Deuxième
section : Le droit d’avoir recours sans délai à l’assistance d’un avocat
et d’être informé de ce droit (al. 10b))
422. Le droit d’avoir recours sans délai à
l’assistance d’un avocat a pour but d’informer le détenu de ses droits et
obligations et de lui permettre d’obtenir des conseils juridiques sur la
manière de les exercer. Dans la poursuite de
ces objectifs, l’al. 10b) impose aux policiers l’obligation d’informer
la personne détenue ou mise en état d’arrestation de son droit à l’assistance
d’un avocat; c’est le volet informationnel. Si la personne indique
qu’elle veut consulter un avocat, les policiers doivent lui fournir la
possibilité raisonnable d’exercer ce droit et s’abstenir de tenter de lui
soutirer des éléments de preuve incriminants jusqu’à ce qu’elle ait eu cette
possibilité raisonnable; c’est le volet mise en application.
[Page 650]
D’après la juge
Abella, dans R. c. Taylor, « l’obligation d’informer le
détenu de son droit à l’assistance d’un avocat prend naissance “immédiatement”
après l’arrestation ou la mise en détention (Suberu, par. 41-42), et
celle de faciliter l’accès à un avocat prend pour sa part naissance
immédiatement après que le détenu a demandé à parler à un avocat ».
En général, une seule mise en garde suffit si elle est accompagnée d’une possibilité
raisonnable de consulter un avocat. Quant à l’omission de remplir l’une de ces
obligations, elle contrevient à l’al. 10b) de la Charte et met en péril
l’admission de la preuve obtenue suite à la violation du droit en question.
Regardons brièvement en quoi consistent ces obligations. À l’étude du volet « informationnel »,
succédera un examen du volet « mise en application ».
Première sous-section : Le
volet « informationnel »
423. Après avoir informé le prévenu des
motifs de son arrestation ou de sa détention, les policiers doivent l’aviser
sans délai de son droit à l’assistance d’un avocat. Comme l’expression « sans
délai » signifie « immédiatement » aux fins de l’al. 10b),
le policier qui arrête ou détient une personne au sens de la Charte doit l’informer
de son droit de consulter un avocat dès sa mise en détention ou son arrestation.
Il ne faut pas confondre ici l’obligation
[Page 651]
d’information et
celle de faciliter l’accès à un avocat. La
première présente généralement peu de risques pour la sécurité des
policiers, alors que la seconde peut, en raison de circonstances « exceptionnelles »,
amener ces derniers à retarder ou suspendre son application. Nous reviendrons
un peu plus loin sur cette question. Pour l’instant, qu’il suffise de dire que « sous
réserve d’une menace pour la sécurité de l’agent ou du public »
et de « restrictions qui seraient prescrites par une règle de droit et
justifiées au sens de l’article premier de la Charte »,
les policiers doivent procéder à la mise en garde et informer immédiatement la
personne détenue ou sous arrêt de son droit à l’assistance d’un avocat.
Le policier qui s’enquiert auprès d’une jeune femme qui prend
[Page 652]
place dans une
ambulance des circonstances entourant un accident de bateau, ne peut retarder
le volet informationnel s’il procède à son arrestation à la suite des réponses
obtenues. Même si sa décision
de repousser la mise en garde prévue à l’al. 10b) reposait sur son
intention de ne pas interférer avec la fourniture de soins médicaux, le
tribunal conclut à une violation du droit en question.
En plus d’être transmise « promptement et d’une manière compréhensible »,
l’information se doit d’être « aussi instructive et claire que possible ».
424. Si l’al. 10b) de la Charte
impose aux policiers le devoir d’informer le détenu de son droit à l’assistance
d’un avocat, encore
[Page 653]
faut-il que ce
dernier comprenne la signification du droit en question. Ce principe fut
examiné par la Cour suprême dans l’arrêt R. c. Evans.
À la suite de son arrestation pour trafic de stupéfiants, l’accusé fut mis
en garde selon la formule habituelle et informé de son droit à l’assistance
d’un avocat. À la question : « Comprenez-vous ? »,
l’appelant a répondu « Non ». Bien que les policiers savaient que le
jeune homme souffrait d’une déficience intellectuelle légère, aucune mesure ne
fut entreprise pour lui expliquer son droit. Trois interrogatoires plus tard,
l’accusé avait avoué la commission des crimes. D’après la juge McLachlin, qui s’exprimait
alors pour la majorité, la personne détenue doit comprendre son droit à
l’assistance d’un avocat pour l’exercer adéquatement.
En général, l’accusé comprend ce qui lui est dit et les policiers n’ont pas à
pousser plus loin leurs explications. Par
contre, si le détenu indique clairement qu’il ne comprend pas son droit,
ou s’il existe des signes évidents d’incompréhension, les
[Page 654]
policiers doivent
aller au-delà de la récitation habituelle et prendre des mesures raisonnables
pour expliquer le droit en question. Compte
tenu de l’état mental de l’accusé et de sa réponse à la question du policier,
l’omission de prendre des mesures raisonnables afin de lui expliquer son droit
à l’assistance d’un avocat constituait, en l’espèce, une violation de l’al. 10b)
de la Charte. Le principe est donc
simple et bien arrêté : « [E]n l’absence de circonstances
particulières, notamment des problèmes de langues ou une déficience mentale
notoire ou manifeste, indiquant que la personne détenue ne comprend peut-être
pas la mise en garde prévue à l’al. 10b), les policiers ne sont pas
tenus de s’assurer qu’elle la comprend bien. »
Pour déterminer si le prévenu comprend son droit à l’avocat, le tribunal peut
se fonder sur « les réponses de ce dernier » et sur « son comportement
général » lors de l’interaction avec les policiers.
La personne intoxiquée qui ne présente pas de signes évidents de confusion, qui
suit les directives des policiers et qui collabore avec eux, comprend son droit
à l’avocat et peut l’exercer convenablement. Si elle refuse de parler à un
avocat, les policiers « n’ont pas d’autres obligations ou démarches
supplémentaires à effectuer ». Une fois que
le policier s’est acquitté de son obligation d’information, l’agent n’est pas
tenu de
[Page 655]
vérifier si l’accusé
souhaite exercer ou non son droit à l’avocat.
L’absence de phrases comme « souhaitez vous appeler un avocat
maintenant ? » que l’on retrouve parfois à la fin de la mise en garde
concernant le droit à l’avocat ne viole donc pas l’al. 10b) de la
Charte, si le policier a informé le suspect de son droit d’avoir recours sans
délai à l’assistance d’un avocat et de la disponibilité de services d’aide
juridique et d’avocats de garde.
425. L’obligation d’informer à nouveau
l’accusé de son droit à l’assistance d’un avocat à la suite d’un changement « radical »
et « net » de l’objet de l’enquête, fut reconnue par la Cour suprême
dans les arrêts Black et Evans.
À la suite d’une agression à coups de couteau sur sa voisine, Mme Black fut
arrêtée pour tentative de meurtre, puis transportée au poste de police après
avoir reçu la mise en garde habituelle. L’accusée ayant discuté brièvement avec
son avocat, celle-ci fut informée, deux heures plus tard, du décès de la
victime et du changement de l’accusation initiale. L’appelante s’étant mise
alors à pleurer, à crier et à accuser les policiers de lui mentir, ces derniers
ont réussi à la calmer pour procéder ensuite à une seconde mise en garde
relativement à son droit de garder le silence. N’ayant pas réussi à contacter
son avocat au milieu de la nuit, Mme Black refusa de communiquer
[Page 656]
avec un autre
procureur. Inquiète pour ses enfants, l’accusée demanda au policier si elle
passerait la fin de semaine en prison. L’agent ayant confirmé qu’elle serait
maintenue sous garde, ce dernier lui demanda où se trouvait le couteau. Après
avoir dit que le couteau était chez elle, l’agent Ross a demandé à l’accusée de
tout lui raconter. Ce qu’elle fit, quelques instants plus tard, dans le cadre
d’une déclaration consignée par écrit. D’après la Cour suprême, l’al. 10b)
doit être interprété à la lumière du droit d’être informé dans les plus brefs
délais des motifs de son arrestation ou de sa détention. En effet, « une
personne ne peut valablement exercer le droit que lui garantit l’al. 10b)
que si elle connaît l’ampleur du risque qu’elle court ».
Les policiers se devaient donc, en l’espèce, de renouveler la mise en garde au
sujet du droit à l’assistance d’un avocat après avoir été informés du décès de
la victime et du changement dans la nature de l’accusation qui serait portée.
426. Ce principe fut repris et développé,
quelques années plus tard, dans R. c. Evans.
Arrêté pour trafic de stupéfiants, l’accusé est devenu rapidement le suspect
principal d’un double meurtre. Comme l’objet de l’enquête est passé d’une
infraction relativement mineure à celle la plus grave du Code criminel, les
policiers devaient renouveler la mise en garde au sujet du droit à l’assistance
d’un avocat. La nature et la gravité de l’infraction, rappelle la Cour suprême,
peuvent avoir une incidence importante sur la décision de parler ou non à un
avocat. C’est pourquoi « les policiers ont le devoir d’informer à nouveau
l’accusé de son droit à l’assistance d’un avocat quand un changement de circonstances
fait que l’accusé est soupçonné d’une infraction différente et plus grave que
celle dont il était soupçonné au moment de la première mise en garde ».
Sans avoir l’obligation de renouveler la mise en garde à chaque modification de
l’infraction, les policiers ont le
[Page 657]
devoir d’informer à
nouveau l’accusé de son droit à l’assistance d’un avocat « quand il y a un
changement radical et net de l’objet de l’enquête, qui vise une infraction
différente et indépendante ou une infraction beaucoup plus grave que celle qui
était en cause au moment de la mise en garde ».
Le devoir de renouveler la mise en garde quant au droit à l’assistance d’un
avocat s’impose également lorsque l’enquête policière vise une ou des
infractions supplémentaires à celle faisant l’objet des procédures.
Comme l’indique le juge Iacobucci, dans R. c. Borden, « [l]orsque
la portée des enquêtes policières a été élargie, l’intimé aurait dû être
informé de nouveau de son droit à l’assistance d’un avocat ».
Ces
[Page 658]
enquêtes peuvent
viser le même type d’infraction et découler d’informations fournies par le
suspect lors d’un interrogatoire. C’est l’exemple de la personne arrêtée pour
un incendie criminel commis à Peterborough qui a admis au cours de
l’interrogatoire avoir déjà allumé un incendie à Kingston. S’agissant d’un
événement complètement distinct qui avait eu lieu plusieurs mois auparavant, la
décision de l’enquêteur d’interroger le suspect sur l’incendie de Kingston sans
renouveler la mise en garde relative au droit à l’avocat lui fut reprochée.
427. Afin d’assurer au droit à l’assistance
d’un avocat sa protection pleine et entière, les policiers doivent informer les
personnes détenues « de l’existence dans leur province ou territoire
[Page 659]
de services d’aide
juridique et d’avocats de garde », ainsi que des
moyens d’accéder aux services disponibles. Dans les
provinces qui n’offrent pas de services d’avocats de garde fonctionnant 24
heures par jour, l’obligation d’informer le détenu de l’existence de tels
services n’existe pas. Quant aux policiers
qui arrêtent un individu dans une province où le numéro sans frais permettant
de communiquer avec les avocats de garde n’est accessible qu’en dehors des
heures normales de bureau, ils ne sont pas tenus de communiquer ce numéro
lorsqu’ils procèdent à l’arrestation du suspect pendant les heures de bureau.
Dans ce cas, le détenu doit
[Page 660]
être informé des
services d’avocats de garde qui sont offerts par le bureau local de l’aide
juridique. Quant aux moyens de contacter les services en question, les
policiers, selon le juge en chef Lamer dans R. c. Latimer,
n’ont pas à « donner verbalement le numéro de téléphone du
bureau local d’aide juridique » lorsque
celui-ci est facilement accessible. En effet, « Monsieur Latimer était
parfaitement capable de trouver le numéro. Il aurait pu consulter un annuaire à
la ferme ou au poste de police s’il en avait demandé un, et dans les deux cas
il avait en outre accès au service d’assistance-annuaire. Rien ne permet de
penser que s’il l’avait demandé aux agents de police, ils ne le lui auraient
pas fourni. Enfin, au poste de police, M. Latimer avait devant lui un téléphone
sur lequel était indiqué le numéro de téléphone de l’aide juridique. Je note de
plus qu’aux deux endroits on a demandé à M. Latimer s’il comprenait et s’il
avait des questions à poser sur ce qu’on lui avait dit. Dans les deux cas, il a
répondu par la négative ».
428. La renonciation au droit d’être informé
de l’existence de services d’aide juridique, d’avocats de garde et du numéro
1-800 permettant de les rejoindre est soumise à des exigences relativement
strictes qui reflètent l’importance du devoir d’information contenu à l’al. 10b)
de la Charte. Pour être valide, la renonciation doit respecter les deux
conditions suivantes : premièrement, la personne détenue doit avoir
renoncé explicitement à son droit de recevoir la mise en garde
habituelle. On n’a qu’à penser à la personne détenue qui « interrompt le
policier pour lui dire qu’il n’a pas à poursuivre la lecture de la mise en
garde ». Deuxièmement,
il
[Page 661]
doit y avoir « des
motifs raisonnables de croire que cette personne connaît ses droits, les a
invoqués et est au courant des moyens de les exercer ».
Le simple fait que l’accusé dise au policier qu’il connaît ses droits ne suffit
pas dans les circonstances. Quant à la personne qui fut informée de son droit à
l’assistance d’un avocat après son arrestation, elle peut renoncer au volet de
la mise en garde se rapportant aux avocats de garde si, par exemple, les policiers
doivent l’informer de nouveau de son droit d’avoir recours à
[Page 662]
l’assistance d’un
avocat à la suite d’un changement radical et net de l’objet de l’enquête.
Le suspect ayant déjà communiqué avec un avocat de garde, il est raisonnable de
penser qu’il se rappelle de l’existence de ce service.
429. D’après l’ancien juge en chef Lamer,
dans R. c. Prosper, les policiers sont soumis à une « obligation
d’information supplémentaire » lorsque la personne détenue, qui a exprimé
sa volonté de communiquer avec un avocat, change d’avis et décide de ne plus
solliciter de conseils juridiques après avoir tenté sans succès de joindre son
avocat. « À ce moment, la police sera tenue de l’informer de son droit
d’avoir une possibilité raisonnable de communiquer avec un avocat et de
l’obligation de la police, au cours de cette période, de s’abstenir, tant que
la personne n’aura pas eu cette possibilité raisonnable de prendre toute
déposition ou d’exiger qu’elle participe à quelque processus qui pourrait
éventuellement être incriminant. » Cette mise en
garde, précisent l’ancienne juge en chef McLachlin et la juge Charron, dans
R. c. Willier, ne s’applique pas lorsque l’accusé, qui a tenté sans
succès de joindre son avocat, décide de parler à un avocat de l’aide juridique.
Obligatoire dans les cas où le détenu indique
[Page 663]
expressément qu’il a changé d’avis et qu’il ne désire plus consulter un avocat,
la « mise en garde de type Prosper » s’impose également
lorsque « la personne détenue fait quelque chose qui indique qu’elle a
changé d’avis et qu’elle ne souhaite plus communiquer avec un avocat ».
En effet, « the obligation is placed on the police
to give a Prosper warning “where the detainee has asserted the right [to
counsel] and then apparently change[s] his mind” ».
Deuxième sous-section : Le
volet « mise en application »
430. Lorsqu’une personne dûment informée de
son droit à l’assistance d’un avocat souhaite se prévaloir de son droit, les
policiers doivent lui donner la possibilité raisonnable de le faire et
s’abstenir de lui poser des questions ou d’essayer de lui soutirer des éléments
de preuve tant et aussi longtemps qu’elle n’a pas eu cette possibilité
raisonnable. Pour engager le volet « mise en application », la
personne détenue doit avoir exprimé sa volonté de communiquer avec un avocat.
À défaut, l’obligation corrélative des policiers ne prendra pas naissance et
cela jusqu’à ce que l’accusé
[Page 664]
fasse valoir son
droit. Le silence du détenu
ou l’absence de désir de consulter sur-le-champ un avocat
n’équivaut pas à une demande en ce sens. Ainsi, à moins d’indications claires
que l’accusé n’avait pas compris qu’il avait le droit de consulter un avocat au
moment où il a été informé, c’est à lui de prouver « qu’il a demandé à
exercer ce droit mais qu’on le lui a refusé ou qu’on lui a même refusé la
possibilité de le demander ».
431. Lorsqu’une personne détenue ou en état
d’arrestation exprime son intention de parler à un avocat, les policiers
doivent s’abstenir de l’interroger ou de tenter autrement de lui soutirer des
éléments de preuve « jusqu’à ce qu’elle ait eu la possibilité raisonnable
de le faire ». Cette
obligation s’applique naturellement à l’enquêteur qui s’apprête à interroger le
suspect, à tenir une séance d’identification
ou à lui soumettre une offre de plaidoyer. En effet, « pour que le droit à
l’assistance d’un avocat soit efficace, le détenu doit pouvoir obtenir ses
conseils avant d’être interrogé ou requis autrement de fournir des éléments de
preuve ». Sauf en
[Page 665]
cas d’urgence ou de
danger, les policiers qui
arrêtent une personne qui souhaite communiquer avec un avocat ne peuvent donc
commencer à l’interroger sur place ou durant son transport au poste de police.
Quant à la question « Souhaitez-vous dire quelque chose ? », qui
est parfois posée à la fin de la mise en garde habituelle,
après que la personne détenue ait exprimé son désir de consulter un avocat,
elle contrevient à l’obligation « de surseoir à l’enquête » et porte
atteinte à l’al. 10b) de la Charte.
432. Même si les policiers s’abstiennent
d’interroger l’accusé qui invoque son droit à l’assistance d’un avocat, un
suspect, dûment informé, peut faire une déclaration spontanée. En effet,
[Page 666]
« if a detainee
makes an un-elicited and spontaneous incriminating statement after being
appropriately cautioned, there is no violation of s. 10(b) ». Les agents n’ont pas l’obligation d’empêcher l’accusé d’avouer
spontanément son crime, mais doivent s’abstenir de lui poser des questions
jusqu’à ce qu’il ait eu cette possibilité raisonnable de l’exercer.
433. Comme plusieurs arrestations sont
effectuées au cours de la nuit ou de la fin de semaine, il arrive parfois que
le prévenu ne soit pas en mesure de contacter immédiatement l’avocat de son
choix. Doit-il alors communiquer avec un autre avocat ? Sur ce point, la
Cour suprême est catégorique : « l’accusé ou le détenu a le droit de
choisir son avocat et ce n’est que si l’avocat choisi ne peut être disponible
dans un délai raisonnable qu’on doit s’attendre à ce que le détenu ou l’accusé
exerce son droit à l’assistance d’un avocat en appelant un autre avocat ».
Envisagé du point de vue
[Page 667]
des policiers, « l’al.
10b) oblige ces derniers à accorder au détenu une possibilité
raisonnable de communiquer avec un avocat et à faciliter cette communication ».
C’est l’exemple de l’agent de police qui a mentionné au détenu qui avait tenté
sans succès de contacter son avocat en lui laissant un message sur sa boite
vocale, que ce dernier ne serait probablement pas disponible avant le lendemain
matin et qu’il pouvait, par conséquent, bénéficier immédiatement des services
de l’aide juridique. Est-ce que le policier a enfreint le droit de l’accusé
d’avoir une possibilité raisonnable de consulter l’avocat de son choix ?
Non, répond la Cour suprême dans R. c. Willier.
Le policier n’a jamais laissé entendre au prévenu qu’il ne pouvait attendre
la réponse de son avocat, ou que le recours à l’aide juridique était sa seule
option. La police a simplement informé de nouveau le prévenu de la
disponibilité de l’aide juridique et « le fait de se conformer à cette
obligation n’a pas porté atteinte à son droit d’avoir une possibilité
raisonnable de communiquer avec l’avocat de son choix ».
434. Le droit de consulter l’avocat de son
choix fut examiné encore une fois par la Cour suprême dans l’arrêt R. c.
McCrimmon. Après
avoir été informé de son droit de consulter l’avocat de son choix et de
communiquer avec un avocat de l’aide juridique disponible 24 heures sur 24,
l’accusé a déclaré vouloir parler à Me Cheevers. Comme l’agente Mathew n’a pu
rejoindre l’avocat à son bureau, elle laissa un message sur son répondeur. Le
détenu ayant mentionné alors à la policière qu’il ne savait pas si son avocat
allait rappeler, qu’il n’avait fait appel à ses services qu’une seule fois et
qu’il ne connaissait pas d’autres avocats, l’agente Mathew lui a demandé s’il
voulait appeler un avocat de l’aide juridique, ce qu’il a accepté malgré sa
préférence affichée pour Me Cheevers. Bien que sa conversation avec l’avocat de
garde ait duré environ cinq minutes, l’accusé s’est dit satisfait des conseils
reçus. Après un interrogatoire serré au cours duquel il exprima à
[Page 668]
plusieurs reprises
son désir de parler à son avocat, l’accusé fit plusieurs déclarations
incriminantes. La défense ayant soulevé notamment que l’accusé avait été privé
de son droit à l’assistance de l’avocat de son choix, la Cour suprême réitéra
les enseignements de l’arrêt Willier et rejeta les prétentions de la
défense. En effet, même si M. McCrimmon « a indiqué qu’il préférait parler
à Me Cheevers », la police pouvait lui « demander s’il voulait
communiquer avec l’aide juridique lorsque Me Cheevers n’était pas immédiatement
disponible ». L’accusé a
acquiescé et s’est dit satisfait des conseils que lui avait donnés l’avocat de
garde. De plus, il a mentionné à l’enquêteur, au début de l’interrogatoire,
qu’il connaissait ses droits. « Dans les circonstances, la police n’était
plus tenue de suspendre l’interrogatoire jusqu’à ce que Me Cheevers soit
disponible. »
435. La police doit informer le prévenu qui
n’a pas rejoint avec succès son avocat, qu’il bénéficie d’un délai raisonnable
pour attendre le retour d’appel. L’exemple du policier
qui appelle un avocat de garde une minute après avoir laissé un message sur la
boite vocal de l’avocat de l’accusé illustre bien cette situation. L’avocat de
garde ayant rappelé le policier 13 minutes plus tard, ce dernier avisa le
prévenu que son avocat n’avait pas rappelé et qu’il pouvait parler à l’avocat
de garde, qui était en ligne.
[Page 669]
Comme le policier
lui avait laissé très peu de temps pour décider de parler à l’avocat de garde,
que l’accusé savait qu’il devait parler à un avocat et qu’il y en avait un en
ligne, le détenu croyait qu’il n’avait pas d’autres options ou de choix que de
parler à l’avocat de garde. D’où la violation du
droit à l’assistance de l’avocat de son choix.
436. Sans être tenus d’effectuer « toutes
les démarches possibles et inimaginables » pour
contacter l’avocat de son choix, les policiers doivent offrir à l’accusé une
possibilité raisonnable de consulter son avocat et faciliter cette
communication. Des mesures proactives peuvent donc s’avérer nécessaires pour
s’acquitter de leur obligation. Ce qui n’est pas le
cas lorsque les
[Page 670]
policiers procèdent
à une recherche sommaire d’à peine quelques minutes, refusent de laisser un
message sur la boite vocale de l’avocat,
s’empressent de référer l’accusé à un avocat d’aide juridique sans attendre un
délai raisonnable pour permettre un retour d’appel, ou interdisent
catégoriquement à l’accusé de consulter son cellulaire afin de fournir les
coordonnées de son avocat. Dans R. c. Traicheff,
le juge Lampkin mentionne que la police doit informer le détenu, qui a
attendu pendant une période de temps raisonnable, de l’absence de retour d’appel
et lui demander s’il aimerait parler à un autre avocat. Il serait également
avisé de lui
[Page 671]
demander s’il
possède un autre numéro permettant de joindre l’avocat de son choix ou de lui
fournir un bottin téléphonique pour voir s’il peut y trouver le nom de son
avocat et un autre numéro auquel il peut être joint.
De façon plus contemporaine, les policiers peuvent effectuer une recherche sur
Internet ou sur le site du Barreau du Québec, ou permettre à l’accusé de faire
de telles recherches. La personne détenue
qui informe les policiers qu’elle possède les coordonnées de son avocat dans
son cellulaire peut consulter, sous la supervision des policiers, son appareil
afin
[Page 672]
de fournir le numéro
en question. À cet égard, le
tribunal précise que les policiers n’ont pas à posséder des charges pour les
téléphones dont la batterie est morte.
437. L’obligation des policiers de prendre
des mesures raisonnables pour faciliter l’accès de l’accusé à l’avocat de son
choix fut étudiée récemment par la Cour d’appel, dans R. c. Blackburn-Laroche.
À la suite de son arrestation pour conduite avec facultés affaiblies,
l’accusé fut transporté au poste de police où il a demandé à parler avec Me
Boulianne ou Me Cantin, deux avocats travaillant au même bureau. Le policier
ayant « trouvé le
[Page 673]
numéro de cellulaire
de Me Boulianne sur le site Internet du bureau Cantin Boulianne », il
tenta, sans succès, de le rejoindre à 23h37. Deux minutes plus tard, le
policier a appelé « la ligne Cantin Boulianne vingt-quatre heures »,
mais encore une fois sans réponse. Il n’a pas laissé de
message ni tenté de joindre Me Cantin sur son cellulaire. L’accusé ne sachant
plus qui appeler, l’agente Larouche a indiqué la présence d’une affiche de
l’aide juridique sur le mur. L’intimé ayant pointé la photo de Me Gagnon, la
policière contacta l’avocat qui s’est entretenu avec l’accusé pendant quelques
minutes. L’accusé n’a fait aucun commentaire sur son entretien. Les
échantillons d’haleine ont par la suite été prélevés conformément à la
procédure habituelle. En tout, les appels logés par le policier sur la ligne
cellulaire de Me Boulianne et sur celle du bureau Cantin Boulianne ont duré
deux minutes. Une minute s’est écoulée entre l’appel au Bureau des avocats et
celui logé à l’aide juridique. Il n’y avait aucune urgence en l’espèce
puisqu’il restait une demi-heure avant l’épuisement du délai maximum pour
l’application de la présomption en question. La juge du procès ayant conclu à
la violation du droit à l’assistance de l’avocat de son choix, la Cour d’appel
confirma sa décision d’écarter la preuve et d’acquitter l’accusé. D’après la
juge Gagné, les policiers n’ont pas accordé à l’intimé une possibilité
raisonnable de communiquer avec l’avocat de son choix. En effet, l’agent n’a
pas tenté de joindre Me Cantin ni de rappeler Me Boulianne un peu plus tard.
Aucun message n’a été laissé sur la boîte vocale. Quant à la décision de
l’accusé de parler à un avocat de l’aide juridique, « pour pouvoir
conclure que l’intimé a renoncé à son droit de communiquer avec l’avocat de son
choix, il faudrait que la preuve démontre qu’il savait qu’il pouvait attendre
pendant un délai raisonnable, mais qu’il a préféré appeler un avocat de l’aide
juridique ». Ce qui n’était
pas le cas en l’espèce puisque les policiers ne l’ont pas informé qu’il « pouvait
attendre pendant un délai raisonnable que Me Boulianne ou Me Cantin réponde ».
Comme l’accusé n’a pas bénéficié d’une possibilité raisonnable de communiquer
avec
[Page 674]
l’avocat de son
choix et qu’il n’a pas renoncé à son droit, la conduite des policiers
contrevenait à l’al. 10b) de la Charte.
438. Envisagé du point de vue de l’accusé,
l’al. 10b) accorde au détenu qui n’a pas rejoint immédiatement son
avocat, « le droit de refuser de communiquer avec un autre avocat et
d’attendre un délai raisonnable pour que l’avocat de son choix soit disponible ».
Parmi les facteurs pris en considération dans l’examen du délai raisonnable,
mentionnons la gravité de l’infraction et l’urgence de la situation. La gravité
de l’infraction, tout d’abord, puisqu’il est normal qu’une personne accusée
d’une infraction grave (p. ex. : meurtre) insiste pour parler à l’avocat
de son choix. Cela ne signifie pas
pour autant qu’une personne arrêtée pour une infraction moins grave soit tenue
d’opter pour un avocat de garde, ou que les policiers
ne puissent offrir au suspect
[Page 675]
l’occasion de parler
à un autre avocat lorsque son procureur ne peut être rejoint en temps utile. La
personne accusée de huit agressions sur cinq femmes, qui n’est pas capable de
rejoindre l’avocat de son
[Page 676]
choix et qui accepte
sciemment l’offre de la policière de contacter un avocat de l’aide
juridique, ne peut s’objecter à l’admission de la preuve obtenue à la suite de
l’interrogatoire policier, s’il se dit satisfait des conseils reçus.
L’urgence de l’enquête, ensuite, car le besoin d’empêcher la destruction de la
preuve, sa dégradation, son inadmissibilité ou sa disparition peut obliger
l’accusé à accepter de recourir à l’assistance d’un autre avocat. En sens
contraire, l’absence d’urgence milite en faveur d’un délai plus long et à plus
de patience de la part des policiers. Dans R. c. Black, la Cour
suprême reconnaît qu’« un délai d’environ huit heures, jusqu’aux heures
normales d’affaires, n’aurait pas été déraisonnable en l’espèce vu qu’il
s’agissait d’une accusation de meurtre au premier degré et qu’il n’y avait pas
d’urgence de procéder à l’interrogatoire ».
Quant au délai d’attente de deux heures après qu’une personne, qui s’était
introduite par effraction dans une maison d’habitation pour agresser son
occupant, ait laissé un message sur la boite vocal de son avocat à la fin de
l’avant-midi, un jour de semaine, pendant les vacances estivales, il fut jugé
raisonnable dans les circonstances. Enfin,
mentionnons que la disponibilité ou l’absence de services d’avocats de garde
dans le ressort où la personne est placée en détention est un autre facteur
pertinent dans l’évaluation de l’obligation des policiers de lui fournir une « possibilité
raisonnable » de consulter un avocat. Dans les cas où l’accusé souhaite se
prévaloir de son droit et fait preuve de diligence dans l’exercice de celui-ci,
l’attente « pourrait s’étendre jusqu’à l’ouverture du bureau local de
l’aide juridique ou jusqu’à l’établissement de la communication avec un avocat
de cabinet privé qui accepte de donner sans frais des conseils sommaires ».
439. Lorsque son avocat ne peut être rejoint
dans un délai raisonnable, « le détenu est censé faire preuve de diligence
raisonnable dans l’exercice de son droit en communiquant avec un autre avocat,
sinon l’obligation qui incombe aux policiers d’interrompre
[Page 677]
leurs questions est
suspendue ». En effet, il
faut éviter de « retarder inutilement et impunément une enquête ».
L’individu qui refuse d’appeler son avocat parce qu’il est 21h et que le seul
numéro disponible dans l’annuaire est celui du bureau de son avocat ne fait pas
preuve de diligence raisonnable dans l’exercice de son droit. Comme la plupart
des avocats en droit criminel peuvent être rejoints après les heures normales
de bureau, qu’un appel lui aurait peut-être permis de parler à son avocat,
d’obtenir un autre numéro permettant de le joindre ou de laisser un message de
rappel, la décision de ne pas appeler et d’attendre au lendemain matin lui fut
reprochée. La personne qui
refuse catégoriquement de
[Page 678]
parler à un autre
avocat après avoir attendu pendant plus de deux heures le retour d’appel, ne
fait pas preuve de diligence raisonnable. Comme le refus « équivalait à
une renonciation explicite de consulter un avocat sans délai, la policière
n’avait plus l’obligation de s’abstenir de tenter de lui soutirer des éléments
de preuve ». Cette
décision, bien entendu, pourrait être différente si l’individu était accusé,
par exemple, de meurtre au premier degré, car ce n’est qu’en présence d’un
délai d’attente déraisonnable que l’accusé « est censé faire preuve de
diligence raisonnable dans l’exercice de son droit en communiquant avec un
autre avocat ».
440. Comme l’indique ces décisions
auxquelles il serait possible d’en substituer bien d’autres, le droit à l’assistance
d’un avocat n’est pas absolu. L’accusé doit faire
preuve de diligence raisonnable dans l’exercice de son droit. À défaut,
l’obligation corrélative des policiers de s’abstenir de lui poser des questions
ou de tenter de lui soutirer des éléments de preuve incriminants sera suspendue.
Pour s’en convaincre, citons le cas du conducteur en état d’ébriété qui a parlé
plus de 62 minutes avec son père, qui est avocat, avant d’être soumis à
l’alcootest. Bien que la présomption de conformité instituée au profit du
ministère public à l’égard des échantillons pris dans les deux heures de
l’infraction ne constitue pas une circonstance pressante ou urgente, « l’appelant
n’a pas exercé son droit avec une diligence raisonnable et il ne pouvait, en
prolongeant indûment la consultation, retarder inutilement et impunément
l’enquête policière et faire en sorte qu’il atteigne la sobriété
[Page 679]
empêchant ainsi les
policiers de recueillir la preuve ». L’absence de
diligence raisonnable dont fait preuve l’accusé en tentant d’obtenir les
services d’un avocat ou en exerçant autrement son droit suspend donc les
obligations corrélatives des policiers de lui offrir une possibilité
raisonnable de consulter l’avocat de son choix et de retarder les mesures
d’enquête.
441. Bien que les policiers n’aient pas
l’obligation de s’assurer de la validité des conseils juridiques reçus par
l’accusé, ils doivent redoubler de précautions lorsqu’il existe des « indications
claires commandant l’inférence que l’appelant n’avait pas encore eu la
possibilité raisonnable d’exercer son droit constitutionnel ».
La personne détenue, rappelons-le, a droit à l’« assistance » d’un
avocat. L’accusé qui entre en contact avec un avocat spécialisé en droit civil
n’épuise pas son droit à l’assistance d’un avocat. Comme le policier qui
procéda à l’interrogatoire du suspect avait vu le nom de l’avocat criminaliste
que l’accusé avait noté sur un bout de papier lors de son entretien avec Me
St-Onge, que l’accusé lui avait dit qu’il n’aurait pas appelé Me St-Onge s’il
avait su qu’il ne faisait pas de droit criminel, et qu’il avait ignoré le
message de rappel laissé par Me Désaulniers après le début de l’interrogatoire,
le Tribunal conclut que l’accusé n’avait pas eu la possibilité raisonnable
d’exercer son droit prévu à l’al. 10b). Cette disposition, précise le
juge Kasirer, au nom de la Cour d’appel, « donne au détenu le droit au
recours à l’assistance d’un avocat, et non pas un droit constitutionnel limité
à “un seul appel”, comme
[Page 680]
au cinéma ».
Fondée sur une interprétation téléologique du droit à l’avocat, le droit à
l’assistance effective d’un avocat fut confirmé de nouveau par la Cour d’appel
dans Dussault c. R..
Après avoir parlé quelques minutes avec son avocat au téléphone, l’accusé fut
informé que ce dernier voulait s’entretenir avec lui au poste de police afin de
compléter la consultation. Comme les enquêteurs estimaient que l’appelant avait
exercé son droit à l’assistance d’un avocat en parlant au téléphone avec Me
Benoit, ils ont empêché ce dernier de parler à l’appelant en personne et ont
procédé à l’interrogatoire du suspect. D’après le juge Healy, qui rédigea la décision
au nom de la Cour, les policiers ont privé l’accusé du droit à l’assistance
effective d’un avocat en refusant de permettre la continuation au poste de
police de la « consultation qui avait commencé au téléphone, mais qui
n’avait pas été complétée ». S’agissant
d’une violation grave et délibérée du droit à l’assistance d’un avocat, la
déclaration incriminante fut écartée et un nouveau procès ordonné.
442. L’obligation de donner au prévenu qui
le souhaite la possibilité raisonnable d’exercer son droit à l’assistance d’un
avocat fut examinée plus en détails par la Cour suprême, dans R. c. Manninen.
À la suite de son arrestation pour vol, possession d’une voiture volée et
vol à main armée, l’accusé fut informé de
[Page 681]
son droit à
l’assistance d’un avocat. Bien que le suspect ait indiqué aux policiers qu’il
souhaitait se prévaloir de son droit, les agents de police l’ont questionné
afin d’obtenir une déclaration incriminante. L’accusé ayant dû patienter
plusieurs heures avant de parler à son avocat au poste de police, la défense
invoque une violation de l’al. 10b). D’après la Cour suprême, le droit à
l’assistance d’un avocat oblige les policiers à donner à la personne détenue
qui souhaite se prévaloir de son droit la possibilité raisonnable de l’exercer.
Or, comme « l’obligation de faciliter le recours à un avocat incluait
l’obligation d’offrir à l’intimé de se servir du téléphone »,
l’omission des policiers de permettre au détenu d’utiliser l’appareil qui se
trouvait dans le bureau où ce dernier avait été arrêté contrevenait à son droit
à l’assistance d’un avocat.
443. L’obligation de fournir au détenu une
possibilité raisonnable d’exercer son droit à l’assistance d’un avocat fut
étudiée, de nouveau, par la Cour suprême dans l’arrêt R. c. Taylor.
Impliqué dans un accident de voiture ayant fait trois blessés, l’accusé fut
arrêté pour conduite avec facultés affaiblies causant des lésions corporelles
et informé de son droit à l’assistance d’un avocat. Après avoir signifié sa
volonté de parler à son père et à un avocat, l’accusé fut examiné par un
ambulancier, puis transporté à l’hôpital afin de subir des examens
complémentaires. Comme la pratique n’autorise pas l’accès à un téléphone
cellulaire de l’arrière de l’auto-patrouille, les policiers avaient l’intention
de permettre à l’accusé d’exercer son droit à l’hôpital. Bien qu’il ait
patienté 20-30 minutes avant de subir des prélèvements sanguins, en aucun
moment les policiers n’ont permis ou pensé à offrir à l’accusé la possibilité
de téléphoner à un avocat. La Cour d’appel ayant infirmé la déclaration de
culpabilité de l’accusé, la Cour suprême devait
[Page 682]
déterminer si les
policiers avaient permis à l’accusé d’avoir accès sans délai à l’assistance
d’un avocat. D’après la juge Abella, qui rédigea le jugement au nom de la Cour,
les policiers « ne sont pas légalement tenus de fournir leur propre
téléphone cellulaire à une personne détenue ».
Par contre, l’agent « qui procède à l’arrestation [du suspect] a
l’obligation constitutionnelle de faciliter, à la première occasion
raisonnable, l’accès à un avocat qui est demandé ».
Comme l’état de santé de l’accusé ne présentait aucun risque, que le délai
entre son admission à l’hôpital et les prélèvements sanguins permettait de se
renseigner sur la disponibilité d’un téléphone à proximité, les policiers ont
contrevenu à « l’obligation de permettre l’accès à un avocat dès que la
chose est possible en pratique ». La plupart des
hôpitaux ayant des téléphones et des endroits permettant de parler en privé à
un avocat, il semble plutôt difficile pour le ministère public, en dehors de
situations d’urgence médicale ou d’incapacité physique, de démontrer qu’une
conversation privée n’était pas raisonnablement possible dans les
circonstances.
444. Les cas d’urgence médicale indiquant
qu’une « communication téléphonique [...] n’était pas raisonnablement
possible en pratique », se produisent
généralement lorsque la condition du patient n’est pas stable, se complique ou
nécessite des soins immédiats. Les policiers devant patienter jusqu’à ce que
l’état du patient se stabilise ou s’améliore, le retard qui en découle ne porte
pas atteinte au droit à l’assistance d’un avocat.
Encore une fois,
[Page 683]
le simple fait
d’être à l’hôpital ne suspend pas l’obligation des policiers de « faciliter
à la première occasion raisonnable l’accès à un avocat qui est demandé ».
Ainsi, à moins d’indices permettant de croire que l’accusé n’est pas « médicalement
apte à faire un appel téléphonique », les policiers doivent prendre des
mesures raisonnables afin de vérifier s’il y a un endroit permettant de
respecter les exigences de confidentialité et de sécurité qui s’appliquent en
l’espèce.
445. Une fois demandé, le droit à
l’assistance d’un avocat peut être suspendu uniquement « si la sécurité
des policiers ou celle du public est menacée ou s’il existe un risque imminent
que des éléments de preuve soient détruits ou perdus ou qu’une autre opération
policière en cours puisse être compromise ». Si
la sécurité des policiers ou celle du public est menacée, tout d’abord, puisque
la présence d’armes ou d’autres objets dangereux sur les lieux de l’arrestation
exige la prise de mesures préalables à la mise en application du droit en
question. La possibilité de retarder l’accès à un avocat afin de faire face à
une « situation potentiellement
[Page 684]
explosive »
ou à « haut risque » fut confirmée
par la Cour suprême, dans R. c. Strachan.
À la suite de l’obtention d’un mandat de perquisition délivré en vertu de
l’article 10 de la Loi sur les stupéfiants, un agent de la GRC s’est
présenté en compagnie de deux autres policiers au domicile de l’accusé. Ces
derniers ayant procédé à son arrestation pour possession de marijuana,
l’appelant fut mis en garde selon la formule habituelle et informé de son droit
à l’assistance d’un avocat. Le prévenu ayant décroché le téléphone pour appeler
son avocat, un policier lui a indiqué qu’il ne pourrait téléphoner avant qu’ils
aient la « situation bien en main ».
Comme l’agent Bisceglia voulait connaître l’identité des deux inconnus qui se
trouvaient dans le salon avec l’appelant et qu’il savait qu’il y avait deux
armes à feu à autorisation restreinte dans l’appartement, le juge Dickson
conclut à l’existence d’une situation « potentiellement explosive »
justifiant de retarder l’accès à un avocat. Quant à l’omission des policiers de
permettre à l’appelant de téléphoner à un avocat une fois la situation bien en
main, celle-ci constituait une violation de l’al. 10b) de la Charte. La
sécurité des policiers est donc une considération pertinente au moment
d’évaluer la décision de suspendre l’exercice du droit à l’assistance d’un
avocat. Ce facteur est particulièrement important lorsque le policier est seul,
que plusieurs personnes se trouvent sur les lieux
[Page 685]
de l’arrestation,
que le suspect est associé à une organisation criminelle
ou à des individus dangereux, ou qu’il a commis une infraction qui menace ou
risque de menacer la sécurité des policiers.
446. Envisagé sous l’angle de la sécurité
des policiers et de celle du public, le risque d’évasion constitue également un
facteur permettant de suspendre l’exercice du droit à l’assistance d’un avocat.
C’est du moins ce qu’affirme le juge Maisonville, dans R. c. Arthur,
au moment de confirmer la légalité d’un délai de 50 minutes entre le moment
où la personne arrêtée demanda de consulter un avocat et celui de son appel au
poste de police. Comme l’accusé venait d’être arrêté en possession d’une grande
quantité de cocaïne et que la voiture dans laquelle il prenait place bloquait
une rue achalandée, il n’était pas raisonnable, compte tenu du risque de fuite
ou d’agression, de laisser l’accusé appeler un
[Page 686]
avocat sans agent
dans le véhicule de patrouille pour le surveiller.
La décision de retarder l’exercice du droit à l’assistance d’un avocat jusqu’à
l’arrivée au poste de police était donc justifiée dans les circonstances.
447. Le droit à l’assistance d’un avocat
peut également être suspendu « s’il existe un risque imminent que des
éléments de preuve soient détruits ou perdus ou qu’une autre opération
policière en cours puisse être compromise ».
Cette situation fut examinée
[Page 687]
par la Cour d’appel
du Québec, dans R. c. Archambault.
À la suite d’une surveillance effectuée dans le cadre d’une enquête portant
sur le trafic d’armes à feu, des policiers ont constaté suffisamment d’indices
d’activités criminelles pour demander l’obtention d’un mandat de perquisition.
Des agents ayant aperçu entretemps les intimés quitter en voiture le commerce
où ils étaient en train de fabriquer des armes, ils décidèrent de procéder à
leur arrestation afin d’éviter la mise en circulation d’armes à feu. Après la
lecture de leurs droits constitutionnels, les policiers ont informé les
suspects qu’ils ne pouvaient pas parler à leur avocat avant l’obtention du
mandat de perquisition. Le mandat ayant été délivré à 23h45, soit près de cinq
heures plus tard, l’un des accusés communiqua finalement avec son avocat à 00 h
55, et l’autre, à 1 h 28. La perquisition dans le véhicule d’Archambault et
dans le commerce s’étant avérée fructueuse, le juge du procès conclut à la
violation de l’alinéa 10b) et à l’inadmissibilité de la preuve selon le
paragraphe 24(2) de la Charte. La décision ayant été portée en appel, le juge
Wagner confirme l’absence de risque imminent de destruction de la preuve et de
danger que l’opération en cours soit compromise. Comme « la situation
était sous contrôle et que la preuve matérielle recherchée en vertu du mandat
de perquisition attendu ne risquait pas de disparaître »,
rien ne justifiait, en l’espèce, la suspension du droit à l’avocat. En plus
d’être imminent, le risque de destruction de la preuve doit être réel et
non seulement possible ou hypothétique. La suspension du droit à
l’avocat ne peut reposer sur de simples suppositions, ou de pures spéculations.
Elle doit s’imposer dans les circonstances afin d’assurer la sécurité des
policiers ou du public ou pour préserver les éléments de preuve en question.
[Page 688]
448. La possibilité de suspendre le droit à
l’assistance d’un avocat pour des motifs de sécurité et de préservation de la
preuve fut également confirmée par la Cour d’appel de l’Ontario, dans R.
c. Rover.
Encore une fois, il s’agissait d’une arrestation précédant l’obtention et
l’exécution d’un mandat de perquisition. Comme l’agent de police qui a procédé
à l’arrestation du suspect avait reçu des directives lui empêchant de permettre
à l’accusé de parler à son avocat tant et aussi longtemps que la perquisition
n’avait pas eu lieu, l’appelant fut détenu pendant plusieurs heures avant de
pouvoir communiquer avec un avocat. D’après le juge Doherty, l’al. 10b)
consacre le droit d’avoir recours sans délai à un avocat. Lorsque l’accusé
invoque son droit, le policier qui procède à l’arrestation « doit
faciliter à la première occasion raisonnable l’accès à un avocat ».
La jurisprudence reconnaît que le droit à l’assistance d’un avocat peut être
suspendu dans des « circonstances exceptionnelles » afin de protéger
les policiers, le public ou préserver l’intégrité de la preuve.
Des préoccupations d’ordre général ou théorique à l’égard de la destruction
possible d’éléments de preuve ou de la sécurité des policiers ne suffisent pas
en l’espèce. En effet, « to fall within the exception to the requirement
that an arrested person be allowed to speak to counsel without delay, the
police must actually turn their mind to the specific circumstances of the case,
and they must have reasonable grounds to justify the delay ».
[Page 689]
Les policiers,
poursuit le juge Doherty, « ne peuvent justifier le report d’un tel droit
en choisissant, pour des raisons de commodité ou d’efficacité, d’arrêter une
personne avant de demander, d’obtenir et d’exécuter un mandat ».
Lorsque la suspension du droit à l’assistance d’un avocat est justifiée, les
policiers doivent prendre des mesures raisonnables pour limiter sa durée.
Naturellement, le droit à l’assistance d’un avocat est rétabli après la
disparition des motifs à l’origine de la suspension du droit en question.
449. Quant à la décision en l’espèce de
retarder l’accès de l’accusé à son avocat, la preuve démontre que l’avis obtenu
par le policier reflétait une pratique bien établie au sein de la police
empêchant les personnes qui viennent d’être arrêtées de communiquer avec leur
avocat lorsque les enquêteurs « souhaitent obtenir un mandat pour
perquisitionner un endroit où se trouve de la drogue et croient que ce lieu est
relié à la personne en question ». Cette pratique, toujours selon la Cour,
repose sur la croyance fermement établie selon laquelle la permission donnée à
l’accusé de contacter son avocat pourrait mettre en péril la sécurité des
policiers, la préservation de la preuve ou l’intégrité de l’enquête en cours.
Comme la décision de retarder la communication de l’accusé avec son avocat
reposait sur l’observation d’une pratique générale, et
[Page 690]
non sur une analyse
spécifique des faits de l’affaire, celle-ci a porté atteinte à l’al. 10b)
de la Charte.
450. Peu importe la raison, la décision de
retarder l’accès à un avocat doit reposer sur une analyse spécifique des
circonstances de l’affaire. En effet, « des droits constitutionnels ne
sauraient être écartés sur la base de suppositions d’impossibilité
pratique. L’existence d’obstacles à l’accès doit être prouvée – et non pas
supposée – , et des mesures proactives sont requises pour que le droit à
un avocat se concrétise en accès à un avocat ».
L’exemple des enquêteurs qui procèdent à l’arrestation d’un individu et de sa
conjointe après avoir découvert une serre de cannabis à la suite de la
perquisition de leur domicile, illustre bien ce principe. Le suspect ayant
demandé de parler à un avocat, les policiers ne peuvent s’appuyer sur des
considérations générales touchant la confidentialité et la sécurité pour
ignorer le choix de l’accusé. Il en va également du refus systématique de
permettre à l’accusé de communiquer avec son avocat sur place. Il faut éviter
de réduire la mise en garde relative à ce droit à l’expression d’une formule
creuse qu’il suffirait de répéter sans prendre de mesures concrètes « pour
vérifier s’il est dans les faits possible à cette personne d’avoir accès
privément à un téléphone, eu égard aux circonstances ».
[Page 691]
451. Au-delà des « circonstances exceptionnelles »
reconnues par les tribunaux, le droit d’avoir recours sans délai à l’assistance
d’un avocat et d’être informé de ce droit est suspendu en matière d’alcool au
volant, lors de l’interception du véhicule à moteur, de l’enquête menant à
l’obtention des soupçons raisonnables et de l’ordre de fournir un échantillon
d’haleine. « Prescrites par une règle de droit et justifiées au sens de
l’article premier de la Charte », ces restrictions ont donné lieu à des
difficultés qui méritent d’être soulignées.
452. Le droit d’avoir recours sans délai à
l’assistance d’un avocat et d’être informé de ce droit à la suite d’une
sommation faite par un policier à un conducteur de souffler dans l’appareil de
détection approuvé fut étudié par la Cour suprême, dans R. c. Thomsen.
L’accusé, dont la voiture était munie d’un phare défectueux, fut interpellé
dans le cadre d’un contrôle routier ponctuel. Après avoir demandé à l’appelant
son permis de conduire, le policier a décelé une odeur d’alcool provenant de
l’haleine de l’accusé. Estimant qu’il avait des raisons de soupçonner la
présence d’alcool dans l’organisme du conducteur, le policier le somma de
fournir sur-le-champ un échantillon d’haleine pour fins d’analyse au moyen d’un
alcootest approuvé. L’appelant ayant refusé d’obtempérer à l’ordre du policier,
il fut placé à l’arrière de la voiture de patrouille. Après avoir patienté plus
de 15 minutes au cours desquelles l’agent a consigné des notes à son carnet et
préparé un avis de comparution, le conducteur fut informé des motifs pour
lesquels on lui avait demandé un échantillon d’haleine, puis invité à deux
reprises à souffler dans l’alcootest. Ce qu’il refusa de nouveau. L’appelant,
qui n’a jamais été informé de son droit à l’assistance d’un avocat, fut libéré
après avoir reçu un avis de comparution pour avoir omis ou refusé [Traduction] « de soumettre
sur-le-champ l’échantillon d’haleine demandé par un agent de la paix pour
procéder à une analyse convenable au moyen d’un alcootest ». D’après la
Cour suprême, la sommation faite par le policier à l’accusé de le suivre
jusqu’à sa voiture et de lui fournir un échantillon d’haleine aux fins
d’analyse constitue une détention
[Page 692]
au sens de la Charte.
Une personne détenue a le droit, aux termes de l’al. 10b), d’avoir recours
sans délai à l’assistance d’un avocat et d’être informé de ce droit. Or, « l’alcootest
que prévoit le par. 234.1(1) doit être pratiqué sur le bord de la route, au
moment et à l’endroit où l’automobiliste est arrêté, et aussi rapidement que
possible compte tenu du délai de deux heures imparti pour l’éthylométrie qu’on
peut juger nécessaire de pratiquer conformément au par. 235(1) du Code ».
Cette exigence, qui découle notamment de l’expression « sur-le-champ »
contenue au par. 234.1(1), prive l’accusé de l’occasion de consulter un avocat
avant d’obtempérer à la sommation du policier et contrevient à l’al. 10b)
de la Charte. La Cour estime toutefois que la restriction imposée par le par.
234.1(1) du Code est justifiée en vertu de l’article premier en raison
notamment de la gravité du problème de l’alcool au volant, de la dissuasion
associée au recours à l’alcootest et « du fait qu’il sera possible
d’exercer le droit à l’assistance d’un avocat, si nécessaire, à l’étape plus
sérieuse de l’éthylométrie ».
453. L’étendue de la restriction imposée au
droit d’avoir recours sans délai à l’assistance d’un avocat et d’être informé
de ce droit à la suite d’une sommation faite par un policier à un conducteur de
souffler dans l’appareil de détection approuvé (ADA), fut examinée par la Cour
suprême, dans R. c. Grant. À
la suite de son interpellation par un policier qui croyait qu’il conduisait son
véhicule à moteur malgré une interdiction à cet effet, l’accusé fut invité à
prendre place dans la voiture de police pour y être interrogé. Constatant une
forte odeur d’alcool, le policier a, conformément à l’ancien par. 238(2),
ordonné à l’accusé « de lui fournir, immédiatement, un échantillon
d’haleine pour fins d’analyse au moyen d’un appareil de détection approuvé ».
Comme l’agent n’avait pas l’appareil nécessaire avec lui, le policier a dû
patienter près de 30 minutes avant d’en obtenir un. Malgré plusieurs minutes
d’attente, l’accusé n’a jamais été informé de son
[Page 693]
droit à l’assistance
d’un avocat. À l’arrivée de l’appareil, M. Grant a refusé de se soumettre à
l’alcootest. Ce délai, selon la Cour suprême, se situe inéluctablement en
dehors de l’exigence d’« immédiateté » prévue à l’article 238(2).
L’ordre donné n’étant plus de fournir « immédiatement » un échantillon
d’haleine, mais de le faire « lorsqu’il aurait reçu le dispositif en
question, en l’occurrence une demi-heure plus tard »,
la restriction implicite au droit à l’assistance d’un avocat n’avait plus de
fondement et devenait par conséquent déraisonnable.
454. L’exigence d’« immédiateté »
prévue par. 254(2) fut étudiée de nouveau par la Cour suprême, dans R. c.
Bernshaw. Après
avoir intercepté une voiture qui roulait à une vitesse légèrement supérieure à
la limite permise et qui avait dévié à deux reprises de sa trajectoire, un
policier constata une odeur d’alcool se dégageant de l’haleine du conducteur
ainsi que d’autres signes d’ébriété. Ce dernier ayant admis qu’il avait bu, le
policier a ordonné à l’intimé de se soumettre à un test ALERT. Le conducteur
ayant échoué le test, le policier, qui possédait alors des motifs raisonnables
de croire que l’individu avait conduit son véhicule avec les capacités
affaiblies, procéda à l’arrestation du suspect puis l’avisa de son droit à
l’assistance d’un avocat. Ayant refusé de consulter un avocat, l’accusé a
fourni deux échantillons d’haleine à des fins d’analyse qui révélèrent un taux
d’alcool supérieur à la limite permise. Au procès, un témoin expert appelé par
la défense
[Page 694]
a affirmé que la
présence de traces d’alcool dans la bouche d’un conducteur pouvait fausser le
résultat du test obtenu. Selon M. Wong, la présence de telles traces se produit
à la suite d’une consommation récente d’alcool ou d’une régurgitation. Un délai
de 15 minutes afin « que toute trace d’alcool dans la bouche puisse
s’évaporer » est alors fortement recommandé. Comme le policier savait ou
aurait dû savoir que le résultat du test pouvait ne pas être fiable, sa
décision de se fonder sur ce facteur au moment de procéder à l’arrestation du
conducteur n’était pas, selon la défense, justifiable dans les circonstances.
La Cour suprême rejeta cette prétention. S’il est vrai qu’un « échec »
au test ne fournit pas au policier des motifs raisonnables de croire lorsqu’il
sait, par exemple, que le conducteur vient de boire de l’alcool ou de
régurgiter, il demeure suffisant en dehors de circonstances permettant de
douter de la fiabilité du test. En ce qui concerne l’exigence d’« immédiateté »,
celle-ci tient compte du délai inhérent à la préparation du matériel et aux
directives données au conducteur. Sur ce point, le juge Sopinka ajoute qu’un
délai de 15 minutes supplémentaires doit être accordé aux policiers lorsque les
circonstances indiquent la présence d’une consommation récente ou le risque
d’un résultat erroné. Le policier n’est pas
obligé de questionner le conducteur pour déterminer le moment de sa dernière
consommation. Mais « si le
policier est informé que le détenu
[Page 695]
a consommé de
l’alcool dans les 15 minutes qui précèdent, ou s’il a d’autres motifs de croire
que le suspect a récemment eu des traces d’alcool dans la bouche parce qu’il a
régurgité, il peut attendre pendant une période appropriée avant de faire subir
le test de détection ». La restriction
énoncée dans l’arrêt Thomsen demeure donc valide et le détenu « aura
le droit à l’assistance d’un avocat, si nécessaire, à l’étape plus sérieuse de
l’éthylométrie ».
455. La restriction au droit à l’assistance
d’un avocat dans les cas où un délai de quinze minutes supplémentaires est jugé
nécessaire en raison d’une consommation récente d’alcool fut appliquée dans R.
c. Bell. Après
avoir interpellé le conducteur d’une camionnette qui buvait quelque chose la
tête inclinée vers l’arrière, une policière a détecté une odeur d’alcool
provenant de l’haleine de l’accusé. Son partenaire ayant également saisi une
bouteille de bière vide sur le plancher de la camionnette, la policière possédait
alors des motifs raisonnables de soupçonner la présence d’alcool dans
l’organisme de l’accusé lui permettant d’ordonner la fourniture immédiate d’un
échantillon d’haleine pour fins d’analyse à l’aide d’un appareil de détection
approuvé. Comme la policière croyait que le conducteur venait de consommer de
l’alcool, celle-ci décida de retarder le test de 15 minutes. Le suspect ayant
échoué le test à l’expiration de ce délai, il fut arrêté, informé de son droit
à l’assistance d’un avocat, puis transporté au poste de police où il put
exercer son droit prévu à l’al. 10b). D’après le juge Ross, le délai
dans la prise de l’échantillon d’haleine n’était pas dû à l’absence d’appareil
de détection approuvé ni au retard injustifié afin de l’obtenir, mais à la consommation
récente d’alcool de l’accusé. La prise d’échantillon d’haleine ayant débuté 14
minutes
[Page 696]
après la demande, le
délai constituait, en l’espèce, une restriction raisonnable au droit à
l’assistance d’un avocat.
456. La définition du mot « immédiatement »
contenu au par. 254(2) fut également examinée dans l’arrêt R. c. Woods.
À la suite de l’interception du véhicule de l’intimé, des policiers ont
senti une forte odeur d’alcool provenant de l’intérieur de sa voiture. Un
policier ayant ordonné au conducteur de fournir un échantillon d’haleine, ce
dernier refusa d’obtempérer et fut arrêté en vertu du par. 254(5) du Code. Une
fois sa voiture déplacée, le suspect fut conduit au poste de police où il
arriva environ une heure plus tard. Après avoir parlé au téléphone à son
avocat, l’intimé indiqua aux policiers son intention de fournir un échantillon
d’haleine. L’accusé ayant échoué le test, le policier lui ordonna de se
soumettre à un alcootest qu’il échoua également. M. Woods a été arrêté puis reconnu
coupable d’avoir conduit un véhicule à moteur alors que son alcoolémie
dépassait la limite permise. D’après le juge Fish, la validité
constitutionnelle de l’article 254(2) est subordonnée à l’exigence d’« immédiateté ».
C’est elle qui justifie la suspension du droit à l’assistance de l’avocat prévu
à l’al. 10b). En soi, l’exigence d’« immédiateté » permet
d’opérer un point d’équilibre entre la protection du public contre les dangers
de la conduite en état d’ébriété et la préservation des droits individuels. Le
mot « immédiatement » signifie, selon le juge Fish, « [à]
l’instant même, tout de suite ». Même si son interprétation commande une
certaine souplesse afin d’assurer, par exemple, la fiabilité des résultats, « l’exigence
d’immédiateté prévue au par. 254(2) évoque un ordre prompt de la part de
l’agent de la paix et l’obéissance immédiate de la part de la personne visée
par cet ordre. L’on ne peut accepter comme étant le fait d’obtempérer
“immédiatement” la fourniture d’un échantillon d’haleine plus d’une heure après
l’arrestation pour défaut d’obtempérer ».
Comme l’échantillon d’haleine n’a pas été fourni immédiatement et qu’il
s’agissait du seul élément de preuve permettant d’acquérir les motifs
raisonnables à l’appui de
[Page 697]
l’alcootest, la Cour
rejeta le pourvoi logé à l’encontre de l’acquittement de l’accusé.
457. Si le droit d’avoir recours sans délai
à l’assistance d’un avocat et d’être informé de ce droit est suspendu à la
suite de l’ordre de fournir un échantillon d’haleine pour des fins d’analyse à
l’aide d’un appareil de détection approuvé, qu’en est-il de la période
précédant l’obtention des soupçons raisonnables nécessaires à une telle
demande ? Cette question fut abordée par la Cour suprême, dans R.
c. Orbanski; R. c. Elias. À
la suite de l’interception respective des deux conducteurs, les policiers ont
senti une forte haleine d’alcool et demandé aux accusés s’ils avaient bu. Comme
l’interception des véhicules donnait lieu à une détention au sens de l’article
10, la Cour devait déterminer si les policiers pouvaient poser des questions
aux conducteurs concernant leur consommation d’alcool sans les informer au
préalable de leur droit à l’assistance d’un avocat. D’après la juge Charron,
l’interception des véhicules des appelants découlait, en l’espèce, du pouvoir
général d’arrêt au hasard prévu au par. 76.1(1) du Code de la route du
Manitoba. Cette disposition permet notamment à un policier de vérifier la
sobriété des conducteurs. Dans la poursuite de cet objectif, le policier peut
poser des questions sur la consommation antérieure d’alcool ou faire passer des
tests de sobriété. L’admission d’Elias à l’effet qu’il avait bu a permis au
policier d’obtenir des motifs raisonnables de soupçonner qu’il avait dans son
organisme de l’alcool. Ces motifs, aux termes du par. 254(2), sont nécessaires
pour ordonner au conducteur de fournir, immédiatement, l’échantillon d’haleine
nécessaire pour l’analyse à l’aide d’un appareil de détection approuvé (ADA).
L’accusé ayant échoué le test, le policier avait alors des motifs raisonnables
de croire pour procéder à son arrestation et l’amener au poste afin de subir
l’alcootest. Selon la juge Charron, « les questions posées à la suite de
l’interception des conducteurs étaient pertinentes, ne causaient qu’une atteinte
minimale et n’allaient pas au-delà de ce qui était nécessaire à
l’accomplissement par l’agent de son devoir de surveillance de la circulation
sur les routes en vue de protéger la vie des personnes et
[Page 698]
les biens ».
Comme ces questions ont été posées à la suite de la détention des conducteurs,
la disposition contrevenait à l’al. 10b) de la Charte, mais était
justifiée en vertu de l’article premier. Les policiers qui procèdent à
l’interception légale d’un conducteur peuvent donc lui poser des questions sur
sa consommation d’alcool sans l’informer, au préalable, de son droit à
l’assistance d’un avocat. De l’interception du véhicule à moteur à l’ordre de
fournir un échantillon d’haleine, en passant par les questions et autres
procédures d’enquête permettant d’acquérir des soupçons raisonnables, la
suspension du droit à l’avocat est donc justifiée jusqu’à l’arrestation du
suspect.
458. Si la consommation récente d’alcool
permet aux policiers de retarder la prise de l’échantillon d’haleine de quinze
minutes afin de s’assurer de la fiabilité du résultat, qu’en est-il du délai
inhérent à l’absence d’appareil de détection approuvé ? Les policiers, en
effet, ne sont pas tenus d’être en possession d’un tel appareil. La demande
afin d’obtenir un ADA exigeant des délais supplémentaires, les tribunaux se
sont interrogés sur l’exigence d’« immédiateté » contenue au par.
254(2) du Code. Sur ce point, citons la décision de la Cour d’appel de
l’Ontario, dans R. c. George. Après
avoir intercepté le conducteur d’un véhicule qui venait de démarrer en trombe,
le policier remarqua les yeux rougis du conducteur et son empressement à
détourner la tête. L’accusé ayant admis avoir bu deux bières au cours de la
dernière heure, le policier le somma de fournir « immédiatement » un
échantillon d’haleine nécessaire aux fins de l’analyse effectuée à l’aide de
l’appareil de détection approuvé. Le policier n’étant pas en possession d’un
appareil, il contacta ses collègues afin d’en obtenir un. Comme aucun appareil
n’était disponible au poste, on l’informa qu’un délai de 15 à 20 minutes serait
nécessaire dans les circonstances. Malgré la présence d’un poste de police à
proximité, l’accusé n’a pas été avisé de son droit à l’assistance d’un avocat.
[Page 699]
Seize minutes plus
tard, l’appareil fut livré au policier qui prit deux minutes supplémentaires
pour faire passer le test à l’accusé. Ce dernier, qui n’a pas dit au policier
qu’il avait un téléphone cellulaire, échoua le test et fut mis en état
d’arrestation pour avoir conduit un véhicule à moteur avec un taux d’alcool
supérieur à la limite permise. Informé de son droit à l’assistance d’un avocat,
l’accusé fut transporté au poste de police où il put finalement exercer son
droit. D’après le juge Gillese, qui rédigea le jugement au nom de la Cour, la
demande du policier n’était pas conforme au par. 254(2), car l’agent Ecklund « n’était
pas en mesure d’ordonner à l’accusé de fournir un échantillon d’haleine avant
que celui-ci ait, de façon réaliste, la possibilité de consulter un avocat ».
En effet, le délai de 18 minutes entre l’ordre de fournir l’échantillon
d’haleine et son exécution permettait, en l’espèce, à l’accusé de contacter un
avocat à l’aide de son téléphone cellulaire ou d’utiliser, une fois les
questions de sécurité réglées, le téléphone se trouvant au poste de police.
Sachant qu’un appareil de détection approuvé ne serait pas disponible avant 15
à 20 minutes, le policier se devait de prendre des mesures raisonnables afin de
faciliter l’exercice du droit à l’assistance d’un avocat, ce qui comprenait
notamment le fait de demander au conducteur s’il avait un téléphone cellulaire.
Comme le policier pouvait, de façon réaliste, permettre au prévenu de consulter
un avocat avant d’être en mesure d’administrer le test, l’ordre du policier ne
respectait pas l’exigence d’« immédiateté »
du par. 254(2) et contrevenait à l’al. 10b) de la Charte. Dans les cas
où l’ordre de fournir un échantillon d’haleine peut être exécuté sur-le-champ
ou dans un délai relativement court, la restriction énoncée dans l’arrêt Thomsen
demeure valide et le détenu doit obtempérer à l’ordre du policier.
[Page 700]
459. Rendu quelques mois après l’arrêt George,
l’arrêt Petit constituait jusqu’à tout récemment la décision
d’autorité au Québec. À la suite d’une collision impliquant l’automobile de
l’accusé et d’autres voitures, un appel au 911 a été logé et deux policiers
sont arrivés sur les lieux de l’incident vers 2h41 du matin. Après avoir
vérifié s’il n’y avait pas de blessés et sécurisé les lieux, l’agent Sauriol a
rencontré des témoins de l’incident afin de déterminer « ce qui s’était
passé », puis a identifié le conducteur qui se trouvait alors à
l’extérieur de son véhicule. Comme l’haleine de ce dernier dégageait une forte
odeur d’alcool et qu’il parlait fort en se répétant sans cesse, le policier
décida de soumettre l’appelant à un test de dépistage à l’aide d’un ADA. Le
policier n’ayant pas d’appareil avec lui, il contacta une autre voiture afin
d’en obtenir un. Entretemps, vers 2h50, le policier ordonna à l’appelant de
fournir un échantillon d’haleine, ce qu’il fit quelques minutes plus tard, vers
2h54, après que le policier ait reçu l’appareil. L’accusé ayant échoué le test,
il fut mis en état d’arrestation puis informé de ses droits. D’après le juge Dalphond,
qui s’exprimait au nom de la Cour, le test de dépistage a été ordonné à 2h50
puis administré à 2h54; le conducteur fut donc détenu seulement 4 minutes avant
de pouvoir s’exécuter, ce qui n’est pas déraisonnable dans les circonstances.
De plus, même dans l’hypothèse où la détention ait pu débuter lorsque le
policier a appelé une autre voiture pour obtenir un appareil, celle-ci serait
de moins de 10 minutes, puisque les policiers sont arrivés sur les lieux de
l’accident vers 2h41, puis ont demandé l’appareil après avoir pris quelques
minutes pour s’assurer qu’il n’y avait pas de blessés, sécuriser les lieux,
rencontrer les témoins et identifié le conducteur. Un court délai d’attente
peut donc s’avérer nécessaire pour obtenir un appareil de détection approuvé.
Conclure autrement aurait pour effet d’exiger que toutes les voitures de police
soient munies d’appareils de détection approuvés afin de procéder légalement,
ce qui est déraisonnable, selon le juge Dalphond.
[Page 701]
460. L’autorité de l’arrêt Petit fut
réitérée par la Cour d’appel dans R. c. Piazza.
À la suite de renseignements obtenus d’un répartiteur radio, un policier
procéda à l’interception du véhicule du suspect. Une minute plus tard,
c’est-à-dire à 3h38 du matin, deux autres patrouilleurs arrivèrent sur place.
L’un des policiers s’approcha du véhicule du conducteur afin de vérifier son
état. L’agent ayant remarqué une forte odeur d’alcool et les yeux rouges de
l’accusé, il demanda au conducteur de sortir de sa voiture et de jeter sa gomme
à mâcher. À 3h40, l’agent l’informe qu’il entend le soumettre à un test de
dépistage d’alcool dès qu’un appareil lui sera apporté. À 3h50, le policier
obtient l’appareil et ordonne à l’accusé de s’exécuter. Plus de 10 minutes plus
tard, après quatre tentatives infructueuses, M. Piazza est arrêté pour refus
d’obtempérer. Le policier l’informe alors de son droit à l’assistance d’un
avocat. Selon la preuve, l’intimé était calme, poli et coopératif. Il avait sur
lui un téléphone cellulaire et connaissait le numéro d’un avocat. Quant au
policier Trudelle, ce dernier n’a pas demandé à l’accusé s’il possédait un
cellulaire et admet qu’il n’aurait pas accepté que le conducteur appelle son
avocat sur place, pour des raisons de sécurité. La déclaration de culpabilité
de l’accusé pour son défaut d’obtempérer à l’ordre du policier ayant été portée
en appel devant la Cour supérieure, le juge conclut que l’exigence d’« immédiateté »
n’a pas été respectée en l’espèce parce qu’il existait une possibilité réaliste
pour le conducteur de consulter un avocat avant de fournir un échantillon
d’haleine. Le ministère public s’étant pourvu contre la décision, la Cour
d’appel casse le
[Page 702]
jugement et rétablit
la décision du juge de la Cour municipale. En ce qui concerne, tout d’abord,
l’opportunité réaliste de consulter un avocat, « le droit constitutionnel
prévu à l’alinéa 10b) de la Charte ne trouve pas application dans les
circonstances puisqu’il est suspendu après l’interception, l’enquête sommaire
et l’ordre de fournir un échantillon d’haleine à ce moment ».
D’après le juge Vauclair, qui s’exprimait au nom de la Cour, l’exigence d’« immédiateté »
ne permet d’autres délais que celui nécessaire pour préparer l’appareil et
obtenir un résultat fiable. En l’absence de circonstances indiquant une
consommation récente ou la présence de traces d’alcool dans la bouche du
conducteur parce qu’il a régurgité, le policier doit être en mesure de
permettre à l’accusé de s’exécuter « immédiatement ». Comme les
policiers ne pouvaient retarder le test dans l’attente de recevoir l’appareil,
l’ordre n’était pas légal et le conducteur n’avait pas à s’y soumettre. Cette
conclusion, précise le juge Vauclair, ne serait disposer de l’appel en
l’espèce, car le tribunal est lié par la règle du stare decisis, et plus
précisément par sa décision dans R. c. Petit. Ce jugement ayant
reconnu la possibilité de retarder quelque peu l’administration du test en
attente de l’appareil, le Tribunal conclut que « le court délai en
l’espèce n’a pas affecté la légalité de l’ordre et le droit constitutionnel à
l’assistance d’un avocat de l’intimé était suspendu ».
461. La question de la validité de l’ordre
de fournir « immédiatement » un échantillon d’haleine lorsque le
policier n’est pas en possession d’un appareil de détection approuvée fut
définitivement tranchée par la Cour d’appel, dans Breault c. R..
S’inspirant des commentaires du juge Fish dans R. c. Woods, le
juge Doyon indique que « l’utilisation du terme “immédiatement” par le
législateur n’est pas anodin et devrait être compris dans son sens ordinaire,
sauf circonstances “inhabituelles”, comme une exigence du fabricant ou encore
des circonstances particulières qui
[Page 703]
permettraient au
policier de conclure raisonnablement qu’un court délai s’impose pour s’assurer
que le résultat du test soit fiable, que l’analyse soit “convenable”, comme le
prévoit l’alinéa 254(2)b) C.cr. ».
Ainsi, en l’absence de circonstances « inhabituelles » reliées à
l’opération ou au fonctionnement de l’appareil, ou de circonstances « particulières »
se rapportant à la fiabilité du résultat, l’échantillon d’haleine doit être
fourni « tout de suite ». Des
préoccupations d’ordre administrative ou pratique ne peuvent justifier de délai
supplémentaire. Comme « la
nécessité d’accorder un délai pour faire livrer un ADA sur les lieux de
l’arrestation parce que les policiers ne l’ont pas en leur possession constitue
[Page 704]
une raison pratique
injustifiée », l’ordre
n’était pas valide et le refus de s’y soumettre ne pouvait être sanctionné.
462. Si le droit d’avoir recours sans délai
à l’assistance d’un avocat est suspendu à l’étape de l’ADA, il s’applique de
nouveau à la suite de l’échec du test administré, au moment de l’arrestation du
suspect. La pratique étant de repousser l’accès à un avocat jusqu’à l’arrivée
au poste de police, celle-ci pose des difficultés importantes lorsque la
personne détenue exprime sa volonté d’exercer son droit sur-le-champ. Comme « le
policier qui procède à l’arrestation a l’obligation constitutionnelle de
faciliter à la première occasion raisonnable l’accès à un avocat qui est
demandé », le ministère
public devra expliquer tout retard en ce sens. D’après la Cour suprême, dans
R. c. Taylor, « la question de savoir si le délai qui s’est
écoulé avant que l’on facilite l’accès à un avocat était raisonnable est une
question de fait ». Parmi les
circonstances pertinentes à l’analyse, mentionnons la possession d’un téléphone
cellulaire, la confidentialité de l’appel et la sécurité des policiers, du
détenu ou du public.
[Page 705]
463. La possession d’un téléphone
cellulaire : Comme les policiers ne sont pas tenus de fournir leur
propre appareil, le conducteur qui demande au policier de consulter
immédiatement un avocat, mais qui n’est pas en possession d’un téléphone
cellulaire, devra généralement patienter jusqu’au poste de police pour exercer
son droit. Bien que « les policiers n’ont pas l’obligation de s’enquérir
auprès du détenu sur la possession d’un cellulaire »,
l’absence de demande en ce sens constitue une circonstance pertinente dans
l’évaluation du délai raisonnable avant d’avoir accès à un avocat, surtout
lorsque le policier sait que l’appel risque d’être « retardé de manière
importante ». L’analyse,
rappelons-le, est contextuelle. En effet, ce n’est pas parce qu’un détenu
possède un cellulaire qu’il y a nécessairement « une possibilité réaliste »
de communiquer avec un avocat. Chaque cas est unique
et doit
[Page 706]
être tranché en
fonction des faits de l’affaire. C’est d’ailleurs ce
que vient de confirmer la Cour d’appel du Québec, dans R. c. Tremblay.
Alors qu’ils patrouillaient sur la rue Babot à La Baie, des policiers ont
aperçu un véhicule zigzaguer et empiéter sur la ligne jaune. Après avoir
intercepté le véhicule afin de vérifier l’état de la conductrice, les policiers
ont constaté qu’elle avait les yeux rouges et sentait l’alcool. Interrogée par
le policier, la conductrice explique sa conduite par le fait qu’elle textait au
volant. Elle admet également avoir pris de la vodka. Comme le policier avait
des motifs raisonnables de soupçonner la présence d’alcool dans son organisme,
il ordonna à la conductrice de fournir, immédiatement, l’échantillon d’haleine nécessaire
pour l’analyse à l’aide d’un appareil de détection approuvé (ADA). L’accusée
ayant échoué le test, le policier procéda à son arrestation pour conduite avec
capacités affaiblies et l’informa de son droit d’avoir recours sans délai à
l’assistance d’un avocat. La conductrice ayant manifesté son intention de
consulter un avocat, les policiers refusèrent de lui permettre de parler avec
son avocat sur place, avec son téléphone cellulaire. Une fois sa voiture
remorquée, l’intimée fut transportée, 26 minutes plus tard, au poste de police
de Chicoutimi où elle communiqua finalement avec son avocat. En tout, plus de
54 minutes s’étaient écoulées entre son arrestation et son entretien avec son
avocat. L’analyse de ses échantillons d’haleine indiqua la présence de 99mg et
93 mg\100 ml de sang. D’après le juge Pierre Lortie, les arguments de
confidentialité et de sécurité
[Page 707]
invoqués par les
policiers pour repousser l’exercice du droit à l’assistance d’un avocat sont
purement théoriques. L’accusée, en effet, avait « abondamment » le
temps pour parler sur place à son avocat. La décision des policiers de retarder
l’appel de l’accusée jusqu’à son arrivée au poste contrevient donc à l’alinéa
10b) de la Charte et milite en faveur de l’exclusion de la preuve. Le
juge de la Cour supérieur ayant refusé d’intervenir, le ministère public porte
la décision en appel. Après avoir rappelé l’importance du droit à l’assistance
d’un avocat, la Cour d’appel, sous la plume du juge Doyon, s’attaque à la
question du cellulaire. D’après le juge Doyon, la présence d’un téléphone
cellulaire ne signifie pas automatiquement que l’accusé peut contacter
son avocat immédiatement sur place. L’analyse est contextuelle et s’enracine
dans les circonstances de l’affaire. Comme le policier qui procède à
l’arrestation d’une personne « a l’obligation de faciliter à la première
occasion raisonnable l’accès à un avocat qui est demandé »,
c’est au ministère public d’établir que le délai qui s’est écoulé était
raisonnable dans les circonstances. S’il est
vrai que la présence d’un téléphone cellulaire n’oblige pas les policiers d’en
permettre l’utilisation sur place afin de parler à un avocat, il s’agit d’une
circonstance qu’ils ne peuvent ignorer. La
décision des policiers
[Page 708]
de retarder l’appel
doit s’appuyer sur de véritables obstacles et non simplement sur des
hypothèses, ou des suppositions. Les préoccupations quant à la sécurité ou à la
confidentialité, par exemple, doivent être réelles et fondées sur « une
preuve factuelle de circonstances particulières pour justifier un délai ».
De simples difficultés ne sont pas suffisantes à ce stade. Le juge ayant conclu
que les raisons invoquées par les policiers pour retarder le droit à
l’assistance d’un avocat étaient purement théoriques, l’appel quant à ce moyen
fut rejeté.
464. La confidentialité de l’appel :
L’incapacité d’assurer la confidentialité de l’appel est un facteur souvent
invoqué pour retarder l’accès de l’accusé à l’avocat demandé. Comme la
confidentialité de l’appel suppose que la conversation ne soit pas entendue par
d’autres personnes, les policiers peuvent, selon le juge Labrie dans R. c.
Lauzier, permettre à l’individu de parler à « un avocat avec son
téléphone cellulaire à l’arrière de l’auto-patrouille, alors que les agents le
surveillent de l’extérieur de l’auto-patrouille, sans entendre la conversation ».
Pour éviter le risque de bris dans la voiture ou la possibilité que les
policiers manquent un appel d’urgence, les agents peuvent également, selon le
juge Vanchestein dans R. c. Whitehead,
permettre à l’accusé de prendre place dans sa voiture, assis du côté du
passager, sans possibilité de mettre le
[Page 709]
moteur en marche,
alors qu’un policier le surveille à l’extérieur.
L’absence de confidentialité pouvant s’avérer un obstacle difficile à
surmonter, le suspect peut choisir « si [il] désire exercer son droit
immédiatement ou plus tard en toute confidentialité ».
La renonciation à la confidentialité, précise le juge De La Sablonnière dans
R. c. Doré, pose des problèmes importants lorsque la personne
faisant l’objet de l’arrestation est fortement intoxiquée ou que son jugement
est manifestement altéré. Si l’état
d’intoxication de l’accusé n’est pas avancé, l’accusé sera en mesure d’exercer
le choix que lui proposera le policier. Encore une
fois, l’analyse est contextuelle et tient compte des circonstances de
l’affaire. C’est ce que souligne de nouveau la Cour d’appel du Québec dans un
jugement récent impliquant une jeune fille qui a dû patienter plus de 1h17 min.
avant de pouvoir parler à son avocat à la suite de son arrestation pour conduite
avec capacités affaiblies. Ce délai, selon le
policier, s’expliquait notamment en raison de l’impossibilité d’assurer la
confidentialité de l’appel, et plus précisément, de laisser, sans risque, la
conductrice seule dans une auto-patrouille qui n’est pas équipée d’une cloison
de protection pour isoler les
[Page 710]
détenus. Comme le
policier craignait que la conductrice s’enfuie au volant de l’auto-patrouille
ou accède aux renseignements contenus dans l’ordinateur de bord, il a décidé de
retarder l’appel jusqu’au poste. D’après la juge du procès, la poursuite n’a
pas démontré que le délai était raisonnable en l’espèce. En effet, à aucun
moment le policier s’est informé auprès de la conductrice et des 5 autres
passagers de la présence d’un téléphone cellulaire. De plus, la conductrice
était calme, respectueuse et coopérative. Rien ne laissait présager la présence
d’un comportement désordonné pouvant fonder les craintes du policier. Enfin, il
y avait un « espace sécuritaire sur les lieux de l’interception » où
le policier et les autres personnes pouvaient se tenir à l’extérieur de la
voiture. La décision du juge
d’écarter les résultats de l’alcootest en raison de la violation du droit à
l’assistance d’un avocat ayant été infirmée par la juge de la Cour supérieure,
la Cour d’appel souligne à nouveau l’importance du droit en question et
l’obligation des policiers de permettre au détenu l’accès à un avocat à la
première occasion raisonnable, c’est-à-dire dire « dès que cela est
possible en pratique ». En effet, « les
policiers ne sont pas obligés de laisser la personne détenue appeler son
avocat, sur place, à l’aide d’un cellulaire. Ils doivent néanmoins tenir compte
de cette possibilité en déterminant quand sera la première occasion raisonnable
pour permettre au détenu d’avoir accès à un avocat. Leur devoir consiste à
considérer l’ensemble des circonstances pour prendre leur décision, et des
motifs purement théoriques, sans lien avec l’affaire, ne peuvent suffire ».
Parmi les circonstances pertinentes reconnues par la Cour, mentionnons la
présence d’un téléphone cellulaire, le comportement du détenu, ses antécédents
judiciaires, l’état de la chaussée et les conditions météorologiques.
À cette liste, nous pouvons ajouter la nature de l’infraction reprochée, les
circonstances entourant sa perpétration, le lieu et l’heure de l’arrestation,
la présence de plusieurs personnes accompagnant le détenu, la proximité ou non
d’un poste de police, etc. En ce qui
[Page 711]
concerne le droit du
détenu à une conversation confidentielle avec un avocat, le juge Doyon est
catégorique : « Un détenu peut légalement renoncer à son droit à
l’avocat. Pourquoi ne pourrait-il pas y renoncer partiellement ? L’absence
de confidentialité ne justifie pas nécessairement un refus : R. v. Fan,
2017 BCCA 99, paragr. 55. De toute façon, les conclusions factuelles de la juge
de la Cour du Québec l’ont amenée à rejeter la prétention des policiers selon
laquelle l’appel ne pouvait être confidentiel. »
La poursuite n’ayant pas démontré que le délai entre le moment où la
conductrice a exprimé son intention de parler à un avocat et celui où elle a pu
le faire était raisonnable en l’espèce, la Cour accueille l’appel et rétablit
l’acquittement prononcé par la juge de la Cour du Québec.
465. La sécurité : La sécurité
est le second obstacle invoqué à l’appui de la décision de retarder l’accès à
un avocat. De façon générale, les préoccupations relatives à la sécurité des
policiers se rapportent soit à l’individu faisant l’objet de l’intervention,
soit aux lieux de l’interception. Est-ce que l’individu, par exemple, est agité
et agressif ? Si la réponse est oui, il y a lieu de retarder l’appel
jusqu’au poste de police. La présence d’un conducteur poli, calme et coopératif
diminue les craintes relatives à la sécurité des policiers.
Quant à la personne fortement intoxiquée, son comportement étant imprévisible,
on ne peut écarter le risque de débordements ou d’un épisode de désorganisation
au cours duquel la personne en état d’ébriété « commence à endommager le
matériel se trouvant à l’avant du poste de pilotage du véhicule de la Sureté du
Québec tels que les ordinateurs et les cinémomètres ».
Les craintes du policier doivent être raisonnables en l’espèce. Bien que
[Page 712]
le policier « ne
puisse assumer ou deviner quel sera le comportement d’un détenu sous l’effet de
l’alcool », il ne peut se
contenter de simples suppositions. Il doit procéder à une analyse des
circonstances spécifiques de l’affaire et conclure sur une base raisonnable que
sa sécurité justifie de repousser l’accès à un avocat. En plus des
considérations se rapportant à la condition du suspect, l’utilisation d’un
cellulaire en bordure de la route, alors que les agents surveillent le
conducteur à l’extérieur de leur voiture, peut parfois comporter un risque qui
n’est pas à négliger. Les policiers qui se trouvent, tard le soir, sur le bord
d’une petite route de campagne non éclairée et sans accotement, ne peuvent
demeurer près de la voiture pendant que le conducteur fait son appel, sans
danger. Il en va également
lorsqu’ils sont sur la bordure d’une autoroute ou d’un autre chemin passant
sans espace sécuritaire à proximité. L’analyse,
encore une fois, est contextuelle et tient
[Page 713]
compte de toutes les
circonstances. La crainte des policiers, rappelons-le, doit être réelle et non
simplement hypothétique. De simples suppositions ne sont pas suffisantes en
l’absence de preuves spécifiques se rapportant aux circonstances de l’affaire.
466. Le problème de l’exercice du droit à
l’assistance d’un avocat en bordure de la route ne se limite pas aux cas de
conduite avec les facultés affaiblies, mais s’étend également à toutes les
arrestations effectuées aux termes de la loi. Sur ce point, citons la décision
du juge Côté dans R. c. Chassé. Après
avoir intercepté le conducteur d’une automobile afin de vérifier la validité de
son permis de conduire, l’un des policiers remarqua la présence d’un sac de
plastique contenant du cannabis, dans le compartiment de rangement de la
portière du conducteur. Le policier ayant procédé à l’arrestation du suspect
pour possession de cannabis, il fit la mise en garde habituelle, puis informa
l’accusé de son droit d’avoir recours sans délai à l’assistance d’un avocat. Le
conducteur demanda sans succès à deux reprises de parler à un avocat. La
politique de la police étant de ne pas permettre l’utilisation des téléphones
cellulaires dans la voiture de patrouille, l’accusé fut transporté au poste de
police où il put contacter un avocat 30 minutes plus tard. D’après le juge
Côté, « il est de connaissance judiciaire que l’usage du téléphone
cellulaire est maintenant très répandu dans la population. Cette réalité ne
peut être ignorée lorsqu’il s’agit de mettre en application le droit
constitutionnel d’une personne détenue de communiquer avec un avocat. Par
conséquent,
[Page 714]
lorsque comme en
l’espèce, la personne détenue demande de communiquer avec un avocat sur les
lieux de l’arrestation et que cela peut être fait immédiatement à l’aide de son
téléphone cellulaire, dans des conditions sécuritaires et dans le respect de la
confidentialité, les policiers doivent accéder à sa demande ».
Comme le policier savait que le prévenu était en possession d’un téléphone
cellulaire, qu’il n’y avait aucun danger pour la sécurité des policiers ou de
risque de fuite, la décision de repousser l’exercice du droit à l’assistance
d’un avocat contrevenait à l’al. 10b) de la Charte. Loin d’être réservés
aux infractions relatives à la conduite en état d’état d’ébriété, les obstacles
à la mise en œuvre du droit à l’avocat se présentent donc également dans le
cadre d’autres infractions. Dans ce cas, des préoccupations supplémentaires
peuvent surgir, comme la possibilité que le suspect appelle un complice ou
tente de faire disparaître des éléments de preuve à partir de son cellulaire.
Ces préoccupations doivent être réelles et non simplement théoriques. En effet,
« il faut une preuve factuelle de circonstances particulières pour
justifier un délai, de simples suppositions ne pouvant suffire ».
467. Le droit de recourir sans délai à
l’assistance d’un avocat s’applique également à une détention à des fins
d’enquête. En effet, « les problèmes de l’auto-incrimination et de
l’entrave à la liberté auxquels cherche à répondre l’al. 10b) se posent
dès qu’il y a détention. Par conséquent, à partir du moment où une personne est
détenue, l’al. 10b) s’applique et les policiers sont tenus d’informer
cette personne “sans délai” de son droit à l’assistance d’un avocat. Seules des
raisons liées à la sécurité des policiers ou du public ou des restrictions
raisonnables prescrites par une règle de droit et justifiées au sens de
l’article premier de la Charte peuvent atténuer le caractère immédiat de cette
obligation ». Comme la
détention doit être brève et que les policiers doivent faciliter à la première
occasion raisonnable l’accès à un avocat, on s’attend
[Page 715]
généralement à ce
que la personne qui le demande et qui possède un cellulaire puisse contacter
sur-le-champ son avocat. En plus de porter
atteinte au droit à l’assistance d’un avocat, l’absence de diligence des
policiers qui entraîne des délais supplémentaires peut être considérée pour
déterminer la durée permise d’une détention aux fins d’enquête.
Enfin, mentionnons que « l’observation des conditions prescrites par
[l’al. 10b)] ne saurait être utilisée comme une excuse pour prolonger
indûment et artificiellement une détention ».
468. La mise en application du droit à
l’assistance d’un avocat au poste de police lors d’un interrogatoire fut
examinée par la Cour suprême dans l’arrêt R. c. Sinclair.
L’appelant, qui avait été arrêté pour le meurtre au second degré de Gary
Grice, fut informé des motifs de son arrestation et avisé de son droit à
l’assistance d’un avocat. À la question s’il voulait parler à un avocat,
l’accusé a répondu : « Pas pour l’instant. » Conduit au
détachement de la GRC, l’accusé a demandé à communiquer avec un avocat qui
l’avait déjà représenté dans un autre dossier. Ayant discuté pendant environ
trois minutes avec Me Janicki, l’accusé a confirmé au caporal Leibel que son
avocat s’occuperait de son dossier. Après avoir de nouveau communiqué
brièvement avec Me Janicki, M. Sinclair fut rencontré par un enquêteur dans le
cadre d’un interrogatoire enregistré. Questionné sur son passé et son
éducation, M. Sinclair a répondu au policier qu’il n’avait rien à dire « jusqu’à
ce que son
[Page 716]
avocat soit là et
[lui] dise ce qui se passe ». L’enquêteur
ayant confirmé le droit de M. Sinclair de garder le silence et de consulter son
avocat, il l’informa qu’il n’avait pas le « droit à la présence d’un
avocat pendant qu’on lui pose des questions ».
Les questions préliminaires s’étant poursuivies quelques minutes, M. Sinclair a
réitéré son malaise quant au fait d’être questionné en l’absence de son
procureur. Le sergent Skrine ayant de nouveau expliqué à l’accusé qu’il avait
le droit de choisir de parler ou non aux policiers, mais qu’il avait déjà
téléphoné à son avocat, les questions se sont intensifiées. Confronté à des
informations de plus en plus incriminantes, l’accusé a indiqué à quatre ou cinq
reprises son désir de parler à son avocat et de garder le silence. À chaque
occasion, le sergent Skrine rappelait à M. Sinclair que c’était à lui de
choisir de parler ou non aux policiers, mais qu’il devait lui présenter la
preuve qu’il détenait contre lui. L’accusé ayant admis la commission du crime,
la Cour s’interrogea sur l’existence ou non du droit à la présence d’un avocat
tout au long de l’interrogatoire et de celui de consulter de nouveau son avocat
sur demande. D’après la juge en chef McLachlin, « l’al. 10b) ne
devrait pas être interprété de manière à conférer le droit constitutionnel
d’avoir un avocat présent pendant toute la durée d’un entretien de police ».
Certes, les parties peuvent d’un commun accord consentir à la présence d’un
avocat pendant l’interrogatoire, mais cela n’est pas obligatoire.
En ce qui concerne le droit de consulter de nouveau un avocat, « l’al. 10b)
accorde au détenu une seule consultation avec un avocat ».
Ainsi, mis à part les « cas où se produit un changement important de la
situation du détenu après la consultation
[Page 717]
initiale »,
ce dernier n’a pas le droit de consulter de nouveau son avocat. De façon
générale, une deuxième consultation s’impose lorsque des « mesures
additionnelles visant le détenu » sont envisagées
par les policiers, lorsqu’il se produit un changement « radical » et « net »
de l’objet de l’enquête, et lorsqu’il y a des « raisons
de se demander si le détenu comprend le droit que lui confère l’al. 10b) ».
a) Les mesures additionnelles
visant le détenu
469. Les conseils fournis par un avocat, à
l’étape préliminaire suivant la mise en détention du contrevenant, se limitent
généralement à informer le détenu de son droit de garder le silence et à lui
fournir des conseils sur la façon d’exercer son choix de parler ou non aux
policiers. La personne interrogée étant alors pleinement renseignée de ses
droits, les policiers ne sont pas tenus d’accorder une seconde consultation
dans le cours normal de l’interrogatoire sous garde. La situation est toutefois
différente lorsque la police entend soumettre le détenu à une séance
d’identification ou à un test polygraphique.
La participation de l’accusé à ces procédures d’enquête n’étant pas
obligatoire, des renseignements additionnels peuvent s’avérer nécessaires afin
de permettre à l’accusé de choisir de participer ou non à de telles mesures et,
si oui, dans quelles conditions. D’où la nécessité
d’une seconde consultation.
[Page 718]
b) Le changement du risque
470. Comme les conseils qui sont donnés à
l’accusé sont adaptés à sa situation juridique, la présence d’un changement net
et radical de l’objet de l’enquête au profit d’une infraction différente et
indépendante ou plus grave que celle faisant l’objet de l’arrestation initiale,
exige une seconde mise en garde relativement aux nouvelles infractions
reprochées. Les conseils pouvant varier en fonction de l’ampleur du risque que
court l’accusé, une consultation supplémentaire est requise afin de permettre
au détenu d’obtenir les renseignements nécessaires et les conseils dont il a
besoin pour choisir de collaborer ou non avec les policiers.
[Page 719]
c) Les raisons de se demander si le
détenu comprend le droit que lui confère l’al. 10b)
471. S’il existe des indices que le détenu a
renoncé à son droit à l’assistance d’un avocat sans véritablement comprendre le
droit en question, les policiers doivent l’informer de nouveau de son droit et
prendre des mesures raisonnables afin de s’assurer de sa compréhension. « La
personne qui renonce à un droit doit savoir ce à quoi elle renonce pour que la
renonciation soit valide. » Ainsi, lorsque
des éléments laissent croire que le détenu « n’a peut-être pas compris les
conseils reçus initialement en vertu de l’al. 10b) au sujet de son droit
à l’assistance d’un avocat, la police a l’obligation de lui accorder de nouveau
la possibilité de parler à un avocat ». Le dénigrement
de l’avocat de l’accusé, de ses conseils juridiques ou de sa probité peut
également miner l’exercice du droit à l’assistance d’un avocat en dénaturant la
portée ou la justesse des conseils obtenus ou à venir. Comme la valeur des
conseils prodigués a été contaminée par l’action policière, une seconde
consultation s’impose dans les circonstances.
Troisième sous-section : La
renonciation
472. La renonciation au droit à l’avocat
peut être envisagée selon que l’individu exprime ou non sa volonté de parler à
un avocat. Si l’individu n’indique pas son désir de consulter un avocat,
l’obligation corrélative des policiers de lui fournir la possibilité
raisonnable d’exercer ce droit et de s’abstenir de tenter de lui soutirer des
éléments de preuve incriminants ne prend pas naissance.
Naturellement, la décision de ne pas communiquer avec
[Page 720]
un avocat peut être
prise alors que l’individu est fortement intoxiqué, bouleversé, agité ou en
colère. Dans ce cas, si la preuve indique que l’accusé comprenait son droit à
l’assistance d’un avocat, les policiers n’ont rien à ajouter et peuvent
procéder à leur enquête. On n’a qu’à penser au
conducteur en état d’ébriété qui n’avait pas exprimé son intention de
communiquer avec un avocat après avoir été arrêté pour conduite avec capacités
affaiblies. Comme les paroles et le comportement de l’individu indiquaient
qu’il avait « compris la mise en garde concernant le droit à l’avocat,
aucun reproche ne peut subsister à l’égard de l’application du volet
informationnel du droit à l’avocat effectué par l’agent Breton. Aussi, il
appert que l’appelant a pris la décision de ne pas communiquer avec un avocat.
Selon la preuve, il s’agit d’une décision d’un homme orienté, collaboratif et
qui comprend les informations reçues. Dans ces circonstances, l’agent Breton
n’avait pas d’autres obligations ou démarches supplémentaires à effectuer ».
Si le détenu indique clairement qu’il ne comprend pas son droit, ou s’il existe
des signes évidents d’incompréhension en raison de sa déficience intellectuelle
ou de son état d’ébriété avancée, les policiers doivent prendre des mesures
raisonnables pour s’assurer de la compréhension de son droit. Si malgré la
prise de telles mesures, la personne ne semble pas comprendre son droit ou ne
semble pas être consciente du sérieux de la situation, le policier devrait
s’abstenir d’interroger l’accusé jusqu’à ce qu’il soit « suffisamment
sobre » pour comprendre les conséquences de sa renonciation.
Une fois que le tribunal a conclu que la police s’est acquittée de son
obligation d’information, ce n’est pas à la poursuite d’établir que l’accusé
[Page 721]
a renoncé à son
droit, mais plutôt au détenu de démontrer qu’il avait invoqué son droit à
l’avocat.
473. Pour être valide, « la
renonciation doit être libre et volontaire et elle ne doit pas avoir été donnée
sous la contrainte, directe ou indirecte ».
Comme la volonté suppose un acte de connaissance par rapport « à ce qui
est fait », la personne qui renonce à son droit de consulter un avocat
doit être consciente des conséquences de sa renonciation. C’est le « critère
de la connaissance des conséquences » développé par la Cour suprême dans
l’arrêt R. c. Clarkson. Arrêtée
pour le meurtre de son mari, l’accusée, qui était fortement intoxiquée, fut
mise en garde selon la formule habituelle et informée de son droit à
l’assistance d’un avocat. Transportée au poste de police après avoir été
examinée à l’hôpital, l’accusée fut avisée de nouveau de son droit à
l’assistance d’un avocat. Comme Mme Clarkson semblait avoir indiqué qu’elle
avait compris la question concernant son droit à l’assistance d’un avocat, les
policiers ont débuté l’interrogatoire en présence de la sœur de l’accusée.
Cette dernière s’étant vivement opposée à la poursuite de l’interrogatoire en
l’absence d’un avocat, les policiers lui ont répondu qu’ils avaient informé
l’accusée de son droit, puis ont poursuivi l’interrogatoire. Bien que la sœur
de l’accusée ait
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tenté à plusieurs
reprises de dissuader Mme Clarkson de répondre aux questions des policiers,
l’accusée a indiqué que c’était « inutile » et qu’elle « n’avait
pas besoin d’un avocat ». Quelques instants plus tard, Mme Clarkson fit
une déclaration incriminante. D’après la juge Wilson, « pour être valide
et produire des effets, toute renonciation volontaire doit se fonder sur une
appréciation véritable des conséquences de la renonciation à ce droit ».
Comme le juge du procès a conclu que « l’appelante n’avait apprécié ni les
conséquences de ses déclarations ni ce à quoi elles pourraient servir »,
sa renonciation au droit de consulter un avocat n’était pas valide, dans les
circonstances. Les policiers, toujours selon la Cour, devaient, en l’espèce,
repousser la tenue de l’interrogatoire jusqu’à ce que l’accusée soit redevenue
suffisamment sobre pour exercer son droit de consulter un avocat ou de renoncer
validement à ce droit. Encore une fois, la « personne détenue doit
comprendre la nature et les conséquences de ce à quoi elle renonce ».
Ce n’est pas parce qu’une personne est intoxiquée, bouleversée ou souffrante à
la suite d’un accident de voiture ayant causé la mort d’une jeune femme,
qu’elle n’est pas en mesure de renoncer à son droit à l’avocat. En effet,
l’accusée qui discute avec les policiers, qui répond sans difficultés aux
questions et qui réagit fortement à l’annonce du décès de la victime, est en
mesure d’apprécier les conséquences de sa renonciation et de refuser d’exercer
son droit. Si l’accusé exprime
sa volonté de parler à un avocat, mais change d’idée par la suite, le tribunal
doit s’assurer de la validité de sa renonciation. La norme est stricte. Pour
être valide, le refus doit être « clair et sans équivoque ».
Les policiers ne peuvent conclure que la personne détenue a renoncé
implicitement à son
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droit simplement
parce qu’elle a répondu à leurs questions. En ce qui
concerne la personne détenue qui a exprimé sa volonté de consulter un avocat
puis changé d’avis après avoir tenté sans succès d’en contacter un, « l’al.
10b) oblige la police à l’informer expressément de son droit d’avoir une
possibilité raisonnable de communiquer avec un avocat et de l’obligation de la
police de suspendre ses questions jusque-là ».
Le refus de parler à un autre avocat ne constitue pas une renonciation au droit
en question. Mais si l’avocat ne
peut être rejoint dans un délai raisonnable, le détenu doit communiquer avec un
autre avocat, sinon l’obligation des policiers de s’abstenir de tenter de lui soutirer
des éléments de preuve disparaîtra.
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