoires »,
« la similitude des circonstances et des
[Page 103]
procédés employés
par la police », « les
allusions à la déclaration antérieure pendant l’interrogatoire »,
la découverte de renseignements supplémentaires après l’obtention de la
première déclaration, etc. « Si on
applique ces facteurs, une confession subséquente serait involontaire si les
caractéristiques ayant vicié la première confession existaient toujours ou si
la première déclaration était un facteur important qui a incité à faire la
seconde déclaration. » La réunion des
deux conditions n’est pas obligatoire. La
persistance des facteurs viciateurs peut se produire, par exemple, lorsque des
enquêteurs obtiennent deux confessions à quelques jours d’intervalle à la suite
de menaces à peine voilées. Quant à la confession obtenue en raison de la
première déclaration inadmissible, celle-ci ne requiert pas nécessairement la
persistance des facteurs ayant vicié le caractère volontaire de la déclaration
initiale. L’exemple de la personne soupçonnée de fraude qui est passée aux
aveux après avoir été convoquée au poste de police à la suite d’une déclaration
incriminante qu’elle avait faite à un enquêteur privé dans un climat d’oppression
et sous le coup d’une promesse de clémence, illustre bien cette situation.
D’après l’appelant, « j’ai fait celle-là [la seconde déclaration] parce
que j’avais pas le choix, quand j’ai vu celle-là [la première], je me suis dit “Je
suis cuit. Je vais faire tout de suite ma déclaration” ».
Bien qu’il s’était écoulé sept mois entre les deux déclarations, la confession
obtenue au
[Page 104]
poste de police fut
donnée seulement cinq jours après que l’accusé ait été informé par un
inspecteur qu’il avait en main la déclaration faite à l’enquêteur privé. Comme
la seconde déclaration suivait de près la mention de la première, il existait
un lien temporel suffisamment étroit entre les deux confessions pour entraîner
son exclusion. Ici l’axiome « après cela, donc à cause de cela »
trouve sa pleine justification dans la mesure où la seconde déclaration
résultait directement de la première jugée inadmissible. Encore une fois, l’approche
est contextuelle. Son application exige un examen du lien existant entre les
deux déclarations tel que perçu à travers le prisme des circonstances de l’affaire.
Ces circonstances, précise le juge Bastarache dans R. c. G.(B.), doivent
révéler la présence d’une connexité suffisante entre les deux
déclarations afin d’atteindre le degré de contamination nécessaire à l’exclusion
de la confession dérivée. En somme, d’après le juge Watt, dans R. c. M.D., « the
inquiry required when the derived confessions rule is invoked to exclude a
subsequent statement is essentially a
[Page 105]
causation inquiry
that involves a consideration of the temporal, contextual, and causal
connections between the proffered and earlier statements ».
71. En ce qui touche la déclaration
secondaire recueillie par une personne qui n’est pas en situation d’autorité,
nous croyons que l’exclusion ne peut s’appliquer en raison de l’absence de
pouvoir ou d’influence des personnes ordinaires sur l’instance rendant l’examen
du caractère volontaire de la déclaration nécessaire.
[Page 106]
Comme l’indique la
juge McLachlin, dans R. c. G.(B.), « cette doctrine s’attache
au caractère volontaire des déclarations, question qui ne se pose que dans le
cas de confessions faites à des personnes en situation d’autorité ».
Le suspect qui répète à un ami un aveu arraché par des policiers à la suite de
menaces ou de promesses n’a pas à craindre ou espérer un tel traitement de la
part de son ami. Il en va de même si la première déclaration avait été obtenue
dans un climat d’oppression, sans esprit conscient ou à la suite d’une ruse qui
choque la collectivité. La conclusion serait différente, par contre, si l’accusé
croyait raisonnablement que son ami était en situation d’autorité, car dans ce
cas la règle des confessions dérivées s’appliquerait avec autant de célérité.
72. Si la règle des confessions dérivées s’intéresse
au lien qui unit la déclaration incriminante et la confession involontaire qui
l’a précédée, l’admissibilité d’une déclaration faite à la suite
[Page 107]
d’une première
déclaration obtenue en violation d’un droit garanti par la Charte est régie par
le par. 24(2). C’est l’exemple de l’enquêteur qui réussit finalement à faire
parler un suspect après l’avoir confronté à une déclaration incriminante que
ses collègues avaient obtenue en raison d’une violation flagrante de son droit
à l’assistance d’un avocat. Comme la déclaration
faite par l’accusé à l’enquêteur « après plus de quatre heures de
résistance, [...] a suivi immédiatement la mention de la première
déclaration irrecevable », il existait un « lien
temporel » et « causal » suffisamment étroit entre les deux déclarations
pour conclure que la preuve avait été obtenue dans des conditions qui portaient
atteinte aux droits garantis par la Charte. Le policier
ayant sciemment utilisé une déclaration obtenue en violation du droit à l’assistance
d’un avocat
[Page 108]
pour arracher l’aveu
désiré, son admission aurait pour effet de déconsidérer l’administration de la
justice.
Cinquième sous-section : Les
opérations « Monsieur Big »
73. Issues de l’imagination fertile des
policiers canadiens, les opérations « Monsieur
Big » ont permis la condamnation de plusieurs individus soupçonnés de
crimes graves demeurés jusque-là non résolus. Cette technique, qui consiste à
gagner la confiance d’un suspect afin de l’amener à se joindre à une
organisation criminelle fictive, culmine avec la rencontre du chef de l’organisation,
« Monsieur Big ». La rencontre ayant généralement pour but d’offrir à
l’accusé une place au sein de l’organisation criminelle,
une position plus élevée ou des responsabilités accrues, ce dernier est appelé
à dissiper les doutes ou inquiétudes de « Monsieur Big » quant au
crime reproché. Sans obéir à une formule unique, le but de l’opération demeure
toujours le même : obtenir un aveu relativement au crime sous enquête.
Parmi les procédés les plus souvent utilisés, mentionnons la promesse faite à l’accusé
de le protéger s’il avoue son crime ou celle de faire disparaître, grâce au
concours d’agents corrompus ou à l’élimination d’un témoin gênant, des éléments
de preuve incriminants. Les policiers peuvent également
[Page 109]
mentionner au
suspect que sa persistance à nier la commission du crime sera perçue comme un
manque de confiance à l’égard de l’organisation criminelle, ou simplement le
mettre au défi de prouver sa capacité de commettre des actes violents.
Malgré les particularités propres à chaque affaire, la technique demeure
sensiblement la même : écarter les protestations d’innocence du suspect,
lui démontrer que sa culpabilité est établie et insister pour que ce dernier
avoue son crime pour le bien de l’organisation. Vu sous cet angle, il est
évident que les opérations « Monsieur Big » sont d’une efficacité
redoutable et ne peuvent être écartées sans risquer de nuire aux enquêtes
criminelles et à la découverte de la vérité.
74. En plus d’être efficaces, les opérations
« Monsieur Big » échappent à l’application de la règle des
confessions ainsi qu’au
[Page 110]
droit de garder le
silence garanti par l’article 7. En effet, l’individu
qui parle au chef d’une organisation criminelle ne sait pas qu’il s’adresse à
un policier. La condition se rapportant à une personne en situation d’autorité
n’étant pas remplie, la poursuite n’a pas à prouver le caractère volontaire
de la déclaration. Quant à la protection offerte par la Charte, « la
jurisprudence relative au droit de garder le silence n’a jamais étendu à la
période qui précède la détention la protection contre les artifices utilisés
par les policiers ». Efficaces, les
opérations « Monsieur Big » le sont certainement. Dangereuses, elles
le sont également puisqu’en raison de leur nature particulière (risques d’aveux
non dignes de foi, de preuve préjudiciable et d’abus policiers) et de l’absence
de protections adéquates, elles peuvent mener à des condamnations injustifiées.
75. Consciente des risques associés aux
opérations « Monsieur Big », la Cour suprême, dans R. c. Hart,
est venue baliser le recours à cette technique d’enquête et encadrer l’admissibilité
des aveux ainsi obtenus. En l’espèce, l’accusé, qui était soupçonné d’avoir
noyé ses deux enfants, a affirmé aux policiers
[Page 111]
qui l’ont interrogé
que l’une des victimes avait échappé à sa supervision alors qu’il était en
proie à une crise d’épilepsie. Confus et désorienté, l’accusé serait retourné
chez lui afin de chercher son épouse, oubliant ainsi l’autre jeune fille sur le
quai. Convaincue de sa culpabilité, mais possédant peu de preuves contre lui,
la police a mis sur pied une opération secrète au cours de laquelle l’intimé
fut approché par deux policiers en civil. Après avoir gagné sa confiance, le
suspect fut amené à participer à des activités criminelles simulées contre
rémunération. S’étant rapidement lié d’amitié avec les deux agents, ces
derniers lui ont proposé une « affaire importante qui assurerait sa
sécurité financière ». Comme sa participation
à l’opération criminelle était conditionnelle à l’accord de Monsieur Big, une
rencontre entre les deux individus fut organisée. Questionné sur la mort de ses
deux jeunes filles, le suspect a maintenu sa version des faits et réitéré le
caractère accidentel des événements reprochés. Les explications n’ayant pas
convaincu son interlocuteur, ce dernier somma l’accusé « de ne pas mentir ».
Devant l’insistance de Monsieur Big, le suspect avoua finalement le double
meurtre et admit avoir poussé les victimes dans le lac afin d’éviter que leur
garde soit confiée à son frère. La Cour d’appel ayant cassé le verdict de
culpabilité rendu en première instance et ordonné la tenue d’un nouveau procès,
la Cour suprême devait déterminer l’admissibilité des aveux obtenus à la suite
de l’opération « Monsieur Big ». Soulignant l’absence de protection
suffisante offerte à l’accusé, la Cour suprême proposa « une démarche à
deux volets pour contrer les risques liés à la fiabilité, au préjudice et au
comportement policier répréhensible que comporte pareille opération ».
[Page 112]
76. Le premier volet de la démarche proposée
par le juge Moldaver et la majorité dans l’arrêt Hart consacre l’existence,
en common law, d’une nouvelle règle de preuve selon laquelle l’aveu recueilli
dans le cadre d’une opération « Monsieur Big » est présumé
inadmissible. Pour être repoussée, cette présomption impose à la poursuite la
charge d’établir, selon la prépondérance des probabilités, « que la valeur
probante de l’aveu l’emporte sur son effet préjudiciable ».
La valeur probante de l’aveu obtenu à la suite d’une opération « Monsieur
Big » suppose un examen de sa fiabilité telle que perçue à travers le
prisme des circonstances de l’affaire et
de la qualité de l’aveu ainsi obtenu. Des circonstances
de
[Page 113]
l’affaire, tout d’abord,
puisque « la durée de l’opération, le nombre d’interactions entre les
policiers et l’accusé, la nature de la relation qui s’est tissée entre les
agents et l’accusé, la nature des incitations et leur importance, le recours à
des menaces, la conduite de l’interrogatoire, ainsi que la personnalité de l’accusé,
y compris son âge, ses connaissances et son état de santé mentale »
permettront de déterminer s’il y a lieu de mettre en doute la fiabilité de l’aveu
et, « si oui, dans quelle mesure ». En
pratique, la fiabilité d’un aveu peut être mise en doute notamment par la
présence d’une incitation financière si forte qu’elle prive l’accusé de « sa
rationalité et de sa capacité de faire des choix »;
d’une dépendance de nature à subjuguer sa volonté ou l’empêcher « d’exprimer
librement et correctement sa pensée »; de l’emploi de
scenarios de violence relevant de « tactiques coercitives inacceptables »
et d’intimidation découlant de menaces de violence ou d’un autre préjudice
sérieux. La conclusion du juge selon laquelle l’accusé n’est pas « une
personne facilement intimidable, que les allusions à certains avantages
monétaires n’étaient pas de nature à l’aveugler et que l’entrevue avec “Monsieur
Big” ne contenait pas de menace d’une possible atteinte à son intégrité
physique ou à celle d’autrui » contribue donc à
augmenter la fiabilité des aveux.
77. Après avoir examiné les circonstances
entourant l’obtention de la déclaration incriminante, le tribunal doit rechercher,
dans l’aveu même, ce qui contribue à augmenter ou démontrer sa fiabilité.
Pour ce faire, le juge doit tenir compte de la nature des
[Page 114]
informations
révélées dont notamment le détail et l’exhaustivité des renseignements obtenus,
le fait qu’ils ont permis ou non la découverte d’éléments de preuve
indépendants, qu’ils ont révélé des
modalités du crime jusqu’alors inconnues du public
ou des informations que l’accusé aurait ignorées s’il n’avait pas commis
[Page 115]
le crime.
Sans être nécessaire, l’existence d’une preuve corroborante augmente
considérablement la fiabilité de l’aveu. Cela est d’autant plus important
lorsque les circonstances ayant mené à son obtention demeurent incertaines.
78. L’évaluation de l’effet préjudiciable
de l’aveu est généralement plus simple que la détermination de sa valeur
probante.
[Page 116]
En raison de sa
nature particulière, l’admission de l’aveu obtenu dans le cadre d’une opération
de type « Monsieur Big » risque de causer à l’accusé un préjudice moral
ou un préjudice par raisonnement. Un préjudice moral, tout d’abord,
puisque le jury découvrira que l’accusé souhaitait adhérer à une organisation
criminelle pour laquelle il s’est livré à des activités illégales simulées. « Au
bout du compte, l’accusé n’aura d’autre choix que de convaincre le jury qu’il a
menti à Monsieur Big lorsqu’il s’est vanté de la perpétration d’un crime très
grave parce qu’il souhaitait ardemment se joindre au gang. »
Sur ce point, il est évident que la participation de l’accusé à des actes de
violence et la révélation de ses antécédents judiciaires au cours de l’enquête
augmenteront le préjudice moral découlant de l’obtention de l’aveu.
Quant au préjudice par raisonnement, l’adhésion de l’accusé à une
organisation criminelle et sa participation à des activités illégales qu’il
croyait être réelles risquent fortement d’influencer le jury en détournant son
attention sur la personnalité de l’individu et sa propension à commettre des
crimes. Pour contrer ce danger, il serait souhaitable d’exclure certains
détails particulièrement préjudiciables dont la pertinence à la compréhension
des faits est plutôt secondaire.
79. Après avoir soigneusement soupesé la
valeur probante de l’aveu et son effet préjudiciable, le tribunal doit
déterminer si le ministère public a prouvé, selon la prépondérance des
probabilités, que « la valeur de l’aveu (force probante) l’emporte sur le
coût de son obtention (effet préjudiciable) ». Si
la réponse est négative, l’aveu doit être écarté. Dans le cas contraire, l’aveu
sera admis en preuve à moins que son obtention découle d’un abus de procédure
et plus précisément d’une conduite de l’État qui compromet l’équité des procès
ou l’intégrité du système judiciaire. C’est le second volet de la démarche
analytique préconisée par la
[Page 117]
Cour suprême, dans
R. c. Hart. Parmi les facteurs pouvant mener à un abus de procédure,
mentionnons (1) l’emploi de la force contre le suspect ou des menaces d’y
recourir afin d’obtenir un aveu et (2) l’exploitation
des caractéristiques personnelles de l’accusé qui le rendent plus vulnérable à
la manipulation telles que la jeunesse ou l’inexpérience, sa fragilité
psychologique, sa dépendance à l’alcool ou aux drogues, son isolement social,
sa pauvreté et ses
[Page 118]
liens familiaux.
C’est donc la contrainte ou l’exploitation de la vulnérabilité de l’accusé qui
le prive de sa volonté qui compte. L’utilisation de
subterfuges, d’incitations et de ruses n’est pas interdite.
En effet, les tactiques qui exercent une pression sur la
[Page 119]
volonté de l’agent « sans
venir à bout de sa volonté et à le contraindre ainsi à avouer » (« overcome
the will of the accused and coerce a confession ») sont permises.
Dans tous les cas, il appartiendra à l’accusé de prouver l’abus de procédure.
Comme la présence d’un abus de procédure « rendra inutile la mise en
balance de la valeur probante et de l’effet préjudiciable »,
le tribunal commencera souvent son analyse par la question de l’abus de
procédure.
80. Appliquée aux faits de l’espèce, il est
évident que la valeur probante des aveux obtenus de M. Hart ne l’emportait pas
sur leur caractère préjudiciable. Avant de rencontrer les policiers, l’intimé
était sans amis, sans-le-sou et sans emploi. L’opération lui a permis de
travailler, de gagner de l’argent et de nouer des liens d’amitié avec des
agents qu’il considérait comme des « frères ». Son désir de conserver
son nouveau train de vie, jumelé à la peur de perdre une bonne opportunité d’affaires
et de ne plus travailler pour l’organisation, l’ont poussé à avouer la
commission des crimes qu’on lui reprochait. Ces aveux, arrachés dans des
conditions qui font douter de leur véracité, ne comportent aucun indice de
fiabilité
[Page 120]
pouvant les rendre
plus dignes de foi. En effet, les incohérences relevées dans les aveux
recueillis et l’absence de preuve de corroboration ne permettent pas de
vérifier leur véracité. Ces lacunes, une fois combinées aux risques de
préjudice découlant de la participation active de l’accusé à des activités illégales
simulées et du fait qu’il s’était vanté d’être à l’origine de la mort de ses
filles afin de conserver son statut au sein de l’organisation criminelle,
empêchent la poursuite de réfuter la présomption d’inadmissibilité applicable
en l’espèce. Comme « ces aveux ne valent pas le risque qu’ils font courir »,
la première étape n’est pas franchie et il n’y a pas lieu de déterminer si le
comportement des policiers a constitué un abus de procédure.
81. Lorsqu’un aveu obtenu dans le cadre d’une
opération « Monsieur Big » est recevable en preuve, le tribunal doit
donner au jury des directives permettant de contenir les risques liés à son
utilisation. Sans retenir une
formule précise, le juge « doit communiquer au jury les éléments dont il a
besoin pour tenir compte de la non-fiabilité éventuelle des aveux et du
préjudice susceptible de découler de ceux-ci ».
Ainsi, pour déterminer si l’aveu obtenu est digne de foi, le juge doit examiner
avec les jurés les circonstances ayant mené à son obtention ainsi que les
indices de fiabilité qu’il contient. Sur ce point, le juge Gagnon, dans Béliveau
c. R., est catégorique : « Les éléments liés à la
non-fiabilité éventuelle de l’aveu obtenu à l’occasion d’une opération “Monsieur
Big” sont plus nombreux et raffinés que les seuls cas de traitements inhumains,
dégradants ou violents. » Parmi les
facteurs pertinents à cette question, mentionnons, encore une fois, « la
durée de
[Page 121]
l’opération, le
nombre d’interactions entre les policiers et l’accusé, la nature des relations
qui se sont tissées entre les agents et l’accusé, la nature des incitations et
leur importance, le recours à des menaces, la conduite de l’interrogatoire
ainsi que la personnalité de l’accusé ». Le
juge n’est pas tenu d’expliquer en détail tous les éléments de preuve se
rapportant à la question de la fiabilité. « Sa fonction consiste
simplement à attirer l’attention des jurés sur la non-fiabilité éventuelle de l’aveu
et à leur signaler les facteurs pertinents pour se prononcer à ce sujet. »
En ce qui concerne la preuve de mauvaise moralité que comporte l’aveu obtenu
dans le cadre d’une opération de type « Monsieur Big », le juge doit
mentionner au jury qu’elle ne peut fonder, à elle seule, une déclaration de culpabilité
et que la participation de l’accusé aux activités criminelles simulées découle
d’un stratagème de la police mis en place afin d’encourager ce dernier à y
prendre part.
[Page 122]
Sixième sous-section : Les
déclarations d’un accusé à des personnes ordinaires
82. Si la déclaration faite à une personne
en situation d’autorité suppose la tenue d’un voir-dire au cours duquel le
ministère public devra prouver son caractère volontaire, il en va autrement des
aveux recueillis par des personnes ordinaires, tels des amis, collègues de
travail, parents ou proches de la victime. Comme la règle des confessions exige
que la déclaration soit faite à une personne en situation d’autorité et que le
droit de garder le silence garanti par l’article 7 ne s’applique qu’après la
mise en détention du suspect, les aveux recueillis par ces personnes « sont
admissibles comme preuve de la véracité de leur contenu ».
Malgré son bien-fondé, cette exception à la règle du ouï-dire n’est pas sans
dangers. Les déclarations incriminantes
pouvant être soutirées au
[Page 123]
moyen de l’emploi de
la force ou des menaces d’un tel emploi, elles comportent des risques
importants quant à leur fiabilité. C’est l’exemple de l’individu qui arrache
des aveux de l’agresseur de son fils à la pointe d’un couteau. Le père ayant
menacé le suspect de le tuer s’il n’avouait pas son crime, il est évident que
la fiabilité de la déclaration incriminante peut être remise en question. Il en
va ainsi des aveux soutirés par suite de chantages, de pressions psychologiques
ou de menaces se rapprochant de la contrainte morale. Pour contrer les risques
associés à de telles pratiques, la Cour suprême, dans R. c. Hodgson, propose
les directives suivantes :
« Il est possible qu’une déclaration
obtenue par suite d’un traitement inhumain ou dégradant ou le recours à la
violence ou à des menaces de violence ne soit pas l’expression de la volonté
librement exercée de confesser ses actes. Au contraire, elle peut n’être que le
résultat de la contrainte ou de la crainte d’un tel traitement. Si c’est le
cas, il se peut fort bien que la déclaration ne soit pas vraie ou qu’elle ne
soit pas fiable. Par conséquent, si vous concluez que la déclaration a été
obtenue par une telle contrainte, il faut ne lui accorder que très peu de
poids, voire pas du tout. »
83. Pertinentes lorsque l’aveu soutiré à l’accusé
par une personne ordinaire a été admis en preuve, les directives proposées par
le juge Cory, dans R. c. Hodgson, s’avèrent inutiles dans les cas
ou l’admissibilité de l’aveu obtenu au moyen d’un traitement dégradant ou
inhumain rendrait le procès inéquitable. En effet, « le juge du procès
demeure toujours investi d’un pouvoir discrétionnaire qui lui permet d’écarter
l’élément de preuve dont l’admission
[Page 124]
compromettrait l’équité
du procès ». Un aveu à
première vue admissible en preuve peut donc être écarté lorsque les
circonstances entourant son obtention sont si odieuses que son utilisation
nuirait à la tenue d’un procès équitable. Il en serait ainsi dans les cas d’aveux
arrachés à la suite de tortures ou de traitements inhumains ou dégradants, ou
soutirés à la suite d’une contrainte irrésistible.
[Page 125]